LE GROUPE DES CINQ RUSSES

Contexte

L’apogée de la musique romantique (et de l’art romantique en général) se situe entre 1830 et 1850.Musique basée sur l’expression des sentiments personnels des artistes (compositeurs, interprètes), et que l’on juge capable d’expressivité (sentiments, images, récits) : Musique narrative, musique poétique (exemple de la symphonie à programme de Berlioz et du poème symphonique de Liszt).

Alexandre Dumas père (ou Alfred de Musset), Victor Hugo, George Sand, Paganini, Rossini, Liszt, Marie d'Agoult et le buste de Beethoven

(Danhauser, 1840)

Après 1850 : Néo-romantisme, gestion d’un héritage, perte d’une certaine naïveté et autre phénomène important :

Montée des écoles nationales

(pays slaves : Pologne, Hongrie, Tchéquie, Russie etc. pays nordiques : Finlande, Norvège)

- utilisation des thématiques nationales (mythes, légendes, histoire), réalisme

- utilisation des folklores nationaux- utilisation de la langue nationale

Audition :

Avec la nounou («Naniouchka ») Mélodie tirée des Enfantines

(Moussorgski)

Raconte moi, Nounou, raconte moi,L’histoire du méchant homme.Comment il errait dans la forêt,Comment il y emportait les enfants,Comment il leur rongeait les os,Et comment les enfants criaient et pleuraient.Dis, Nounou ! S’il les a mangé, ces enfants, l’ogre,C’est parce qu’ils étaient méchants avec leur nourriceEt qu’ils avaient désobéi à papa et à maman ?C’est pour ça qu’il les a mangé, hein, Nounou ?Et tu sais quoi ? Raconte-moi plutôt l’histoireDu Tsar et de la Tsarine qui vivaient au milieu des mersDans leur riche palais.Le Tsar, il boitait tout le temps,Et quand il trébuchait, ça faisait pousser un champignon !La Tsarine, elle, était tout le temps enrhumée,Et chaque fois qu’elle éternuait, les carreaux volaient en éclat.Tu sais, Nounou, ne raconte pas l’histoire de l’ogre,Oublions-le, raconte-moi plutôtL’autre histoire, qui est plus drôle !

En Russie

Réveil de la Nationalité russe depuis Pierre le Grand (┼ 1725), puis sous Catherine II (┼ 1796).La victoire sur Napoléon en 1812, suivie du partage de la Pologne, renforce le phénomène.

Mais l’aristocratie reste tournée vers l’Europe (langue française, musique italienne).Succession de Tsars tyranniques (sommet : Nicolas 1er, 1825-1855). De nombreuses réformes restent à faire.Alexandre II accomplit les premières (comme l’abolition du servage en 1861).

Elévation progressive du niveau culturel après la guerre de 1812. Le changement proviendra de l’intelligentsia naissante au 19ème siècle, tournée vers les courants progressistes (populistes, révolutionnaires, romantiques).

1ers grands écrivains russes : Alexandre Pouchkine (1799-1837), Nicolas Gogol (1809-1852)

1ers grands musiciens russes : Mikhail Glinka (1804-1857), compositeur de l’opéra La vie pour le Tsar (1834-36), et Alexandre Dargomyjski (1813-1869), La Roussalka (1856). Tous les deux composent en langue russe.

Le groupe des cinq

L’expression vient du journaliste Vladimir Stassov, critique d’art, en 1867 : Moguchaya Kuchka (« Puissant petit groupe »).

- Mili Balakirev (1837-1910) : le fondateur du groupe- César Cui (1835-1918) : le porte-parole, rédacteur du

manifeste- Modeste Moussorgski (1839-1881)- Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : ensuite

professeur au Conservatoire de St Petersbourg, le plus connu, le plus influent, il orchestre les œuvres de ses collègues après leur mort et forme les successeurs de l’école russe (Stravinski, Prokofiev, Glazounov)

- Alexandre Borodine (1833-1887)

Constitution, rayonnement et déclin

Janvier 1856 : rencontre entre Cui et Balakirev (chef musical, alors que Stassov en est le chef spirituel) Liaison avec Glinka (alors en fin de vie) et Alexandre Serov (qui sera écarté ensuite).Moussorgski arrive en 1857 (prend des leçons de composition avec Balakirev), Rimski-Korsakov en 1861 et Borodine en 1862.A partir de 1866 : réunion chez Ljudmila I. Tchestakova (sœur de Glinka). Amitié avec les sœurs Pourgold (chanteuse et pianiste).Le groupe se dégradera durant les années 1870, Balakirev et Cui étant jugés trop sévères. Les décès de Moussorgski et de Borodine (81 et 87) achèvent la dissolution.

Identité

Tous sont autodidactes et suivent l’idéal de Glinka (fondateur de l’école russe avec Dargomyjski). Rejet d'un autre musicien russe : Anton Rubinstein (Professeur au conservatoire de St Petersbourg). Relations particulières avec Piotr Illitch Tchaïkovski.

Le groupe des cinq prône une musique spécifiquement nationale basée sur les traditions populaires russes (folklore, chants populaires, chant religieux de l'Église orthodoxe). Ils cherchent d’autre part à promouvoir la musique des romantiques modernes les plus novateurs, encore peu diffusés en Russie : Berlioz, Liszt, Schumann, Chopin.

Renouveau russe (opposé à l'aristocratie, et rejetant l’Europe).Détachement des standards occidentaux, méfiance dans le développement, promotion du réalisme (contre la virtuosité, les opéras italiens ou les grands opéras façon Meyerbeer). Opposition aux conservatoires (St Petersbourg 1862, Moscou 1866).

Dans le même temps, naissance du romantisme national russe (cercle d’Abramtsevo pour les Beaux Arts et l’architecture, apparition des écrivains Tourgueniev, Dostoievski, Tolstoï)

ALEXANDRE BORODINE(12 novembre 1833 à St Petersbourg –

27 février 1887 à St Petersbourg)

Compositeur, chimiste et médecin

Fils naturel du prince Louka Guedianov et de la fille d’un troupier Avdotia Antonova (déclaré par un domestique du père, en usage à l’époque).Vie confortable, études.Apprentissage de la flûte, du piano et du violoncelle

Écrit à 13 ans un concerto flûte et piano + un trio pour 2 violons et violoncelle

Destiné à carrière de médecin (faculté à 15 ans).

1860 : médecin militaire1862 : professeur à l’académie militaire de St-Pétersbourg (trop sensible aux blessures).

Grand savant. Beaucoup de voyages en Europe.« Compositeur du dimanche » auto-proclamé (obligations professionnelles et familiales).Très peu d’œuvres complètes à sa mort (2 symphonies et 2 quatuors, quelques mélodies).

1862 : rejoint le Groupe des Cinq, y représentera notamment la musique de chambre et la symphonie « classique » (sans programme).

Sa femme Ekatérina Sergéievna lui fait découvrir Chopin, Schumann et Liszt. Il écoute Wagner à Mannheim.Borodine est moins hostile que ses congénères à la musique germanique.

1862-1867 : première symphonie en mib (mauvais accueil).1869-1876 : deuxième symphonie « épique » (un de ses chefs-d’œuvres)1876 : débute l’opéra Le prince Igor (jamais fini, Glazounov et Rimski-Korsakov l’achèveront après sa mort)1877 : Rencontre avec Liszt à Weimar1879 : Composition du premier quatuor1880 : Liszt dirige sa symphonie n°1 (il la lui dédie en retour)1881 : ┼ de Moussorgski, son état se dégrade. Attaques cardiaques, choléra. Composition du 2ème quatuor.1885 : visite à Liszt.1886 : 3ème symphonie (inachevée, 2 parties orchestrées par Glazounov)1887 : meurt d’un infarctus (son épouse le suit 5 mois plus tard).

Audition :

1880 : Dans les steppes de l’Asie centrale (commande pour le 25ème anniversaire d’Alexandre II, succès considérable).

Poème symphonique (musique descriptive).

2 flûtes, un hautbois, un cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, 2 timbales, cordes.

« Dans les régions désertiques de l’Asie centrale retentit un chant russe. On entend se rapprocher le pas des chevaux et des chameaux ainsi que la mélodie d’une chanson orientale. Une caravane traverse l’immensité de la steppe, escortée par un détachement de soldats russes. Son parcours s’effectue en toute sécurité. La caravane s’éloigne peu à peu. Les chants s’unissent encore en une seule harmonie dont les échos retentissent longtemps dans l’immensité de la steppe avant de mourir dans le lointain. »

Désert : son aiguSoldats russes : thème russePas des chevaux et des chameaux : contretemps en pizzicatiCaravane : thème oriental

Audition :

Danses Polovtsiennes du Prince Igor(créé en 1890 au Théâtre Mariinsky de St Petersbourg)

Opéra en 4 actes avec prologue. S’appuie sur l’histoire d’Igor en 1185.Dans ces danses évoquent les Coumans (peuple turc). Pas de développement, superpositions, confrontations abruptes et sans préparation des thèmes, aspect brut.

A : introductionB : danse glissée des jeunes fillesC + A : danse sauvage des hommesD : danse généraleE : danse des garçonsB + E : danse glissée des jeunes filles avec le thème de la danse généraleE : danse des garçons + 2ème danse des hommesC + A : danse générale

CESAR ANTONOVITCH CUI(18 janvier 1835 à Vilnius –

26 mars 1918 à St Petersbourg)

Père français (issu de l’Armée Napoléonienne de la campagne de Russie), cadet de 5 enfants, 4 cultures (française, russe, polonaise, lituanienne).

Apprend le piano avec sa sœur (premières pièces écrites à 14 ans), ainsi que la théorie musicale. Plus tard avec le Polonais Stanislas Moniuszko.

1851 : se rend à St Petersbourg pour entrer en école supérieure d’ingénierie (diplômé en 1855).Carrière militaire en tant qu’instructeur en génie militaire. Fréquente des élèves issus de l’aristocratie, dont le futur Alexandre II.1856 : rencontre avec Balakirev (profonde influence, lui fait découvrir la musique de Glinka).Scherzo op.1 donné en public, orchestre dirigé par Arthur Rubinstein.

1857 : Rencontre avec Dargomyjski1858 : épouse une élève de Dargomyjski (Malvina Rafailovna Bamberg)Ecrit des opéras (Le fils du mandarin, 1859, opéra comique, William Ratcliff, 1861-68, sur une tragédie de Heine, Angelo, 1871, Flibustier en français, 1894,).Franz Liszt transcrit une Tarentelle pour orchestre (op. 12) au piano1883 : responsabilités au théâtre Mariinsky (comité de sélection). Il en démissionne avec Rimski-Korsakov devant le refus de Khovanchtchina de Moussorgski.1890-1910 : différents honneurs, reconnaissance1916 : devient aveugle1918 : meurt d’apoplexie cérébrale

César Cui n’est pas le plus représentatif d’une musique purement russe (beaucoup d’emprunts à l’Europe, malgré son manifeste, surtout à Schumann, Berlioz et Liszt, mais aussi à Beethoven et Wagner et à la musique italienne). C’est en revanche un grand critique musical (mais pas le meilleur compositeur du groupe).

Audition : Suite concertante pour violon et orchestre op.25, Intermezzo scherzando

MILI BALAKIREV(2 janvier 1837 à Nijni Novgorod –

29 mai 1910 à St Petersbourg)

Famille peu fortunée. En grande partie autodidacte. Prend 10 leçons de piano en tout, auprès d’Alex Dubuc.

A 16 ans, pris en charge par un protecteur, Alex Olybychev, pour lequel il réalise des copies, des arrangements, puis de la direction d’orchestre. Apprentissage empirique, beaucoup de facilité.

1855 : rencontre déterminante avec Glinka à St Petersbourg1856 : débute la création du Groupe des Cinq. Il en est l’âme, il supervise, il corrige, il oriente.1860 : le succès du groupe s’impose.1862 : Création d’une école libre de musique à St Petersbourg avec le chef de chœur Gavril Lomakin. Il la dirige jusqu’à 1872, puis de 1881 à 1908.

Balakirev parcourt le Caucase et la Crimée pour recueillir de la musique folklorique

1870 : dissolution du groupe. Il se sent lâché (relation quasiment familial avec les autres compositeurs). Grave crise matérielle et morale.1872-1876 : Se détourne de la musique et devient chef de gare1883-1894 : Directeur de la Chapelle Impériale

Audition :1882 : au terme de 15 années, termine les 25 minutes de Tamara (poème symphonique débuté en 1867)Sur un poème de Lermontov. Esquisses de 1867 à 1876, œuvre achevée en 1882 et créée en 1883.Chef-d’œuvre de Balakirev, sommet de l’orientalisme. Rempli de chromatismes.Légende du Caucase : une belle et démoniaque princesse (Tamara) vit dans une tour qui surplombe les gorges du Daryal sur le fleuve Terek. Elle attire les voyageurs égarés dans la nuit avec sa lumière, leur offre une nuit de plaisir puis les tue et jette leur corps dans le gouffre.Thème du grondement de la rivière dans les gorges du Daryal, thème d’amour (chant).

1883-1885 : dirige la chapelle impériale, assisté par Rimski-Korsakov

Audition :Il écrit Islamey, une « fantaisie orientale », une des œuvres les plus difficiles pour piano.

1884 : transforme sa seconde ouverture sur des thèmes russes Mille ans en un poème symphonique intitulé Russia. Son œuvre consiste principalement en ses trois poèmes symphoniques Russia, In Bohemia et Tamara.

MODESTE MOUSSORGSKI(21 mars 1839 à Karevo –

28 mars 1881 à St Petersbourg)

Descendance noble (dynastie ancienne des Riourikides).Etudie piano avec sa mère1849 : St Petersbourg, école préparatoire puis Ecole des Cadets de la GardeDevient excellent pianiste (cours d’Anton Herke, pourtant pris en dilettante), donc d’improvisateur, intérêt pour la philosophie et l’histoire.1854 : Carrière militaire, abandonnée au bout de 3 ans sous l’influence de Balakirev (rencontré en 1857, alors qu’il est introduit chez Dargomyjski, où il se lie aussi avec Cui et Stassov)1861 : l’abolition du servage ruine sa famille (mais il la soutient) Période de crise (nerveuse, mystique, nécessité de trouver un emploi). Devient employé administratif (Département des forêts). Reste pourtant très productif.1863 : opéra Salambô + cycle de chansons (ou mélodies).

1867 : Défaite de Sennachérib, première version d’Une nuit sur le Mont chauveNouvelle de Nicolas Gogol, évoquant la nuit de la St Jean sur le Mont chauve.Version chorale en 1872, interlude d’opéra en 1873, réorchestration par Rimski Korsakov en 1908.1867-68 : Le mariage, opéra inachevé (sur la comédie en prose de Gogol).

« C’est une prose vivante en musique ; on n’y retrouve pas l’habituel mépris des musiciens poètes pour le langage humain simple, dénué de tout ornement héroïque ; on y trouve, en revanche, un profond respect pour le langage humain, une tentative de reproduction du parler simple. »

1868-70 : Enfantines (cycles de chansons d’enfants)

Audition :

1869 : Boris Goudounov (révisé en 1872, nouvel acte polonais, avec rôle féminin)D’après livre d’Alexandre Pouchkine.Chef-d’œuvre de Modeste Moussorgski, très influent sur Claude Debussy. Sens de l’orchestration très innovant que les orchestrations successives de Rimski-Korsakov, Rachmaninov etc. affadiront largement.

Prologue, début du second tableau

Fin de l’acte III, scène du spectre(monologue de Boris)

1872 : Mlada, opéra-ballet collectif (Cui, Borodine, Rimski-Korsakov)1872 : Deuxième cycle de chansons d’enfants.

Audition :1874 : Tableaux d’une exposition

Cycle de pièces pour piano inspirées de 10 tableaux de Victor Hartman (ami de Moussorgski, mort un an auparavant) + prélude et promenadesNombreuses orchestrations, dont celle de Ravel.

Promenade, Le Gnome, Catacombes, La grande porte de Kiev

C’est à cette période qu’il sombre progressivement dans l’alcoolisme.1875 : Chants et danses de la mort1880 : Mis d’office à la retraite1881 : Meurt une semaine après ses 42 ans, des suites d’une crise de delirium tremens.Laisse deux opéras inachevés La Khovanchtchina (débuté en 1872), La foire de Sorotchinsky (débuté en 1876)

NIKOLAÏ RIMSKI-KORSAKOV(8 mars 1844 à Tikhvine –21 juin 1908 à Lioubensk)

Véritable « magicien de l’orchestre ».

Famille d’aristocrates éclairés.1856-62 : Ecole de mathématiques et de navigation à St Petersbourg.1859 : cours de piano1861 : rencontre avec Balakirev, rejoint le Groupe des Cinq1862 : Entre dans la marine russe impériale. Poursuit tout de même la pratique du piano. Balakirev l’encourage.1862 : part 3 ans autour du monde1865 : Première symphonie, vif succèsAmitié forte avec Borodine, mais aussi liens avec Piotr Illitch Tchaïkovski1871 : vit en collocation avec Moussorgski

Il devient professeur d’instrument et de composition au conservatoire (trahison de l’idéal du Groupe des Cinq), poste occupé jusqu’à la fin de sa vie. Se perfectionne avec Tchaïkovski (harmonie, contrepoint)1872 : mariage avec Nadezhda Purgold (avec laquelle il aura 7 enfants)1873 : devient inspecteur des orchestres militaires (liberté)1874 : Enseignant à l’école libre de musique russe1884 : retraite de ses fonctions militairesDevient adjoint de Balakirev au théâtre Mariinski.1905 : suspension pour avoir pris le parti de ses étudiants lors d’émeutes politiques.

Enseigne jusqu’à sa mort à de nombreux élèves qui succèderont à cette école russe.

Audition :Shéhérazade (1888)(thème du sultan, thème de Shéhérazade, qui unissent tout l’ouvrage)(premier mouvement, intitulé ensuite « Simbad le marin »).

Capricci espagnols, Ouverture de la Grande pâque russe (1888), Le coq d’or (opéra, 1906-7), etc.