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María Rostworowski GRAND INCA LE Pachacútec Inca Yupanqui

Le grand inca - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782847344622.pdf · document sur la campagne d’extirpation de l’idolâtrie qui fut entrepriseauXVIe siècleparmilesindigènes.D’aprèscethomme,

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Des hauteurs de Cuzco, au cœur des Andes,Pachacútec a régné sans partage sur le plusvaste empire d’Amérique. Il était le GrandInca. C’était un siècle avant l’arrivée desconquistadores de Pizarro. Roi guerrier, administrateur hors pair,

Pachacútec avait su imposer, dans le sang, unpouvoir centralisé et une religion unique à des

mosaïques de tribus dont coutumes, langues etcroyances restaient éparpillées depuis les temps immémoriaux.

Tout menait à lui, tout conduisait à Cuzco. Pachacútec avaitmaillé son empire d’une caste de fonctionnaires et quadrillé leroyaume d’un réseau routier sans égal. Il avait fait reconstruirel’ensemble des cités conquises selon le modèle inca. La religionétait omniprésente, les sacrifices exceptionnels.

L’empire du Grand Inca n’était que richesse et toute puissance.L’or et l’ordre. L’un des plus brillants royaumes de l’histoire descivilisations. Alors, les Espagnols débarquèrent.

Reconnue comme la plus grande spécialiste des Incas, l’éthnohistorienne MARÍAROSTWOROWSKI est membre fondateur de l’Institut des études péruviennes etde l’Académie nationale d’histoire du Pérou. Archéologue émérite, elle est l’auteurd’une vingtaine d’ouvrages sur le Pérou précolombien. Le Grand Inca est le premierde ses livres à être publié en français.

Traduit de l’espagnol (Pérou) par Simon Duran.

9 7 8 2 8 4 7 3 4 4 6 2 2

www.tallandier.com

En couverture : Cuzco, Pérou © Alejandro Balaguer / Getty Images.Graphisme Aurélia Lombard-Martin.

ISBN : 978-2-84734-462-2 / Imprimé en France 11.2008 25€

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Chez le même éditeur :

LE GRANDINCA

María Rostworowski

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Pachacútec Inca Yupanqui

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MARÍA ROSTWOROWSKI

LE GRAND INCA

Pachacútec Inca Yupanqui

Traduit de l’espagnol (Pérou) par Simon Duran

TALLANDIER

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Conseiller éditorial : Michel Bagnaud

© IEP Ediciones, María Rostworowski, 2001

© Éditions Tallandier, pour la traductionet la présente édition, 20082, rue Rotrou - 75006 Paris

www.tallandier.com

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SOMMAIRE

Préface à l’édition française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Première partie

LA CONFÉDÉRATION DE CUZCO

Chapitre premierL’ORIGINE DES INCAS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

Chapitre IILE VAINQUEUR DES CHANCAS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Chapitre IIIRÈGNE DE L’INCA VIRACOCHA ET JEUNESSE DE PACHACÚTEC 53

Chapitre IVINCA URCO ET L’ATTAQUE CHANCA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

Deuxième partie

LA FORMATION DE L’EMPIRE INCA

Chapitre VLES PREMIÈRES ANNÉES DU RÈGNE DE PACHACÚTEC . . . . . . . 83

Chapitre VICORICANCHA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

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Chapitre VIICONQUÊTES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

Chapitre VIIILA RECONSTRUCTION DE CUZCO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

Chapitre IXL’ORGANISATION DE L’EMPIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161

Chapitre XLES SUCCESSIONS ET LA COSOUVERAINETÉ . . . . . . . . . . . . . 205

Chapitre XILE CORÈGNE DE TÚPAC YUPANQUI . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223

ANNEXES

Annexe IPRÉCISIONS SUR L’ORIGINE DES INCAS . . . . . . . . . . . . . . . . . 245

Annexe IIL’ORIGINE DES CHANCAS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251

AddendumCINQUANTE ANS APRÈS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335Principaux chroniqueurs ou mémoires des conquistadors,

témoins oculaires de la conquête du Pérou . . . . . . . . . . 349

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Le plus grand homme que la race aborigèned’Amérique ait jamais produit.

SIR CLEMENS R. MARKHAM

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Préface à l’édition française

Avec la publication en français, plus de cinquante ans après,de ma biographie de l’Inca Pachacútec, je peux dire que laboucle est bouclée. Au cours des années, je n’ai jamais inter-rompu mes recherches sur la civilisation andine, et mon plusgrand désir fut toujours d’embrasser et comprendre la menta-lité, les conceptions et la logique qui se déployèrent dans cetterégion du monde. Naturellement, ma vision s’est enrichie. Àchaque fois que j’approfondissais un sujet d’étude, je découvraisde très grandes différences avec les conceptions européennes.L’originalité des peuples andins repose sur leur isolement dureste de la planète. Peut-être certains contacts sporadiqueseurent-ils lieu avec les populations mésoaméricaines, mais ladistance et surtout les difficultés d’accès empêchèrent de main-tenir des relations fluides. Les Andins — et je désigne par cenom les habitants de la côte, de la sierra et de la jungle —vivaient dans des environnements géographiques distincts maiscomplémentaires : leurs différences les unissaient et les sépa-raient tout à la fois.

Comme leurs conditions de vie étaient durement affectéespar le milieu ambiant — il y avait les déserts de la côte, lesescarpements de la sierra, les hauts sommets, les punas et lesjungles hostiles —, les peuples de l’ancien Pérou durent trouveren eux-mêmes les ressources pour vaincre tout ce qui les empê-chait d’établir la civilisation dans ce pays. C’est ainsi qu’ilsfurent contraints de s’unir pour en dompter les complexitésgéographiques. L’homme seul ne pouvait vaincre la nature.Loin de l’individualisme européen, une organisation commu-nautaire surgit de la nécessité de surmonter les obstacles queprésentait le milieu, et c’est elle qui conféra aux culturesandines leur singularité. Ce n’est pas en vain que l’historien

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anglais Toynbee a considéré que la civilisation des Andes devaitêtre comptée au nombre des plus originales.

Dans cette perspective, on voit bien qu’il était naturel que leschroniqueurs du XVIe siècle n’entendissent pas grand-chose auxcoutumes préhispaniques, au point de projeter dans leurs écritsleurs propres modes de vie et leurs propres conceptions reli-gieuses. Ces hommes ne pouvaient voir dans les divinités et lesoracles indigènes que des manifestations du démon. L’incompré-hension entre natifs et Espagnols était inévitable. Je donneraipour exemple l’opinion d’un supposé sorcier, recueillie dans undocument sur la campagne d’extirpation de l’idolâtrie qui futentreprise au XVIe siècle parmi les indigènes. D’après cet homme,les saints des autels n’étaient que muets morceaux de bois, nepouvant protéger que les Espagnols et incapables de communi-quer avec les fidèles, à la différence des idoles de son pays, qui,elles, pouvaient parler avec eux. Il était difficile de surmonter desdifférences aussi profondes.

Depuis la première édition de cet ouvrage, j’ai recueilli aulong des années de nombreuses informations qui m’ont permisd’approfondir ma connaissance du passé andin. D’où la néces-sité de lui adjoindre un addendum, que le lecteur trouvera en finde volume, et où j’ai indiqué les sujets d’étude qui intéressent leplus la recherche future. Par ailleurs, des modifications y ont étéapportées pour en faciliter la compréhension par les lecteursfrançais. Rien de tout cela ne change mon admiration pourPachacútec, le créateur de l’État inca.

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PREMIÈRE PARTIE

LA CONFÉDÉRATION DE CUZCO

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CHAPITRE PREMIER

L’ORIGINE DES INCAS

Dans cette matière, le plus difficile, c’est dedécouvrir de quels gens procèdent les Indiensqui habitent ce pays si long et si vaste.

FRÈRE REGINALDO DE LIZÁGARRA,Descripción de las Indias.

La civilisation au Pérou est très ancienne. Son passé n’estque vicissitudes : les empires s’y forment, atteignent leur apo-gée, disparaissent, puis ressurgissent, fécondés par de nouveauxapports culturels. Ces renaissances incessantes constituentaujourd’hui autant de sources d’étude pour les historiens et lesarchéologues.

D’innombrables légendes entourent l’époque mystérieuse dePurumpacha, ces temps obscurs, désertiques et dépeuplés où lesIncas se plaisaient à faire remonter leurs origines. D’après lemythe, l’esprit de l’homme des Andes fut alors subjugué par lesphénomènes du cosmos et de la terre. Époque merveilleuse quecelle où les dieux allaient encore sur la terre, où les animauxparlaient, où les sommets, les lacs et les sources avaient leuresprit tutélaire. C’est toute l’immense richesse de la mythologiepéruvienne, si originale et si variée dans sa forme. Mais de celail ne sera pas vraiment question ici. Nous allons raconter l’Inca-nat.

L’Incanat, et tout particulièrement le destin du grand IncaPachacútec Yupanqui, le créateur de l’État inca. La quantité dedocuments à notre disposition nous permet d’incorporer cetteépoque du Pérou précolombien à l’histoire universelle. Les évé-nements qui eurent lieu en ce temps-là furent soigneusement

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conservés par les Incas, au moyen de quipus*, de chants et depeintures. Les quipus, cordelettes à nœud de différentes lon-gueurs et couleurs, permettaient aux quipucamayus — qui enétaient les gardiens ou les experts capables de les déchiffrer —de recueillir des comptes et peut-être aussi certains faits histo-riques. Chaque lignage royal disposait également de spécialistespour recueillir et mémoriser la geste des souverains en dessortes de mélopées que l’on entonnait en public, à l’occasionde certaines fêtes ou d’événements particuliers. Enfin, les Incasreprésentaient leur histoire sur des textiles ou des tablettes enbois. Plus tard, après la conquête espagnole, de nombreuxchroniqueurs transcrivirent les documents existants. Ces docu-ments portent avec eux les défauts qui caractérisent le type detradition qui nous les a fait parvenir. Parfois en contradictionles unes avec les autres, véhiculées par une langue qui va dustyle le plus pur de Garcilaso de la Vega au jargon mi-quechuami-espagnol de Huamán Poma, les chroniques forment unejungle aussi emmêlée qu’intéressante, où gît la première partiede l’histoire du Pérou.Lorsque j’ai entamé cette recherche, il y a de nombreuses

années, j’ai pris le parti de ne suivre aucun chroniqueur enparticulier. Il me fallait les étudier tous si je voulais dégager deleurs écrits la vérité historique qu’ils recèlent.L’histoire de l’arrivée à Cuzco de Manco Cápac, le fondateur

de la confédération incaïque, se mêle à la légende. Le mythes’est emparé du personnage historique. Même aux yeux desquipucamayus, il personnifie une époque nébuleuse, un tempsoù les tribus agricoles erraient à la recherche de terres fertiles.Garcilaso de la Vega nous donne une version de la légende.Après être sorti des eaux du lac Titicaca, Manco Cápac, accom-pagné de sa sœur et épouse Mama Ocllo, s’est dirigé vers lenord à la recherche de la vallée d’élection. Parvenu au montHuanacauri, près de Cuzco, la baguette magique qu’il a en sonpouvoir s’enfonce dans le sol : c’est le signe tant espéré, c’est iciqu’il lui faut fonder un empire.L’œuvre accomplie par le couple royal est semblable à celle

* Le lecteur trouvera en fin de volume un lexique quechua. Nous transcri-vons par ailleurs tous les mots de la langue officielle de l’Empire inca enitalique (NdT).

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de tous les héros civilisateurs des temps légendaires. Avec euxs’établissent l’ordre, la culture et les arts qui sont enseignés auxgénérations successives. La version officielle des débuts del’empire dut être ainsi conçue pour édifier le peuple. L’originedes fils du Soleil était glorieuse et divine. N’étaient-ils pas lesrejetons de l’astre qui est source de vie et de lumière sur laterre ? La source du pouvoir était divine et magique.

Manco Cápac

Tout peuple conserve dans ses épopées et ses légendes lavérité de ses origines lointaines et oubliées*. Manco Cápac futsans doute, comme l’écrivait Riva Agüero, « un roitelet barbare,le chef d’une bande d’envahisseurs qui vécurent dans la confron-tation et la guerre perpétuelle pour la possession des territoiresde Pacaritambo et de Cuzco1 ». Mythe ou réalité, cela n’a guèred’importance, du moment que l’on discerne dans sa figure lalutte pour la possession de Cuzco. Comme son chef avait atteintla terre désirée, il devint avec le temps le héros de toutes lesaventures de son peuple. L’ayllu de Manco, c’est-à-dire sonlignage et son clan, était celui d’une des multiples tribus disper-sées sur le territoire. Si l’on se penche sur le personnage histo-rique, on constate que son arrivée à Cuzco fut tardive. Peut-êtrefaut-il même la mettre en doute. Plusieurs chroniqueurs nousdécrivent le chemin emprunté, avec ses haltes s’étendant sur desannées entières2. Les premières terres conquises étaient cellesdes Huallas3. Fuyant les envahisseurs, menés par leur chefApoquirao, ces derniers s’établirent à une vingtaine de lieues deCuzco, où ils fondèrent le village de Huallas.

Une fois installés sur leur nouveau territoire, ils se prépa-rèrent au conflit avec les Sauasiray, lesquels leur opposèrenttant de résistance que Manco fut contraint de se retirer4. Aprèsde longs mois de préparation, celui-ci entreprit de les attaquer ànouveau, mais cette fois le chef des Sauasiray s’inclina et fut faitprisonnier, obtenant de recouvrer la liberté en échange de sesterres. Installé dans l’Inticancha, le temple du Soleil, on raconte

* Le lecteur trouvera en fin de volume une annexe développant quelqueshypothèses sur l’origine des Incas (NdT).

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que l’ayllu vit arriver son chef Manco paré de toute sa splen-deur : « Il portait à la poitrine une patène d’or et sur la tête unegrande médaille en or, qu’ils nomment canipo, et des braceletsd’argent autour des bras, et de multiples plumes colorées sur latête, l’habit et le visage bariolés de couleurs5. »

Le chef fit preuve de beaucoup d’astuce pour maintenir sonpouvoir au milieu de tribus hostiles et rivales. Il s’empara habi-lement du territoire voisin des Alcabizas en leur coupant lesvoies d’eau. Plus tard il mit en déroute le sinchi ou seigneurCulumchina et l’obligea à lui rendre allégeance. Cependant, endehors de celles qui lui valurent de s’établir à Cuzco et dans lesterritoires environnants, la plupart des chroniqueurs n’attri-buent pas de plus grandes conquêtes à Manco6. Seul Garcilasode la Vega lui concède la conquête d’un vaste domaine compre-nant plus de cent villages : «Du côté du levant il soumit le paysjusqu’au fleuve appelé Paucartampu, et vers le ponant huitlieues de terre jusqu’au fleuve appelé Apurimac, et au midineuf lieues jusqu’à Quequesana7. » Mais une telle expansionterritoriale est impossible si l’on prend en compte les difficultésque Manco dut affronter pour s’emparer seulement de Cuzco etassurer sa domination sur le plus proche voisinage.

L’épouse de Manco est nommée Mama Ocllo par certainschroniqueurs et Mama Huaco par d’autres. Ces deux noms sym-bolisent les deux archétypes féminins du monde inca. MamaOcllo personnifie la femme au foyer qui s’occupe de ses enfantset de samaison, tandis queMamaHuaco représente le typemêmede la femme de caractère, libre, capable de commander auxarmées. Le chroniqueur indigène Huamán Poma en fait la mèrede Manco Cápac, devenue seulement plus tard son épouse. Onpeut supposer que Manco eut en réalité deux ou même plusieursépouses. L’une ne lui aurait donné aucune descendance, tandisque l’autre aurait enfanté son successeur Sinchi Roca8.

Manco choisit pour résidence le lieu nommé Inticancha, nomqui signifie « enceinte du Soleil ». Puis il divisa la ville en quatreparties, lui conservant deux de ses anciens noms. Il y avait QuintiCancha, c’est-à-dire le quartier du Picaflor (colibri), ChumbiCancha, le quartier des tisserands, et Sairi Cancha, le quartierdu tabac. Nous ne disposons pas de traduction certaine pourle quatrième quartier, Yarámbuy Cancha9. Tous les chroni-queurs assurent que Manco et ses descendants, jusqu’à Cápac

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Yupanqui, résidèrent toujours dans l’Inticancha. Ce fait revêtune importance décisive, puisqu’il signifie que la Chima Panaca,c’est-à-dire l’ayllu ou lignage royal fondé par les descendantsdirects de Manco, vécut toujours dans Hurin Cuzco, c’est-à-dire dans le bas Cuzco.

Sinchi Roca

Le règne de Sinchi Roca se déroula au commencement duXIIe siècle. Toutefois, s’agissant de l’histoire inca, toute datationne saurait être qu’approximative10. Quoi qu’il en soit, même sile souverain ne portait pas encore le titre d’Inca, et tout simplechef de guerre qu’il fût, Sinchi Roca est le premier que l’onpuisse incorporer à l’Histoire. Il naquit au temps où son aylluerrait à la recherche de terres fertiles. Avant de s’établir àCuzco, il passa la plus grande partie de sa vie à partager lespérégrinations de son peuple. Il prit pour épouse Mama Coca,fille d’un seigneur du nom de Sutic Huamán, issu de l’ayllu desZañu11. Cette alliance aida sans doute à la conquête de Cuzco.Cieza de León l’attribue au règne suivant, ajoutant que le sou-verain « pria, d’après ce que l’on raconte, son beau-père devenir s’établir dans sa ville avec tous ses alliés et confédérés » etque « le seigneur ou chef des Zañu y consentit, et se vit remettreet assigner pour résidence la partie la plus occidentale de laville ». Jijón y Caamaño fait ainsi observer que cet ayllu devaitêtre étranger au peuple inca et qu’il se joignit à la maison deManco par voie pacifique12.

Sinchi Roca était déjà un homme lorsqu’il arriva à Cuzco, etc’est probablement lui qui commandait le clan de Manco lors-qu’il prit possession de la ville. Peut-être appartenait-il à l’aylludes Mascas, qui dépendaient des Hurin Cuzco, le clan du basCuzco. Cabello de Balbao dit qu’il fut le premier à porter lamascapaicha*, c’est-à-dire la couronne qui était le symbolesuprême de dignité au sein de cet ayllu13.

Sinchi Roca n’étendit pas de façon décisive ses possessions14.Cobo affirme que son autorité n’allait pas au-delà de Cinga,

* La mascapaicha, sorte de frange de laine rouge dont chaque élémentpassait dans des petits tubes d’or, était l’un des insignes du monarque. Elle

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«mont qui se trouve en face de Cuzco, n’ayant pas souhaités’aventurer en des terres distantes ». Toutefois, avec le temps, ilobtint que certains curacas* vinssent d’eux-mêmes lui offrir lasouveraineté sur leurs villages. C’est ainsi que la nouvelle confé-dération commença à prendre forme, sur la base d’une aidemutuelle. Les chefs voisins allaient trouver le seigneur deCuzco pour solliciter sa protection en cas de guerre ou dedanger. En échange, ils reconnaissaient la suprématie de SinchiRoca et un certain degré de soumission. Mais on était encoreloin du pouvoir absolu sur les curacas de la région.Manco Sapaca, fils aîné de Sinchi Roca, naquit avant l’instal-

lation de ses parents à Cuzco15. On ignore pour quelles raisonsil ne succéda pas à son père. La dignité suprême était probable-ment de nature élective au commencement de l’Incanat, unusage qui n’a pas manqué d’induire en erreur les chroniqueursespagnols, accoutumés qu’ils étaient au droit d’aînesse. Auxpremiers temps de la confédération, l’élection était motivée parles nécessités de la guerre. Le sinchi ou seigneur était élu parmiles plus aptes au commandement et à la défense des territoiresconquis. Il est probable que Manco Sapaca ne fut pas élu fauted’être suffisamment capable16. À la place lui échut la tâche deformer la panaca** de son père17.

Lloque Yupanqui

On peut dire que sous la dynastie des Hurin Cuzco l’Incanatne cessa jamais d’être un petit État confédéré rassemblant plu-sieurs tribus, luttant perpétuellement pour son existence ets’efforçant de maintenir l’équilibre entre les curacas rivaux aumoyen d’alliances. Sous le règne de Lloque Yupanqui, la confé-dération de Cuzco, bien qu’elle ne s’étendît pas encore bien

était fixée au front grâce au llauto, sorte de couronne multicolore qui ceignaitla tête de l’Inca. Des plumes d’oiseau rare étaient en outre fichées dans lacoiffe du souverain (NdT).

* Curaca désigne en langue quechua le cacique, le chef ou le seigneur d’unterritoire donné (NdT).

** La panaca est le lignage royal formé par toute la descendance de chaquesouverain à l’exclusion de celui qui lui succède à la tête du gouvernement(NdT).

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PADRE BERNABE COBO : Né en Espagne dans la province de Jaen en1580, mort 9 octobre 1657 à Lima. Jésuite, il arriva au Pérou en1596. Grand voyageur, sa monumentale Histoire del Nuevo Mundofut publiée en 1653. Mais l’édition complète en quatre volumes nefut publiée qu’en 1890.

TITU CUSI YUPANQUI : Fils de Manco Capac, il fut l’Inca deVilcabamba. Il dicta sa Relacion de la Conquista del Peru y hechosdel Inca Manco II en 1570, date de sa mort.

PEDRO SARMIENTO DE GAMBOA : Né vers 1531 en Espagne, mort en1592. Marin, explorateur, astronome, il écrivit en 1572 une chro-nique manuscrite Historia Indica qui ne sera publiée qu’en 1906,grâce aux efforts de Sir Clemens Markham.

CRISTÓBAL DE MOLINA : Né à Léganiel en 1494 et mort à Siantiago duChili en 1580. Surnommé «El Cusqueno », il publia en 1573 sesfameuses Relacion de las Fabulas y Ritos de los Incas.

JOSÉ D’ACOSTA : Né à Médina del Campo vers 1539, mort le 15 février1600 à Salamanque. Jésuite, missionnaire et naturaliste, il publia en1590 la Historia natural y moral qui a établi sa réputation.

CRISTOBAL DE MOLINA : Dit « El Chileno », il publia en 1552 Relacionde muchas cosas acaescidas en el Peru. Il servit de modèle à LasCasas.

HUAMAN POMA DE AYALA : Né aux alentours de 1534 et mort en 1616,il est le premier Indien à avoir écrit un Traité de la Bonne gouver-nance.

INCA GARCILASO DE LA VEGA : Métis, fils d’un capitaine espagnol,Sebastián Garcilaso de la Vega y Vargas, et de la princesse IncaIsabel Chimpu Ocllo, descendante de l’Inca Huana Capac. LesComentarios reales de los Incas paraissent en Castillan en 1609.

JUAN DE SANTACRUZ PACHACUTI : Chroniqueur d’origine indigène,converti au christianisme, il transcrivit les chants, les poèmes et lesrites quechuas des Incas. Il fit publier sa Relacion de antigüadadesdeste reyno del Peru en 1617.

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FRAY MARTIN DE MURUA : Religieux de l’Ordre de la Merci, il publiaen 1613 son Historia General del Peru, Origen y descendencia de losIncas. Il mourut en mai 1616.

JUAN ANELLO OLIVA : Né à Naples en 1574, mort à Lima le 5 février1642. Jésuite, il publia Historia del Reyno y provincias del Perú yvarones insignes en santidad de la Compañia de Jesús.

Dépôt légal : novembre 2008ISBN : 978-2-84734-462-2Numéro d’édition : 3 261

Imprimé en France

BIBLIOGRAPHIE 351