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SIE DANIEL KAMBOU LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI : FONCTIONS ET ENJEUX D'UNE DÉMARCHE D'INITIATION Tome I Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en théologie pour l'obtention du grade de Philosophiae doctor (Ph. D.) FACULTE DE THÉOLOGIE ET DE SCIENCES RELIGIEUSES UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC NOVEMBRE 2006 © Sié Daniel Kambou, 2006

LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

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Page 1: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

SIE DANIEL KAMBOU

LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

FONCTIONS ET ENJEUX D'UNE DÉMARCHE D'INITIATION

Tome I

Thèse présentéeà la Faculté des études supérieures de l'Université Laval

dans le cadre du programme de doctorat en théologiepour l'obtention du grade de Philosophiae doctor (Ph. D.)

FACULTE DE THÉOLOGIE ET DE SCIENCES RELIGIEUSESUNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

NOVEMBRE 2006

© Sié Daniel Kambou, 2006

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RÉSUMÉ COURT

Les études anthropologiques sur l'initiation traditionnelle lobi, le joro,

ont jusqu'ici cherché à décrire ses différentes séquences selon des approches

ethnographiques. Quand cette initiation est abordée sur le plan théologique,

ses composantes sont mises en rapport avec les données dogmatiques et

catéchétiques des communautés chrétiennes. Bien que ces études

mentionnent les dimensions éducatives du joro, aucune ne les intègre dans

une théorie pédagogique. Elles l'assimilent plutôt à un phénomène religieux.

Sans nier les aspects sacrés du joro, la présente thèse part de

l'hypothèse que sa fonction est tout autant identitaire et éducationnelle que

religieuse. Le joro contribue, en effet, à faire passer un individu d'un état à un

autre au sein d'une population donnée. Tout en prenant en compte les

déterminants anthropologiques et théologiques, le présent travail tente, dans

une perspective évangélique, de comprendre les indicateurs propres à la

stratégie éducative du joro et de voir comment ceux-ci peuvent, à certaines

conditions, contribuer à une démarche d'initiation et d'éducation chrétiennes.

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RÉSUMÉ LONG

Le présent travail tente de mettre en évidences certains paramètres en

jeu dans une démarche d'initiation traditionnelle africaine, et de voir

comment ceux-ci peuvent, à certaines conditions, contribuer à une démarche

d'initiation et d'éducation chrétiennes. Considérée comme un frein à la

propagation de l'évangile, l'initiation traditionnelle (le joro en langue lobi) n'a

jamais fait l'objet d'une étude dans les milieux protestants évangéliques. Or,

étant la plus importante des institutions de formation chez les lobi du

Burkina Faso et de la Côte dIvoire en Afrique de l'Ouest, elle établit chez

l'initié, des représentations cognitives et des agirs qui président aux rapports

sociaux. Partant d'entrevues réalisées avec des anciens initiés lobi devenus

chrétiens, la thèse s'appuie sur une typologie pédagogique pour analyser,

dans un premier mouvement, les informations recueillies afin de saisir les

composantes pédagogiques de la démarche initiatique du joro. Dans un

second mouvement, elle se sert de cette typologie pour relire l'impératif

missionnaire de Matthieu 28, 18-20 dans le but de faire ressortir certaines

implications pédagogiques. Elle porte enfin un regard croisé sur ces deux

démarches pour dégager les substrats pédagogiques qu'elles partagent.

Partant de ces indicateurs pédagogiques, elle propose d'envisager

l'initiation traditionnelle comme un processus pédagogique pouvant

contribuer à une approche d'évangélisation renouvelée dans la société lobi.

Bien qu'elle partage les dimensions « enseigner », « former » et « apprendre »

mises en évidence dans le triangle pédagogique de Jean Houssaye, l'initiation

traditionnelle s'en démarque par les caractéristiques qui lui sont propres. Elle

vise la structuration symbolique de la personne, construit une identité fondée

sur la cohésion entre l'individualité et la communauté, et prend en compte

l'environnement physique et métaphysique. De tels éléments peuvent inspirer

et renouveler les stratégies pédagogiques mises en œuvre dans l'initiation et

l'éducation chrétiennes.

u

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ABSTRACT

The }oro, the initiation practice of the Lobi people, has been studied by

anthropologists using the tools of ethnography. The analyses offered by thèse

social scientists hâve consisted largely of detailed descriptions of the various

séquences involved in this African tradition of initiation. When studied by

theologians, the components of the joro hâve been examined for their possible

relationships to dogmatic and catechetical data. Although theologians and

anthropologists may mention the educational dimensions of the joro, to date

no one has situated it within a gênerai theory of pedagogy. Both thèse groups

of researchers tend to approach the joro essentially as a religious

phenomenon.

Without denying the sacred aspects of the joro, the présent thesis

focuses on the éducative rôle that thèse practices play in the identity

formation of the Lobi people. The joro is the means by which initiâtes move

from one state to another, becoming fully integrated into the ethnie group.

Anchored in an evangelical Christian perspective, the présent study takes into

account both anthropological and theological perspectives, as it seeks to

throw light upon the joro as an educational strategy which, under certain

conditions, might contribute to the élaboration of a model of Christian

initiation for the Lobi people.

ni

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AVANT-PROPOS

C'est par la grâce de Dieu que nous avons pu commencer et poursuivre

nos recherches sur l'initiation lobi. Cette grâce s'est manifestée à travers

plusieurs personnes à qui nous exprimons notre gratitude. Nous sommes

particulièrement reconnaissant au professeur Robert Hurley, à madame

Caroline Tard et à Christine Laflèche pour leur sympathie et gestes à notre

endroit. Nous sommes aussi reconnaissant à tout le personnel administratif,

en particulier au Doyen, M. Marcel Viau pour ses encouragements, et au

personnel d'entretien de la Faculté de Théologie et des Sciences Religieuses.

Sans Jack Robertson et son épouse Hélène, il serait difficile d'imaginer

ce que nous serions devenus. C'est grâce à eux que les portes des études nous

ont été ouvertes et Mady Vaillant nous a toujours encouragé et soutenu dans

notre parcours académique. Nous sommes reconnaissant à la mission

Worldwide Evangelization for Christ (WEC International) en Angleterre, à son

Bureau Régional en Afrique, à ses bases d'envoi en Allemagne, en France, en

Suisse et au Canada. Nous exprimons également notre gratitude à Tear Fund

et à Bôniger-Kramer-Stiftung en Suisse pour leur soutien financier. L'amitié

de Hans et Monique Lehmann nous a réconforté dans les moments

d'incertitude. Greti Oesch et ses sœurs, Robert et Martha Wûthrich, l'Église

Reformé de Schwartzenneg en Suisse et tous les amis de la Suisse se sont

donnés pour que notre séjour au Canada soit moins pénible. Grâce à Brian et

Lyn Woodford, nous avons reçu le soutien de leurs amis, Malcom et Carol

Frith, que nous remercions de tout cœur. Nos remerciements vont également

à Jill Karlik qui a toujours été présente dans nos moments difficiles. Par son

soutien nous avons pu effectuer deux voyages de recherches en Afrique.

À tous nos amis à Québec et à l'Église du Carrefour Chrétien de la

Capitale, nous disons merci. Nous exprimons toute notre gratitude à John

Entz et à sa famille, car c'est grâce à eux que notre arrivée à Québec a été

possible. Leur amitié et leur soutien nous ont encouragé dans les moments

d'épreuves. Bien qu'ils ne nous connaissaient pas, Peter et Cathy Dunn ont

IV

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cru en nous et se sont investis pour nos études. En tant que famille, ils nous

ont soutenu financièrement, et depuis mars 2005, ils nous ont fait bénéficier

de la bourse de Barnabas Venture, qui nous a permis de terminer nos études.

Nous les remercions du fond du cœur. Nous exprimons toute notre gratitude

à l'Ambassade du Burkina Faso au Canada, qui nous a permis d'avoir la

bourse d'exemption afin de mener à bien nos études.

À Amélie Hien à Sudbury, à Jeanne Somé à New York, à Daisie Whaley

à Philadelphie, à Dan Durben et à sa famille, à nos neveux et nièces au

Burkina Faso et à l'Institut Pastoral Hébron, nous disons merci. À notre

épouse et à nos deux filles, nous exprimons toute notre reconnaissance pour

leur soutien et les sacrifices qu'elles ont consentis pour que nous puissions

travailler en toute quiétude. Leur compréhension et leur amour ont été d'un

grand réconfort dans nos moments de découragements.

Nous sommes redevables à nos directeurs de thèse, messieurs

Raymond Brodeur et Gilles Routhier. Ils ont su toujours nous redonner

confiance quand les difficultés nous faisaient douter de nous-mêmes. Grâce à

leurs conseils, nous pouvons, enfin, présenter les résultats de nos recherches

sur l'initiation lobi.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ COURT i

RÉSUMÉ LONG ii

ABSTRACT iii

AVANT-PROPOS iv

TABLE DES MATIÈRES vi

LISTE DES CARTES x

LISTE DES GRAPHIQUES x

LISTE DES ILLUSTRATIONS x

LISTE DES PHOTOS x

LISTE DES SCHÉMAS xi

LISTE DES TABLEAUX xi

INTRODUCTION GÉNÉRALE 12

PREMIÈRE PARTIE L'INITIATION : JALONS POUR UNE APPROCHE D'ANALYSE 21

CHAPITRE I LE PAYS LOBI ET LES ÉVANGÉLIQUES 25

1 Le pays lobi au Burkina Faso 26

2. La pénétration missionnaire 31

3. Le courant évangélique 35

CHAPITRE II DÉMARCHES INITIATIQUES 48

1. L'initiation 491.1. Les rites de passage 491. 2. La notion chrétienne d'initiation 531. 3. Vers une perspective évangélique de l'initiation 64

2. Christianisme et initiations en Afrique 742. 1. Initiation chrétienne et inculturation en Afrique 752. 2. Lejoro et l'initiation chrétienne 872. 3. Vers une approche pédagogique du joro 93

CHAPITRE III DE LA CORRÉLATION AUX THÉOLOGIES CONTEXTUELLES 97

1. La méthode de la corrélation 991.1. La corrélation chez Paul Tillich 991. 2. La corrélation chez Edward Schillebeeckx 102

vi

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1. 3. Démarche pour une approche de corrélation 104

2. Théologies contextuelles 1062. 1. L'inculturation 1062. 2. La contextualisation 1102. 3. L'incarnation et les théologies contextuelles 117

3. L'interactionnisme symbolique 1223. 1. Sens commun et savoir scientifique 1233. 2. Objectivité et subjectivité 126

CHAPITRE IV STRATÉGIE PÉDAGOGIQUE ET INITIATION 131

1. Définition de la stratégie 132

2. La stratégie pédagogique selon Legendre 133

3. Le triangle pédagogique selon Houssaye 138

4. La typologie du transmettre selon Pasquier 140

5. L'initiation et la situation pédagogique 143

DEUXIÈME PARTIE L'INITIATION LOBI : REPÈRES PÉDAGOGIQUES 152

CHAPITRE V À L'ÉCOUTE DE L'EXPÉRIENCE : DÉMARCHE ET RÉSULTATS 157

1. La méthode qualitative 1581. 1. Définition 1581. 2. Technique d'analyse de contenu 160

2. Collecte et analyse des données sur lejoro 1622. 1. Collecte des données sur le joro 1632. 2. Procédure de traitement des données par Nvivo 2.0 1662. 3. Difficultés et limites du travail avec NVivo 1682. 4. Rapports de codification 1702. 5. Survol quantitatif des résultats 171

CHAPITRE VI CADRE ET ACTEURS DU PROJET D1NITIATION 177

1. Environnement 1771. 1. Le village du joro 1781. 2. Le village lobi et le lieu de retraite 1811. 3. Les institutions du joro 183

2. Acteurs 1872. 1. Les néophytes 1892. 2. Les initiés 1922. 3. Les maîtres d'initiation 1942. 4. Les parents et proches 1962. 5. Les ravisseurs 198

3. Impératif missionnaire et joro : cadres et acteurs 1993. 1. Les indicateurs pédagogiques de l'impératif missionnaire 2003. 2. L'ecclésiologie et la communauté joro 2043. 3. Le maître et le disciple 206

v i l

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CHAPITRE VII LA DÉMARCHE DU PROJET D'INITIATION 211

1. Préparatifs 2111. 1. Les dispositions préliminaires 2121. 2. Les rites préliminaires 215

2. Voies et moyens 2172. 1. La grande marche 2182. 2. Les rituels 2222. 3. La transmission des savoirs 239

3. Impératif missionnaire etjoro : Démarches 2483. 1. Le pèlerinage du disciple et celui dujorbi 2503. 2. Le baptême et les rites du joro 2513. 3. La formation du disciple et dujorbi 254

CHAPITRE VIII DE L'INITIATION AU « PROCESSUS INITIER » 257

1. Perception chrétienne du joro 2581. 1. Aspects constructifs 2611. 2. Aspects conflictuels 2621. 3. Similitudes 2661. 4. Évaluation 269

2. Le symbolisme du joro 2702. 1. Symbolique liée à la maison 2712. 2. Symbolique liée à l'espèce animal 2722. 3. Symbolique liée à la terre et aux eaux 2752. 4. Symbolique de la mort-renaissance 277

3. Spécificité du processus initiatique 2813. 1. Objectif: une dynamique identitaire 2843. 2. Voies et moyens : épreuves et structuration symbolique 2883. 3. La parole dans le « processus initier » 291

4. Propositions 2934. 1. Sur le plan des théories pédagogiques 2944. 2. Sur le plan de l'éducation à la foi 296

CONCLUSION GÉNÉRALE 299

BIBLIOGRAPHIE 305

ANNEXES 322

1. Questionnaire 3231.1. Identification du répondant 3231.2. Questions 3241.3. Questions d'entrevue (à enregistrer) 326

2. Entrevue E001FL 3272.1. Rapport de texte : 3272.2. Rapport de codification 334

3. Entrevue E002FL 3683.1. Rapport de texte : 3683.2. Rapport de codification 376

vm

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4. Entrevue E003HL 4074.1. Rapport de texte : 4074.2. Rapport de codification 417

5. Entrevue E004HB 4585.1. Rapport de texte : 4585.2. Rapport de codification 461

6. Entrevue E005FL 4726.1. Rapport de texte : 4726.2. Rapport de codification 477

7. Entrevue E006FB 5007.1. Rapport de texte : 5007.2. Rapport de codification 508

8. Entrevue E007FB 5268.1. Rapport de texte 5268.2. Rapport de codification 533

9. Entrevue E008HL 5389.1. Rapport de texte 5389.2. Rapport de codification 548

10. Entrevue E009HL 57910.1. Rapport de texte 57910.2. Rapport de codification 588

11. Entrevue E010HL 61511.1. Rapport de texte 61511.2. Rapport de codification 624

12. Liste des nœuds 644

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LISTE DES CARTES

Carte 1-1 : Afrique de l'Ouest 27

Carte 1-2 : Burkina Faso 27

Carte 1-3 : Le pays lobi 28

Carte VI-1 : Aire d'emplacement probable du village joro 179

LISTE DES GRAPHIQUES

Graphique VI-1 : Composantes de la dimension «Acteurs» 188

Graphique VII-1

Graphique VII-2

Graphique VII-3

Graphique VII-4

Graphique VII-5

Graphique VII-6

Voies et moyens 218

Éléments rituels 228

Composantes du rituel de consécration 234

Sous-composante « Transmission des savoirs » 239

Composantes de la sous-dimension « Savoir-être » 243

Récapitulatif des indicateurs du savoir initiatique lobi... 246

Graphique VIII-1 : Rapport au christianisme 260

Graphique VIII-2 : Les objectifs du joro 284

LISTE DES ILLUSTRATIONS

Illustration VII-1 : Mouvement chiasmique des cérémonies du joro 236

Illustration VIII-1 : Mouvement chiasmique de filialité^r^ 278

LISTE DES PHOTOS

Photo 1-1 : Chrétiens lobi écoutant l'enseignement biblique 45

Photo 1-2 : Initiée et initié du buur. 13

Photo VI-1, 2 : Les jorbi parés de cauris 193

Photo VII-1 : Femmes à la recherche de l'or 224

Photo VII-2 : Tam-tam lobi 226

Photo VII-3 : Les cauris 226

Photo VIII-1 : Maison lobi 271

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Photo VIII-2 : Enfants trayant une vache 274

LISTE DES SCHÉMAS

Schéma III-1 : Schématisation de l'interactionnisme 128

Schéma IV-1 : Schéma de la situation pédagogique A 134

Schéma IV-2 : Schéma de la situation pédagogique A' 136

Schéma IV-3 : Le triangle pédagogique 138

Schéma IV-4 : Les relations pédagogiques 144

Schéma VIII-2 : Schéma de la situation pédagogique 295

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1-1 : Cadre opératoire des rites de passage 51

Tableau IV-1 : Formules des relations pédagogiques 135

Tableau IV-2 : Mécanismes du transmettre 141

Tableau V-l : Tableau récapitulatif de la codification 172

Tableau VI-1 : Composantes de la catégorie « Environnement » 178

Tableau VI-2 : Descriptif de l'indicateur «Néophytes» 190

Tableau VII-1 : Composantes de la sous-catégorie « Préparatifs » 212

Tableau VII-2 : Composantes de la catégorie « Voies et moyens » 218

Tableau VIII-1 : Catégorie « Rapports avec le christianisme » 260

Tableau VIII-2 : Structure symbolique dujoro 271

Tableau VIII-3 : Tableau comparatif dujoro et de l'initiation chrétienne 282

Tableau VIII-4 : Similitude entre catéchuménat etjoro 297

xi

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

« Peut-on reconsidérer aujourd'hui l'initiation comme une démarche

pédagogique possible à côté des formes bien connues de l'enseignement et de

l'apprentissage1 ? » Cette question rejoint les préoccupations de la présente

thèse, lesquelles sont nées de nos expériences dans la pastorale et la

formation des formateurs dans les Églises protestantes du Burkina Faso et de

la Côte d'Ivoire. Deux situations sont à la base du choix de l'initiation comme

sujet de recherche. Premièrement, en milieu lobi du Burkina Faso, il est

fréquent d'entendre la question « a fv Naarjmin yuor 7 bo » (littéralement, « ton

nom de Dieu est quoi ? »). Bien de nouvelles personnes se tournant vers la foi

chrétienne chez les Lobi se sont trouvées confrontées à une telle question, et,

en prévision de cela, elles ont souvent sollicité auprès des responsables

d'Églises un « nom chrétien ». C'est le cas de cette dame qui vint après son

baptême nous demander de lui révéler son nom. D'où vient que ces nouveaux

chrétiens ainsi que leurs proches non-chrétiens demandent après un Naarjmin

yuor ? (nom de Dieu/nom chrétien) N'y aurait-il pas ici un rapprochement

conscient ou inconscient de ce qui se passe dans le joro et dans le vécu

chrétien ?

En effet, à la grande initiation, la dation de nom constitue un moment

très important ; car le nom reçu par leprbi (enfant du joro, c'est-à-dire l'initié)

vient généralement annuler le nom reçu à la naissance et constitue l'une des

marques de nouveauté de vie. Ceci est d'autant vrai que certains chrétiens

n'hésitent pas à faire le lien entre les rites baptismaux et l'initiation

traditionnelle. En 1991, dans l'Église protestante de Gaoua, pendant les cours

préparatoires au baptême, Palenfo Kodjo Jacques2 a attiré notre attention sur

le fait que leur situation était proche de celle des initiés dans la tradition lobi.

1 Denis VILLEPELET, « Initiation et pédagogie » dans Catéchèse, n°168, 2000, p. 15-23.2 Palenfo Kodjo Jacques est instituteur et suit actuellement une formation pour devenirconseiller pédagogique dans l'éducation national du Burkina Faso.

12

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Il se demandait s'ils n'étaient pas eux aussi des Naarjmin baali, littéralement,

petits du baar3 de Dieu.

Photo 1-2 : Initiée et initié du baar

Cliché de H. Labouret, dans Fiéloux, 1993, p. 310.

Deuxièmement, nous avons constaté que les chrétiens protestants en

pays lobi ont un grand intérêt pour les conférences annuelles de Pâque.

Plusieurs faisaient environ 50 kilomètres à pieds sous un soleil de plomb pour

atteindre le lieu de la conférence. Des chrétiens lobi de la Côte d'Ivoire

rejoignaient ceux du Burkina Faso pour vivre ensemble et fraterniser pendant

une semaine. Curieusement, les non-chrétiens appellent ces rassemblements

le joro chrétien. Comment expliquer ces rapprochements ? Est-ce à dire que

les Lobi seraient favorables à un joro parallèle à celui connu jusqu'ici ou

même à une nouvelle forme de joro ? Jorpaate est le nom donné à un

ethnologue occidental qui avait été autorisé à suivre les rites initiatiques.

Composé de joro sous sa forme élidée, de paa qui signifie nouveau et du

suffixe te qui termine la plupart des noms reçus à l'initiation, ce nom est

chargé de sens. Est-il ironique ou prophétique ? L'évidence est tout le

symbolisme sous-jacent qui suggère l'avènement d'une nouvelle ère

initiatique. Si donc des temps nouveaux s'ouvrent pour le joro, de quoi cela

3 Le baar ou buur ou encore bagré est l'une des institutions d'initiation à la divination,surtout propre aux Birifor et aux Dagari.

13

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aurait-il l'air et qui seraient les artisans ? Les chrétiens n'auraient-ils pas un

rôle à jouer ? Comment les préparer à un dialogue fructueux avec leurs frères

et sœurs ? C'est ici tout l'enjeu de la présente thèse qui vise à préparer le

milieu protestant évangélique à un tel dialogue.

Si bien de chrétiens chez les protestants du courant évangélique sont

conscients des rapprochements entre certaines valeurs traditionnelles et

celles de la vie chrétienne, dans la pratique, les attitudes démontrent

beaucoup d'ambiguïtés. En 1999, lors d'une consultation africaine d'un

groupe d'Églises protestantes à Bouaké en Côte d'Ivoire, dans notre

communication qui portait sur la formation des leaders, nous avions suggéré

de considérer la possibilité d'ajouter dans notre enseignement des doctrines

chrétiennes la question des ancêtres. Une certaine gêne s'est faite aussitôt

sentir, ce qui est paradoxal au discours sans cesse tenu sur la

contextualisation et l'apparente volonté de trouver les meilleurs moyens pour

enraciner l'évangile en milieu africain.

En revanche, la rencontre de Pretoria en Afrique du Sud en 1997, celles

de l'Association des Structures de Formation Biblique ou Théologique en Côte

d'Ivoire, celles de Bangui en République Centrafricaine (1995, 1997), Bouaké

(1999) et bien d'autres encore, témoignent de l'intérêt d'une reforme dans la

formation des formateurs. Les rencontres de Bangui et de Bouaké,

proposaient l'élaboration d'un programme minimum commun (PMC) pour

réglementer les passages d'un niveau d'étude à un autre et d'une institution à

une autre. Ces rencontres visent à trouver des voies et moyens qui soient

pertinents pour la formation à tous les niveaux dans l'Église. Là aussi, quand

nous avions proposé de prendre en compte l'oralité dans nos approches

d'enseignement, plusieurs n'en voyaient pas la nécessité. Cependant, notre

culture étant encore fortement orale, pourquoi vouloir écarter cet aspect de

nos projets éducatifs ? Le monde évangélique en Afrique occidentale

francophone se trouve ainsi tiraillé entre les valeurs africaines et la nouveauté

de vie que propose l'évangile. La solution qui semble plus facile est souvent le

rejet de ces valeurs jugées incompatibles à l'évangile sans que soient faits des

14

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efforts sérieux pour comprendre celles-ci et les mettre en corrélation avec les

données bibliques. Cette attitude s'inscrit dans une situation générale que

vivent beaucoup d'Africains.

La littérature africaine regorge des écrits qui traitent de cette attitude

de rejet des valeurs traditionnelles. Le Père Hebga explique que bien des

Africains ont rejeté leurs valeurs, « pour les troquer contre les apports

étrangers4 ». Chinua Achebe, le romancier nigérian parle du « monde qui

s'effondre » pour décrire la tragédie des interactions entre les sociétés

traditionnelles africaines et les modèles occidentaux5. La même réflexion se lit

sous la plume de Cheikh Hamidou Kane dans L'aventure ambiguë où son

héros, Samba Diallo, se trouve aux prises avec une gestion difficile de sa foi et

de la pensée philosophique occidentale qu'il est tenu d'assimiler6. Partant, les

Africains se trouvent engagés dans une relation qui semble difficile à gérer. La

fascination du modèle occidental face à un modèle local affaibli, mais

imperturbable les plonge dans un état morbide. C'est à juste titre que Mercy

Amba Oduyoye écrit : « ce qui est ancien n'a pas la force de se maintenir et ce

qui est nouveau ne satisfait pas7. » C'est ainsi que bon nombre d'Africains se

trouvent tiraillés entre les modèles endogènes et les modèles exogènes.

Cette situation a fait l'objet de la thématique de plusieurs ouvrages

préoccupés par la situation africaine. En 1956, dans Peaux noires masques

blancs, le psychiatre martiniquais, Frantz Fanon, qui a séjourné en Algérie et

au Ghana, décrivait le complexe des Afro antillais comme une pathologie

psychosociale8. Beaucoup d'Africains aujourd'hui vivent encore ce malaise,

fléau qui explique en partie la position ambiguë de plusieurs vis-à-vis de leur

patrimoine culturel et des apports de l'extérieur. Le père Hebga décrit ce

4 Meinrad HEBGA, « Un malaise grave », dans Personnalité africaine et catholicisme, Paris,Présence Africaine, 1963, p. 13.5 Chinua ACHEBE, Le monde s'effondre, Paris, Présence africaine, 1966.6 Amadou HAMPATE BÂ, L'étrange destin de Wangrin, Paris, Union générale d'éditions,1973.7 Mercy Amba ODUYOYE, « Valeurs des croyances et des pratiques religieusesafricaines », dans Koffi APPIAH-KUBI, et. al, Libération ou adaptation? La théologieafricaine s'interroge, Paris, l'Harmattan, 1977, p. 134.8 Franz FANON, Masque blanc, peau noire, Paris, Éditions du Seuil, 1952, 1971.

15

Page 18: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

malaise comme une « angoisse lancinante de toute une race humiliée qui

s'interroge devant la Croix9 ». Il ajoute que ce « mal dévore encore des milliers

de subconscients nègres ». Amadou Hampaté Bâ dans L'étrange destin de

Wangrin illustre cela en narrant comment son héros, pour s'être détourné des

coutumes a connu une fin tragique. Ce même thème constitue la toile de fond

de Malaise de l'écrivain nigérian Chinua Achebe10. Dans cet ouvrage, l'auteur

dépeint la corruption dans laquelle Obi sombre à cause de sa difficulté à

concilier tradition et modernité. Cette « pathologie psychosociale » fait monter

ça et là des cris d'alarme.

Conscient de cette crise, qui du reste touche l'Afrique dans son identité,

l'ancien Président du Burkina Faso, le Capitaine Thomas Sankara, prêche la

reconversion des mentalités. Son message et son exemple ont contribué à

refaire, du moins de son vivant, l'image du Voltaïque devenu Burkinabé

(homme d'intégrité). En outre, l'appel réitéré à la moralisation de la fonction

publique par plusieurs hommes politiques en Afrique traduit à quel point le

mal est viscéral et que trouver des remèdes s'avère la priorité des priorités.

C'est pourquoi il nous apparaît crucial de diriger la priorité sur l'éducation et

de reconsidérer à nouveaux frais les démarches initiatiques. C'est à juste titre

que Ernst Friedrich Schumacher choisit l'éducation comme la ressource

première dont l'homme a besoin. Il explique que « le facteur clé de tout le

développement économique est le fruit de l'esprit humain11. » Or la formation

de cet esprit ne peut se faire qu'à travers l'éducation. Renald Legendre

renchérit quand il souligne que « l'éducation a un rôle crucial à jouer dans la

solution des malaises humains12. » Pour faire face à cette situation en Afrique,

l'expérience née de la rencontre des projets d'éducation à la foi chrétienne et

des pédagogies initiatiques africaines constituent un potentiel à explorer, car

9 Meinrad HEBGA, op. cit. p. 7.10 Chinua ACHEBE, Malaise, Paris, Présence africaine, 1978.11 Ernst Friedrich SCHUMACHER, Small is Beautiful. Une société à la mesure de l'homme,Paris, Contretemps/Le Seuil, 1978, p. 79.12 Renald LEGENDRE, L'éducation totale, Montréal/Paris, Éditions Ville-Marie/ÉditionsFernand Nathan, 1983, p. 4.

16

Page 19: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

toutes deux s'intéressent à l'initiation, institution qui favorise la construction

de l'identité.

La réflexion sur l'initiation connaît un intérêt tout particulier du côté

catholique en Afrique13. En revanche, du côté des protestants évangéliques,

beaucoup reste encore à faire. Les grandes déclarations évangéliques dites de

Lausanne I (1974)14 et Lausanne II (1989)15 ne portent aucune attention

explicite à la question de l'initiation. Certes, par inférence on pourrait déduire

une allusion implicite dans les articles qui touchent la culture ; toutefois, la

mention non explicite est révélatrice d'une certaine lacune. Ceci explique la

méconnaissance des démarches éducatives traditionnelles dans les milieux

éducatifs des protestants évangéliques du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire.

Cette méconnaissance rend difficile la contribution des pédagogies

endogènes dans les institutions de formation chrétienne. Dans ces

institutions, nous assistons la plupart du temps, à une répétition des

approches missionnaires ou à leur adaptation sans aucun souci de

comprendre l'épistémè qui les porte. Que de programmes d'éducation

chrétienne conçus en dehors de l'Afrique et proposés comme prêt à

consommer ! Ainsi, est-il rare de voir des efforts de dégager des corrélations

entre les pédagogies endogènes et exogènes. Beaucoup d'Africains continuent

de croire que ce qui vient d'ailleurs et principalement de l'Occident est

meilleur ; certes, les faits sont là et ce serait faire preuve de mauvaise foi que

de refuser d'admettre l'évidence. Cependant, est-ce suffisant pour renier son

patrimoine ? Les Bantu nous lancent cette remarque : « tu détruis la belle

ombre de ton village et tu cherches l'ombre des nuages qui passent16. » En

13 Anselme Titianma SANON et René LUNEAU, Enraciner l'Évangile. Initiations africaineset pédagogie à la foi, Paris, Éditions du Cerf, 1982, 225 pp. ; MVUANDA, Jean de Dieu,Inculturer pour évangéliser en profondeur, des initiations traditionnelles africaines à uneinitiation chrétienne engageante, Bern, P. Lang, 1998, 451 pp.14 Klauspeter BLASER, (dir.) Repères pour la mission chrétienne. Cinq siècles de traditionmissionnaire. Perspectives œcuméniques, Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 2000, p.112-122.15 Ibid, p. 445-464.16 Hyacinthe VULLIEZ, Tam-tam du sage Poèmes et proverbes africains, Paris, Cerf, 1972,p. 57.

17

Page 20: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

effet, toute connaissance n'est-elle pas ombre passagère, trace de la réalité ou

mieux, mirage du réel ?

L'histoire de la construction des savoirs en Occident confirme notre

assertion. Les différents déplacements des paradigmes que d'aucuns

qualifient de ruptures traduisent cette course effrénée vers les mirages du

savoir. De temps en temps, quand les nuages voilent le soleil, l'homme se

ravise et, quand réapparaît le soleil scintillant, la course reprend. Car en

réalité, hormis certains cas, ce qui est considéré comme nouveau n'est rien

d'autre qu'un remaniement de l'ancien que ceux qui n'ont pas eu l'occasion de

voir avant s'illusionnent de nouveauté. Loin s'en faut, d'insinuer que ce qui

est ancien est mieux que ce qui est nouveau et vice versa. Nos propos se

résument plutôt dans ce que disent les Éwé : « c'est au bout de la vieille corde

qu'on tisse la nouvelle.17 » C'est d'un univers d'interactions et de corrélation

qu'il s'agit ici ; un lieu d'ouverture et de dialogue entre les acquis du passé et

ceux du présent. C'est en définitive, un voyage sur les traces des initiations

africaines et des pédagogies de l'éducation à la foi chrétienne. Un voyage en

quête de réponses à la question : en Afrique, qu'avons-nous fait de la vieille

corde dans nos projets éducatifs ?

En effet, la volonté de mieux faire n'est plus à démontrer dans les

milieux chrétiens du sud-ouest du Burkina Faso. Les milieux catholiques

parlent de « meilleur devenir chrétien lobi » et les protestants ne cessent de

parler de « réveil spirituel ». Pour rejoindre ces besoins, il importe de découvrir

les représentations lobi qui peuvent faciliter l'accueil et l'assimilation de

l'évangile. Une telle tâche est liée à la compréhension de la stratégie éducative

lobi. Cette stratégie se déploie dans le joro qui, cependant, est un sujet de

discorde parmi les chrétiens en pays lobi. Cette discorde vient du fait qu'on

assimile le joro à une divinité ou à une institution religieuse.

Pour notre part, nous partons de l'hypothèse que le joro vise tout autant

une fonction éducative que religieuse. Cette hypothèse entraîne la question

suivante : « quels indicateurs mettent en évidence la stratégie éducative du

17 ibid., p. 33.

18

Page 21: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

joro comme un espace propice à une démarche d'initiation et d'éducation

chrétiennes ? » De cette question à laquelle la présente thèse s'atèle, découle

un certain nombre d'interrogations : quels sont les facteurs socioculturels qui

entrent en jeu dans la compréhension du joro ? Quels sont les paramètres

théologiques à prendre en compte? Quels sont les déterminants pédagogiques

des démarches initiatiques ? Quels sont les lieux possibles de dialogue entre

l'initiation traditionnelle lobi et l'initiation chrétienne? Ces deux approches

initiatiques peuvent-elles s'insérer dans une théorie pédagogique générale ? Si

oui, quelle serait leur spécificité dans une situation éducative ? Ces

interrogations servent de poteaux indicateurs pour une compréhension de

l'initiation lobi et de l'éducation à la foi en vue d'en déceler les substrats

pédagogiques. Ainsi, vont-elles permettre de déterminer la situation éducative

qui s'y dégage et de proposer si possible, un processus pédagogique.

Deux parties forment l'ossature du présent travail et s'organisent

autour de deux questions principales. La première partie cherche à montrer

par quelle approche la démarche initiatique peut être abordée dans une

perspective protestante évangélique africaine. Elle construit les assises de la

thèse en quatre chapitres. Le premier chapitre présente les contextes

sociogéographiques et confessionnels concernés par la question traitée. Le

deuxième chapitre traite de la démarche initiatique à travers la revue de

littérature pour mettre en évidence la question qui mérite d'être approfondie.

Les chapitres trois et quatre abordent les enjeux conceptuels et théoriques

que suppose l'examen de la question visée par la thèse en précisant les

présupposés théologiques, sociologiques et pédagogiques.

La deuxième partie interprète les résultats de l'analyse de dix entrevues

réalisées avec des chrétiens protestants évangéliques. Elle fait ressortir les

indicateurs pouvant contribuer à la compréhension de la place de l'initiation

dans une situation pédagogique et dans la formation chrétienne. Elle

s'organise en quatre chapitres. Le premier chapitre examine les questions

liées à la méthodologie. Le deuxième s'attache à comprendre les acteurs et

l'espace pédagogique du joro, tandis que le troisième analyse la démarche qui

19

Page 22: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

caractérise l'initiation lobi. Chacun des deux chapitres (VI et VII) comporte un

volet de mise en parallèle entre les données pédagogiques de l'impératif

missionnaire de Matthieu 28, 18-20 et les indicateurs pédagogiques du joro.

Le dernier chapitre présente d'abord la perception d'anciens initiés devenus

chrétiens sur les rapports entre le christianisme et le joro pour ensuite faire

des propositions sur le plan pédagogique et celui de la formation chrétienne.

Compte tenu du contexte dans lequel les recherches ont été effectuées,

plusieurs termes des langues locales sont utilisés pour rester proche de la

pensée des répondants. Que le lecteur nous excuse des efforts

supplémentaires qu'une telle option pourrait engendrer. Nous avons placé

entre parenthèses la signification de ces termes quand cela s'est avéré

nécessaire.

20

Page 23: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

PREMIERE PARTIE

L'INITIATION : JALONS POUR UNE APPROCHE D'ANALYSE

Page 24: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Toute société pour assurer sa survie se doit de rendre possibleentre ses membres, d'une génération à l'autre, dans le temps etdans l'espace, la communication d'un certain nombre d'acquis.Une telle opération est nécessairement et simultanémentpédagogique, politique et culturelle18.

Cette remarque de Jacques Audinet traduit bien la place de l'éducation

dans toute société et les aspects qui doivent être pris en compte. Il s'avère

cependant qu'en Afrique, les aspects culturels liés à l'héritage traditionnel, ont

longtemps été marginalisés, voire même dévalorisés, ou très peu pris en

compte dans les politiques et approches éducatives. Pourtant, « on ne peut,

dit Michelle Josse, envisager les problèmes de l'éducation de l'Afrique noire

contemporaine sans prendre en compte la source féconde d'enseignement

qu'est l'éducation africaine traditionnelle19. » Cette éducation se caractérise

par la transmission d'un patrimoine et l'équipement de l'individu pour son

intégration à la communauté, et constitue un facteur important de

changement social20. Abondant dans le même sens, Jean de Dieu Mvuanda

souligne la place qu'a l'initiation traditionnelle dans le processus éducatif

africain en la qualifiant de point culminant21. Louis-Vincent Thomas et René

Luneau renchérissent, quand ils affirment que « l'initiation a [...] une valeur

éducative de premier ordre22 ».

Sur le plan théologique ou pastoral, dans son message « Africae

terrarum » de novembre 1967, le Pape Paul VI, considère les valeurs

traditionnelles africaines comme une « base providentielle pour la

18 J a c q u e s AUDINET, «Du t r ansmet t r e ou la tradit ion comme pra t ique sociale» d a n sEssais de théologie pratique. L'institution et le transmettre, Paris , Beauchesne , collection«Le point théologique» n° 49 , 1988, p . 113.19 Michelle J O S S E , « Tradit ion orale et technologie éducative e n Afrique noire », d a n s Latechnologie éducative et le développement humain, J é s u s VÀZQUEZ-ABAD et Jean-YveLESCOP (dir.), Montréal, Télé-université, 1986, p . 117.20 Pierre ERNY, L'enfant et son milieu social en Afrique noire, Paris , Payot, 1972, p . 15-16.21 J e a n de Dieu MVUANDA, Inculturer pour évangéliser en profondeur, des initiationstraditionnelles africaines à une initiation chrétienne engageante, Bern, P. Lang, 1998, p.268.22 Louis-Vincent THOMAS et René LUNEAU, La terre africaine et ses religions, Paris,L'Harmattan, 1980, p. 41.

22

Page 25: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

transmission du message Evangélique23 ». Parmi ces valeurs, il cite le respect

pour la dignité humaine et, tout en soulignant les aberrations et les pratiques

qui vont à l'encontre de cette dignité, il relève cependant les changements déjà

observables et ceux qui sont en perspective. Pour lui, la transmission du

respect passe entre autres, par les initiations traditionnelles africaines24. La

place qu'accorde le Souverain Pontife à ces initiations dans les systèmes

éducatifs en Afrique, montre à quel point le discours officiel de l'Église

catholique leur porte un intérêt particulier. L'un des articles de la

Constitution conciliaire sur la liturgie de Vatican II, confirme cet intérêt. Bien

que l'Afrique ne soit pas directement visée, l'article 65 témoigne de l'appel du

Concile à prendre en compte les éléments d'initiation propres à chaque

peuple25. C'est avec raison que des auteurs qui ont travaillé sur l'initiation en

Afrique s'y réfèrent26.

En plus de ces documents officiels, les efforts d'élaboration d'une

théologie africaine chrétienne au sud du Sahara, surtout du côté catholique,

démontrent, ne serait-ce que théoriquement, une réelle aspiration de prise en

compte des aspects culturels des peuples d'Afrique. Pour se convaincre de cet

effort d'incarner le message de l'Église en Afrique, il suffit de consulter les

travaux de recherche dans les facultés et écoles de théologie. Parmi ces

établissements, signalons du côté francophone, les plus représentatifs :

l'Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest à Abidjan en Côte d'Ivoire, la

Faculté de Théologie catholique de Kinshasa au Congo Démocratique. Du côté

protestant, nous avons la Faculté de Théologie de Yaoundé au Cameroun, la

Faculté de Théologie Evangélique de Bangui en République Centrafricaine, la

Faculté de Théologie Evangélique de l'Alliance Chrétienne à Abidjan en Côte

d'Ivoire. Les options de ces écoles s'insèrent bon gré mal gré, dans les

23 PAUL VI, « M e s s a g e "Africae terrarurri' » d a n s Documentation catholique, n ° 1 5 0 5 , 1967 ,§14.24 Ibid, § 9 .25 « Constitution conciliaire sur la liturgie », n°65 dans Vatican II. L'intégralité, Paris,Bayard Compact, 2002, p. 197.26 Cf. Anselme Titianma SANON et René LUNEAU, Enraciner l'Évangile. Initiationsafricaines et pédagogie à la foi, Paris, Éditions du Cerf, 1982 ; Jean de Dieu MVUANDA,op. cit., 1998.

23

Page 26: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

orientations et les propositions de l'Association Œcuménique des Théologiens

Africains (AOTA) dont la tâche principale est de promouvoir la recherche

théologique concertée dans un univers culturel africain27.

Une telle tâche requiert des fondements théoriques et pratiques, qui

prennent en compte les contextes des différents milieux culturels et

confessionnels qui caractérisent la situation africaine. La complexité même de

l'Afrique jointe à celle de l'initiation dans ce continent nous imposent des

choix pour mieux cibler et baliser nos propos. C'est pourquoi dans cette

partie, la question suivante orientera nos réflexions : comment la démarche

initiatique peut-elle être abordée dans la perspective protestante évangélique

africaine ? La première partie qui construit les balises du présent travail

examine la question à travers quatre chapitres.

27 Tshishiku TSHIBANGU, La théologie africaine, Manifeste et programme pour ledéveloppement des activités théologiques en Afrique, Kinshasa, Éditions Saint Paul, 1987,p. 37.

24

Page 27: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

CHAPITRE I

LE PAYS LOBI ET LES ÉVANGÉLIQUES

Ce chapitre vise à présenter les différents contextes socioculturels qui

orientent nos réflexions. La complexité du champ de l'éducation à la foi et

celle du contexte social, nous amènent à circonscrire les espaces

sociogéographiques et confessionnels dans et par lesquels nous entendons

mener les recherches. La précision de ces contextes s'impose pour deux

raisons. La première raison touche à la complexité de l'Afrique. En 1998, nous

étions en tournée dans des Églises protestantes évangéliques en Alsace en

France pour expliquer la situation des Églises africaines par rapport à la

formation. Dans une rencontre de jeunes, il nous avait été demandé de

chanter quelque chose en africain comme s'il existait une langue africaine

comme le français en France. Tout portait à croire que le jeune qui avait fait

cette requête ignorait que l'Afrique est un continent de diversités régionales,

culturelles, et linguistiques. C'est pourquoi lorsque nous parlons de ce

continent, il est important de préciser le contexte géographique et social visé.

Car l'Afrique de l'Ouest, au sud du Sahara, est bien différente de celle du

centre, de l'est et du sud. Cela n'exclut aucunement les aspects culturels

communs, que peuvent partager ces différentes parties de l'Afrique.

La deuxième raison vise le christianisme. Les divisions dans le

christianisme ont donné naissance à plusieurs confessions et courants de

pensées théologiques. Sans parler des trois grandes familles chrétiennes :

catholique, protestante et orthodoxe, les différents morcellements des

protestants exigent que soit précisé le lieu confessionnel à partir duquel un

discours théologique protestant est tenu, car les mêmes termes n'ont pas

nécessairement la même signification. Les divergences sur la compréhension

du corps et du sang du Christ dans l'eucharistie en sont un exemple. En

25

Page 28: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

2003, nous avions rencontré une étudiante du courant évangélique dans un

cours d'initiation chrétienne. Avant la fin du premier cours, elle a dû y

renoncer à cause de l'approche et surtout du vocabulaire qui était totalement

étranger à son milieu chrétien.

Ces expériences nous amènent à prendre quelques précautions, non

seulement dans le but d'offrir un contexte référentiel à nos propos, mais aussi

en vue de nous donner des balises. C'est pourquoi ce chapitre examine la

question suivante : quels sont les cadres sociogéographiques et confessionnels

que présupposent nos réflexions ? Un proverbe birifor dit : « ba bvro na ka a

naa jinaa nye saa na koro be ka » (on parle ici et celui-ci voit la pluie qui se

prépare là-bas.) Ce proverbe est énoncé pour montrer que toute prise de

parole requiert le respect du contexte, de peur d'être incompris. C'est

pourquoi, avant d'entrer dans le vif du sujet, il nous apparaît primordial de

préciser les contextes dans lesquels et pour lesquels nos réflexions

s'articulent.

1 Le pays lobi au Burkina Faso

Le Burkina Faso qui constitue le cadre géographique de cette recherche

fait partie de l'Afrique de l'Ouest et principalement de la partie située au Sud

du Sahara. Anciennement connu sous le nom de Haute-Volta, c'est un pays

enclavé. Distant de plusieurs centaines de kilomètres de la mer, il est bordé à

l'Est par le Niger, à l'Ouest par la Côte d'Ivoire, au Sud par le Ghana, le Togo

et le Bénin ; du Nord au Nord-Ouest par le Mali. Ce pays couvre une

superficie de 274.200 km2.

26

Page 29: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Carte 1-1 : Afrique de l'Ouest

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Carte tirée de l'Encyclopédie Microsoft Encarta 2000

Carte 1-2 : Burkina Faso

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Carte tirée de l'Encyclopédie Microsoft Encarta 2000

La population du Burkina Faso est estimée à 11.400.000 habitants

avec une croissance moyenne de 2,8 % par an. Environ une soixantaine

d'ethnies peuplent le pays. Les plus représentatives sont : les Mossi, les

27

Page 30: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Gourmantché, les Gourounsi, les Bissa, les Samo, les Peul, les Mandé, les

Bobo, les Sénoufo, les Dagari et les Lobi. Ces populations sont très attachées

aux pratiques religieuses traditionnelles ; plus de 32 % sont liées aux cultes

ancestraux, de 46 à 50 % sont islamisées et 18 % sont christianisées28.

Les Lobi qui constituent notre population cible, occupent un territoire

partagé entre trois États :

• le Nord-ouest du Ghana dans les districts de Laura, Wa et Bolè ;

• le Nord-est de la Côte d'Ivoire dans les provinces de Bouna et

Boundoukou ;

• le Sud-ouest du Burkina Faso dans les provinces de la Bougouriba,

la loba, le Noubièl et le Poni. La principale ville est Gaoua, chef lieu

de la Région.

Le territoire qu'occupent les Lobi est appelé par les autochtones, lobi dix

c'est-à-dire « pays lobi ». (cf. carte 1-3)

Carte 1-3 : Le pays lobi {cf. espace en pointillés)

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Carte tirée de l'Encyclopédie Microsoft Encarta 2000

28 Patrick JOHNSTONE 8s Jason MANDRYK, Opération World, Gerrards Cross, WEC Press,2001, p. 131.

28

Page 31: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Henry Labouret désigne la société lobi par les termes de « Tribus du

Rameau Lobi29 ». Elle se compose d'un « groupe d'individus ayant centré leur

organisation sociale sur une institution commune, un système matriclan

quadripartite30 ». Ces matriclans sont : Da, Hien, Kambou/Kambiré et Paie.

Des six tribus du « rameau lobi » (Lobi, Birifor, Dian, Téguessié, Gan et

Dogossé), notre intérêt porte sur deux d'entre elles : les Lobi et les Birifor. Les

premiers sont estimés au nombre de 373.000 et les autres à près de

210.00031. Les Lobi se seraient installés dans leur territoire actuel vers 1770,

en traversant le Mouhoun, fleuve qui sépare le nord du Ghana du sud et du

sud-ouest du Burkina Faso. Ils furent suivis vers 1800 par les Birifor32. Ces

populations vivent dans la portion qu'ils appellent eux-mêmes lobi dii c'est-à-

dire « pays lobi ». Par commodité, nous emploierons le terme « Lobi » pour

désigner les deux tribus ensemble sauf quand il s'agira de certaines

particularités ; car ceux qui ne sont pas du pays lobi considèrent les Birifor

comme des Lobi. Les Birifor eux-mêmes s'attribuent cette appellation quand

ils sont à l'étranger33 ou simplement quand ils se déplacent vers d'autres

régions du pays.

La pénétration coloniale n'a pas été facile dans cette région. Le

capitaine Labouret l'exprime en ces termes : « L'indigène lobi demeure

arrogant, tue nos partisans, nous refuse ses services et ses denrées [...] Nous

ne sommes réellement maîtres que du sentier que nous parcourons

momentanément et du poste que nous occupons34. » Cette situation a

29 Henri LABOURET, Les tribus du rameau Lobi, Paris, Institut d'ethnologie, 1931.30 Daniel Me. CALL, 2000 ans d'histoire africaine, le sol, la parole et l'écrit, Paris,L'Harmattan, 1981, p. 373.31 Patrick JOHNSTONE & Jason MANDRYK, op. cit., p. 131.32 Jean-Baptiste KIÉTHÉGA, «Mise en place des peuples du Burkina», dans Jean-BaptisteKIÉTHÉGA, Tintiga Frédéric PACÉRÉ, Oger KABORÉ, et. al, Découverte du Burkina, TomeI, Paris/Ouagadougou, SÉPIA/A.D.D.B., 1993, p. 22.33 Cécile de ROUVILLE, Organisation sociale des Lobi, Par i s , l ' H a r m a t t a n , 1987, p . 2 1 .34 ANCI, Abidjan, 5 E - E - 1 0 , Rappo r t d u Capi ta ine LABOURET, G a o u a , 15 sep t embre 1917 ,cité d a n s Michèle FIÉLOUX, et. al. (dir.), Images d'Afrique et Sciences Sociales, Les paysLobi, Birifor et Dagara, Paris, Karthala/Orstrom, 1993, p. 369-370.

29

Page 32: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

entraîné une répression musclée et des pendaisons35. Cela amena les ancêtres

à jurer qu'aucun de leurs descendants ne suivrait de loin ou de près, la voie

tracée par les Blancs. Cet interdit est posé dans tout le pays. Aujourd'hui, les

fils en sont perplexes, car d'une part, ils sont attirés par le progrès, et d'autre

part, ils sont liés par l'interdit qu'ils appellent nuo (la bouche). Cet état de

choses a amené les colons et plusieurs de leurs prédécesseurs à attribuer aux

Lobi, l'image que Cécile de Rouville transmet ici, si fidèlement :

[...] les Lobis font figure auprès de l'Administration comme despopulations voisines plus ouvertes aux influences modernes de"sauvages", individualistes et batailleurs. Certains traits culturels etinstitutionnels ont contribué à donner d'eux une telle image : leursparures de feuilles ou de peaux, le port du labret par les femmes,l'absence de chefferie tant à l'échelon ethnique que local, la pratiquede la vengeance, la fréquence des conflits armés intervillageois...Leur longue résistance à la pénétration française, leur manqued'intérêt pour le développement des cultures de profit, le très faibletaux de scolarisation, l'échec quasi total des missions chrétiennes etl'influence pratiquement nulle de l'Islam sont autant de faits qui ontentretenu la vision d'une société rétive à toute autorité, repliée surelle-même et profondément attachée à ses coutumes36.

Cette image puise ses racines dans la « bouche » des ancêtres (l'interdit)

à laquelle, depuis quelques années, les aînés Lobi tentent de remédier en

offrant des sacrifices pour désengager les générations futures de l'interdit ;

mais, cela ne va pas sans difficulté. C'est ce que confirment les paroles de Da

Jogathé et de Da Koïbthé : « maintenant nous voudrions bien enlever cette

"bouche", mais celui qui l'a mise est notre père, nous sommes ses fils, et si

nous faisons cela nous risquons de mourir37. »

Ce lien étroit avec les ancêtres trouve sa sommité dans l'initiation du

joro. Parler des Lobi sans faire référence à la grande initiation est rare, et

Michel Dieu l'exprime en ces termes :

35 Des photos de ces pendaisons sont reproduites dans Michèle FIÉLOUX, et. al., op. cit.,1993, p. 84.35 Cécile de ROUVILLE, op. cit., p. 1.37 Madeleine PERE, Les Lobi, Tradition et changement. Burkina Faso, Laval, Siloë, 1988,p. xviii.

30

Page 33: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Comment pourrait-on parler des Lobi et de leur pays, de l'histoire deleur peuplement, du rôle de la guerre, de leur appropriation socialede l'espace, de leur architecture, de leur culture matérielle, de leuresthétique, comment pourrait-on tenter un panorama aussi large etcomplet de la société lobi sans dire au moins un mot du grand rituelinitiatique collectif qui, tous les sept ans mobilise toute la société[...] et pour ainsi dire la conforte, la régénère dans son intégrité enmanifestant de façon visible sur le terrain l'agencementsynchronique de ses éléments tout autant que le rappel précis del'histoire de sa mise en place. Oui! Comment ne pas parler du joropuisqu'il faut bien l'appeler par son nom, et comment en parler,puisque c'est interdit et qu'il n'est pas d'interdit plus strictementrespecté que cette consigne absolue de silence qui frappe tout initiévis-à-vis de tous les non-initiés38 ?

Ce regard d'un étranger traduit éloquemment la place, combien centrale

du joro, dans la société Lobi du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire. Il

constitue un lieu de cohésion qui permet « de maîtriser l'ordre et le désordre »,

de « resserrer les liens », de « vitaliser le groupe » en « sacralisant l'homme39 ».

La place qu'occupe le joro dans la vision du monde chez le Lobi, influence les

rapports de ce dernier à l'altérité. La sauvegarde et le maintien des liens avec

les ancêtres obligent les Lobi à prendre leurs distances par rapport à tout ce

qui est nouveau et qui tend à les éloigner de leurs sources. Cette méfiance

mêlée de fierté a été à la base des difficultés que le christianisme a

rencontrées en pays lobi. Les témoignages sur la pénétration missionnaire et

les efforts d'évangélisation révèlent les difficultés auxquelles la foi chrétienne

est confrontée.

2. La pénétration missionnaire

Les premières traces du christianisme en pays lobi remontent au temps

de la colonisation. « Tout a commencé le 7 novembre 1929 où, en vue d'une

fondation en pays Lobi, Mgr Esquerre amène de Bobo à Gaoua le jeune P.

Galland et un catéchumène de Sikasso, Abdoulaye40. » Dans un premier

38Michel DIEU, « Quelque chose de nouveau à l'initiation » dans Michèle FIÉLOUX, et al,(dir.), op. cit., p. 369-370.39 Louis -Vincent THOMAS e t R e n é LUNEAU, op. cit., p . 2 1 7 - 2 2 0 .40 Gaetano, CAZZOLA, et. al, Pour un meilleur devenir chrétien lobi, si, se, 1984, p. 7.

3 1

Page 34: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

temps, les missionnaires visèrent le village de Bomoé pour commencer leur

œuvre, mais ils furent déconseillés par l'administrateur colonial. En effet,

environ deux semaines avant leur arrivée, le village venait de connaître une

scène de violence dans laquelle un homme avait perdu la vie. Comme

l'administration projetait une intervention de l'armée pour rétablir l'ordre, il

n'était donc pas prudent de s'y trouver là au moment de la répression. Après

quelques prospections, le village de Kampti fut finalement choisi pour

l'implantation de l'œuvre.

Curieusement, environ deux années plus tard, le site laissé par les

catholiques accueillera les premiers missionnaires protestants. Une fois de

plus, l'administration coloniale interviendra pour leur conseiller de partir de

là. Ils feront comme les premiers, mais iront s'installer dans un village facile

d'accès. Cela se passe en 1931, date à laquelle, Charles Benington, un

Irlandais de la Qua Iboe Mission, accompagné d'un Nigérian du nom de Kano,

commence l'œuvre missionnaire protestante en pays lobi. Lui et son

compagnon s'installent dans un village nommé Bouroum-Bouroum et

apprennent la langue lobi. Benington noue des relations avec le chef du

village. En juillet 1932, une grande sécheresse frappe la région. Le

missionnaire saisit l'occasion pour inviter les chefs de familles à se rassembler

chez lui pour leur révéler ce qu'il convient de faire pour qu'il pleuve. C'était

selon lui, l'occasion rêvée pour communiquer l'évangile. Quand il les invite à

recevoir le Christ dans leur vie, les personnes présentes lui lancent un défi.

Elles promettent que s'il prie pour la pluie et qu'il est exaucé, ils accepteraient

son Dieu. Benington prie, mais il ne tombe pas de pluie. Cependant, les chefs

reviennent une deuxième fois ; il leur annonce encore l'évangile, mais sa

prière pour la pluie reste toujours sans résultat palpable. Encore une fois, les

chefs reviennent, Benington annonce l'évangile, et invite les gens à accepter le

message du salut en Jésus-Christ. C'est alors que deux hommes se décident

pour Christ. Après une explication de l'économie du salut, le missionnaire

amène ces hommes à prier pour le pardon de leurs péchés et à recevoir le

Christ dans leur vie. À l'issue de cette prière, ils sont invités à détruire leurs

32

Page 35: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

idoles, mais Benington est surpris d'apprendre qu'ils n'ont plus d'idoles. C'est

alors que Tijité, l'un des hommes raconte le récit suivant.

Dieu m'a parlé il y a 11 ans. J'allais être initié en tant que grandféticheur-devin (sorcier-guérisseur/devin-guérisseur ?). Tous lessacrifices avaient été préparés, mes épouses avaient fait de la bière.Tout était prêt et les chefs allaient arriver le lendemain matin pourl'initiation, de même que les sorciers guérisseurs de la région. Cettenuit là, alors que je dormais, Dieu est venu et m'a poussé en bas dutoit en terrasse où je dormais. Il a fait cela trois fois. La troisièmefois, Dieu m'a parlé en m'appelant par mon nom. Il m'a dit : Tijité,détruit tes idoles, les jours des sacrifices aux idoles sont passés. Jevais envoyer un homme blanc et sa femme dans ton village pourt'enseigner mon chemin.

Je me suis levé tôt le matin, je suis descendu et j'ai commencé àdétruire mes idoles. Bien sûr, mes idoles appartenaient également àla famille. Lorsque les gens ont entendu le bruit, mon père est sortibrusquement -il était chef du village en ce temps là- il m'a attrapé eta appelé mes frères et les gens de la maison, disant que Tijité, sonfils, était devenu fou. Ils m'ont saisi, m'ont ligoté et m'ont jeté dansla brousse... Dieu a poussé une vieille femme à venir dans labrousse cette nuit là et à me libérer en coupant mes liens.

J'ai alors commencé à aller de village en village et à raconter ce queDieu m'avait révélé. Dieu m'avait dit de ne pas prendre mon arc etmes flèches dans mes visites, mais de prendre 2 choses : une épée etun morceau de tissu rouge [...]41.

Accusé de détruire les coutumes lobi, et de préparer ainsi la tribu à la

révolte, Tijité fut amené devant le gouverneur de Ouagadougou, qui contre

toute attente, lui délivra une autorisation écrite lui permettant de continuer à

prêcher ce qu'il avait compris de ce Dieu qui lui avait parlé.

Curieusement, après le départ de ces deux hommes, le missionnaire vit

un nuage se former, et il tomba une forte pluie qui fit revivre toute la récolte

qui avait commencé à sécher. Les chefs reconnurent la main du Dieu du

missionnaire. C'est ainsi que commença l'histoire des rapports entre le

christianisme protestant et la société lobi. Vu l'ampleur de la tâche qui

41 Texte reproduit avec la permission de Mady VAILLANT, traductrice du récit transcrit enanglais par Stanley Benington et enregistré sur bande magnétique. Nous collaborons ence moment dans la rédaction de l'histoire des relations de la mission WorlwideEvangelization for Christ (WEC) et de l'Église Protestante Évangélique du Burkina Faso(EPEBF) d'où nous avons tiré le récit.

33

Page 36: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

l'attendait, Bennington demanda du renfort auprès de la mision Worldwide

Evangelization Crusade42 (WEC). C'est ainsi que Jack Robertson qui était en

Côte d'Ivoire le rejoignit en 1936, et l'œuvre passa des mains de la Qua Iboe

Mission à la WEC et se développa sous sa direction. Les missionnaires

protestants installés en pays lobi sont issus de communautés chrétiennes

dont la grande majorité se réclame du courant évangélique. Ce témoignage

suscite deux remarques.

L'authenticité du récit reste à démontrer. Deux indices du texte peuvent

nous y conduire. Les contemporains de Tijité constituent une source de

vérification. Nous avons un récit semblable de Sinyalté Kambou43, un des

cousins de Tijité. Ce dernier est du village de Djégona à seize kilomètres de

Bouroum-Bouroum. Il avait lui aussi reçu des visions d'un dieu qui lui

annonçait des temps nouveaux et l'enjoignant de détruire les idoles. Comme

ce dernier hésitait, la voix lui a fait savoir que son cousin avait lui aussi reçu

la même révélation. Celui-ci eut aussi des démêlés avec la population et il a

fallu l'intervention de l'administration coloniale pour apaiser le climat.

Malheureusement, aucune date précise n'est donnée pour permettre une

vérification au niveau des archives coloniales. Puisque l'administration est

citée, nous avons là aussi un autre indice. Une recherche dans les archives de

1918 à 1923 pourrait aider à confirmer ou à infirmer les témoignages.

Le récit donne l'impression de déprécier les religions traditionnelles.

L'appel à détruire les idoles peut laisser croire que les religions traditionnelles

lobi sont à proscrire. On peut toutefois faire l'hypothèse, qu'il s'agit d'ôter de

ces religions ce qui constitue des obstacles à la religion, c'est-à-dire le

processus visant la proximité et l'intimité avec le divin. S'il n'y avait pas une

certaine valeur dans ces religions, comment expliquer ce pré-évangile avec

Tijité ? Son expérience s'est déroulée pendant qu'il était encore adepte et

42 Cette mission garde toujours les mêmes initiales, mais le Crusade a été remplacé parChrist ce qui donne Worlwide Evangelization for Christ. Son fondateur est Charles Sttud.La branche française quant à elle a choisi les initiales AEM, Action d'EvangélisationMondiale.43 Nous tenons ces renseignements de Daniel Narcisse Kambou, Directeur de la Radioévangélique du Sud-ouest. Il vient du même village que Sinyalté Kambou. Notre entrevueavec lui a eu lieu le 23 février 2003 à Gaoua.

34

Page 37: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

pratiquant convaincu de la religion traditionnelle. C'est précisément de ce lieu

qu'il a reconnu un appel de Dieu. On est probablement ici en présence d'un

indicateur de théologie des « pierres d'attente44 ». Pour répondre à ces

questions, cela prendrait une autre recherche sur le dialogue interreligieux

dans une perspective du courant évangélique.

3. Le courant évangélique

Si la référence à la chrétienté constitue le contexte général de nos

recherches, le courant évangélique45 de la confession protestante demeure le

contexte proche de celles-ci. Ce courant est marqué par plusieurs tendances.

Les classifications ne manquent pas. En 1996, le journal Church of England

Newspaper proposait, sur un ton ironique, 57 variétés d'évangéliques par

analogie aux 57 produits Heinz46, mais, les études qui sont plus sérieuses en

suggèrent treize, douze et six47. Les évangéliques peuvent se subdiviser

comme suit :

• Les fondamentalistes : ceux-ci ont souvent une interprétation

littérale de la Bible et une attitude séparatiste48.

44 Tsh ish iku TSIBANGU, La théologie africaine, Manifeste et programme pour ledéveloppement des activités théologiques en Afrique, Kinshasa , Édit ions Saint PaulAfrique, 1987, p . 8.45 Pour u n a p e r ç u rapide de ce couran t , l'article de Alfred KUEN, «Qui son t lesÉvangéliques» d a n s Ichtus, 128, 1985, p. 15-21 , donne de préc ieuses informations. Cetauteur a également écrit tout un livre sur le sujet intitulé : Qui sont les évangéliques,identité, unité, diversité du mouvement, Saint-Légier, Éditions Emmaùs, 1998, 144 pp. Cf.également John STOTT, La vérité évangélique, un défi pour la foi, Valence, Éditions Liguepour la lecture de la Bible, 2000 ; Klauspeter, BLASER, La théologie du XXe siècle,Histoire-défis-enjeux, Lausanne, L'Âge d'Homme, 1995, p. 393-433.46 J o n h STOTT, op. cit., 2 0 0 0 , p . 2 3 .47 Cf. Rowland CROUCHER, Récent Trends among Evangelicals, (si.), Albatros- Marc ,1986, p . 7 ; Clive CALVER et Rob WARNER, Together We Stand, (si.) Hodder & S tough ton ,1996, p . 128-130 ; Peter BEYERHAUS, cité p a r Stot t , op. cit. 2 0 0 0 , p . 2 3 ; GabrielFACKRE, Ecumenical Faith in Evangelical Perspective, G r a n d Rap ids , E e r d m a n s , 1993 .48 Le fondamentalisme est d'une grande portée pour la compréhension du mouvementévangélique qui nous intéresse. Plusieurs études y ont été consacrées : George M.MARSDEN, Reforming Fundamentalism, Fuller Seminary and the New Evangelicalism,Grand Rapids, Eerdmans, 1987 ; Understanding Fundamentalism and Evangelicalism,Grand Rapids, Eerdmans, 1991. Comme MARSDEN, James BARR donne un aperçu descaractéristiques du fondamentalisme dans Fundamentalism, London, SCM Press LTD,1977 ; Beyond Fundamentalism, Philadelphia, Westminster Press, 1984 ; Escaping from

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Page 38: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

• Les pentecôtistes et les charismatiques : cette branche insiste sur

une vie qui se veut conforme à celle des premiers chrétiens, avec des

accents très prononcés sur l'action de l'Esprit, ses dons, la

glossolalie, les miracles et les guérisons.

• Les évangéliques radicaux : ouverts à l'action socio-politique, ce

groupe tente de joindre au témoignage chrétien l'action sociale.

• Les évangéliques confessants : ils accordent un grand intérêt à une

confession de foi et à la juste doctrine.

• Les évangéliques œcuméniques : ceux-ci sont ouverts au dialogue

œcuménique, mais de façon très critique.

• Les néo-évangéliques : ils prennent des distances quant aux

positions fondamentalistes, encouragent la rigueur scientifique dans

les études et sont beaucoup plus ouverts dans leur collaboration

avec d'autres confessions.

Si ces différentes branches caractérisent les évangéliques, au Burkina

Faso, deux grandes ramifications sont présentes : les évangéliques fédérés et

ceux qui se démarquent de la Fédération des Églises et Missions Évangéliques

(FEME). Cette fédération créée en 1972 réunit le premier groupe. Elle est

affiliée à l'Association des Évangéliques d'Afrique (AEA) qui interdit à ses

membres toute collaboration officielle avec le Conseil Œcuménique des

Églises. L'Église Protestante Évangélique qui est particulièrement ciblée dans

cette thèse, est membre de la FEME. Au sein de la fédération, il existe trois

mouvements, les pentecôtistes, les évangéliques conservateurs qui se méfient

Fundamentalism, London, SCM Press LTD, 1984. La perception qu'a cet auteur desfondamentalistes, est plutôt négative. Le lecteur pourra également consulter l'ouvrage deJean-François MAYER, Les fondamentalistes, Genève, Georg, 2001. Bien que touchant lephénomène sur un plan général, l'auteur analyse l'origine protestante du terme et sesramifications dans les autres religions. Moktar Ben BARKA dans son ouvrage : Lesnouveaux rédempteurs, Le fondamentalisme protestant aux Etats-Unis, Genève, Labor etFides, 1998, décrit le mouvement dans son évolution historique, ses doctrines et sesrapports à la société. Deux autres études beaucoup plus théologiques se concentrent surle rapport des fondamentalistes à la Bible : Luc CHARTRAND, La bible au pied de la lettre.Le fondamentalisme questionné, Montréal, Médiaspaul, 1995 ; Richard BERGERON, Lesfondamentalistes et la Bible, Montréal, Fides, 1987.

36

Page 39: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

des pentecôtistes et enfin les évangéliques charismatiques. Ce dernier

mouvement met l'accent sur l'action de l'Esprit, mais refuse que la glossolalie

soit le seul signe de la réception du Saint-Esprit, bien qu'il encourage ses

membres à rechercher le parler en langues. Le deuxième groupe des

évangéliques ne jouit pas d'une reconnaissance officielle comme le premier,

car en fait, il est diffus et sans organisation centralisée. Il est plutôt constitué

de diverses communautés chrétiennes protestantes, dont certaines sont

schismatiques.

Toutes ces branches du mouvement évangêlique, malgré leurs

particularités, peuvent être identifiées par six principes fondamentaux : la

suprématie de l'Écriture, la majesté de Jésus-Christ, la seigneurie du Saint-

Esprit, la nécessité de la conversion, la priorité de l'évangélisation et

l'importance de la communion fraternelle49. Le document final du congrès de

Manille 1989 sur la mission de l'Église déclare : « Notre mission est de prêcher

l'Évangile tout entier, c'est-à-dire l'Évangile biblique dans sa plénitude50. »

Cela justifie l'attitude de certains missionnaires qui, dans nos entretiens, ont

souvent attiré notre attention sur le fait qu'ils sont en Afrique pour aider les

Africains à comprendre les Saintes Écritures, et que leur tâche consistait à

faire l'exégèse pour nous permettre de contextualiser la parole. Le but est bien

louable, seulement, vouloir parvenir à la plénitude de l'Évangile ne relèverait-

il pas de l'utopie ? Qu'insinue-t-on par ces termes ? Les missionnaires, très

soucieux de la rectitude de l'interprétation des Saintes Écritures, laissent

croire, peut-être même inconsciemment, qu'ils détiennent la bonne

interprétation qu'ils ont la responsabilité de la transmettre fidèlement.

« Considérant la sola scriptura comme primordiale, plusieurs comprennent les

enseignements éthiques de la Bible de façon légaliste51. » L'interprétation est

très souvent littérale, en particulier chez les « fondamentalistes ». Cet

attachement aux Saintes Écritures prend ses origines dans la Réforme et

49 J a m e s I. PACKER, The Evangelical Anglican Identity Problem, an Analysis, Oxford,Latimer House, 1978, p. 15-23.50 Klauspe te r BLASER, (dir.), Repères pour la mission chrétienne. Cinq siècles de traditionmissionnaire, Perspectives œcuméniques, Paris, Éditions du Cerf, 2000, p. 448.51 Klauspeter BLASER, op. cit., 1995, p. 402.

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aujourd'hui, bien des évangéliques en Afrique ont été formés selon cet

héritage. « Que dit la Bible ? » est la question qui revient souvent dans les

discussions, quand les arguments viennent à manquer pour convaincre de la

justesse d'une position.

Ce n'est pas la place accordée aux Saintes Écritures qui pose

problème, mais la position qui veut que toute interprétation soit

nécessairement calquée sur celle du missionnaire occidental ou de son Église

d'envoi, parce qu'elle serait la meilleure. D'une part, une telle vision risque de

réduire non seulement la liberté chrétienne, mais de façon plus large, la

liberté de pensée. En imposant une telle forme de contrôle, cette approche

peut générer un certain obscurantisme. D'autre part, à cause de l'attitude

positiviste qui la sous-tend, cette approche empêche de voir la richesse

qu'apportent différentes lectures de la Bible en fonction de contextes

socioculturels particuliers.

Lors d'une assemblée générale de l'Église, un homme ayant travaillé

pendant plusieurs années avec un missionnaire a fait une remarque qui

confirme ces difficultés. L'assemblée examinait la question du baptême des

polygames, quand un homme intervint, et pour montrer que l'assemblée

s'écartait de la vérité de l'Évangile, il dit : « vous êtes en train de nous prêcher

un autre Christ, le missionnaire nous avait déjà mis en garde. » Pour lui,

étant donné que le missionnaire était contre le baptême des polygames,

position qu'il soutenait certainement par des références bibliques, il ne voyait

pas la nécessité de remettre cela en question ; le faire était antibiblique et

propre à entraîner l'Église dans l'hérésie.

Certes, les tous premiers missionnaires qui n'avaient pas

d'interlocuteurs chrétiens africains capables de les aider à comprendre les

réalités sociales de la polygamie, exigeaient - du moins certains d'entre eux -

de tous les polygames qui désiraient le baptême, le renvoi de leurs femmes,

excepté la première. En outre, il faut ajouter que la volonté des missionnaires

d'avoir des leaders capables de diriger, les poussait à mettre le plus de monde

possible dans un conditionnement qui faciliterait l'émergence des vocations,

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Page 41: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

car il est écrit : « il faut que l'évêque soit irréprochable, mari d'une seule

femme [...] Les diacres doivent être maris d'une seule femme » (I Timothée 3 :

2,12). Aussi simpliste que soit le raisonnement, il convient de comprendre que

dans l'esprit de certains fondamentalistes chrétiens, épouser la littéralité

biblique est synonyme de fidélité à la Parole de Dieu. Quand sur le plan

pratique, un verset biblique semble être difficile à comprendre littéralement,

on se borne à soutenir que cela relève du mystère divin ; ou alors, on se lance

dans des constructions allégoriques pour sauver la face.

La fidélité à la Parole de Dieu ne doit pas être confondue avec les

interprétations dont elle peut faire l'objet. Car, toute interprétation est

fonction du présupposé lié au contexte du locuteur. Stanley Fish relève que le

« contexte intentionnel » y joue un rôle important52. Or, qui dit intention, dit

nécessairement acte interprétatif, car dit-il « l'intention du locuteur ne peut

être connue que de manière interprétative, le sens de son énoncé que

conditionne cette intention sera toujours susceptible d'être remis en cause sur

la base d'une interprétation différente de cette même intention53. » II rejoint

Hans-Georg Gadamer pour qui, la compréhension est un processus où

s'alternent le sens anticipé et le sens révisé. Pour lui, toute personne qui

s'approche d'un texte n'y va pas de façon désintéressée et indifférente. Le

regard qu'il y porte n'est pas neutre et sans intérêt ; au contraire, il lit avec un

« projet de sens », une compréhension anticipée. Au cours de cette lecture

s'établit un mécanisme de contrôle qui permet de réviser le sens préconçu afin

de l'infirmer ou le confirmer, ce qui débouche notamment sur le sens révisé54.

Une telle perspective changerait les positions évangéliques et enrichirait

la lecture de la Bible en Afrique. L'interprétation des missionnaires dans ce

continent a souvent été considérée comme la norme alors qu'elle a été faite

dans des contextes bien déterminés pour répondre à certaines questions

précises qui ne sont pas nécessairement celles des Africains qui se sont

52 Stanley FISH, Respecter le sens commun, Rhétorique, interprétation et critique enlittérature et en droit, traduit par Odiel Nerhot, Diegem/Paris, E. Story Scientia/L.G.D.J.,1995, p. 6.53Ibid, p. 7.54 Hans- Georg GADAMER, Vérité et méthode, Paris, Éditions du Seuil, 1976, p. 104-105.

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Page 42: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

tournés vers l'Évangile à travers l'œuvre missionnaire, second principe

fondamental des évangéliques.

La propagation de la foi chrétienne pour le salut des âmes est le but

ultime de la mission. À une certaine époque, pour bon nombre de protestants,

les évangéliques en particulier, seule l'évangélisation comptait, si bien que

John Stott écrit : « les évangéliques se distinguent depuis toujours par leur

souci d'évangéliser55. » Plusieurs missionnaires qui venaient en Afrique

s'adonnaient corps et âme au seul salut des âmes et paraissaient indifférents

aux besoins matériels des incroyants. Au Burkina Faso, le Pasteur Pierre

Dupret et son épouse avaient créé une vive tension parmi les tout premiers

missionnaires des Assemblées de Dieu, quand ils leur firent part de leur

intention de créer des écoles. Malgré l'opposition de certains collègues, ils ne

cédèrent pas et fondèrent plusieurs établissements dans le pays, et

aujourd'hui, beaucoup de cadres de l'Église sont des ressortissants de ces

écoles.

Depuis 1974, la situation a considérablement évolué parmi les

évangéliques après un certain parcours. Dans les années 1900, Walter

Rauschenbusch défendait ce qu'il a appelé « the social gospel ». Pour lui, le

royaume de Dieu proclamé par Jésus ne signifiait pas la communauté des

rachetés, mais la transformation de la société sur la terre. Il signifiait la

réforme sociale et l'action politique56. C'était justement contre cet évangile

social que les évangéliques ont réagi57. En 1970, dans une situation

d'exploitation économique et d'oppression politique, les Latino-américains

verront émerger la théologie de la libération. Le salut sera exprimé en terme

de libération politique, économique, socioculturelle et religieuse58, ce qui aura

des répercussions en Afrique. En outre, en 1973, à la conférence

oecuménique de Bangkok, le salut sera redéfini en des termes personnels avec

55 J o h n STOTT, Pour une foi équilibrée, Par is , Édi t ions Sator , collection «Les c a r n e t s decroire et servir», 1986, p. 33.56 C. An tony THISELTON, « An Age of Anxiety » d a n s Eerdman's Handbook to the History ofChristianity, Tim Dowley (dir.), Grand Rapids, Eerdmans,1985, p. 594.57 J o h n STOTT, op. cit., 1986, p . 3 3 .58 B r u n o CHENU, Théologies chrétiennes des Tiers Mondes, Latino-américaine, noireaméricaine, noire sud-africaine, africaine asiatique, Paris, Centurion, 1987, passim.

40

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des accents sur l'engagement social, économique et politique59. Quelques

chrétiens en Afrique du côté catholique comme du côté protestant sont

largement influencés par ces perspectives qui mettent l'accent sur le

changement des structures. Si de telles perspectives inquiètent plusieurs

évangéliques, force est de reconnaître qu'elles ont contribué à renouveler leur

vision du salut en Christ. Les grands rassemblements évangéliques, Lausanne

I et Manille ou Lausanne II en sont les preuves.

Le congrès de Lausanne en 1974 sera un événement décisif dans

l'histoire des évangéliques. À cette occasion, ils ont confessé leur négligence

de l'action sociale et ont reconnu que parfois ils ont considéré l'évangélisation

et la responsabilité sociale comme s'excluant l'une l'autre60. Byang Kato, dans

ses propositions pour sauvegarder le christianisme en Afrique, relevait aussi

qu'il fallait se préoccuper de l'action sociale tout en n'oubliant pas que le

premier but de l'Église est la présentation du salut personnel61. Le congrès de

Manille de 198962 sera un prolongement de Lausanne I. Privilégiant le salut

personnel, ce congrès souligne ses implications sociales tout en précisant la

signification qu'il donne à l'engagement social. « Notre engagement permanent

dans l'action sociale ne nous fait pas confondre Royaume de Dieu et société

christianisée. Il signifie plutôt que nous reconnaissons les implications

inéluctables du message biblique. La mission véritable est toujours

incarnée63. » Comme Lausanne I, Manille reconnaît l'étroitesse de la vision

évangélique du salut et s'en repent. Le texte final déclare : « L'étroitesse de

notre vision, nous nous en repentons, nous a empêchés de proclamer la

59 J a c q u e s ROSSEL, Le salut aujourd'hui, Documents de la Conférence missionnairemondiale de Bangkok, Genève, Labor et Fides, 1973, p . 9 0 - 9 1 .60 J o h n STOTT, Mission chrétienne dans le monde moderne, Tradui t de l 'anglais pa rSylvain Duper tu i s , Neuchâtel , Groupes Missionnaires , 1977, p . 180. Cf. le documen tfinal d u congrès d a n s Klauspeter BLASER (dir.), op. cit., 2000 , p . 113-122. Des quinzearticles qui composent le texte, six sont consacrés à l'évangélisation sans oublier que lesautres articles en font mention.61 Byang KATO, Pièges théologiques en Afrique, Traduit de l'anglais par N. de Mestral-Demole, Abidjan, C.P.E., 1981, p. 226.62 Klauspe te r BLASER (dir.), op. cit., 2000 , p . 4 4 5 - 4 6 4 .63 Klauspe te r BLASER (dir.), op. cit., 2 0 0 0 , p . 4 5 2 .

4 1

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seigneurie de Jésus-Christ sur tous les domaines de la vie, privée et publique,

locale et globale64. »

Cette étroitesse qui explique en partie l'attitude des évangéliques vis-à-

vis des différentes cultures, est intrinsèquement liée à la signification donnée

à la conversion et à l'importance qui lui est accordée. Il est rare de trouver un

livre de doctrine évangélique qui omet le sujet de la conversion et de son

corollaire, la nouvelle naissance ou régénération. En 1975, pour montrer

l'importance de la conversion, John Stott, prêtre anglican et ténor du

mouvement néo-évangélique, remarquait combien ce mot posait des difficultés

à cause d'une certaine approche évangélique. Relevant que la répulsion65 que

suscite la conversion vient en partie de la mauvaise approche de certains

évangéliques, il analyse le terme à partir des données bibliques en recourant

également aux rapports des rencontres œcuméniques et évangéliques.

Après avoir défini le terme, il le met en rapport avec la nouvelle

naissance, la repentance, l'Église, la société, la culture et le Saint-Esprit. Il

définit la conversion comme la réponse à la prédication de l'Évangile, c'est

pourquoi elle requiert la repentance et la foi. Dans le Nouveau Testament, dit-

il, elle désigne le fait de se tourner vers Dieu (èraoxpécpeiv). La conversion

relève surtout de l'action humaine même si la grâce divine y est pour

beaucoup, alors que la régénération est exclusivement l'œuvre de Dieu. La

nouvelle naissance est instantanée et échappe à la conscience humaine, car le

converti ne sait pas comment cela se passe. En revanche, la conversion est un

processus dont l'intéressé a conscience. Quant à la relation avec la

repentance, l'auteur explique qu'elle accompagne la conversion et détermine

sa vitalité. Elle traduit également les aspects touchant la renonciation et la

soumission au Christ. Pour Stott, il est nécessaire que ceux qui choisissent de

se tourner vers Dieu soient affiliés à une communauté chrétienne. Cette

incorporation ne doit pas consister à « ecclésiastiser » les convertis (pour

reprendre ses termes), mais être un lieu où le chrétien est préparé pour

assumer entre autres, ses responsabilités sociales. Car écrit-il, si « le premier

64 Ibid.65 John STOTT, op. cit, 1977, p. 149.

42

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appel de Jésus était : "Venez!" il était suivi de l'ordre : "Allez"66! » C'est ainsi

qu'il comprend la relation entre la conversion et la société.

Abordant le rapport à la culture, ce qui nous intéresse particulièrement,

il prend position contre ceux qui ne voient pas la conversion comme un lieu

de profonds changements, mais aussi contre ceux qui croient qu'elle « devrait

complètement "désinfecter" le nouveau converti de la contamination de sa

culture. » Pour lui, même si la conversion implique des renoncements, adopter

une attitude trop négative envers sa propre culture pourrait comporter des

risques. « Les chrétiens dit-il, qui ont rompu complètement avec la société

dans laquelle ils ont été éduqués risquent de se trouver déracinés et mal dans

leur peau67. » Si Stott insiste sur le rapport conversion et culture, c'est parce

que dans le monde évangélique, la conversion implique pour beaucoup, une

vision négative de la culture et de la société. Pour quelqu'un qui ne connaît

pas ce milieu, cela peut paraître incompréhensible, cependant, c'est un fait et

aujourd'hui encore, bien que des progrès soient observables, il y a encore du

chemin à faire.

Pour finir, l'auteur examine la relation entre la conversion et le Saint-

esprit. Mettant en garde contre l'influence du slogan « do-it-yourself», il

souligne que la conversion est fondamentalement l'œuvre du Saint-Esprit

même si l'homme y a un rôle à jouer. Toute l'action missionnaire est appelée à

se fonder sur la confiance dans l'œuvre de l'Esprit. Toutefois, cette confiance

ne justifie pas la négligence de bien se préparer pour l'annonce de l'Évangile,

l'anti-mtellectualisme et la fuite des vrais problèmes. Elle n'implique pas non

plus une annihilation de la personnalité humaine. Il conclut en soulignant

que ce dont la mission chrétienne dans le monde moderne a le plus besoin

aujourd'hui est « une saine synthèse d'humilité et d'humanité, dans une

pleine confiance en la puissance du Saint-Esprit68 ».

En substance, il ressort deux orientations complémentaires dans

l'œuvre missionnaire chez les évangéliques, sociale et kérygmatique. La

66 Ibid., p. 164.e? Md., p. 167.68 Md., p. 175.

43

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première est un signe qui authentifie les chrétiens et constitue la marque par

laquelle l'Église est identifiée dans son milieu de vie. Par elle, l'humanité

reconnaît les chrétiens comme envoyés du Dieu d'amour, créateur du ciel et

de la terre et de tout ce qui s'y trouve. À travers le social, le chrétien répond

présent à l'appel du Grand Commandement : « tu aimeras Dieu et tu aimeras

ton prochain comme toi-même. » La seconde est également un signe qui, une

fois manifesté, épanouit l'Église et entraîne la jubilation qui depuis la terre

s'élève jusque dans les lieux célestes et se répand dans l'univers. Elle est la

caractéristique de l'Église en tant que fidèle servante du Dieu qui sauve. Par

elle, l'Église prépare le glorieux retour du Ressuscité. À travers l'annonce du

salut, le chrétien répond présent à l'appel de la Grande Commission69 ou

l'impératif missionnaire : « faites de toutes les nations des disciples ».

Cet impératif fonde les activités des missions chrétiennes en Afrique, où

elles connaissent de grands succès au détriment de religions traditionnelles.

En général, les religions monothéistes, comme l'islam et le christianisme,

s'installent et croissent, pendant que les religions traditionnelles semblent

reculer devant leur puissance de recrutement. L'islam progresse et touche

plus de 42 % des populations. Il est suivi du christianisme (34 %) et la religion

traditionnelle compte apparemment 24 %70. Toutefois, qu'on ne se laisse

surtout pas leurrer par les chiffres ; car, bien que les religions traditionnelles

semblent être en perte d'audience, il convient de remarquer deux choses.

Premièrement, elles n'ont pas de stratégie d'expansion comme les autres et ne

s'en préoccupent même pas. Deuxièmement, elles ont une dynamique interne

d'accommodation aux autres religions ou des espaces d'accueil et

d'intégration de ce qui vient d'ailleurs.

69 L'impératif missionnaire est aussi appelé « la Grande Commission » chez lesévangéliques. Ces termes viennent de l'anglais, Great Commission.70 Pa t r i ck J O H N S T O N E , 8s J a s o n MANDRYK, op. cit., p . 1 3 1 .

44

Page 47: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Photo 1-1 : Chrétiens lobi écoutant l'enseignement biblique

Cliché S. D. Kambou : Chrétiens lobi, Conférence 2002 à Gaoua. Un signe dusuccès de l'œuvre missionnaire.

Cette capacité d'adaptation est évidente dans les rapports entre le

christianisme et la culture africaine, en l'occurrence dans le domaine de

l'éducation à la foi chrétienne. Les approches utilisées dans ce champ

proviennent de l'étranger, mais ont un succès apparent. Un effort

d'assimilation saute aux yeux de l'observateur. Toutefois, pour arriver à une

vraie intégration, beaucoup reste à faire surtout dans le courant évangélique.

En conclusion, deux principaux contextes constituent les lieux à partir

desquels nos propos sur l'initiation se tiennent. Premièrement, le pays lobi au

Burkina Faso, cadre sociogéographique de nos recherches, se présente comme

une région où la tension entre la tradition et le désir de changer demeure

encore vive. Cette situation est la conséquence de la fidélité aux ancêtres que

le Lobi entend sauvegarder. Il la réactualise chaque sept ans à travers la

grande initiation que le christianisme considère comme l'un des plus gros

obstacles à l'œuvre missionnaire. Il convient de souligner, cependant, que

l'initiation ne constitue qu'un élément, bien entendu non négligeable, d'un

ensemble dont le point focal est à chercher dans les rapports qui ont

caractérisé les autochtones et la campagne d'occupation coloniale de l'espace

des Lobi. La violence avec laquelle les colons ont traité les ancêtres a amené

45

Page 48: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

ces derniers à jurer qu'aucun de leurs descendants ne devrait de loin ou de

près collaborer avec le Blanc, sous peine de malédiction. C'est ce qui explique,

en partie, les difficultés que rencontre le christianisme en pays lobi.

Deuxièmement, le christianisme en milieu lobi est composé de deux

grandes familles, les catholiques et les protestants évangéliques ; cela nous a

amené à préciser la famille qui fera l'objet de cette étude. Celle des protestants

évangéliques constitue le cadre porteur de nos réflexions, et ce, en dialogue

avec la première quand cela s'impose. En pays lobi, il existe cinq principales

dénominations protestantes : l'Église de Pentecôte, l'Église Protestante

Évangélique, les Assemblées de Dieu, l'Église de Réveil et le Centre

Interdénominationnel d'Évangélisation. Très proche du fondamentalisme

comme les autres, l'Église Protestante Évangélique, notre milieu cible, se

définit comme héritière de la Réforme protestante et entend orienter toute sa

vie à la lumière de la sola scriptura. Ouverte au mouvement charismatique,

elle exerce un contrôle plus ou moins rigoureux quant aux manifestations

dites de l'Esprit.

L'attachement de l'Église Protestante Évangélique aux principes de la

sola scriptura, influence son regard sur l'initiation. Une certaine méfiance

caractérise l'utilisation du terme, car il ne relève pas directement du

vocabulaire biblique. Le respect de la Parole de Dieu entraîne la crainte de

transporter dans le « sanctuaire un feu étranger. » Cette crainte peut

constituer un frein qui empêche ou décourage toute lecture qui actualise les

données bibliques en corrélation avec le contexte culturel du milieu.

Cependant, les discours sur la nécessité de contextualiser le message biblique

reviennent très souvent dans les grandes rencontres. Face à ce paradoxe, on

peut se demander quel sens les évangéliques donnent à la contextualisation.

Faut-il peut-être rappeler que même si le mot « initiation » est absent de la

Bible, la réalité qu'elle recouvre y est bien attestée, comme c'est le cas de la

Trinité. L'attitude envers l'utilisation du terme « initiation » explique pourquoi

les évangéliques d'Afrique attachent peu d'importance à la question des

initiations traditionnelles. En outre, la signification que ce courant donne à la

46

Page 49: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

conversion ainsi que les implications qui s'y rapportent expliquent cette

attitude généralement peu favorable à la culture africaine. C'est pourquoi la

littérature sur l'initiation au Burkina Faso est quasi inexistante dans ce

milieu. Le présent travail inaugure dans une perspective protestante la

recherche dans ce champ en pays lobi. Ainsi, voulons-nous emboîter les pas

de ceux qui ont travaillé avant nous dans une perspective catholique. Nous

sommes redevable aux travaux théologiques de Jean de Dieu Mvuanda et à

l'ouvrage collectif de Luneau et Sanon. La revue de littérature qui suit

s'appuiera sur ces travaux pour saisir leurs objectifs et leurs approches afin

de spécifier les nôtres.

47

Page 50: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

CHAPITRE II

DÉMARCHES INITIATIQUES

Après avoir présenté les cadres sociogéographiques et confessionnels

qui portent nos réflexions, une question reste posée : sous quel angle

faudrait-il aborder le débat sur l'initiation en milieu protestant évangélique ?

Pour cela, nous ferons un tour d'horizon des travaux menés dans le champ de

l'initiation en rapport avec l'éducation à la foi chrétienne. Nous survolerons

quelques travaux anthropologiques et théologiques pour repérer des concepts

qui orienteront le reste du travail. Nous nous appuierons sur les ouvrages de

Arnold Van Gennep71 et de Victor W. Turner72 pour saisir le cadre opératoire

qui nous servira de base pour l'analyse des travaux et expériences autour de

l'initiation dans le contexte lobi. Nous présenterons également des auteurs qui

traitent de l'initiation dans le contexte chrétien pour ensuite discuter de la

possibilité d'une initiation chrétienne en milieu protestant évangélique. Le

dernier point de cette revue de littérature se concentrera sur l'ouvrage de Jean

de Dieu Mvuanda pour resituer les débats dans le contexte africain. Ensuite

elle survolera deux travaux réalisés sur l'initiation en pays lobi pour enfin

dégager la question qui mérite d'être approfondie, question qui constitue la

pierre angulaire de la présente thèse.

7 1 Arnold Van GENNEP, Les rites de passage, Étude systématique de rites de la porte et duseuil, de l'hospitalité, de l'adoption, de la grossesse et de l'accouchement, de la naissance,de l'enfance, de la puberté, de l'initiation, de l'ordination, du couronnement des fiançailleset du mariage, des funérailles, des saisons, etc., Réimpression 1969, Paris, Mouton 8s Co,1969, 288p.72 Victor W. TURNER, Le phénomène rituel, Structure et contre-structure, Traduit del'anglais par Gérard Guillet, Paris, Presse Universitaire de France, 1990, 206p.

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Page 51: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

1. L'initiation

L'approche structurale des rites qui depuis les études de Van Gennep,

offre un cadre méthodologique au chercheur, nous a permis d'avoir une grille

de lecture des travaux sur l'initiation. La théorie des rites de passage se fonde

sur des observations qui émanent de ce que nos sens perçoivent

quotidiennement. Par exemple, le soleil se lève, monte au zénith, et se

couche ; les saisons se succèdent, les hommes naissent, croissent et meurent.

Ainsi passe-t-on d'une étape à une autre et c'est ce que Van Gennep exprime

quand, il écrit : « La vie individuelle, quel que soit le type de société, consiste à

passer successivement d'un âge à un autre, d'une occupation à une autre73. »

Ce principe de passage n'est pas le propre du genre humain, l'auteur relève

qu'il est aussi observable sur le plan cosmique, ce qui l'amène à approfondir

la notion de rite de passage.

1.1. Les rites de passage

Dans son ouvrage, Les rites de passage, Van Gennep cherche à établir

de façon systématique les différentes séquences qui caractérisent les rites de

passage. Ces cérémonies se composent de trois principales séquences qui

sont : les rites préliminaires ou rites de séparation du monde antérieur, les

rites liminaires ou rites exécutés pendant le stade de marge, et enfin, les rites

postliminaires ou rites d'agrégation au nouveau monde74.

Au chapitre qui traite de l'initiation, l'auteur aborde les cérémonies

d'initiation touchant les classes d'âge, les sociétés secrètes, l'ordination du

prêtre et du magicien, l'intronisation du roi, la consécration des moines et

nonnes, ainsi que celle des prostituées. Tout d'abord, il lève la confusion qui

existe entre les rites de puberté et ceux de l'initiation en soulignant qu'il s'agit

de deux rites distincts. « II vaudrait donc mieux, dit-il, ne plus donner aux

73 Arnold V a n GENNEP, op. cit., p . 3 .74 Ibid., p . 2 7 .

49

Page 52: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

rites d'initiation le nom de rites de la puberté75. » II démontre ensuite, par des

exemples, qu'il y a une différence entre la « puberté physique » et la « puberté

sociale ». Après un aperçu critique des travaux faits sur ce sujet, il consacre

un chapitre entier à développer les séquences qui offrent une structure à

l'initiation. Partant de plusieurs types d'initiations, il dégage différentes

séquences pour montrer à quel point on retrouve dans chaque phénomène

initiatique, les phases de séparation, de marge et d'agrégation.

Les critiques que fait Marcel Mauss des rites de passage nous amènent

à préciser l'approche développée par Van Gennep. Mauss critique la méthode

qu'il trouve trop portée sur la généralité76. Il aurait souhaité une analyse qui

part de « faits typiques que l'on peut étudier avec précision77 ». S'il est vrai que

Van Gennep met à contribution des rites d'horizons divers, de registres divers

et de buts différents, il est à noter qu'il ne s'agit pas de mettre sur un même

pied les contenus, mais plutôt de dégager de ces exemples de rites les

similitudes structurelles. C'est la structure tripartite : séparation, marge,

agrégation qui frappe l'auteur et il vérifie son observation à travers différents

types de rites d'initiation, ce qui nous paraît tout à fait pertinent pour le but

que l'auteur poursuit. Aujourd'hui, on dirait que ces exemples servent

d'expériences humaines ayant pour fonction de quantifier ou de qualifier les

indicateurs d'un phénomène social. Ils permettent de mettre en évidence les

similitudes possibles des activités humaines sans pourtant effacer leurs

différences. C'est un effort de faire ressortir dans la diversité ce qui peut être

partagé.

Pour saisir l'approche de Van Gennep, le tableau 1-1 offre un cadre

opératoire qui schématise la pensée de l'ethnologue. Relevons d'emblée que le

sujet abordé par l'auteur est très complexe ; il reconnaît lui-même la difficulté

de construire une typologie quand il souligne que malgré les progrès observés

dans les études des rites, il manque encore des indicateurs pouvant faciliter

7 5 Ibid., p . 9 6 .76 Marcel MAUSS, « Compte-rendu : Les rites de passage d'Arnold van Gennep », dansL'Année sociologique 11, 1906-1909, p. 201.77 Ibid., p. 202.

50

Page 53: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

une catégorisation sûre78. L'auteur est parti de la notion de « rites de

passage » qu'il tente de systématiser. Pour cela, il dresse une liste de

différentes dimensions pouvant traduire une activité de « passage ». Dans

notre cas, ce serait l'initiation pour laquelle il a consacré le plus de place dans

son livre. Il identifie ensuite des sous-dimensions : les différentes séquences

qui sont, premièrement, la séparation ou phase préliminaire pendant laquelle

les candidats à l'initiation sont séparés de leur milieu social habituel.

Deuxièmement, étant mis à part, les novices se retrouvent dans la phase

liminaire ou la marge. Dans cette situation, ils se trouvent entre deux

sociétés, celle d'où ils ont été retirés et celle vers laquelle on tente de les

intégrer. Vient enfin, la phase postliminaire qui constitue le moment

d'agrégation. À partir de ces sous-dimensions, l'auteur repère différents

indicateurs qui sont des situations ou des faits concrets pour illustrer les

aspects qui se rapportent à l'initiation et à ses sous-dimensions.

Tableau II-1 : Cadre opératoire des rites de passage

RitesTYPE DE RITES

DE PASSAGE

n•ta.tion

* de pass>£LSCe'*'•"" c r >

SÉQUENCES

Préliminaire Liminaire Postliminaire

78 Arnold Van GENNEP, op. cit., p. 5.

51

Page 54: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

C'est ainsi qu'il fait appel à différentes expériences humaines et cosmiques

pour arriver à ses fins79. Ce cadre opératoire sera appliqué à notre étude de

l'initiation pour voir comment il se traduit concrètement en pays lobi.

Si Van Gennep a mis en évidence la structure triade des rites de

passage, c'est à Victor W. Turner que revient l'approfondissement de la phase

liminaire. Cette phase se présente comme une situation transitoire, un entre-

deux. Les personnes en situation de liminarité ou « gens du seuil »

n'appartiennent, ni à la société de laquelle elles sont séparées, ni à la société

vers laquelle elles tendent. « Cette situation et ces personnes échappent ou

passent au travers du réseau des classifications qui déterminent les états et

les positions dans l'espace culturel80. » Cette période caractérisée d'une part,

par l'humilité, l'ambiguïté et le dénuement physique, voire social, est marquée

d'autre part, par la communitas. L'auteur préfère le terme latin communitas

pour désigner « une communauté non structurée ou structurée de façon

rudimentaire et relativement indifférenciée, ou même une communauté

d'individus égaux qui se soumettent ensemble à l'autorité générale des aînés

rituels81 ».

Abordant les attributs des personnes au stade de liminarité, Turner

relève le dépouillement, l'apparence asexuée, l'anonymat, l'état de soumission

et le silence, l'état d'ignorance (table rase), la continence sexuelle, la

modération, le lien au surnaturel82. Pour expliquer ces caractéristiques,

l'auteur part de l'exemple d'intronisation des chefs chez les Ndembu. Avant

son installation, le futur chef subit toutes sortes d'humiliations, insultes et

port de vêtements en lambeaux, qui sont des signes de dépouillement. Son

habillement, identique à celui de la femme qui l'accompagne dans la

cérémonie, montre la condition asexuée et anonyme à laquelle il est astreint.

Il y aurait donc une sorte de nivellement et, pour l'auteur, l'abstinence

79 Cette schématisation de l'approche de Van Gennep s'inspire des travaux de RichardLEFRANÇOIS, Stratégies de recherche en sciences sociales, Application à la gérontologie,Montréal, Les presses de l'Université de Montréal, 1992, p. 149-199.80 Victor W. TURNER, Le phénomène rituel, structure et contre-structure, Paris, PressesUniversitaires de France, 1990, p. 96.81 Ibid., p . 9 7 .82 Ibid.,p. 103-105.

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sexuelle met en évidence le caractère indifférencié de la liminarité et constitue

un prolongement de cette condition asexuée. En outre, l'anonymat trouve

aussi son parallèle dans la condition de la tabula rasa de cette étape. Car, dit-

il, « il faut que le néophyte soit dans la liminarité une table rase, une page

vierge, sur laquelle on inscrit le savoir et la sagesse du groupe, eu égard à ce

qui concerne le nouveau statut83. » Cette condition, liée à la soumission et au

silence, dispose la personne à recevoir l'instruction à travers la parole. Pour

Turner, « la parole ne signifie pas simplement communication, mais aussi

pouvoir et sagesse. [...] ; elle a une valeur ontologique, elle refaçonne l'être

même du néophyte84. » II faut ajouter que cette parole qui transforme peut

être verbale et non verbale à travers préceptes et symboles85. Elle a pour

fonction d'amener les « gens du seuil » à prendre conscience de la profondeur

de leur être et à apprendre la modestie et la modération en tout. Aussi,

réalisent-ils leur caractère humain, mais également, le caractère surnaturel

du monde dans lequel ils sont introduits.

En consacrant son intérêt à la phase liminaire des rites de passage,

l'auteur met en évidence une importante notion qui peut rendre service à la

lecture des phénomènes sociaux en général et des manifestations religieuses

en particulier. Comment se vérifie-t-elle dans le protocole cérémoniel de

l'initiation lobi ? La deuxième partie nous le fera savoir. En attendant, voyons

à présent comment se comprend la notion d'initiation dans le christianisme

car cela nous aidera à préciser ses composantes en vue de les mettre en

rapport avec les valeurs de l'initiation lobi.

1. 2. La notion chrétienne d'initiation

Jacques Audinet rappelle que « c'est par la pédagogie que l'interrogation

critique, à l'époque contemporaine, fait son entrée dans le domaine du

83 ibid., p. 103.s ibid.85 Idem.

53

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catéchisme.86 » Jean Vilnet renchérit en soulignant le lien entre la démarche

catéchétique et la pédagogie87. Gilles Routhier schématise les approches

pédagogiques mises en œuvre dans l'éducation à la foi des adultes dans le

contexte québécois, en trois temps. Au point de départ, il relève le modèle de

transmission du savoir qui privilégie l'enseignement avec « surtout le souci

d'instruire, de transmettre, de livrer un savoir.88 » Le deuxième temps, marqué

par le modèle de découverte ou d'andragogie, se présente comme un espace

où le « savoir n'est pas construit d'avance », mais « s'élabore, en faisant appel

aux ressources de celui qui apprend, au moyen d'une interaction dialectique

entre le savoir d'expérience et le savoir déjà élaboré.89 » II qualifie enfin le

troisième temps de modèle herméneutique s'opérant à travers une

« corrélation entre l'expérience humaine et le discours de la foi90 ». Cette

corrélation est essentielle, car en fait, elle consiste en un ensemble

d'interactions entre un milieu culturel, l'Église et le message que porte

l'Église.

Emelio Alberich et Ambroise Binz proposent un autre schéma à partir

des finalités pédagogiques articulées dans les termes du savoir, de l'agir et de

l'être. Ils soulignent que : « toute méthode catéchétique devra garantir cet

accès des sujets à l'autonomie, bien comprise dans l'ordre du savoir, du

savoir-faire et du savoir-être91. » Ce but ne pourrait être atteint que par les

objectifs suivants : l'éducation, l'enseignement et l'initiation, qu'il convient

d'articuler harmonieusement. Ces trois actions de l'éducation à la foi

constituent, en fait des modes du transmettre.92 Certains, comme André

86 J a c q u e s AUDINET, « Le catéchisme au carrefour des disciplines » d a n s RaymondBrodeur et Brigitte Caulier (dir.) Enseigner le catéchisme. Autorités et institutions. XVe-XXe

siècle, Paris, Cerf, 1997, p. 26.87 Propos avancés d a n s la préface de André FOSSION et Louis RIDEZ, Adulte dans la foi,pédagogie et catéchèse, Paris/Bruxelles, Declée/Lumen Vitae, 1987, p. 9.88 Gilles ROUTHIER, op. cit. p. 37.89 Ibid.9° Ibid.91 Emilio ALBERICH et Ambroise BINZ, Adultes et catéchèse, Éléments de méthodologiecatéchétique de l'âge adulte, Ottawa, Novalis, 2000, p.205.92 C'est a in s i q u e le voient Emelio ALBERICH e t Ambroise BINZ, ibid., p . 202 ; GillesROUTHIER, (dir.) L'initiation chrétienne en devenir, M o n t r é a l / P a r i s , Médiaspau l , 1997, p .24.

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Page 57: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Fossion, préfèrent la trilogie, enseigner - animer - apprendre.93 Cette option se

comprend car l'auteur oriente son intérêt vers les sciences de la

communication, en ce sens qu'il cherche à mettre plus en évidence les

différentes opérations des agents de la communication.

Ces différents schémas montrent à quel point les approches en

éducation à la foi sont hétérogènes. Dans une telle complexité, comment peut-

on arriver à construire une connaissance en la matière, qui intègre tant

d'éléments ? La notion d'initiation nous est apparue comme un lieu

intégrateur des différents processus éducatifs mis en œuvre dans les projets

d'éducation à la foi chrétienne. Pour faire comprendre les apprentissages

proposés dans l'éducation à la foi, en particulier dans le catéchuménat, Henri

Bourgeois fait appel à la notion d'initiation. Il en relève la portée et fait un

tour d'horizon de cette notion. Bien que le terme soit absent du vocabulaire

biblique et très peu employé par les Pères de l'Église, la réalité qu'il désigne

est pourtant évidente dans le christianisme. Son adoption est révélatrice de la

volonté de l'Église d'enraciner l'Évangile dans les réalités culturelles. Ainsi,

dans « l'antiquité, une part au moins des responsables chrétiens, notamment

en monde grec, estima [...] que l'on pouvait parler d'initiation à propos du

christianisme94 ». Tournée vers la ponctualité dans l'Antiquité, l'initiation est

envisagée aujourd'hui comme un « parcours » ou les deux à la fois, c'est-à-dire

un acte ponctuel et un parcours. Cette troisième option ressort des

documents de Vatican II qui usent des termes « sacrement d'initiation95 ».

Disparue au Moyen-Âge, l'initiation chrétienne réapparaît en Europe à travers

trois phases. Le XVIe siècle marque la première phase pendant laquelle elle

est placée dans le même champ que le baptême des bébés et l'ordination au

ministère96. La deuxième phase est marquée par une réactualisation de

l'Antiquité caractérisée premièrement par un intérêt spirituel et catéchétique

et deuxièmement par le problème du rapport entre foi chrétienne et religion à

93 André FOSSION, La catéchèse dans le champ de la communication. Ses enjeux pourl'inculturation de la foi, Par is , Cerf, 1990, p . 4 2 3 .94 Henr i BOURGEOIS, Théologie catéchuménale, Par is , Éd i t ions d u Cerf, 1991 , p . 113.95 Ibid., p . 114 .96 Ibid.,p. 116.

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Page 58: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

mystères. La troisième phase consacre la renaissance de l'initiation en

christianisme portée par le contact du christianisme avec les initiations non

chrétiennes en terre de mission, la redécouverte de la pratique catéchuménale

et enfin le souci de cohérence de la foi. Ces différents déplacements qui

marquent la compréhension chrétienne de la notion de l'initiation ressortent

dans l'étude historique de Pierre-Marie Gy sur le sujet97.

Pour Gy, la problématique autour de la notion de l'initiation chrétienne

connaît deux temps forts à partir du début du 20e siècle dans la théologie

sacramentaire. Pendant la première moitié du siècle, les débats visent les

rapports de l'initiation chrétienne avec les religions à mystères ; mais, depuis

les années 1950 les recherches sur les origines juives du culte chrétien

influencent les réflexions sur la notion d'initiation. Pour cerner cette notion

dans le christianisme, Gy fait un survol historique du vocabulaire à partir des

apologistes des 2e et 3e siècles jusqu'à l'après Vatican II en passant par le

Moyen-Âge, la Renaissance et le Rationalisme. Les apologistes chrétiens

récusent tout rapport avec les religions à mystères. Même s'ils admettent des

analogies dans les formes rituelles, ils se sont investis à démontrer la

différence du christianisme avec les autres religions, en mettant en évidence

sa supériorité. Justin et Tertullien qualifient de contrefaçons démoniaques les

rituels païens98. Origène se voit dans l'obligation d'employer les termes

mustèria, teletai, mueô, mustagôgeô dans la controverse avec Celse. Malgré

ces réticences, il viendra une époque où le terme sera beaucoup plus présent

dans le monde chrétien, en particulier dans les catéchèses ; la Tradition

apostolique d'Hippolyte en est un exemple.

97 Pierre-Marie GY, «La notion chrétienne d'initiation. Jalons pour une enquête », dans LaMaison-Dieu, n°132, 1977, p. 33-54.98 Ibid., p. 34-35. Les rapports entre l'initiation chrétienne et les religions à mystère sontégalement traités par Denise LAMARCHE, Le Baptême une initiation? Montréal/Paris,Éditions Paulines/Cerf, 1984, voir en particulier les pages 28 à 50. Le lecteur trouvera deprécieuses informations sur un plan plus général sur les rapports entre les rites chrétienset les rites païens en se référant à André GOZIER, Dom Casel, Paris, Éditions Fleurus,1968. 190 pp. Cf. également Théodore FILTHAUT, La théologie des mystères. Exposé de lacontroverse, Tournai, Desclée & Cie, 1954.XIX/105 pp.

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Pour mettre en évidence les occurrences du terme chez les Pères, Gy

examine les auteurs comme Saint Jean Chrysostome, Cyrille, Ambroise et

Augustin. Chrysostome emploie largement le mot initiation par son utilisation

des mots comme memuèmenoi, amuètoi, tnustagôgeô, mustagôgia et teletè.

Celui-ci fait des remarques importantes concernant l'initiation chrétienne.

• La nécessité d'expliquer la raison des différents groupes dans

l'Église. « II est nécessaire de dire pourquoi nous sommes appelés

fidèles, et les non-initiés catéchumènes". »

• Christ est le maître d'initiation. « ... la piscine est bien meilleure que

le paradis. Il n'y a pas ici de serpent, mais le Christ est là qui initie

pour la nouvelle naissance par l'eau et l'Esprit100. »

• L'acte de renonciation à Satan prononcé avant le baptême.

• Les initiés, mustagôgoumenoi sont renés de l'eau, nourris du sang et

de la chair.

Cyrille fait référence à la catéchèse mystagogique. Ambroise et Augustin

usent du vocabulaire de l'initiation pour désigner les sacrements introduisant

dans la vie chrétienne. Pour Ambroise les catéchumènes ne sont pas encore

initiés et pour Augustin, ils ne le sont qu'au moment du baptême. Pour

Chrysostome et Ambroise, il n'y a initiation que lors du baptême.

Le Moyen Âge semble être muet sur la notion d'initiation même s'il est

possible d'en discerner quelques traces ici et là. Gy écrit : « La notion

d'initiation est absente de la théologie sacramentaire de Saint Thomas d'Aquin

et une enquête analogue chez les autres scolastiques ne donnerait pas, je

pense, un résultat plus positif101. » À la Renaissance, l'initiation connaît un

emploi sacramentel. Il y a profusion du terme au 16e siècle et cela se vérifie

du côté des réformateurs protestants et du Concile de Trente. Le terme initiare

touche le baptême, mais la référence à la notion d'initiation reste littéraire ou

historique plutôt que théologique, et s'appuie sur les sources patristiques. Si

99 Mar ie-Pier re GY, « a r t . cit. » p . 3 7 .100 Ibid.101 Ibid., p. 44.

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même on prend conscience d'un lien entre le baptême, la confirmation et

l'eucharistie, l'ensemble n'est pas désigné par le terme initiation chrétienne.

Le 18e siècle est marqué par une reprise de la notion d'initiation chez

les Pères et on y introduit la dimension de cheminement. Cela est attesté dans

les écrits de Joseph Hall qui plaide pour une initiation solennelle dans

l'Église102, et de Dom Charles Chardon qui introduit la dimension du

cheminement103. Au 19e siècle, le vocabulaire de l'initiation ressort « à la fois

dans le langage religieux, dans certains écrits allemands contemporains de

science liturgique et dans les critiques religieuses du catholicisme104. » À

partir de 1863, Ernest Renan, dans ses ouvrages : Vie de Jésus et Origines du

christianisme, propose la dépendance de l'initiation chrétienne envers les

mystères païens.

Pour ce qui est des composantes de l'initiation, L. Duchesne, dans

Origine du culte chrétien, relève : « L'initiation chrétienne, telle que nous la

décrivent les documents depuis la fin du deuxième siècle, comprenait trois

rites essentiels, le baptême, la confirmation et la première communion105. » II

serait le premier à utiliser le terme initiation chrétienne dans le but de

désigner l'ensemble des trois sacrements106. En 1951 des études sur le thème

« Communion solennelle et profession de foi » soulignent l'aspect inchoatif de

l'initiation chrétienne pour souligner le fait qu'elle ne s'achève jamais, mais se

poursuit tout au long de la vie du chrétien107. Les trois sacrements de

l'initiation ressortent également de ces études.

Gy expose comment l'usage du terme initiation s'est progressivement

installé dans le christianisme, quelle compréhension en ressort et sur quoi

ont porté les débats sur ses rapports avec les autres religions. Le dernier

aspect qui nous intéresse particulièrement, nous amène à poser une

102 Joseph HALL, An Apology ofthe Church of England, (1610), section 5, cité par Marie-Pierre GY, « art. cit. », p. 46.103 Marie-Pierre GY, « a r t . cit. », p . 4 6 .104 Ibid., p. 47105 Cf. Louis DUCHESNE, Origines du culte chrétien, Paris, Albert Fontemoing, 3e éd.1903, p. 292.106 Cf. également Denise LAMARCHE, op. cit., p. 32.107 Marie-Pierre GY, « art. cit. », p.50.

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hypothèse quant aux interactions qui ont caractérisé ces rapports. Ce qui se

déroule au niveau des institutions se révèle être le reflet des opérations mises

en œuvre dans l'apprentissage chez les individus. Cette hypothèse se vérifie

quand on l'aborde du point de vue du constructivisme chez Jean Piaget. Tout

d'abord, le paradigme constructiviste part du postulat que l'apprenant n'est

pas un vase vide, il refuse le principe de la table rase. Ensuite, il met l'accent

sur le fait que « le sujet aborde les situations et les informations nouvelles

avec des structures de connaissances préexistantes qui vont orienter son

traitement cognitif de ces situations108 ». Enfin, le processus de traitement de

ces situations est soumis à un mécanisme fondamental qui est l'équilibration.

Ce modèle comporte deux processus, l'assimilation et l'accommodation. Par

l'assimilation, un élément de l'environnement vient s'incorporer à une

structure d'accueil109, la structure d'assimilation. Quant à l'accommodation,

elle traduit le processus par lequel, la structure d'accueil des éléments

extérieurs se modifie en fonction des particularités de ces éléments, sans

perdre pour autant ce qui lui est propre110. L'assimilation et l'accommodation

opèrent dans le but de construire de nouveaux équilibres, qui ne sont pas

statiques, mais ouverts à d'autres processus d'équilibration.

Si le modèle piagétien de l'équilibration vise surtout le mécanisme

mental de traitement des données au niveau de l'individu, nous convenons

avec Etienne Bourgeois et Jean Nizet, qu'il peut être aussi pertinent dans le

processus de construction des savoirs, qu'ils soient déclaratifs ou

procéduraux111. Piaget lui-même introduit son ouvrage Équilibration des

structures cognitives par ces termes : « Le but de cet ouvrage est de chercher à

expliquer le développement et même la formation des connaissances en

recourant à un processus central d'équilibration112. » Dans notre cas, puisqu'il

s'agit de faire le point sur un savoir procédural, voire déclaratif, ce modèle

108 Etienne BOURGEOIS et Jean NIZET, Apprentissage et formation des adultes, Paris,Presses Universitaires de France, 1997, p. 33.109 Jean PIAGET, Équilibration des structures cognitives, Paris, Presses Universitaires deFrance, 1975, p. 12.110 Ibid., p. 13.111 Etienne BOURGEOIS et Jean NIZET, op. cit. p. 47.112 Jean PIAGET, op. cit., 1975, p. 9.

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Page 62: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

nous éclaire sur les interactions entre la notion chrétienne d'initiation et celle

des différents milieux qui ont accueilli le christianisme. Il nous permet de

comprendre les mécanismes en jeu quand les chrétiens sont confrontés aux

croyances et aux pratiques de leurs milieux. Que ce soit au niveau individuel

ou institutionnel, il existe des processus inconscients ou conscients qui

coopèrent pour gérer les éléments « étrangers » ; car il s'agit non seulement de

les accueillir, mais aussi de les traiter de manière à rendre l'harmonie

possible. C'est l'équilibre qui est en jeu lorsqu'il s'agit de s'ouvrir à ce qui

provient de l'extérieur tant au niveau des individus qu'à celui des institutions.

C'est pourquoi, comprendre le mécanisme d'équilibration aide un tant soit

peu à gérer les relations avec les contextes auxquels on peut être confronté.

Dans le christianisme, pendant que les structures d'accueil avaient besoin de

consolidation, il était nécessaire de traiter les influences extérieures avec

beaucoup plus de prudence. Mais, à partir du moment où le christianisme

s'est forgé une tradition quant à ses doctrines et pratiques, ses interactions

avec les croyances et pratiques des sociétés allaient se comporter autrement.

Ce n'est donc pas fortuit que Vatican II, réaffirmant les acquis des

études sur l'initiation, ajoute un aspect important pour les pays de mission.

En premier lieu, les composantes de l'initiation chrétienne telles que

comprises en milieu catholique sont reprises et sont désignées comme les

« sacrements de l'initiation chrétienne », avec le souci d'une structure unifiée

de cette initiation. Deuxièmement, le catéchuménat est considéré comme

faisant partie de l'initiation chrétienne, étant à la fois doctrinal, moral et

rituel113. En troisième lieu, le Concile envisage les possibilités d'interactions

entre l'initiation chrétienne et certains rites d'initiation non chrétiens. « Dans

les pays de mission, propose-t-il, outre les éléments d'initiation fournis par la

tradition chrétienne, il sera permis d'admettre ces autres éléments d'initiation

dont on constate la pratique dans chaque peuple, pour autant qu'on peut les

adapter au rite chrétien114. » Cette ouverture, comme Gy le remarque si bien,

113 Pierre-Marie GY, « art. cit. », p. 51.114 « Constitution conciliaire sur la liturgie », n°65 dans Vatican II. L'intégralité, Paris,Bayard Compact, 2002, p. 197.

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Page 63: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

est loin de gagner l'approbation de certains protestants115, en l'occurrence

ceux du milieu évangélique. Comme nous l'avons déjà relevé, pour un grand

nombre des évangéliques, se convertir c'est vivre en quelque sorte, dans un

état de liminarité pour reprendre des termes appropriés à l'initiation. Cet état

requiert pour eux une nette séparation d'avec la société, surtout en ce qui

touche la morale et les rituels non chrétiens. En outre, la hantise du

syncrétisme les empêche de s'ouvrir aux pratiques des religions

traditionnelles. Cette peur suscite des questions ; si on est si convaincu de ce

qu'on croit comme on s'évertue à l'affirmer, et si on possède une bonne

structure d'accueil, comment expliquer ce sentiment ? Ne court-on pas le

risque de s'ériger en secte ou d'être piégé par un esprit sectaire ?

Ce sentiment et l'approche de la conversion chez les évangéliques,

attestent, sous réserve d'enquêtes approfondies, qu'il serait étonnant que la

proposition de Vatican II en rapport avec les initiations non chrétiennes fasse

l'unanimité dans ce milieu. À l'inverse, pour certains protestants membres du

Conseil Œcuménique des Églises (COE) et les catholiques d'Afrique, la

proposition du Concile ouvre la voie à la recherche du dialogue avec les

initiations traditionnelles. Avant d'examiner les études menées dans ce champ

en Afrique, nous allons survoler la position œcuménique sur l'initiation à

travers un article de Geoffrey Wainwright publié dans la revue La Maison-

Dieu1^.

L'article de Wainwright passe en revue quelques rencontres du COE où

la question de l'initiation chrétienne est abordée. La commission Foi et

Constitution est le lieu où les Églises débattent ces questions, parce qu'on

croit qu'un consensus dans ce domaine sera signe d'unité. « La question de la

reconnaissance de l'initiation à travers les frontières de la communauté

chrétienne divisée est à peu près au cœur de la recherche de l'unité

chrétienne117. » C'est ce qui explique la mission assignée au mouvement Foi et

us pierre-Marie GY, « art. cit. », p. 51-52.116 Geoffrey WAINWRIGHT, « L'initiation chrétienne dans le mouvement œcuménique »,dans Maison-Dieu, 132, 1977, p. 55-78.117 Ibid., p. 55.

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Constitution. Le rapport de la Conférence d'Edimbourg (1937), gravite autour

de la question du baptême, de sa signification, de son mode d'administration

et de sa place dans l'acceptation d'un membre au sein de l'Église, tout en

mentionnant certains points sensibles118. Dans les années 1950 sortira un

rapport de 25 pages sur la signification du baptême, car l'orientation était de

chercher à mettre en lumière sa pertinence pour l'unité entre les Églises. En

1963, la Conférence de Montréal reviendra sur la signification du baptême et

en publiera les accords auxquels les Églises sont parvenues. Partant du

baptême de Jésus, la conférence a souligné les éléments qui marquent ce

baptême et sa signification en relevant les différences qui existent dans les

pratiques et les accords visant ses aspects communautaires et dynamiques. À

Montréal, les participants parviennent à des accords touchant les

composantes d'un service de baptême :

• La reconnaissance que Dieu prend l'initiative de notre salut, qu'il

nous est toujours fidèle, et que nous dépendons totalement de sa

grâce ;

• une déclaration du pardon des péchés en Christ et par le Christ ;

• une invocation du Saint-Esprit ;

• la renonciation au mal ;

• une profession de la foi en Christ ;

• une déclaration que la personne baptisée est un enfant de Dieu et

un membre du Corps du Christ, par quoi il devient un témoin de

l'Évangile.

Ces éléments pourront se situer au début ou à la suite du baptême

d'eau fait au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. À cela, le rapport ajoute

quelques recommandations sur les moments propices au service du baptême,

la place de l'instruction systématique et continue sur le baptême et ses

implications dans les rapports sociaux. En 1967, à Bristol, les théologiens

catholiques participent à la réunion dont l'objectif sera de rechercher des

compréhensions communes. Là aussi, un projet d'accord œcuménique sur le

118 Pour plus d'informations, cf. Lukas, VISCHER, Foi et Constitution, Paris, Delachaux &Niestlé, 1968, § 87-88.

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Page 65: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

baptême est discuté et le texte est ventilé pour recueillir les réactions des

Églises. En 1974, le texte est amendé à la rencontre d'Accra. Dans la

cinquième assemblée du COE à Nairobi en 1975, des déclarations sur le

baptême, l'eucharistie et le ministère sont faites et envoyées aux Églises

membres pour examen. Les réactions des Églises seront examinées dans une

rencontre d'experts à Crêt-Bérard en Suisse du 30 mai au 5 juin 1977 et il en

ressort un document intitulé : « Vers un consensus œcuménique sur le

baptême, l'eucharistie et la reconnaissance des ministères. »

Le reste de l'article commente la déclaration de 1975. Il relève les

progrès accomplis en vue de parvenir à certains accords, notamment ceux qui

visent la reconnaissance mutuelle. Il montre également les craintes et les

réactions des Églises concernant certains points de One Baptism, et

particulièrement, en ce qui concerne la signification du baptême, ses

implications, le baptême des petits enfants, le rapport entre baptême et

confirmation. Terminant par le document de Crêt-Bérard, l'article examine les

points de convergences, ceux qui restent à discuter tout en soulignant

l'importance qu'il conviendrait d'attacher aux contextes socioculturels du

baptême. L'article de Wainwright permet de suivre le développement des

débats sur le baptême à travers les documents officiels du COE, lesquels

confirment que l'initiation chrétienne comprend le baptême et l'eucharistie. Il

met en évidence les composantes de l'initiation chrétienne, les paroles et

gestes qu'il convient de prendre en compte dans le service du baptême.

En définitive, les travaux du côté catholique comme du côté

œcuménique laissent apparaître que l'initiation chrétienne est constituée

minimalement de rites, à savoir le baptême et l'eucharistie. Ils soulignent

également la place de la catéchèse. Si nous tenons compte de la confirmation

que pratiquent les catholiques, les anglicans et certains protestants, l'unité de

l'initiation chrétienne exigerait qu'on tienne ensemble la catéchèse, le

baptême, la confirmation et l'Eucharistie. Considérer l'initiation chrétienne

sous cet angle ne peut pas recueillir l'adhésion des protestants évangéliques.

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1.3. Vers une perspective évangélique de l'initiation

Nous avons déjà expliqué les raisons de la réticence du courant

évangélique quant à l'utilisation du terme initiation. Avec ce survol de la

notion chrétienne d'initiation, la confirmation pose problème. Héritiers de la

Réforme protestante, les évangéliques ne pratiquent que deux sacrements, le

baptême et l'Eucharistie appelée Repas du Seigneur ou Sainte cène. Ils

estiment que ces deux sacrements ont été les seuls institués par le Christ. Les

principaux ouvrages de doctrines chez les évangéliques ne font pas de la

confirmation un point important dans leurs tables des matières. Lorsqu'on

rencontre le mot, c'est en notes infrapaginales et quand il est dans le texte,

c'est juste une allusion à titre informatif. Jacques-Marcel Nicole, en parle à

trois reprises119 pour informer qu'elle fait partie des sept sacrements chez les

catholiques, qu'elle est immédiatement administrée après le baptême des

enfants dans le rituel de l'Église grecque et que les réformateurs, surtout Jean

Calvin120, ont rejeté ce sacrement.

L'un des ouvrages de vulgarisation de la théologie évangélique qui vient

de paraître en français est celui de Charles C. Ryrie. Suivant la tradition du

courant évangélique l'ouvrage regorge de références bibliques pour chaque

thème théologique abordé. Les principales doctrines chrétiennes sont

examinées avec une très grande simplicité. À deux endroits, nous avons

repéré les termes « rite d'initiation » en rapport avec le baptême121 ; - c'est ici

l'exception qui confirme la règle -. Par contre, l'auteur ne fait aucun cas de la

119 Jacques-Marcel NICOLE, Précis de doctrine chrétienne, Nogent-sur-Marne, InstitutBiblique de Nogent, 5e éd., 1998, p. 266, note 4; p. 267, note 1; p. 274, note 5. Cetouvrage est un classique dans les institutions de formation en Afrique. Citons aussiHenry C. THIESSEN, Guide de doctrine biblique, Traduit de l'anglais par Marc Routhier,Lennoxville, Éditions Parole de vie, 3e éd. 1999. À la page 360 il informe que laconfirmation fait partie des cinq autres sacrements que les catholiques ajoutent aubaptême et à l'Eucharistie. Notons que l'ouvrage de Nicole et celui de Thiessen sont desréférences dans les milieux évangéliques.120 J e a n CALVIN, Institution de la religion chrétienne, édi tée p a r A. Lefranc, J . P a n n i e r e tH. Châtelain, Genève/Paris, Stakine Reprints/Honoré Champion, 1978, p. 670-678.121 Charles C. RYRIE, ABC de théologie chrétienne, Traduit de l'anglais par AntoineDoriath, Romanel-sur-Lausanne/Lyon, Maison de la Bible, 2005, p. 484.

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Page 67: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

confirmation ; cela se comprend, étant donné qu'il s'élève contre le baptême

des nourrissons.

Les positions des évangéliques par rapport à la confirmation nous

amènent à l'hypothèse suivante. L'initiation chrétienne dans une perspective

du courant évangélique ne peut comprendre l'étape de la confirmation à

moins qu'elle soit comprise autrement. Dans ce cas, la notion d'initiation chez

les protestants évangéliques aura un contenu différent de celle des

catholiques. On pourrait éventuellement garder le mot en lui donnant un

autre contenu. Mais, faisons-nous justice à l'unité de l'initiation telle que

connue jusqu'ici si nous passons sous silence la confirmation qui selon

certains, serait un sacrement qui confirme, achève ou parfait le baptême122 ?

André Haquin, dans un article sur ce sacrement, montre qu'il ne peut

être abordé de façon isolée123, qu'il fait partie des trois rites de l'initiation

chrétienne, et qu'il est caractérisé par une « profonde évolution et une grande

variété de pratiques » au cours des siècles. « Les premiers temps, dit-il, n'ont

pas connu de rite particulier correspondant à ce qu'on appellera par la suite

"confirmation"124. » II examine ce développement en commençant par le

Nouveau Testament. L'exemple des Samaritains atteste d'une part, le rite de

l'eau (Actes 8, 16), et d'autre part, l'imposition des mains des apôtres pour la

réception du Saint Esprit (Acte 8, 17). Si avec les Samaritains, l'Esprit est

reçu avec l'intervention des hommes, ailleurs ce n'est pas le cas. Chez le

centurion Corneille, lui et sa famille font l'expérience du don de l'Esprit avant

le baptême d'eau, et il n'y a pas d'évidence textuelle permettant de soutenir

une quelconque imposition des mains (Actes 10, 44-48). Tout ceci suggère que

l'Esprit Saint occupe une place centrale dans le processus qui conduit à

l'intégration dans l'Église. Ce processus comprend, entre autres, la nouvelle

naissance (Jean 3, 3) opérée par le Saint Esprit.

122 Olivier d e la BROSSE, Antoine-Marie HENRY et Phil ippe ROUILLARD, (dir.),Dictionnaire des mots de la foi chrétienne, Par i s , Édi t ions d u Cerf, 1989, colonne 179.123 André HAQUIN, « La confirmation a u c o u r s d e s âges », d a n s Lumen Vitae n° 3 , 1996, p .245.124ibid., p. 247.

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Page 68: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

André Haquin relève que « le Nouveau Testament ne connaît ni le mot ni

la pratique d'une confirmation séparée du mystère du baptême125. » Toutefois,

dès les premiers siècles, dans le souci de préciser la structure du baptême, il

sera question de rites pré-baptismaux et post-baptismaux qui généralement

ont un lien plus spécifique avec le don de l'Esprit. Quand on examine la

Tradition apostolique d'Hippolyte de Rome vers 220, il ressort qu'au terme du

baptême, l'évêque procède à une imposition des mains en prononçant cette

prière : « Seigneur Dieu qui les as rendus dignes d'obtenir la rémission des

péchés par le bain de la régénération, rends-les dignes d'être remplis de l'Esprit

Saint et envoie sur eux ta grâce, afin qu'ils te servent suivant ta volonté126. »

Jusqu'au IVe siècle la structure du baptême forme une unité, mais par la

suite, surtout en Occident, il y aura une dissociation des rites qui consacrera

le mot "confirmation" qui signifie « "achèvement", "accomplissement",

"affermissement" du baptême127 ». L'auteur relève deux raisons qui expliquent

cette séparation : le baptême reçu dans des cas de malades baptisés qui

retrouvent la santé et le baptême des chrétiens de campagne. Dans les deux

cas, l'absence de l'évêque explique le report de la confirmation128. À ces

raisons, il ajoute le baptême des enfants. Répandu à l'époque carolingienne, le

baptême des enfants entraîne la pratique de la confirmation. Dès lors, l'âge de

la confirmation et la place de l'instruction religieuse seront au centre des

réflexions et des décisions des conciles129.

Au cœur de ces réflexions, il sera question du statut de l'officiant et de

la signification de la confirmation. Avec le concile Vatican II et la réforme

liturgique, le droit de conférer ce sacrement ne sera plus réservé aux

ministres dits « originaires » c'est-à-dire les évêques, mais il s'étendra à

,p. 247 .126 Md., p. 248.127 Md., p. 249.128 Pour la ques t ion de dissociat ion voir Paul de CLERCK, « La dissociat ion d u bap tême etde la confirmation a u h a u t Moyen Âge » d a n s Maison-Dieu 164, 1986; Andréas HEINZ,« La Célébrat ion de la confirmation selon la t radi t ion romaine » d a n s Questions liturgiques,t. 70, 1989/1-2, pp.29-50.™ André HAQUIN, « art. cit. », pp. 251-252.

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Page 69: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

d'autres ministres, les « ministres extraordinaires » comme les prêtres130. Le

souci théologique de cette disposition est ecclésiologique, car il est important

que le baptisé soit conscient de son appartenance à une Église locale, mais

aussi du fait qu'il est membre d'une communauté plus large, soumise à une

hiérarchie.

La signification de la confirmation est quant à elle, liée à la

pneumatologie. Par l'Esprit, le baptisé est préparé au combat. Le Catéchisme

de l'Église catholique réserve plusieurs paragraphes à ce sujet. « II ressort de

la célébration que l'effet du sacrement de la Confirmation est l'effusion

spéciale de l'Esprit, comme elle fut accordée jadis aux apôtres au jour de la

Pentecôte131. » Un tel point de vue ne manquera pas l'adhésion des tendances

pentecôtistes et charismatiques des évangéliques, lesquelles placent au centre

de la vie chrétienne l'action de l'Esprit. C'est ici un point de rapprochement,

mais avant de le développer, voyons d'abord la position des protestants sur la

confirmation.

Léopold Schûmmer donne un sommaire de cette position132, en

soulignant que tous les réformateurs ont rejeté l'idée d'un sacrement

indépendant à côté du baptême et celle de l'onction du saint chrême par

l'évêque conférant le don du Saint-Esprit133. Il s'appuie sur Luther, Zwingli,

Bucer et Calvin pour soutenir sa remarque. Le premier propose en quoi un

sacrement peut être considéré comme tel. Pour lui, l'institution d'un

sacrement requiert une parole ou une promesse de Dieu sur laquelle la foi

s'exerce. Or, dans le cas de la confirmation, Luther ne trouve pas de promesse

divine qui l'institue. Ainsi, refuse-t-il la conception catholique de la

confirmation telle que comprise à son époque ; toutefois, il ne rejette pas

l'imposition des mains aux enfants professant leur foi.

130 Cf. Catéchisme de l'Église catholique, Paris, Centurion/ Cerf/ Fleurus- Marne /LibrairieÉditrice Vaticane, 1998, § 1312-1314.131 Ibid., § 1302, cf. § 1285-1289.132 Léopold SCHUMMER, « La Confi rmat ion. Point d e vue d u p r o t e s t a n t i s m e », d a n sLumen Vitaen" 3, 1996, pp. 287-301.133 Ibid., p . 2 8 8 .

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Zwingli, tout en reconnaissant la pratique de la confirmation dans

l'Église, la lie au baptême des enfants. Cherchant à rétablir la confirmation

primitive, il place, au centre de celle-ci, la catéchèse. De tous ces

réformateurs, Bucer est celui qui proposera une confirmation réformée134. Il la

lie au baptême des enfants et la place entre le baptême et la Sainte Cène.

Pour lui, il faut l'instruction à travers le catéchisme pour que les enfants

puissent confesser leur foi. Cette confession faite devant toute l'assemblée est

suivie de la prière de toute la communauté, de l'imposition des mains et de la

participation au repas du Seigneur. Calvin, emboîte la voie tracée par Bucer et

les autres réformateurs. Comme Luther, il soutient qu'il faut la Parole pour

que soit institué un sacrement135. En outre, se démarquant de la signification

catholique de la confirmation, il refuse une sorte d'apprivoisement du Saint

Esprit par l'Église et relève les conditions dans lesquelles une confirmation est

envisageable. Pour lui, c'est la confession de l'enfant ayant appris et compris

le catéchisme qui donne lieu à cette cérémonie.

Somme toute, la position des réformateurs du XVIe siècle est fidèle à la

sola scriptura. C'est pourquoi l'enseignement du catéchisme est

intrinsèquement lié à la confirmation. Le souci de donner une connaissance

fondée sur la Parole de Dieu aux personnes désirant suivre le Christ, les a

amenés à chercher des attestations bibliques à toute croyance et à tout geste

dans l'Église. Cela explique en partie leur rejet de la conception catholique de

la confirmation. Toutefois, leurs réactions et les propositions qui en découlent

attestent le caractère évolutif de la confirmation au fil des âges. En rejetant la

théologie et les pratiques catholiques de ce rite, ils ont aussi forgé une

pratique qui leur est propre. Certes, les compréhensions sont différentes, car

si pour les uns la confirmation constitue un sacrement, pour les autres, elle

ne l'est nullement et ne peut être dissociée du baptême, même si dans la

pratique elle peut être célébrée des années après le baptême. Les réformés

évacuent l'aspect sacramentel pour ne garder que l'aspect rituel. Les

134 Ibid., p . 2 8 9 .135 Cf. J e a n CALVIN, L'Institution chrétienne, Livre IV, Genève , Labor e t F ides , 1958 , p .268, 420.

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évangéliques, en revanche, vont plus loin en rejetant et la conception

sacramentelle des catholiques, et le ritualisme des réformés. Ces rejets ont

pour conséquence l'évacuation de la confirmation des pratiques évangéliques.

Pourtant, une observation poussée dans ce milieu révèle que la réalité de la

confirmation n'est pas aussi absente des pratiques comme on le croirait. Il

existe une constante qui, malgré les variables, réunit les frères séparés dans

la question de la confirmation ; c'est le baptême du Saint Esprit.

Que ce soit du côté protestant ou catholique, il est évident que la

confirmation, malgré ses diverses pratiques et interprétations, est une réalité

dans l'Église qui a un rapport étroit avec le Saint Esprit qui est bien attestée

dans la Bible. Kilian McDonnell et George T. Montague font ressortir ce lien en

rapport avec l'ensemble des rites de l'initiation chrétienne136. Leur approche

nous permet d'expliquer en quoi les évangéliques pourraient accepter la

notion d'initiation chrétienne, quitte à ce que sa structure actuelle soit

repensée. McDonnell et Montague passent en revue les témoignages

néotestamentaires et « postbibliques » pour repérer les occurrences ayant trait

au Saint Esprit afin de démontrer que le baptême du Saint Esprit est une

composante de l'initiation chrétienne. Dans les synoptiques, le baptême de

Jésus fait apparaître deux éléments, l'immersion et la descente de l'Esprit. Ils

notent que l'Esprit descend après et non pendant l'immersion, et soulignent

que « le don de l'Esprit fait intégralement partie du rite d'initiation137. » C'est

ce qui ressort également des Actes des apôtres où apparaît un rapport entre

l'imposition des mains et le baptême du Saint Esprit. Là aussi les attestations

textuelles semblent suggérer que recevoir l'Esprit n'exclut pas la possibilité de

le recevoir de nouveau138. Les lettres de Paul et celle aux Hébreux attestent,

elles aussi, que le don de l'Esprit est intimement lié à l'initiation chrétienne.

La tradition johannique qui présente un vocabulaire varié sur l'Esprit à

travers un riche symbolisme montre qu'il est donné au moment du baptême

136 Kilian McDONNELL et George T. MONTAGUE, Baptême dans l'Esprit et initiationchrétienne, Témoignage des huit premiers siècles, Paris, Desclée de Brouwer, 1993, 371pp.137 Ibid., p. 333.l3s Ibid., p. 51.

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et se manifeste dans la communauté par les dons de prophétie et de

guérison139. L'étude des textes bibliques qui traitent de l'initiation chrétienne

et du baptême dans le Saint Esprit conduit les auteurs aux conclusions

suivante s14o :

• Malgré la difficulté de reconstituer avec certitude le rite complet de

l'initiation chrétienne dans le Nouveau Testament, on peut

cependant repérer les éléments essentiels qui sont le baptême d'eau

et le don de l'Esprit. Quand l'imposition des mains accompagnait le

baptême, elle symbolisait probablement la communication de

l'Esprit Saint.

• Le don de l'Esprit constitue le premier fruit de l'union au Christ (en

sa mort et en sa résurrection), ce qui débouche sur une nouvelle

naissance.

• La réception du Saint Esprit est davantage une question

d'expérience qu'une question de doctrine et devrait se manifester par

des effets.

• L'Esprit s'exprime de manière charismatique dans et par la personne

qui le reçoit. Cela prend son fondement dans le baptême de Jésus

pendant lequel l'Esprit l'avait oint pour prêcher, guérir, exorciser et

faire des miracles.

• Le don initial de l'Esprit n'est pas statique, mais doit croître et la

vision sacramentelle pourrait s'enrichir en s'inspirant de l'expérience

des pentecôtistes.

• L'initiation des adultes devrait s'inspirer du modèle

néotestamentaire et encourager non seulement l'expérience de

l'Esprit, mais aussi les manifestations charismatiques.

• La dimension charismatique de l'Église est cruciale pour la survie et

la croissance de l'Église. Les charismes ne sont pas des accessoires

139 Ibid., p. 74-75.., p. 90-94.

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à option, mais l'équipement indispensable à la construction de

l'Église.

Les auteurs abordent ensuite des témoins des huit premiers siècles

qu'ils estiment importants pour le sujet, notamment Tertullien (198), Hilaires

de Poitiers (350), Cyrille de Jérusalem (364), Grégoire de Naziance (380),

Philoxène (fin Ve et début VIe siècle), Jean le solitaire (430-450), Théodoret

(444), Joseph Hazzaya (début VIIIe siècle), Jean Chrysostome (392-393),

Sévère d'Antioche (fin VIe - début VIIe siècle). Ces témoins attestent malgré les

variantes, que l'expérience du baptême dans le Saint Esprit est partie

intégrante de l'initiation chrétienne141. Il ressort de leurs témoignages trois

modèles du baptême, celui de Jésus dans le Jourdain, celui axé sur la mort et

la résurrection de Jésus et enfin celui de la Pentecôte. Si les auteurs du

Nouveau Testament montrent que le baptême de Jésus constitue le modèle du

baptême chrétien, au cours de l'histoire, un glissement s'est produit,

privilégiant le modèle du baptême comme mort et résurrection au détriment

du premier142. Or, disent McDonnell et Montague, « le baptême de Jésus

ordonne et structure le baptême chrétien143 », et si ce baptême qui lie l'Esprit

et Jésus est écarté, l'Église perd le caractère spécifique du baptême chrétien.

Chez les témoins cités, même si la Pentecôte n'a jamais eu l'importance du

baptême de Jésus ou de sa mort et résurrection, elle se présente pour certains

comme un autre modèle. Elle permet de voir la place des charismes dans

l'initiation chrétienne. Certains témoins comme Tertullien, recommandent la

prière pour recevoir les charismes au cours du rite. Bien que l'exercice de ces

charismes puisse entraîner des excès, Philoxène refusait de les interdire.

Pour conclure, les auteurs relèvent trois constantes chez les témoins

étudiés144 :

• L'imposition des mains ou l'onction comme signe accompagnant la

prière pour la réception de l'Esprit.

»« Ibid., p. 330.142 Ibid., p. 323.143 Ibid.144 Ibid., p. 331.

71

Page 74: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

• Une prière pour demander à l'Esprit Saint de descendre.

• Une attente et une expérience réelle de la manifestation des

charismes.

Si l'utilisation du terme initiation chrétienne par McDonnell et

Montague semble anachronique quand ils parlent de sa réalité

néotestamentaire, ces auteurs posent cependant, dans le cadre de la présente

étude, un point d'ancrage important avec les évangéliques, en particulier ceux

des mouvements pentecôtiste et charismatique. Nous avions relevé que la

majorité des évangéliques ignore la confirmation, ce qui rend difficile toute

tentative de réflexion sur la notion d'initiation dans une approche propre à ce

milieu. Car, une telle tentative devrait tenir compte de la structure actuelle de

l'initiation chrétienne telle que comprise et élaborée par ceux qui la pratiquent

avant de chercher à la modifier et l'adapter si possible. Cette tâche requiert

des points d'ancrage et, dans le cas la confirmation, l'aspect pneumatologique

semble plus suggestif que l'aspect ecclésiologique.

Léopold Schûmmer relève que la liturgie réformée de la confirmation a

évolué, et, bien qu'elle soit une consécration à Dieu qui engage la

participation de toute la communauté, elle est aussi un moment de prière

pour le don de l'Esprit145. Ainsi, même s'il existe plusieurs manières de

comprendre l'action de l'Esprit et la manière pour l'homme de recevoir le Saint

Esprit, catholiques, réformés et évangéliques sont unanimes quant à son

importance dans la vie de l'Église et de celle du chrétien. Les pratiques

évangéliques, en particulier celles des pentecôtistes, nous enseignent que

ceux-ci croient qu'après le baptême il est crucial de faire l'expérience du

baptême du Saint Esprit.

Par conséquent, une notion évangélique de l'initiation chrétienne

suivrait le scénario suivant : cours de baptême, baptême et Sainte Cène. En

ce moment, il y aurait une partie catéchétique et une partie rituelle. La

pratique de l'Église Protestante Évangélique est éclairante à ce propos. Quand

le pasteur ou le Conseil de l'Église le juge opportun, une annonce est faite

Léopold SCHUMMER, « art. cit. », p. 299.

72

Page 75: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

pour informer que des cours de baptême seront bientôt offerts à ceux qui

désirent se faire baptiser. Une liste est alors ouverte et celui qui le désire se

fait inscrire. Quelques semaines après l'annonce, les candidats suivent les

cours de baptême pendant quelques semaines, soit une fois par semaine. Ces

cours composés de 53 leçons en lobiri146 abordent les sujets suivants147 :

• Le péché (9 leçons)

• Le salut (7 leçons)

• L'Église ( 11 leçons)

• Le Saint Esprit (6 leçons)

• Les principes de vie chrétienne (7 leçons)

• La vie chrétienne au quotidien (13 leçons)

À l'issue de ces enseignements, chaque candidat au baptême passe

devant un comité des membres baptisés pour être examiné. Sa vie morale,

sociale et spirituelle est passée en revue et si rien de grave ne lui est reproché,

et que tous confirment que sa vie a changé, alors, il est accepté pour le

baptême et une prière est prononcée par un membre de l'assemblée. Les

personnes qui ne sont pas acceptées ont la possibilité de s'inscrire de

nouveau aux cours de baptême.

Le jour de la cérémonie du baptême, les chrétiens et les candidats

descendent tous à la rivière en chantant, sans accoutrement spécial. Une fois

au lieu où le baptême doit être célébré, une prière est faite, suivie d'une

courte exhortation. Après cela, des chrétiens aident les candidats à descendre

à tour de rôle dans l'eau, où un pasteur consacré et son assistant les

attendent. Le pasteur demande au candidat : pourquoi veux-tu te faire

baptiser ? Le candidat répond par ses propres mots et le pasteur déclare : sur

ton témoignage, je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Sur

ce, les officiants le plongent une seule fois dans l'eau et le relèvent. Cet acte

146 La langue lobi est appelée lobiri.147 Thâgba fil dur sebe. Catéchisme, Gaoua, Page Imprimé Lobi, 1989, 86 pp. Nous avonstrouvé une version en langue birifor qui place en début du catéchisme la confession de foide l'Église Protestante Évangélique. La version lobi a remplacé cette confession par lestrois premiers chapitres de Genèse.

73

Page 76: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

symbolise l'union au Christ par sa mort et sa résurrection, et marque

l'engagement public d'appartenir au Christ et à son Église. Un chant est

ensuite entonné pour saluer le nouveau baptisé. Après cette cérémonie, la

procession reprend le chemin pour se rendre au temple. Des places sont

réservées en avant pour les personnes qui viennent de passer par les eaux du

baptême. Le culte se déroule comme à l'accoutumée, suivi exceptionnellement

de la Sainte Cène pour convier les nouveaux baptisés au Repas du Seigneur.

Par la Sainte Cène, la communauté locale actualise l'accueil que le Christ

réserve à ceux qui viennent de s'unir à lui, commémore la mort et la

résurrection de Jésus et annonce la joyeuse rencontre avec lui pour les noces.

Après ces cérémonies, l'Église offre une série de formation pour la maturation

de la foi et pour le témoignage.

Il arrive qu'avant ou après le baptême, certaines personnes fassent

l'expérience du baptême dans le Saint Esprit. Celles qui passent par cette

expérience aspirent la plupart du temps à être baptisées d'eau sans tarder.

Elles manifestent une passion pour la Parole de Dieu, passent beaucoup plus

de temps dans les jeûnes et la prière, recherchent toujours des occasions

pour témoigner de leur foi en Christ et sont très engagées dans les activités de

l'Église locale. En revanche, ces personnes n'ont pas toujours une vie facile ;

elles sont souvent éprouvées sur le plan social, voire économique. Ces

pratiques de l'Église protestante évangélique ont besoin d'être repensées en

tenant compte de la culture initiatique du milieu et de l'héritage chrétien. Les

travaux menés sur l'initiation dans une perspective anthropologique et

théologique en Afrique et en pays lobi constituent des mines de

renseignements et ouvrent des pistes pour une telle tâche.

2. Christianisme et initiations en Afrique

L'ouvrage collectif de Luneau et Sanon148 et celui de Mvuanda149,

constituent des références de base pour une recherche sur la démarche

148 Anselme Titianma SANON et René LUNEAU, op. cit., 225 pp.149 Jean de Dieu MVUANDA, op. cit., 451 pp.

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Page 77: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

initiatique en Afrique. Le premier ouvrage qui est largement cité par le second

a le mérite d'esquisser les rapports entre les initiations traditionnelles

africaines et l'initiation chrétienne et d'en rechercher la conciliation. Cet

ouvrage, en plus d'offrir un aperçu sur les rapports qui ont caractérisé la

culture africaine et la mission chrétienne en général, touche plus

particulièrement le Burkina Faso. Toutefois, l'ouvrage qui a retenu notre

attention est celui de Mvuanda qui est largement tributaire du premier, mais

qui a le mérite d'être plus récent et axé sur une approche théologique, celle de

l'inculturation.

2. 1. Initiation chrétienne et inculturation en Afrique

Mvuanda se préoccupe de l'intégration du chrétien africain dans

l'Église. Posant l'inculturation comme exigence d'une évangélisation en

profondeur, il relève que malgré les avancées dans ce domaine, les difficultés

d'intégration des Africains dans l'Église persistent. Partant du fait que tout

initié dans la tradition africaine s'intègre ipso facto à son milieu et lui voue

fidélité et loyauté, il propose de se tourner vers les initiations traditionnelles

africaines pour s'en inspirer afin d'asseoir une initiation chrétienne,

promotrice d'une vie évangélique. Son ouvrage se divise en deux grandes

parties. Dans la première partie, il analyse les concepts sur lesquels se

fondent les préoccupations missionnaires dans leur projet d'édification des

Églises locales. Ainsi part-il de la précision des termes adaptation ou

accommodation, indigénisation ou implantation, incarnation et

interculturation pour ensuite aborder l'inculturation.

Après ces clarifications terminologiques, l'auteur explique la genèse et

l'évolution de l'inculturation en Afrique. Commençant par la mission de Dieu

dans le milieu juif, il y voit une certaine continuité dans la mission judéo-

chrétienne. À travers un bref parcours historique, il relève que l'Église s'est

adaptée aux différentes cultures et mentalités tout en respectant les

sensibilités des personnes ayant accepté la Parole. Il expose ensuite les

75

Page 78: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

théologies qui ont ponctué l'évangélisation en Afrique pendant les croisades,

la traite négrière et la conquête coloniale.

Pour faire comprendre ces théologies, il prend comme point de départ,

la théologie dite du salut des âmes. Mobile de la mission, le salut des âmes

consiste à convertir les infidèles. Il est en plein essor pendant la traite

esclavagiste et durant la période coloniale et se circonscrit comme un courant

théologique fondé sur « des visions ecclésiologiques et sotériologiques

entachées (sic) de préjugés occidentaux de l'époque et de sa prétention de

représenter le modèle chrétien imposable à tous150. » Cette approche se

caractérise par une négation des valeurs de la culture africaine et se trouve

étroitement liée à la théologie de l'implantation de l'Église. Cette deuxième

théologie part du préalable que l'Église en Afrique devrait être la réplique de

celle de l'Occident. D'une part, elle est proche de la première, mais d'autre

part, elle s'en écarte par sa préoccupation d'édifier des Églises locales

« autosuffisantes ». Toutefois, un déplacement important se produira avec la

théologie dite de l'adaptation, de l'indigénisation ou « des pierres d'attente151 ».

Il s'agit selon ce point de vue, d'adapter au mieux possible les pratiques de

l'Église évangélisatrice à la vie socioculturelle des peuples africains. Cette

théologie part des questions africaines pour leur donner des réponses

occidentales à l'aide des éléments socioculturels du contexte. C'est en quelque

sorte un christianisme préfabriqué, « un prêt à consommer ». Le témoignage

du père Hebga rapporté par Mvuanda, illustre à quel point la culture

occidentale s'impose comme modèle de l'expression de la foi définie et

proposée à tous les peuples de la terre.

Du temps où j'étais étudiant en théologie à Rome, nousassistâmes un dimanche d'octobre à une journée missionnaireprésidée par le cardinal Fumasoni Biondi, préfet de laPropagande. Un séminariste camerounais un peu facétieuxdéclara, à la grande consternation des prélats présents, qu'il nese sentait pas concerné par les canons du premier Concile duVatican. Sommé de s'expliquer, il sourit : "Le sacro-saint concile

150 Ibid., p. 65.151 Ibid., p. 82.

76

Page 79: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

dit textuellement : Si quelqu'un ne rougit pas de dire qu'endehors de la matière il n'y a rien, qu'il soit anathème! Moi je nerougis jamais! " Si le Concile eût compté quelques pères "decouleur", le texte eût été probablement : "si quelqu'un n'a pashonte" 152.

Insignifiant peut-être! Ce témoignage atteste cependant, la couleur

qu'on veut donner au christianisme. Quoique mue par de bonnes intentions,

celles d'instaurer de nouvelles Églises « autonomes », l'adaptation dans le

contexte de l'Afrique est assujettie à une certaine domination occidentale. Elle

contribue néanmoins à faire prendre conscience de la nécessité de traduire le

message et la vie chrétienne dans des catégories accessibles aux Africains.

Cette préoccupation sera au centre des réflexions, notamment celles des

artistes noirs, des prêtres africains et des rencontres épiscopales en Afrique.

Leur but consiste à proposer « des solutions à l'étrangeté et à la superficialité

du christianisme en Afrique, ainsi qu'au danger de son rejet par plusieurs

Africains sans aucune forme de procès, au moins sous sa forme

occidentaliste153 ». Ces solutions démontrent les efforts d'incarner le

christianisme en terre africaine.

Ainsi, préconise-t-on « "une catéchèse enracinée dans la vie des

catéchisés", "sans vouloir complètement effacer leur passé culturel et

religieux" et sans "les obliger à accepter une forme de christianisme qui leur

restera étrangère et qui ne cadre pas avec leur façon de concevoir le monde

temporel et spirituel"154. » Mvuanda propose de contextualiser la théologie si

on veut donner une base sociologique africaine au christianisme. Il passe en

revue les documents provenant des rencontres épiscopales africaines, ceux du

Concile Vatican II, les exhortations pontificales, en particulier celles des papes

Paul VI et Jean Paul H, pour montrer la volonté de l'Église de favoriser une

réelle inculturation du christianisme155. Cette inculturation est comprise

152 Meinrad HEBGA, Émancipation d'Églises sous-tutelle. Essai sur l'ère post-missionnaire,Paris, 1976, p. 13, cité par Jean de Dieu MVUANDA, Ibid. p. 81-82.153 Md., p. 139.154 Actes de la Vie assemblée de l'Épiscopat du Congo. Léopoldville, 1961 (20 novembre -2 décembre, p. 186, cité par Jean de Dieu MVUANDA, op. cit. p. 140.155 Jean de Dieu MVUANDA, op. cit., cf. particulièrement les pages 162-238.

77

Page 80: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

« comme l'actualisation permanente et continue du mystère que constitue

l'événement Jésus-Christ dans l'humanité dans son unité ontologique et sa

diversité socio-culturelle156 ». Contrairement à ceux qui voient dans

l'inculturation un retour au passé, Mvuanda la perçoit comme un lieu

d'émergence de solutions où les valeurs traditionnelles encore valables dans le

monde d'aujourd'hui, peuvent s'assumer dans le domaine de la foi

chrétienne157.

Malgré les avancées sur le plan liturgique, l'auteur observe un écart

entre la vie à l'Église et celle de la vie de chaque jour et s'interroge alors sur la

pertinence de l'initiation chrétienne du baptisé en Afrique. Pour lui, si le

chrétien a été initié, comment se fait-il que son intégration dans l'Église pose

problème ? Ne faut-il donc pas se tourner vers les initiations traditionnelles

africaines pour s'en inspirer ? La deuxième partie du livre examine ces

questions à partir de ces initiations.

Selon son point de vue, les rites d'initiation chrétienne tels que

pratiqués en Afrique, échouent ou réussissent difficilement dans leur projet

d'amener l'Africain à une transformation ontologique effective. Pourtant, les

initiations traditionnelles parviennent, quant à elles, à introduire dans une

vision du monde et de la vie qui influence la personnalité individuelle et

collective. Partant de ces constats, il propose que l'Église s'inspire des

expériences initiatiques africaines pour une inculturation de l'initiation

chrétienne. Des études comparatives ont déjà défriché le terrain montrant la

possibilité de christianiser les initiations traditionnelles africaines158. L'auteur

vise dans son travail à saisir le dynamisme et la valeur des rites initiatiques

africains. Pour cela, il fait un tour d'horizon de l'initiation en général, puis de

celles de l'Afrique pour enfin aborder un exemple d'inculturation de l'initiation

chrétienne au Congo.

156 Jean de Dieu MVUANDA, op. cit. p. 180.157 Ibid., p. 240.158 L'auteur cite entre autres deux ouvrages en français : C. Mubengayi LWAKALA,Initiation africaine et initiation chrétienne, Léopoldville, Éditions du CE.P., 1966, 101 pp. ;Anseme Titiana SANON et René LUNEAU, op. cit., 1985.

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Page 81: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Conscient de la complexité de la notion d'initiation, il souligne les

caractéristiques communes de la réalité multiforme de ce phénomène.

L'initiation est marquée par un processus de transformation et d'intégration et

ses rites jouent un rôle pédagogique d'une grande efficience159. Si elle se fait

une fois pour toutes et ne se répète pas pour le même individu, elle a

essentiellement un caractère inchoatif et se définit comme un point de départ,

un commencement, une mise en route, une rentrée dans une dynamique de

croissance et de dépassement ponctuée de trois grandes étapes :

préinitiatique, initiatique et postinitiatique. La deuxième étape a prévalu dans

les études. Elle comprend un temps d'épreuves, un temps de rupture, un

temps de passage d'un état inférieur à un état supérieur. En d'autres termes,

elle traduit « le temps de la mort symbolique préalable à toute nouvelle

naissance160 ». Malgré l'importance de l'étape initiatique, la dissocier des

autres étapes risque de la rendre insignifiante ; c'est pourquoi il s'avère

important de maintenir le lien qui les unit.

Cet aperçu général débouche sur une précision de quatre types

d'initiation en Afrique :

• Les initiations occultes ou ésotériques opposées à celles qui sont

publiques. Elles introduisent dans la sorcellerie, l'envoûtement, la

divination, le fétichisme et sont entourées de secrets.

• Les initiations spirito-psycho-somato-thérapeutiques. Elles touchent

la vocation médicinale et mystique.

• Les initiations d'intégration sociale de la jeunesse. Celles-ci sont les

plus connues.

• Les initiations sociopolitiques et professionnelles. Elles visent la

transmission des pouvoirs et l'équipement nécessaire pour l'exercice

de l'autorité, et l'apprentissage des savoirs pour la pratique des

métiers.

!59 Jean de Dieu MVUANDA, op. cit., p. 247.160 Ibid. p. 248.

79

Page 82: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

De ces types d'initiation, l'auteur examine celui qui touche l'intégration

sociale pour en dégager la structure générale et les principes communs. Son

étude reprend les trois étapes de l'initiation pour montrer leurs fonctions et

leurs particularités. L'étape préinitiatique commence à la naissance et prend

fin avec la période initiatique. Pendant cette étape, les membres de la famille

nucléaire et de la famille étendue jouent le rôle d'agents d'éducation. Cette

éducation consiste à faciliter une participation à la vie de la famille et du

village à travers certains travaux, puisage d'eau, labour, etc. Les jeux sont

aussi des occasions de formation et d'apprentissage. Dans la préinitiation,

l'éducation se donne sans nécessairement recourir au cadre rituel comme

c'est le cas de la période initiatique.

La période d'initiation prolonge la précédente et constitue un temps très

fort dans le processus de maturation humaine161. Elle est ponctuée de trois

étapes : l'entrée, la réclusion et la sortie ; la deuxième étape est le pivot.

L'entrée annonce le début des cérémonies préparatoires. Les candidats et

candidates à l'initiation sont mis à part pour souligner l'aspect sacré de

l'événement et les rassemblements sont souvent accompagnés de festivités.

Cette mise à part débouche sur la phase de réclusion, véritable moment

d'épreuves, d'enseignements et d'apprentissages. Le corps et l'esprit sont

beaucoup sollicités à cette étape qui est marquée par le mystère. Les épreuves

et les marques corporelles ainsi que le climat d'angoisse, soumettent les

néophytes à rude d'épreuve. La formation de la personnalité passe également

par la structuration symbolique du monde et de la personne tout en révélant

les significations profondes des réalités visibles et invisibles. La fin ou la sortie

de l'initiation est marquée par des festivités et des danses, ce qui conduit à

l'étape postinitiatique.

Cette dernière étape est étroitement liée à la sortie de l'initiation qui

réintroduit l'initié dans son milieu habituel. À cette étape, l'initié fait partie de

la fraternité promotionnelle. Il est promu à un rang qui l'autorise à exercer

pleinement ses responsabilités sociales dans l'écoute attentive des personnes

Ibid., p. 277.

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Page 83: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

âgées et des aînés. Pour Mvuanda, loin d'être un moment isolé ou une

réduction à la mutilation physique, l'initiation est un événement central d'un

processus complexe qui vise l'harmonie de l'individu et du groupe.

Après cette étude descriptive, l'auteur propose différentes significations

de l'initiation, sa fonction, le symbolisme qui la caractérise pour ensuite

aborder la problématique des initiations traditionnelles africaines avec

l'initiation chrétienne. Pour lui, l'initiation cherche à renforcer le lien de la

communauté et des générations à travers la communion-participation au

même principe vital. Elle prend également en compte la formation du

caractère moral et le bien-être physique, et ce, dans un climat éprouvant. Elle

se donne, enfin, comme accès à la dimension transcendantale. On y parvient,

d'une part, à travers le dépassement de soi pour s'ouvrir aux autres et les

intégrer dans son univers personnel de relations tout en acceptant ce même

mouvement de leur part. D'autre part, ce mouvement touche aussi la relation

au monde invisible qui apparaît comme un support vital. Dieu et les ancêtres

sont les acteurs de ce monde que dévoilent les mythes, l'histoire, les

informations sur le culte des ancêtres et le mystère de la vie. L'écoute et

l'obéissance occupent une place importante dans ce processus de

dévoilement. Si ces différentes significations déterminent déjà certains aspects

fonctionnels de l'initiation, la catharsis, la pédagogie, l'intégration, la

libération et la fraternisation consacrée en constituent les fonctions

principales.

Pour clore le chapitre des interprétations, l'auteur s'attache à dégager le

symbolisme des initiations dont les sources sont : le corps humain, le monde

animal, le monde végétal, les éléments minéraux, le monde astral et les objets

culturels. La symbolique générale en Afrique puise aussi dans ces éléments.

Ce symbolisme suit les différentes phases de la période initiatique qui sont :

• La symbolique de l'entrée se réfère à la mort et à la naissance par le

fait que les candidats et candidates sont séparés de leur

communauté. Elle sous-tend également la symbolique et la réalité

du pèlerinage.

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Page 84: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

• La symbolique de la réclusion annonce la mort rituelle et exprime la

mort au monde passé.

• La symbolique de la sortie est le signe de la résurrection ou de la

nouvelle naissance.

Cette symbolique initiatique vise à déployer le sens profond de la

rencontre de l'humain et du sacré, et ce, aux niveaux langagier, affectif et

relationnel. Elle permet une compréhension globale et unifiée de la vie dans

sa totalité. La signification symbolique ainsi que les fonctions assumées par

les initiations traditionnelles expliquent la place qu'occupent celles-ci dans la

vie des Africains. Elles permettent aussi de comprendre la problématique des

rapports entre l'initiation chrétienne et celles africaines. On ne peut

comprendre ces rapports qu'en les. replaçant dans leur contexte de la

dépréciation des cultures africaines par les Occidentaux. Mvuanda résume sa

pensée en ces termes : « Les initiations à travers lesquelles les sociétés

traditionnelles renforçaient leur identité, leur autonomie socio-politique,

économique et religieuse, en transmettant les valeurs de leur tradition,

constituaient pour l'administration coloniale et pour l'œuvre missionnaire un

point d'achoppement162. »

Cette observation explique les temps forts qui ont marqué la rencontre

des initiations traditionnelles avec celle des chrétiens153. Dans un premier

temps, les missionnaires ne voyaient dans les initiations traditionnelles

africaines que déviance, abus, immoralités et sauvagerie. Il fallait donc les

rejeter et ce rejet ne venait pas uniquement des étrangers, mais aussi des

Africains eux-mêmes qui y voyaient des pratiques rétrogrades. Cependant, vu

la résistance de ces pratiques quant à la nouveauté, et compte tenu des

études anthropologiques, les esprits réfractaires se sont quelque peu ravisés.

Dès lors, même si les initiations africaines ne sont pas rejetées en bloc, elles

sont tolérées avec l'espoir qu'elles disparaîtront de toute façon.

«2 Ibid., p. 315.163 René LUNEAU relève trois temps forts : celui du refus, de la controverse et des effortsde conciliations dans Anselme Titiana SANON et René LUNEAU, op. cit., p. 20-59.

82

Page 85: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

C'est dans cette situation de tolérance que s'amorcent des efforts

d'inculturation. Les expériences révèlent deux principales approches. La

première se sert des éléments des initiations traditionnelles qui ont une

certaine analogie avec l'initiation chrétienne pour faire comprendre

l'enseignement ou les pratiques chrétiennes pendant le temps du

catéchuménat. Les enseignements pouvaient être dispensés, soit en dehors

ou dans les lieux mêmes des initiations. Cette approche est une

«juxtaposition de deux traditions initiatiques qu'on cessait d'opposer avec

exclusivité. » La deuxième approche est marquée par une volonté de dialogue

entre les chrétiens et les maîtres des initiations en vue de trouver un terrain

d'entente pour que les chrétiens ne se soumettent pas à certains rites jugés

incompatibles avec la foi chrétienne. Ces expériences faites au Burkina Faso

et au Tchad n'ont pas tenu le coup, car étioler le rite originel ne fait

qu'appauvrir son sens symbolique164.

L'auteur propose une troisième voie à partir des expériences positives

dans la liturgie congolaise. L'inculturation de la liturgie s'est opérée par une

prise en compte des éléments rituels romains, des anaphores orientales et des

us et coutumes positifs sociaux et religieux du monde africain. Le rite romain

a servi de base pour repenser et créer une nouvelle structure du rite congolais

en partant des rites positifs socioreligieux africains aptes à favoriser la

participation ou la communion aux mystères divins. De l'orient, les anaphores

qui sont proches de la structure dialogique africaine ont inspiré l'approche de

transmission dans l'homélie qui accorde une place de choix aux proverbes,

aux chants et aux contes.

Après avoir montré comment l'Église au Congo a tenté d'inculturer la

liturgie de la messe en partant des éléments positifs socioreligieux, l'auteur

soulève la question du baptême et de la confirmation. Constatant que

l'initiation chrétienne telle que généralement pratiquée au Congo n'arrive pas,

dans bien des cas, à intégrer les Africains dans l'Église, il propose de se

tourner vers les initiations traditionnelles. « Nous croyons, écrit-il, que

164 Jean de Dieu MVUANDA, op. cit., p. 327.

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Page 86: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

l'initiation africaine perçue comme un processus global, dont le rite est certes

le temps fort, mais pas l'instant déterminant la qualité initiatique et la qualité

d'initié, rend possible une approche de l'initiation chrétienne comme

processus dynamique165. » II part de l'expérience de Bilenge Ya Mwinda

(Enfant de la Lumière) pour montrer qu'une telle entreprise est possible.

Cette expérience recourt aux initiations traditionnelles africaines en

partant de l'esprit qui les anime dans le sens de l'ambiance, du climat général

qui les oriente et des techniques qui leur permettent d'atteindre leurs

objectifs. Mvuanda cite le témoignage du fondateur en ces termes : « II ne

s'agit pas bien sûr de retourner à toutes les pratiques initiatiques d'autrefois.

Il faut recourir à un certain esprit et à certaines techniques qui présentent de

réelles valeurs même dans notre monde moderne166. » Ainsi se sert-on des

étapes des initiations traditionnelles, du mystère qui les entoure, de

l'approche de communication et des épreuves, pour former les jeunes. Trois

grandes étapes structurent la formation : la lucidité, l'option fondamentale et

le rayonnement. Celles-ci sont précédées de deux phases, les sympathisants

et les débutants. Les sympathisants sont ceux qui désirent en savoir sur le

Bilenge Ya Mwinda. Ils sont admis aux réunions pour écouter la Parole de

Dieu et se joindre à des groupes de prière, mais pas aux petits groupes où se

déroule l'initiation. À cette étape, les jeunes échangent sur leurs expériences

de la vie, positives ou négatives, qu'ils soumettent au jugement de la Parole de

Dieu. C'est un moment d'examen de conscience et de la morale, à la lumière

de la Parole, qui peut déboucher sur une prise de conscience de son état de

perdition. À cette étape, le jeune peut décider de poursuivre ; alors, il s'inscrit

pour être débutant en faisant la promesse de la « disponibilité totale167 ».

Exprimant leur disponibilité à se faire initier, les débutants entrent

dans des réflexions pour discerner entre le vrai et le faux afin de voir clair.

«« Md., p. 384.166 Matondo Kua NZAMBI, À l'assaut de l'Himalaya, Kinshasa, 1976, p. 23, cité parMVUANDA, op. cit., p. 403.«7 Md., p. 407.

84

Page 87: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Ces réflexions vont se poursuivre et s'approfondir à l'étape de « lucidité ».

Mvuanda explique :

Pendant la lucidité, il faut se découvrir dans le double sens de ladécouverte initiatique : sous la Lumière qu'est le Christ, les zonesles plus cachées et les plus secrètes de notre existence sont à nu ;on se voit tel qu'on est, on s'ouvre au Christ, on fait confiance auxfrères et sœurs et particulièrement aux initiateurs. Les slogans "Abas les hypocrites", "laissez tomber le masque", "si tu m'aimes, dis-moi la vérité", rappellent l'urgence de cet acte d'humilité et decourage si l'on veut vraiment progresser168.

Cette étape place les jeunes dans des conditions leur permettant de

découvrir le « Christ comme "Lumière" du monde169 » à travers des mystères170

à élucider. Le but est de susciter la conversion. C'est cette métanoïa

recherchée qui marquera le passage à l'étape de « l'option fondamentale ». Elle

est l'étape d'un approfondissement spirituel pendant lequel le Nouveau

Testament tient une place centrale dans la vie des « fondamentalistes ». Ces

derniers sont responsables des lucides et collaborent avec les Abu et le

Bagaza (initiateurs) pour préparer les rencontres de sympathisants et des

débutants. C'est la période où l'accent est mis sur l'engagement à imiter le

Christ avec l'aide de son Esprit pour que les jeunes se placent dans « une

relation directe et plus consciente de l'Initiateur Principal, le Christ. [...] Il faut

absolument passer de l'attrait du "moi humain" que doit constituer l'initiateur

à l'attrait du "moi christique" que seul le Christ Jésus est171 ». Ainsi, les

jeunes à cette étape prennent la résolution de suivre le Christ leur vie durant

en se mettant à son école et en s'identifiant sans cesse à lui.

Cette option résolue pour le Christ débouche sur la troisième étape, le

« rayonnement ». Le but est de persévérer dans la vie d'initié à travers

l'engagement pour là mission prophétique dans le monde. « II appartient au

rayonnant de faire montre de son baptême, de son initiation, de continuer à

168 ibid., p. 411.169 Ibid., p. 408.170 Jean de Dieu MVUANDA rapporte 16 mystères, cf. p. 408-407.171 ibid., p. 412.

85

Page 88: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

approfondir son expérience mystique et de la communiquer autour de lui172. »

Cette étape traduit concrètement le sacrement de la Confirmation. Divers

engagements découlent de cette étape, c'est pourquoi le Bilenge Ya Mwinda ne

s'est pas seulement limité aux jeunes, mais a pénétré les différentes étapes

qui jalonnent la vie, naissance, adolescence, adulte, vieillesse. Il touche

également les grands événements de la vie soumis ou non à la ritualisation,

tel le mariage.

Mvuanda nous offre non seulement une méthode pour aborder des

thématiques dans une perspective d'inculturation, mais il nous donne une

approche de construction d'un modèle d'initiation chrétienne africaine. Cette

initiation se fait en Église, prend en compte l'héritage initiatique chrétien,

l'héritage initiatique traditionnel africain en se fondant résolument sur les

valeurs africaines et bibliques. Il s'écarte des compromis avec les initiations

traditionnelles pour proposer de la nouveauté à partir des données de la foi

chrétienne vécue dans un contexte africain. Son travail offre un aperçu d'un

certain nombre de théologies173 en Afrique. Tout en prenant en compte les

classiques traitant des rapports entre les initiations traditionnelles et

l'initiation chrétienne, l'auteur montre comment la théologie de l'inculturation

peut contribuer à rendre plus dynamique l'approche initiatique chrétienne en

Afrique. Bilenge Ya Mwinda semble avoir du succès au Congo et en dehors

même du continent. Nous sommes cependant surpris que lors de nos

rencontres avec des prêtres au Burkina Faso, personne n'ait fait mention de

cette initiation. En pays lobi, une telle approche ne pourrait-elle pas inspirer

les communautés catholiques et protestantes évangéliques dans leurs

approches des rapports entre lejoro et l'initiation chrétienne174 ?

172 Ibid., p. 413.173 Le lecteur pourra compléter sa connaissance des théologies africaines en se référant àBruno CHENU, Théologies chrétiennes des Tiers Mondes, Paris, Centurion, 1987 ;Klauspeter BLASER, La théologie au XXe siècle, histoire-défis-enjeux, Lausanne, L'Âged'Homme, 1995, voir spécialement les pages 268-280 ; Kâ Mana KANGUDIÉ, Théologieafricaine pour un temps de crise : christianisme et reconstruction en Afrique, Paris,Karthala, 1993.174 Deux travaux théologiques sont actuellement disponibles sur l'initiation traditionnellelobi. Antoine de Padou POODA, « Le Joro et l'initiation chrétienne : de la confrontation àl'intégration », Mémoire en théologie, Koumi, Grand Séminaire Régional, 1998, 59 pp.; Le

86

Page 89: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

2. 2. Lejoro et l'initiation chrétienne

Le travail de Mvuanda dans sa partie sur les rapports entre les

initiations africaines et le christianisme est largement tributaire de l'ouvrage

de Anselme Titianma Sanon et René Luneau. Ces auteurs décrivent ces

rapports en termes de temps de refus, de controverses et de conciliation. Les

témoignages reproduits illustrent éloquemment les différents déplacements

qui marquent ces relations. Luneau rapporte le témoignage suivant :

Quelques jours après notre arrivée à G., écrit le narrateur, avait lieuau village une grande fête païenne : c'était la réception triomphaledes jeunes initiés après sept mois de réclusion. Ils défilent devant lafoule en délire, tout pimpants, sur deux rangs, parés de leursinsignes, le buste marqueté de stries aux lignes élégantes qui leurresteront comme l'empreinte ineffaçable des griffes du démon auquelils sont voués. Les sorciers masqués, personnification de ce démon,viennent souvent la nuit donner à leurs affidés des séancesagrémentées d'une musique infernale. Bref, c'est une vraie débauchede sorcellerie : le démon veut nous prouver qu'il règne en maîtreincontesté et que nous allons avoir affaire à forte partie175.

La conclusion que tire ce témoignage dénote un climat conflictuel et

une vision négative de cette initiation traditionnelle africaine. Bien que cette

vision de 1927 connaisse un grand changement aujourd'hui grâce aux

recherches anthropologiques, elle demeure encore bien vivace dans certains

esprits et engendre des positions quelque peu partagées. Tandis que les uns

sont convaincus de la justesse d'avoir écarté les initiations traditionnelles,

d'autres confessent leur ignorance de celles-ci. Ainsi René Bureau176 justifie

avec prudence l'abolition de ces initiations, tandis que Xavier Seumois allègue

que la vision chrétienne du monde « exige une adhésion absolue et opère une

plus récent à notre connaissance est le mémoire de licence de Beterbanfo Modeste SOMÉ,« Approche pèlerine de l'initiation pan-ethnique Djoro et esquisse d'une théologiechrétienne des pèlerinages », Mémoire de licence canonique en théologie dogmatique,Abidjan, Institut Catholique de l'Afrique de l'Ouest, 2000, 165 pp. Nous nous y référonsdans la troisième partie quand nous traiterons du Joro dans les discours chrétiens.175 Témoignage r a p p o r t é p a r Anse lme T i t i ana SANON et René LUNEAU, op. cit., p . 2 0 .176 René BUREAU, « Les missions en question », dans Christus n° 34, 1962, p. 225-226cité par SANON et LUNEAU, op. cit. p. 24.

87

Page 90: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

brisure violente vis-à-vis de tout ce qui ne concorde pas avec elle177 ». Le

milieu protestant évangélique, aujourd'hui plus respectueux des cultures,

adhérerait sans hésitation à une telle déclaration. Car, « si quelqu'un est en

Christ, il est une nouvelle créature, le monde ancien est passé, voici qu'une

nouvelle réalité est là. » (H Corinthiens 5, 17) Hugo Huber ne partage pas ces

perceptions négatives et recherche plutôt une bonne manière de traiter les

initiations traditionnelles en Afrique178. Ces différentes positions traduisent

bien les hésitations qui aujourd'hui semblent être largement dépassées dans

les milieux catholiques mais persistantes chez les protestants évangéliques.

Si les premiers prennent très au sérieux la question des rapports entre

les initiations traditionnelles et l'initiation chrétienne, force est de reconnaître

que sur le terrain, la pratique rencontre quelques difficultés en particulier en

pays lobi du Burkina Faso. Contrairement au pays bobo où une certaine

conciliation semble caractériser ces rapports, l'Église parmi les Lobi vit une

toute autre situation. Chez les catholiques, nos entrevues dégagent une

grande prudence quand il s'agit de la question du joro. Les gens ne se sont

pas remis du fait que cette institution initiatique est un frein à l'évangile. Un

travail de fond reste à faire et des prêtres aussi bien que des laïcs s'y attèlent.

Des efforts pour faire comprendre le phénomène sur le plan anthropologique

et théologique sont amorcés. L'Abbé Modeste Kambou179 nous a confié ses

réflexions sur Pétymologie du joro, qui constitue une piste intéressante pour

éclairer la compréhension de l'initiation lobi. Le travail de mémoire de Antoine

de Padou Pooda est une des perles qui permet de mener les discussions sur

les corrélations possibles entre les aspects anthropologiques et théologiques

du joro.

177 Xavier SEUMOIS, « La structure de la liturgie baptismale romaine et les problèmes ducatéchuménat missionnaire », dans La Maison-Dieu, n°58, 1959, p. 89-90, auteur cité parSANON et LUNEAU, p. 25.178 Hugo HUBER, « L'initiation ch ré t i enne e n Afrique. P rob lèmes et p ropos i t ions », d a n sLiturgie en Mission, Desclée de Brouwer , 1964, p . 89 , cité p a r Anse lme T i t i anma SANON etRené LUNEAU, p . 2 6 .179 Nous a v o n s r e n c o n t r é le 29 avril 2 0 0 3 , l'Abbé Modeste KAMBOU d i rec t eu r d ' u n pet i tséminaire près de Dano au Burkina Faso.

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Page 91: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Les travaux académiques qui traitent du joro dans une perspective

théologique sont rares. Nous avons cependant eu le privilège de rencontrer

Modeste Kambou qui nous a gracieusement offert un exemplaire du mémoire

en théologie de Antoine de Padou Pooda180, qui est une vraie mine

d'informations pour nos recherches. Deux parties constituent l'essentiel du

mémoire. La première partie suit une démarche anthropologique qui examine

la notion du joro et ses séquences pour aboutir à une systématisation du

phénomène. En conclusion de la première partie, l'auteur résume la

compréhension du joro en ces termes : « souffrir, c'est mûrir et mûrir, c'est

mourir, c'est-à-dire avoir subi une mutation essentielle et existentielle qui

habilite à exercer des fonctions au sein de la société lobi, dans une attitude

communionnelle et expansive face au numineux181. »

La deuxième partie porte sur une réflexion théologico - pastorale qui

tente de repérer les « semences du Verbe »182 dans l'initiation du joro. Elle

croise dans un premier volet la marche vers le village du joro avec l'Exode

d'Israël, la mort - résurrection symbolique avec le mystère de la Pâques et les

rites de réintégration sociale avec le concept de l'Église - Famille de Dieu.

Dans un second chapitre, il poursuit la même démarche en rapport avec les

sacrements du baptême, de la confirmation et de l'eucharistie. Le dernier

chapitre part d'une approche pastorale et plaide pour une prise en compte des

atouts du joro dans la catéchèse et dans la liturgie. Il finit par une

interpellation pour un meilleur devenir chrétien lobi.

L'auteur part d'une approche anthropologique pour saisir les

composantes du joro afin de dégager les valeurs pouvant être mises en rapport

avec certaines données bibliques et théologiques. Il fait une relecture du joro à

partir de la foi et des pratiques chrétiennes. Son approche théologique est

basée sur l'inculturation avec une orientation prononcée vers la théologie des

180 Antoine de P a d o u POODA, « Le Joro e t l ' initiation ch ré t i enne . De la confronta t ion àl ' intégrat ion » Mémoire d e théologie, G r a n d Sémina i re Régional d e Koumi, B u r k i n a Faso ,1998, 59 pp.181 Ibid., p . 2 3 .182 Cf. Antoine de Padou POODA, pp. cit., p. 24, 27, 32, 35. Terme que l'auteur empruntede Paul VI, Evangelium Nutiandi, Paris, Centurion, 1976, n°53.

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Page 92: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

« pierres d'attentes ». La partie théologique est parsemée de termes comme

« semina Verbi » (p. 24, 27, 32, 35) « germes de salut » (p. 35) « prolongement »

(p. 37), « preparatio evangelica » (p. 40). Ces différents termes traduisent la

volonté de Pooda de faire ressortir une continuité entre le joro et l'initiation

chrétienne ; il écrit :

Si aujourd'hui, les 'Lobe passent pour un peuple à la nuqueraide, hostiles et réfractaires au christianisme, c'est que cettenouvelle religion brime leur histoire résumée dans le joro ; elle metun hiatus entre leur initiation traditionnelle et l'histoire du salut, aulieu d'établir entre eux un trait d'union, une continuité progressiveet accomplissante.183

Les différents rapports qu'il établit entre les valeurs du joro et les

doctrines et pratiques chrétiennes restent fidèles à cet esprit de continuité.

L'auteur est cependant conscient du danger d'un retour au paganisme que la

prise en compte de ses propositions peut entraîner, (p.48) C'est pourquoi il

souligne que cela requiert une sérieuse sensibilisation. L'attitude de Pooda

vis-à-vis du joro se comprend, car pendant que les voisins Dagari trouvent

normal d'inculturer l'initiation du bvvr qui selon nos informateurs est

beaucoup plus lié à la divination184, il s'ensuit une certaine réticence à

accepter les éléments inculturables du joro dans le même diocèse où tous sont

censés prendre en considération l'article 65 de la Constitution sur la Sainte

Liturgie de Vatican II. Cet article en effet, laisse clairement apparaître une

position qui encourage le dialogue avec les initiations non chrétiennes185.

Comment comprendre de telles réticences quand les textes officiels de l'Église

témoignent d'une position qui se veut conciliante ?

Cette attitude a amené des mesures disciplinaires à rencontre de ceux

qui avaient laissé leurs enfants aller à l'initiation lobi. Ces mesures ont placé

beaucoup de chrétiens catholiques dans une situation inconfortable. « Sur 50

183 Antoine de P a d o u POODA, op. cit., p . 27 .184 Les informations reçues proviennent de répondants Birifor qui ont cette institutioninitiatique. Il est donc possible que l'expression dagari de cette initiation ait une autrecompréhension que celle livrée par nos répondants.!ss « Constitution conciliaire sur la liturgie », n°65 dans Vatican IL L'intégralité, Paris,Bayard Compact, 2002, p. 197.

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Page 93: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

chrétiens interrogés, 39 regrettent de n'avoir pas été au joro186 ». Ce regret

vient du fait que plusieurs sont insatisfaits de ce qu'offre le christianisme,

qu'ils considèrent la nouvelle religion comme un « pays étranger ». L'auteur

remarque que le christianisme est une menace à l'être et à l'existence du Lobi.

« [...] au lieu de lui apporter quelque chose, dit-il, le christianisme semble [...]

soumettre à une certaine servitude spirituelle et cherche même à lui ôter ce

qu'il a de cher : son joro.187 ». Par conséquent, il plaide pour une levée des

sanctions188, afin que le Lobi se sente chez lui dans l'Église.

Même si, jusqu'ici, envisager une conciliation entre le joro et l'initiation

chrétienne semble difficile, nos répondants catholiques ont tous relevé que le

pèlerinage à des lieux spécifiques de la région constitue pour eux un aspect

important qui relie leurs pratiques chrétiennes à l'initiation lobi. Le pèlerinage

est justement le sujet de mémoire de licence canonique en théologie

dogmatique de Beterbanfo Modeste Somé189. Relevant l'approche

socioculturelle et religieuse qui caractérise les études du joro, il propose une

autre approche, celle qui part de la notion de pèlerinage. S'appuyant sur les

verbes qui désignent l'initiation lobi, ur hvo en lobiri qui signifie littéralement

« marcher la route » ou « lever la route » et ir sor en birifor qui veut dire « frayer

le chemin » ou « lever la route », il propose la question de recherche suivante :

« le djoro ne serait-il pas aussi, si ce n'est d'abord et surtout un pèlerinage

pan-ethnique aux sources ancestrales cristallisées et symbolisées par le site

(sic.) du djoro qui se trouve être le point de chute des ancêtres à leur arrivée

sur la rive droite du Mouhoun au Burkina Faso190 ? »

L'approche de Somé conjoint anthropologie et doctrine chrétienne. Elle

a le mérite de partir d'un cadre théorique axé sur la notion de pèlerinage selon

ses acceptions anthropologique et théologique. Partant de l'origine et de la

186 Antoine d e P a d o u POODA, op. cit., p . 46 .187 Ibid.188 Ibid. p . 4 8 .189 Beterbanfo Modes te SOMÉ, « Approche pèlerine de l ' init iation p a n - e t h n i q u e Djoro etesquisse d'une théologie chrétienne des pèlerinages », Mémoire de licence canonique enthéologie dogmatique, Abidjan, Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest, juin, 2000,165 pp.«° Beterbanfo Modeste SOMÉ, op. cit., p. 8.

91

Page 94: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

définition du joro, l'auteur relève ses valeurs socio-éducatives, religieuses et

spirituelles pour en dégager les limites et les zones d'ombres191. Au deuxième

chapitre, il se consacre à l'examen de la dimension pèlerine du joro, signale

les limites des approches qui visent la dimension initiatique et la parenté

entre l'initiation traditionnelle lobi et l'initiation chrétienne pour proposer de

l'évangéliser. Il est convaincu que cette évangélisation est possible à partir

d'une approche qui privilégie le pèlerinage192. Pour atteindre son objectif,

Somé analyse les expériences bibliques et chrétiennes de pèlerinage afin de

découvrir les lieux d'enracinement du joro. Soulignant que le christianisme

n'est pas une religion à pèlerinage193, bien qu'interpellant les chrétiens à un

esprit pèlerin, il montre à travers l'expérience le bien-fondé de cette pratique

dans l'Église. Partant de la théologie chrétienne du pèlerinage, il propose un

«joro inculturée194 ». Ce joro est compris comme une initiation lobi

christianisée ou rénovée195 comme il le désigne. Ce type d'initiation cherche à

dépasser la dimension identitaire ethnique pour s'élever à l'universelle.

Somé a opté pour une dimension particulière du joro en vue de

l'approfondir pour proposer une pratique dans l'Église. Le bien-fondé d'une

telle entreprise comporte un risque. Car, isoler un élément d'un phénomène

socioculturel risque fort bien d'occulter le fait que sa signification repose sur

les relations entretenues avec l'ensemble. Se focaliser sur la dimension

pèlerine n'a pas aidé à cerner ce rapport. Contrairement à Pooda qui est plus

respectueux du joro, et envisage une continuité entre l'initiation traditionnelle

et l'initiation chrétienne, Somé, par son attitude critique et sa volonté

d'évangéliser le joro semble être plus en faveur d'une discontinuité. Les

protestants évangéliques seraient plus à l'aise avec la position de ce dernier

que celle du premier à cause de la discontinuité qu'il accentue. Si nous nous

en tenons à la distinction tillichienne196 de « substance catholique » et de

i9i ibid., cf. p. 13-34.W2 Ibid., p. 60.193 Ibid., p. 65, 93.M Ibid., p. 135, 141.»s Ibid., p. 141.196 p o u r u n aperçu rapide de la pensée de Tillich, cf. André GOUNELLE, (dir.), Paul Tillich,Substance catholique et principe protestant, Paris/Genève/Québec, Éditions du

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Page 95: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

« principe protestant » il serait difficile de voir un grand écart entre l'approche

de Pooda et celle de Somé. Les deux voient des manifestations de Dieu dans

les dimensions initiatique et pèlerine du joro, qu'ils tentent de structurer en

restant fidèles à la « substance catholique » de façon centripète pour le

premier et de façon centrifuge pour le second. Si le premier est en pleine

logique catholique, le second s'en éloigne un tant soit peu en se rapprochant

de la vision protestante.

Pour conclure ce point sur le joro en contexte chrétien, relevons que

Somé, bien qu'ayant opté pour la dimension pèlerine de l'initiation lobi, n'a

pas omis de souligner sa dimension éducative197. Pooda fait également

référence à cette dimension198. Cependant, ces auteurs n'ont pas assez mis en

évidence l'éducation comme élément de structuration du joro. Il reste un

travail à faire dans ce domaine.

2. 3. Vers une approche pédagogique du joro

Comme nous l'avons déjà relevé, en Afrique, les travaux sur

l'initiation199 en contexte chrétien proviennent surtout des milieux

catholiques200. Luneau et Sanon, Mvuanda, Pooda et Somé insistent sur les

contributions possibles des initiations traditionnelles africaines à l'éducation

à la foi chrétienne, mais n'insèrent pas leurs recherches dans une théorie

pédagogique pour montrer les corrélations possibles entre les démarches

éducatives endogènes et exogènes. Leurs approches se fondent sur

Cerf/Labor et Fides/Presses de l'Université Laval, 1995, voir particulièrement les pages 3-12.l97Ibid.,p. 18, 27, 41.198 Antoine d e P a d o u POODA, op. cit., p . 10, 17.199 Henri BOURGEOIS, op. cit., donne une liste de quelques principaux ouvrages quitraitent de l'initiation chrétienne, p. 111.200 En plus du travail de Somé cité ci-dessus, l'Institut Catholique de l'Afrique de l'Ouestdevenu Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest compte quelques travaux sur le sujet.Simone NOLIN, « Les techniques initiatiques traditionnelles et les techniques initiatiqueschrétiennes », Mémoire présenté à l'Institut Supérieur de Cultures Religieuses, Abidjan,1975, 139 pp.; Emile MEGOROGO, « Poro et initiation chrétienne » Mémoire de licence,Abidjan, 1973, 138 pp.; Bernard DJAFALO, « L'initiation chrétienne et l'initiationtraditionnelle des jeunes Kabye. Problèmes d'inculturation » Mémoire de licence canoniqueen théologie pastorale, Abidjan, Institut Catholique de l'Afrique de l'Ouest, 1986; 98 pp.

93

Page 96: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

l'inculturation qui valorise davantage la culture locale, mais pas

nécessairement les interactions des composantes d'une situation éducative.

Ces interactions mettent pourtant en évidence des valeurs pédagogiques

capables d'enrichissements et de transformations. C'est pourquoi la présente

thèse gravite autour de la question : quels indicateurs du joro, en corrélation

avec les données bibliques, déploient une stratégie pédagogique pouvant

contribuer à une démarche d'initiation et d'éducation chrétiennes en milieu

protestant évangélique du Burkina Faso ? Ainsi, tente-t-elle de décrypter les

stratégies pédagogiques à la base des pratiques initiatiques et la place qu'elles

pourraient occuper dans la construction d'une situation éducative pouvant

contribuer à l'enracinement de l'évangile. Elle s'assigne donc les objectifs

suivants :

• Décrire les composantes des démarches initiatiques du joro et de

l'éducation chrétienne à travers l'analyse des discours théologiques,

mais surtout à travers les témoignages d'une vingtaine de

répondants.

• Dégager des composantes du joro, les fonctions en corrélation avec

l'impératif missionnaire de Matthieu 28, 18-20.

• Repérer, de ces corrélations, des substrats pédagogiques pouvant

contribuer à la construction d'une situation éducative, inspiratrice

d'une démarche d'initiation chrétienne.

Dès lors, la particularité de la présente thèse repose principalement sur

la dimension pédagogique du joro, contrairement aux autres travaux qui

reconnaissent dans les initiations une vocation éducative, mais se

concentrent surtout sur les corrélations théologiques. Dans ces travaux, bien

que l'aspect éducatif soit mentionné ici et là, il ne s'insère guère dans une

théorie pédagogique générale, car là n'est pas leur but. Ici par contre, nous

cherchons à saisir les valeurs et les fonctions des composantes pédagogiques

de la démarche initiatique pour proposer un processus pédagogique, le

processus « initier ». Une telle composante devrait pouvoir se trouver une

94

Page 97: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

place au sein du triangle pédagogique à côté des processus « enseigner »,

« former » et « apprendre ».

Ce projet invite à revisiter des lieux où la démarche initiatique tient

encore une place dans les projets éducatifs. C'est ce qui explique notre choix

de l'initiation traditionnelle lobi et l'éducation à la foi chrétienne. Si la

première se veut ethnique ou locale, la deuxième se prévaut d'un caractère

universel. Les deux, bien que relevant de registres différents, s'intéressent à

ce qui est humain et divin et dégagent des valeurs qui peuvent s'éclairer

mutuellement. C'est pourquoi les similitudes ne manqueront pas ; cependant,

lorsque nous nous en référons, ce n'est nullement dans un esprit de

concordisme, mais plutôt dans un souci de retrouver dans les expériences

humaines de l'immanent et du transcendant, ce qu'elles peuvent partager

quels que soient les contextes.

En conclusion, le vaste champ que recouvre l'initiation impose une

sélection qui s'est orientée vers les initiations traditionnelles africaines, en

particulier celle du pays lobi appelée joro. Les Lobi, peuple occupant le Sud-

ouest du Burkina Faso, le Nord-ouest du Ghana et le Nord-est de la Côte

d'Ivoire parviennent à garder la cohésion du groupe à travers les rites

initiatiques qui ont lieu tous les sept ans. Aujourd'hui, cette tradition se voit

confrontée aux réalités des mutations culturelles. Les discours chrétiens sont

partagés à son sujet. Les uns s'en méfient, les autres y voient un lieu de

dialogue pour un meilleur devenir chrétien.

La conciliation de ces positions semble difficile malgré les efforts

ethnographiques de décrire le phénomène comme étant un élément culturel

important à ne pas négliger. Dans certains cas, beaucoup de chrétiens lobi

interprètent consciemment ou inconsciemment les vérités de leur foi à l'aide

des représentations qui émanent de l'initiation. En outre, la société entière

comprend certaines activités chrétiennes en référence à ce qui se passe dans

les rites initiatiques. Malgré cela, le milieu protestant évangélique, se tient loin

des débats, et semble être inconscient de la place que peut avoir l'initiation

95

Page 98: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

traditionnelle lobi dans le vécu des chrétiens. Il importe donc d'ouvrir le débat

dans ce milieu pour renouveler, si possible, la formation chrétienne. Pour

aborder ce sujet, il faudrait d'abord comprendre la réalité de l'initiation telle

que vécue par les chrétiens d'aujourd'hui, et celle que les données bibliques

permettent de saisir afin qu'elles s'éclairent par les fonctions et valeurs

qu'elles véhiculent.

Même si les protestants évangéliques n'usent pas du terme « initiation

chrétienne », rien n'interdit de le leur proposer. Pour ce faire, il s'avère

nécessaire de revoir les composantes actuelles de cette initiation à la lumière

du baptême de Jésus dans le Jourdain et des expériences des premiers

chrétiens par rapport au baptême dans le Saint Esprit. En outre, la réflexion

pourrait s'inspirer des pratiques traditionnelles africaines. C'est donc pour

préparer cette prise en compte que la présente recherche, au lieu d'opter pour

une approche anthropologique et doctrinale, s'est orientée vers une approche

pédagogique du joro. Cette option vise à mettre en évidence les éléments

pédagogiques endogènes et exogènes pouvant ouvrir de nouveaux horizons

dans la situation éducative. L'approche d'investigation qui nous a paru

appropriée pour atteindre cet objectif est la recherche qualitative. Le chapitre

cinq en fera le point, mais avant, il importe d'examiner les cadres théoriques

qu'implique le présent travail.

96

Page 99: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

CHAPITRE III

DE LA CORRÉLATION AUX THÉOLOGIES CONTEXTUELLES

Dans le chapitre qui précède, nous avons proposé que les débats sur

l'initiation en milieu protestant évangélique soient menés sous l'angle de la

pédagogie. Cependant, ils devront prendre en considération les apports des

démarches initiatiques en éducation à la foi et en milieu traditionnel africain.

Comme nous l'avons dit plus haut, le champ de l'éducation à la foi

s'avère complexe, et les études menées jusqu'ici dénotent un caractère

multidisciplinaire. En plus de la théologie, l'éducation à la foi puise dans les

sciences de l'éducation201, les sciences de la communication202, la

psychologie203 et bien d'autres disciplines. Ces champs d'études offrent des

concepts utiles à l'élaboration d'un cadre opératoire pour l'analyse de

l'initiation. Les relations pédagogiques en sciences de l'éducation que nous

privilégions peuvent éclairer notre compréhension de la situation pédagogique

dans l'initiation. Il en est de même des rapports entre les agents de

communication, possibilité explorée par André Fossion. Quant à la

psychologie, ses théories sur le développement humain constituent des

espaces de mise en parallèle avec les rites de passage. Elle permet également

de comprendre le climat dans lequel les apprentissages sont effectués et

l'impact qu'il a sur la formation des personnes.

201 Ambroise BINZ et Sylviane SALZMANN, Documents d'andragogie, outils pour laformation et la catéchèse des adultes, Lausanne, CCRFP, 2000. Office de Catéchèse duQuébec, Dossiers d'andragogie religieuse, Ottawa, Novalis, 1981-1985, dix dossiers.202 André FOSSION, La catéchèse dans le champ de la communication : ses enjeux pourl'inculturation de la foi, Paris, Éditions du Cerf, collection «Cogitatio fidei», 1990.2 0 3 Cf. Paul-André GIGUÈRE, Une foi d'adulte, Ottawa, Novalis, 1991. J a m e s FOWLER,«Théologie et psychologie d a n s l 'étude du développement de la foi», d a n s Concilium n 176,1982 ; «Une introduction progressive à la foi», dans Concilium, n° 194, 1984 ; RaymondGIRARD, Éducation à la foi chrétienne et développement humain, Sainte-Foy, Presses del'Université du Québec, 1992.

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Page 100: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

À ce « monde hétérogène et complexe204 », viennent se greffer les

déterminants culturels, car son activité est située dans le temps et l'espace

humain205. Elle s'inscrit dans une dynamique des modèles de sociétés qui ont

ponctué l'histoire de l'humanité206 et des relations que l'Église a entretenues

avec les différents milieux sociaux. D'ailleurs, le choix que nous portons sur

l'initiation traduit un penchant anthropologique, qui, d'après Henri Bourgeois,

est « aujourd'hui le plus suggestif et le plus prometteur pour une théologie

catéchuménale207 ». Emilio Alberich et Ambroise Binz soutiennent aussi que le

terme « catéchuménat » désigne j'ustement l'initiation à la foi et à la vie

chrétienne208. Or, qui parle de catéchuménat se réfère entre autres à la

catéchèse qui implique des enjeux pédagogiques209.

Ces remarques indiquent que l'angle par lequel l'étude est abordée

oriente les choix des disciplines privilégiées ainsi que les penchants pour les

cadres théoriques. C'est pourquoi, le présent chapitre tente de préciser le

cadre théorique de ce travail à partir de la question suivante : quels sont les

enjeux théoriques des objectifs proposés dans le chapitre précédent ?

Cinq mots clés serviront à articuler les grands axes de ce chapitre. La

corrélation, l'inculturation (terme anthropologique, sociologique et

théologique210), la contextualisation, l'incarnation qui est une importante

204 Emilio ALBERICH et Ambroise BINZ, Adultes et catéchèse. Éléments de méthodologiecatéchétique de l'âge adulte, Ot tawa, Novalis, 2000 , p . 45 .205 Elisabeth GERMAIN, 2000 ans d'éducation de la foi, Paris, Desclée, 1983, 204 pp. ;Raymond BRODEUR et Jean-Paul ROULEAU, (dir.), Une Inconnue de l'histoire de laculture : la production des catéchismes en Amérique française, Sainte-Foy, Éditions A.Sigier, 1986, 480 pp. ; Gilles ROUTHIER, (sous dir.y L'éducation de la foi des adultes.L'expérience du Québec (Montréal : Médiaspaul, 1996) 381 pp.206 Elisabeth GERMAIN, Langages de la foi à travers l'histoire : mentalités et catéchèse,approche d'une étude des mentalités, Tours, Fayard-Marne, 1972, 241 pp.207 Henr i BOURGEOIS, Théologie catéchuménale, Par is , Éd i t ions d u Cerf, 1 9 9 1 , p . 120.208 Emilio ALBERICH e t Ambroise BINZ, op. cit. p . 50 .209 J a c q u e s AUDINET, « Problèmes de théologie p ra t ique », d a n s Adr ian M. VISSCHER,(dir.), Les études pastorales à l'université, perspectives, méthodes et praxis,O t t a w a / P a r i s / L o n d r e s , Les Presses de l'Université d 'Ottawa, 1990, p . 67 .210 Hervé CARRIER, Lexique de la culture pour l'analyse culturelle et l'inculturation,Tournai, Desclée, 1992, p. 195. L'auteur lie le terme inculturation à l'acculturation quiest un terme très connu chez les anthropologues. Aujourd'hui l'inculturation est un termedont se sert la théologie chrétienne pour désigner l'interaction entre l'Évangile et uneculture donnée.

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Page 101: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

doctrine chrétienne et l'interactionnisme sont développés en vue de répondre

à la question posée.

1. La méthode de la corrélation

La corrélation est ici perçue comme une « démarche théologique, où

sont mis en relation réciproque (quoique non symétrique) l'homme et

Dieu211. » Elle se présente comme une tension entre culture et foi ; vie et foi ;

vie et foi de l'Église ; expérience historique et révélation. Deux courants

marquent la théologie de la corrélation. Premièrement, le courant ontologique,

dont les tenants sont Paul Tillich et Karl Rahner, vise à mettre en relation

l'essence de l'homme et l'absolu. Pour ces deux théologiens, « l'homme est par

essence ouvert sur l'absolu : pour Tillich du fait des limites de l'homme aliéné

dans l'existence ; pour Rahner du fait de la capacité de l'homme à

s'appréhender lui-même. L'expérience de l'absolu est une réalité intérieure à

l'homme212. » Deuxièmement, le courant historique représenté par

Schillebeeckx ou Gisel, part de l'être historique de l'homme mis en relation

avec la révélation. Nous allons nous appuyer sur trois auteurs principaux

pour faire le tour de la question : Paul Tillich, Edward Schillebeeckx et Marc

Donzé. Ce choix repose sur le fait que les deux premiers ont posé les

fondements dont le troisième s'est servi pour construire une méthode dans le

cadre de la théologie pratique.

1. 1. La corrélation chez Paul Tillich

Guylaine Deschamps tente de retracer la méthode de corrélation dans

la Dogmatique de Tillich dans le but d'apporter un éclairage sur son origine213.

211 Marc DONZÉ, «Théologie pratique et méthode de corrélation», dans Adrian M.VISSCHER, (éd.) Les études pastorales à l'université, perspectives, méthodes et praxis,Ottawa/Paris/Londres, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 1990, p. 86.212 Marc DONZÉ, « a r t . cit. », p . 8 7 .213 Guylaine DESCHAMPS, «La méthode de corrélation dans la Dogmatique de PaulTillich, 1925» dans Jean RICHARD, André GOUNELLE et Robert P. SCHARLEMANN,(dir.), Études sur la Dogmatique (1925) de Paul Tillich, Québec/Paris, Les Presses del'Université Laval/Les Éditions du Cerf, 1999.

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Son point de départ est l'ouvrage de John Paul Clayton, The Concept of

Corrélation. Paul Tillich and The Possibility of a Mediating Theology, (1980). Ce

dernier cherche à remonter à l'origine de la méthode de corrélation, ainsi que

son développement dans l'œuvre de Tillich, en « portant une attention

particulière au modèle question /réponse214 » tels qu'articulés dans sa

Théologie systématique. Dans son effort pour concilier la culture et le message

chrétien, Tillich propose la dialectique question/réponse ; le pôle de la

question étant celui de la situation à laquelle le message chrétien devrait

apporter une réponse215.

En fait, il partirait d'une critique de la théologie dialectique de Barth

dans deux textes intitulés : «What is Wrong with the "Dialectic" Theology» et

«Natural and Revealed Religion». De là, il relève que la théologie dialectique de

Barth est fausse du fait qu'elle sépare le Oui et le Non, l'humain et le divin.

Ainsi, propose-t-il une théologie dialectique qui va relier les questions et les

réponses. Cela pourrait être considéré comme les premiers pas d'une méthode

de corrélation qu'en 1947 dans « The Problem of Theological Method » il définit

comme suit :

La méthode de corrélation est spécifiquement la méthode dela théologie apologétique. Question et réponse doivent être mises encorrélation d'une telle façon que le symbole religieux soit interprétécomme la réponse adéquate à la question implicite à l'existencehumaine [...]. La forme des questions [...] est décisive pour la formethéologique dans laquelle la réponse est donnée. Et inversement, lasubstance de la question est déterminée par la substance de laréponse. Personne ne peut poser une question concernant Dieu, larévélation, le Christ, etc., sans avoir préalablement reçu uneréponse216.

« « Ibid., p . 4 2 .215 p o u r la m é t h o d e de corré la t ion de Tillich, on c o n s u l t e r a avec profit L. RACINE,L'Évangile selon Paul Tillich, Par is , Édi t ions d u Cerf, 1970, p . 7 7 - 1 2 5 a ins i q u e le Mémoirede Guyla ine DESCHAMPS, «Aux origine de la mé thode de corré la t ion d a n s la Dogmatique(1925) de Paul Tillich », Mémoire d e Maîtr ise p ré sen té à l 'Université Laval, Québec , 1995,124 p p . Voir éga lemen t la thèse d e Ikonga WETSHAY, « Crise sociale et v a l e u r s africaines.Pour un apport de l'œuvre de Paul Tillich à la théologie africaine de reconstructionsociale », 2 volumes, Université Laval, Québec, 1999.216 J o h n Pau l CLAYTON, The Concept of Corrélation. Paul Tillich and the Possibility ofMediating Theology, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 1980, p. 169, cité par Guylaine

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Page 103: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Ce philosophe et théologien « a toujours essayé de concilier la foi et la

culture, la civilisation et la religion217 ». L'ubiquité de la théologie dans tous

les domaines de la connaissance est un aspect déterminant de sa réflexion.

C'est pourquoi, dans La dimension religieuse de la culture, il émet « l'idée

d'une théologie de la culture ». Dans cet écrit, il aborde la relation entre la

théologie et la culture comme un rapport corrélatif. Pour lui, même si la

culture peut s'exprimer indépendamment de la religion et vice versa, cette

dernière demeure cependant la « substance de toute culture218 ». Trois états

caractérisent le rapport entre elles :

• l'état dtiétéronomie où la religion s'est imposée comme l'instance de

contrôle des fonctions de la culture ;

• l'état d'autonomie dans lequel les fonctions de la culture

s'émancipent de la religion à partir de leurs formes ;

• l'état de théonomie où la religion s'actualise dans chaque région de

la culture en donnant un contenu à leurs formes.

Cette perspective théonome est un maillon important dans le système

théologique de Tillich219, et se définit comme l'irruption de l'inconditionné

dans le fini, la réalité absolue dans le relatif, le sacré dans le profane. Il existe

pour ainsi dire une corrélation entre culture et religion étant donné que

« dans chaque province de la vie de l'esprit, il y a [...] un périmètre particulier,

une sphère particulière dans laquelle s'exprime l'influence du religieux220 ».

Il s'ensuit une triple tâche qui consiste en une analyse générale de la

culture, une typologie et une philosophie historique religieuses de la culture.

Pour illustrer cela, l'auteur donne des exemples concrets à partir desquels il

DESCHAMPS, «Aux origine de la méthode de corrélation d a n s la Dogmatique (1925) dePau l Tillich » Mémoire de Maîtrise p résen té à l 'Université Laval, Québec , 1995, p . 6.217 J ean -Lou i s KLEIN, « Tillich » d a n s Encyclopedia Universalis, Dictionnaire desphilosophes, Par is , Encyclopedia Universalis, 1998, p . 1501-1502.218 J ean -Lou i s KLEIN, op. cit., p . 1503.219 Félix-Alexandro PASTOR, « Tillich, Paul » d a n s Dictionnaire de théologie fondamentale,Latourelle e t Rino Fisichella René (dir.), Montréal, Édit ions Bellarmin, 1992, p . 1426.220 Paul TILLICH, La dimension religieuse de la culture. Écrits du premier enseignement(1910-1926), traduit de l'allemand par une équipe de l'Université Laval,Paris/Genève/Québec, Éditions du Cerf/ Labor et Fides/Presses de l'Université Laval,1990, p. 35.

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interprète les implications religieuses sous-jacentes à différents champs de la

production scientifique. Il y ressort de façon évidente le fil conducteur de la

réflexion de Tillich caractérisé par le rapport d'interdépendance qu'il exprime

en ces termes : « [...] l'un ne peut pas exister sans l'autre ; une forme qui ne

forme rien est aussi inconcevable qu'un contenu qui ne tient pas dans une

forme221 ». Si Tillich a le mérite d'avoir proposé la méthode de la corrélation,

d'autres l'ont développée à partir d'une perspective historique. C'est le cas de

Schillebeckx.

1. 2. La corrélation chez Edward Schillebeeckx

Schillebeeckx cherche à comprendre comment le salut en Jésus-Christ

est vécu dans l'histoire des hommes. Pour lui, « le milieu vital ou la matrice

dans lesquels la foi chrétienne se développe n'est pas seulement l'Église, mais

aussi - et en même temps - l'expérience humaine quotidienne que nous

faisons du monde, ces deux expériences étant constitutivement rapportées

l'une à l'autre dans une corrélation critique réciproque222 ». Schillebeeckx met

l'accent sur l'expérience comme point de départ du christianisme. Elle

concerne la rencontre d'hommes avec Jésus. Il relève que « l'acception

biblique du salut ne peut être parlante pour nous directement, sans

médiations. Précisément parce qu'il s'agit d'expérience, les auteurs expriment

ce salut dans les concepts qui étaient ceux de leur environnement et de leur

milieu, en fonction de leur propre manière de poser les questions - bref, en

référence à ce qui était leur champ d'expérience à eux223. » Au lieu de

s'accrocher aux données interprétatives du passé, les chrétiens feront mieux

de traduire l'expérience avec Jésus dans les mots qui sont appropriés

aujourd'hui, à partir de leurs expériences.

Schillebeeckx parle de nommer Jésus à notre tour de manière à ce que

l'expérience du salut en Jésus soit constamment renouvelée au sein d'une

221 ibid. p . 37 .222 Edward SCHILLEBEECKX, Expérience humaine et foi en Jésus Christ, Paris, Éditionsdu Cerf, 1981, p. 43.223 Md., p. 46.

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tradition qui se veut tradition vivante. « Ce qui fut pour d'autres, hier,

expérience est maintenant pour nous tradition ; et ce qui, aujourd'hui, est

pour nous expérience sera à son tour tradition pour d'autres demain. Mais ce

qui a été une fois expérience ne peut être transmis que dans des expériences

renouvelées ; du moins si l'on a affaire à une tradition vivante224. » Ce dont il

s'agit, dit-il, « c'est plutôt d'établir une corrélation critique recherchant

l'accord et la convergence entre : d'une part notre foi et notre agir ici et

aujourd'hui dans le cadre de notre sphère d'existence propre, et d'autre part

ce qui est rapporté dans la tradition biblique225. » Cette corrélation exige :

• une analyse du monde de notre expérience aujourd'hui ;

• une mise à jour des structures constantes de l'expérience chrétienne

fondamentale dont parlent le Nouveau Testament et la tradition

d'expérience chrétienne postérieure ;

• la mise en relation, sur un mode critique, des deux sources.

Pour lui, ce sont les éléments bibliques qui devraient structurer les

expériences actuelles des chrétiens. Structurer chrétiennement le monde de

notre expérience actuelle revient à expliciter premièrement l'expérience que

nous faisons du monde. Car aujourd'hui, les religions ne sont plus les seules

à proposer le salut, il existe d'autres instances qui en font l'objet de leurs

préoccupations. Deuxièmement, il convient de voir quelle contribution

particulière le christianisme peut apporter à ces efforts de proposer le salut. Il

s'agira de s'ouvrir et d'intégrer, de manière critique, les nouvelles

expériences226. Il serait question de percevoir la parenté étroite entre d'une

part les paroles et les actes de Jésus, sa vie et sa mort et, d'autre part, notre

propre expérience. La vie et la mort de Jésus viennent éclairer notre propre

vécu afin que nous puissions, de façon critique, discerner les véritables

possibilités humaines qui émergent de notre vie. « Ainsi le christianisme se

présente-t-il comme l'intégration de l'humain dans et par une expérience de

ressourcement : cette expérience dans laquelle, en confrontation avec

224 ibid., p. 50.™ Ibid., p. 51.226 ibid., p. 57.

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l'homme Jésus, on relie le monde, le « nous » humain et son propre moi, au

Fondement absolu, le Dieu vivant qui est notre salut227. » Deux dimensions

s'imposent dans la foi chrétienne. Cette foi se veut d'abord confessante de

l'agir de Dieu ratifiant la manière de vivre de Jésus. Ensuite, elle réclame une

pratique conforme au Règne de Dieu qui implique la marche sur les traces de

Jésus, le risque d'être opprimé et mis à l'écart par ce monde, et l'accueil

réservé à ceux qui marchent sur les traces de Jésus.

L'approche de Schillebeeckx est beaucoup plus axiologique que celle de

Tillich qui vise les conditions d'être. Pendant que le deuxième s'attache à une

philosophie religieuse pour démontrer comment la culture doit son existence

à la religion, le premier s'intéresse à la théologie chrétienne, et en particulier à

la pratique. Les deux se rejoignent cependant par le fait qu'ils proposent une

interaction entre l'anthropologie et la théologie. Cette interaction occupe une

grande place dans notre démarche, mais avant d'en examiner les implications,

il importe d'abord de saisir la manière d'appliquer la corrélation à une étude

théologique.

1.3. Démarche pour une approche de corrélation

Donzé résume l'approche de Schillebeeckx en ces termes :

« L'expérience chrétienne est une relecture de l'expérience religieuse de la

communauté à laquelle on se réfère, elle est "expérience d'expériences", c'est-

à-dire réflexions sur des expériences religieuses les transformant en nouvelles

expériences228. » Se situant dans ce courant, Donzé définit la méthode de

corrélation « comme une interaction constante entre les requêtes du temps

présent, les pratiques du peuple chrétien et les références fondatrices229 ».

Pour l'application de la démarche, il propose cinq phases230.

227 Ibid., p . 6 0 .22s Marc DONZÉ, « a r t . cit. », p . 8 9 .229 Marc DONZÉ, « La théologie p r a t i q u e e n t r e corré la t ion e t p r o p h é t i e », d a n s S. AMSLER,K. BLASER, P. BONNARD, et. al, Pratique et théologie, Genève , Labor e t Fides , 1989, p .185.230 Ibid. p . 187-190 . cf. éga lement s a c o m m u n i c a t i o n d a n s M. VISSCHER, (éd.) op. cit.,1990, p. 94-99.

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• La phase préliminaire consiste à partir d'une pratique de l'Église qui

pose problème, à déterminer un aspect spécifique de ce problème à

travers une question précise, des objectifs à atteindre, et ce, à partir

d'un champ spécifique de l'agir de l'Église. Cette phase débouche sur

les hypothèses, solutions provisoires à soumettre à la vérification.

• La deuxième phase est celle de l'analyse qui fait appel à l'apport des

sciences humaines pour la saisie du problème dans une approche

critique.

• La troisième phase est celle de la corrélation qui permet de

confronter de façon critique des situations semblables ou parallèles.

Ici, l'auteur fait appel à la notion dtiomologie structurale de Gisel231.

Cette homologie met en rapport les données de la Bible et le contexte

historique qui les porte, qu'il convient de mettre en parallèle avec les

interprétations actuelles portées elles aussi par nos contextes

d'aujourd'hui. Le recours à l'exégèse, à l'histoire et à la dogmatique

s'avère nécessaire à cette étape.

• La quatrième phase est l'étape du projet qui consiste à proposer une

pratique renouvelée à travers les données scientifiquement réfléchies

pour permettre aux instances concernées, d'avoir des éléments

fiables pouvant contribuer à des prises de décision.

La méthode de corrélation telle que proposée par Donzé met en évidence

des interactions entre les textes bibliques, le contexte qui a porté sa

production et le message biblique interprété aujourd'hui dans le contexte

actuel.

231 pierre GISEL, Vérité et histoire. La théologie dans la modernité. Ernst Kâsemann,Paris/Genève, Éditions Beauchesne/Labor et Fides, Collection, Théologie historique,1977, p. 273s et 603s, cité par Marc DONZÉ, « art. cit. », 1989, p. 189.

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2. Théologies contextuelles

L'approche corrélative nous place d'une part, devant deux contextes

socioculturels, celui de la Bible et le nôtre ; d'autre part, elle présente le texte

biblique ainsi que les différentes compréhensions historiques qui en découlent

et son message qu'il est possible d'appliquer dans les situations d'aujourd'hui.

Comprise de cette façon, la méthode de la corrélation a des affinités avec

l'inculturation ou la contextualisation.

2. 1. L'inculturation

L'inculturation se présente comme une démarche de grande portée

pour la théologie africaine. J. Masson serait le premier à façonner l'expression

« catholicisme inculture » en 1962, expression qui deviendra courante parmi

les jésuites sous la forme d'inculturation232. Hervé Carrier fait remonter

l'usage de ce terme parmi les catholiques vers 1930, mais selon lui, « c'est

seulement à partir des années 70 que les textes officiels de l'Église

l'emploient233 ». Dans sa forme vulgarisée en rapport avec le contexte de

l'Afrique, l'inculturation peut être rattachée au mot d'ordre de la négritude

lancé par Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire en 1934. En effet, la

négritude favorisera la prise de conscience de jeunes prêtres étudiant en

Europe, Vincent Mulago, Meinrad Hebga, Alexis Kagamé, Engelbert Mveng.

Dès 1956, ceux-ci publieront un ouvrage, Des prêtres noirs s'interrogent, qui

initiera les premiers essais des modèles de la théologie africaine, précurseurs

de l'inculturation en Afrique. Dans les milieux catholiques, l'inculturation

constitue un modèle important pour l'action missionnaire étrangère et locale.

Elle recouvre cependant des acceptions différentes selon les aires

géographiques.

232 David BOSCH, Dynamique de la mission chrétienne, Histoire des modèlesmissionnaires, Lomé/ Par is /Genève , Haho /Kar tha l a /Labo r et Fides, 1995, p . 599.233 Hervé CARRIER, Lexique de la culture pour l'analyse culturelle & l'inculturation,Tournai-Louvain-la-Neuve, Desclée, 1992, p. 196. Pour plus d'informations surl'introduction du terme dans l'Église, se référer à Raymond JOLY, « Inculturation et vie defoi », dans Spiritus, Tome XXVI, n° 98, 1985, p. 3-5.

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Kweshi Bimwenyi relève, qu'en Afrique, le problème de l'inculturation se

pose différemment qu'en Europe. Pour lui, « en Afrique inculturation signifie

une démarche qui permettrait au message de Jésus-Christ d'être, enfin,

réellement accueilli par l'Africain - en quête - de plénitude ; un Africain bien

situé dans son univers socio-culturel propre, et non plus un déplacé, un

arraché à son propre milieu234. » L'accent porte sur une démarche à suivre

pour une appropriation du message évangélique sans pour autant renier les

valeurs culturelles de celui qui accueille l'Évangile. Ailleurs, l'inculturation est

perçue comme un produit de la rencontre de l'Évangile avec les cultures. Pour

Pedro Arrupe, elle se définit comme :

[...] l'incarnation de la vie et du message chrétiens dans une aireculturelle concrète, en sorte que non seulement cette expériences'exprime avec les éléments propres à la culture en question (ce neserait qu'une adaptation superficielle), mais encore que cetteexpérience se transforme en un principe d'inspiration, à la foisnorme et force d'unification, qui transforme et recrée cette culture,étant ainsi à l'origine d'une « nouvelle création »235.

Cela pourrait être représenté par l'image biblique de la semence où, le

message chrétien, grandissant de l'intérieur d'une culture, signifie à la fois sa

mort et sa résurrection. David Bosch remarque qu'il n'est vraiment pas

question de « l'expansion de l'Église mais de l'Église naissant à nouveau dans

chaque nouveau contexte et chaque nouvelle culture236 ». Pour lui,

« l'inculturation présuppose un double mouvement, à savoir à la fois

l'inculturation du christianisme et la christianisation de la culture. » C'est

aussi l'opinion de Hervé Carrier qui souligne qu'il « s'agit spécifiquement de

l'interaction du Message du Christ et d'une culture donnée237 ». Ce point de

234 O. Kweshi BIMWENYI, « Incul tura t ion en Afrique e t a t t i t ude des agen t s del'évangélisation » d a n s Cahier des religions africaines, vol. 14, n° 2 7 - 2 8 , 1980, p. 4 7 .235 J ean-Yves CALVEZ, Pedro Arrupe, Écrits pour évangéliser, Par i s , Desclée d e Brouwer ,1985, p. 169.236 David BOSCH, Dynamique de la mission chrétienne, Paris/Lomé/Genève,Karthala/Haho/Labor et Fides, 1995, p. 608.237 Hervé CARRIER, Lexique de la culture pour l'analyse culturelle & l'inculturation,Tournai-Louvain-la-Neuve, Desclée, 1992, p. 195-196.

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vue est aussi celle de la Commission Théologique Internationale qui dans La

Foi et l'Inculturation, n° 11 la définit comme

l'effort de l'Église pour faire pénétrer le message du Christ dans unmilieu socio-culturel donné, appelant celui-ci à croître selon toutesses valeurs propres, dès lors que celles-ci sont conciliables avecl'Évangile. Le terme inculturation inclut l'idée de croissance,d'enrichissement mutuel des personnes et des groupes, du fait de larencontre de l'Évangile avec un milieu social. L'inculturation estl'incarnation de l'Évangile dans les cultures autochtones et, enmême temps, l'introduction de ces cultures dans la vie de l'Église238.

Un rapport trilogique entre l'Évangile, l'Église et les cultures se dégage

de ces différentes définitions. L'Église se pose comme médiation, car c'est par

elle que la culture entre en symbiose avec l'Évangile, d'autant plus que la

mission qui lui est assignée est celle de faire de toutes les eGvri, (nations,

peuples, ethnies...) des disciples (Matthieu 28, 19). Ce programme qui lui est

confié ne concerne pas des individus anhistoriques, mais des personnes en

devenir social en tension entre socialisation et individualisation. C'est

pourquoi celles-ci s'inscrivent dans une culture qui les construit et qu'à leur

tour elles construisent. Ce qui est engagé dans cette construction mutuelle est

rendu possible à travers les institutions qui se créent et se recréent. Parmi

celles-ci se trouve l'Église, caractérisée par une réalité eschatologique. Trace

de la réalité du Christ dans chaque ethnie, elle est une entité en devenir ;

mais ce devenir dépend de l'appropriation du message dont elle est porteuse.

Cette appropriation entraine la métanoia, qui avec l'inculturation quitte

désormais le domaine purement subjectif pour viser la conversion des

cultures. C'est bien d'une conversion de la culture dont il s'agit, puisque

Carrier souligne que le but de l'inculturation est l'évangélisation de la

culture239.

Que l'inculturation soit prise dans le sens d'une démarche ou d'un

produit de la rencontre de l'Évangile avec une culture donnée, il demeure

certaines difficultés à élucider. Tout d'abord, David Bosch relève à juste titre

238 Cité p a r Hervé CARRIER, op. cit., p . 196.239 Ibid., p . 199 .

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que « lïnculturation ne peut jamais être un fait accompli. On ne peut jamais

user du terme "inculture"240. » II explique cela par les mutations des cultures

et l'aspect dynamique de l'Église. Pour ce qui est des mutations des cultures,

l'histoire elle-même lui donne raison. L'Afrique des empires noirs n'est plus

celle de la colonisation, ni celle de l'euphorie des premiers jours des

indépendances et encore moins celle du troisième millénaire. Elle a changé et

continuera de changer. Partant, aucune culture n'est statique tant qu'elle est

sujette aux inscriptions des représentations des sujets qu'elle allaite et qui la

nourrissent. Dès lors, toute inculturation — si inculturation il y a — n'est que

momentanée et éphémère. Car à chaque fois qu'un changement s'opère, des

ajustements ou mieux des réajustements sont à refaire. Si l'inculturation est

comprise dans un sens dynamique, comme un processus, cela nous paraît

tout à fait indiqué, car c'est le propre même de la vie et de l'expérience

humaine.

Si elle est comprise comme un processus inchoatif, la difficulté est

levée ; mais si elle est considérée comme un produit fini, une conséquence,

une finalité, alors le problème demeure. Tout d'abord, la mission chrétienne

ne consiste pas en une conversion de la culture, mais en la conversion

d'individus vivant dans une culture dont ils peuvent se servir pour mieux

s'approprier l'évangile et le communiquer. C'est une utopie que de vouloir

convertir une culture, car dans une société donnée, il y a des sous-cultures.

Et s'attaquer à une sous-culture ou à des éléments particuliers d'une culture

ne signifie pas nécessairement une conversion de la culture. La métanoia

biblique concerne une totalité et implique une décision ou une confirmation.

S'il y a une conversion de la culture, cela passe nécessairement par celle des

individus capables d'inscrire les éléments de leur identité nouvelle dans les

sous-cultures auxquelles ils appartiennent.

Enfin, si l'inculturation implique une interaction entre la culture et le

message qu'annonce l'Église, n'y aurait-il pas altération de ce message

quelque part ? Lorsque le message biblique est proclamé dans un contexte, il

240 David BOSH, op. cit. p. 610.

109

Page 112: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

entre en relation avec une culture et il s'opère ipso facto un mouvement

herméneutique, car toute lecture est acte d'interprétation ou mieux

représentation, ou même altération. C'est pourquoi, la réalité de l'Évangile

saisie dans l'expérience humaine, constituant des traces de la Parole, se

trouve en constant mouvement de discontinuité et de continuité. Or, pour une

certaine approche d'inculturation, l'interaction dont il est question semble

unilatérale. C'est l'Église et son environnement qui doivent être affectés par le

message de l'Évangile, puisqu'on parle de conversion de la culture.

Cependant, l'expérience montre que non seulement le message biblique

transforme l'environnement et l'Église, que cet environnement transforme

l'Église, mais qu'aussi l'Église et l'environnement peuvent transformer le

message ou le déformer à travers les interprétations et les pratiques. Les

principes de communication nous enseignent que le message passe toujours

par des filtres au niveau du récepteur. Les différents conciles et les réformes

au cours de l'histoire de l'Église constituent des indicateurs de continuité et

de discontinuité qui montrent les ruptures ou les différents déplacements

herméneutiques que connaît le message biblique.

Ces déplacements relèvent justement de la dynamique même qui

caractérise les interactions entre le message biblique et le milieu qui

l'accueille. Ainsi, l'environnement socioculturel et l'Église altèrent un tant soit

peu le message prêché. Ce message est comme cette semence qui, jetée dans

la terre du cosmos, meurt pour pousser et porter des fruits, signes de vitalité

dont l'Église traduit la réalité (Jean 12, 24). Avec l'inculturation, le milieu qui

accueille le message est mis à contribution ; ce projet est également au cœur

de la contextualisation qui est souvent confondue à l'inculturation.

2. 2. La contextualisation

Lorsque nous traitons de l'inculturation, il convient de relever que

même si elle est admise dans les milieux protestants, son origine est surtout

110

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catholique241. C'est pourquoi il convient de voir dans quel sens elle pourrait

être acceptée ou adoptée en milieu évangélique. Citant Justin Ukpong, David

Bosch avance que l'inculturation constituerait un second modèle de la

théologie contextualisante242. L'inculturation et les théologies révolutionnaires

comme la théologie de la libération seraient les modèles de la

contextualisation, qui en serait le paradigme. Il en ressort une dépendance et

même une certaine confusion comme le remarque Jean-François Zorn243.

Valeer Neckebrouck, par exemple, ne semble pas voir une différence entre

inculturation et contextualisation244. Son chapitre qui traite de la

contextualisation pourrait être intitulé « inculturation ». Il écrit que c'est dans

« l'intention de ne pas esquiver dans la réalisation du projet d'inculturation, la

réalité de la mutation des structures et des mentalités, que certains

théologiens et missiologues en sont venus à préférer aux termes d'adaptation

et d'incarnation celui de la contextualisation245. » Justin S. Ukpong va dans le

même sens, quand il part du préalable que la contextualisation de la théologie

constitue le cadre porteur de la théologie de l'inculturation, de la théologie

noire et de la théologie africaine de la libération246. Nous retrouvons le même

écho chez Klauspeter Blaser pour qui l'inculturation et la libération font partie

du projet de la contextualisation247.

Le caractère englobant de la contextualisation ne pose aucun problème

ici. Ce qui suscite des interrogations est surtout cette tendance au

nivellement de deux approches venant de deux sources différentes. Une prise

en compte de ces sources contribuerait à créer « les conditions véritables d'un

241 David BOSCH, op. cit., p . 5 9 9 .242 Ibid., cf. éga lement J u s t i n UKPONG, « Wha t is Contex tua l iza t ion ? » d a n s NeueZeitschrift fur Missionswissenschaft, vol. 43, 1987, p. 161-168.243 J e a n - F r a n ç o i s ZORN, « La contextual isa t ion : u n concept théologique ? », d a n s Revued'histoire et de philosophie religieuses, vol. 77 , 1997, p . 173 .244 Valeer NECKEBROUCK, « La tierce église devant le problème de la cu l tu re », d a n sNouvelle revue de science missionnaire, vol. XXVI supp lémen t , p . 9 -164 . cf. en part icul ierles pages 63-74.245 Ibid., p . 6 8 , 7 5 .246 J u s t i n S. UKPONG, « C u r r e n t Theology. The Emergence of African Théologies », d a n sTheological Studies n ° 4 5 , 1984, p . 5 0 1 .247 Klauspe te r BLASER, La théologie au XXe siècle, Histoire-défis-enjeux, L a u s a n n e ,Édi t ions l'Age d 'Homme, 1995 , p . 2 5 2 , 2 6 0 .

1 1 1

Page 114: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

dialogue interconfessionnel et inter-théologique248 ». C'est pourquoi, Zorn,

partant de la distinction tillichienne de « principe protestant » et de

« substance catholique », soutient que la contextualisation serait d'origine

protestante et l'inculturation d'origine catholique. Bosch reconnaît sans

ambages l'origine catholique de l'inculturation, mais quant à l'origine

protestante de la contextualisation, nous l'avons trouvé assez vague. Il est vrai

qu'il écrit que Friedrich Schleiermacher est « le premier à dire que toute

théologie est influencée, sinon déterminée, par le contexte dans lequel elle

s'est développée249 », mais cela n'établit pas clairement l'origine protestante de

la contextualisation telle que nous la vivons aujourd'hui.

Cependant, Bosch relève un fait que d'autres reconnaissent aussi, la

place qu'ont jouée les théologies du Tiers Monde dans la percée décisive de ce

paradigme250. C'est surtout dans les années 1970 que le néologisme

« contextualisation » va apparaître, et ce, au cours d'une assemblée générale

du Fonds pour l'Enseignement Théologique en 1972251. L'avènement de ce

terme va marquer un déplacement que d'aucuns qualifient de rupture

épistémologique, surtout dans les Églises du Tiers Monde252. Dans une

rencontre à Dar-es-Salam, l'Association Œcuménique des Théologiens du

Tiers Monde d'un ton virulent déclare :

Les théologies d'Europe et d'Amérique du Nord sont encoredominantes dans nos Églises ; elles représentent une forme dedomination culturelle [...]. Nous rejetons comme insignifiant un typeacadémique de théologie séparée de l'action. Nous sommes prêtspour une rupture épistémologique radicale qui fasse de l'engagementle premier acte théologique253.

248 J e a n - F r a n ç o i s ZORN, « a r t . cit. », p . 1 8 1 , 176.249 David BOSCH, Dynamique de la mission chrétienne, Lomé/ Paris/ Genève,Haho/Karthala/Labor et Fides, p. 567.«o Ibid., p. 568.251 Jean-François ZORN, « La contextualisation : un concept théologique ? », dans Revued'histoire et de philosophie religieuses, vol. 77, 1997, p. 173. Cf. également David BOSCH,op. cit., p. 565 ; Stephen B. BEVANS, Models of Contextual Theology, Maryknoll, OrbisBooks, 1992, p. 21.252 David BOSCH, op. cit., p . 5 6 8 .253 Du conformisme à l'indépendance. Le Colloque de Dar-es-Salam, Paris, Harmattan,1977, p. 255, cité par Klauspeter BLASER, op. cit., 1995, p. 255.

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Ce ton, peut-être choquant pour qui n'a pas vécu le contexte des

participants à ce colloque, traduit l'esprit dans lequel la contextualisation a

émergé dans les milieux des Églises du Tiers Monde. Un certain impérialisme

théologique de la part des missionnaires occidentaux a frustré les Églises

d'Asie, d'Amérique latine et d'Afrique. Cet impérialisme touche, et au

sentiment de supériorité des missionnaires, et à la production théologique, et

à toute la vie pratique des Églises. En Afrique, tous ces aspects sont reliés,

car le missionnaire occidental témoin des avancées technologiques,

industrielles et intellectuelles de son pays se trouve souvent pris au piège, et

certains, moins que d'autres, ont été piégés par l'esprit de supériorité. C'est à

juste titre, qu'Eugène Nida remarque que « le mot missionnaire implique, aux

yeux de beaucoup, une relation irritante de supérieur à inférieur254. » Cette

supériorité s'est manifestée dans l'imposition plus ou moins subtile des

théologies élaborées en Occident et considérées comme vérités objectives et

universelles que les chrétiens des autres parties du monde doivent accepter et

mettre en application. Qu'un depositum fidei soit inséparable de la vie

chrétienne est compréhensible, mais considérer cela comme statique et

définissable que par le missionnaire occidental est discutable. La foi est

dynamique, elle est loin de la lettre qui sans esprit est morte ; elle est

également situationnelle, d'où contextuelle et contextualisable et ce, dans un

esprit d'humilité.

C'est pourquoi la contextualisation est considérée comme « un

processus dynamique, et non un processus statique [sic]. Elle constate que

toute situation humaine évolue sans arrêt et elle reconnaît la possibilité d'un

vrai changement ; en cela, elle ouvre le chemin pour l'avenir255. » Cette

perception prend en compte l'aspect évolutif de tout contexte sur le plan

social, culturel, politique et économique. Stephen B. Bevans rapporte :

254 Eugène A. NIDA, Coutumes et cultures. Anthropologie pour mission chrétienne, Traduitde l'anglais par Edouard Somerville, 5è édition, Annemasse/Bruxelles/Neuchâtel ,Éditions des Groupes Missionnaires, 1978, p. 269.255 Theological Education Fund, Ministry in Context. The Third Mandate Programme of theTEF, Bromley, New Life Press, 1972, p. 19-20, cité dans Klauspeter BLASER, Repèrespour la mission chrétienne. Cinq siècles de tradition missionnaire. Perspectivesoecuméniques, Paris, Editions du Cerf/Labor et Fides, 2000, p. 134-135.

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[...] indigenization focused on the purely cultural dimension ofhuman expérience, while contextualization broadens theunderstanding of culture to include social, political, and économiequestions. In this way, culture is understood in more dynamic,flexible ways and is seen not as closed and self-contained, but asopen and able to be enriched by encounter with other cultures andmovements256.

Pour Stephen B. Bevans, le terme contextualisation est préférable à

l'indigénisation et à l'inculturation du fait qu'il traduit une compréhension

large et dynamique de la culture et tient compte des mutations. Zorn prend

aussi la même option quand il écrit : « [...] pour des raisons tant

méthodologiques que théologiques, je préfère utiliser le terme de

contextualisation, plus ouvert et plus critique que celui d'inculturation et

assumant mieux que lui la tension entre réalité du monde et expression de la

foi257. » Comprise sous cet angle, la contextualisation sera pour la théologie

évangélique un véritable paradigme. Si son origine protestante est bien

établie, les évangéliques préféreront ce terme à l'inculturation. Dans le

premier chapitre, nous avions expliqué les réticences de ce courant quant à la

culture. Il prône une discontinuité entre le monde et la foi chrétienne, et

comme la contextualisation exprime cela et permet de maintenir la tension

entre l'évangile et le contexte qui l'accueille, il n'est pas étonnant que ce terme

circule dans les milieux évangéliques.

En 1978, le groupe d'Éducation et de Théologie du Comité de Lausanne

organise une consultation à Willowbank aux Bermudes sur les rapports entre

l'Évangile et la culture. Le sous-titre de la consultation était :

« Contextualisation de la Parole et de l'Église en situation missionnaire258 ».

Deux aspects ressortent du rapport, la communication de la Parole et la

fondation des Églises. Pour ce qui concerne la Parole, le rapport parle

256 S t e p h e n B. BEVANS, Models ofContextual Theology, Maryknol l , Orb is Books , 1992, p .22.257 J e a n - F r a n ç o i s ZORN, « ar t . cit. », p . 183.258 La culture au risque de l'évangile. Rapport de Willowbank, Lausanne, Presses BibliquesUniversitaires, 1978, p. 47.

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d'approche contextuelle qui vise la corrélation entre le contexte culturel des

lecteurs et celui des textes bibliques259. Le rapport dit :

Le lecteur ne peut pas et ne doit pas interroger les Écritures commes'il se trouvait en vase clos. Dans son approche, il doit être conscientde son arrière-plan culturel, de sa situation personnelle et de saresponsabilité envers les autres. Ce sont ces facteurs quidétermineront sa manière d'interroger les Écritures. À leur tour, lestextes bibliques ne se borneront pas à lui donner des réponses. Ilsl'interpelleront, révéleront ses présupposés culturels et corrigerontsa manière de formuler ses questions. Il sera aussi pris dans unprocessus d'interaction260.

Cette approche herméneutique prend en considération le texte biblique

et le contexte. C'est la même démarche qui se déploie dans la fondation des

Églises. Elle cherche non pas à imposer un modèle étranger, mais à ouvrir les

possibilités d'échanges pour que soient édifiées des communautés enracinées

dans la Bible et dans leurs propres réalités locales. Cette approche emprunte

sa méthode d'une théorie de la traduction basée sur « l'équivalence

dynamique ». Cette théorie « cherche à rendre pour le lecteur contemporain le

sens équivalent à celui que pouvaient saisir les destinataires originels d'un

texte261 ». Ainsi, elle permet « d'édifier une Église [sic] qui, dans sa culture,

correspondra à une bonne traduction de la Bible, grâce à la connaissance et à

l'utilisation des formes culturelles appropriées262 ». La perception de

Willowbank est reprise par Tite Tiénou dans son livre, Tâche théologique de

l'Église en Afrique263.

Malgré les propositions de la consultation, Tiénou ressent les

hésitations voire l'opposition de ses pairs quant à l'approche contextuelle.

Ainsi écrit-il :

259 Ibid., p . 2 2 .2«> Ibid., p . 2 3 .261 Rapport de Willowbank, p . 4 8 .262 Ibid., p . 4 8 - 4 9 .263 Tite TIÉNOU, Tâche théologique de l'Église en Afrique, Abidjan, Cen t r e de Publ ica t ionsÉvangél iques , 2 è m e impres s ion , 1986, 5 6 p p .

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Une approche contextuelle, que nous aimions ce terme ou non, estnécessaire et elle a en fait toujours été appliquée (plus ou moinsconsciemment et énergiquement) dans la théologie chrétienne. Ils'agit de savoir comment empêcher la contextualisation de tomberdans l'hérésie. Une bonne approche contextuelle prend au sérieux àla fois le texte biblique et le contexte culturel où le message estproclamé264.

Ce théologien burkinabé, défenseur de la contextualisation, était l'un

des participants de la consultation de Willowbank. Son livre que nous venons

de citer fut produit à la suite d'une conférence prononcée au Nigeria les 17-20

avril 1978. Il souligne que les débats sur les rapports entre le christianisme,

la culture africaine, la religion africaine et la théologie africaine ainsi que la

contextualisation ne visent autre chose que de « rendre le christianisme plus

actuel dans une situation africaine. » II ajoute : « c'est ce que nous désirons,

nous évangéliques. Nous voulons que le christianisme soit dans le cœur,

l'esprit et les actes des membres de nos Églises. Nous ne devons économiser

aucun effort pour atteindre ce but255. » Nous voyons bien que l'acceptation de

la contextualisation dans les milieux évangéliques n'a pas été une tâche facile.

Nous nous demandons même si jusqu'aujourd'hui elle ne constitue pas un

slogan pour certains au lieu d'un vrai modèle explicatif qui permet de cerner

la pensée et l'action évangélique dans le monde.

Même si évangéliques, protestants et catholiques usent du mot

contextualisation avec des accents différents, tous se rejoignent dans cette

intention de tenir compte des sources du christianisme et du contexte dans

lequel celles-ci sont relues. Ainsi, l'accent porte sur la Bible, les articulations

théologiques historiques et les contextes. Une théologie contextuelle reflétera

nécessairement les couleurs locales, aura un caractère contingent et produira

une pluralité de théologies266. Cela pose un problème pratique et un problème

théologique. Le malaise de la théologie africaine chrétienne réside dans le fait

que celui qui monte sur la scène théologique voudrait éliminer les autres

approches pour imposer la sienne. L'impérialisme théologique occidental est

264 Md., p. 29.265 Tite TIÉNOU, op. cit. p . 2 9 .266 Jean-François Zorn, « art. cit. », p. 185-187.

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reproduit inconsciemment, au lieu de reconnaître les chemins que les autres

ont tracés dans la situation qui était la leur, pour en faire une relecture afin

de proposer de nouvelles avenues. Du reste, au lieu de chercher à niveler les

tendances, il vaudrait mieux comprendre leurs rapports, non pas pour tendre

à une homogénéité, mais pour retrouver, en chacune, ce qui pourrait

contribuer à une compréhension mutuelle et un enrichissement capables de

déclencher des aménagements possibles en vue de répondre adéquatement

aux questions des différents contextes.

L'autre problème réside dans le fait que la pluralité de théologies locales

peut occulter la dimension universelle de la théologie. Par cette dimension,

nous nous référons, non pas à une théologie objective dans une acception

positiviste, mais plutôt une théologie « pour nous », celle qui se livre à

l'expérience humaine dans ce qu'elle a d'ancien et de nouveau, mais aussi de

transcendant. Ainsi est-il important de maintenir ensemble le contingent et le

permanent, la diversité et l'unité, le spécifique et le commun. Cela serait

possible si, dans sa tâche, le théologien prend en compte les interactions des

théologies d'expressions locales et historiques de la foi chrétienne. Cette

orientation permettra de marquer l'unité et la diversité telles que déployées

dans l'incarnation, fondement même de toute inculturation (perspective

catholique) ou contextualisation (perspective protestante). C'est à juste titre

que d'aucuns voient une parenté entre les mots incarnation et inculturation

et pensent que cela n'a rien de fortuit267.

2. 3. L'incarnation et les théologies contextuelles

Pour Gilles Langevin, l'inculturation s'opère dans le prolongement de

l'incarnation et désignerait « la rencontre de la révélation chrétienne avec les

cultures, il veut à la fois marquer la parenté de ce contact avec le phénomène

de l'acculturation et signifier l'originalité de ce qui imite et continue

267 Gilles LANGEVIN, « Incarnation et inculturation », dans Le Christ et les cultures dans lemonde et l'histoire, Québec, Bellarmin, 1991, p. 25. Cf. également Jean-Paul II, «Allocution du 26 avril 1979 à la commission biblique pontificale», dans Foi et culture à lalumière de la Bible, Turin, 1981, p. 24.

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l'Incarnation268 ». Vatican II va dans le même sens quand il souligne :

« L'Église, afin de pouvoir présenter à tous, le mystère du salut et de la vie

apportée par Dieu, doit s'insérer dans ces groupes humains pour le même

motif qui a mené le Christ lui-même, en vertu de son Incarnation, à se lier

aux conditions sociales et culturelles des hommes avec lesquels il a vécu » (Ad

Gentes, n°10). Cette perception est également celle du Pape Jean-Paul II

quand il écrit que « le terme "acculturation" ou "inculturation" a beau être un

néologisme, il exprime fort bien l'une des composantes du grand mystère de

l'Incarnation269 ». Ernest Piryn abonde dans le même sens, quand il propose

l'incarnation comme modèle de toute inculturation270, et désigne la personne

de Dieu et le message du Royaume comme étant les éléments incultures de

l'incarnation.

L'incarnation s'origine du à Aôyoç oàpÇ èyéveio (Jean 1 : 14) et a connu

au cours de l'histoire de l'Église, un développement qui la place parmi les

articles de la foi chrétienne interprétés et compris diversement. Différentes

appellations désignent l'Incarnation : Incorporation, Humanation,

Assomption, Économie, Dispensation, Abaissement, Descente,

Anéantissement, Mission, Epiphanie, Théophanie271. De toutes ces

expressions, celle qui jouit d'une place de choix dans la théologie chrétienne

est sans conteste l'Incarnation. Elle exprime « l'ineffable union de la nature

divine et de la nature humaine en l'unique personne du Verbe272 ». Plusieurs

textes bibliques attestent cette union : Jean 1, 1-18 ; 1 Jean 1-3 ; Romains 1,

1-4 ; 8, 3 ; 1 Timothée 2, 5 ; Philippiens 2, 5-11... Les grandes confessions de

foi dans l'histoire de l'Église y recourent et plusieurs applications en sont

faites. Elle constitue le « dogme fondamental du christianisme273 ».

268 Gilles LANGEVIN, Ibid.269 JEAN-PAUL II, « Allocution d u 2 6 avril 1979 à la c o m m i s s i o n bibl ique pontificale »,d a n s Foi et culture à la lumière de la Bible, Tur in , 1981 , p . 5-7.270 E rnes t D. PIRYNS, « vers u n e théologie j apona ise . Condi t ions , l imites, perspect ives ,dans Spiritus, n°90, 1983, p. 5.271 E d o u a r d HUGON, Le mystère de l'incarnation, Par is , Pierre Téqui , 1946, p . 4 .272 Ibid.273 Karl RAHNER, Écrits théologiques, Tome III, Par is , Desclée De Brouwer , 1 9 6 3 , p . 9 2 ;cf. Anne Marie REIJNEN, L'ombre de Dieu sur terre, Un essai sur l'incarnation, Genève,Labor et Fides, 1998, p. 11.

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Consacrée par les conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381),

l'Incarnation est promulguée comme article de la foi chrétienne. Le Symbole

dit de Nicée-Constantinople souligne dans son paragraphe concernant le

Christ les affirmations suivantes :

[...] Vrai Dieu venu du vrai Dieu,engendré, non pas créé,consubstantiel au Père ;par lui tout a été fait.Pour nous et pour notre salut il descendit des cieux ;par le Saint-Esprit il a pris chair de la Vierge Marieet il s'est fait homme274.

Ces affirmations sont scellées par le concile de Chalcédoine (451). La

confession chalcédonienne met l'accent sur les deux natures du Fils et affirme

la parfaite divinité de Jésus et sa parfaite humanité, « sans confusion, ni

transformation, ni division, ni séparation ». Ces affirmations vont meubler les

réflexions théologiques et surtout christologiques à travers l'histoire de

l'Église275. De nos jours, pendant que les uns tentent de démontrer la

permanence de Chalcédoine276, d'autres prennent du recul pour la

questionner277 et d'aucuns parlent même de « procès »278.

Les discours contemporains sur le Christ semblent se détacher

difficilement des acquis des anciens symboles de foi et démontrent à quel

274 Conseil Œ c u m é n i q u e d e s Églises, Confesser la foi commune, Par is , Édit ions d u Cerf,collection « Foi e t Cons t i tu t ion » n°153 , 1993 , p . 52. Cf. p o u r les tex tes en grec e t lat in A.DUVAL, B. LAUREL, H. LEGRAND, et. ai, (dir.), Les conciles œcuméniques, Paris , Édi t ionsdu Cerf, 1994, p. 73.275 Karl Heinz OHLIG, Christologie. Des origines à l'Antiquité tardive, t I, Du Moyen Âge àl'époque contemporaine, t. II. Paris, Éditions du Cerf, 1996. L'auteur met à la dispositiondu chercheur des textes bibliques, ceux des conciles, des Pères de l'Église et des penseurschrétiens sur les questions autour du Christ à travers l'histoire.276Pierre COURTHIAL, « Actualité de Chalcédoine », dans Foi et Vie, 75, n° 1, Paris, 1976,sous une trame conflictuelle montre la pertinence de Chalcédoine aujourd'hui pour venirà bout des « Idoles que l'humanisme ne cesse d'ériger et de substituer au Dieu de laRévélation » p. 62.277 Cf. A n n e Marie REIJNEN, op. cit. ; Wolfhart PANNENBERG, Esquisse d'unechristologie, Pa r i s , Éd i t i ons d u Cerf , 1971 ; R. MARLÉ « Cha lcédo ine ré in te r rogé » d a n sVisages du Christ, Les tâches présentes de la christologie, Paris, Desclée, 1977, p. 15-43.278 Bernard SESBOUÉ, « Le procès contemporain de Chalcédoine », dans Visages duChrist ; « Les tâches présentes de la christologie », dans Recherches de Science Religieuse,Paris, Desclée, 1977, p. 45-79.

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point l'incarnation est essentielle dans la théologie chrétienne. Cela se voit

dans les différentes élaborations théologiques et les confessions de foi. Du

côté catholique, Karl Rahner la place au centre de la foi chrétienne279, et

Joseph Moingt attire l'attention sur le fait qu'à une certaine époque, enseigner

la christologie revenait à parler du « traité du Verbe incarné » qui consistait à

commenter la formule dogmatique : « le Christ est une seule personne en deux

natures » en partant de la longue tradition de l'Église jusqu'aux auteurs

contemporains autorisés280. Barthélémy Adoukonou dans sa proposition de

repères pour une théologie africaine perçoit le mystère de l'incarnation comme

« sommet à la fois de la Théo-logie et de l'Anthropo-logie281 ».

Du côté protestant, Anne Marie Reijnen relève que « la confession de

l'incarnation est la caractéristique la plus remarquable du christianisme, par

laquelle il semble se distinguer radicalement des autres religions du Livre282 ».

Pierre Courthial est convaincu de la permanence de Chalcédoine. Après avoir

introduit sa christologie par les divers points de vue à propos de la personne

de Jésus-Christ, Henry C. Theissen souligne que « le Concile de Chalcédoine,

en 451, a établi ce qui a été depuis la position de l'Église chrétienne. Il y a un

seul Jésus-Christ, mais il a deux natures, une humaine et une divine283 ».

Chez les chrétiens du Conseil Œcuménique des Églises, après son

travail sur l'initiation chrétienne, la Commission Foi et Constitution ouvre un

nouveau chantier centré sur l'actualisation du Symbole de Nicée-

Constantinople (381) en vue de concrétiser l'unité entre les Églises. On pense

qu'une reconnaissance de ces affirmations essentielles de la foi chrétienne

pourrait aider à la reconnaissance mutuelle du baptême, de l'eucharistie et du

279 Karl RAHNER, op. cit. p . 8 1 .280 Joseph MOINGT, L'homme qui venait de Dieu, Paris, Éditions du Cerf, 1993, p. 7.281 Barthélémy ADOUKONOU, Jalons pour une théologie africaine. Essai d'uneherméneutique chrétienne du Vodun dahoméen, Paris, Éditions Lethielleux, 1980, p. xiv.282 A n n e Mar ie REIJNEN, L'ombre de Dieu sur terre. Un essai sur l'incarnation, Genève ,Labor et Fides, 1998, p. 11.283 Henry C. THEISSEN, Esquisse de théologie biblique, Fon tenay - sous -Bo i s , Farel , 1987,p. 233. Dans les milieux évangéliques, des traités de doctrines s'alignent sur la confessionde Chalcédoine ; cf. par exemple J. M. NICOLE, Précis de doctrine chrétienne, Nogent-sur-Marne, Institut Biblique de Nogent, 1998, 345 pp.

120

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ministère284. Enfin, l'Alliance Évangélique Mondiale stipule en son troisième

article de sa confession de foi qu'elle croit : « En Jésus-Christ, notre Seigneur,

Dieu fait homme, né de la vierge Marie, à son humanité exempte de péché, ses

miracles divins, sa mort expiatoire et substitutive, sa résurrection corporelle,

son ascension, son œuvre médiatrice et son retour personnel dans la

puissance et la gloire285. » Le même article se lit dans les différentes

confessions en milieux évangéliques et cela ressort dans la Constitution de

l'Église Protestante Évangélique du Burkina Faso286.

Somme toute, ce parcours nous amène à deux remarques.

Premièrement, la reconnaissance de l'incarnation comme vérité essentielle du

christianisme est un fait partagé par l'ensemble des chrétiens, quelle que soit

la compréhension qu'on en donne et les applications qu'on en tire. C'est donc

à juste titre que Bernard Besret souligne que dans l'action chrétienne,

l'incarnation a été à la base « d'un déploiement d'activités sociales en vue

d'une diffusion plus grande, non pas formellement, de la religion chrétienne

[...] mais de la conception chrétienne de la vie temporelle287 ». Il est ici

question pour les chrétiens de s'impliquer dans la vie de leurs concitoyens et

de partager simplement leur existence. Cette implication ne s'arrête pas

seulement à l'action. Elle suscite un vaste programme de réflexion sur les

appropriations explicites du message biblique par les contextes qui

l'accueillent et le propagent. C'est alors que s'établit une connexion entre

l'incarnation, la théologie noire288, la théologie de la libération289 et les

théologies dites des Tiers Mondes, théologies qui se rattachent toutes au

paradigme de la contextualisation ou de l'inculturation. Comme nous l'avions

284 Conseil Œcuménique des Églises, op. cit., 1993, p. 2, 10.285Alliance Évangélique Mondiale, Déclaration de foi, juillet 2002, Site :<http://www.worldevangelicalalliance.com/down/statefaith_fr.doc> consulté le 17octobre 2005.286 Église Protestant Évangélique, Statuts, Article 4-c, du 18 décembre 2002.287 Be r na r d BESRET, Incarnation ou eschatologie, Contribution à l'histoire du vocabulairereligieux contemporain, Par i s , Édi t ions d u Cerf, 1964, p . 4 4 .288 Anne Marie REIJNEN voit d a n s le Chr is t noir de la théologie u n e prax is d u dogme del'Incarnation, op. cit., p. 163-192.289 Leonardo BOFF, Jésus Christ, Libérateur, Tradu i t d u Brési l ien p a r François MALLEY,Paris, Éditions du Cerf, 1974, s'appuie sur l'incarnation pour donner au Christ lesappellations de notre frère aîné, comme Dieu des hommes et Dieu-avec-nous, p. 241-243.

121

Page 124: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

déjà montré, les théologies de la contextualisation expliquent leur raison

d'être et d'agir en se fondant sur l'incarnation. Elles la considèrent comme un

exemple, ou un paradigme duquel la pensée et l'agir chrétiens tirent leurs

modèles.

Deuxièmement, que nous soyons dans une perspective catholique ou

protestante, une constante s'impose, l'interaction. Dans la corrélation comme

dans l'inculturation ou la contextualisation, il est toujours question

d'interactions entre le message biblique et le contexte de sa réception. Pour la

compréhension de cette notion et la place qu'elle tient dans notre approche de

l'initiation, nous avons fait appel à l'interactionnisme symbolique. Il nous

servira dans la construction du schéma ou grille, qui nous permettra de lire

les rapports dans une situation éducative.

3. L'interactionnisme symbolique

L'interactionnisme symbolique est un courant sociologique qui met en

évidence l'importance de l'aspect symbolique de la vie sociale.290 Il souligne

que « les gens interagissent par l'intermédiaire de symboles et partagent des

perspectives ou des manières de considérer la réalité sociale qui leur sont

particulières291 ». Ce courant prend en compte les acteurs, les interactions, les

symboles, une vision partagée et la réalité sociale. Attaché à l'École de

Chicago avec le nom de G. Mead comme inspirateur et H. Blumer comme

diffuseur292, l'interactionnisme symbolique se donne comme un espace de

conciliation entre savoir scientifique et savoir populaire ou ordinaire dont

nous allons relever quelques caractéristiques.

290 Cf. Alex MUCCHIELLI, Les méthodes qualitatives, Pa r i s , PUF, 1 9 9 1 , p . 14 e t AlainCOULON, « In te rac t ionn i sme symbolique», d a n s Alex MUCCHIELLI (dir.), Dictionnaire desméthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin/Masson,2002, p. 107.291 Yves POISSON, La recherche qualitative en éducation, Sillery, P re s se de l 'Université d uQuébec, 1990, p. 26.292 Alain, COULON, op. cit., 2 0 0 2 , p . 107.

122

Page 125: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

3. 1. Sens commun et savoir scientifique

Pendant longtemps, on a cru que la compréhension de la réalité sociale

ne peut être appréhendée que par un certain travail d'érudition. Selon

Durkheim, « s'il existe une science des sociétés, il faut bien s'attendre à ce

qu'elle ne consiste pas dans une simple paraphrase des préjugés

traditionnels, mais nous fasse voir les choses autrement qu'elles

n'apparaissent au vulgaire293. » Cette vision de la construction du savoir, bien

que compréhensible, discrédite la connaissance ordinaire, écartant du même

coup une grande majorité des acteurs. Ainsi, les scientifiques semblent être

les seuls habilités à offrir une connaissance crédible. L'interactionnisme

symbolique prend le contre-pied pour réclamer une construction des savoirs

beaucoup plus démocratique, par conséquent, il prône l'implication effective

de tous les acteurs et la prise en compte du sens commun. L'intérêt est

désormais centré sur les acteurs eux-mêmes et non seulement sur une classe

de spécialistes qui croient avoir le monopole du savoir. Une nouvelle

maïeutique émerge, et comme Socrate avait l'habitude de rappeler, que le

savoir n'était pas plus à lui qu'à son interlocuteur, et qu'il se donnait le devoir

d'accoucher les âmes, ainsi pourrait-on présenter l'interactionnisme

symbolique aujourd'hui. Il s'élève contre les nouveaux sophistes pour

réclamer le droit à tous d'être acteurs, dans la construction des savoirs. Car

« l'étude de la culture sous-entend que soit compris le sens que les acteurs

attribuent eux-mêmes à leurs comportements, à leurs croyances et aux rituels

propres à leur société294. »

293 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, Par i s , F l ammar ion , 1988, p .7 1 , cité p a r Alvaro P. PIRES, « De que lques enjeux ép i s témolog iques d ' u n e méthodologiegénéra le p o u r les sc iences sociales » d a n s J e a n POUPART, J e a n - P i e r r e DESLAURIER,Lionel-Henri GROULX, et. al. (dir.), La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques etméthodologiques, Bouchervil le, Gaé tan Morin Édi teur ltée., 1997, p . 2 8 .294 J a c q u e s HAMEL, « Bref rappe l his tor ique de l 'é tude monograph ique en sociologie et enanthropologie », d a n s Études de cas en sciences sociales, 1997, p . 27 .

123

Page 126: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Le film "l'enfant de la paix" de Richardson295 offre une bonne

illustration de la place qu'il convient d'accorder à l'interactionnisme

symbolique. L'histoire se passe en champ de mission chrétienne, en Nouvelle

Guinée Occidentale. Un missionnaire arrive dans un village et constate que

les gens se livrent très souvent à des conflits armés contre les villages voisins.

Pour lui, ces personnes étaient les cibles appropriées du message chrétien.

Alors, il entreprend d'abord l'apprentissage de la langue et commence à

évangéliser. Il leur parle du Christ qui s'est offert pour le salut des hommes,

raconte comment il a été trahi par son ami Judas et dépeint sa mort et sa

résurrection. À son grand étonnement, les gens prenaient Judas pour un

héros et l'appréciaient plus que le Jésus qu'il tente de faire accepter.

N'arrivant pas à comprendre ce comportement, il cherche à saisir la logique

sous-jacente à la manière de ces populations de comprendre son message.

C'est alors qu'il découvre que pour ces tribus, arriver à trahir un ami signifiait

faire preuve de beaucoup de courage et d'intelligence. À présent, il comprenait

que son message n'atteignait pas le but escompté.

Un jour, il est témoin d'une scène qui va transformer sa façon de voir

les choses. Deux villages se livrent à des combats violents et meurtriers.

Beaucoup des guerriers tombent sur le champ de bataille. Une femme voyant

que la guerre tournait en défaveur de son village, amène son bébé et l'offre au

village ennemi et les combats cessent. Le missionnaire décide de comprendre

ce geste. On lui explique que l'enfant que la femme a offert est l'enfant de la

paix et que tant que cet enfant vivra dans le village ennemi, la paix va régner

et personne ne doit créer le moindre problème dans les villages liés par

l'enfant de la paix.

Ces informations furent une source d'inspiration pour le missionnaire.

Dès lors, pour faire comprendre l'évangile il montra aux gens que pour la paix

entre Dieu et les hommes, Dieu envoya Jésus comme l'enfant de la paix aux

hommes. Après avoir entendu ce message, ceux-ci changèrent de

295 Ce film est une interprétation du livre de Don RICHARDSON, Peace Child, Ventura,Régal Books, 1974. La traduction française a paru sous le titre de L'Enfant de la PaixMiami, Vida, 1981.

124

Page 127: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

comportement envers son Jésus et envers Judas. Ils trouvèrent alors que ce

que Judas avait fait était inadmissible, car on ne doit jamais faire du mal à

l'enfant de la paix. Depuis ce temps, les villages ayant la tradition de l'enfant

de la paix acceptèrent en masse le message du missionnaire.

Ce film permet de voir que lorsque des cultures se rencontrent, il

s'engage un processus de dialogue d'où des interactions qui permettent une

bonne communication et offrent une compréhension plus juste de la réalité.

Chaque phénomène, chaque événement culturel est riche de significations

que seuls les acteurs peuvent mieux saisir et transmettre. Pour faire passer

son message, le missionnaire a dû être attentif aux gestes et comportements

de la société dans laquelle il s'est retrouvé. Tant qu'il n'avait pas encore

compris les représentations que se faisaient ces gens de leurs gestes et

comportements, il était difficile de se faire comprendre ; il fallait qu'il soit

attentif et observe de façon participative, afin d'arriver à des corrélations

constructives. Ainsi a-t-il réussi à mettre en pratique une approche

contextuelle.

Cette illustration nous permet en outre de comprendre pourquoi dans

l'interactionnisme symbolique une place de choix est laissée aux acteurs. En

mettant l'accent sur les acteurs, justice est faite à ceux-là mêmes qui sont

comme « les matières premières du savoir » ou les sources attitrées du savoir

local, afin qu'eux aussi soient actionnaires directs des usines de fabrication

des savoirs. Rien d'étonnant, que les esprits imbus d'exploitation se voient

menacés car désormais ils ne pourront plus jouir tout seuls des honneurs que

leur procurait leur statut de spécialistes296 !

Certes, cette place accordée aux acteurs directs pose un certain nombre

de difficultés notamment celles du subjectivisme et de la crédibilité de leur

savoir. L'opposition objectivité et subjectivité refait surface dans les

296 Ici nous faisons référence aux positions sur la neutralité en sciences sociales,notamment celles d'Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, Paris,Flammarion, 1988 ; Alvaro. P. PIRES fait un tour de la question dans son article« Recentrer l'analyse causale ? Visages de la causalité en sciences sociales et en recherchequalitative » dans Sociologie et sociétés, vol. 25 n° 2, 1993, p. 191-209.

125

Page 128: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

discussions. Le positivisme considère que pour tout travail crédible, il importe

d'être objectif, de garder une certaine distance avec l'objet d'étude. Mais, est-

ce possible d'écarter toute subjectivité ?

3. 2. Objectivité et subjectivité

A. Laperrière relève que « l'importance de la subjectivité dans l'analyse

des phénomènes sociaux a été fortement soulignée par les approches

interprétative (Weber), phénoménologique (Schutz) et interactionniste (Mead et

Blumer)297 ». Raymond Lemieux soutient que la condition d'existence de

l'objectivité serait la subjectivité298. Stanley Fish va dans le même sens

lorsqu'il aborde la question de la théorie de l'interprétation. Il insiste qu'un

pur subjectivisme et un pur objectivisme ne sont qu'illusoires. Il explique cela

en partant des « penchants personnels » et des « contraintes externes299 ». Il

relève qu'en voulant mettre ces termes en opposition, cela implique que les

penchants personnels « trouveraient leur origine dans le sujet individuel en

dehors de toute influence d'un contexte normatif, public ou social [...]. Mais

comment imaginer que de telles préférences puissent se développer en dehors

de tout contexte conventionnel300 ? » Par conséquent, les préférences

personnelles sont le produit d'un conditionnement ; ce qui fait que l'homme se

trouve, qu'il le veuille ou non, sous une contrainte inhérente à sa situation

d'existant dans une société dans laquelle il est tenu d'inscrire son imaginaire

pour la construire. Il déduit de son argumentation la conséquence qui

s'impose au niveau de la société en rapport avec les contraintes externes que

le sujet expérimente. Pour lui, la société elle-même n'a rien d'objectif étant

donné qu'elle est aussi le produit des inscriptions des préférences

297 Anne LAPERRIÈRE, «Les cr i tè res de scientificité d e s m é t h o d e s qualitatives», J e a nPOUPART, J e a n - P i e r r e DESLAURIER, Lionel-Henri GROULX, et. al, (dir.), La recherchequalitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques, Boucherville, Gaétan MorinÉditeur ltée., 1997, p. 367-368.298 R a y m o n d LEMIEUX, L'intelligence et le risque de croire. Théologie et sciences humaines,Québec, Fides, 1999, p. 40.299 Stanley FISH, Respecter le sens commun. Rhétorique, interprétation et critique enlittérature et en droit, Paris, LGDJ, 1995, p. 10.300 Idem.

126

Page 129: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

personnelles. Partant, l'action d'interpréter démontre que l'objectivité et la

subjectivité, loin d'être inconciliables, sont, dans le concret, les deux ailes du

même oiseau. Dès lors, les expériences sociales conjuguent à la fois et la

compréhension des acteurs et les contraintes que leur impose le milieu. C'est

pourquoi tout acteur s'inscrit dans une culture qui le construit et qu'à son

tour, il contribue à construire.

L'interaction se vit entre les individus d'un même milieu social à travers

les symboles qu'ils interprètent dans leurs rapports301. En interagissant, les

gens construisent mutuellement leurs savoirs, mais aussi leurs identités. Ces

interactions s'opèrent non seulement sur un plan individuel à travers les

représentations intériorisées, mais elles se vivent avec l'altérité, le semblable

et tout l'environnement local et universel ; elles sont au centre même de

l'expérience humaine.

Le courant interactionniste peut éclairer la démarche heuristique en

théologie, par le fait qu'il prône la production des savoirs proches des acteurs

directs. Dépassant les oppositions subjectivité/objectivité, savoir

scientifique/sens commun, il plaide pour un savoir qui part du terrain, et non

pas uniquement ou nécessairement d'un laboratoire. Le chercheur entre dans

une relation empathique avec les acteurs pour observer de façon participative

en vue de déceler la compréhension propre au milieu d'étude. Cette

compréhension se donne à travers les interactions des gens entre eux et des

objets qui les entourent. Le schéma III-1 synthétise notre compréhension de

l'interactionnisme. Ce schéma constitue pour nous un cadre de référence et

de lecture des thématiques qui sont abordées dans la présente thèse.

301 Yves POISSON, op. cit., p. 26.

127

Page 130: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Schéma III-1 : Schématisation de l'interactionnisme

Les différents cercles tentent d'illustrer les composantes d'une situation

d'interactions, sur le plan de la construction des savoirs. D'une part, nous

avons l'objet qui se donne à l'expérience c'est-à-dire la réalité ou l'en-soi pour

nous ou phénomène dans une perspective kantienne. Ces objets peuvent être

matériels ou immatériels et se donnent à la perception sous forme de

représentations, résultantes d'une herméneutique. D'autre part, nous

trouvons l'ego et l'alter ego ou le moi et son vis-à-vis qui interagissent

mentalement et verbalement, mais aussi avec les objets qui les entourent et

qui s'offrent à leurs expériences quotidiennes. Ces interactions sont

représentées par les différents espaces créés par les points de rencontre des

cercles. Celles-ci sont vécues dans différents contextes : géographique,

historique, politique, économique, social, culturel... Ainsi, partant de la

situation en jeu, des interactions entre les différentes composantes

découleront des résultantes, qui elles aussi, dans la logique interactionniste

déboucheront sur une résultante centrale ou fondamentale.

En conclusion, le survol de la méthode de la corrélation, de

l'inculturation et de la contextualisation sont des approches intrinsèquement

liées à la vérité de l'incarnation. Les interactions dont parlent ces approches

128

Page 131: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

dénotent leur ancrage sociologique. Ces interactions qui fondent les rapports

dans la société, président à la construction des savoirs et pratiques ainsi qu'à

la construction des identités. Le courant interactionniste vient en ce moment

éclairer la compréhension de ces relations mises en œuvre dans les approches

théologiques302. Partant, ces différentes approches et l'interactionnisme

constituent des repères théoriques pour une théologie qui vise les pratiques

chrétiennes dans une société donnée. Ils permettent de comprendre les bases

théologiques, sociologiques et pédagogiques sur lesquelles nos propos

s'appuient.

Théologiquement, ces propos s'enracinent dans les méthodes,

approches et paradigmes qui mettent l'accent sur le rôle que jouent les

situations locales dans les discours et les pratiques de l'Église. Ils cherchent à

comprendre les rapports qu'entretient le christianisme avec les cultures

locales, en l'occurrence, celle des Lobi du Burkina Faso. Pour ce faire, les

sources du christianisme, en particulier la Bible et les élaborations

théologiques historiques qui en découlent, ainsi que les pratiques éducatives

de l'Église en milieu lobi, et l'initiation traditionnelle lobi sont mises à

contribution pour voir ce qui résulte de leurs interactions.

Sociologiquement, l'accent porte sur les enjeux de ces interactions. La

réception du message biblique passe nécessairement par des filtres, ce qui

implique la prise en compte des individus qui communiquent entre eux, de

leurs acquis personnels et sociaux, leur environnement et leurs approches

dans le traitement des informations. En plus, la compréhension que se font

les individus d'un phénomène, réside dans les référents qu'ils partagent et

leur capacité de les mettre en rapport avec les nouveaux éléments auxquels ils

peuvent être confrontés. En milieu lobi, les évangéliques semblent avoir oublié

que pour que le Lobi s'approprie le message biblique dans sa profondeur, son

espace éducatif doit être pris en compte. Il est donc important de comprendre

302 Peut-être qu'un jour, on pourrait parler de théologies interactionnistes dans lathéologie pratique! Pour donner un cadre théorique des différentes corrélations entre lesdonnées bibliques et les contextes de réception, l'interactionnisme pourrait offrir despistes intéressantes.

129

Page 132: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

cet espace et les valeurs qu'il prône. Pour cela, une grille de lecture s'avère

nécessaire afin d'aller chercher les informations de façon précise. Le chapitre

qui suit prolonge notre cadre théorique et offre les composantes nécessaires à

la construction de cette grille.

130

Page 133: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

CHAPITRE IV

STRATÉGIE PÉDAGOGIQUE ET INITIATION

Le général André Beaufre303 et Jean-Paul Charnay304 soulignent que le

terme stratégie fait partie du vocabulaire militaire. D'origine grecque,

orpcrcavoç (stratagos), il se compose de deux mots, atpaxoç (stratos) = armée

et ccyeiv (agein) = conduire. De là viennent les idées d'art militaire, de direction

d'une expédition armée, desquelles découlent plusieurs autres définitions.

Partant d'une étude philologique du terme, Charnay fait un parcours

historique pour démontrer son évolution sémantique recouvrant les aspects

pratiques et conceptuels. L'auteur parle d'une « explosion lexicale » et de

« débordement » à l'époque contemporaine, du fait que la stratégie est

assimilée à toutes sortes de notions. Ainsi, recouvre t-elle des politiques

d'actions, des attitudes et comportements à tenir, des dispositifs, des règles

de jeux, des méthodes, des théories, des moyens, des tactiques, des

processus, des démarches, etc. En outre, elle couvre des domaines politiques,

économiques, littéraires, scientifiques et religieux. Charnay exprime cette

évolution en ces termes :

Ainsi se délite, dans le langage contemporain, le concept destratégie. La multiplicité de ces applications lexicales à desdomaines hétérogènes, mais que le langage courant pense vivifier,dramatise en leur décernant des métaphores guerrières (économie,religion, publicité...) détermine un affadissement des significationspuisque le mot stratégie désigne maintenant des éventails d'actionset de conduites s'étendant : des règles et des modes d'emploi auxprocessus de recherche et de création les plus élevés ; des pratiquesindividuelles et des pratiques sectorielles aux attitudes et auxorientations finalisées par une vision philosophique ou religieuse

303 André BEAUFRE, Introduction à la stratégie, Paris, Economica, 1985.3<* Jean-Paul CHARNEY, Critique de la stratégie, Paris, Hernes, 1990.

131

Page 134: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

globale ; des moyens et des techniques aux méthodes et destactiques305.

En dépit de l'appauvrissement que ces différents emplois peuvent faire

subir au terme dans son acception originelle, son irruption dans d'autres

domaines s'avère enrichissante. Une des définitions, qui tout en gardant

l'esprit militaire, offre un plus grand éventail sémantique est celle du général

Beaufre pour qui la stratégie serait « l'art de la dialectique des volontés

employant la force pour résoudre leur conflit306 ». Cette définition souligne

quatre composantes de l'acte stratégique : une situation, une relation, un but

à atteindre et des moyens déployés. Comment ces éléments peuvent-ils

s'appliquer à une situation éducative pour créer un espace pour l'initiation ?

Partant des indicateurs d'une action stratégique, nous verrons leur ancrage

dans une stratégie pédagogique pour enfin construire une grille qui servira à

mettre en évidence les différents espaces d'une situation éducative afin de

déterminer quelle place peut être réservée à l'initiation.

1. Définition de la stratégie

Étroitement lié au vocabulaire militaire, le mot stratégie a vu son

champ sémantique élargi par son utilisation multidisciplinaire. Plusieurs

domaines de la culture s'y réfèrent en lui redonnant un contenu nouveau, ce

qui entraîne une certaine complexité. De l'art et de la science militaire elle se

définit aussi comme une démarche, un processus, des dispositifs, des

méthodes, etc. Ensuite, il met en évidence cinq composantes qui permettent

d'identifier une action stratégique. Le facteur déclencheur qui pourrait se

comprendre comme le désir de se mettre en valeur, implique une recherche

d'identité. Or, qui parle d'identité pose conséquemment la question d'altérité,

et donc celle de la relation à l'autre, qui peut être gérée dans ce cas, soit par

la négation de l'autre, soit sa réification, soit par la rationalisation. Cette

gestion vise un but, celui d'amener l'autre à une décision qui ne mette pas en

305 J e a n - P a u l CHARNEY, op. cit., p . 5 1 .306 André BEAUFRE, op. cit., p . 16.

132

Page 135: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

péril la relation telle que perçue par le plus fort. Enfin, pour atteindre ce but

des ressources sont mobilisées. Celles-ci comprennent deux éléments, d'une

part, les moyens matériels et psychologiques et d'autre part, les institutions.

Si une action stratégique se caractérise par un facteur déclencheur, un

but, des ressources et des relations, il en ressort une certaine organisation ou

plan pour reprendre l'expression de Legendre307. Partant, quelle application

les pédagogues en font-ils dans le cadre de la situation éducative et plus

particulièrement à la pédagogie ? En quoi peut consister une stratégie

pédagogique ?

2. La stratégie pédagogique selon Legendre

La stratégie pédagogique est comprise comme un « plan d'action où la

nature et les interrelations des éléments du sujet, de l'objet, de l'agent et du

milieu sont précisées en vue de favoriser les adéquations les plus

harmonieuses entre ces quatre composantes d'une situation pédagogique308 ».

Cette situation est illustrée par trois sous-ensembles dans un grand

ensemble, le tout représenté par le schéma309 ci-après.

L'explication de ce schéma part d'un modèle systémique310 appliqué à la

situation pédagogique. Ainsi définit-il le système comme « une façon

rationnelle de classifier des éléments différents et d'illustrer les interrelations

entre eux311 ». Trois composantes importantes ressortent de cette définition :

307 Lucie SAUVÉ, « Éléments d'une théorie du design pédagogique en éducation relative àl'environnement. Élaboration d'un supramodèle pédagogique », Vol. I, Thèse de doctoratprésentée à l'Université du Québec à Montréal, avril, 1992, 400 pp. reprend la définitionde Legendre dans son étude sur la question de l'environnement dans l'éducation.308 Renald LEGENDRE, Dictionnaire actuel de l'Éducation, M o n t r é a l / P a r i s , Guér in /ESKA,1993, p. 1187.309 Nous avons tiré ce s c h é m a de Renald LEGENDRE, L'éducation totale, Mont réa l /Par i s ,Édit ions Vil le-Marie/Édit ions Fe rnand Nathan , 1983, p . 2 7 1 .310 Pour comprendre la systémique dans l'acception pédagogique, ChristianeMONTANDON, Approches des dispositifs pédagogiques. Enjeux et méthodes, Paris,L'Harmattan, 2002, y réserve un chapitre à ce sujet, p. 55-80.311 Renald LEGENDRE, op. cit., p. 338. Pour les auteurs de L'éducateur et l'approchesystémique. Manuel pour améliorer la pratique de l'éducation, Paris, UNESCO, 1981, p. 9-10, le système est « un ensemble d'éléments distincts qui réagissent les uns sur les autresen fonction d'un but déterminé. Chaque système constitue donc une totalité, c'est-à-dire

133

Page 136: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

le caractère construit du système, la diversité des parties constitutives et le

caractère interactionniste de ces parties. Ludwig Von Bertalanffy, à qui est

attribuée la paternité de la notion du système, donne la définition suivante :

« un complexe d'éléments en interaction312 ». Il convient évidemment d'ajouter

le caractère d'unité, car à la base de la théorie sur les systèmes, était la

volonté de saisir dans la complexité des sciences ce qui les rapproche ou les

unit313.

Schéma IV-1 : Situation pédagogique A

Relationd'apprentissage

Relationd'enseignement

un ensemble cohérent et indivisible, susceptible d'être distingué dans son environnement.Cette totalité est une totalité organisée, l'organisation résultant de l'interactiondynamique et réciproque de ses différents éléments constitutifs. Aussi toutetransformation d'un élément déterminera-t-elle la modification des autres éléments et,par suite celle du système entier. » Pour Chantale BOILY, « Un système est un ensembled'éléments solidaires les uns des autres et formant un tout. », Guide pratique d'analysesystémique, Montréal/Paris, Gaétan Morin, 2000, p. 11.312 Ludwig Von BERTALANFFY, Théorie général des systèmes, Traduit par Jean BenoîtChabrol, Paris, DUNOD, 1973, p. 53, cf. également p. 3.313 Ibid., p. 35-37.

134

Page 137: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Après cette mise au point, Legendre explique chaque entité du schéma.

Pour lui, le Sujet serait central dans une situation pédagogique. Celui-ci est

perçu sous trois dimensions. Il s'applique premièrement à toute personne en

situation d'apprentissage (étudiant, enseignant). Deuxièmement, il touche les

différentes opérations qui entrent en jeu dans les apprentissages (activités

menées pour s'éduquer). Troisièmement, il concerne les moyens comme les

outils didactiques qui servent à atteindre les objectifs d'apprentissage. Pour ce

qui est de la constante Objet, il la définit comme l'ensemble des objectifs

généraux qui justifient la raison d'être d'un système éducatif314. Ces objectifs

sont soumis à la décision des personnes impliquées et planifiés à l'aide

d'opérations bien définies. L'Agent quant à lui, constitue l'ensemble des

ressources humaines et matérielles nécessaires au Sujet pour atteindre

l'Objet. Ainsi, peut-il désigner les personnes, les moyens et les processus mis

à contribution dans la situation pédagogique. Enfin, ces trois dimensions sont

portées par le Milieu ou l'environnement éducatif dans lequel se déroule

l'action pédagogique. Partant de ces explications, Legendre en construit des

relations à partir des formules suivantes315.

Tableau IV-1 : Formules des relations pédagogiques

S = f(O, M, A):

O = f(S, M, A):

A = f (S, 0, M) :

M = f (S, 0, A) :

le développement du SUJET est tributaire de la nature del'OBJET d'apprentissage, des ressources réunies par l'Agent àcet effet et de la qualité du MILIEU éducationnel du SUJET ;

la nature de l'OBJET d'apprentissage est soumise au niveaude développement et des attributs du Sujet, aux objectifsgénéraux et aux disponibilités d'un MILIEU éducationnel etest fonction des ressources disponibles dans la composanteAGENT ;

la nature et l'agencement des éléments de l'AGENT doiventcorrespondre à l'état du développement du SUJET, à lanature de l'OBJET concerné et aux possibilités humaines,matérielles et financières d'un MILIEU éducationnel ;

Les caractéristiques d'un MILIEU doivent tenir compte del'état de développement des trois composantes fondamentalesde l'apprentissage : SUJET, OBJET ET AGENT.

Renald LEGENDRE, op. cit., p. 273.ibid., p. 277-278.

135

Page 138: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Cette construction met en évidence l'interrelation et l'interdépendance

des composantes de la situation pédagogique. En effet, l'un des objectifs de

l'auteur était de substituer aux regards atomisant sur l'éducation une vision

globale316. Toutefois, à vouloir mettre l'emphase sur les relations, et surtout

sur la totalité, le risque de perdre de vue le caractère particulier de chaque

composante de la situation éducative n'est pas à négliger. C'est pourquoi,

prenant conscience de ce risque, nous adoptons néanmoins ce schéma, car il

se rapproche de la grille de lecture que nous avions pu dégager plus haut. En

revanche, une petite modification s'impose en rapport avec cette grille. Il

serait intéressant de croiser les ensembles pour montrer les éléments entrant

en relation et ceux des ensembles que les relations pédagogiques n'épuisent

pas. Il suffirait de remplacer les flèches par des croisements, ce qui donnerait

des sous-ensembles. Ainsi, nous aurons le schéma ci-après.

Schéma IV-2 : Situation pédagogique A'

316 Ibid, p . 11.

136

Page 139: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Il conviendrait également de veiller à ce que certains termes ne prêtent

pas à confusion. Les termes SUJET et AGENT se recoupent car dans les

définitions, le Sujet est assimilé à l'étudiant ou à l'enseignant. « La

composante SUJET peut également inclure tout éducateur qui profite de

l'exercice de sa profession pour en tirer continuellement de précieux

enseignements317. » Si cela est juste, il faut ajouter que le SUJET est aussi

facilitateur de ses apprentissages et que cela n'est pas uniquement l'apanage

de l'AGENT. D'ailleurs, l'auteur semble le reconnaît, car, des personnes

impliquées dans cette composante, il relève la présence des élèves318. Pour

plus de clarté, nous avons préféré le terme ACTEURS pour désigner ces deux

entités comme ressources humaines de la stratégie éducative, car le SUJET et

l'AGENT sont en définitive ceux qui agissent et interagissent dans la situation

d'apprentissage. En outre, mettre les ressources humaines et les ressources

matérielles sous le registre AGENT, bien que légitime, pourrait être mieux

compris si elles étaient détachées. Dans le cadre de nos analyses du joro,

nous nous sommes servi des termes voies et moyens pour désigner les

ressources non humaines mises en œuvre pour atteindre les objectifs de

l'initiation.

En somme, plusieurs typologies ont été élaborées pour rendre compte

des connaissances en matière de pédagogie319. Les typologies qui nous ont

apparu plus indiquées pour le présent travail sont celles construites par

Legendre dont il a déjà été question, et celles de Jean Houssaye et d'Abel

Pasquier.

317 ibid.,p. 272.318 Ibid., p . 274 .319 Yves BERTRAND dans son ouvrage Théories contemporaines de l'éducation, Montréal,Éditions Nouvelles AMS, 1998, donne un aperçu des auteurs qui ont travailler sur lesclassifications (p. 13).

137

Page 140: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

3. Le triangle pédagogique selon Houssaye

Un des cadres théoriques qui permet de comprendre les fondements qui

sous-tendent les projets d'éducation à la foi est le triangle pédagogique320.

Dans Théorie et pratiques de l'éducation scolaire (1) Le triangle pédagogique321,

Jean Houssaye donne un aperçu des pratiques et théories pédagogiques à

partir d'un triangle. Les angles du triangle représentent : le savoir, le

professeur et l'étudiant, (cf. schéma ci-après)

Schéma IV-3 : Le triangle pédagogique

Les côtés représentent les différentes relations qui caractérisent ces

composantes, et Houssaye considère cela comme un processus322. « Les

processus sont au nombre de trois : « enseigner », qui privilégie l'axe

professeur-savoir ; « former », qui privilégie les rapports professeur-élèves ;

« apprendre », qui privilégie l'axe élèves-savoir323. » Dans le processus

« enseigner », l'accent porte sur la personne de l'enseignant, les contenus, les

programmes, les cours magistraux. C'est le propre de la pédagogie

320 Cf. FOSSION, A n d r é e t RIDEZ Louis, Adultes dans la foi. Pédagogie et catéchèse,Bruxel les , L u m e n Vi tae , Collection «Théologies p ra t iques» , 1987; Abel PASQUIER,«Typologie des mécanismes du transmettre» dans Essais de théologie pratique. L'institutionet le transmettre, Paris, Beauchesne, Collection «Le point théologique» n° 49, 1988.321 J e a n HOUSSAYE, Théorie et pratique de l'éducation scolaire, Le triangle pédagogique, 3 e

édition, Bern/Berlin/Bruxelles/Frankfort/New York/ Oxford/Wien, Peter Lang, 2000,299 pp.322 Ibid., p . 3 5 . Cf. é g a l e m e n t J e a n HOUSSAYE, La pédagogie : une encyclopédie pouraujourd'hui, Paris, ESF éditeur, 1996, p. 17.323 J e a n HOUSSAYE, op. cit., 1996 , p . 16.

138

Page 141: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

traditionnelle. Quand la situation pédagogique privilégie ce processus, les

autres processus se trouvent marginalisés ou alors restructurés autour de la

composante dominante324.

Le processus « former » privilégie le rapport formateur-formé en

excluant dans un premier temps le rapport au savoir. L'objectif est moins le

savoir que des procédures, l'accent est placé sur la méthode, sur

l'entraînement d'où le nom « former ». Une distance est prise par rapport à

l'attitude directive, pour une mise en place de structure proche de la

pédagogie institutionnelle. Ce type de pédagogie remet en cause le

fonctionnement actuel de l'école pour que des groupes se constituent et

s'organisent pour trouver un mode de fonctionnement leur permettant

d'acquérir les connaissances désirées325.

Le processus « apprendre », mieux toléré par l'institution selon

l'expérience de Houssaye326, est centré sur le rapport de l'apprenant au savoir.

Les derniers courants pédagogies semblent s'orienter vers ce processus. « Le

professeur se veut alors organisateur de situations de formation où il met

directement les élèves en contact avec le savoir327 ». Il n'est plus le médium

direct par lequel passe le savoir. Les cours magistraux peuvent continuer à

condition qu'ils s'inscrivent dans un ensemble de moyens et de méthodes à la

disposition des élèves.

Le mérite de l'auteur est d'avoir réussi à établir une grille de lecture de

la « situation éducative », ce qui lui a permis de couvrir un grand nombre de

concepts, d'auteurs et de pratiques pédagogiques en éducation. Son principe

organisateur a été l'opposition du processus « enseigner » aux autres

processus du triangle pédagogique. La démarche dialectique lui permet de

démontrer que le processus « apprendre » introduit l'ère de la synthèse,

laquelle s'approche préférentiellement de l'antithèse, le processus « former »,

324 Ibid., op. cit., 2 0 0 0 , p . 3 5 .325 Ibid., p . 3 6 .326 Ibid., p. 36, 167. Dans ce cas il s'agit du collège dans lequel il était professeur, mais lanotion d'institution est beaucoup plus complexe. Houssaye développe cette notion dansles pages 119-126. Cf. en particulier les pages 125 et 126; op. cit., 1996, p. 19-20.327 Ibid., p . 36 .

139

Page 142: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

et s'éloigne inexorablement de la thèse, le processus « enseigner ». Toute la

démonstration vise la décapitation de la pédagogie traditionnelle, mais comme

il n'est pas bienséant de « jeter le bébé avec l'eau du bain » force est de

reconnaître que la nuance est compagne du dialogue et le dialogue signe de

maturité, encore faut-il qu'il s'insère et se tienne dans le respect d'autrui.

Le schéma dont se sert Houssaye pour illustrer la situation

pédagogique ouvre des pistes pour notre réflexion sur l'ancrage de l'initiation

dans la situation éducative. Il requiert cependant des modifications si nous

voulons le repenser dans un contexte africain. L'auteur est parti de son

expérience d'enseignant de philosophie pour analyser sa propre pratique. Il

traduit en même temps les pratiques de bon nombre de professeurs à partir

d'indicateurs précis (savoir, professeur, étudiant), et nous offre une grille pour

la recherche en pédagogie. La grande lacune de son expérience touche

l'initiation. Denis Villepelet relève à juste titre que les « approches

philosophiques et scientifiques de la pédagogie se sont construites à distance

du champ des pratiques initiatiques.328 » En effet, cela se vérifie dans

l'approche de Houssaye. Cependant, est-il vrai que l'initiation est absente des

différents processus ? Nous n'en sommes pas si convaincu. Nous y

reviendrons, mais pour le moment examinons un auteur qui donne une place

à l'initiation. Abel Pasquier dans sa typologie des mécanismes du transmettre

offre des éléments importants, qui pourraient aider à modifier le triangle

pédagogique.

4. La typologie du transmettre selon Pasquier

Examinant les différents modes du transmettre, Pasquier propose une

trilogie axée sur : l'instruction, l'apprentissage et l'initiation. Chacun de ces

modes fonctionne à quatre niveaux : les interlocuteurs en présence, les

contenus véhiculés, les modalités de communication et les objectifs

poursuivis. Il relève que même si chaque mode du transmettre possède des

328 Denis VILLEPELET, « Initiation et pédagogie » dans Catéchèse, n°161, 2000, p. 15.

140

Page 143: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

particularités propres dans ses opérations, on ne peut en saisir l'intelligence

qu'à partir de leur interdépendance. « Chaque processus est diversement

régulé dit-il, en fonction de l'interaction et de l'entrecroisement ininterrompus

qu'il entretient avec les deux autres329. » Bien qu'il soit possible d'isoler

chaque forme pour la cause de la taxonomie, l'accès à la compréhension de

chaque mode se révèle intimement lié aux éclairages qu'offrent les autres. Il

schématise ces mécanismes du transmettre à l'aide du tableau330 ci-après.

Tableau IV-2 : Mécanismes du transmettre

FORMES DE TRANSMISSION

FONCTIONNEMENT 1 ENSEIGNEMENT

ACTEURS (qui à qui ?)

CONTENU (quoi ?)

MODALITÉS (comment ?)

OBJECTIFS (dans quels buts)

CLEF DU MÉCANISME

Maître

Élève

Contenu (matières,idées, vérités)

Discours verbalisé(exposition,démonstration,mémorisation)

Compréhension

Application

Représentationconceptuelle

APPRENTISSAGE

Maître d'œuvreApprentis

Tours de mainsProcéduresAptitudesExercices répétés etmotivés

Transformation

Pratique

INITIATION

Maître d'initiationNovices

Épreuves

Affrontement

Franchissementd'une étape

Structurationsymbolique

S'agissant de l'enseignement, les sujets en présence sont les

dispensateurs du savoir et les consommateurs de ce savoir. « Le maître est

celui qui détient le savoir en tous les domaines et qui le distille goutte à goutte

avec plus ou moins d'art pédagogique. [...] Il possède le savoir et il y a intérêt

329 Abel PASQUIER, « Les formes d u t ransmet t re contemporain » d a n s Essais de théologiepratique. L'institution et le transmettre, Paris, Beauchesne , Collection «Le pointthéologique» n° 49 ,1988 , p . 135.330 Nous e m p r u n t o n s ce t ab l eau de l 'article de Abel PASQUIER, «Typologie d e smécanismes du transmettre» dans Essais de théologie pratique. L'institution et letransmettre, Paris, Beauchesne, Collection «Le point théologique» n° 49,1988, p. 133.

141

Page 144: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

à l'écouter331. » Les contenus transmis consistent en l'ensemble des

connaissances acquises, qu'il convient de transmettre avec clarté et

cohérence. Les modalités de communication sont essentiellement basées sur

le discours verbalisé (explication, démonstration et mémorisation). Les

objectifs visent à aider à comprendre, à s'approprier ce qui est dit et à voir

comment tout se tient ensemble.

Pour ce qui est de l'apprentissage, les sujets en présence sont le maître

d'oeuvre et les apprentis. Le premier a un certain savoir-faire à passer à ceux

qui ont le désir d'apprendre. Regarder faire, écouter, poser des questions et

chercher à reproduire, constituent le propre de l'apprenti. Le contenu qui lui

est transmis vise des procédures, des aptitudes. Quant aux modalités, c'est

« faire et en faisant, se faire », l'habitude est de mise. Les objectifs poursuivis

sont la transformation de la matière, mais aussi de l'apprenant. Ainsi,

« procédures, exercices répétés, transformation, tels sont les éléments

constitutifs de l'apprentissage332 », dont le but consiste à « transformer et, en

transformant, se transformer soi-même333. »

Dans l'initiation, les personnes en présence sont le maître initiateur et

ses novices. « Le rapport hiérarchique basé sur le droit d'aînesse est un

rapport clef dans le processus initiatique334. » Le contenu qui est transmis est

constitué d'épreuves en général, et il n'y a pas de « contenu formulable en

terme de matière enseignée335 ». L'initiation vise la vie de tous les jours et

l'intimité. Elle consiste à forger le caractère, ce qui suppose au préalable des

douleurs, car il s'agit de passer par un enfantement, une mort. L'individu est

soumis symboliquement à un statut de défunt336. Les modalités se résument

dans « l'affrontement, la victoire sur la peur de la souffrance et de la mort, et

l'acceptation du risque », exigeant une participation active337. Dès lors, les

331 Ibid., p. 118.332 Ibid., p. 127.333I&id.,p. 128.334 Ibid., p. 129.33s Ibid.33* Ibid., p. 130.337 Ibid., p. 131.

142

Page 145: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

objectifs visent l'accès total à la vie. La réflexion de l'auteur rejoint en grande

partie ce qui se vit dans le joro. Nous y reviendrons aux chapitres six et sept.

Il est curieux que le processus « former » soit absent chez Pasquier. L'a-

t-il remplacé par le processus « initier » ? Nous ne pouvons l'affirmer.

Cependant, étant donné que la notion de formation revient dans certaines

typologies et qu'elle constitue une action éducative, nous pensons que le

processus « former » a bien sa place dans une situation éducative. Par

exemple, Amadeo Cencini propose trois types d'intervention dans l'action

pédagogique : éduquer, former et accompagner338. Si ici, sa notion de former

n'a pas le même contenu que celle de Houssaye, il n'en demeure pas moins

que les deux lui accordent une place dans l'action pédagogique. La question

qui reste posée est de savoir comment rendre compte des relations qui

régissent les composantes du triangle pédagogique et l'acte d'initiation.

5. L'initiation et la situation pédagogique

La perspective de Pasquier est orientée vers les principes de

communication alors que celle de Houssaye est principalement pédagogique.

L'analyse de ce dernier met en évidence deux objectifs de l'éducation : le

savoir (savoir déclaratif) et le savoir-faire (savoir procédural). Cependant, ce

savoir-faire est plus théorique que pratique. Pasquier par contre vise le savoir,

le savoir-faire pratique et le savoir-être. La théorie du triangle pédagogique

telle qu'élaborée par Houssaye constitue un cadre pour une lecture de la

démarche initiatique en Afrique. Toutefois, pour que les composantes de

l'initiation lobi s'intègrent dans cette théorie, des ajustements s'imposent et

Pasquier nous permet de faire ces ajustements.

Tout d'abord, sur le plan de la figure géométrique, le triangle avec ses

traits rectilignes pourrait faire place à des figures circulaires ; car dans la

majorité des cas la pensée africaine fonctionne de façon synthétique et

circulaire. « L'idée est saisie dans son entier et énoncée dans son entier. Puis

338 Amadeo CENCINI, Les sentiments du fils, Chemin de la formation à la vie consacrée,Toulouse, Éditions du Carmel, 2003, p. 9, 56.

143

Page 146: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

elle se développe pour revenir au point de départ, se réaffirmer, se préciser. La

répétition devient la lame de fond.339 » En remplaçant le triangle par trois

cercles, nous obtenons des relations intéressantes entre les différentes

composantes de la « situation éducative ». Dès lors, nous proposons le schéma

suivant.

Schéma IV-4 : Situation pédagogique B

L'espace créé par les croisements du cercle qui représente le

« professeur » et celui qui représente le « savoir » désigne le

processus « enseigner » ;

L'espace créé par les croisements du cercle qui représente le

« professeur » et celui qui représente « l'étudiant » désigne le

processus « former » ;

L'espace créé par les croisements du cercle qui représente

« l'étudiant » et celui qui représente le « savoir » désigne le processus

« apprendre ».

339 Isidore de SOUZA, « Bible et culture africaine », dans Black Africa and theBible/L'Afrique Noire et la Bible, Jérusalem, The Israël Interfaith Commitee, 1972, p. 87.

144

Page 147: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

La question qui se pose, touche l'espace du milieu. Nous proposons les

relations suivantes :

S. n P. -> PE. (lire S interagissant avec?40 P il en résulte PE)

P. n E. -> PF

E . f l S . ^ PA

s. n p. n E . - • P ?.

S. désigne la composante savoir

P- désigne la composante professeur

E. désigne la composante étudiant

PE désigne le processus « enseigner »

PF désigne le processus « former »

PA désigne le processus « apprendre »

P ? désignerait quel processus ?

Toutes ces composantes résultent de l'ensemble « situation éducative »

ou « situation pédagogique », dont l'une des principales composantes est

l'environnement. Si ces relations tiennent, que pouvons-nous proposer pour

combler l'espace au centre, lieu commun des trois ensembles de la « situation

éducative »? À quelles conditions cela serait-il possible ? Quelle contribution

les valeurs des initiations africaines en l'occurrence le joro, peuvent-elles

apporter ? Peut-on envisager que l'espace du centre soit occupé par un

processus qu'on désignerait par l'appellation, « processus initier » ? Le

chapitre huit en fera le point.

Somme toute, du simple art ou de la technique, on en est venu à

considérer les possibilités pour la stratégie d'être perçue comme une science ;

ce qui la déplace de la pure pratique vers la théorie. Dans ce mouvement se

340 Le signe mathématique D (intersection) est ici pris dans le sens d'interaction. En lisantinter, nous abrégeons interagissant. Le signe mathématique dans son emploi classique nenous aidera pas à exprimer le caractère récapitulatif de l'élément, ni son caractèreparticulier par rapport aux autres résultantes.

145

Page 148: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

pose indubitablement la question du rapport aux autres domaines d'activités

humaines, lequel rapport se trouve soumis à « la dynamique de la

métaphore »341. Dans la construction des sciences, les concepts connaissent

un caractère nomade. Pris dans un sens métaphorique, certains deviennent

des « concepts techniques d'une discipline, à la fois par leur fécondité dans

certains contextes et par l'oubli de la métaphore qu'ils étaient342. » La stratégie

n'a pas été épargnée par ce caractère nomade, ce qui explique ses

connotations comme dispositifs, processus et démarches ; ces significations

sont largement exploitées dans le présent travail.

Dès lors, la notion de stratégie nous permet d'opérationnaliser la

dimension que nous privilégions dans notre approche du joro. Aborder

l'initiation lobi sous l'angle pédagogique comporte bien des atouts. Tout

d'abord, cette approche ne fait qu'approfondir la dimension éducative que la

quasi-totalité des anthropologues relèvent dans leurs travaux sur les

initiations. Ensuite, elle intègre assez facilement tous les indicateurs qui

décrivent le phénomène de l'initiation. En effet, les études descriptives font

ressortir différentes étapes dans lesquelles les cérémonies se déroulent. Elles

présentent également les objectifs, les acteurs, les moyens et les institutions

porteuses de l'action initiatique (cf. chapitre V et VI). Le survol de la stratégie

pédagogique a mis en lumière un cadre qui aide à relire ces indicateurs de

façon systématique. Enfin, le cadre pédagogique ouvre des voies intéressantes

pour une intégration possible de la démarche initiatique dans une théorie

générale. Le triangle pédagogique, nous semble-t-il, offre cette possibilité,

mais cela requiert des recherches sur le terrain avec les acteurs en éducation.

Malgré ces atouts, il ne faut pas négliger les limites. Le choix d'une

grille de lecture, bien qu'aidant à saisir synthétiquement la dimension

abordée, n'explique pas tout. Elle court le risque de la simplification au

détriment de la complexité du phénomène étude. La simplification est très

341 Gérard FOUREZ, La construction des sciences. Les logiques des inventions scientifiques.Introduction à la philosophie et à l'éthique des sciences, Bruxelles, De Boeck, 1996, p. 51.342 Isabelle STENGERS, D'une science à l'autre, des concepts nomades, Paris, Éditions duSeuil, 1987, citée par Gérard FOUREZ, ibid.

146

Page 149: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

réductionniste et peut empêcher de voir que la question abordée comporte

bien des aspects qui ne sont pas nécessairement pris en considération. Aussi,

elle nivelle les données complexes pour ne garder que l'essentiel, car le but

poursuivi est de permettre une saisie rapide des éléments qui pourraient

mieux traduire une réalité donnée. Les figures circulaires que nous avons

construites comportent effectivement des limites, car si nous prenons le cercle

qui représente le professeur, ses fonctions se révèlent être l'enseignement et la

formation tandis que l'apprentissage se trouve hors de son domaine. Une telle

séparation ne traduit pas correctement la réalité. Il en est de même des autres

éléments de la figure. Faut-il pour autant rejeter cette grille ?

Nous n'en sommes pas certain. Car la personne du professeur

récapitule et l'enseignement qui implique l'apprentissage, et la formation qui

implique aussi l'apprentissage et enfin l'apprentissage par laquelle la

personne est devenue professeur. De même, la personne de l'étudiant renvoie,

il est bien vrai, à l'apprentissage et à la formation, lesquelles impliquent un

enseignement. Enfin, quand il s'agit de savoir, les trois dimensions (enseigner,

apprendre, former) se rencontrent. Certes, tout cela a besoin d'être confirmé

ou infirmé par une recherche pédagogique poussée, ce qui pourrait être le

sujet d'une recherche ultérieure. Pour le moment il s'agit de se doter d'un

cadre qui contribuerait à la poursuite de telles études dans un contexte

africain. Le présent travail s'y attelle. Pour cela, la méthodologie qui répond

mieux à un tel projet et qui s'est avérée féconde dans notre approche a été la

recherche qualitative qui est abordée dans le chapitre qui suit.

147

Page 150: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

CONCLUSION PARTIELLE

S'il est généralement délicat de parler des initiations traditionnelles en

Afrique, cela l'est davantage quand il s'agit de parler du joro dans un contexte

protestant évangélique. Les quatre chapitres qui précèdent ont tenté de

préparer le terrain. Tout d'abord, le pays lobi et le courant protestant

évangélique ont été présentés comme les deux principaux contextes qui

orientent les réflexions. Ensuite, après une sélection de certains ouvrages

estimés importants pour la compréhension de la démarche initiatique, la

problématique a précisé l'angle sous lequel le sujet sera abordé.

Au terme de ce parcours, il ressort que pour aborder la question de

l'initiation dans une perspective protestante évangélique, certains préalables

s'imposent. Il convient d'abord de définir l'initiation et ses composantes de

manière à ce que la référence au terme trouve sa raison d'être dans la bible et

dans les pratiques chrétiennes dans l'histoire. Il faut ensuite veiller à ce que

l'angle sous lequel la question est traitée s'enracine dans un cadre théorique

dont les concepts facilitent son opérationnalisation. Enfin, l'examen de la

question doit prendre en compte, non seulement les expertises des

spécialistes, mais aussi les opinions des acteurs de base, c'est-à-dire les

premiers concernés par le sujet, de sorte qu'un dialogue s'établisse entre eux

et les spécialistes.

Prendre en considération ces préalables dans le cadre du joro, soulève

cependant quelques difficultés qu'il convient de relever. L'étude des

démarches initiatiques plonge le chercheur dans une sphère nécessairement

anthropologique. Ceci peut laisser entendre que l'initiation relève

principalement du ressort de l'humain. Certes, c'est de l'homme et de ses

méthodes d'intégration dans la société dont il s'agit. Les acteurs sont des

hommes et des femmes agissant dans un environnement qui, de toute

évidence, est humain. Les rites qui sont accomplis font un large usage

d'éléments provenant de la culture d'une population donnée et de

l'environnement qui la porte. Cependant, force est de reconnaître que

148

Page 151: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

l'initiation, bien qu'étant une affaire humaine, veut transcender l'homme pour

le mettre en relation avec d'autres réalités.

Cet anthropocentrisme colore l'esprit englobant et le but même de

l'initiation. Si en effet, l'homme semble occuper une place centrale dans la

démarche initiatique, c'est simplement dans le but de l'amener à se connaître

en se confrontant aux réalités qui l'entourent, en l'occurrence le monde

matériel et spirituel, en d'autres termes, les réalités physiques et

métaphysiques. Car l'espace et le temps qui s'offrent à l'homme africain sont

aussi occupés par d'autres réalités avec lesquelles il interagit consciemment

ou inconsciemment. Les esprits bons et mauvais, les esprits des décédés,

ceux des ancêtres et Dieu agissent sur lui, et il agit lui aussi avec eux pour

que son environnement lui soit propice. C'est donc un espace où se

rencontrent l'anthropologie et la théologie. Car, l'initiation traditionnelle

africaine opère dans un cadre spatio-temporel où se déploie une interaction

entre le visible et l'invisible, ce qui explique en partie son caractère global. Elle

ne se limite pas seulement à un niveau purement humain, mais veut

comprendre l'homme à partir d'un ensemble dont certains éléments se situent

au-delà de l'humain. Ce sont justement ces éléments pris isolément, qui

suscitent des appréhensions chez la plupart des protestants évangéliques.

Les éléments liés au culte des divinités tels que les sacrifices, soulèvent

des questions. Le Dieu de la bible n'est-il pas perçu comme le Dieu jaloux qui

invite son peuple à se séparer des autres dieux ? Établir un dialogue avec les

initiations traditionnelles ne serait-il pas contraire au principe de la mise à

part du chrétien ? Comment définir ce dialogue avec les initiations

africaines ? Comment s'y prendre pratiquement sans s'enliser dans un

syncrétisme ? Ces interrogations montrent à quel point le dialogue s'avère

important dans une recherche sur les rapports entre les initiations

traditionnelles africaines et l'éducation à la foi chrétienne. Cependant, dans le

cadre du présent travail, il ne nous a pas été possible de prendre cela en

compte dans notre cadre théorique. En revanche, le travail en lui-même

149

Page 152: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

explore et propose les conditions nécessaires à une pratique du dialogue avec

l'initiation traditionnelle lobi.

Dans le contexte du courant protestant évangélique, une telle tâche ne

peut se passer des apports méthodologiques des théologies contextuelles.

Généralement acceptée par les évangéliques, la contextualisation implique la

référence au contexte dans lequel l'évangile est accueilli. Mais comment peut-

on contextualiser l'évangile sans tenir compte de la culture de ce contexte ? Si

les aspects essentiels de cette culture sont méconnus, négligés ou écartés du

projet de l'éducation à la foi, comment serait-il possible d'atteindre le cœur

même de l'Africain ? En pays lobi, les anthropologues reconnaissent la

centralité du joro, or les missions chrétiennes l'ont jusqu'ici combattu ou sont

très distantes vis-à-vis de sa contribution pour une bonne formation

chrétienne.

En contexte protestant surtout, personne ne se pose la question de

savoir comment le chrétien qui n'a pas été à l'initiation se sent au milieu des

siens. Tout se passe comme si ce dernier était arrivé "vide" dans le

christianisme, sans un bagage culturel avec lui. Aussi s'étonne-t-on que

beaucoup de chrétiens adoptent des attitudes légalistes comme si la vie que

propose le Christ était une vie exclusivement basée sur l'observance des

interdits. Cette attitude ne proviendrait-elle pas des réminiscences du joro ?

En revanche, certains adoptent un comportement dissolu, conséquence d'une

certaine compréhension de la liberté qu'offre la vie chrétienne par rapport à

l'éthique que propose la culture. Une question qui demeure cruciale et reste à

explorer est celle de savoir comment, dans la contextualisation, s'opèrent les

mécanismes d'appropriation du message biblique au niveau des individus et

des communautés ?

Cette exploration ne relèvera pas, comme nous l'avons déjà dit, de la

seule expertise du théologien, du ministre du culte, du catéchiste ou du

missionnaire ; elle devrait impliquer tous les acteurs concernés, de la base

jusqu'au sommet. Les recherches prendront aussi en considération les

cultures et les situations présentes de ces acteurs. Bien qu'apparemment, de

150

Page 153: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

telles propositions rencontrent l'agrément des évangéliques, sur le terrain la

réalité se présente autrement. Il ressort des contextes sociogéographique et

confessionnel que nous avons examinés, que certains Lobi ont ouvert leur

cœur à l'évangile. Toutefois, les positions du courant protestant évangélique, à

moins d'une sérieuse révision et d'une prise en compte réelle de la

contextualisation, donnent l'impression de pousser au mépris et au reniement

de la culture lobi. Une telle impression se vérifie t-elle chez les chrétiens lobi

issus du milieu évangélique ? La partie qui suit nous le révélera.

151

Page 154: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

DEUXIEME PARTIE

L'INITIATION LOBI : REPÈRES PÉDAGOGIQUES

Page 155: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Le terme joro est diversement transcrit par les ethnologues et

anthropologues. Dyoro chez Henri Labouret343, gyoro chez Cécile de RouviUe344

et joro dans les ouvrages qui se sont alignés sur l'alphabet national. Cette

dernière transcription est privilégiée dans le présent travail. La transcription

de RouviUe semble être plus phonétique et facilite la prononciation à ceux qui

sont étrangers à la langue lobi ou lobiri. Relevons cependant, que la

prononciation n'est pas la même dans toutes les régions. La plupart des Lobi

prononcent "guioro" (prononcer les o comme o dans botte en français ou hot

en anglais). Ceux des régions Centre-Nord et Nord-Ouest prononcent "zoro".

Nous avons opté pour la transcription basée sur l'alphabet national car elle

nous rapproche de la politique générale du Burkina Faso en matière de

transcription des langues locales.

Malgré la discipline de l'arcane, la curiosité et le courage des

chercheurs ont produit quelques écrits sur le joro. Henri Labouret se présente

comme l'auteur du plus important classique en matière de la connaissance

des Lobi. Ses études ethnographiques, bien que parsemées de plusieurs

erreurs de jugement constituent cependant un joyau pour comprendre la

perception qu'avaient les colons du peuple lobi et de ses coutumes. Cette

perception se voit beaucoup modifiée dans les ouvrages de Madeleine Père,

ouvrages scientifiquement plus équilibrés que le précédent. En plus de ces

deux grands classiques, il existe d'excellents ouvrages sur les traditions et

coutumes lobi ; parmi ceux-ci nous retenons Cécile de RouviUe et Michèle

Piéloux345. Tous ces ouvrages font référence au joro, et insistent sur la place

combien centrale de cette institution chez les Lobi. Bien que les auteurs lobi

soient liés au respect de la tradition, il en existe qui ont aussi cherché à faire

connaître la grande initiation à travers des études anthropologiques et

343 Henri LABOURET, Les tribus du rameau Lobi, Paris , Ins t i tu t d 'ethnologie, 1931 , p .414-436.344 Cécile de ROUVILLE, Organisation sociale des lobi: une société bilinéaire du BurkinaFaso et de Côte d'Ivoire, Par is , L 'Harmat tan , 1987, p . 185-193 .345 Michèle FIÉLOUX, J a c q u e s LOMBARD, Jeanne -Mar i e KAMBOU-FERRAND, (dir),Images d'Afrique et sciences sociales. Les Lobi, Birifor et Dagara, Paris, Karthala/Orstrom,1993, 567 pp. ; Michèle FIÉLOUX, Les sentiers de la nuit. Les migrations rurales lobi de laHaute-Volta vers la Côte d'Ivoire, Paris, ORSTOM, 1980, 199 pp.

153

Page 156: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

théologiques (cf. chapitre 2). À ceux-ci, il faut ajouter la thèse de Joseph-

Antoine Kambou qui aborde le joro dans une perspective sociale et

éducationnelle346. Son article : « Histoire d'un rite de passage : le joro lobi » a

retenu notre attention. Dans leurs récits du joro, tous les auteurs cités sont

fidèles aux divisions séquentielles telles qu'élaborées par Van Gennep pour les

rites de passage : le temps de séparation, celui de la transition et enfin celui

de la réintégration347.

Les études du joro chez les ethnologues s'attachent souvent à des

analyses descriptives. Cela permet de suivre les différentes séquences des

rites pour tirer les interprétations qui s'imposent. Cependant, de telles études

ne tiennent pas toujours compte des situations particulières des

informateurs. Ainsi donnent-elles l'impression que tous les Lobi, quelles que

soient leurs expériences religieuses, leurs rapports à la modernité ou à la

tradition voient le joro de la même manière. C'est pourquoi, dans le présent

travail, nous avons choisi d'aborder le sujet à partir de personnes partageant

la foi chrétienne et les mêmes expériences initiatiques. En outre, aucune

étude du joro ne s'appuie sur une grille pédagogique pour saisir ses

caractéristiques éducatives. Cette recherche tente de poser des repères pour

une telle approche.

Il s'ensuit que les approches théologiques se bornent elles aussi, dans

la majorité des cas, à comprendre les vérités théologiques à partir des valeurs

du joro et vice versa. Aucune étude ne part d'une lecture basée sur un livre

particulier de la Bible qui s'arrime à une situation éducative pour voir

comment cela peut éclairer la compréhension des dimensions pédagogiques

des initiations non chrétiennes. Dans une approche contextuelle et surtout

évangélique, une telle démarche s'impose. C'est pourquoi, nous avons choisi

de mettre en dialogue l'impératif missionnaire de Matthieu 28, 18-20 pour

346 II ne nous a pas été possible de nous procurer cet ouvrage. « Le dyoro ou initiationsociale au sud de le Haute-Volta », Mémoire, Paris, 1972. Cependant nous avons traité unde ses articles sur l'initiation lobi qui nous sert ici de point de départ. « Histoire d'un ritede passage : le joro lobi » dans Michèle Fiéloux, et al (dir.), Images d'Afrique et sciencessociales. Les Lobi, Birifor et Dagara, Paris, Karthala/Orstrom, 1993, p 361-367.347 Arnold V a n GENNEP, The Rites of Passage, Chicago, The Universi ty of Chicago P res s ,1961, p. 81-82.

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Page 157: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

dégager les corrélations avec l'initiation en pays lobi. Le choix de cet évangile

repose sur le fait qu'il se prête bien à l'éducation à la foi.348 Premièrement,

d'aucuns avancent l'hypothèse d'une « École matthéenne349 » et d'autres

proposent cet évangile comme une « somme pédagogique350. » Arias Mortimer

soutient que la mission dans Matthieu serait d'ordre catéchétique, et que sa

méthode serait l'éducation chrétienne351. Cette perspective amène l'auteur à

opter pour une structure basée sur les discours de Jésus. Il y décèle cinq

discours précédés par des narrations et conclus par le refrain : ôxc tièlzvtv ô

'Ir)aoOç nàvxa xoùç Xôyovq TOÛTOUÇ (quand Jésus eut achevé ces discours, cf.

Mathieu 7, 21 ; 11, 1 ; 13, 53 ; 19,1 ; 26,1).

Deuxièmement, l'impératif missionnaire qui est particulier à

Matthieu352 est perçu par certains spécialistes comme un sommaire, le point

focal ou la clef pour la compréhension de l'évangile353. Deux parties

construisent cette conclusion : l'apparition du Ressuscité (16-18a) et le

message du Ressuscité (18b-20). Cette dernière partie retiendra notre

348 Élian CUVTLLIER, « L'Évangile selon Matthieu », d a n s Introduction au NouveauTestament. Son histoire, son écriture, sa théologie. Daniel MARGUERAT (dir.) Genève,Labor et Fides, 2000, p. 63.349 Krister STENDAHL, The School of St. Matthew and Its Use of the Old Testament,Philadelphia, For t ress , 1968. Cf. Anselm GRÛN, Jésus, le Maître du salut. Évangile deMatthieu, T radu i t de l 'Allemand pa r Claude Louis, Paris , Bayard , 2 0 0 3 , p .8 .350 Victor P. FURNISH, Theology and Ethics in Paul, Nashville, Abingdon Press , 1978 ,p.98ss.351 Arias MORTIMER, « C h u r c h in the World. Rethinking the Grea t Commiss ion », d a n sTheology Today n° 4 7 , J a n 1991 , Princeton, Princeton Theological Seminary , 1991 , p .412 .352 Cf. Chr i s t i an-Bernard , AMPHOUX, L'évangile selon Matthieu. Codex de Bèze. Lls le-sur- la -Sorgue , Le bois d'Orion, 1996; La synopse de M-E. BOISMARD le confirme.Synopse des quatre évangiles en français, tome II, Paris , Édi t ions d u Cerf, 1972. Pourl'histoire de la rédaction, cf. Jean ZUMSTEIN, «Matthieu 28,16-20», dans Revue deThéologie et de Philosophie, 1972, p . 15-22, cf. également La condition du croyant dansl'évangile selon Matthieu, Fribourg, Édit ions Universi taires de Fribourg, 1977, p .86 -106 ;J o h n , p . , MEIER, « Two Disputed Quest ion in Matt », d a n s Journal of Biblical Literature,Missoula, Society of Biblical Literature, 1977, p. 407-424 . J a c k Dean , KINGSBURY, « Thecomposi t ion a n d Christology of Matt. 2 8 , 16-20 » d a n s Journal of Biblical Literature,Missoula, Society of Biblical Literature, 1974, p. 573-584 .353 J o h n MEIER, « a r t . cit. », 1977, p . 4 0 7 ; J e a n ZUMSTEIN, « ar t . cit. » 1972, p . 15; op.cit., p . 9 4 - 9 5 ; Daniel J . HARRINGTON, The Gospel of Mat thew, Collegeville, LiturgicalPress , Collection « Sac ra pagina » 1, p . 416 . Pour u n ape rçu d e s différentes appréc ia t ionsde la finale de Mat th ieu , cf. également David BOSCH, op. cit. 1995, p . 7 8 .

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Page 158: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

attention. Elle se subdivise en trois parties. Jean Zumstein la divise comme

suit354 :

v. 18b la révélation de la toute-puissance de Jésus ;

w. 19-20a l'ordre de mission aux disciples ;

v. 20b la promesse d'assistance de Jésus.

La même structure ressort chez Frederick Dale Bruner355. Le fil

conducteur de sa division repose sur l'élément « commandement ». Les versets

18 et 20 se réfèrent à celui qui donne le commandement et, entre les deux, se

trouve le commandement lui-même (v. 19). Tout en prenant en compte ces

structures, nous appliquerons notre grille de lecture basée sur les indicateurs

pédagogiques pour organiser les différentes composantes qui orientent notre

compréhension de l'impératif missionnaire.

C'est donc à partir des indicateurs pédagogiques du joro et de

l'impératif missionnaire que seront articulés les chapitres de cette partie. Elle

examine la question suivante : en quoi le joro dans les discours des chrétiens

protestants évangéliques contribue-t-il à la compréhension de la place que

pourrait occuper l'initiation dans une situation pédagogique et dans la

formation chrétienne ? Quatre chapitres y sont consacrés. Le chapitre cinq

présente l'approche par laquelle la recherche s'est effectuée et les outils

utilisés pour récolter et analyser les discours des entrevues réalisées sur

l'initiation en pays lobi. Les chapitres six et sept examinent le cadre, les

acteurs du projet de l'initiation du joro et sa démarche. Chacun de ces deux

chapitres fera appel à la perspective mathéenne de la formation du disciple

pour voir comment ces deux approches peuvent s'éclairer à travers leurs

similarités et leurs discontinuités, et contribuer à la compréhension d'une

situation pédagogique. Le dernier chapitre proposera quelques repères pour

un processus pédagogique et pour une formation chrétienne contextualisée.

354 J e a n ZUMSTEIN, op. cit., 1977, p .87.355 Frederick Dale BRUNER, Matthew, a Commentary, Grand Rapids , Ee rdmans , 2004 , p .805.

156

Page 159: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

CHAPITRE V

À L'ÉCOUTE DE L'EXPÉRIENCE : DÉMARCHE ET RÉSULTATS

« L'effritement de la perspective positiviste ne s'est pas fait sans débats

entre ses tenants et ses adversaires. Ces débats se poursuivent encore

aujourd'hui. On le voit principalement dans l'opposition entre recherche

quantitative et recherche qualitative356. » Cette opposition a amené certains

chercheurs à interpréter l'audience accordée à la recherche qualitative comme

une quête d'accréditation académique. Bourdieu rapporte que cette approche

permet « à beaucoup de chercheurs de convertir en refus collectif certains

manques de leur formation357 ». Mauger y voyait déjà des « positions-refuges,

bien faites pour attirer à elles des héritiers et parvenus, porteurs de titres

scolaires dévalués en quête de reclassement358 ». Malgré ces critiques,

plusieurs disciplines se tournent vers la recherche qualitative. Dans ce

chapitre, nous proposons de voir comment elle se définit et en quoi elle

pourrait être pertinente dans le champ de la théologie ? En partant de la

définition, des techniques d'enquête et des méthodes d'analyse, nous ferons

ressortir les avantages qu'offre cette approche ainsi que les critiques dont elle

fait l'objet. Nous appliquerons ensuite ces techniques de collecte et d'analyse

au joro.

356 Chr i s t i an LAVILLE et J e a n DIONNE, La construction des savoirs Manuel deméthodologie en sciences humaines, Montréal/Toronto, Chenelière/McGraw-Hill, 1996, p.38.357 Pierre BOURDIEU, La noblesse d'État. Grandes écoles et esprit de corps, Par i s , Édi t ionsd e Minuit , 1989 , p . 10, cité pa r Lionel-Henri GROULX, « Con t r ibu t ion de la r eche rchequal i ta t ive à la r e c h e r c h e sociale », d a n s J e a n POUPART, J e a n - P i e r r e DESLAURIERS,Lionel-Henri GROULX, et. al, (dir.), La recherche qualitative Enjeux êpistémologiques etméthodologiques, Q u é b e c , G a é t a n Morin, 1997, p . 76 .358 Gé ra rd MAUGER, « L 'approche b iograph ique e n sociologie » d a n s Les Cahiers del'Institut d'histoire du temps présent, n°ll , avril, Paris, L'Institut, 1989, p. 92, cité parLionel-Henri GROULX, « art. cit. », p. 76.

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Page 160: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

1. La méthode qualitative

Dans son introduction à la recherche qualitative, Jean-Pierre

Deslauriers écrit : « On ne peut plus étudier les transformations sociales et les

microsystèmes sociaux avec un instrument qui mise sur la régularité, la

stabilité et le grand nombre : il faut s'approcher du terrain, se faire plus

inductif et se laisser imprégner de l'air du temps359. » L'objectif qui est ici visé

dénote une certaine démarcation avec la recherche quantitative qui se veut

accumulatrice de preuves, et privilégie la recherche qualitative. S'il est juste

que celle-ci s'éloigne de l'approche quantitative, force est de reconnaître

qu'elle ne proscrit pas l'utilisation de données quantitatives dans son

approche. Seulement, celles-ci ne sont pas utilisées pour prouver, mais pour

permettre une compréhension du phénomène étudié360.

1. 1. Définition

Steven J. Taylor et Robert Bogdan définissent la recherche qualitative

en ces termes : « Qualitative methodology refers in the broadest sensé to

research that produces descriptive data : people's own written or spoken

words and observable behavior361. » Cette définition implique les deux temps

forts de cette recherche qui sont : la collecte des données et leur analyse362.

Pour ce qui est de la technique de collecte des données, le chercheur se trouve

lui-même fortement impliqué dans ce qu'il fait pour recueillir les informations

permettant de comprendre le phénomène social objet de ses recherches. C'est

à juste titre qu'on parle de proximité avec le terrain et d'empathie pour

359 Jea -P ie r re DESLAURIERS, Recherche qualitative guide pratique, Montréa l /Toronto ,Chenel ière/McGraw-Hil l , 1991 , p . 5.360 pierre PAILLÉ, « Fidélité en recherche quali tat ive », d a n s Alex, MUCCHIELLI, (dir.),Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Paris, ArmandColin/Masson, 2002, p. 82.361 Steven J . TAYLOR et Robert BOGDAN, Introduction to Qualitative Research Methods.The Search for Meanings, New York, A. Wiley-Interscience Publ icat ion, 1984, p . 5, cite pa rJean-P ie r re DESLAURIERS, Recherche qualitative guide pratique, Montréa l /Toronto ,Chenel ière/McGraw-Hil l , 1991 , p . 6.362 Alex, MUCCHIELLI, (dir.), Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaineset sociales, Paris, Armand Colin/Masson, 2002, p. 182.

158

Page 161: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

montrer la relation qu'entretient le chercheur avec ses informateurs et la

place de la subjectivité dans son entreprise. L'intérêt est désormais centré sur

les acteurs eux-mêmes et non seulement sur une classe de spécialistes qui

croient avoir le monopole du savoir.

Outre cet avantage anti-discriminatoire en ce qu'« attentive à la

pluralité de constructions de sens, la démarche qualitative oblige [...] à

acquérir une perception davantage holistique des problèmes363 ». Cette vision

holistique s'oppose au réductionnisme positiviste et recherche, à travers

l'échantillonnage, les unités sociales significatives pour parvenir à la

connaissance de l'ensemble. On part du principe que « pour savoir si un plat

est cuit, il est inutile de le manger au complet, il suffît de le goûter364 ». Il ne

sera plus question de représentativité dans la recherche qualitative, mais

plutôt de la notion de saturation365. Cette façon de procéder n'est nullement

comparable à la segmentation ou à l'isolement des parties d'un tout dans le

but de saisir les particularités pour remonter à la réalité qu'on croit

ontologique. La recherche qualitative opère là un déplacement par rapport au

positivisme par le rejet d'une ontologie des phénomènes qui s'imposent et qu'il

convient de découvrir. Il est plutôt question d'une construction dans laquelle

l'individu et son milieu sont pleinement engagés. Dans la démarche

qualitative, une place de choix est accordée à l'autonomie individuelle.

Mucchielli parle de réhabilitation de l'individu et de l'accent porté sur sa

capacité de modifier le cours des événements366. La vérité-correspondance et

son corollaire, que véhicule la notion d'objectivité, sont remis en question

pour faire place à l'interprétation et à la subjectivité dans la compréhension

des faits sociaux. Cette compréhension passe par des techniques d'analyse.

363 Lionel-Henry GROULX, « Contr ibut ion de la recherche qual i ta t ive à la recherchesociale », d a n s J e a n POUPART, Jean-P ie r re DESLAURIERS, Lionel-Henri GROULX, et. al,(dir.), La recherche qualitative Enjeux épistémologiques et méthodologiques, Québec ,Gaé tan Morin, 1997, p . 57 .364 J ean-P ie r re DESLAURIERS, Recherche qualitative guide pratique, Montréa l /Toronto ,Chenel ière/McGraw-Hil l , 1991 , p . 57 .365 Alex MUCCHIELLI, Les méthodes qualitatives, Par is , P resses Univers i ta i res de France ,collection « Que sais-je », 1991 , p . 18.3(* Ibid., p . 13.

159

Page 162: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Plusieurs techniques caractérisent les recherches qualitatives, cependant,

nous nous sommes intéressés principalement à l'analyse de contenu.

1.2. Technique d'analyse de contenu

L'analyse de contenu passe d'abord par la collecte des données qu'il

s'agit d'analyser par la suite. Ces données peuvent être constituées

d'entrevues enregistrées, des écrits, des photos etc. suivant certains critères.

Une fois la collecte faite, les données sont codifiées et soumises à l'analyse.

Cette analyse basée sur les contenus (textes, photo...) procède par

catégorisation, classification, et saturation. Le texte est lu et relu dans le but

de repérer les unités minimales d'information. À ces unités sont attribués des

codes367 en veillant à ce que deux catégories ne disent pas la même chose.

Dans l'analyse de contenu, le chercheur et les informateurs interagissent pour

parvenir à un savoir qui intègre harmonieusement les interprétations des

acteurs et celles du chercheur368. Le principe qui dirige toutes les actions

d'analyse est celui de l'induction. C'est le texte qui doit orienter la

détermination de telle ou telle catégorie. Le chercheur scrute minutieusement

les informations jusqu'à ce qu'il n'arrive plus à y voir du nouveau dans le

processus, c'est la saturation369. Dans notre cas, nous avons eu une vingtaine

d'entrevues sur l'initiation lobi. Nous nous sommes limité à ce chiffre à cause

de ce principe de saturation, car les personnes interrogées disaient presque

les mêmes choses et comme nous n'arrivions plus à trouver d'informations

pertinentes totalement nouvelles, nous avons mis fin à nos entrevues.

367 Jean-Pier re DELAURIERS, op. cit., 1991 , p . 70-78 . Cf. Laurence BARBIN, L'analyse decontenu , 9 e édition, Paris , Presses Universitaires de France , collection « Le psychologue »,1998, p. 134-149.368 Anne LAPERRIÊRE, « Les cri tères de scientifîcité des mé thodes qual i tat ives », d a n sJ e a n POUPART, Jean-Pie r re DESLAURIERS, Lionel-Henri GROULX, et. ai, (dir.), op. cit.,p . 3 6 9 - 3 7 1 . J e a n POUPART, « L'entretien de type qualitatif», Ibid., p . 178.369 Jean-Pier re DELAURIERS, op. cit., 1991 , p . 8 3 . cf. Alex MUCCHIELLI, op. cit., 1991 , p .114-115; Alex MUCCHIELLI, (dir.), op. cit., 2002 , p . 204 . Cf. également Alvaro P. PIRES,« Échant i l lonnage et recherche qualitative : Essai théorique et méthodologique », d a n sJ e a n POUPART, Jean-P ie r re DESLAURIERS, Lionel-Henri GROULX, et. al, (dir.), op. cit.,p. 156-164.

160

Page 163: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Missionnaires, pasteurs et prêtres africains, enseignants

d'établissements publics et privés, chrétiens laïcs ont formé notre groupe

d'informateurs. Nous avons effectué deux voyages au Burkina Faso, et compte

tenu de la distance, nous avons pris sur place un instituteur, Kambou

Sansan Winceslas, qui nous a suivi dans tous nos déplacements pour nous

servir d'interprète quand cela s'avérait nécessaire. Nous lui avions expliqué le

but que nous poursuivons, les questions du protocole de recherche et il a

appris en pratiquant avec nous comment faire des entrevues à partir de notre

approche. Quand nous ne comprenions pas certaines expressions lors de la

traduction, nous faisions appel à lui et, au téléphone, il nous donnait les

explications nécessaires. Aussi servait-il de pont entre nous et les répondants

au Burkina Faso.

Dans la recherche qualitative, l'avantage d'être proche du terrain peut

être une source de force ou de faiblesse. Les critiques n'ont pas manqué de

relever la question de validation scientifique. Gérard Mauger y voit une vision

trop romanesque370. Mais comment peut-on être des acteurs au

développement des peuples si les situations qu'ils vivent nous laissent froids ?

Si les sciences humaines veulent aider les acteurs sociaux à se comprendre,

ou à s'éduquer, la recherche qualitative leur offre une autre manière d'aborder

la réalité, celle qui est proche des acteurs de cette réalité. Cette approche

donne la priorité à la proximité du terrain et implique les acteurs directs à la

construction des savoirs. Dans une recherche comme la nôtre, elle ouvre les

possibilités à la vérification de certaines théories ou idées véhiculées à propos

d'un phénomène lié à un milieu déterminé. Si nos lectures sur l'initiation lobi

nous ont permis d'orienter nos recherches, il s'ensuit que, confrontées à la

réalité du terrain, certaines données ethnographiques se sont avérées très

tendancieuses voire fausses. À ce propos, le classique des études sur les Lobi

a soutenu la thèse suivante sur l'initiation :

370 Gérard MAUGER, « L'approche biographique en sociologie », dans les Cahiers del'Institut d'histoire du temps présent, n°ll , avril, Paris, L'Institut, 1989, p. 87, cité parLionel-Henry GROULX, « Contribution de la recherché qualitative à la recherche sociale »,dans Jean POUPART, Jean-Pierre DESLAURIERS, Lionel-Henri GROULX, et. ai, (dir.), op.cit. p. 78.

161

Page 164: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Ainsi qu'on l'a vu, il ne semble pas que ces diverses cérémoniesaient une influence particulière sur l'éducation, la morale ou lamentalité de ceux qui s'y soumettent. Il s'agit pour eux d'acquérir laprotection d'une divinité, l'opération essentiellement religieuse n'a,selon moi, aucune répercussion sur la société371.

Aujourd'hui, une telle thèse est dénuée de tout fondement eu égard aux

études entreprises par la suite372. La position de Labouret ci-dessus citée a

pourtant influencé les premiers missionnaires en pays lobi. Nous avions

trouvé dans les archives de la mission protestante un exemplaire de ce

classique que tout missionnaire est censé lire. Il n'est donc pas étonnant que

plusieurs se méfient du joro à cause de ses aspects sacrificiels. En outre, les

chrétiens lobi et birifor emboîtent le pas de ces derniers et vont jusqu'à

qualifier le joro de diabolique. Toutefois, pour ce qui touche les aspects

politico-éducatifs, les positions restent partagées ; nous laisserons les

entrevues elles-mêmes confirmer ou infirmer les allégations de Labouret et

des études subséquentes. Les chapitres six et sept se prêteront à cette tâche,

mais avant d'y parvenir, il importe de saisir la démarche qui a orienté

l'exercice.

2. Collecte et analyse des données sur le joro

Avant de recueillir les premiers témoignages des acteurs sur le

phénomène de l'initiation, nous avons d'abord interrogé une quinzaine de

personnes et fait une recherche documentaire en bibliothèque pour avoir une

idée de l'état actuel de la question du rapport entre éducation à la foi

chrétienne, initiation traditionnelle africaine et théories pédagogiques. Ce

premier repérage a permis de préciser la question à laquelle nous voulons

371 Henr i LABOURET, op. cit., p . 4 3 4 .372 Antoine de Padou POODA, « Le Joro et l'initiation chrétienne, De la confrontation àl'intégration » Mémoire de théologie, Grand Séminaire Régional de Koumi, Burkina Faso,1998, p. 9-11, résume les positions de Madeleine Père dans Les Lobi, Traditions etchangements, Tome 2, Paris, 1988, p. 40-41 et de T. J. KAMBOU, « Le dyoro ou initiationsociale au Sud de la Haute-Volta », Mémoire, Paris, 1972, p. 40-41. Ceux-ci,contrairement à LABOURET, voient dans le Joro, un élément important ayant desconséquences sur toute la vie individuelle et sociale. Kambou y voit un « système politico-éducatif ».

162

Page 165: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

apporter un éclairage, le but que nous poursuivons, les outils de collecte et

d'analyse des données, ainsi que l'orientation théorique de la recherche. C'est

donc après notre premier voyage au Burkina Faso, et le cours que nous

avions suivi sur la recherche qualitative, que nous nous sommes orienté vers

la méthode qualitative373. Ajoutons que le deuxième examen de doctorat et les

entretiens avec nos directeurs de recherche et nos professeurs et collègues

ont contribué énormément à préciser notre angle d'étude. C'est après ce

parcours que nous avions précisé les questions qui ont orienté la collecte des

données sur le joro.

2. 1. Collecte des données sur lejoro

Un premier voyage au Burkina Faso en février 2002 a permis de nous

entretenir avec quinze répondants. Nous avions demandé aux gens de nous

dire ce qu'ils savaient sur la grande initiation lobi et sur le projet d'éducation

chrétienne de la mission Worldwide Evangelization for Christ (WEC

International) qui travaille parmi les Lobi et dont le siège international se

trouve à Londres avec des antennes dans plusieurs pays du monde. Aussi

avons-nous pu photocopier des portions de procès-verbaux de la mission sur

la formation et entrer en possession de plusieurs documents édités dans le

cadre de l'éducation chrétienne. Ces entretiens nous ont conduit à poser de

manière plus précise les critères de choix de nos interlocuteurs, les moyens de

collecte et l'outil d'analyse des données. En outre, les difficultés que nous

avions rencontrées ont aussi contribué dans ces choix. Le manque de

personnes disponibles pour nous parler librement de la grande initiation lobi,

le manque de temps dû aux exigences administratives qui nous obligeaient à

revenir à Québec avant l'expiration de notre visa de séjour nous ont conduit à

opter pour un échantillon qui ne mise pas sur le grand nombre. De retour à

373 Ce qui nous a ramené à l'Université était moins les contenus des cours que leursapproches et leurs méthodologies. Le but que nous poursuivons est surtout de nous doterd'une approche de recherche et d'une démarche qui nous permettront d'étudier ce qui sepasse dans la formation en Afrique. Cette thèse constitue une tentative de construire uneapproche personnelle et la recherche qualitative nous a introduit dans une aventure quine fait que commencer.

163

Page 166: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Québec en avril, par intuition nous avons cherché dans le département

d'anthropologie un cours de méthode, étant donné que notre sujet portait sur

l'initiation, et nous avons découvert le cours sur la recherche qualitative vers

laquelle nous nous sommes finalement orientés.

Nous avons ensuite effectué un deuxième voyage au Burkina Faso en

février 2003 en vue de mener des enquêtes complémentaires. Le protocole

comprend deux sections, la première se compose de dix questions fermées et

ouvertes, {cf. Annexe : Questionnaire) La deuxième est constituée d'entrevues

axées sur trois questions visant à recueillir les opinions des répondants sur la

grande initiation lobi et sur la possibilité d'une initiation chrétienne « version

lobi ». Toutefois, les exigences du terrain nous ont amené à plus

d'observations et d'entrevues. Le questionnaire n'a pas du tout fonctionné

comme souhaité à cause du temps qui nous était imparti. Il fallait traduire les

questions en langues lobi et birifor pendant les entrevues, car la grande

majorité de nos répondants ne comprenait pas le français. Procéder à une

traduction prenait énormément du temps. Il était possible d'avoir une version

écrite dans les deux langues, mais cela posait également quelques difficultés.

Si les 90 % de nos informateurs savent lire dans les deux langues, la majorité

aurait de la peine à transcrire leurs réponses. Étant donné que nous avons à

faire à une société à tradition orale, il faut s'y adapter. Ainsi, nous avons

cherché à saisir par des entretiens informels et des entrevues formelles les

opinions que les répondants ont de l'initiation lobi et des rapports qu'ils ont

pu observer entre l'initiation traditionnelle et la foi chrétienne. Après les

salutations usuelles, les rencontres étaient introduites en ces termes :

« racontez-nous ce que vous savez du joro, c'est-à-dire, comment les gens se

préparent, quel est le parcours suivi, qu'est-ce qui se fait pendant les

cérémonies d'initiation et comment les initiés sont réintégrés dans la vie de

chaque jour ». Vers la fin de l'entrevue, nous posions la question suivante :

« avez-vous remarqué dans le christianisme des choses que vous avez vu dans

\ejoro? »

164

Page 167: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Ces questions ont ainsi orienté nos entrevues, et nous avons pu nous

entretenir avec vingt-sept personnes qui ont constitué le cercle de nos

informateurs. Même si toutes les entrevues ont été prises en compte, dix ont

été privilégiées pour les analyses à cause du type d'initiation pour lequel nous

avions finalement opté. Notre choix s'explique par le fait que nous avons

voulu prendre en considération et les opinions des hommes et celles des

femmes de façon équitable. En outre, comme les analyses se basent sur la

traduction des entrevues réalisées en lobiri et en birifor, nous avons essayé de

rester fidèles au style oral et à la pensée des répondants. Cependant, quelques

difficultés se sont posées dans la traduction de certaines entrevues. Certaines

parties des bandes sonores sont difficiles à saisir, soit à cause de la diction

des répondants, soit à cause des expressions idiomatiques qu'il est difficile

pour nous de rendre correctement français. Cette difficulté a aussi milité dans

le choix des entrevues à prendre en compte.

De plus, le souci de rester fidèle à la pensée des répondants nous a mis

dans une situation de tiraillement entre une traduction littérale et une

traduction dynamique. Finalement, nous avons opté pour la traduction

dynamique afin que les textes soient plus compréhensibles en français.

Néanmoins, dans le souci de respecter le style oral et les nuances de certains

termes propres aux langues lobi et birifor, il nous est arrivé de nous coller

davantage au texte. Dans ce cas, nous avons gardé le mot ou l'expression

dans ces langues, en mettant entre parenthèse ou en note de bas de page

l'explication.

Les entrevues ont reçu les cotes suivantes : E001FL, E002FL, E003HL,

E005FL, E006FB, E008HL, E009HL, E010HL. Les entrevues E008HL et

E009HL constituaient au départ une seule entrevue, car les intervenants ont

sollicité d'être ensemble pour nous parler de ce qu'ils savent du joro. Dans la

première codification nous les avions gardées ensemble sous la cote E008-

009HL. C'est dans la seconde codification qu'elles ont été scindées, car non

seulement le texte était long, mais cela créait aussi des problèmes dans les

recherches sur les occurrences. Afin d'éviter la surcharge des notes

165

Page 168: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

infrapaginales, les références à ces entrevues seront insérées dans le texte.

(E001FL, §1) désignera l'entrevue classée 001 faite avec une femme lobi (F =

femme, H = homme ; L = lobi, B = birifor), la citation venant du paragraphe 1.

Ces entrevues ont été soumises à un traitement informatisé à l'aide du logiciel

NVivo 2.0.

2. 2. Procédure de traitement des données par Nvivo 2.0

Le logiciel NVivo est une version de NUD*IST dont la première version a

été développée en 1999 à Melbourne en Australie, par la compagnie QSR

international374. Il se fonde sur un principe d'analyse qui relève de la

décontextualisation et de la recontextualisation375. La décontextualisation

consiste à extraire d'un corpus, des unités traitant d'un même thème et à les

ranger dans un même groupe thématique. Ces extraits ainsi isolés de leurs

structures ou contextes, d'où le terme décontextualisation, sont ensuite

classés ou restructurés dans des ensembles conceptuels376. Ce travail

implique donc une segmentation et une catégorisation377, et consiste à lire et

à relire les entrevues pour les découper en petites unités en assignant à

chacune un thème qui traduit avec le plus de précision possible le contenu.

Ces thèmes sont ensuite classés dans des rubriques ou catégories. Ainsi se

créent des nœuds entre les documents et les rubriques.

374 Raphaël CANET, « Analyse quali tat ive des données : cons t ru i re u n e représen ta t ion àl'aide d u logiciel NVivo », <h t t p : / /www.cha i r e -mcd . ca /> . p . 10.375 Te rmes ut i l isés p a r Tesch cité pa r Frédéric DESCHENAUX et Sylvain BOURDON,Introduction à l'analyse qualitative informatisée, Québec , Les cah ie r s pédagogiques del'Association pour la recherche qualitative, 2005, p. 7.375 Lorraine SAVOIE-ZAJC, « L'analyse des données qualitative : pratiques traditionnelleet assistée par le logiciel NUD*IST » dans Recherches qualitatives, Vol. 21, 2000, p. 103.377 Renata TESCH, Qualitative Research: Analysis Types and Sofware Tool, New York, ThePalmer Press, 1990, cité par Lorraine SAVOIE-ZAJC, « L'analyse des données qualitative :pratiques traditionnelle et assistée par le logiciel NUD*IST » dans Recherches qualitatives,Vol. 21, 2000, p. 101.

166

Page 169: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

NVivo offre trois possibilités pour la création des nœuds378. Il existe des

« nœuds libres », des « nœuds hiérarchisés » et des « nœuds cas »379. Les

nœuds libres permettent de créer des thèmes qui ne se rattachent pas à une

structure prédéfinie. Bien que cette option permette de regrouper des thèmes

afin de retrouver facilement l'information, nous avons opté pour les « nœuds

hiérarchisés ». Ainsi avons-nous placé au cours de la lecture, chaque extrait

de texte dans des catégories précises. Il est arrivé qu'après avoir choisi un

terme à partir d'un document, celui d'un autre document soit beaucoup plus

approprié. Alors nous avons révisé le premier terme en le renommant. Cette

opération n'altère pas la codification de l'autre document. La même procédure

a été également appliquée aux catégories dans lesquelles les différents thèmes

sont classés. En lisant les entrevues, nous cherchions à faire ressortir les

idées des répondants, à voir quel thème elles traduisent et dans quelle

catégorie elles peuvent être placées. Dès lors, une structure arborescente se

construit, de nouvelles catégories se créent, et certaines sont supprimées ou

remplacées par d'autres. Cette flexibilité a permis de passer de huit catégories

à sept à la fin de la codification. Nous avons ainsi réaménagé les catégories en

tenant compte de notre question de recherche qui vise les aspects

pédagogiques du joro. Les éléments de la catégorie « Caractéristiques » ont

cependant été repartis dans diverses catégories. C'est ce qui explique les six

catégories du tableau V-l. Les catégories de départ étaient :

• Préparatifs ;• Retraite ;• Société initiatique joro ;• Réintégration sociale ;• Le joro vu des chrétiens ;

378 Pour savoir c o m m e n t fonctionne NVivo, le lecteur p o u r r a consu l te r FrédéricDESCHENAUX et Sylvain BOURDON, Introduction à l'analyse qualitative informatisée,Québec, Les cahiers pédagogiques de l'Association pour la recherche qualitative, 2005, 45pp. Le texte est sur le Web et peut être consulté à l'adresse : <www.recherche-qualitative.qc.ca>. C'est l'un des meilleurs documents d'accompagnement au logiciel enfrançais. Cf. également Sylvain BOURDON, Le logiciel d'analyse de données qualitativesQSR NVivo, Québec, Université de Sherbrooke, 2001, 28 pp. Site web : <www.chaire-mcd.ca>. Nous sommes surtout redevables à Laurent LUX, « Guide d'introduction aulogiciel d'analyse qualitative NVivo », Notes de cours automne 2002, Québec,Département d'anthropologie. Faculté des sciences sociales de l'Université Laval.379 Frédér ic DESCHENAUX et Sylvain BOURDON, op, dt, p . 2 3 - 2 6 .

167

Page 170: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

• Espace d'éducation ;• Village du joro ;• Interdits dujorD ;

Pour ce qui est des « nœuds cas », il s'agit en fait de nœuds hiérarchisés

qui sont traités selon des cas spécifiques. Par exemple, si l'analyste veut

savoir tout ce qu'un répondant a dit sur un sujet, ce type de nœud lui sera

utile. Bien que nos rapports de codification partent de chaque document, le

présent travail n'a pas opté pour ce type de nœud, car il s'est plus intéressé

aux thématiques qu'il est possible de retrouver chez tous les répondants. Pour

retrouver les informations, NVivo offre un outil de recherche. Ainsi, à partir de

chaque catégorie, nous avons pu retracer chez tous nos répondants, toutes

les informations qui s'y rapportent. Les résultats de la recherche sont ensuite

exportés dans une feuille de calcul Excel pour être illustrés à travers tableaux

et graphiques. Les commentaires se fondent sur ces résultats.

2. 3. Difficultés et limites du travail avec NVivo

Malgré les facilités qu'offre l'analyse qualitative à l'aide de NVivo, il

demeure un problème lié à la démarche. À première vue, la

décontextualisation et la recontextualisation comportent des risques. Le fait

d'isoler un extrait de son contexte est déjà une opération suspecte, car le

chercheur peut facilement s'éloigner de la signification que les contextes

proches et éloignés de l'extrait autorisent. Ne dit-on pas « qu'un texte hors

contexte est un prétexte ? » Ainsi, risque-t-on de faire dire aux extraits ce

qu'ils ne veulent pas dire en réalité.

En outre, le danger d'harmoniser ou de dissocier des éléments en

provenance de sources diverses ou même incompatibles n'épargne pas la

recontextualisation. Ce n'est pas parce que deux individus prononcent les

mêmes termes qu'ils veulent nécessairement signifier la même chose. André

Vergez et Denis Huisman rapportent l'anecdote suivante. Un journaliste

demande un jour à Einstein s'il croyait à l'existence de Dieu. Avant de lui

répondre le savant répliqua en ces termes : « définissez-moi d'abord ce que

168

Page 171: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

vous entendez par Dieu et je vous dirai si j'y crois.380 » La réplique du savant

est révélatrice. Deux personnes qui soutiennent que Dieu existe, même si elles

parlent de la même réalité, n'y inscrivent pas nécessairement le même

contenu sémantique. Car le mot Dieu peut renvoyer chez l'un et chez l'autre à

des idées fort différentes. Quand par exemple, un musulman prononce Alla

(Dieu en arabe) et un chrétien arabe dit Alla, parlent-ils vraiment du même

Dieu ? En revanche, deux termes morphologiquement différents peuvent

traduire une même réalité ; les synonymes en sont un exemple.

En effet, la démarche de décontextualisation-recontextualisation

comporte des risques ; cependant, il convient de rappeler que l'approche

qu'elle sous-tend présente des caractéristiques qui permettent de faire face à

ces risques. La recherche qualitative qu'elle sous-tend met l'accent sur les

interactions constantes entre celui qui analyse et le contexte de production

des entrevues. Ce qui suppose que l'analyste est bien informé des différents

contextes qui portent le texte. En plus, l'analyse se veut inductive et donc,

lorsqu'un extrait est isolé du reste du texte, ce n'est pas de façon arbitraire.

L'analyste a à sa disposition des mémos pour lui permettre de retracer le

contexte. Enfin, dans l'analyse manuelle du contenu, contrairement aux

fiches qui comportent seulement les extraits, le logiciel permet de construire

et de garder un lien entre les extraits et le texte original. Ce qui rend l'analyse

moins fastidieuse que celle qui se fait sur du support papier et offre plus de

facilité dans la recherche des informations381. À chaque étape du projet, il est

même possible d'avoir un aperçu de ce qui a été fait en demandant un rapport

de codification.

380 André VERGEZ, D e n i s HUISMAN, Nouveau cours de philosophie, classes terminales AetB, Tomel, Paris, Fernand Nathan, 1980, p. 169.381 Cf. Lorraine SAVOIE-ZAJC, Ibid., p. 105-106. Pour plus d'information sur lesavantages et les limites du logiciel, se référer à Sylvain BOURDON, « L'analyse qualitativeinformatisée : logique des puces et quête de sens », dans Recherches qualitatives, Vol. 21,2000, pp. 21-44.

169

Page 172: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

2. 4. Rapports de codification

Dans les descriptions du joro, la quasi totalité des ethnologues est

fidèle aux divisions séquentielles telles qu'élaborées par Van Gennep pour les

rites de passage : le temps de séparation, celui de la transition et enfin celui

de la réintégration382. Au lieu de suivre les séquences que proposent ces

études, nous avons laissé les entrevues — traduites et transcrites — guider la

codification en tenant compte des grilles habituelles d'analyse des rites de

passage. Tout en gardant en arrière-plan ces grilles, le travail a consisté à

codifier les entrevues à partir des données traduites. À l'exception de

l'entrevue E010HL qui était faite directement en français, toutes étaient soit

en lobiri, soit en birifor, langues locales du pays lobi. Deux sortes de textes

ont fait l'objet de nos analyses : ceux qui visent le centre rituel du joro de

Nako vers le Nord-Est de Gaoua et ceux du centre de Batié-Nord vers l'Est de

Gaoua. Le centre de Nako concerne les Lobi du Nord et de l'Ouest qu'on

nomme les pabulodara (ceux de la plaine). Celui de Batié-Nord vise les Lobi de

l'Est ou les gôgôdara (ceux des collines), et tient ses cérémonies un an après

les pabulodara^2. Nous nous sommes attaché surtout au centre de Batié, qui

serait le plus représentatif. Certaines informations laissent entendre que le

centre de Nako serait une succursale et d'autres y voient un effet de

schisme384. Notre choix est aussi dû au fait que lorsque quelqu'un finit avec le

pabulodara joro, on lui demande d'aller au gôgôdara joro. Une seule entrevue se

base sur le centre de Nako dans le but de souligner les particularités, mais

surtout les similitudes. Nous avons voulu ainsi approfondir l'étude d'un type

de joro, en réservant le second pour des études ultérieures.

À cause des différentes raisons évoquées, nous avons été obligé de nous

en tenir à des entrevues qui posaient moins de problèmes sur le plan de la

qualité sonore en tenant compte des genres. Il faut relever que les entrevues

en langue lobi ont été privilégiées à celles réalisées en langue birifor. Cela est

382 Arnold V a n GENNEP, The Rites of Passage, Chicago, t h e Univers i ty of Chicago P res s ,1961, p. 81-82.383 Cécile d e ROUVILLE, op. cit. p . 185-186 .384 Ibid. p . 186.

170

Page 173: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

dû au peu de répondants birifor. Quatre cent trente-quatre (434) codes ont été

établis pour nous servir de base à la réflexion et huit catégories ont orienté la

codification. Partant de ces résultats, nous avons relu les documents en

remaniant les catégories dans une perspective pédagogique. Cette deuxième

lecture nous a permis de réduire les codes à 357 et de limiter notre champ

d'analyse et d'interprétation à partir des catégories « Environnement »,

« Préparatifs », « Objectifs », « Voies et moyens », « Acteurs », et « Interactions »

{cf. Tableau V-l). Les catégories «Objectifs» et «Interactions» ne font pas

l'objet de commentaires comme les autres. Cependant, les indicateurs qu'elles

mettent en évidence servent à saisir le but et la perception chrétienne du joro.

2. 5. Survol quantitatif des résultats

Les dix entrevues qui ont été soumises à l'analyse proviennent de cinq

femmes et cinq hommes. Cet échantillon n'est nullement représentatif de la

société lobi, encore moins du continent africain. Les informations recueillies

ont pour but d'aider à comprendre le phénomène du joro, et poser les repères

pour des recherches plus poussées. Les résultats de l'analyse de ces

informations ne prétendent pas à l'exhaustivité. Les thématiques dont la

régularité est observable dans les entrevues ont été retenues par rapport à

celles qui reviennent moins souvent. Ce choix n'est pas basé sur une

régularité selon une approche quantitative, mais plutôt sur le principe de

saturation des approches qualitatives. Ces thématiques ont été classées dans

des catégories faisant référence à des indicateurs pédagogiques, et permettant

de structurer les commentaires des chapitres qui suivent.

Le tableau V-l fait un survol quantitatif des résultats liés aux

catégories retenues dans une approche qualitative. Tous nos répondants ont

fait référence à « l'Environnement » qui porte les activités du joro. Celui-ci est

constitué des lieux où se déroulent les cérémonies, du temps dans lequel elles

se tiennent et des institutions porteuses de ces cérémonies. Pendant que la

totalité des entrevues parle des lieux, 70 % donnent des indications

171

Page 174: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

temporelles et 90 % offrent des informations sur les institutions garantes du

joro.

Tableau V-l : Tableau récapitulatif de la codification

Principaux nœuds

1.1 Lieux des cérémonies

1.2 Temps des cérémonies

1.3 Institutions

2.1 Dispositions préliminnues

Rites préliminaires

3 Objectifs

3.1 Construire l'identité

3.2 Transmettre des savons

3.3 Organiser la société

4 Voies et moyens

4.1 Pèlerinage

! • : K ' M I I . L.

4.3 Transmissions des savons

4.4 Frais

5 Acteurs

5 1 Candidats à l'initiation

5.2 Initiés L

6 Interactions

1 | , )ports internes

6.2 Rapports proches

|6.3 Rapport-

femmes

5

C

2

s

4

4

2

2

4

5

5

5

5

2

5

4

5

4

4

2

5

0

1

5

%femmes

5 0

50

30

50

50

30

40

4 0

20

20

40

5 0

50

50

50

20

5 0

40

50

40

40

20

5 0

0

10

50

Total

g

c

4

4

5

4

C

4

4

3

4

5

5

5

5

5

4

5

4

4

1

5

1

2

5

%hommes

5 0

50

40

40

5 0

40

.50

4 0

40

30

40

5 0

50

50

50

50

5 0

40

50

40

40

10

50

10

20

50

Total

100

100

70

90

100

70

90

8 0

60

50

80

100

100

100

100

70

100

80

100

80

80

30

1 0 0

10

30

100

Tous les répondants soulignent qu'avant la tenue de ces cérémonies, on

s'attelle à des « Préparatifs ». Ceux-ci occupent une place importante et sont

172

Page 175: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

constitués de deux sous-catégories. Les dispositions préliminaires que 70 %

des répondants relèvent, désignent certaines actions entreprises, qui ne sont

pas nécessairement des rites, mais contribuent à préparer les individus et la

communauté à l'événement. À côté de cela, 90 % de nos informateurs

soulignent la place de rites préliminaires à connotation beaucoup plus

religieuse que profane.

Quatre-vingts pour cent des personnes relèvent les « Objectifs » du joro.

Remarquons qu'aucune de nos questions ne portait sur les objectifs, mais

l'analyse des données a fait ressortir que 50 % ont parlé explicitement du fait

que le joro permet la construction de l'identité lobi. 70 % font allusion au fait

qu'il permet d'organiser la société et 50 % mentionnent des éléments qui font

référence à la transmission des savoirs comme un objectif visé par le joro.

Sans que cela ne soit explicitement relevé comme un but, la transmission des

savoirs revient sous une autre catégorie : « Voies et Moyens » qui se

subdivisent en cinq sous-catégories : le pèlerinage (100 %), les rituels (100 %),

la transmission des savoirs (100 %) et les frais (90 %).

Tous soulignent la place des « Acteurs » à travers cinq sous-catégories :

candidats à l'initiation (80%), les initiés (100%), les maîtres d'initiation

(80 %), les membres de la famille (80 %) et les ravisseurs (30 %). Les

ravisseurs tiennent un rôle très central dans l'initiation même si peu de

personnes en ont fait mention explicitement. L'interprétation des résultats

permettra de saisir cette importance, car certains aspects caractéristiques du

joro et de ces dispositifs pédagogiques ne peuvent se comprendre qu'en faisant

recours aux ravisseurs. Quant à la catégorie « Interactions », trois dimensions

la composent: les rapports internes (10%), rapports proches (30%) et

rapports éloignés (100 %). Ces chiffres s'expliquent, car pour les deux

premières sous-catégories, aucune question n'avait trait à cela alors que la

dernière constituait une question qui demandait aux répondants de donner

leurs opinions sur les points de rapprochements entre le christianisme et le

joro. Ce sous-ensemble comprend deux aspects : un aspect qui touche la

société moderne et un autre qui touche le christianisme.

173

Page 176: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

L'interprétation qui va suivre reprend chaque catégorie qu'elle

commente en faisant référence aux rapports de codification des entrevues qui

se trouvent en Annexe. Dans les chapitres qui suivent, les différents tableaux

développent les catégories en vue de présenter, non pas des statistiques, mais

des éléments qui structurent les commentaires. Nous avons fait quelques

aménagements dans les titres pour suivre une certaine logique dans la

rédaction ; c'est pourquoi les commentaires ne suivent pas toujours l'ordre

des éléments des tableaux.

En conclusion, la recherche qualitative à travers ses techniques de

collectes et d'analyses des données qui a été l'objet de ce chapitre vient à

point nommé dans cette étape de nos recherches sur l'initiation lobi.

Premièrement, elle a réorienté la manière dont nous envisagions notre

approche du joro. Fasciné par ce que disent les ouvrages de ce phénomène et

désireux d'en savoir plus, nous avions néanmoins quelques appréhensions à

aborder ce sujet. N'étant pas initié, nous nous posions des questions sur la

validité de nos propos. Fallait-il donc se faire initier avant d'entreprendre

notre projet de recherche ? Cela n'est pas envisageable à cause de notre foi et

de la famille chrétienne à laquelle nous appartenons. La solution qui se

présentait à nous était de nous doter d'un échantillon probabiliste. Là aussi,

un problème se posait, la difficulté de trouver un certain nombre de

répondants prêts à nous livrer les informations qui serait représentatif de la

population lobi et birifor. Cette solution exigeait aussi un séjour prolongé au

Burkina Faso et en Côte d'Ivoire pour constituer un pareil échantillon, ce qui

soulevait encore d'autres problèmes.

Deuxièmement, la recherche qualitative a contribué à faire le ménage

dans notre compréhension de la construction des savoirs. Nos relations avec

les gens des villages africains qui n'ont pas été à l'école nous avaient

convaincu que le savoir dit savant n'était pas le seul valable. Ceux-ci

ridiculisaient même les connaissances reçues dans les écoles occidentales.

Pour preuve, on raconte la boutade suivante. Un jeune élève revient au village

pour les grandes vacances, et tout content, il fait part à son père d'une

174

Page 177: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

découverte importante. Il dit : mon père, à l'école, nous avons appris que la

terre tourne autour du soleil. Le père lui dit : tu mens, les blancs ont gâté ta

tête. L'enfant insiste et tient mordicus à sa connaissance. Voyant sa

détermination, le père coupe court la discussion. Vint le jour où l'enfant

devait repartir en ville pour la reprise des cours. Alors, s'approchant de son

père, il demande les frais de transport, car il devait emprunter un autocar.

Tout tranquillement, son père lui dit : n'as-tu pas dit un jour que la terre

tournait, est-ce qu'elle continue de tourner ? Oui, répond l'enfant. Dans ce

cas, reprend le père, va t'arrêter au bord de la route et puisqu'elle tourne,

lorsqu'elle va atteindre ta destination, tu la laisses continuer et toi, tu rejoins

ton école ! Cette plaisanterie est souvent racontée pour opposer la

connaissance acquise à l'école et celle traditionnelle. Elle met en évidence

l'écart entre le savoir scientifique et le savoir ordinaire, celui des savants et

celui des villageois. Comment est-ce possible de concilier ces savoirs ? La

recherche qualitative nous a ouvert des pistes pour aborder cette question.

Dès lors, elle nous offre une approche prometteuse dans les études

théologiques. En premier lieu, l'accent placé sur la proximité du chercheur et

de son terrain d'étude rejoint l'esprit qui anime les théologies contextuelles.

Jusqu'ici, la majorité des discours théologiques évangéliques africains qui se

veulent contextuels, sont très souvent élaborés en marge de la situation réelle

des gens pour qui ils disent parler. Quand des recherches sont faites sur le

terrain, elles servent surtout à valider une vérité biblique ou une doctrine. Les

théologies contextuelles trouveront dans les méthodes qualitatives des cadres

théoriques et des méthodologies pour mieux approcher leur objet. En

deuxième lieu, la recherche qualitative autorise le bricolage dans lequel

plusieurs méthodes peuvent être combinées pour étudier un sujet. Partant, si

la théologie évangélique africaine peut puiser dans les méthodes qualitatives,

du travail reste à faire pour voir comment cela pourrait se faire pratiquement.

Peut-on les appliquer à toutes les branches de la théologie ? Quelles

possibilités offrent-elles en dogmatique, en exégèse, en théologie pratique ? En

outre, si les méthodes qualitatives peuvent être pertinentes pour la théologie,

il faut reconnaître que les deux sont de registres différents. Les premières

175

Page 178: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

abordent des faits humains alors que la théologie vise des réalités qui, bien

qu'immanentes à l'humain, lui sont aussi transcendantes. Il convient donc de

voir comment les arrimer et faire ressortir les possibles apories pour

l'épistémologie d'une « théologie qualitative. » Pour la théologie évangélique en

Afrique, de tels sujets demeurent un champ d'investigation.

Relevons pour terminer que si dans la recherche qualitative le

chercheur et les acteurs directs qui sont ses informateurs interagissent, ils ne

sont pas à l'abri de la manipulation de l'information. Le chercheur qui se base

sur les méthodes qualitatives en est averti et en principe, en tient compte.

Cependant, lors de la codification, des classements et de l'interprétation, le

risque de faire correspondre les résultats de l'analyse à ses présuppositions

est très grand. C'est pourquoi, se doter d'une grille de lecture construite à

partir d'un cadre théorique aide à minimiser un tant soit peu ce risque. Dans

notre cas, étant donné que les anthropologues sont d'accord pour attribuer à

l'initiation une fonction fondamentalement éducative et que les analyses

inductives des discours sur le joro font ressortir des éléments en rapport, avec

les composantes d'une stratégie éducative, cela a conduit à construire une

grille basée sur des données pédagogiques qui sert ici à la relecture des

entrevues réalisées.

176

Page 179: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

CHAPITRE VI

CADRE ET ACTEURS DU PROJET D'INITIATION

Dans les chapitres II et IV, nous avons montré que le joro peut être

analysé à partir des catégories issues des sciences de l'éducation. La plupart

des ethnologues s'accordent sur le fait que chez le peuple lobi du Burkina

Faso et de la Côte d'Ivoire en Afrique de l'Ouest, le joro est l'une des plus

importantes institutions d'éducation et de cohésion du groupe385. Il consiste

en un pèlerinage qui serait un effort de la tribu de remonter à ses origines, se

rappelant ainsi sa migration ou la route qu'ont suivie les ancêtres. Il offre

aussi aux pèlerins néophytes l'occasion d'apprendre à devenir de vrais Lobi.

Un tel projet exige un encadrement institutionnel et humain, un cadre porteur

des objectifs, des principes et des moyens pour sa réalisation. Pour ce qui

concerne le joro, de quoi serait constitué l'environnement dans et par lequel se

circonscrivent ses activités ? Partant des catégories « Environnement » et

« Acteurs » de l'analyse des entrevues, nous examinerons cette question. Nous

commenterons les différents éléments touchant les indicateurs géographiques

et humains qui accueillent et gèrent les cérémonies du joro. Pour chaque

catégorie, nous présenterons d'abord, de façon générale, les tableaux des

résultats de l'analyse avant de passer aux commentaires à proprement parler.

1. Environnement

La catégorie « Environnement » décrit le cadre spatio-temporel dans

lequel se déroulent les cérémonies d'initiation. Les résultats générés par

l'analyse font ressortir trois principaux indicateurs : les lieux et le temps des

cérémonies ainsi que les institutions qui les portent (cf. tableau ci-dessus). Le

385 Cf. chapitre II de la première partie.

177

Page 180: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

premier et le dernier indicateurs feront l'objet de commentaires. En revanche,

étant donné que l'indicateur touchant le temps des cérémonies est toujours lié

aux différents espaces qui accueillent les rites, il ne constituera pas un point

à part.

Tableau VI-1 : Composantes de la catégorie « Environnement »

Principaux nœuds || Total femmes

Environnement1.1 Lieux des cérémonies

1.1.2 Village lobi

L U Durée de l'initiation\:;-'.i'.,, m o n i e s

préliminaires

1.2.3 La retraite1.2.4 Cérémonies au village

ioro

1.3 Institutions

1.3.1 Patriclans

1.3.2 Groupes

,: de joro

5

5

4

5

3

0

1

3

1

5

4

1

1

%femmes

50

50

4 0

50

30

0

10

30

10

50

40

10

10

hommes

5

5

4

5

4

1

2

3

3

4

4

2

2

r~ %hommes

50

50

40

50

40

10

20

30

30

40

40

20

20

Total%

100

100

80

100

70

10

30

60

40

90

80

30

30

1.1. Le village du joro

À l'intérieur de la sou s-catégorie « lieux des cérémonies », deux endroits

constituent les centres des rituels, le village du joro et le village lobi. Le

premier se situe non loin d'un cours d'eau. Les répondants le désignent par le

terme miir ou mii en lobiri et mani en birifor. E006FB relève que : « Quand on

parle de mani, (fleuve) cela ne veut pas dire que c'est vraiment au fleuve, mais

il est question d'un lieu à proximité du fleuve, un endroit qui se trouve dans

les parages. On peut même apercevoir le fleuve depuis cet endroit. » Le fleuve

dont il est ici question serait le Mouhoun (ancienne Volta noire) ou un de ses

affluents, (cf. carte VI-1)

178

Page 181: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Carte VI-1 : Aire d'emplacement probable du village joro (en pointillés)

pdogo

.;

Source : Encyclopédie Microsoft Encarta 2002

Ce cours d'eau prend sa source au Nord-ouest de Bobo-Dioulasso,

coule vers Boromo et se jette dans la Volta au Ghana. Il aurait occupé une

place importante dans l'histoire de la traversée des ancêtres lobi de leur lieu

d'origine vers le Burkina Faso vers 1770386. C'est à partir de là que les

groupes se seraient séparés, les uns en direction de Nako et les autres en

direction de Batié Nord. Ces deux branches expliqueraient les raisons de

l'existence de deux types de joro. Pendant le pèlerinage, les descendants de

ceux qui ont pris la direction de Nako au Nord de Gaoua reviennent sur les

traces de leurs pères. Il en serait de même des descendants de ceux qui sont

passés par Batié Nord. Mais d'où les Lobi sont-ils venus pour ensuite se

disperser ? Les hypothèses ne manquent pas.

386 Michel FIÉLOUX, Les sentiers de la nuit. Les migrations rurales lobi de la Haute-Voltavers la Côte d'Ivoire, Paris, ORSTOM, 1980, p. 19. Dans son essai de chronologie, HenriLABOURET, fait aussi remonter l'installation des Lobi au Burkina Faso vers 1770. cf.Nouvelles notes sur les tribus du rameau lobi Leurs migrations, leur évolution leurs parlerset ceux de leurs voisins, Dakar, IFAN, 1958, p. 16-17.

179

Page 182: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

D'après le chef coutumier de Gaoua, Yari Oussè387, les pères auraient

raconté que leurs pères seraient venus de très loin, « d'un endroit où l'on

trouve de l'eau rouge », et qu'ils auraient navigué en zigzagant. Partant, il se

demande si les Lobi ne viendraient pas de l'Orient. Quelles que soient les

hypothèses faites à ce sujet, la tâche de remonter aux origines des Lobi

s'avère difficile ; c'est ce que remarque Fiéloux. « La mémoire lobi, dit-elle, ne

retient pas les faits passés sur la rive gauche de la Volta comme si son

histoire avait réellement commencé dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle

au moment de la grande traversée du fleuve. Il ne reste de ce mouvement d'est

en ouest qu'une reconnaissance mythique de la Volta388. » Le joro serait-il là

pour rappeler cette difficulté de remonter à l'origine à travers la symbolique

du pèlerinage ? Nous examinerons cette question quand nous aborderons la

question de la « grande marche » vers le village du joro.

Un indice important qui situe l'emplacement du village du joro est la

mention du peuple Dagari. E007FB relève :

Une fois là-bas, vous vous regroupez selon les patriclans et lesDagari viennent vous vendre des arachides. C'est pourquoi onchante qu'au bord du fleuve, il y a des arachides et des petits pois.Mais si à ton retour tu racontes ce que tu as vu, tu peux souffrird'un mal d'estomac jusqu'à en mourir. Vos parents achètent lanourriture vendue par les Dagari pour vous. (§13)

Cela est confirmé par E003HL : « Le joro est marqué par un ordre établi,

une hiérarchie. Le centre des cérémonies se situe au fleuve parmi les Dagari. »

(§3) E008HL (§10) les assimile aux Wandara composés de Dagari et de Birifor.

Certains Dagari, en effet, vivent au bord du fleuve Mouhoun et cela corrobore

les informations reçues. Comme l'a dit E003HL, c'est là-bas que se situe le

387 Dans une entrevue le 08 juillet 2003, le chef Oussè avance l'idée que les Lobi auraientdes liens avec les populations de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Qu'ils seraientprobablement partis de là pour atteindre le Soudan, puis le Tchad, le Niger, le Bénin, leTogo, le Ghana et le Burkina. Même s'il nous est difficile d'admettre une telle hypothèse,d'après des recherches que nous avions effectuées à l'hiver 2001, nous reconnaissons queles rites initiatiques des Orokaïva de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et ceux des Lobi ontdes similitudes. Toutefois, cela s'avère insuffisant pour expliquer le lieu d'où est parti lepeuple lobi.388 Michèle FIÉLOUX, op. cit. 1980, p . 17.

180

Page 183: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

centre des cérémonies, c'est le chef-lieu du patriclan national ou « grande

maison » c'est-à-dire, le premier emplacement de la maison du chef de clan.

Arrivé à la maison du grand chef, vous trouvez plusieurs groupesrassemblés, et différents sanctuaires. Alors, vous vous rassemblezaussi en tant que groupe et vos chefs vont consulter le grand chefpour recevoir les instructions concernant les éléments à fournirpour les sacrifices en faveur du groupe. Quand vos chefs reçoiventles instructions, ils reviennent vous les transmettre. S'il y a descotisations à faire, vous vous en acquittez et vos chefs les remettentau grand chef afin que les sacrifices soient offerts. (E003HL, §7)

C'est à proximité de cette maison que les pèlerins construisent des

huttes pour leur servir de lieu d'habitation pendant le déroulement des

cérémonies. Ces huttes sont utiles non seulement au village du joro, mais

également au village lobi, lors de la retraite. Les candidats à l'initiation y

demeureront pour quelques jours, et la durée de leur séjour dépend de la

pureté des membres du groupe.

[...] s'il y a une faute parmi vous, il faut réparer et tant que vous nele faites pas, ils prendront le temps qu'il faut jusqu'à ce qu'il y aitréparation. Toutefois, quand on peut s'acquitter des droits exigés,les uns peuvent passer cinq jours, d'autres dix jours, avant derepartir au village. Par contre, si les conditions n'ont pas étéremplies normalement, deux semaines peuvent passer sans que rienne bouge. (E003HL, §7)

1.2. Le village lobi et le lieu de retraite

Si le village du joro tient une place centrale dans les cérémonies

initiatiques lobi, le village lobi demeure le point de départ et d'arrivée des

pèlerins. Il est stratégique pour la préparation et la suite des rites ainsi que le

vécu de ce qui a été transmis pendant les cérémonies. Là, un domaine est

toujours réservé pour accueillir les initiés. Les spécialistes le désignent par le

terme de « lieu de retraite ». Les répondants le décrivent comme étant un

hangar (E002FL, §17), ou un grand arbre (E006FB, §17), le bois sacré

(E010HL, §11) situé dans la brousse ou plutôt dans un lieu désert à proximité

du village.

181

Page 184: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

De retour au village, les nouveaux initiés doivent nécessairement

transiter par un lieu dénommé jorluu ou jorjëv. E008HL explique : « Une fois

au village, vous ne regagnerez pas tout de suite vos maisons. On vous conduit

dans le jorluu (littéralement, domaine du joro). C'est un peu comme un

marché, et c'est là que vous allez séjourner pendant un temps. » (§6)

Une fois de retour au village, vous demeurez quelque part enbrousse pendant quelques jours. Je ne sais pas comment nommercette place, mais c'est un endroit du village qui est précisémentdestiné à accueillir les nouveaux initiés. C'est le bois sacré et lesinitiés ainsi que leurs moniteurs y demeurent pour quelques jours.(E010HL, §11)

Les nouveaux initiés sont tenus d'y demeurer jusqu'aux cérémonies de

réintégration.

À votre retour, on vous conduit sous un grand arbre où vous passezplusieurs jours. Certains restent un mois, d'autres quarante jours.Vous êtes nourris là-bas et vous ne devez pas quitter les lieux avantle temps prévu. Qu'il vente ou qu'il pleuve, vous êtes tenus dedemeurer là-bas jusqu'à ce qu'on vous autorise à rentrer chez vous.(E006HB, §17)

Ce lieu constitue une école, car c'est là que les enseignements sont

dispensés, que se font les apprentissages et que s'exerce l'art du combat

(E003HL, §13, §24). C'est à cette étape que certains procèdent à la dation de

noms (E010HL, §21) et d'autres se livrent à une répétition de la cérémonie de

bain (E003HL, §13). Tout se déroule comme si le nouvel état de l'initié ne lui

permettait pas de réintégrer sa société sans une certaine transition. Comme

pour le pèlerinage au village du joro, il fallait une sérieuse préparation avant

d'y aller, ainsi en est-îl pour la réintégration du village. Le nouvel initié ne

peut pas directement rentrer dans son village ; il lui faut une escale.

Cette transition passe nécessairement par un lieu géographique situé

entre deux espaces : la grande maison du patriclan national et la grande

182

Page 185: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

maison du patriclan local. C'est un entre-deux, l'espace liminaire389, pas

uniquement dans le sens d'état ambigu, mais aussi dans le sens d'espace et

de temps ambigus. L'initié n'est plus au village du joro, et il n'est pas non plus

le bienvenu dans le milieu villageois qui l'a vu sortir du sein maternel. Il est

placé dans un espace qui ne pourra pas le garder indéfiniment, face à un

espace qui l'attend mais qui ne peut pas l'accueillir illico presto. Ici s'opposent

le provisoire et le permanent, l'éphémère et le définitif.

La durée de cet état de liminarité dépend des groupes et peut aller de

dix jours (E003HL, §13) à deux mois (E002FL, §17, E004HB, §4). «Vous

restez dans le bois sacré, pour les uns dix jours, pour les autres quinze jours

et certains vingt jours. » (E003HL, §13) Aucun indice ne permet d'expliquer la

durée de ce séjour. Cependant, il est possible de lier cela à la capacité des

familles de réunir tous les éléments nécessaires pour les cérémonies de

réintégration et aussi à la disponibilité des chefs qui président les institutions

du joro.

1.3. Les institutions du joro

Les institutions du joro se composent des cokôtina. E009HL explique :

Le corkotin est le lieu où les pères avaient séjourné jadis, c'est là oùvos pères ont commencé, le lieu d'où vous êtes partis pour vousdisperser. Cette maison ne se détruit jamais, c'est le lieu où vousvous rassemblez pour les cérémonies du joro. Cela est lié àl'ascendance paternelle. Ici notre corkotin est la famille des Diolompo.Tu sais, nous les Lobi, nous venons du Ghana, on nous apprendque nous venons de là-haut (direction est par opposition à l'ouest).Quand les Diolompo venaient, le premier lieu où ils s'installèrent, futlà-bas. Après les autres les ont rejoints et ils se sont dispersés, maisles premières maisons existent toujours, c'est-à-dire les corkôtina.C'est pourquoi, ceux de Kampti, de Loropéni de Galgouli sont donctenus de se rassembler là-bas. C'est aussi la même chose avec ceuxde Bouméo, de Gbô, de Nako. Il y a le corkotin de ceux de Nako quiest le corkotin des gbôdara. Il y a Youlau, Ténkaar. Mais le jour dedépart ils descendent à Nako, le village du Gbô c'est-à-dire, la

389 Victor W. TURNER, Le phénomène rituel, structure et contre-structure, Paris, PressesUniversitaires de France, 1990, p. 96.

183

Page 186: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

maison même des grands chefs. Corkotin dans le joro désigne lalignée paternelle, d'où vous descendez. (§15)

Le corkotin en lobiri ou yir-kpëe en birifor, représente la grande maison

ou l'espace agnatique, et constitue l'une des composantes essentielles pour la

connaissance de l'arbre généalogique du Lobi. Il est cependant difficile de

savoir combien de patriclans — en lobiri, kvon (= naissance) — constituent la

société lobi. Un certain mutisme ou ignorance entoure la parenté du côté

paternel. Ce qui est tout le contraire du matriclan — caar en lobiri (= clan) —

qui compte quatre matrilignages : Da, Hien, Kambou et Paie. Ces

matrilignages sont subdivisés en sous-matrilignages. C'est lors du partage des

héritages que les différentes lignées prennent toute leur importance. L'enfant

hérite de la propriété (terre, maison) et les autels en ligne agnatique, tandis

que du côté maternel, il hérite de ce qui touche aux produits d'élevage et

d'agriculture, ainsi qu'à l'argent de l'oncle maternel.

La difficulté de remonter la lignée paternelle ne viendrait-elle pas de son

lien à l'héritage des autels en général et en particulier à celui du joro ? Fiéloux

et Joseph Kambou relèvent que les secrets du kvon sont révélés qu'aux seuls

initiés390. En effet, chefs-lieux des patriclans, les grandes maisons se situent à

trois niveaux selon certains. Il y a les grandes maisons au niveau local,

régional et celles au niveau national. Madeleine Père parle de grande maison

rapprochée, intermédiaire et principale391. Nos informateurs insistent surtout

sur le niveau local et national. Ils parlent des étapes qu'ils marquent mais ne

disent pas ce qui se fait à ces étapes. Par contre, ils décrivent les cérémonies

qui se déroulent au village (niveau local) ainsi que celles qui se déroulent au

niveau national, au village du joro.

Il ressort clairement que ces maisons constituent des espaces de

ritualisation et d'apprentissage de l'initié. Au niveau local se font tous les

sacrifices préparatoires en vue du pèlerinage au village du joro où se trouve la

« grande maison » du patriclan national. E006HL relève : « Ces sacrifices sont

390 Michèle FIÉLOUX, op. cit., 1980 , p . 4 1 - 4 2 ; J o s e p h - A n t o i n e KAMBOU, op. cit., 1999 , p .18-19391 Madele ine PÈRE, op. cit., p . 3 1 4 - 3 1 6 .

184

Page 187: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

toujours accompagnés de boisson et ne se déroulent pas n'importe où. Cela se

passe dans le corkotin, lieu où tous les membres du même clan se

rassemblent. » (§2) E003HL explique :

[...] ils ont des corkôtina où tous ceux qui descendent du même clanse retrouvent pour les instructions et les apprentissages. C'est làqu'on est instruit des différents interdits, qu'on procède auxsacrifices, rase les cheveux des enfants, met les médicaments dansleur nourriture (consécration des repas) avant qu'ils n'en mangent.(§4)

C'est aussi là que se déroulent les cérémonies de réintégration. E004HB

raconte :

Quand on met le feu, la flamme éclaire votre chemin pendant quevous marchez. Vous ne devez pas vous retourner jusqu'à ce quevous arriviez au yir-kpêe (grande maison) Là, sera jouée la musiquedu joro et vous danserez jusqu'au matin. Vous y demeurez quelquesjours avant qu'on ne vous ramène dans vos familles respectives. (§6)

E005FL renchérit :

Vos supérieurs à leur tour vous rencontrent un jour pour procéder àvotre purification. Après la cérémonie d'entrée au marché, ils vouspurifient en vous ôtant les accoutrements faits de cauris. Après lapurification, ils vous demandent d'apporter certains élémentscomme les pistaches par exemple, et quand vous vous exécutez, ilsvous ramènent dans la grande maison. Alors ils font écraser des osdont ils se servent pour accomplir la cérémonie et vous laissentrepartir dans vos maisons. (§12)

Dès lors, la grande maison du patriclan local constitue l'espace

d'ouverture et de clôture des cérémonies du joro. Quant à la grande maison

du patriclan régional, nous ne disposons pas d'informations sur son rôle dans

le processus de « jorbisation » hormis le fait qu'elle sert de lieu de repos ou

d'escale. Toutefois, il n'est pas exclu que certaines cérémonies s'y pratiquent

et que les candidats à l'initiation y reçoivent des instructions qui les préparent

aux rituels du village du joro, fief de la grande maison du patriclan national.

185

Page 188: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Le niveau national se réserve toutes les cérémonies de consécration.

Selon les intervenants, aucun enseignement à proprement parler ne se donne

à ce niveau ; tout est centré sur les cérémonies d'allaitement et de bain

ponctuées par des instructions sur les comportements à tenir pendant le

rituel et l'acquittement de certains frais.

La permission de prendre part à ces cérémonies relève de l'autorité du

chef de la grande maison nationale. « Quand le grand chef autorise les

cérémonies pour lesquelles vous êtes allés, c'est-à-dire accomplir les rites

d'intégration, on procède à la préparation du nécessaire. » (E003HL, §9) Tout

se passe au niveau des responsables et tourne autour des rites qui feront du

candidat à l'initiation un vrai Lobi et cela nécessite la présence des autres

clans, afin que les initiés comprennent qu'ils font partie d'un ensemble uni

dans la diversité. E003HL parle de dénominations (§3) pour qualifier ces

regroupements de clans et E008HL explique :

Les gens peuvent venir de différents endroits : Périgban, Gaoua,mais ils doivent se réunir là où leurs ancêtres se sont installés avantde se séparer. Donc, quand tu pars avec ton jorbi, tu dois passer parlà où tes pères s'étaient installés originellement, ce lieu est lecorkôtin, c'est là-bas que tu offres tes sacrifices. C'est pourquoi,pendant le joro chacun doit aller se réunir avec les membres issusdu même père devant le corkotin. (§14)

Dans ce processus de construction identitaire, les personnes de la

même promotion entrent dans un rapport particulier. Ainsi forment-elles des

groupes dont les liens entre membres sont souvent plus forts que les relations

fraternelles. Nous avons pu recenser cinq groupes : Bôdatoo, Dadirbe,

Dâkodara, Djinitoo et Gbaamitoo. Une recherche sur ces différentes

promotions, contribuerait à la connaissance de l'organisation sociale des Lobi.

Il est évident qu'en plus de ces groupes, il en existe d'autres. Leur caractère

ésoténque ne facilite pas leur découverte et empêche de saisir les indicateurs

pouvant permettre de comprendre leur fonctionnement et leurs enjeux

sociaux. La connaissance de ces groupes constitue un sujet qui reste encore

186

Page 189: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

inexploré. Cependant, saisir la vision du monde qu'ils véhiculent contribuerait

à comprendre l'homme lobi, ses valeurs et ses aspirations profondes.

Ce bref aperçu sur l'environnement où se pratiquent les cérémonies du

joro nous amène à faire une remarque. La société lobi est souvent considérée

comme une société anarchique. Cela est vrai quand on l'étudié

superficiellement ; mais lorsqu'on entre au cœur de la société joro, les choses

se présentent autrement. Cette société est hiérarchisée c'est-à-dire organisée

et soumise à une certaine discipline (E003HL, §3). E002FL témoigne que les

clans se suivent selon l'ordre hiérarchique d'autorité en matière depouvoir. Les gbôdara sont ceux qui détiennent le plus grand fétiche,c'est pourquoi ils sont en tête et les autres suivent dans l'ordre et ladiscipline. Vous empruntez tous le même chemin, les uns derrièreles autres selon l'ordre établi. Chaque groupe est tenu de garder saposition et ne doit pas chercher à dépasser les autres pendant lamarche. (§11)

Aux dires de nos répondants, cette organisation semble avoir un effet

déterminant, celui de « maintenir » les Lobi dans un ordre social déterminé,

qui prévient la désintégration sociale. Si une telle influence implique une

structure politique, celle du joro est loin de se préoccuper d'une structure

politique à l'échelle ethnique comme c'est le cas chez les Mossi, peuple

majoritaire du Burkina Faso. Certainement, l'administration politique n'est

pas la mission première du joro. Dans ce cas, quels sont ses objectifs ? Le

dernier chapitre examinera cette question. À présent, examinons les acteurs

impliqués dans la réalisation du projet initiatique du joro.

2. Acteurs

Cinq indicateurs nous ont permis de mettre en évidence une typologie

des acteurs qui occupent le champ de l'initiation lobi. Les néophytes, les

initiés, les maîtres d'initiation, les proches des néophytes et les ravisseurs

coopèrent dans ce projet éducatif. Le graphique VI-1 indique que les

informations repérées sur chacun des indicateurs mettent surtout l'accent sur

187

Page 190: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

les initiés, les néophytes et les maîtres d'initiation, ainsi que les parents des

néophytes ; tandis qu'on parle peu des ravisseurs. Cela se comprend puisque

toutes les cérémonies tournent autour des néophytes afin de les porter au

rang d'enfant du JOVD, et cela se réalise sous la responsabilité des maîtres et

des parents, sans oublier les initiés de la dernière promotion. Si le

pourcentage des initiés est élevé, cela est dû au fait que nous n'avions pas été

assez vigilant dès le départ, pour distinguer entre les anciens et les nouveaux

initiés. Cela n'a cependant pas d'impact sur l'interprétation qui va suivre, car

l'accent porte plus sur la description des portraits et non sur des statistiques.

Graphique VI-1 : Composantes de la dimension «Acteurs»

Ravisseurs8%

^ —Membres de la / ^ |

famille / ^

SI / 1

VIMaîtres ^ ™d'initiation

22%

Néophyteste^ 22%

^ r Initiés^ 26%

Pour expliquer les caractéristiques de chacun de ces acteurs, nous

sommes parti de certaines clefs d'interprétation. Exception faite des

ravisseurs et des proches des néophytes, les informations sur les autres

acteurs de l'initiation dégagent leur identité, leurs traits distinctifs, leur

fonction et leur statut. L'identité se démarque à partir des indices qui

qualifient et différencient les acteurs. Par exemple, le jorbi (initié) est différent

188

Page 191: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

du suu (maître d'initiation). Les traits distinctifs concernent les aspects

physiques, sociaux, psychologiques. Les initiés sont par exemple vêtus de

manière spéciale (aspect physique) ou sont perçus comme des êtres nouveaux

(aspects psychologiques). La fonction sociale fait référence aux différentes

activités auxquelles les acteurs s'adonnent (par exemple, les initiés sont des

accompagnateurs des néophytes). Le statut fait ressortir la place ou la

position des acteurs les uns par rapport aux autres et par rapport à la société

en général (les initiés ont autorité sur les autres membres de la société).

2. 1. Les néophytes

Les néophytes sont appelés jâkuma (cf. tableau VI-2). La signification de

ce terme est incertaine. D'après André Oussè, il viendrait du birifor et serait

un mot composé de jaar (refuser), ku (donner) et ma (moi). Littéralement,

« refuse pour me donner », ce qui signifierait, « renonce pour moi ». Il y a

cependant un hic avec cette explication. En birifor, jâ veut dire ériger, tenir

haut ; il sert aussi à exprimer l'érection de l'organe génital masculin. Jaar veut

dire refuser. Comment est-on parvenu à confondre ces deux termes ? Il y a eu

certainement une déformation, ce que l'auteur de cette explication n'a pas

manqué de relever. La signification que donne André Oussè du mot jâkvma se

rapproche de celle que propose E009HL. « À ta naissance, dit-il, tu es jâkvma,

en birifor jaa kv ma (donne-moi tout), parce que, quand vous allez là-bas, ils

vous prennent tout. On vous fait payer très cher pour que vous puissiez boire

la boisson sacrée, l'argent envoyé doit être tout dépensé. » (§17) Compte tenu

du contexte, cette explication semble très plausible. Dès lors, l'identité des

néophytes serait liée aux enjeux économiques des moyens mis en œuvre pour

leur passage de l'état de non-initié à celui d'initié. Ceci corrobore l'explication

de E008HL.

Quand on dit jâkvma, ce sont les Birifor qui font les sacrifices et celacoûte cher. Tu vas leur donner beaucoup d'argent d'abord, c'est euxqui ont le médicament qu'on met dans la boisson qu'on fait boireaux initiés. Ils sont payés très cher, les chefs leur donnent beaucoupd'argent avant qu'ils ne mettent le médicament dans la boisson.

189

Page 192: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

(§22)

Ainsi, conviendrait-il de comprendre ce terme à partir de son emploi

métonymique. Dès lors, le mot jâkvma aurait vu le jour pour signifier d'une

part, ceux pour qui on donne tout pour la construction de leur identité. Car

au village du joro, les candidats à l'initiation et leurs parents payent très cher

pour les cérémonies de consécration, et particulièrement pour celle de

l'allaitement. D'autre part, il désignerait la soumission sans faille du candidat

pendant les rituels et le renoncement à son ancienne identité pour accéder à

celle qu'offre le joro. Ceci explique toute la discipline et la soumission

auxquelles le néophyte ne peut se soustraire.

Tableau VI-2 : Descriptif de l'indicateur «Néophytes»

Né0Phytes

Identité

Fêtes rasées

Jâkuma (non-initiés)

Traits distinctifs

Nus

Spécialement parés

Pris pour designorants

Fonction

Demander l'aumône

Travailler pour lesanciens initiés

Contribuer aux fraisd'initiation

Statut

Soumis auxinitiés

À la métonymie est jointe une synecdoque. Un sobriquet, «tête rasée»,

est donné au candidat à l'initiation, ce qui rappelle le rite de rasage. Cela se

rapporte au caractère purificateur qui est intimement lié au joro. La pureté

recherchée est celle qui vise à dépouiller le néophyte, à le mettre à nu ; à lui

faire prendre conscience de son état premier. C'est pourquoi, son portrait

reflète manifestement cet état, physiquement et mentalement. Physiquement,

les néophytes doivent demeurer nus pendant tout le temps que dure

l'initiation. E005FL raconte : « Quand vous êtes là-bas, vous êtes tout nus,

complètement nus comme le jour de votre naissance. Homme et femmes sont

tous nus et personne n'ose se laisser séduire par la nudité de l'autre. » (§6 ; cf.

190

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E001FL, §11 ; E002FL, §8 ; E003HL, §6 ; E006FB, §5 ; E008HL, §1, 7 ;

EO1OHL, §34) La comparaison que fait EOO5FL témoigne de la volonté

d'amener le néophyte à un état originel, à être « complètement nu comme le

jour de la naissance ».

Cette nudité, bien que physique, exprime métaphoriquement la

transparence qui est exigée à toute personne qui se rend au village du joro.

C'est curieux que E005FL dans le même paragraphe, parlant de cette

transparence, relève que la personne qui se laisse séduire par la nudité de

l'autre est considérée « comme un hypocrite392. Quand vous êtes là-bas, vous

ne devez pas dissimuler ce que vous avez au fond de vous, sinon vous risquez

la mort. » (§6)

Cette transparence ne symboliserait-elle pas une certaine aspiration à

l'état d'innocence ? N'est-ce pas la raison pour laquelle les néophytes sont

considérés comme des ignorants, des gens qui n'ont aucun savoir, des naïfs ?

Le candidat doit se mettre dans la peau d'un ignare. Cet état ne traduit pas

seulement une attitude mentale, mais dénote toute un comportement

empreint d'humilité pour entrer dans l'initiation du joro. Il doit montrer

l'attitude d'un petit enfant pour vaincre la honte et l'humiliation qu'il peut

ressentir. Cet idéal de transparence semble utopique, c'est pourquoi, pour le

rendre plus humain, plus supportable, le joro prévoit un accoutrement

spécial. Les candidats sont alors parés spécialement, ce qui leur permet de

supporter un tant soit peu ce dépouillement physique et psychologique. Tout

cela les prépare à assumer leur statut de soumis et certaines fonctions qui y

sont attachées. Ainsi, dans un esprit d'humilité, ils doivent d'une part servir

les anciens initiés en se soumettant à leur volonté et, d'autre part, s'adonner

à la mendicité. Vivre un tel traitement est un vrai supplice pour un Lobi, car

cela met à rude épreuve sa fierté.

Comment en serait-il autrement ? En effet, l'initiation au joro se donne

comme un espace cathartique, le lieu éducatif où l'enjeu est l'homme. C'est lui

qu'il convient de construire en tenant compte du patrimoine ancestral. Cette

392 Le terme employé par le répondant est « personne ayant deux ventres »

191

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construction n'est jamais une fin en soi, et ne s'achève jamais, car l'homme

dxLjoro est toujours en route, c'est le pèlerin qui ne se lasse de revenir sur les

traces de ses devanciers.

2. 2. Les initiés

À travers les différentes cérémonies du joro, le néophyte entre dans le

rang des initiés. Le mot lobiri est sans équivoque, il désigne l'identité de l'initié

comme lejorbi, c'est-à-dire, l'enfant du joro. En d'autres termes, c'est l'enfant

pèlerin. Il n'est pas l'enfant dédié nécessairement à un dieu, mais il est celui

qu'on a consacré à l'esprit d'itinérance, à qui on a inculqué des principes que

doit connaître un voyageur.

Dans son pèlerinage, le jorbi passe par un séjour dans le bosquet sacré,

ce qui lui vaut le sobriquet qu'exprime la périphrase « gens de la brousse ».

Nous avons déjà expliqué, que de par son caractère de personne sacralisée,

l'initié ne peut intégrer la société sans transition. Cette transition se vit dans

un lieu très peu fréquenté. Il introduit l'initié dans un monde qui le met en

relation avec les animaux de la brousse, les végétaux et les esprits. Il doit

apprendre à vivre avec cet environnement avant d'être officiellement accueilli

par sa famille.

Toutefois, pendant cette mise à part, il n'est pas seul. Il est accompagné

de ses co-aspergés, (les nouveaux initiés) qu'il appelle omi (frères) ainsi que

des anciens initiés. Tous sont solidaires et c'est pourquoi, lorsqu'un parent

visite le lieu de retraite pour apporter de quoi manger à son enfant, tous

partagent ce repas. Spécialement parés, (cf. photo VI-1-2) leur portrait

souligne la nouveauté de vie dans laquelle ils sont entrés.

Le néophyte passe de l'état d'enfant à celui d'adulte, de l'état de

restriction à celui de la liberté (E008HL, §16 ; E009HL, §17, 21 ; E010HL,

§41) ; car les domaines de la vie sociale qui lui étaient interdits lui sont

désormais permis. Cela lui octroie un statut nouveau, qui le met au-dessus de

ceux qui ne sont pas encore passés par l'initiation et l'autorise de défier les

192

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puissances spirituelles (E007FB, §15). En revanche, il est sous ces

devanciers, les anciens initiés qui ont la responsabilité de l'éduquer pour qu'il

assume correctement cette nouvelle position sociale qui lui est assignée.

Photo VI-1, 2 : Les jorbi parés de cauris

'

Source : Clichés de Jack Robertson

S'il y a des privilèges liés à sa nouvelle situation, le jorbi est tenu de

faire preuve de circonspection. Il ne doit, en aucun cas, trahir le secret du joro

(E001FL, §11 ; E006FB, §28). Pour qu'il ne perde pas de vue ce pacte du

silence, la menace de mort en cas de trahison éveille constamment sa

conscience. Il ne peut aborder un sujet touchant son initiation qu'avec ceux

qui ont été initiés, en veillant qu'aucune oreille indiscrète ne saisisse quelque

parole de la conversation. E002FL en témoigne dans ces termes :

Étant enfant, lorsque les adultes parlaient entre eux et que nousnous approchions d'eux, ils nous chassaient. Quand un enfantrefusait de s'en aller, les adultes quittaient les lieux ; l'enfantobéissant s'éloignait toujours et ne pouvait donc pas saisir quoi quece soit de leurs conversations. Quand on est jeune et qu'on n'a pasencore été au joro, on n'est pas autorisé à s'asseoir avec les initiés,surtout pas avec les nouveaux. (§2)

193

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2 . 3 . Les maîtres d'initiation

La discipline imposée à l'ensemble des initiés est suivie par les maîtres

d'initiation qu'on désigne par jorkôtin (littéralement, grand du joro). Pour

parler d'eux, les répondants se servent des termes chefs (E002FL, §12 ;

E003HL, §6 ; E005FL, §1), grands chefs (E003HL, §6, 8), supérieurs (E005FL,

§10 ; E010HL, §11), anciens (E006FB, §3). À côté de ces termes, certains

parlent de gbôdara qui désigne le chef lieu du clan, mais aussi celui qui en est

le représentant (E002FL, §14 ; E008HL, §15 ; E009HL, §12). Par signe de

respect, les initiés s'adressent à eux en les appelant suu, quand il s'agit des

hommes et omië pour les femmes (E001FL, §9 ; E008HL, §4).

Pour ce qui est du portrait des maîtres, une seule référence indique

qu'ils sont armés, comme du reste, toutes les personnes qui vont à l'initiation

(E001FL, §21). Il est certain qu'ils sont autorisés à se vêtir différemment, et

ce, à cause de leur statut. Deux types de chefs sont responsables des

cérémonies du joro, les chefs responsables des patriclans au niveau local et

ceux qui sont responsables au niveau national. Parmi eux, il existe une

hiérarchie liée au degré de pouvoir du fétiche que possède la personne.

E002FL souligne : « les clans se suivent selon l'ordre hiérarchique d'autorité

en matière de pouvoir. Les gbôdara sont ceux qui détiennent le plus grand

fétiche, c'est pourquoi ils sont en tête et les autres suivent dans l'ordre et la

discipline. » (§11) Les responsables locaux assument les fonctions suivantes :

- poser les actes rituels (E001FL, §13, 11, 16 ; E003HL, §4, 12 ;

E005FL, §10 ; E009HL, §4) ;

- fixer la date du pèlerinage (E003HL, §4) ;

- percevoir les frais d'initiation (E010HL, §13) ;

- instruire les pèlerins (E001FL, §11 ; E003HL, §4, 6) ;

- prononcer les jugements et appliquer les verdicts qui s'imposent

(EOO1FL,§1,4);

194

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- conduire les pèlerins jusqu'au village du joro (E002FL, §15 ;

E005FL, §1).

Les responsables au niveau national planifient l'arrivée des pèlerins

(E010HL, §2), veillent à ce que toutes les conditions spirituelles et matérielles

soient réunies pour les rituels, puis ordonnent les cérémonies au village du

joro (E003HL, §6, 7). Ils autorisent également le retour des pèlerins dans leurs

villages respectifs (E003HL, §9).

Ces responsabilités qui sont échues aux maîtres d'initiation ne se

limitent pas seulement à la période de l'initiation, ni à la communauté des

initiés. Leur pouvoir s'étend sur l'ensemble de la communauté villageoise, car

ils sont appelés à veiller à ce que les interdits permanents du joro ne soient

pas enfreints par qui que ce soit, et que rien ne vienne menacer les

fondements de l'initiation ou détourner les initiés de la voie des ancêtres. C'est

ce qui explique les conflits entre les chrétiens et les chefs du village de Nako

(E009HL, §11). Aussi représentent-ils la société lobi devant les autorités

administratives en cas de litige. E008HL raconte :

II y a deux ans j'ai rencontré des difficultés avec eux. Notreconflit touchait nos enfants qui n'ont pas été au joro. Quand ilsreviennent du joro, qu'ils ont les cauris comme signe, lorsqu'ilsrencontrent nos enfants ils les frappent parce qu'ils ne connaissentpas le joro. Ils disent que lorsqu'ils les croisent sur la grande voie, ilsdoivent leur céder le passage, car la route leur appartient, ainsi,quand ils croisent nos enfants ils les frappent. Un jour, ils ont portéla main sur un de nos enfants et cela m'a révolté. Ils ont attiré monattention sur le fait que moi, je connais les règles. Alors, je leur ai dit: j'ai abandonné le joro, je ne veux plus du joro, mon enfant n'ira pasnon plus au joro. Si tu portes la main sur mon enfant, puisqu'il neva jamais participer à tes sacrifices, quel sens y a t-il à porter lamain sur lui, montre-le-moi ? Moi je connais le joro et je l'aiabandonné et mon enfant ne connaît pas le joro, il n'offre pas nonplus des sacrifices, il prie Dieu ; s'il te dit de venir prier son Dieu, tune seras pas d'accord et lui n'ira pas non plus sacrifier au joro,pourquoi portes-tu la main sur mon enfant ? Ils ont dit qu'ils ont ledroit de frapper mon enfant et qu'il était hors de question d'allerdevant les autorités étatiques avec cette affaire. Alors j'ai dit : si tuportes la main sur mon enfant nous irons devant les autorités pourjuger cette affaire. Ils ont dit que cela ne se fera pas et ils ont unefois encore battu l'enfant et l'ont blessé. Alors je les ai convoqués à

195

Page 198: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

la gendarmerie. Là on leur a dit de payer les médicaments poursoigner l'enfant. Ils ont alors dit aux gendarmes de me dire deconseiller mes enfants pour qu'ils n'empruntent pas la voiepublique, que cela leur est interdit. Quand ils ont fini, j'ai dit augendarme : chef393, si vous donnez la permission à ces gens de vousremplacer et qu'ils portent la main sur les enfants de nous autreschrétiens, nous allons nous flécher394. Me tournant vers le maîtred'initiation j'ai dit : je ne sacrifie plus au j'ors, pourquoi veux-tu que«chef» te donne la permission. Alors j'ai dit au chef : chef, si tu disque le j'oro est l'autorité suprême, nous allons nous tuer. Le chef m'adonné raison et leur dit que s'ils estiment que leur sacrifice estimportant, il fallait qu'ils aillent ailleurs et non sur la grande route,car cette voie est la voie publique. Il ajouta que s'il leur autorise àporter la main sur les adorateurs de Dieu, lui qui ne connaît pas lejoro, s'il passe sur la voie publique, il risque d'être aussi leur cible.Le chef m'a donné raison. Ce qu'ils veulent, c'est imposer le joropour que tous aient peur et qu'ils puissent continuer à porter lamain sur nos enfants, c'est là les difficultés que nous rencontrons.Nous devons tenir fermes là-dessus ; pour eux, nous les empêchonsde manger, car lorsqu'ils reviennent, ils font des sacrifices et ilsmangent là-bas. Comme ils voient qu'ils ne gagnent rien avec nous,ils se retournent contre nos enfants pour les frapper, car ils disentque ce sont desjâkvma. (§24)

Ce récit nous montre les obstacles que les maîtres d'initiation

rencontrent dans l'exercice de leur fonction. Ces obstacles émanent des

autorités administratives et des personnes qui se sont détournées de la voie

des ancêtres. Tant que la société était homogène sur le plan religieux et

politique, son contrôle leur était facile. À présent, le joro doit composer avec

d'autres entités qui jouent parallèlement les mêmes fonctions que lui.

2. 4. Les parents et proches

Pendant et après les cérémonies du joro, il existe une catégorie

d'acteurs sans laquelle l'initiation serait impossible. Il s'agit des parents des

néophytes et de leurs proches. Si leur identité et la fonction qu'ils assument

nous sont restituées par les répondants, rien ne filtre explicitement de leur

portrait et de leur statut. Ils sont désignés par les termes de père, mari, mère,

393 Titre donné en signe de respect , mais peu t désigner ici le c o m m a n d a n t de lagendarmerie .394 Les Lobi sont des tireurs à l'arc, l'une des armes meurtrières pendant les conflits.

196

Page 199: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

femme (dans le sens d'épouse) et de prétendant. Les premiers sont les parents

directs des néophytes, mais le plus en vue dans l'initiation est le père

(E003HL, §3). Les cérémonies consistent à se substituer à la femme pour faire

renaître leur enfant, non plus en tant que membre du clan de la femme, mais

de celui de l'homme. Toutefois, comme dans la première naissance, le mari et

l'épouse jouent un rôle à des degrés différents, ainsi en est-il lors de cette

deuxième naissance.

Le père et la mère accompagnent le néophyte dans ce processus de

renaissance pour pourvoir matériellement à ses besoins, le protéger et

participer aux rituels. Sur le plan matériel, les parents contribuent aux frais

d'initiation, aussi bien dans le cadre des purifications préliminaires (EOOIFL,

§1 ; E003HL, §3 ; E010HL, §5), que dans le cadre de leur alimentation

(EOOIFL, §6 ; E003HL, §13 ; E007FB, §13). Ils protègent également les

enfants des sévisses dont ils peuvent être victimes (E002FL, §7), et des

ravisseurs (E006FB, §4, 5 ; E008HL, §10). Les hommes mariés ont la

responsabilité de veiller sur leurs épouses (E005FL, §2). Ils accompagnent

enfin leurs néophytes aux différents rites d'initiation (E003HL, §9 ; E004HB,

§7 ; E006FB, §5). Dans la dation de nouveaux noms, les parents constituent

les principaux acteurs, même s'ils peuvent autoriser d'autres personnes à

donner un nouveau nom à leur enfant nouvellement initié (E003HL, §16 ;

E010HL, §21).

À côté des parents il y a les gendres et prétendants. Ces derniers jouent

surtout le rôle de pourvoyeurs sur le plan matériel. Ils aident à couvrir les

frais d'initiation de leurs futures épouses (E008HL, §9 ; E010HL, §5). En plus

de cela, ils sont appelés à porter les bagages des membres de la belle-famille

et doivent toujours se tenir prêts pour jouer le tam-tam qui accompagne la

marche des pèlerins. E010HL fait un lien entre porter les bagages et jouer le

tam-tam.

Je reviens aux filles qui ont été proposées en mariage.Généralement, leurs fiancés aident à jouer le tam-tam pendant lamarche et à charger les bagages des parents de la future belle-famille. Ces bagages étaient en principe rangés dans des paniers

197

Page 200: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

qu'on chargeait sur la tête. Lorsque les joueurs de tam-tam étaientfatigués, on cherchait, dans le cortège les jeunes gens ayant chargédes paniers sur leurs têtes et on leur demandait de prendre la relèvedes batteurs de tam-tams. (§7)

2. 5. Les ravisseurs

Les ravisseurs forment un groupe non négligeable dans la typologie des

« Acteurs ». Leur référence est omniprésente dès lors que commence le

pèlerinage. Il y a deux sortes de ravisseurs, l'une venant du genre humain et

l'autre du monde animal ou aquatique. Ici, nous nous intéressons surtout aux

acteurs humains. Ceux-ci sont identifiés comme les Wâdara, c'est-à-dire, ceux

dont la langue est le birifor ou le dagara (E008HL, §10 ; E001FL, §8). Les

Wâdara feraient partie du groupe linguistique dagara395. Ils semblent être les

habitants du village du joro ou de ses environs. Un seul indice décrit leur

portrait, ils sont des gens masqués, qu'on ne peut facilement dévisager

(E002FL, §12).

Le rôle que jouent les ravisseurs est un rôle pédagogique. On se sert

d'eux pour entretenir un climat favorable à l'apprentissage de la discipline et

de l'attachement à son groupe. E002FL explique :

Lors de la marche, des protecteurs encadrent les enfants en setenant à leurs côtés pour les empêcher de dévier du chemin ou dequitter leurs groupes respectifs. Quand quelqu'un s'éloigne de songroupe, des individus l'entourent sur-le-champ et l'enlèventdiscrètement. Dans ce cas, on dit que c'est l'eau qui l'a emporté eton ne réserve pas des funérailles au disparu. Dans certains cas, cesdisparus deviennent des victimes sacrificielles pour préparer lescérémonies de la prochaine initiation. Malgré les bousculadespendant la marche, tu n'oses pas t'écarter des autres de peur d'êtreenlevé. Ceux qui s'adonnent aux enlèvements sont des personnesmasquées recouvertes de feuilles qu'il est difficile de reconnaître.Quand ils se saisissent de quelqu'un et qu'on les aperçoit, on n'apas le droit de leur arracher leur victime. (§12)

395 Gudrun MIEHE, « L'abandon de la langue ou de la culture : le signifié et le signifiantdans quelques langues du rameau lobi », dans Images d'Afrique et sciences sociales. Lespays lobi, birifor et dagara, Michèle FIÉLOUX (dir.), Paris, Karthala/ORSTOM, 1993, p.40.

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Page 201: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Leur fonction est si importante qu'elle est voilée par un procédé

métaphorique alliant le monde humain, animal, aquatique et végétal. Pour

faire référence à leur action et à leurs victimes, on parle « d'eau qui emporte »,

du « caïman qui saisit », du « yikoro qui emporte », de la « pirogue qui

emporte ». En entretenant un climat de peur marqué par le risque d'être

enlevé, et en gardant le secret autour de l'action des ravisseurs, lejoro se dote

d'un pouvoir de sensibilisation qui d'une part, est totalement différente de ce

qui se fait dans le monde moderne en Afrique, et d'autre part, se comprend

difficilement par l'homme du XXIème siècle.

En définitive, dans le processus initiatique du joro tel que l'ont compris

nos répondants, toute la société est en fin de compte engagée dans le

mouvement de naissance-mort-renaissance qui fait du jâkuma xmjorbi. Ainsi,

lejoro se présente comme un phénomène qui soude les différentes dimensions

de la vie sociale. Si la société lobi est aujourd'hui perçue comme l'une des

sociétés en Afrique qui accepte difficilement le changement, force est de

reconnaître que ces changements proposés cherchent rarement à comprendre

ce qui constitue le ciment de cette société. Le christianisme protestant,

conscient de cette situation, ne sait pas toujours comment s'y prendre. C'est

pourquoi, une contextualisation du joro s'avère nécessaire, si le christianisme

évangélique veut que l'éducation à la foi chrétienne soit pertinente en pays

lobi.

3. Impératif missionnaire etjoro : cadres et acteurs

Le joro, espace bien protégé par la discipline de Parcane,

conséquemment méconnu, est souvent assimilé par les uns à des pratiques

arriérées et par les autres à des pratiques occultes qu'il convient d'évacuer

quel qu'en soit le coût. Cependant, à le considérer de près, malgré les

différences, il présente quelques similitudes avec l'impératif missionnaire dans

ses dimensions touchant le cadre socioculturel qui le porte et qu'il tente de

construire ainsi que les acteurs impliqués dans son projet. Afin de les saisir

nous relèverons d'abord quelques implications pédagogiques de Matthieu 28,

199

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18-20 pour dégager leur contribution dans la compréhension de l'initiation

comme processus pédagogique.

3. 1. Les indicateurs pédagogiques de l'impératif missionnaire

Le premier indicateur de l'impératif missionnaire concerne les acteurs

impliqués dont la principale figure est Jésus. Il est identifié à l'Emmanuel (éy<h

H£0'ti|j,û)v dm = je suis avec vous) et comme celui qui a toute autorité (é^ouoia).

Si au début de l'évangile (1, 23), il est fait mention du Dieu qui vient vers son

peuple, qui est avec son peuple, cela est repris à la fin. Le verbe Jipoaèxojiai

(s'approcher) au verset 18 du chapitre 28, appliqué à Jésus, traduit cette

volonté de rencontrer les disciples, d'être avec eux. Il s'approche non pas pour

garder le silence, mais pour prendre la parole ("éXàXr\ocv" du verbe "Àedéo").

L'acte de parler, « tâches maîtresses de l'homme396 », qui se trouve au cœur

des rapports, se présente ici comme un indicateur d'humanité du Christ ; car

il se sert d'une langue humaine pour communiquer.

En outre, l'un des attributs portant sur la personne de Jésus et lié à la

parole, est éveTSiAàpriv (de évxéXkoiiai = commander, ordonner, prescrire).

Comme le soutient Zumstein, ce verbe à l'aoriste suggère une relation entre le

Jésus d'avant la Pâque et celui qui est ressuscité397. Dans ce cas,

l'enseignement de Jésus, n'est pas seulement bonne nouvelle du royaume,

mais aussi commandement. Le décor dans lequel sont placés les propos de

Jésus fait penser à l'événement de la transmission des dix commandements à

Moïse sur la montagne398 (Exode 19, 10-20, lss). Comme YHWH rencontre

Moïse sur le mont Sinaï, ainsi le Christ ressuscité vient à la rencontre des

siens sur la montagne pour leur donner ses dernières instructions.

396 Georges GUSDORF, La parole, Par is , P res ses Univers i ta i res de F rance , 1998 , p .37 .397 J e a n ZUMSTEIN, op. cit., 1977, p . 102 -103 .398 An thony J . SALDARINI, Matthew's Chritian-Jewish Community, Chicago, T h eUniversi ty of Chicago Press , 1994, p . 182 ; Pour les para l lè les avec Moïse, cf. Dale C.ALLISON, J r . , The New Moses. A Matthean Typology, Minneapol i s , Fo r t r e s s Press , 1993 ,p. 262-270.

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Considéré comme celui qui prend l'initiative de cette rencontre, Jésus

est aussi élevé en dignité et a le pouvoir (è'Epvola) sur la terre et au ciel. La

prise de ce pouvoir suit un processus. Tout d'abord, Jésus prend ses

distances vis-à-vis du pouvoir que lui proposent Satan (Mt. 4, 8-9) et le peuple

(Jn. 6, 15). Ensuite, il dénonce les perversions du pouvoir religieux (Mt.

21, 23-23, lss) et politique (Mt. 20, 20-28) ; enfin, il confronte le pouvoir

politique (Mt. 27, 14). Le non-conformisme dans lequel il s'engage à l'égard

des pouvoirs de son temps débouche sur sa condamnation à la mort sur la

croix. Sa résurrection viendra montrer à ses disciples, puis à ceux qui

recevront leur témoignage, l'ineffable vérité de son autorité.

D'après le texte de l'Évangile, il était né dans la royauté, comme

l'annonce la question des mages en Mt. 2, 2 : « où est le roi des Juifs qui vient

de naître ? » (cf. Mt. 11, 27) Toutes ses activités étaient déjà sous le signe de

l'autorité399. Il enseigne avec autorité (Mt. 7, 29) ses miracles manifestent son

autorité (Mt. 8, 9, 9, 6-8) ; ses opposants l'interrogent sur l'origine de son

autorité (Mt. 2, 23). Il délègue son autorité aux disciples (Mt. 10,1). Tout cela

se trouve confirmé dans sa Pâque. Mais bien qu'il soit né roi, il lui a fallu

s'inscrire dans un parcours humain dont le but n'était pas de lui donner le

pouvoir, ni même de le proclamer, mais de le faire reconnaître d'abord à ses

disciples, et par eux, à toute l'humanité. La déclaration de Jésus sur son

autorité sert à faire comprendre solennellement aux disciples que même les

événements de sa passion n'ont rien enlevé à son autorité. Cette autorité

s'étend dans le ciel et sur la terre.

Les termes oûpavoç et yr\ (ciel et terre) sont ici les éléments qui font

référence à l'univers, indicateur qui suggère le cadre porteur des activités

d'éducation à la foi. Le rapprochement ciel et terre revient dans Matthieu

environ huit fois, et cet évangile compte le plus d'occurrences touchant le ciel

(82 fois)400. Ces deux termes mis ensemble expriment un espace lié par le

même sort, car ce qui se passe dans l'un va se répercuter dans l'autre. « Je

399 J e a n ZUMSTEIN, op. cit., 1977, p . 9 8 .400 H a n s BIETENHARD, « Heaven » d a n s Colin, BROWN, (dir.) New Testament Theology,Vol. 2, Grand Rapids, Zondervan, 1975, p. 192.

201

Page 204: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et

tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. » (Mt. 18, 18 ; cf.

24, 30 ; 28, 2) Cet espace eschatologique est soumis au temps, car il passera

(Mt. 24, 35) pour faire place à une recréation, à l'établissement du royaume

des cieux, espace où sont déployés définitivement le règne de Dieu (Mt: 11,

25) et l'autorité du Christ ressuscité (Mt. 28, 11, 18).

C'est toutefois dans l'espace soumis au temps que se déploie et se

révèle le pouvoir du Christ ressuscité. Il est la plaque tournante de l'activité

des disciples. Dans Mt. 28, ces derniers, qui constituent un deuxième

indicateur touchant les acteurs, sont au nombre de onze ici, mais forment un

groupe de douze dans le reste de l'évangile où ils sont nommés "ôœôexa

ixaeiyrâç" (Mt. 10, 1 ; 13, 10 ; 17, 6, 16 ; 21, 20 ; 24, 1). Le mot na9r|Tnç40i

attribué aux douze, revient 68 fois dans Matthieu et désigne ceux qui

accompagnent Jésus. Ce groupe se réduit à onze et se caractérise dans la

finale de Matthieu comme ceux dont les sentiments envers le Ressuscité sont

partagés, puisque, bien qu'ils le reconnaissent comme l'envoyé de Dieu, le Fils

de Dieu, ils laissent planer un certain doute (éôkmxaoav). Ce portrait des

disciples dépeint la foi en proie à l'incrédulité. C'est néanmoins à eux qu'est

confiée une mission par laquelle ils sont appelés à parcourir l'univers,

(nopeuouai) à l'exemple du Maître, pour faire d'autres disciples.

La référence au groupe des onze402 fait penser que la formation des

disciples n'était pas circonscrite à des individus isolés. Zumstein s'accorde

avec Bornkamm pour assimiler l'utilisation de ol naSnxat à la notion d'ecclésia

dans Matthieu403. Pour Mortimer, ceux qui sont chargés de la mission sont les

onze, chiffre symbolique pour parler de l'Église de la fin du premier

centenaire404. Cet auteur ne manque pas de relever le caractère imparfait de

401 Pour une étude approfondie du terme dans Matthieu et de son arrière-plan juif et grec,cf. Michael J . WILKINS, The Concept of Disciple in Matthew's Gospel as Reflected in theUse ofthe Tenu Ma6t]Ttjç, L e u d e n / N e w York, E. J . Brill, 1988 .402 ëvôexa naGriTai, (Mat th ieu 2 8 , 16).403 G û n t h e r BORNKAMM, Der Auferstandene, p . 3 0 1 , cité p a r J e a n ZUMSTEIN, op. cit., p .100.404 Ar ias MORTIMER, « C h u r c h in the World. Re th ink ing t h e great commiss ion » d a n sTheology Today, n° 47, 1991, p. 418.

202

Page 205: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

cette Église marquée par les conflits et la peur, la foi et le doute, le bon grain

et l'ivraie. Non seulement l'utilisation du pluriel implique un groupe, mais

Matthieu donne l'impression d'une répétition de l'histoire du peuple d'Israël.

Le rassemblement à la montagne fait penser à l'événement du mont Sinaï405,

où le peuple rassemblé reçoit les tables de la loi. Matthieu fait mémoire de ce

moment important de l'histoire du peuple de YHWH. Ce peuple ne se réduit

plus à Israël, mais s'étend à tous les peuples de la terre.

Pour faire partie de ce peuple, un rituel d'intégration s'impose,

comprenant le rite d'eau et la transmission des savoirs, indicateurs suggérant

les voies et moyens déployés dans l'éducation à la foi. Deux participes

définissent ces indicateurs, ParcxCÇovreç et ôiôâaxovreç. Le premier est rituel et

le second est pédagogique. L'ordre des objectifs est frappant et déroute nos

pratiques actuelles qui font précéder le rituel des cours de baptême ou la

catéchèse. Le rapport de la Trinité au rite baptismal dénote la primauté de la

relation ou de l'intégration à la famille de Dieu. En effet, un disciple, c'est-à-

dire un apprenant, est moins celui qui court après une foule de connaissance

que celui qui est appelé à une communion, à une intimité avec le Dieu

Trinitaire au nom de qui il agit. Le point focal est l'entrée dans une relation

filiale avec Dieu le Père. Le disciple de Jésus partage avec lui cette filiation,

car il les appelle frères (Mt. 28,10). Sans cette relation, il est impossible de

s'appeler disciple.

L'acte rituel ponctuel exige, cependant, un vécu permanent de la

signification du rite ; car il initie un processus relationnel. Il intègre et offre la

possibilité d'une dynamique identitaire soumise à un travail de

transformation et de communication. Comme lors du rite baptismal du Fils,

l'Esprit communiqua les paroles du Père pour l'authentifier, ainsi, à travers ce

rite, l'Esprit descend sur le disciple pour que l'écho de la voix du Père se

répande. Cette voix vient confirmer le sceau de sa filiation. Il convient

cependant de préciser que l'acte rituel baptismal, composé de gestes et de

paroles, est intrinsèquement lié à l'acte d'enseigner.

405 Pheme PERKINS, « Matthew 28:16-20, Résurrection, Ecclesiology and Mission », dansSociety of Biblical Literature 1993 Seminar Papers, Atlanta, Scholars Press, 1993, p. 576.

203

Page 206: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Le rite renvoie à un processus d'intégration à une communauté avec

ses règles d'accueil de nouveaux membres et leur formation. P. Perkins écrit

que les paroles du Ressuscité assurant ses disciples de sa présence (v. 20)

font penser à l'Église406. Elle se donne comme une communauté accompagnée

et non laissée à elle-même. Elle est aussi en apprentissage auprès du Maître

et en constante interaction avec le monde extérieur à travers la mission qui la

met en marche ou en pèlerinage. La communauté, le groupe des apprenants,

l'accompagnement, le pèlerinage sont des indicateurs qui permettent de

mettre en lumière les similitudes et les discontinuités des composantes de

l'impératif missionnaire proposé dans l'Évangile et de l'initiation du joro.

3. 2. L'ecclésiologie et la communauté joro

Nous avions relevé dans notre analyse quelques groupes du joro et leur

caractère solidaire. Les initiés forment un groupe unifié dans lequel chacun

est le surveillant de son frère ou de sa sœur. La loyauté au groupe est

essentielle et l'enfreindre entraîne des sanctions. La cohésion du groupe est si

importante que pendant les cérémonies funéraires, celui qui interroge les

morts demande à l'initié décédé de révéler si oui ou non, il a été infidèle à un

des principes du groupe. Cela importe beaucoup, car cette confession permet

les réparations nécessaires pour ôter les obstacles pendant sa migration vers

le village des ancêtres.

À cet aspect communautaire est lié l'accompagnement, composante

nécessaire à l'apprentissage. Nul n'entre seul en initiation du joro. On est

accompagné de ses camarades, de ses parents, des moniteurs, et des maîtres

d'initiation. Les derniers jouent un rôle crucial pendant les cérémonies

d'initiation, tandis que les premiers assurent le suivi après les cérémonies. Ils

facilitent les apprentissages et veillent à ce que tous les moyens soient réunis

pour le succès de l'initiation. Il faut ajouter à ceux-ci l'esprit de l'ancêtre

tutélaire qui accompagne en tout temps. Ainsi, le candidat à l'initiation et

l'initié ne sont jamais laissés à eux-mêmes, ils sont surveillés, soit par leurs

Ibid, p. 578.

204

Page 207: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

semblables, soit par un esprit. Dès lors, l'environnement est très impliqué

dans la formation du jorbi. Cette formation assurée par la communauté vise

l'intégration de l'initié dans celle-ci, cadre sociologique de l'éducation. La

notion de communauté qui est bien attestée dans le projet éducatif du joro

n'est pas absente du projet que poursuit l'impératif missionnaire.

Toutefois, ces similitudes entre les composantes de l'impératif

missionnaire et du joro ne doivent pas faire perdre de vue les discontinuités

entre les deux projets. Pendant que la communauté du joro se construit sur

une base clanique, celle de l'impératif missionnaire se veut universelle. La

communauté du joro construit les relations en société, une société humaine

en interaction avec l'environnement végétal, animal et spirituel. Cette société

est fermée, car limitée à une tribu n'ayant aucune ambition expansionniste.

Au niveau local, la communauté qu'édifie le joro vise un groupe ethnique et ne

se préoccupe pas des ethnies environnantes. Ce sont les ethnies lobi et birifor

qui sont concernées par le projet du joro. II ne se donne pas pour objectif

d'atteindre d'autres ethnies, ce qui est totalement à l'opposé du projet de

l'impératif missionnaire. Celui-ci vise l'universel, car sa mission est de faire de

« toutes les personnes de la terre » des disciples du Ressuscité. Son but est de

donner l'occasion à chaque femme et à chaque homme d'entrer dans une

communauté qui transcende les limites géographiques et ethniques.

L'adhésion à cette communauté est fondamentalement une rencontre ou une

expérience spirituelle avec le Christ, avant d'être une question de rites. Cette

expérience construit des relations qui sont loin d'être celles que propose le

joro.

Comme nous l'avons déjà relevé, le joro construit des relations en

société en tenant compte de l'environnement humain, naturel et spirituel.

Nous ne sommes pas certain qu'il propose une expérience avec une divinité

comme certains ethnologues le laissent penser407. Ce n'est pas parce que des

sacrifices sont offerts pendant les cérémonies qu'il faut conclure que le joro

est une divinité. Des sacrifices sont offerts à des ancêtres qui ne sont pas

Madeleine PÈRE, op. cit., p. 229-230.

205

Page 208: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

pour autant des dieux. Ils sont des intermédiaires certes, mais pas des

divinités. Nul doute que dans le joro on fait référence à une divinité, mais cela

ne suffit pas pour l'assimiler à un dieu. La divinité dont il est question dans

l'initiation lobi ne peut pas non plus être comparé au Dieu trinitaire. Thâgba

(Dieu) dans la pensée lobi est unique même s'il s'entoure d'intermédiaires

invisibles représentés matériellement. Cela explique la profusion des idoles

symbolisant tel ou tel intermédiaire. Si une telle conception de Dieu est loin

de rencontrer celle que présente les missions chrétiennes, il n'en demeure pas

moins que les représentations qu'elle véhicule peuvent constituer des atouts

majeurs à la compréhension du Dieu révélé par Jésus408.

3. 3. Le maître et le disciple

Dans l'impératif missionnaire, trois indicateurs ayant trait aux relations

interpersonnelles sont observables, les disciples, le Ressuscité comme Maître

et la Sainte Trinité. Les relations en vue sont filiales, fraternelles et

pédagogiques. Qu'en est-il du joro ? Dans notre analyse nous avons relevé ici

et là quelques éléments symboliques qui nous ont permis de mettre en

évidence le caractère englobant du joro. L'éducation que propose l'initiation

lobi est holiste, puisqu'elle vise à construire une symbiose entre la nature, la

culture et le spirituel. Tout cela s'opère dans ses relations humaines

impliquant des acteurs. Les parents, les proches, les moniteurs et les maîtres

d'initiation interagissent dans le but de préparer le néophyte à être un jorbi

(fils du joro).

Dès lors, trois sortes de relations caractérisent l'initiation du joro, une

relation parentale, une relation fraternelle et une relation pédagogique. Celles-

ci coopèrent dans le but de générer une nouvelle relation filiale ou mieux une

filialité joro. Ici nous empruntons le terme à Yves Ledure qui souligne qu'il est

« essentiel de différencier filiation de la génétique et filialité qui est œuvre de

408 Une recherche sur les divinités lobi aiderait à dégager les représentations susceptiblesd'éclairer le Lobi dans sa compréhension du Dieu trinitaire. Un tel objectif dépasse lecadre de notre recherche et pourrait être un sujet de réflexion pour les dogmaticiens.

206

Page 209: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

l'esprit409. » Les aspects économiques et affectifs sont pris en charge par la

famille. Ce sont les parents qui décident qui de leurs enfants doit aller à

l'initiation et ils préparent tout ce qui est nécessaire pour atteindre ce but.

Non seulement ils se chargent des besoins matériels, mais aussi ils se rendent

disponibles pour les soutenir, les avertir et veiller sur eux afin que rien de mal

ne leur arrive. Leur apport est essentiel car ils sont au départ de la formation

et facilitent le suivi.

À côté de cette relation se trouve celle des co-aspergés. Elle concerne les

autres candidats de la même promotion. C'est une relation fraternelle car

entre eux, ils s'appellent « frères ». Ils forment un groupe uni et solidaire, liés

par le même sort. Ils sont frères parce qu'ils sont renés de la même Mère, ont

bu le même lait, et sont membres du même patriclan. Il est intéressant de voir

que non seulement ils sont des frères, mais ils sont aussi des co-aspergés. Ce

dernier qualificatif fonde en fait le premier et fait référence au bain rituel.

Ces deux relations se vivent dans un cadre éducatif, d'où la nécessité

de la relation pédagogique qu'entretiennent les moniteurs et les maîtres

d'initiation avec les néophytes. Ceux-ci interviennent à deux niveaux

différents qui se complètent. Les premiers sont des courroies de transmission

des savoirs traditionnels liés au nouvel état de l'initié. Ils ont la responsabilité

d'enseigner les interdits, mais aussi d'instruire ceux qui leur sont confiés à

respecter les directives. Ils n'hésitent pas à se servir de la cravache, car le

savoir qu'ils sont supposés transmettre engage le corps ; il est oral et gestuel.

Les seconds sont chargés des pratiques rituelles. Leur rôle est central car

c'est par eux que s'opère la renaissance à laquelle le néophyte doit parvenir.

Leur action introduit l'initié dans l'ultime relation, celle de la filialité joro.

Ainsi, le néophyte devient fils du joro, né non de manière physique,

mais meta-physique. Cette naissance est récapitulative, globale et vient

409 Yves LEDURE, Le christianisme en refondation, Paris, Desclée de Brouwer, 2002, p.147. L'auteur se sert des mots filiation et filialité pour reprendre à nouveaux frais laquestion de l'Incarnation en mettant l'accent sur la place qu'occupe l'esprit dans cemystère. Le terme nous semble approprié pour traduire cette nouvelle naissance queconnaît le néophyte, laquelle est moins liée à la génétique telle que comprisehabituellement.

207

Page 210: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

authentifier la première en la dépassant, ou du moins, en introduisant le

naissant dans un univers de dépassement de soi. Cette relation est essentielle

dans la formation du joro. C'est pourquoi les rites de l'allaitement, du bain et

de dation de nom sont essentiels. Celui du bain place l'enfant lobi en face de

ce qui symbolise Thâgba, (Dieu) le Fleuve. L'eau du Fleuve fait penser à la

pluie qui descend du ciel, et qui est désignée par le terme Thâgba (Dieu) ou

Thâgba-nyvon (l'eau de Dieu). C'est donc dans une dimension spirituelle qu'est

introduit l'initié, il est désormais dans une relation de filialité scajoro, qui n'est

pas une divinité en soi, mais un principe de vie.

Malgré ces analogies, les réalités visées sont marquées par de profondes

différences. Nous sommes en face de deux registres différents qui ne

s'opposent pas nécessairement. D'une part, avec le joro, nous nous situons

sur un terrain anthropologique, et la démarche consiste à éduquer en vue

d'une intégration au milieu social, naturel, et spirituel. Elle vise également le

passage d'un état, celui de l'inculte, de l'ignorant, à celui du connaisseur. La

vedette est l'homme et son milieu social en quête de réalisation. D'autre part,

dans la formation du disciple chrétien, le registre change ; il est moins

question d'intégrer un milieu social situé, que de faire partie intégrante d'un

corps par adhésion librement consentie. « C'est à la fois une véritable ascèse,

une expérience charismatique et prophétique pour grandir à la taille du

Christ, unique et premier Maître d'initiation.410 » La relation est théologique.

Elle concerne moins l'homme se réalisant que se dépassant411 pour que soit

formé le Maître en lui. La vedette est le « Père qui modèle [...] l'image du Fils

par l'action de l'Esprit412 » dans celui qui est engagé dans la formation. La

relation est d'abord vécue avec la Sainte Trinité et ensuite avec les hommes

410 J e a n de Dieu MVUANDA, op. cit., p . 415 . Même si n o u s avons que lques réserves q u a n tà l'attribution du titre "maître d'initiation" à Jésus de peur de l'assimiler aux grandsmaîtres des initiations ésoteriques contemporaines ou de le réduire à sa seule humanité,la pertinence de cette appellation ne nous laisse pas indifférent. Anselme T. SANON, dans"Jésus, Maître d'initiation", dans KABASÉLÉ, et. al. (dir.) Chemins de la christologieafricaine, Paris, Desclée, 1986, p. 143-166, donne des fondements qui expliquent bien untel titre christologique.411 Amadeo CENCINI, Les sentiments du fils. Le chemin de formation à la vie consacrée,Toulouse, Éditions du Carmel, 2003, parle de dépassement de soi. p. 49.412Amadeo CENCINI, op. cit. p. 43.

208

Page 211: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

qui sont des acteurs « sujet » appelés à accompagner, étant eux-mêmes en

situation de formation. Cette formation se réalise aussi à travers des

institutions que l'homme met en place pour atteindre le but qui lui est

assigné.

Somme toute, ce chapitre a tenté de mettre en évidence les différents

cadres qui accueillent le projet de formation de la grande initiation lobi. Le

village du joro est le principal lieu physique du déroulement des cérémonies.

Après être passé par les rituels d'initiation, le néophyte rentre au village, mais

doit observer un temps de transition qui le prépare à regagner sa famille. Ce

temps se vit dans le lieu de retraite et est ponctué de visites de quelques

minutes à la maison. Cette période prend fin dès que sont engagées les

cérémonies de réintégration. Ces cérémonies sont placées sous la direction

des chefs des différentes maisons du patriclan. La durée totale des différentes

cérémonies varie entre douze et vingt-quatre mois. Une fois que les chefs

déclarent la fermeture du joro, il faut attendre sept ans pour relancer les

activités. Celles-ci ont pour but d'éduquer le Lobi en lui offrant la possibilité

de construire son identité, afin d'être pleinement intégré dans sa société. Cette

société est prise en compte dans le projet éducatif du joro car il ressort une

forte volonté de la réguler pour que ses membres vivent en harmonie les uns

avec les autres, mais aussi avec leur environnement naturel et spirituel. Cette

régulation est confiée à des institutions qui gèrent les activités du. joro.

Ces institutions se limitent géographiquement et sociologiquement.

Elles sont situées dans les limites de l'ethnie tandis que la formation du

disciple s'étend à tous les peuples de la terre. Les patriclans, institutions

principales qui portent les cérémonies du joro, se donnent comme une

expression locale du peuple lobi où se côtoient jorbi et Jâkuma (initié et non-

initié). Le projet initiatique lobi concentre ses efforts sur les voies et moyens

pouvant faire connaître ces patriclans, véritables milieux de vie du Lobi et

garants de la cohésion sociale.

209

Page 212: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

La formation que propose le joro au Lobi est d'abord un dévoilement de

ses propres racines. Tout commence par la connaissance de la grande famille

locale, puis régionale (pour les uns) et nationale. Tant qu'on ne connaît pas

ses origines, on ne peut prétendre entrer dans le processus de connaissance

de sa propre personne, car en régime joro, nul ne construit son identité en

solitaire. Tout commence par la communauté et finit en communauté, pour la

communauté. En outre, l'expérience initiatique lobi laisse supposer que le

projet de se connaître est un long pèlerinage qui ne s'achève qu'avec la

traversée finale vers la vraie patrie. Comment le joro prépare-t-il les membres

de la société à ce pèlerinage ?

210

Page 213: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

CHAPITRE VII

LA DÉMARCHE DU PROJET D INITIATION

Le joro, comme nous l'avons déjà relevé, vise à construire l'identité lobi

en prenant en compte de son milieu de vie pour une intégration totale dans la

société. L'enjeu est principalement l'homme avec son espace tant naturel que

spirituel, et le joro met en interaction ces espaces pour parvenir à une

transformation. Pour ce faire, l'initié s'unit au cosmos, se sent en sécurité et

se voit accorder une place dans la gestion des affaires de la société. Désormais

il a droit à la parole là où cela ne lui était pas permis, il peut participer à

certaines cérémonies dont il était exclu et, à sa mort, il bénéficie de certains

rituels réservés uniquement aux seuls initiés. Les privilèges sont nombreux,

toutefois, le chemin pour y accéder est périlleux.

En effet, l'image de l'homme et de la société que le joro se propose de

construire est soumise à certaines conditions et résulte d'une démarche.

Quelle est cette démarche ? Quelle procédure le joro adopte t-il dans son

approche de la formation de l'identité lobi et de l'intégration sociale ? Ce

chapitre examine la question à partir des catégories « Préparatifs » (Tableau

VII-1) et «Voies et moyens» (Tableau VII-1). Les différents indicateurs de

l'initiation qui s'y dégagent seront traités de manière à mettre en évidence les

similitudes et les discontinuités avec les composantes de l'impératif

missionnaire.

1. Préparatifs

Les dangers que doivent affronter les pèlerins pendant le joro exigent

une préparation toute particulière. Les activités commencent toujours sept

ans après la clôture de la dernière session. Elles s'ouvrent par un long temps

211

Page 214: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

de préparation pendant lequel certaines dispositions sont mises en place pour

introduire les rites préliminaires.

Tableau VII-1 : Composantes de la sous-catégorie « Préparatifs »

Préparatifs

1. Dispositions préliminaires

Récolter de l'argent

S'iijjprovisionner

Fixer le jour du pèlerinage

Annoncer l'événement

2. Rites préliminaires

Purifier la communauté

Lancer le cri du joro

Se revêtir

*~>e dévêtir

les cheveux

Totalfemmes

5

3

0

1

0

1

3

4

3

2

2

0

1

2

2

%femmes

50

30

0

10

0

10

30

40

30

20

20

0

10

20

20

v , ; ,.ihommes

5

4

1

3

3

3

1

5

1

2

4

1

0

1

4

%hommes

50

40

10

30

30

30

10

50

10

20

40

10

0

10

40

Total%

100

70

10

40

30

40

40

90

40

40

60

10

10

30

60

1.1. Les dispositions préliminaires

Les dispositions préliminaires sont marquées par trois événements qui

sont l'accouchement de la Mère Mu (Mère Fleuve), les approvisionnements et

la sensibilisation. Dès la fin de chaque session du joro qui dure de 17 à 22

mois, une fille et un garçon d'environ 6 ans, qui ne sont pas initiés, sont

choisis comme calendrier biologique. Quand la fille atteint l'âge de puberté ou

tombe enceinte, on dit que la Mère Fleuve a accouché et que le temps de se

préparer pour "ur hvo" (lever ou marcher la route) est arrivé ; c'est-à-dire que

le pèlerinage va bientôt commencer. E002FL insiste sur le fait que la date

fixée est toujours exacte.

Pour connaître la période exacte du début du pèlerinage, les Lobiont une manière de calculer et cela coïncide toujours avec le jour dumarché ou " co ma wiri. " Quand ils déterminent un jour, c'est

212

Page 215: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

toujours exact et c'est tous les sept ans que débutent les activités dujoro. Celui qui sait lire et écrire et qui le désire, pourra vérifierl'exactitude de l'année et du jour. (§ 6)

Cette période est le "di bvo yier" (année de souffrance) pour les initiés,

mais pour les non-initiés, on leur fait croire que c'est le "di boo yier" (l'année

du beau monde)413. Nos répondants confirment ce procédé antithétique qui

annonce le joro comme année de bonheur et de souffrance. E002FL signale

qu'à l'approche du pèlerinage, « des cris se font entendre annonçant le jour du

joro. En ce moment on vous avertit que la terre est remplie de fiel (di kaar =

pays amer) ». Pour les candidats à l'initiation, apparemment, les épreuves

subies ne sont pas de nature à leur faire croire à une béatitude facile, sans

renoncement ou sans abstinence. Pendant qu'ils sont soumis à des sacrifices,

les membres du groupe restés au village vivent la paix, car les initiés portent à

leur place les troubles et fardeaux de la société. C'est pourquoi, la société peut

vivre dans un pays d'accalmie. Le répondant E009HL nous informe que « la

période du joro est appelée di boo (bon pays). En ce moment on n'enlève pas de

femmes, on doit éviter la violence, on ne doit pas se flécher, ni frapper

quelqu'un. » (§ 8) E003HL confirme cette information.

Ce temps est aussi appelé dibor yier, (littéralement, l'année du bonpays) car en ce moment, certains crimes sont strictement interdits,exemple le meurtre ; auparavant les gens ne tardaient pas à seflécher, mais quand arrive cette période, ils doivent arrêter toutehostilité. Le pays vit alors une accalmie et on peut se déplacerlibrement et partout sans s'inquiéter. Les enlèvements des femmessont suspendus, et même si deux amants planifient cela, ils sontobligés d'attendre pendant un an avant de pouvoir réaliser leurprojet. (§ 2)

Cela prédispose la société à des actions de bienfaisances, ce qui est

bénéfique pour les candidats à l'initiation et leurs parents qui doivent trouver

toutes les provisions nécessaires au pèlerinage. Dès lors, une vaste campagne

est menée pour collecter des fonds (E002FL, § 10 ; E010HL, § 4). E009HL

explique comment se fait cette collecte. « Quand on veut t'amener au joro en

Cécile de ROUVILLE, op. cit. p. 186.

213

Page 216: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

tant que jâkvma, on te conduit chez les gens pour qu'ils t'offrent de l'argent

que celui qui t'accompagne garde, mais toi tu n'y touches pas. Une fois

l'argent récolté, on le place en lieu sûr, et quand vient le jour du joro, on le

récupère et on te conduit à votre cokôtin. » (§ 1)

En plus de l'argent, s'ajoutent des vivres. « Quand le temps du joro est

là, on charge des paniers contenant les condiments pour la sauce et la farine,

ainsi que le matériel de couchage pour le pèlerinage » (E009HL § 19). E004HB

confirme ces actions (§ 1). Enfin, toutes ces activités préliminaires sont

appuyées par une sensibilisation des enfants à qui l'on tente d'inculquer l'idée

de contribuer aux frais de l'initiation. E002FL raconte :

Arrive un temps pendant lequel on vous demande de chercherl'argent. Quand tu te fais remarquer par un mauvais comportement,on s'informe d'abord pour savoir si tu as déjà réuni tout l'argentqu'on t'avait demandé de chercher, ensuite on t'inflige unecorrection. Ils placent des paniers devant toi et t'ordonnent de lesremplir d'argent faute de quoi, tu auras affaire à eux. Cela motive lesenfants à travailler et certains se mettent à faire du commerce pourleurs mères. Pour vous stimuler, on vous dit que l'argent que vouscherchez servira à votre salut et que c'est ce que les anciens ontdemandé. Ils ajoutent que vous devez remplir les paniers sinon vousserez leurs esclaves. Cela vous pousse à vous débrouiller et ceux quin'ont pas l'âge de se faire de l'argent par le commerce sont appeléshvkpalvsoo. Pendant ce temps, les parents entraînent les enfants àfaire plusieurs petits boulots jusqu'au départ pour le pèlerinage etcela peut durer un an. (§ 10)

E010HL va dans le même sens en mettant l'accent sur l'abnégation

qu'on tente d'inculquer aux enfants pour les amener à travailler pour les frais

de leur initiation.

On ne cesse de rappeler aux enfants qu'ils ont une cotisation à faire.Ainsi, leur apprend-on à se surpasser pour se consacrer auxactivités pouvant leur rapporter de l'argent en vue de payer les fraisd'initiation. C'est pourquoi on entend souvent cette question : « sijâkvma na yire musvmv na be » (le non-initié a-t-il trouvé l'argentnécessaire ?) De telles paroles font référence à la cotisation que doitpayer le candidat à l'initiation, servent en même temps de rappel etsensibilisent à se mettre à l'ouvrage pour contribuer à leurinitiation. (§ 4)

214

Page 217: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

1.2. Les rites préliminaires

À ces dispositions préliminaires s'ajoutent les rites préliminaires qui

consistent à sacrifier et à purifier la communauté toute entière. Tout

commence par une visite chez le devin pour implorer la protection des

membres du groupe. E005FL le relève en ces termes :

Comme le joro est une activité difficile, avant de s'y engager, on vousconduit d'abord chez le devin, pour qu'une fois engagés, vous soyezprotégés par le fétiche, et que vous soyez épargnés du malheur dontvous pourriez être victimes lors des cérémonies. Après avoir consultéle devin, on vous rassemble dans un endroit destiné à cela dans levillage. Votre chef met alors de l'ordre dans sa maison en offrant dessacrifices et préside les activités. (§ 1)

EOO1FL fait comprendre que cette protection est nécessaire à cause des

dangers qui guettent les pèlerins. « Si tu te prépares pour le joro, c'est

vraiment difficile. Il faut qu'on te conduise d'abord chez le devin, car le village

du joro est un lieu qui est vraiment dangereux. » (§ 1) C'est le devin qui

consultera ses tila (idoles) pour révéler si au sein du groupe il se trouve

quelque faute qui puisse faire obstacle (E006FB, § 2). Si les oracles mettent

quelqu'un en cause, il conseille au groupe les différents éléments à trouver

pour le sacrifice de culpabilité. Ce sacrifice est nécessaire afin de s'assurer

que tous les membres du groupe sont en règle vis-à-vis des interdits du joro et

du groupe et que personne ne vit avec un problème moral non résolu.

S'il est juste que la visite chez le devin permet d'invoquer les esprits

pour la protection pendant le pèlerinage, cette protection n'est possible que si

les membres du groupe sont purifiés. C'est pourquoi, le chef de chaque

groupe procède à des cérémonies de purification dont l'un des signes est le

rasage des cheveux. « Quand on vous rase, cela signifie qu'on vous a purifiés

des anciennes taches pour entrer dans le joro. » (E009FL, §2) Sans la

purification, les risques encourus sont énormes ; E003HL nous révèle

l'importance de ce rite.

215

Page 218: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Pour se préparer, on prend toute une année pendant laquelle onrépare toute faute commise à l'égard des interdits du joro. Si tu avaistué ou blessé quelqu'un, enlevé la femme d'autrui ou volé, c'est lapériode de trouver le nécessaire pour tout réparer. C'est le paa(razzia purificatrice) pendant lequel on peut aller chez toi pour tedemander soit des moutons, des poules, des chèvres afin de les offriren sacrifice. Car il faut qu'on prépare celui qui veut aller aupèlerinage au village du joro. Sans une préparation suffisante, celuiqui se rend au village du joro avec quelque faute non réparée, risqued'y laisser sa peau ou même un de ses enfants peut en mourir. Ilfaut donc réparer toute faute commise en ce moment, c'est ce qu'ondésigne par le terme paa ou la purification de la personne. (§2)

Un autre aspect de cette purification est le marquage à l'aide de l'eau

du til (idole). Cette eau sacrée est faite d'un mélange de kaolin et d'eau. Elle

est généralement conservée dans un petit pot placé sur l'idole et laisse des

marques blanches ou grises sur la peau lorsqu'on s'en induit. E002FL déclare

qu'après le rasage des cheveux, tous les novices sont marqués de cette eau

(§11). Les rites de rasage et le marquage servent à mettre à part les candidats

à l'initiation. Cette mise à part se réalise également dans les premiers rites de

dépouillement et de revêtement et prolonge, selon nous, la volonté de

purification. E001FL souligne : « Nous ne sommes pas habillés ; dès que vous

êtes rasés, vous vous déshabillez. On vous donne l'ordre de le faire et celui qui

ne s'exécute pas en récolte les conséquences. » (§5) Si pour les uns ce rite se

fait immédiatement après le rasage, pour d'autres, cela se fait en cours de

route. L'expérience de E005FL le démontre. « Les novices, relève-t-elle, ceux

qui vont pour la première fois, n'ont pas de vêtements sur eux, sauf un

morceau de tissu à la taille. C'est en cours de route, quelque part dans la

savane, qu'ils sont déshabillés. Dès votre première escale, on vous ferme les

yeux pour que vous ne voyiez pas ce qui se passe et on vous déshabille. » (§1)

Ce dépouillement est suivi de revêtement. « Vous vous déshabillez vous-

mêmes et on vous fait porter des cordes sous forme de bretelles ou des feuilles

tenues par une ceinture faite de fibres. » (EOO1FL, §5) Les candidats se

retrouvent quasiment nus pour commencer leur pèlerinage vers le village du

joro. Ils sont mis à part et peuvent désormais lancer le cri de ralliement au

joro. « Après cela, ils vous mettent en rang, forment un cercle autour de vous

216

Page 219: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

et vous commencez à lancer des cris ; le joro a son langage. C'est le moment

pendant lequel on vous apprend à dire wi hur wi hur wi hur hulii wi hur hulii wi

hur. Vous lancez ce cri en marchant. » (E009HL, §2)

Toute personne au village qui entend ce cri reconnaît que des initiés

sont en mouvement. N'importe qui n'a pas le droit de lancer ce cri, il faut être

un jorbi (initié) pour se le permettre. D'habitude, quand les gens entendent

ces cris, ceux qui ne sont pas initiés se cachent ; car s'ils sont sur la voie

empruntée par la procession, ils risquent d'écoper des coups de cravache.

Ainsi, le cri de ralliement annonce l'approche des initiés et invite au respect.

Somme toute, la société initiatique du joro tient beaucoup à la

purification, à la mise à part. Ainsi, animaux et volailles sont abattus par les

anciens initiés en vue de purifier, non seulement les membres du groupe,

mais aussi la société toute entière en réparant les forfaits avoués ou non

avoués pour qu'aucun malheur n'atteigne les membres du patriclan. Une

faute non confessée entraîne le malheur dans la famille et personne ne doit

aller an joro sans s'être purifié. En outre, dans la période où se déroule le joro,

tout conflit est interdit ainsi que le vol, l'adultère et l'enlèvement des femmes.

C'est après avoir procédé à ces rites préliminaires que peut commencer le

voyage pour le pays du joro, pendant et après lequel plusieurs activités sont

menées pour la formation dxxjorbi.

2. Voies et moyens

Pour mener à terme la formation des initiés, le joro dispose des voies et

moyens propres à sa démarche. La catégorie « voies et moyens » a permis de

dégager des entrevues des dimensions et des sous-dimensions qui articulent

les principaux points de cette section. Celles-ci touchent la grande marche,

les rituels, la transmission des savoirs et les frais liés à la formation (cf.

tableau ci-dessous).

217

Page 220: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Tableau VII-2 : Composantes de la catégorie « Voies et

Principaux nœuds

Voies et moyens

ï Grande marche2 Rituels

2.1 Éléments des rites

• Consécration2 o Réintégration

3 Transmissions des savoirs

3,3 Supports pCQ9.2O£lQUCS

* Frais4.1 Ceux qui contribuent aux

frais

4 «2 Nature ou espèce

Totalfemmes

5

5

5

5

5

4

5

5

2

4

2

1

2

%femmes

50

50

50

50

50

40

50

50

20

40

20

1020

Totalhommes

5

5

5

5

5

4

5

5

4

5

5

45

moyens

%hommes

50

50

50

50

50

40

50

50

40

50

50

4050

»

Total%

100

100

100

100

100

80

100

100

60

90

70

5070

Graphique VII-1 : Voies et moyens

120

Pèlerinage Rituels Savoirs

• %Hom• % total

•Frais

2. 1. La grande marche

Sans la grande marche vers le village du joro, la grande initiation

n'aurait pas toute sa signification. Tout se fait en vue de ce pèlerinage, car il

218

Page 221: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

constitue en-soi la clef de voûte du processus initiatique. E002FL décrit

comment et dans quel climat cette marche se déroule.

Vous empruntez tous le même chemin, les uns derrière les autresselon l'ordre établi. Chaque groupe est tenu de garder sa position etne doit pas chercher à dépasser les autres pendant la marche. Onfrappe à mort celui qui se hasarde à vouloir dépasser un clan pluspuissant ou alors on le frappe jusqu'à ce qu'il y renonce. Il arriveque les intéressés, en voulant sauver leur peau, se faufilent entre lesgens et ne retrouvent plus leur groupe. Quand quelqu'un est portédisparu, on dit que l'eau l'a emporté.

Pendant le pèlerinage, ils font marcher les enfants - ceux qui vontpour la première fois - à travers la brousse et les grands se mettentdevant eux pour déblayer le chemin. Quelquefois, ils prétendent quele chemin est introuvable. Dès lors, vous observez un arrêt pourqu'ils le retrouvent afin que vous puissiez poursuivre la route. Lorsde la marche, des protecteurs encadrent les enfants en se tenant àleurs côtés pour les empêcher de dévier du chemin ou de quitterleurs groupes respectifs. Quand quelqu'un s'éloigne de son groupe,des individus l'entourent sur-le-champ et l'enlèvent discrètement.Dans ce cas, on dit que c'est "l'eau qui l'a emporté" et on ne réservepas au disparu, des funérailles. Dans certains cas, ces disparusdeviennent des victimes sacrificielles pour préparer les cérémoniesde la prochaine initiation. Malgré les bousculades pendant lamarche, tu n'oses pas t'écarter des autres de peur d'être enlevé.Ceux qui s'adonnent aux enlèvements sont des personnes masquéesrecouvertes de feuilles qu'il est difficile de reconnaître. Quand ils sesaisissent de quelqu'un et qu'on les aperçoit, on n'a pas le droit deleur arracher leur victime. On dit simplement que l'eau a emportéune victime et que cela est arrivé parce que le disparu était unsorcier ou qu'il avait un comportement reprochable. C'est dans cesconditions que vous marchez jusqu'à destination, au lieu prévu pourles cérémonies au village du joro. (§11-12)

La marche se fait dans le travail, l'ordre et la discipline, accompagnée

de musique. Tout au long du chemin, un travail de traçage se fait pour

permettre aux candidats à l'initiation d'avoir des repères pour ne pas se

détourner de la voie tracée. Paradoxalement, tout est orchestré de manière à

désorienter les novices afin qu'ils ne soient pas capables de retrouver le

chemin emprunté. E001FL (§1) explique : « Quand vient le jour du départ, on

vous fait suivre un chemin détourné pour vous amener au lieu où vous êtes

censés vous rendre. Vous n'y allez pas directement, mais on vous fait suivre

un chemin détourné. » E005FL (§2) et E006FB (§3) confirment ce détour en

219

Page 222: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

relevant que cela se fait dans le but d'empêcher les novices de reconnaître les

lieux. Non seulement les pèlerins sont obligés de prendre des détours, mais

aussi, de temps en temps, ils sont informés que le chemin est introuvable

(E003HL, §6 ; E002FL, §12). Ces informations ne font qu'entretenir le secret

autour du chemin suivi. Cela est aggravé par le fait que la marche se fait

généralement le soir ou la nuit. « Ils démarrent ensemble mais jamais dans la

journée, c'est soit le soir, soit la nuit» (E003HL, §5). E010HL (§8) confirme

cette information.

Le deuxième aspect qui caractérise la grande marche est l'ordre et la

discipline. E002FL souligne qu'ils sont tous en rang et que personne ne doit

dévier du chemin (§11). Cette discipline est maintenue par des avertissements

mettant en garde contre les éventuels enlèvements et les punitions qui

attendent ceux qui ne se soumettent pas à la discipline. En outre, les

accompagnateurs sont chargés de faire respecter l'ordre établi. Le climat dans

lequel la grande marche est organisée a amené certains répondants à

souligner combien le joro était difficile. E001FL n'a cessé tout au cours de

l'entrevue de nous faire remarquer ces aspects. Son témoignage commence

par : « Si tu te prépares pour le joro, c'est vraiment difficile. » (§1) Parlant de la

marche, nous lisons ceci : « Les épreuves que vous endurez sur le chemin sont

difficiles. » (§1) Au niveau du village du joro, elle ne manque pas de souligner

les difficultés (§7, 9, 12, 14). L'entrevue finit par une note négative. La

position de notre informatrice peut se comprendre étant donné qu'elle a perdu

son mari pendant le pèlerinage. Toutefois, elle n'est pas la seule à relever

l'aspect difficile du joro. E002FL (§2), E005FL (§1), E006FB (§33) et E009HL

(§8) confirment la perception de E001FL.

Même si la marche vers le village du joro se caractérise par les

difficultés rencontrées, il est à remarquer que des dispositifs adoucissants

sont mis en œuvre pour que les épreuves soient supportables. La musique,

dit-on, adoucit les moeurs. Généralement, la marche est accompagnée de

battements de tam-tam. « La dernière étape de notre joro est Bakéo où vous

vous rendez en lançant le cri wi hur jusqu'à destination, accompagné des

220

Page 223: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

battements du tam-tam. » (E009HL, §2 ; cf. également E003HL, §5, E005FL,

§12, E010HL, §7)

La marche est un des aspects clefs de l'initiation du joro, car ceux qui

passent par la formule simplifiée du joro - formule sans pèlerinage -, qui

rejoignent les initiés lorsqu'ils sont dans leur domaine de retraite, ne peuvent

pas se vanter d'une initiation en bonne et due forme.

Au regard d'un Lobi, la tendance au déplacement apparaît commenaturelle. Il décrit lui-même le cours de son existence comme unesuccession de phases ou d'étapes vers un but inavoué qui peut êtreune harmonie entre son milieu, son entourage et les puissances quiguident ses ancêtres, ses til414.

Cette tendance au déplacement dans l'univers lobi est intrinsèquement

liée au mouvement migratoire des ancêtres qui reste bien vivace dans l'esprit

du peuple lobi. L'attachement aux ancêtres est une réalité pour chaque Lobi

et se concrétise dans la marche sur les traces de ces derniers à travers le

pèlerinage au village du joro. Ce pèlerinage est appelé hv ur en lobiri ou sor irfv

en birifor. Ces termes désignent littéralement « lever la route », « se mettre en

route » ou « se mettre en marche ». Ils ne désignent pas uniquement la route

tracée, ils font aussi référence à « la voie à suivre » dans le sens des coutumes

et traditions à respecter.

La signification du joro que propose Modeste Kambou permet de

comprendre la place du pèlerinage dans l'univers lobi. Dans une entrevue415,

il nous a expliqué sa position que Antoine de Padou Pooda résume dans son

mémoire. Partant du terme jofi ou jofv oujofo (dépendant des prononciations)

il montre qu'il désigne des repères laissés par les animaux sauvages lors de

leurs déplacements, traçant ainsi des pistes à suivre. Il ajoute que les pas de

danse exécutés au joro forment également un traçage. Dès lors, il propose de

voir le joro comme le chemin tracé par les ancêtres dans leur migration, lequel

414 Michel FIÉLOUX, Les sentiers de la nuit. Les migrations rurales lobi de la Haute-Voltavers la Côte d'Ivoire, Pa r i s , ORSTOM, 1980, p . 1 1 1 .415 Entrevue du 29 avril 2003.

221

Page 224: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

chemin est suivi à rebours par la descendance pour symboliquement

retrouver la voie des pères.

En outre, si nous partons du terme hv-iir (littéralement hv = chemin,

route et iir = se lever) habituellement utilisé pour désigner le pèlerinage au

village joro, il ne fait aucun doute que le joro fait référence à un chemin, à une

route à suivre. L'équivalent birifor du hv-iir corrobore une telle signification.

En birifor le pèlerinage au joro est désigné par le terme sor-irfv. Ce terme

signifie : ouverture ou traçage de route, de chemin, de voie ou alors, la mise

en route. L'idée de trace et de voie est bien attestée chez les voisins birifors.

Les entrevues réalisées avec des répondants birifors le confirment, car ces

derniers se servent des termes joro et sor (chemin, route, voie) comme

synonymes. Ainsi, la grande marche mettrait en lumière la volonté des Lobi de

rester fidèles à la voie tracée par les ancêtres et de faire une immersion dans

leur univers matériel et surtout spirituel pour être en symbiose avec la race.

Pour atteindre de tels objectifs, il faut nécessairement se rendre au village du

joro, lieu des principaux rites d'intégration sociale.

2. 2. Les rituels

Les rites jalonnent tout le processus initiatique du joro. Les entrevues

nous ont permis de relever trois composantes majeures de cette sous-

dimension de la catégorie « voies et moyens ». Celles-ci font référence aux

éléments rituels, aux cérémonies de consécration et de réintégration sociale.

Tout commence par le rassemblement près de la « grande maison » du

patriclan national. C'est là qu'on s'attelle au choix de l'officiant des

cérémonies et de ses aides, et qu'on prépare la boisson rituelle. C'est aussi le

temps de restauration, de l'allaitement des novices, de leur bain, des

changements de noms et autres cérémonies secondaires.

222

Page 225: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

2. 2. 1. Éléments des cérémonies

Les éléments dont on se sert dans les cérémonies du joro viennent de

différents milieux : aquatique, végétal, animal et culturel. Premièrement, la

référence à l'eau se trouve à tous les niveaux des cérémonies du joro. Pendant

les rites préliminaires, les initiés sont marqués par l'eau sacrée. Après avoir

rasé les cheveux des novices, « on les promène pour les marquer de l'eau des

fétiches. » (E002FL, §11) Cette eau sert à faire les marques de mise à part

dans le cadre des cérémonies du joro. Cette mise à part permet aux

« marqués » d'effectuer le déplacement vers un lieu, un grand trou contenant

une autre eau appelée ilê (lait). E001FL souligne qu'on ne voit pas cette eau et

qu'elle est versée dans un trou (§23). Cette fois-ci il ne sera plus question de

marquage, mais de boisson. De ce trou on conduit les novices au fleuve,

sommet des éléments aquatiques. Là, non seulement ils s'y baignent, mais

aussi ils sty abreuvent. E002FL relève : « vous êtes conduits au fleuve pour le

bain. Tous les candidats entrent dans l'eau et se lavent en buvant la même

eau. » (§15) Dans le joro nous trouvons une eau à l'état pur comme celle du

fleuve ou de la rivière et une eau transformée. Il existe deux sortes d'eaux

transformées, celle qui est exclusivement rituelle pouvant servir à authentifier

les novices ou à les consacrer et celle qui sert de boisson pour tous pendant

les cérémonies (dolo).

Deuxièmement, à ces éléments liés à l'eau s'ajoutent ceux qui sont liés

au monde végétal (E001FL, §5 ; E003HL, §13 ; E006FB, §7 ; E007HL, §12).

« Quand vous sortez, vous vous couvrez de feuilles d'arbres et vous allez

d'abord à la rivière pour vous laver en vous servant des écorces d'un arbre. »

(E002FL, §17) Les nouveaux portent également des accoutrements faits de

matériaux provenant de la flore (E001FL, §5). Les lieux d'habitation sont

expressément construits avec des branches et des feuilles d'arbres (E003HL,

§8 ; E008HL, §1). Ajoutons enfin certains éléments provenant du monde

végétal qui sont liés à la culture, et qui sont déterminants pour les cérémonies

du joro :

223

Page 226: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

La calebasse dont on se sert pour asperger les néophytes, (E003HL,

§10) provient d'une plante.

Les pistaches qu'on utilise comme ingrédient pour la sauce est une

plante rampante (E005FL, §12).

Le tam-tam est un instrument fabriqué à partir de troncs d'arbres

(E003HL, §5 ; E005FL, §12 ; E009HL, §2 ; E010HL, §7).

Photo VII-1 : Femmes à la recherche de l'or

Les calebasses

Source : Cliché de Klaus Schneider, in Fiéloux et. al. 1993 p. 193

Troisièmement, le monde animal est très présent allant de la volaille au

gros bétail. La volaille, principalement les pintades et les poules, constitue

habituellement la victime des sacrifices à tous les niveaux. Pour les

préparatifs, « on vous demande d'apporter chacun six poules. » (E004HB, §1)

Pendant et après les rites de purification, certains éléments rituels sont

requis, notamment les poules (E003HL, §4). Enfin, « pendant que vous êtes

dans le bois, les chefs s'affairent pour la suite des sacrifices. On cherche

alors, des pintades et des poules pour le sacrifice qui permettra de vous

reconduire dans vos maisons. » (E003HL, §14)

Les amendes sont aussi payées au moyen des poules, il en est de même

du gros bétail, qui sert également à payer les frais d'initiation et les sacrifices.

224

Page 227: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

« Pour aller au village du joro, les gendres doivent payer les frais de séjour, ils

doivent donner un bœuf et 400FCFA416 ; celui qui ne le fait pas se verra

retirer sa femme au retour du joro » (E008HL, §9). Le gros bétail est destiné

non seulement pour les sacrifices, mais aussi pour payer les amendes visant

la purification. « Pour ceux de Nako, il faut un bœuf et dix cauris -maintenant

pour les cauris ils demandent 500FCFA (environ 1.50$CAN). Quelle que soit

ta faute, tu payeras un bœuf et 10 cauris pour être purifié et autorisé à entrer

au milieu des gens. » (E009HL, §9 ; cf. E002FL, §1 ; E005FL, §7 ; E008HL, §2

; E009HL, §8) II en est de même des chèvres et des moutons qu'on abat lors

des razzias purificatrices (E003HL, §2).

Sans être un élément sacrificiel, le caïman, animal aquatique, auquel

font référence nos informateurs birifors, permet d'entretenir un climat de peur

et de discipline (E004HB, §7, §8 ; E006HL, §4, §34). Il est curieux qu'aucun

répondant lobi ne fasse référence à cet animal. À la place, ils se servent

d'autres représentations que nous verrons plus tard. Relevons enfin la

référence aux cauris qui sont des animaux marins. Coquillages de l'espèce

Cypraea moneta et Cypraea annulus issues de l'Océan Indien417, les cauris

ont une place importante pendant le déroulement du joro. Les cauris

constituent un élément d'échange dans la culture lobi. Il n'est pas étonnant

de voir le nombre de passages qui en font référence (E002FL, §14, §17, §18,

§19 ; E003HL, §4, §9, §15, §18 ; E005FL, §10, §12 ; E006FB, §19 ; E007FB,

§4, §7 ; E008HL, §2, §7, §24 ; E009HL, §8, §9, §10). Utilisés comme monnaie

locale, les cauris occupent une place importante dans les cérémonies du joro,

des rituels sacrés, des funérailles et dans les échanges économiques. Dans la

société traditionnelle, la richesse d'un homme dépend et de la grandeur de

son cheptel, et de la quantité de cauris en sa possession.

Le quatrième élément des rituels touche l'humain dans ce qu'il a de

culturel. En plus des cauris, le tam-tam et le dolo traduisent ces aspects

416 400FCFA= 1$ canadien environ.417 C l aude Nurukyor SOMDA, « Les c a u r i s d u p a y s lobi », d a n s Michèle FIÉLOUX, et. al.[dir.] Images d'Afrique et sciences sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Karthala,1993, p. 235.

225

Page 228: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

culturels. Dans la culture lobi, le tam-tam sert surtout d'instrument de

musique lors des réjouissances populaires, des funérailles et des fêtes

rituelles. Au joro il est joué pour accompagner la marche, « ils se mettent tous

en marche, accompagnés des battements du tam-tam » (E003HL, §5). Il est

utilisé pour avertir les nouveaux initiés qu'il est temps de se réveiller.

« Chaque matin à partir de 4 heures ou 5 heures, on vous réveille. On joue du

tam-tam et quand vous l'entendez, vous devez tous vous réveiller sans

tarder. » (E003HL, §13) II sert également à accompagner les danses (cf.

E004HB, §6).

Photo VII-2 : Tam-tam lobi

Source : Cliché de Georges Savonnet, dans Fiéloux et. al. 1993, p. 508.

Photo VII-3 : Les cauris

Source : Cliché de T. Spini et G. Antongini dans Fiéloux et. al. 1993 p. 237.

226

Page 229: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Dans les cabarets, le tam-tam est habituellement joué pour

accompagner la commercialisation de la bière locale, le dolo. Boisson

alcoolisée, le dolo est fait de mil germé réduit en farine et mélangée à l'eau que

les femmes portent à ébullition. Ce mélange est ensuite filtré, puis porté

encore à ébullition. Lorsque le liquide devient tiède, on y ajoute de la levure

qui le fermente. Cette boisson est utilisée pour abreuver les travailleurs, et

sert aussi à accompagner les repas. C'est une grande source de revenue pour

les femmes et, en pays lobi, il existe des maisons spécialisées dans la

fabrication et la commercialisation de cette boisson. Dans les cérémonies du

joro, elle est présente à chaque grande cérémonie au village, de sorte qu'elle

est étroitement liée au groupe de mots désignant les rituels. E004HB relève :

« Après ces deux mois, on prépare le dolo (bière locale) pour la cérémonie

appelée silï kpeer dâa, (la bière d'entrée des initiés) à laquelle tous les initiés

sont conviés. » (§4 ; cf. E009HL, §4 ; E005FL, §12)

Tous ces éléments construisent le champ symbolique du processus

initiatique du joro que nous tenterons de saisir à la fin de cette partie. Il est

évident que l'initiation chez le Lobi prend en compte toutes les composantes

possibles de son univers représenté par des éléments provenant des domaines

aquatique, végétal, animal et humain. Si le culturel, compris ici comme

produit de l'action de l'homme sur la nature, domine (cf. schéma ci-dessous),

cela s'explique par le fait que l'homme est au centre de toute la construction

symbolique du joro ainsi que des objets servant aux différentes cérémonies.

En outre, les éléments liés à l'eau viennent en deuxième position ; car c'est

grâce à l'eau rituelle qu'on naît de nouveau, c'est par l'eau qu'on se purifie et

se consacre au joro et c'est aussi par ses dérivés qu'on se désacralise pour

pouvoir être à nouveau avec les membres de la société.

227

Page 230: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Graphique VII-2 : Éléments rituels

29%

36%

14%21%

@ Aquatique• Floristique• FauniqueD Culturel

La référence à la flore vient en troisième position. Elle sert à faire face

aux besoins de se nourrir, de se vêtir et de se loger. Ces constituantes offrent

également le nécessaire pour les libations. Enfin, la faune tient elle aussi une

place importante dans les échanges socio-économiques et religieux. Nous

reviendrons sur certains aspects, car ils ont une signification qui transcende

la pure matérialité pour désigner d'autres « réalités ». Pour comprendre ce

passage il importe de saisir d'abord les autres composantes de l'initiation.

2. 2. 2. Cérémonies de consécration

Les cérémonies de consécration demeurent le summum de l'initiation du

joro. C'est par elles que les candidats sont soumis aux rites d'allaitement, de

bain et de donation de nom, principales actions qui octroient une pleine

intégration à la société lobi (cf. graphique sur les composantes du rituel de

consécration).

228

Page 231: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

a) L'allaitement rituel

Des différents actes posés dans l'initiation du joro, l'allaitement occupe

une place de choix chez les Gôgôdara. E010HL explique cette importance en

ces termes : « Vous aurez à prendre un breuvage qu'on appelle « le lait », et

chacun est tenu de le boire. Ce rite est essentiel car celui qui n'en boit pas se

crée des problèmes. Des gens ont souffert pour n'avoir pas bu.ce lait. Ils ont

confessé qu'ils n'en avaient pas bu, et au retour du pèlerinage, ils ont souffert

de maladies graves. » (§8) II ajoute que « le plus important au joro demeure le

rite d'allaitement. » (§9) E008HL souligne :

Si en enquêtant, on se rend compte, que quelqu'un n'avait pas bu laboisson sacrée, on le fait retourner et quelqu'un va chercher cetteeau pour qu'il en boive. Ainsi, ce qu'il avait refusé au pays du joro,acte qui devait entraîner sa mort, une fois qu'il en boit, cela luiapporte la guérison. Si tu ne bois pas, alors que les autres ont bu,cela veut dire que tu n'as pas fait le sacrifice pour lequel tu as été aupèlerinage. Ce til418 ne va pas te permettre d'être en bonne santé, ilfaut que tu meures, c'est pourquoi on garde cette boisson pendantquelques mois pour que celui qui n'en avait pas bu puisse serattraper. (§7)

Cette importance se voit aussi dans le fait que cette boisson coûte cher.

E009HL nous confie qu'« on vous fait payer très cher pour que vous puissiez

boire la boisson sacrée. » (§17) Des recherches complémentaires pourraient

confirmer la validité d'une telle affirmation. Ayant posé la question pour savoir

de quoi est fait ce « lait » nous avons tout de suite compris que ce domaine est

réservé à ceux qui sont haut placé dans la hiérarchie du joro. E010HL nous a

confié qu'il ignorait de quoi ce lait était composé et que c'était seulement les

hauts responsables qui savent de quoi il est fait (§27). E001FL confirme ce

secret qui entoure la connaissance de cette eau et décrit les conditions dans

lesquelles les néophytes se trouvent quand ils sont conduits au trou pour être

abreuvés.

418 Idole ou fétiche.

229

Page 232: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

On ne voit pas cette eau, elle est versée dans un trou et on vous yconduit pour vous abreuver. Vous pouvez être une centaine devantce trou, on vous ferme les yeux et, couchés à plat ventre, on vousfait boire ce qu'il contient. Si quelqu'un ne veille pas bien sur sonjorbi, on peut l'étouffer en lui tenant la tête pendant longtempsplongée dans cette eau. (§23)

Même s'il n'est pas possible de percer le secret de la composition de

cette boisson, il est évident qu'elle constitue une potion faite d'eau et de tîisi

(médicaments) (E004HB, §9 ; E003FL, §9). Certains répondants parlent d'eau

fangeuse (E001FL, §7 ; E006FB, §5 ; E009HL, §3). D'après E002FL (§13), cette

eau serait « faite à base des cendres des corps des disparus. Il semble que ces

corps sont portés au bûcher et les cendres sont recueillies pour la fabrication

des potions. » L'acte de boire cette eau est appelé allaitement ou la « mise à

mort du jorbi ». « II existe un vaste domaine avec un grand trou dans lequel on

verse de l'eau, comme de la potion. Ils mettent quelque chose dans cette eau,

ce n'est pas une simple eau. Alors on dit aux chefs : "ce soir, les enfants

seront allaités". C'est cette eau qu'on appelle ilï (lait). » (E003HL, §9) Les

répondants birifor en font référence en désignant ce lait par le terme man bir,

littéralement, le sein du fleuve {cf. E006FB, §4).

E001FL relève le but de l'allaitement, mettant en évidence son aspect

symbolique.

On vous attrape pour vous faire boire une eau fangeuse. Pour celaon vous ferme les yeux et vous devez les tenir fermés si vous tenez àvotre vie. C'est lorsqu'il commence à faire sombre qu'on vousconduit à ce lieu de breuvage. Ce rite a pour but de mettre à mort lejorbi, c'est pourquoi on dit « qu'on est en train de tuer le jorbi ». (§7)

L'allaitement se fait dans une certaine posture et état particulier. Les

novices sont conduits les yeux fermés vers le trou contenant cette boisson.

Couchés à plat ventre autour du trou ils sont sommés de boire l'eau sacrée,

un signe en forme de croix est tracé sur le dos et la nuque des candidats. Les

parures et vêtements sont découpés et les candidats sont tous nus et

resteront ainsi jusqu'à leur retour au village. Après avoir bu, ils se relèvent et

sont conduits par les accompagnateurs vers la grande maison patrilignage. A

230

Page 233: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

cette étape, les candidats sont en plein processus de « jorbisation ». En buvant

le « lait » les néophytes passent par une mort symbolique pour renaître et

devenir membres à part entière de la société lobi. Ils sont déjà des jorbi

(enfants de joro) mais certains rites, non les moindres, restent à accomplir.

b) Le bain rituel

Le deuxième rite important de l'initiation du joro est le bain rituel au

fleuve (E001FL, §8, §10 ; E002FL, §15 ; E003HL, §10 ; E005FL, §10 ; E007FB,

§14 ; E008HL, §2 ; EOIOHL, §9). E003HL raconte comment et quand se

déroule ce rituel et le compare à un baptême.

Deux ou trois jours après l'allaitement, on vous conduit au fleuve.Là, on vous fait avancer dans l'eau non profonde selon les groupes.On puise l'eau avec une calebasse et on vous asperge, mais on vousavertit d'avance de vous garder de frémir quand l'eau froide voustouche. Si quelqu'un en frissonne, cela implique qu'il a peur et ilcourt un grand danger. C'est souvent tôt le matin, quand il faitencore frais, qu'on accomplit cette cérémonie. Au toucher de l'eaufroide, tu ne dois pas grelotter. Après cette aspersion, on vousautorise à vous baigner. C'est comme une sorte de baptême. (§10)

Si le bain rituel du joro peut être comparé à un baptême (cf. EOIOHL,

§9), il faut tout de suite ajouter qu'il serait un baptême par aspersion-

immersion. Le côté aspersion semble être plus marqué étant donné que les

initiés de la même promotion sont considérés comme des co-aspergés. Cet

acte d'asperger est sacré, c'est pourquoi il est interdit à toute personne non-

initiée d'asperger un initié. E008HL explique :

[...] quand on asperge quelqu'un d'eau, il dit : est-ce que nous avonsété aspergés ensemble pour que tu m'asperges ? Cela fait référence àcette aspersion pendant laquelle on ne doit pas frémir. Moi Job, jepeux asperger Timothée parce que nous avons été aspergés le mêmejour. Mais si vous n'avez pas été des co-aspergés, tu ne dois pasasperger l'autre ; si tu le fais c'est comme si tu cherchais sa mort etque tu le condamnais. (§2 ; cf. E005FL, §10 ; E007FB, §8)

Certains auteurs considèrent ce bain comme une consécration au

fleuve. Ainsi, après avoir été aspergés, les néophytes sont autorisés à entrer

231

Page 234: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

dans l'eau pour prendre une baignade pendant que le prêtre local implore le

fleuve d'accepter ceux qui sont en train de se baigner en son sein. Sortis de

l'eau, ils prélèvent de la boue du fleuve pour s'enduire le corps419.

c) Dation de nouveaux noms

Après ces principales cérémonies que sont l'allaitement rituel et le bain

rituel, suit la dation de nouveaux noms. Les nouveaux initiés ont quitté leur

ancien état pour entrer dans un nouvel état, tout est devenu nouveau et il

faut les nommer autrement. E009HL voit ce changement de nom comme la

marque du passage à une nouvelle identité.

Étant jàkvma, par le joro tu acquiers ta propre identité, en françaisvous direz liberté, et c'est pourquoi on te donne un nouveau nom.Avant, tu avais un nom d'enfant, c'est pourquoi il fallait que tu aillesau joro, et là on t'appelle jorbi, tu es devenu libre, tu es entré dans lecercle des grands. (§17 ; cf. E008HL, §16)

EOIOHL donne des précisions sur le lieu de la dation des prénoms, du

signe distinctif des nomsy^r^ et les circonstances qui les inspirent.

C'est au bois sacré qu'on nous donne les nouveaux noms terminéstoujours par le suffixe té. Quand on dit Bidjiinté c'est un nompra, ilen est de même de Tégité. Ces noms font généralement référence àune situation vécue. C'est en souvenir d'événements vécus que lepère ou la mère donne un nom à son enfant nouvellement initié. Lasituation vécue porte une signification qui inspire le nouveau nom,qui est désormais considéré comme le vrai nom. Prenons le nomDjinbuoté. (littéralement, manque d'oncles) II se réfère à la non-assistance à un neveu en difficulté. Une personne ayant vu une fillea voulu la prendre pour femme, mais les oncles maternels ne luisont pas venus en aide pour payer la dot. Si après s'être débattu, il apu régler la dette, il profitera de la période du jor3 pour relater ce faità travers le nom Djinbuoté pour exprimer combien l'attitude de sesoncles maternels l'a marqué et combien il en a souffert. (§21)

419 Joseph-Antoine KAMBOU, « Histoire d'un rite de passage, le Joro lobi » dans MichèleFIÉLOUX, et al. {dir.j Op. cit., p. 366.

232

Page 235: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Si les circonstances de la vie inspirent la dation de nouveaux prénoms,

E003HL nous informe sur ceux qui sont autorisés à nommer, la manière dont

la cérémonie se déroule et les enjeux de ces prénoms.

Dans le bois, après deux jours, vos parents viennent vous donner denouveaux noms. Chaque parent annonce à haute voix son nom etdit qu'il est monté dans un arbre très élevé et qu'il en est descendu.Par ces paroles il veut signifier qu'il a affronté la mort et le dangerlors du pèlerinage au village âxxjaro et qu'il s'en est sorti. L'initiationest ici comparée à un arbre élevé qu'il a réussi à grimper et àredescendre. Ceci étant énoncé, il déclare que dorénavant son fils ousa fille que voici porte tel nom. Les noms sont donnés en rapportavec les faits vécus, et certains noms véhiculent des messages àl'endroit des ennemis. Si tu n'as pas d'enfant à nommer, tu peuxdemander à quelqu'un de t'autoriser à donner un nom à son enfant.Certains initiés choisissent eux-mêmes leur propre nom dans le casoù ils ne sont pas satisfaits du nom qui leur avait été donné. Quandvous regagnez vos familles, on vous appelle par ce nouveau nom, onne doit plus vous appeler par votre ancien nom ; si quelqu'un le faitune fois, vous le lui interdisez et s'il répète, vous devez vous éloignerde lui, car il cherche votre mort. Il tient toujours à ce qui est ancien,or ayant été transformé, vous n'avez plus rien à voir avec l'anciennom. (§16)

Certains procèdent à la dation des nouveaux prénoms au village du

joro. Pour cela, on prépare d'abord les néophytes par le rasage et la

conservation des cheveux dans une large feuille le jour avant. Pendant la

cérémonie, chaque jorbi creuse un trou devant lequel il se tient, les cheveux à

la main et un cauris dans la bouche. À la demande d'un responsable, le

néophyte prononce l'ancien prénom tout en crachant le cauris dans le trou.

Vient ensuite la donation d'un nouveau prénom et le dépôt des cheveux dans

le trou que l'initié recouvre de terre et y place dessus le caillou qui avait servi

à creuser ce trou.420

Ces trois cérémonies, l'allaitement, le bain et la dation de noms, se

déroulent généralement dans le village joro. De tous ces rites de consécration,

l'allaitement demeure le plus important, suivi du bain rituel. Ces deux

cérémonies se déroulent pour tous, au village du joro alors que la dation de

420 Joseph-Antoine KAMBOU, op. cit. p. 367.

233

Page 236: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

noms peut se faire soit en cours de route pendant le retour ou pendant le

séjour dans le domaine réservé anjoro au village.

Graphique VII-3 : Composantes du rituel de consécration

Allaitement Bain rituel Dation de Autres ritesnoms

2. 2. 3. Cérémonies de réintégration

Devenu un être nouveau, l'initié doit tout réapprendre car il ne peut pas

entrer dans son milieu habituel de vie sans transition. Le rituel de

réintégration est appelé topaar (introduction) en lobiri, il marque cette étape et

il revient aux chefs de s'organiser pour l'accomplissement des cérémonies

appropriées. « Pendant que vous êtes dans le bois, les chefs s'affairent pour la

suite des sacrifices. On cherche alors, des pintades et des poules pour le

sacrifice qui permettra de vous reconduire dans vos maisons, on appelle cela,

topaar. » (E003HL, §14) En birifor le terme utilisé est silï gber dâa (bière du

pied de l'initié) « Quand passent encore deux mois, on prépare la cérémonie

du silï gber dâa. » (E004HB, §5)

Si les Lobi parlent « d'introduction » dans le sens de faire entrer ou

d'intégrer les nouveaux initiés, du côté birifor, le terme utilisé est plutôt

métaphorique. En effet pendant la cérémonie d'entrée-sortie, quelque chose

est déposée à l'entrée de la maison et les initiés doivent veiller à ce que leurs

234

Page 237: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

pieds n'y touchent pas. E003HL relève : « À la porte de la maison est déposé

un objet dont on ignore la nature, mais qui a un caractère très dangereux

pour les anciens. Tu entres dans la maison à reculons et tu en ressors

pareillement. Quand tu accomplis ce rite, on t'avertit que si jamais tu piétines

l'objet déposé à la porte, tu meurs. Tu ne dois pas le piétiner. » (§15)

C'est après cette cérémonie d'entrée-sortie que les nouveaux initiés sont

autorisés à réintégrer leurs familles respectives. Ils partent de la « grande

maison » du patriclan local où s'est déroulée la cérémonie « d'introduction »

pour regagner leurs maisons. Un mouvement chiasmique se déploie dans le

déroulement des cérémonies (cf. schéma sur le mouvement chiasmique du

joro). Le candidat à l'initiation part de la maison familiale non-initié et en

revient initié. Le parcours pour atteindre cet état commence au village lobi à

partir de la maison du patriclan local, passe par le domaine national du joro

où il trouve sa sommité devant la maison du patriclan national pour aboutir à

la maison familiale en transitant par le domaine local réservé au joro et la

maison du patriclan local. Ainsi, deux aires d'activités abritent les cérémonies

du joro, le village lobi et l'aire du joro. Ces espaces renvoient à deux types

d'états : l'état de non-initié (jâkuma) et l'état d'initié (jorbi). L'espace villageois

lobi constitue le lieu d'ouverture et de fermeture des cérémonies. C'est de là

que part le candidat à l'initiation pour le pèlerinage et c'est là aussi que prend

fin son parcours. L'espace domanial joro est le lieu de la « jorbisation », lieu de

descente aux enfers et de résurrection. La nouvelle vie qu'octroie cette

renaissance oblige « l'enfant du joro » à se mettre dans une attitude

d'apprentissage en vue de réintégrer sa société d'origine.

235

Page 238: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Illustration VII-1 : Mouvement chiasmique des cérémonies du joro

VILLAGE LOBI

Maison familiale

Maison dupatriclan

Domaine du joro

Maison familiale

Maison dupatriclan

Domaine dujoro

Maison dupatriclan national

VILLAGE JJRD

EOOIFL explique comment se fait la cérémonie d'entrée-sortie et donne

sa compréhension des entrées à reculons.

Quand le moment de la cérémonie d'entrer dans la maison arrive, onprépare le dolo et la nourriture pour annoncer que le temps est venupour les jorbe d'entrer dans la maison et qu'ils ne sont plus ceux dela brousse. On procède au rituel quand il fait sombre, car on ne veutpas que les jâkvma vous voient. S'ils vous aperçoivent, vous risquezvotre vie. On laisse les enfants dormir puis on vous conduit àl'arrière de la maison et à tour de rôle, vous passez pour le ritueld'entrée. Si tu es une femme tu entres quatre fois à reculons avantqu'on ne tourne ta face vers l'entrée pour que tu y entres. Passé cerite tu deviens quelqu'un de normal. Si tu es un homme, tu entrestrois fois à reculons et à la quatrième fois on te fait entrer de face ettu deviens quelqu'un de normal. Les entrées à reculons dénotentcombien vous êtes des nigauds, des gens qui ont tout à réapprendreet qu'on doit rééduquer. Dès lors, si tu entres normalement dupremier coup, tu mets ta vie en danger. (§16)

Selon E006FB, « quand vous êtes autorisés à rejoindre vos familles, on

236

Page 239: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

vous conduit premièrement à la grande maison pour qu'on vous rase la tête à

moitié. »> (§18 ; cf. E003HL, §17 ; E009HL, §4) Ce rasage qui est lié au

processus de réintégration est fait de façon spéciale. Une moitié de la tête est

rasée et l'initié doit veiller à ce que sa tête soit toujours gardée à moitié rasée.

Une négligence de sa part entraîne une amende (E003HL, §17).

À ces deux cérémonies sont jointes d'autres pour la réintégration

sociale. Une fois de retour à la maison familiale, l'initié n'est pas entièrement

intégré. Il est encore soumis à certaines restrictions. « Quand on vous met

dans la maison, vous n'êtes pas autorisés à vous rendre au marché jusqu'au

moment où on annonce à tous de se rassembler afin d'être conduit au

marché. » (E008HL, §8) Pendant ce temps de renoncement, il ne peut

consommer des aliments en provenance du marché ni se rendre lui-même au

marché, E002FL explique :

On vous donne plusieurs interdits touchant la nourriture. Pendantune certaine période, on vous interdit de consommer des alimentsvenant du marché. Passée cette période, un jour on annonce l'entréedes initiés au marché. Une fois au marché, ils font faire aux fillesquatre fois le tour du marché et aux garçons trois fois. Alors, lesnouveaux initiés se promènent partout dans le marché pour glanerdes cauris en remuant la terre. L'argent est camouflé d'avance et ilarrive que des chanceux tombent sur des canaris pleins de cauris.Tout l'argent trouvé doit être dépensé en totalité, puisqu'ils sontconsidérés comme des bêtes, ils doivent dépenser sans réfléchir ;ainsi achètent-ils tout ce qu'ils veulent pour manger. Après cettesortie au marché, une fois à la maison, ils peuvent dorénavantmanger tout ce qui vient du marché. (§18 ; cf. E006FB, §20)

Le marché étant un lieu important de rassemblement et d'échanges, les

nouveaux initiés doivent attendre qu'on les y introduise. C'est en fait le

moment de les présenter publiquement pour annoncer que dorénavant, ils

peuvent entrer dans le système d'échanges socio-économiques de la tribu. Ce

jour est placé sous le signe de réjouissances populaires ; musique et danses

meublent ce temps.

237

Page 240: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Après cette cérémonie, vient la purification. E003HL place cette étape

dans le temps, relève les éléments requis pour la cérémonie et souligne qu'elle

annonce l'imminence de la fin.

Pour la purification, on prépare le nécessaire et d'habitude, ilsattendent que passe la saison des pluies pour récolter les pistaches,condiment beaucoup utilisé dans les rituels. Ils prennent lespistaches, tuent des pintades et font des boulettes pour lacérémonie. Quand ils arrivent à cette étape, cela montre que le jorotire à sa fin. Mais avant, il faut de la viande séchée et des pistaches.Quand tout est réuni, on procède à la purification. On vous rase lescheveux pour la dernière fois et à un moment donné, on déclare lafermeture du joro. (§19)

Le processus de purification prend fin avec le retrait des accoutrements

du joro ou le rite de dépouillement-revêtement. E005FL fait référence à cette

étape. «... Ils vous purifient en vous ôtant les accoutrements faits de cauris. »

(§12 ; EOO2FL, §19) Une fois ces vêtements ôtés, les initiés peuvent s'habiller

normalement (E002FL, §19). Ces accoutrements sont habituellement déposés

à la maison du patriclan local. C'est là également que les initiés déposent

leurs bâtons et tout ce qui avait servi aux rituels. Quand tous ces objets sont

déposés, le joro est clos et il faut attendre sept ans pour le rouvrir.

La purification dont il est ici question nous semble ambiguë. Il serait

mieux de parler de désacralisation, car c'est de cela qu'il s'agit réellement. Les

nouveaux initiés ont été placés sous le signe du sacré, ils ont été consacrés.

Ainsi, portent-ils le sacré en eux et avec eux. Entrer dans le public avec un si

grand signe de pureté pourrait entraîner un problème dans les relations

sociales. Ayant eu le contact avec le sacré, l'initié est lui-même désorienté ; ne

serait-ce pas ce qui explique son état intermédiaire d'hébété ? Car abasourdi

par la présence du sacré, il ne peut agir que de manière incompréhensible

pour le commun des mortels. Il est donc impératif de le désacraliser pour lui

permettre de retrouver ses esprits et donner la possibilité aux autres de

s'approcher de lui.

238

Page 241: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

2 . 3 . La transmission des savoirs

Si les rituels occupent une place de choix dans le processus initiatique

du joro, il faut cependant relever qu'à eux seuls, l'initiation ne peut être

complète. Le pèlerinage et la transmission des savoirs demeurent des

composantes incontournables du processus. La figure VII-1 traduit

éloquemment cette vérité. Même si la transmission des savoirs se passe

surtout dans la sphère villageoise lobi, tout le long du parcours initiatique est

marqué par des instructions.

Le savoir au joro relève de deux types dont la transmission se fait à

l'aide de certains supports. Le savoir déclaratif y est privilégié, {cf. figure VII-3)

et tous nos répondants en font référence, tandis que 60% parlent de l'autre

type qui est le savoir procédural. Les femmes semblent moins portées sur le

savoir procédural et connaissent autant que les hommes les aspects

déclaratifs du savoir. Cela n'est pas étonnant car le savoir-faire dans

l'initiation relève plus de la responsabilité des hommes.

Graphique VII-4 : Sous-Composante « Transmission des savoirs »

120

100

80

60

40

20

0

F•

Ji:. :;|s : -u

1LJ111J

Savoir déclaratif Savoir procédural Supportspédagogiques

B%Fem• %HomO % total

2. 3. 1. Le savoir déclaratif

Le savoir déclaratif dans le joro comprend deux aspects axés sur le

savoir-être et les données qui le facilitent. Celles-ci sont constituées des

239

Page 242: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

différents interdits dont ceux qui sont seulement en vigueur pendant la

période de l'initiation et ceux qui sont permanents. Ils touchent différents

domaines de l'activité humaine, en particulier les activités sociales et socio-

économiques. Sur le plan social, les relations familiales prennent une place

importante dans l'éducation du joro. Les interdits dans ce domaine s'orientent

vers les rapports entre mari et femme et entre initiés et jâkvma. Pour les

premiers, la vie du couple est soumise à une réglementation dans laquelle

l'adultère est réprimé, surtout du côté de la femme. E002FL explique :

S'il arrive qu'une femme ait des rapports sexuels avec un hommeautre que son mari, elle ne doit pas servir à boire à son mari nidormir sur la même natte que lui avant d'être purifiée. Deux fois parjour, on vous enseigne à connaître tout ce qu'un adulte est censéconnaître. Quand il arrive qu'une fois elle tombe (couche avec unautre homme) quand elle rentre chez elle, elle ne doit pas dormir surla natte mais par terre. Son mari ne dira rien, mais ce sont sespropres parents qui viendront s'enquérir de ce qui s'est passé etferont les sacrifices nécessaires pour la purifier, (littéralement, laréparer) Pour la purifier, on attache une chèvre et elle doit enjamberl'animal quatre fois. Après quoi, on tue la chèvre pour en faire unrepas aux anciens et on flagelle la femme avec un fouet garnid'épines. (§22)

Cette discrimination s'explique sur le plan social. Chez les Lobi

traditionnels, la femme est acquise au prix de plusieurs bœufs. Pour une

jeune fille promise en mariage, le prétendant est soumis à des travaux pour le

compte de la future belle-famille, et en plus, il est tenu de remettre à celle-ci

un certain nombre de bœufs pour la dote. En général, cette dote est payée par

les oncles maternels. Dès lors, la femme appartient à un homme, mais aussi à

la famille de celui-ci, sans oublier les liens qu'elle continue d'entretenir avec

sa propre famille. Il y a toute une protection autour d'elle, pour son bonheur,

comme pour son malheur. Cela donne un certain droit à l'homme ou aux

parents sur la femme.

Pour ce qui touche les relations entre initiés et jâkvma, il est plus

question de préserver l'image de l'initié. Ce dernier doit entretenir un certain

mystère autour de sa personne devant les non-initiés, mystère qui l'élève à un

rang d'honneur et de dignité. Fraîchement de retour du village du joro, l'initié

240

Page 243: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

ou le sacralisé est tenu de veiller à garder son caractère de mise à part. C'est

pourquoi, il ne doit pas se découvrir entièrement devant les autres (E003HL,

§13) ni manger ou converser avec les enfants pour un temps (E002FL, §17,

§19, §22). C'est aussi dans la même logique des choses qu'il lui est interdit de

se rendre aux funérailles, lieu de rassemblement du village en vue de

témoigner de son respect à la personne décédée. Chez le Lobi, quand

quelqu'un ne se rend pas aux funérailles d'une personne décédée, cela peut

être compris comme un signe d'éloignement ou montrer qu'il n'existe aucune

relation entre eux. Les funérailles constituent un espace de solidarité qui

permet aux membres du village de sympathiser. Ainsi, le nouvel initié est

privé de cette solidarité pour un temps. Pour que cet interdit soit levé, il

faudrait qu'un initié décède afin que soient accomplies les cérémonies

autorisant la reprise des activités touchant les funérailles.

À ces interdits touchant les relations humaines s'ajoute celui de se

rendre au marché, espace d'échanges économiques. En pays lobi, le marché

se tient généralement tous les cinq jours. Les jours de la semaine sont

construits autour du jour du marché. Ainsi, le Birifor, par exemple, parlera de

préparatifs du jour du marché, de la veille, du jour du marché, du lendemain

et du surlendemain du jour du marché.

Préparatifs du jour du marché

Veille du jour du marché

Jour du marché

Lendemain du jour du marché

Surlendemain du jour dumarché

241

Page 244: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Cette construction est intrinsèquement liée à la préparation de la bière

locale qui prend deux jours de travail (cf. « Éléments des cérémonies »). Le

marché est non seulement un lieu où l'on vend et achète, mais c'est aussi

l'espace des échanges sociaux et des festivités. C'est là qu'on danse après la

récolte, c'est l'endroit où l'on marque le début et la clôture des activités

importantes de l'ethnie. C'est pourquoi l'entrée des initiés au marché

représente la cérémonie de présentation à la communauté villageoise de ceux

qui sont passés par l'initiation. Mais avant cette présentation, la discipline

imposée aux initiés veut qu'ils s'abstiennent de se présenter au marché.

Non seulement le marché leur est interdit, mais aussi toute nourriture

en provenance de là est prohibée. E002FL relève ce fait, et souligne que

plusieurs interdits touchant la nourriture leur sont imposés (§18). Aucun

aliment particulier n'a été relevé par les répondants à l'exception d'un fruit

dont parle E002FL (§4). Il est certain qu'il en existe, mais nos informateurs

n'ont pas fait mention de cela de façon explicite. Est-ce à dire que cet aspect

importe peu ? Cette question pourrait relever d'études ultérieures.

Tous ces interdits visent à construire un type d'homme dont l'identité

se caractérise surtout par l'attitude vis-à-vis de la sexualité, de la discipline,

de la soumission, du courage, de la discrétion, du respect et de la dignité (cf.

graphique VII-5). Madeleine Père avance que l'éducation sexuelle est

inexistante axxjoro421, ce qui est en partie vrai pour celui qui ignore le système

éducatif lobi. Si l'éducation sexuelle est comprise comme un temps réservé

pour donner des informations sur la constitution des parties génitales, de

l'hygiène sexuelle, des maladies liées aux rapports sexuels, de la procréation,

de la contraception et autres renseignements sur la sexualité dans une

perspective occidentale, alors, le joro est loin d'une telle éducation. Car le but

ici visé est plutôt le comportement envers les pulsions sexuelles. Les

entrevues réalisées viennent contredire ce que Père a appelé « licence

sexuelle422 » pendant le joro. E008HL insiste sur le fait qu'au village du joro, si

« tu couches avec une femme, si tu touches même au cache-sexe de la femme

Madeleine PÈRE, op. cit. p. 314.Md.

242

Page 245: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

tu deviens aveugle. Si tu couches avec elle, vous ne pouvez pas vous relever,

vous restez là couchés jusqu'à ce que les chefs viennent constater ce que vous

faites et tu deviens bébête. » (§12) EOO1FL le confirme quand elle dit : « là-bas,

tu ne peux pas voler la chose de quelqu'un ni courtiser une femme mariée. »

(§3 ; cf. E003HL, §2 ; E005FL, §6) Est-ce à dire qu'on n'est pas tenu par cet

interdit quand il s'agit d'une femme non mariée ? Cela reste à vérifier.

Nous n'excluons pas le fait qu'un fossé puisse exister entre ce qui est

dit et ce qui se vit dans la réalité. Il est aussi possible que les interdits sur le

comportement sexuel visent justement à réguler une situation déjà

problématique. Dans ce cas, il ne serait pas tout à fait exact d'attribuer la

licence sexuelle à la période du joro. Vu le climat de pureté qui caractérise

cette période, il nous semble difficile de partager les allégations d'un laisser-

aller. Nous nous en tenons également à la discipline et à la soumission

auxquelles les initiés sont astreints lors de l'initiation. La discipline oblige à

respecter l'ordre établi ainsi que les interdits promulgués. Discipline et

abstinence sexuelle constituent les interdits sur lesquels les répondants sont

souvent revenus. À cela il faut ajouter les références à la soumission, au

courage et à la discrétion. La soumission est en étroite relation avec la

discipline et consiste en l'obéissance et en un respect strict des règles et de la

hiérarchie.

Graphique VII-5 : Composantes de la sous-dimension « Savoir-être »

Dignité8% 1

Respect jdÊÊ11% M

ASoumission m

14% M

\JDiscrétion ^ ^ ^

14%

Continencep-^» 20%

\

/ ^ H • Discipline^^W 19%

Courage14%

243

Page 246: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Aussi curieux que cela puisse paraître, le Lobi est très indépendant

socialement, mais quand il s'agit des interdits du clan ou de la famille, il s'y

soumet sans discussion. Car toute insoumission dans ce domaine lui ôte

sécurité et protection. S'il lui arrive de rejeter ses coutumes, il prend toujours

le soin de se doter d'une puissance pouvant le protéger. Cette tendance à

l'indépendance des Lobi a certainement joué un rôle important dans la

conversion au christianisme, religion dans laquelle plusieurs ont trouvé une

puissance protectrice et un lieu de liberté. Tout porte à penser que c'est

surtout ceux qui ne sont pas capables de se soumettre à la rigueur de la voie

ancestrale qui se tournent vers les religions étrangères qu'ils trouvent moins

astreignantes. Si cela semble juste, il faut ajouter que ceux qui se décident de

quitter le chemin des ancêtres, font preuve de beaucoup de courage, car le

risque qu'ils courent est grand.

Les interdits touchant le respect et la dignité constituent d'autres

aspects du savoir-être. Ils visent les rapports de l'initié avec ses supérieurs et

avec les non-initiés. Il doit faire preuve d'un très grand respect vis-à-vis des

maîtres d'initiation et des moniteurs. E003HL rapporte : « Lorsqu'un grand

arrive, les moniteurs vous apprennent qu'il faut vous empresser d'aller à sa

rencontre pour saluer ; les femmes sont les omië, les hommes sont les suu. »

(§24) La salutation est un grand signe de respect dans la société lobi et

omettre de saluer quelqu'un présage un différend ou une certaine adversité.

Ce respect que doivent les initiés à leurs chefs hiérarchiques leur est rendu

par les non-initiés. Ayant passé par les rites d'initiation, ils sont parvenus à

un rang de dignité qui les distingue des non-initiés et qui exige que ces

derniers les considèrent comme leurs supérieurs. Ils en sont fiers, car non

seulement ils ont des connaissances que les non-initiés n'ont pas, mais ils ont

un certain savoir-faire qui leur est propre.

2. 3. 2. Le savoir procédural

À ce savoir déclaratif s'ajoute le savoir procédural. Nous avions d'abord

pensé que le savoir procédural était très présent dans le joro, mais les

244

Page 247: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

entrevues n'ont pas confirmé notre attente. 60 % des entrevues font référence

à cela en relevant ce qui se donne au niveau du savoir-faire et du savoir-

langagier. Les apprentissages liés au savoir-faire concernent surtout le côté

artistique et artisanal. L'essentiel de ce savoir touche la musique et la danse.

Le joro a sa musique particulière et sa danse. Un non-initié ne peut exécuter

la danse du joro ou jouer ses rythmes (E003HL, §13, §24). Pour le faire, il faut

nécessairement se rendre à l'initiation. Une grande partie du temps est

réservée à l'apprentissage de la danse et des instruments de musique tels le

tam-tam, le balafon et la flûte.

En outre, les initiés apprennent les gestes usuels ; les exemples qui

sont donnés par nos répondants font état de l'apprentissage à marcher, à

cultiver (E003HL, §13, §24 ; E009HL, §6). Étant donné que les initiés sont des

êtres nouveaux, ils sont appelés à réapprendre les gestes usuels. Comme le

bébé apprend à marcher, ainsi le nouvel initié apprendra comment marcher,

comment travailler mais aussi comment parler. Le savoir-langagier occupe

une place plus importante que le savoir-faire (cf. figure VII-5). S'il est vrai que

tous ne sont plus soumis à l'apprentissage de cette langue (E003HL, §13), il

n'empêche qu'elle demeure un élément important de l'initiation. Pooda relève

que cette langue est similaire à la langue des Puguli, 423 ethnie à laquelle

certains font remonter l'origine du joro.

Le lieu d'apprentissage de cette langue n'est pas précis, les uns le font

au village du joro, (E001FL, §11) et les autres au village lobi (E002FL, §25, §26

; E009HL, §2 ; E010HL, §19). Aucun intervenant Birifor n'a fait référence à la

langue du joro. Pourtant le cri du joro est le même aussi bien chez ces

derniers que chez les Lobi. Les raisons d'un tel silence reste à vérifier. Il est

possible qu'à cause du secret qui entoure le savoir-langagier, les répondants

Birifor osent moins en parler.

En définitive, la transmission des savoirs dans le joro se résume dans la

transmission des interdits, du savoir-être, du savoir-faire et du savoir-

langagier. Le plus important demeure le savoir-être (cf. figure VII-6), ce qui

Antoine de Padou POODA, op. cit. p. 6.

245

Page 248: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

corrobore les objectifs du joro dont la vision est de réguler la société par une

construction identitaire qui prend en compte les aspects communautaires et

individuels.

lobiGraphique VII-6 : Récapitulatif des indicateurs du savoir initiatique

150/0 ^—\

8%/N. ^ 3 9 %

;

a Interdits• Savoir-être• Savoir-faire• Savoir langagier

2. 3. 3. Les supports pédagogiques

Pour une bonne transmission de ces savoirs, le joro use de certains

supports pédagogiques que sont le langage symbolique et les dispositifs de

motivation. Nous reviendrons plus tard sur l'interprétation de toute la

symbolique du joro, mais à présent, nous voulons faire ressortir tout le

langage imagé dont se servent les maîtres d'initiation pour signifier des actes

et des événements. Deux principales expressions relèvent de ce procédé. La

première vient des rites de consécration où il est question de « boire le lait »

pour parler de la boisson sacrée qui fait renaître le néophyte et le consacre

« enfant du joro ». À cette expression sont associés : « le sein du fleuve »,

« l'allaitement » et la mise à mort du néophyte. En effet pour naître enfant du

joro, le néophyte doit passer par la mort symbolique et, à sa renaissance,

recevoir la substance vivifiante qu'est la boisson sacrée.

246

Page 249: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

La deuxième expression est liée non seulement aux rites de

consécration, mais aussi à la grande marche. Plusieurs termes la traduisent :

« la pirogue l'a emporté » (E003HL, §12), « l'eau l'a emporté » (E002FL, §11,

§12, §15), « le caïman l'a emporté » (E004HB, §7, §8 ; E006FB, §4, §34), « Yi

koro l'a emporté » (E008HL, §3, §5, §10 ; E009HL, §9). Toutes ces expressions

font référence à la mort ou à l'enlèvement d'un pèlerin à l'initiation. Celui-ci

peut être un néophyte ou un initié. Il est évident que cette référence joue une

fonction d'éveil ou de mobilisation. Nous l'avons qualifiée de dispositif de

motivation, car l'idée de mort ou d'enlèvement entretient un climat de crainte

qui favorise l'obéissance et la soumission, attitudes nécessaires à tout

apprentissage scajoro.

Ce dispositif est très important pour l'approche pédagogique du joro. La

tension qu'entretient l'idée d'enlèvement rend les néophytes et leurs

accompagnateurs très attentifs à ce qui se passe autour d'eux. Elle contribue

à entretenir une certaine concentration, car la moindre inattention peut être

fatale. E006FB dit : « Sur la route, chaque nouveau a ses protecteurs qui

veillent sur lui. Quand une personne s'arrête un peu, ils vous avertissent en

vous disant de bien veiller sur vos protégés de peur qu'ils ne s'égarent. Et

quand il arrive qu'une personne s'égare, ils disent qu'elle a été la proie du

caïman. » (§4)

L'inconnu qui entoure les enlèvements plonge le pèlerin dans un état

d'esprit de lutte contre un ravisseur fictif ou réel et l'introduit dans un

mystère opaque. Ce mystère le mystifie lui-même et fait de lui le gardien du

secret du joro qu'il ne doit en aucun cas, dans les conditions normales, trahir.

Ce mystère entoure l'initié et impose aux autres le respect et l'admiration.

Mais avant d'arriver à ce stade, des sanctions guettent le néophyte et ses

proches. Aucune faute n'est tolérée, ce qui vient augmenter la tension que les

rites se donnent pour mission de contrôler. Certes, autant l'initiation crée un

climat de tension, autant propose-t-elle des solutions. Face à la peur qu'elle

installe, elle enseigne le courage, à la convoitise charnelle elle présente une

réglementation rigoureuse.

247

Page 250: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Tout semble se dérouler dans un climat difficile à gérer en temps

normal, c'est pourquoi au joro, l'atmosphère baigne dans la musique pour

adoucir les mœurs. À chaque niveau, les pèlerins sont servis en musique, soit

à travers les rythmes des tam-tams ou celui des balafons, sans oublier les

danses qui les accompagnent. Dans un entretien avec André Oussè, il est

ressorti combien la musique du joro était envoûtante et qu'il était difficile d'y

résister. Cette musique a pour rôle de rendre les épreuves plus supportables

en aidant l'esprit et le corps à transcender la douleur, la peur et le désir

charnel.

Cette démarche du joro, que ce soit au niveau de la transmission des

savoirs, des rites, et du pèlerinage, démontre à quel point l'initiation lobi se

prête mieux à une institution d'éducation. Sans écarter son aspect religieux, il

nous semble plus juste de voir dans le joro, un dispositif pédagogique dont le

but est de former l'homme et la femme lobi. Si le joro fait référence au

religieux, c'est tout simplement parce qu'il vise une éducation complète qui

prend en compte tous les aspects de la vie humaine. L'éducation à la foi

chrétienne en pays lobi aurait gagné en instaurant dès le début un dialogue

positif avec cette institution. Car une lecture de l'impératif missionnaire fait

ressortir bien de similitudes avec les voies et moyens par lesquelles le joro

réalise son projet éducatif.

3. Impératif missionnaire etjoro : Démarches

Jiâvxa xà ë0vr| est l'ordre de mission des disciples dans

Matthieu 28, 19. Ces derniers ont été préparés à une telle mission et l'évangile

lui-même présente un exemple de ce qu'est la formation des disciples. Francis

W. Beare écrit qu'il pourrait être décrit comme un manuel d'instruction de la

vie chrétienne424. L'évangile met en évidence une démarche dans la formation

des disciples.

424 Francis Wright BEARE, The Gospel According to Matthew. A Commentary, Oxford, BasilBlackwell, 1981, p. 5.

248

Page 251: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

1) Choix des disciples (Mt. 4, 19-22 ; 10, 1-4)

2) Formation par la transmission des savoirs (Mt. 5-7 ; 10 ; 13 ; 18 ;24-25)

3) Formation par la pratique : Stage missionnaire (Mt. 10)

4) Formation par l'exemple (Mt. 20, 20-28)

5) Formation par le rituel (Mt. 26, 26-29)

6) Formation par la vie du Maître

• Rite initiatique (Mt. 3,13-17 ; 4, 1-11)

• Vie de prière (Mt. 14, 23 ; 26, 36, 39, 42, 44)

• Ministère de la parole (Mt. 5-7 ; 10 ; 13 ; 18 ; 24-25)

• Ministère d'actions sociales

Assistance en santé physique (Mt. 8, 1-15 ; 9, 35)

Assistance en santé mentale (Mt. 8, 16-17 ; 28-34)

- Assistance alimentaire (Mt. 14, 13-21 ; 15, 32-39)

- Défense des droits humains (Mt. 19,13-15 ; 26, 7-13)

• Rapports

- avec les disciples (Mt. 10, 24,25 ; 12, 47-50 ; 28,10)

- avec les marginaux (Mt. 9, 9-13 ; 11, 19)

- avec le peuple (Mt. 7, 28 ; 9, 36 ; 14,14)

- avec ses opposants (Mt. 161-4 ; 19,1-9 ; 22-23)

• Passion (Mt. 26-27)

7) Travail de suivi (Mt. 28, 20)

Un commentaire de ces différents éléments demanderait une recherche

approfondie et pourrait constituer le sujet d'une autre thèse. Notre intention

ici est de partir des différents indicateurs qui soulignent le caractère

pédagogique de l'évangile. À partir de là, on cherchera à dégager la manière

dont ils pourraient interagir avec ceux de l'initiation lobi pour ouvrir des

horizons nouveaux dans la compréhension et la pratique de l'initiation dans

l'Église ainsi que sa place dans la situation éducative comme processus

pédagogique.

249

Page 252: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

3. 1. Le pèlerinage du disciple et celui du jorbi

Dans le chapitre qui précède, nous avons relevé que les ternies oûpavog

et yr\ indiquaient le cadre qui porte les activités de l'impératif missionnaire.

L'un des indicateurs qui traduit la relation entre le disciple et ce cadre est le

parcours. La notion de « parcours » ou de pèlerinage est bien présente dans

l'économie du salut quand on la met en rapport avec Job 1,7. Dans Job, il

ressort que l'Adversaire - ôià(5oÀog dans la Septante = diable, mais ]VWT\ (Satan)

dans le texte hébreu - s'évertue à parcourir la terre et à s'y promener. Le

terme nspinateiv (circuler, aller et venir) dans la Septante se retrouve dans I

Pierre 5, 8 pour qualifier l'activité du diable. Celle-ci fait penser aux actions

d'un prédateur et vise à pousser les hommes à la révolte contre Dieu.

L'exemple de Job en est un.

En mettant ces passages bibliques en parallèle avec Mt. 4, 23 ; 9, 35 ;

17, 22, où l'expérience de parcourir ou de circuler est attribuée à Jésus, cela

nous introduit au cœur de la christologie et de la sotériologie. Jésus est

présenté comme le pèlerin en marche, celui qui partage la destinée

péripatéticienne des hommes, dans le sens de celui qui circule, qui marche,

qui se promène entouré de ses disciples ou de la foule. Ainsi, le voit-on

parcourant villes et villages sans définition particulière ou alors la Galilée. À

l'inverse du diable qui cherche dans ses déplacements à faire des hommes ses

proies, et à les entraîner dans la révolte contre Dieu, Matthieu décrit Jésus en

mouvement, comme celui qui apporte aux hommes la guérison, leur vient en

secours, et les interpelle à la réconciliation avec Dieu, avec le prochain et avec

eux-mêmes.

À l'exemple du Maître, le disciple est convié à un pèlerinage. Le

pèlerinage est aussi une des voies que doit emprunter le candidat à l'initiation

lobi pour parvenir à son statut dejzrbi. Ce pèlerinage très symbolique rappelle

au Lobi qu'il est celui qui est en marche, en marche pour son

accomplissement, en marche sur les traces des ancêtres, en marche vers la

250

Page 253: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

destination ultime, le village des morts. Comment se servir du pèlerinage en

éducation à la foi ?

Les catholiques lobi proposent des pèlerinages dans des lieux qui ont

une signification pour la foi chrétienne. Ils suivent les traces des premiers

missionnaires qui sont arrivés avec l'Évangile en pays lobi. Quant aux

protestants, les conférences annuelles leur permettaient de se rencontrer à

Bouroum-Bouroum, lieu d'implantation des premiers missionnaires.

Aujourd'hui, à cause des problèmes d'eau, ils se voient dans l'obligation

d'avoir des conférences régionales. Cependant, soulignons que si le pèlerinage

que proposent les chrétiens est religieux, celui du joro ne l'est pas. Il est plutôt

social, et à ce titre, il donne des bases anthropologiques pour une

inculturation des vérités et pratiques religieuses.

Si la notion de pèlerinage est si ancrée dans l'esprit des Lobi, pourquoi

catholiques et protestants ne peuvent-ils pas se mettre ensemble pour

construire un pèlerinage où tous ensemble ils iraient sur les traces des

premiers missionnaires et une fois dans les lieux, se répartir dans les

différentes dénominations ? L'histoire nous dit que les premiers missionnaires

catholiques et protestants ont occupé le même site dès leur arrivée en pays

lobi. C'est l'administration coloniale qui les a amenés à se déplacer pour leur

sécurité. Si les chrétiens s'entendaient sur ce plan, ils contribueraient à

transformer le visage du joro. Ce ne serait pas la première fois pour le joro de

connaître une nouvelle version. Un tel projet est à considérer et notre travail

en explore les conditions. Notre but consiste moins à réhabiliter le joro, qu'à

faire comprendre qu'en dépit de ses aspects dits religieux, il constitue un

système éducatif qui a été mal géré et que cet aspect pourrait être

déterminant pour l'avenir du christianisme en pays lobi.

3. 2. Le baptême et les rites du joro

Si la formation du disciple nécessite un déplacement, un parcours, son

contenu est rituel et pédagogique. Le baptême qui en fait partie se retrouve

dans les rites initiatiques du joro. L'eau est l'élément essentiel utilisé dans les

251

Page 254: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

deux rites et l'acte d'asperger et de se baigner sont similaires. En revanche, il

y a des différences notoires. Relevons d'emblée que ces deux rites ont des

significations qui se rapprochent mais ne sont pas identiques. Le rite chrétien

prend son fondement dans la Sainte Trinité, alors que celui du joro se fonde

sur le Mu (le Fleuve). Le baptême du joro se donne comme une consécration

au Fleuve. Nous avons montré comment, dans la mythologie lobi, le Fleuve

joue un rôle important dans le passage de ce monde à celui des ancêtres et

qu'il se trouve lié dans une certaine mesure à Thâgba (Dieu). Pour Madeleine

Père, le culte de la Terre et celui du Fleuve renverraient à la même réalité. Dès

lors, sans être explicitement nommé, Dieu serait présent dans le joro quand il

est question de la Terre et du Fleuve. Il est évident que ce Dieu n'est pas

nécessairement le Dieu Trinitaire. Il n'empêche qu'il s'agit du concept de

divinité dans une expression langagière particulière. Ce concept chez les Lobi

constitue une représentation nécessaire à laquelle on peut se référer pour

comprendre le Dieu de Jésus Christ.

Malgré cette différence, les deux rites visent l'intégration dans une

communauté. Au joro, le rite du bain qui symbolise la purification, se réfère à

la naissance symbolique. Chez le Lobi, tout bébé qui vient au monde est

nettoyé à l'eau, c'est pourquoi, il n'est pas étonnant que le novice qui vient de

naître comme enfant du joro, passe par ce rite. Cette purification implique un

nouveau départ, une nouvelle vie et un renoncement à l'ancienne vie. Nous

comprenons, à présent, pourquoi dans l'Église protestante les gens ne se

pressent pas pour le baptême. Tout d'abord, avant chaque service de

baptême, chaque candidat devait passer devant le conseil des responsables de

l'Église pour un examen. On interrogeait les membres du Conseil sur le

comportement du candidat pour s'assurer que son témoignage est

irréprochable. Beaucoup de candidats craignaient ces moments. Ensuite,

plusieurs comprenaient qu'après le baptême il n'était plus question de pécher.

Commettre une faute morale était lourd de conséquences. Cette conception

aurait probablement sa racine dans la tradition lobi et aurait été entretenue

par une prédication légaliste dans l'Église. En effet, une fois de retour du joro,

le non-respect d'un interdit pouvait être fatal. Ainsi, l'initié doit veiller à ne

252

Page 255: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

pas enfreindre un seul interdit. Si cette représentation rend sensible au

problème du mal, quelque part, elle entretient une conception du péché qui

n'est pas celle enseignée dans la Bible.

Un autre aspect du rite du bain dans le joro, qui rejoint celui du

christianisme, est le symbolisme de la mort et de la résurrection. Des deux

côtés, il est question de mourir à une ancienne vie pour renaître à une

nouvelle vie. Dans le joro, on passe symboliquement de la mère utérine à la

Mère Terre (symbolisant Dieu), de l'état rustique à la connaissance, du

jâkvma au jorbi. C'est une renaissance qui s'opère à travers le rite d'eau

accompagné de celui de l'allaitement. Le joro, dans un jeu symbolique, met en

scène une passation filiale de la mère au père. Cela est nécessaire pour le Lobi

car, sans ce passage, l'héritage du côté paternel ferait défaut. Cette passation

est symboliquement celle de la Mère Terre au Dieu d'en haut. À cette étape, le

néophyte entre dans une nouvelle relation filiale, c'est pourquoi, il a besoin

d'un nom pour qu'on puisse l'identifier.

Relevons enfin le fait que cette renaissance s'opère dans un climat

d'angoisse entretenu par le bruit du rhombe sacré et les menaces des

moniteurs. Tout se déroule de manière à rendre les néophytes conscients de

l'aventure périlleuse dans laquelle ils s'engagent. En revanche, ils sont

assurés de la présence des proches, ce qui leur donne le courage d'avancer

malgré les dangers qui les guettent et le risque d'y perdre sa vie. Cette

présence qui soutient est couplée de la parole qui vise les instructions pour

éviter aux protégés des actions fatales pendant l'initiation, mais aussi pour

transmettre les savoirs nécessaires à la nouvelle vie.

Si dans le joro la nouvelle naissance est surtout soumise à des actions

rituelles, celle que propose l'impératif missionnaire dépasse le rite. Pour le

courant évangélique, elle est d'abord suscitée par l'expérience d'une rencontre

personnelle avec le Christ et la foi en lui comme Sauveur et Seigneur. Le rite

a, bien sûr, son importance, puisque, lorsque l'on considère les voies et

moyens que propose l'impératif missionnaire pour la formation du disciple, il

tient la première place. Seulement, la célébration de ce rite est accompagnée

253

Page 256: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

d'une formule qui précise l'autorité par laquelle elle est accomplie et introduit

le disciple dans une relation trinitaire.

L'autorité qui fonde ce rite et la relation visée sont loin de ce que

présente le joro. L'impératif missionnaire fonde son rite sur une autorité divine

qui détermine la filiation recherchée. Dans le joro, tout se joue au niveau

purement anthropologique, car c'est de l'intégration sociale de l'homme dont il

s'agit. La recherche d'une relation avec une divinité n'est pas l'objectif, mais

fait partie des dispositifs de socialisation et de construction identitaire. Aucun

enseignement sur les dieux n'est dispensé pendant l'initiation, par contre,

tous les efforts sont fournis pour que les règles d'une vie sociale soient

transmises.

3. 3. La formation du disciple et dujorbi

Dans la formation du disciple tout comme dans l'initiation du joro, la

transmission des savoirs est liée à la parole. « Faire la catéchèse c'est

parler425 », et transmettre les savoirs dans l'initiation est en grande partie

orale, donc, liée à la parole et à la gestuelle426. La parole constitue ainsi un

point d'ancrage entre la formation du disciple et l'initiation du joro. Des deux

côtés nous avons des maîtres et des disciples pris dans l'acte de

communication en vue d'apprendre. C'est un espace de savoirs qui se crée. En

initiation, la différence qui sépare l'initié du non-initié, est le savoir427. Le

premier connaît, il est dépositaire des savoirs ancestraux et des interdits de la

société, ce qui lui permet de vivre librement. Son savoir est source de

libération et de fierté. Il lui donne le droit de siéger dans certaines assemblées

et de prendre la parole. Cette prise de parole se trouve liée à la connaissance

du fonds traditionnel, source de discours. L'utilisation de ce fonds de manière

judicieuse confère une autorité à celui qui s'y réfère.

425 Henr i DERROITTE, La catéchèse décloisonnée. Jalons pour un nouveau projetcatéchétique, Bruxelles, Lumen vitae n°13, 2000, p. 26.426 Anse lme T i t i anma , SANOU e t René LUNEAU, op. cit. p . 8 2 .™ Ibid. p. 81.

254

Page 257: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

La source de la parole dans le contexte de la formation du disciple est

sans conteste dans le Dieu incarné, Jésus-christ. Cette parole est la Bonne

Nouvelle, mais aussi le commandement, et se résume à l'amour (Mt. 22,38).

L'amour de Dieu et celui du prochain demeure la clef d'interprétation et

oriente toute l'éthique du disciple. Les services sociaux rendus par Jésus

(guérison, aide alimentaire, défense des droits humains...) constituent autant

de signes d'amour posés en exemple pour que le disciple imite. Dans la

perspective de l'initiation du joro, les prescriptions visent non pas la voie qui

mène au Dieu de Jésus-Christ, mais celle tracée par les ancêtres et transmise

de générations en générations dont les grands dépositaires sont les maîtres

d'initiation, acteurs incontournables du joro.

Somme toute, nous avons ressorti dans ce chapitre que les candidats à

l'initiation sont d'abord soumis à une longue préparation de purification et de

mise à part qui les dispose à une série de rites dont les principaux sont

l'allaitement, le bain rituel, la dation de nom et la réintégration sociale. Ces

rites occupent une place de choix dans le projet éducatif du joro car, au-delà

de leur matérialité, ils portent une signification symbolique. Aux différents

rites s'ajoute la transmission des savoirs axée sur la connaissance des

interdits, le savoir-être et le savoir-faire. Pour transmettre ces différents

savoirs, le joro se sert de dispositifs pour motiver et évaluer les

apprentissages. Ainsi, dans le joro, il se déploie un ensemble de voies et de

moyens pour faire passer le jâkvma à l'état dejorbi. Ces moyens et procédures

que sont le pèlerinage, les rites, la transmission des savoirs et

l'accompagnement sont traduits du côté de l'impératif missionnaire et du joro

de diverses manières comme nous l'avons déjà remarqué.

Dans le contexte lobi, si dans le passé, l'éducation à la foi a rencontré

dans le joro des éléments qui ont semblé s'opposer au succès de son projet,

avec les connaissances que nous avons aujourd'hui de l'initiation lobi, il nous

semble que celle-ci, en tant qu'institution d'éducation, pourrait contribuer à

une contextualisation de l'éducation à la foi. Cependant, comme dans la

culture de plusieurs peuples africains, la religion est intrinsèquement liée à la

255

Page 258: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

culture, on a vite fait de mettre en exergue les aspects religieux au détriment

des aspects culturels en vue d'écarter une si importante dimension de la

société lobi qui aurait pu servir à incarner l'Évangile dans ce milieu. Car le

joro, ce nous semble, construit une structure des représentations utiles à la

formation chrétienne. Elle permet également à l'éducation à la foi d'avoir des

schèmes sur lesquels elle peut construire sa démarche initiatique et les deux

sont marquées par les composantes d'une situation éducative. Une telle

perception du joro confirme sa définition en tant que voie ou chemin. Si,

historiquement et sociologiquement il est la voie des ancêtres et le chemin qui

mène vers cette voie, prophétiquement, ne serait-il pas cette voix qui proclame

aux Lobi : « préparez le chemin du Seigneur ? »

256

Page 259: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

CHAPITRE VIII

DE L1NITIATION AU « PROCESSUS INITIER

La recherche sur l'initiation lobi nous a permis de repérer ses

composantes éducatives. Ainsi avons-nous dégagé le cadre du projet éducatif

du joro, ses acteurs et sa démarche. En partant de ces différentes dimensions,

nous avons montré comment les indicateurs qui s'y dégagent peuvent être mis

en dialogue avec l'éducation à la foi chrétienne à partir des données bibliques.

Si nous avons mis en évidence les similitudes, nous avons en revanche

souligné les discontinuités qui séparent ces deux projets initiatiques. Si le joro

consiste en une démarche éducative qui intègre l'homme dans son milieu

ethnique en mettant en œuvre des rituels qui impliquent essentiellement la

nature, la culture et la méta-physique, il en va autrement de l'éducation à la

foi chrétienne.

Celle-ci, il est vrai, emprunte également une démarche initiatique pour

l'intégration de ceux qui décident de suivre la voie de Dieu par le Christ. Il est

également juste, que la pertinence de ses méthodes découle en partie de sa

capacité de tenir compte des réalités historiques et socioculturelles dans

lesquelles elle évolue. Cependant, ce qu'elle propose ne peut être réduite ou

limitée à la seule expérience humaine. Tout en s'inculturant, elle dépasse les

cultures locales pour s'élever à l'universel ; tout en visant l'humanité elle

conduit vers la divinité que le Christ est venu révéler. Son projet éducatif dans

la perspective du courant évangélique se fonde sur une dimension théologique

au cœur de l'expérience humaine. Par contre, le projet des initiations

africaines et en particulier celui du joro est essentiellement anthropocentrique

même s'il est intrinsèquement lié au religieux. Ainsi, nous nous trouvons en

face de deux projets qui, tout en se croisant, sont caractérisés par de

profondes différences. Tout en étant conscient de la nécessité de préserver

l'identité propre de chaque projet, le but que nous poursuivons nous amène à

257

Page 260: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

mettre l'accent sur les éléments conciliables, afin de mettre en relief les

composantes pédagogiques communes.

En réalité, si, en Afrique, nous voulons incarner l'éducation à la foi

chrétienne dans les réalités quotidiennes des personnes en formation, trois

éléments fondamentaux devraient être pris en considération : l'héritage

pédagogique africain, l'héritage biblique des aspects pédagogiques de

l'éducation à la foi et leur ancrage dans une théorie pédagogique générale.

Dans les chapitres 6 et 7 nous avons dégagé les composantes d'un héritage

pédagogique africain à travers l'analyse du joro tout en le mettant en rapport

avec les données bibliques de Matthieu 28, 18-20. Ce chapitre qui conclut le

travail s'attache à la contribution de l'initiation à la situation pédagogique et à

la formation chrétienne. Il tente de répondre à la question suivante : quelle

contribution l'initiation peut-elle apporter à la construction des processus

pédagogiques et à la pertinence de l'éducation à la foi en pays lobi ?

Cette pertinence, nous l'avons déjà relevé, passe par la

contextualisation de l'initiation chrétienne. Le seul travail du théologien ou du

pédagogue en laboratoire, ne suffit pas. La participation des chrétiens et

chrétiennes ayant vécu une expérience initiatique dans leur milieu social

s'avère nécessaire. C'est pourquoi dans ce chapitre, nous partirons d'abord

des opinions de ces derniers pour comprendre les rapports entre l'initiation

traditionnelle lobi et l'éducation à la foi chrétienne. Ensuite nous verrons

quelles sont les spécificités d'un processus initiatique, et enfin nous

proposerons quelques pistes à suivre pour une formation chrétienne en

Afrique qui tienne compte des apports initiatiques.

1. Perception chrétienne du joro

Pour comprendre les différents rapports qu'entretient le joro avec les

autres dimensions de la culture lobi et avec les apports exogènes, nous nous

sommes servi de la catégorie « Interactions » d'où nous avons dégagé trois

sous-catégories : rapports internes, rapports proches et rapports éloignés. Par

258

Page 261: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

les rapports internes, nous avons voulu mettre en évidence les relations

qu'entretiennent les différents groupes du joro entre eux. Lorsque nous avons

examiné le point sur les institutions, nous avons relevé que les groupes

tissent des rapports entre eux. Pendant le pèlerinage, certains clans

s'organisent pour partir ensemble et pendant les cérémonies de réintégration,

il existe des cérémonies d'échange et de visite (E003HL, §15). Ici, il ne sera

donc plus question de ces rapports ni des rapports proches. Cette deuxième

sous-catégorie montre la supériorité du joro par rapport aux institutions

cultuelles. Par rapport à l'institution initiatique du buur, institution de

formation à la divination, il ressort que le joro lui est soumis (E008HL, §11).

Ces deux sous-catégories ne feront pas l'objet de nos commentaires car le but

de ce chapitre est de mettre en évidence les rapports éloignés du joro. Ceux-ci

comprennent les rapports avec le monde moderne et les rapports avec le

christianisme. Ce sont ces derniers rapports qui feront l'objet des

commentaires qui suivent. Nous allons quelquefois recourir aux autres sous-

catégories quand cela s'avérera nécessaire pour donner quelque éclairage à

nos propos.

Les rapports avec le christianisme font ressortir trois aspects. 70% des

répondants relèvent des éléments constructifs dans l'initiation lobi, tandis que

la totalité parle des aspects négatifs ou conflictuels, et 90% font référence aux

similitudes (cf. tableau VIII-1 et graphique VIII-1).

259

Page 262: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Tableau VIII-1 : Catégorie « Rapports avec

Nœuds principaux

Rapports avec le christianismeAspects constructifs

Espace d'éducationPierres d'attente

Aspects conflictuels1 Sacrifices offerts aux idoles

Rejet du joro

Plein de risques pour la vieOeuvre de Satan

Espace d'éducation

Dénomination s1 Commandements

Bintême

1 r"> l ~ l

Femmes

302253

0

1

1

4

2

4

1

221

0

2102

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%Femmes

100

6 0

0

40

4 0

100

60

0

20

20

80

40

8 0

2 0

4 0

4 0

20

0

4 0

20

0

40

20

le christianisme

Hommes

54301512313353051

1

3

1

2

2

1 i

%Hommes

100

80

60

0

20

100

20

40

60

20

60

60

100

60

0

100

20

20

60

20

40

40

20

H

%

total

100

70

30

20

30

100

40

20

40

20

70

50

90

40

20

70

20

10

50

20

20

40

20

Graphique VIII-1 : Rapport au christianisme

120% -r

100%

80% 4

60%

40%

20%

0%

• Similitudes• Conflictuels

260

Page 263: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

1.1. Aspects constructifs

Pour ce qui touche aux aspects constructifs, trois indices apparaissent

dans les entrevues. Ces indices portent sur des aspects ayant rapport au

comportement, à l'éducation et enfin aux relations avec le christianisme.

L'obéissance et la soumission sont des comportements qu'inculque l'initiation

lobi. Elles impliquent le respect scrupuleux de ce que disent les chefs et

procurent des avantages. E001FL relève : « Ce que les chefs disent, il faut s'y

soumettre. Ceux qui désobéissent en subissent les conséquences et en

meurent. Sois obéissant à ce qui est dit, et tu auras la vie sauve. » (§23) Non

seulement elles aident à la formation d'une personnalité disciplinée, mais

aussi elles sont une source de salut ; car toute désobéissance ou

insoumission met la vie en péril. En outre, elles consistent à prêter la plus

grande attention possible aux différents interdits qui sont donnés (E009HL,

§27). Outrepasser un interdit c'est s'exposer à des amendes ou même risquer

sa vie. Ainsi, les chrétiens pensent que cultiver un tel comportement est

positif. C'est pourquoi ils voient dans lejoro un lieu éducatif. E010HL soutient

que l'effort que fournissent les gens pour le pèlerinage a pour but d'offrir à

leurs enfants la possibilité d'une éducation à l'image des Lobi (§29).

Une dernière chose qui ressort des aspects constructifs concerne les

éléments en rapport avec le christianisme. Ce point sera largement abordé

dans la partie où il sera question des similitudes. Il saute néanmoins aux

yeux que les chrétiens protestants trouvent peu d'éléments constructifs dans

le joro. D'où leur vient une telle attitude ? Est-ce une résultante de

l'enseignement reçu dans l'Église ou une conséquence de leur conversion au

Christ ? Avant d'aborder ces questions, nous allons d'abord faire le tour des

autres aspects des discours.

261

Page 264: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

1.2. Aspects conflictuels

La référence aux aspects conflictuels vient confirmer l'attitude

foncièrement négative à l'égard du joro. Un rapport conflictuel latent ou ouvert

caractérise les relations du christianisme à l'initiation lobi. E009HL raconte :

Un jour de marché, nous étions à Nako avec Hans pour évangéliser.Un homme du nom de Sopunté et d'autres avec lui sont venus versnous et ont tourné la chose428 sur nous ; tout le monde au marché acommencé à fuir. Tu sais, comme Hans est un blanc, il a eu peur etil voulait que nous déguerpissions, mais nous lui avons dit qu'il nevalait pas le coup de fuir. Il s'apprêtait à chercher le véhicule pourque nous fuyions, mais nous lui avions dit de rester tranquille.Avant d'aller évangéliser au marché, nous avions informé le chefcoutumier qui nous a dits que lui aussi avait sa parole de Dieu etqu'il ne nous autorisait pas à parler de notre Dieu au marché. Alors,nous sommes allés voir le Préfet qui nous a autorisés d'évangéliserau marché. C'est pourquoi quand nous avions commencé à parler etque les gens venaient pour nous écouter, ils sont venus agiter cettechose pour qu'ils se dispersent. Ils faisaient cela pour empêcher lesgens d'écouter notre parole de Dieu, mais cela ne nous a pasempêchés de continuer de parler. Voyant notre détermination, undes hommes est venu nous dire ceci : « que chacun de nous se mêlede ses propres affaires et ne cherchons pas à nous mettre les bâtonsdans les roues. » Alors nous avons répliqué : « en quoi vousdérangeons-nous ? Nous sommes en train d'annoncer notre parolede Dieu et toi tu veux offrir tes sacrifices, en quoi te dérangeons-nous ? Nous ne pouvons pas te déranger, nous sommes ici pourparler de notre Dieu. » Comme il n'a pas réussi à nous faire changerd'idée, il n'a plus rien dit. Si nous n'avions pas demandél'autorisation au Préfet, les villageois n'allaient pas nous accepter,nous risquions de nous battre ce jour, mais comme nous avionsaverti le Préfet, ils n'ont pas pu dire quoi que ce soit. Le blanc avaitpeur, mais nous lui avons dit de ne rien craindre, car nous savonsde quoi il s'agit ; ce jour nous avons tout fait pour apporter la parolede Dieu. Si c'était aujourd'hui nous n'oserions pas beaucoup parler,mais à l'époque nous étions encore vigoureux et s'ils continuaientnous allions nous affronter. Comme ils n'étaient pas d'accords avecnous, nous leur avions dit que s'ils veulent que nous nous portionsla main, nous étions prêts, même s'il faut y laisser la vie. Nousn'avions pas manqué de leur dire que s'ils insistaient, nous allionsnous battre et comme ils voyaient notre détermination ils ontrenoncé. Nous étions jeunes à l'époque, pleins de vigueur et résolusde persévérer dans la foi en Dieu. (§11)

428 La chose fait référence au rhombe sacré.

262

Page 265: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Plus loin il commente les raisons de ce conflit.

Quand ils voient nos enfants qui ne connaissent pas le joro, cela lesdérange, car si les enfants vont au joro, cela les profitera puisqu'onleur donnera de la viande et de l'argent. Comme nous, nous y étionsdéjà, que nous avons vu les aspects négatifs, et que nous n'allonspas autoriser nos enfants à s'y rendre, cela entraîne desprovocations de leur part. Aussi, quand ils nous voient avec lesautorités, ils pensent que nous allons divulguer le secret du joro,c'est pourquoi ils nous détestent. Comme nous connaissons le joroet que nous n'entrons plus dans leur milieu, ils nous accusent dedévoiler les secrets du joro aux jàkuma. C'est ce qui entraîne leurhaine envers nous. Ils disent que nous sommes en train de leurbriser la tête429. Ils ne veulent pas que nous en parlions, mais sinous ne le faisons pas, c'est comme si le joro nous fait toujourspeur. (§25)

Si, dans cette situation, les maîtres d'initiation ont provoqué les

chrétiens, un cas a été signalé, où ce sont plutôt des chrétiens qui ont été à la

base de la provocation. Dans le village de Bouroum-Bouroum, pendant que

les chrétiens étaient en conférence, un groupe s'était détaché pour aller dans

le bois sacré afin de prier contre ce qu'ils appellent l'esprit du joro. Ces

derniers ont été interpellés et réprimandés par l'organe dirigeant de l'Église. Si

ces derniers avaient pris la liberté de prier contre l'initiation, c'est parce que

pour eux, elle constituait un frein à la propagation de l'Évangile. C'est ce qui

ressort des paroles de E006FB : «[...] lorsque nous évangélisons et que

certaines personnes disent qu'elles sont des anciens (des grands), qu'elles ont

de grandes choses qui les empêchent de devenir chrétien, ce n'est autre chose

que le joro. » (§27)

Même si nous déplorons la maladresse de ces chrétiens, nous

comprenons l'esprit dans lequel ils ont posé leur action. Pour eux, afin de

venir à bout de ce qui empêche les Lobi de se donner tout entier au Christ, il

fallait combattre. Où et comment mener ce combat ? Il fallait se rendre sur le

terrain de l'ennemi avec des armes spirituelles, car le combat est lui-même

spirituel. L'enjeu était de déloger les esprits du joro pour ramener au Christ

cet espace consacré à Satan. 50% des répondants en effet, tiennent pour

429 Briser la tête = chercher le malheur de quelqu'un.

263

Page 266: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

acquis que \Q joro constitue une œuvre de Satan (E001FL, §3 ; E005FL, §18 ;

E008HL, §6 ; E009HL, §9, 10 ; E010HL, §2). La raison est bien simple. Du fait

qu'avant de se rendre au village de l'initiation, des sacrifices sont offerts, il ne

fait aucun doute pour eux que c'est à Satan, ou alors à ses représentants, que

cela est dédié. N'eut été cet aspect sacrificiel, il aurait été difficile de faire le

lien entre le joro et le kôtee-buu (démon). À cause de ce lien, les chrétiens

protestants ont rejeté l'initiation traditionnelle, et exigent de leurs enfants

d'en faire autant.

Pourquoi une telle attitude à l'endroit d'un phénomène social si

important ? Nous voyons trois raisons à cela, une théologique, une

socioculturelle et une tactique. Théologiquement, l'attitude des chrétiens

protestants prend ses racines entre autres dans la compréhension du terme

« conversion ». Comprise comme un retour au vrai Dieu, la conversion

implique un changement radical d'attitude et de mentalité envers l'ancienne

voie. À écouter les chants chrétiens dans les Églises protestantes lobi, on se

rendra compte que, pour le Lobi devenu chrétien, l'ancienne voie est celle de

Satan. Le chant qui suit exprime la pensée de la plupart des chrétiens lobi.

Refrain :

Je fais appel à Jésus pour qu'il me sauve.

À cause du harcèlement occulte dont je suis victime,

Je supplie Jésus de m'en délivrer.

À cause du démon qui me tourmente,

Je supplie Jésus de m'en délivrer.

J'ai suivi la voie du démon et il m'a délaissé.

Il m'a laissé toute seule, et sur ma couche,

Pendant la nuit, j'ai pensé à une autre voie.

Le démon m'a laissée toute seule et sur ma couche,

Pendant la nuit, j'ai opté pour une autre voie.

Père-Dieu a dit qu'il ne va pas abandonner sa créature.

C'est moi-même qui l'ai abandonné pour suivre le démon.

Alors, le démon s'est emparé de moi pour me faire souffrir.

264

Page 267: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Je l'ai personnellement abandonné pour suivre le démon.

Alors, le démon s'est emparé de moi pour me faire

souffrir430.

L'auteure oppose dans ce chant, la voie du démon à celle du Père-Dieu.

La première est celle de la souffrance et de la solitude, alors que la deuxième

est celle qui ramène à Dieu, celle de la délivrance. Cette délivrance implique

un changement radical par rapport à l'ancienne voie. Ainsi, la conversion pour

le chrétien et la chrétienne lobi, signifie un abandon de tout ce qui aurait une

connexion avec le démon ou l'ancienne voie. Il ou elle tient à marquer une

nette séparation entre l'ancienne et la nouvelle voie. Cette volonté ne lui

tombe pas du ciel. Quoi qu'on dise, la tendance du chrétien lobi à tracer une

ligne de démarcation entre l'ancien et le nouveau est un acquis culturel dont

le pro est en partie responsable. En effet, de retour du village du joro, l'initié

ne doit plus se préoccuper des anciennes choses. Le faire serait enfreindre un

interdit. Or, tous savent ce qu'il en coûte d'être fautif des interdits du joro.

Cette tendance suit le Lobi partout, car dans ce contexte, nul ne peut se

départir à bon compte de son patrimoine culturel. Sans peut-être le savoir, le

chrétien lobi se sert des référentiels culturels pour comprendre l'enseignement

chrétien et vivre son christianisme.

En outre, sa décision de changer de voie est tactique. L'auteure du

chant ci-dessus raconte en fait ce qui l'a poussée à se convertir. Le contexte

est une situation de crise où elle s'est sentie abandonnée, sans soutien. Dans

un autre chant elle dit ceci : « J'ai une famille maintenant, que Jésus en soit

loué. » Elle traduit la situation de beaucoup de chrétiens protestants lobi qui

se tournent vers le christianisme. Une situation de désespoir ou de déception

pousse plusieurs à accepter l'Évangile de Jésus Christ. Bien qu'ils risquent

l'incompréhension des proches, ceux qui se donnent au Christ l'ont fait parce

qu'ils sont convaincus qu'ils trouveront quelque chose de mieux. Même dans

ce cas, la culture est pour quelque chose. La tradition est marquée par des

dispositifs propices à la volonté de faire appel à tout esprit protecteur. En

430 Yuorinsaun KAMBOU, « Je fais appel à Jésus », Nous avons traduit la version originaleorale qui est en birifor.

265

Page 268: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

effet, chez les Lobi, il y a plusieurs esprits protecteurs, et chacun peut se

confier à l'esprit qu'il estime approprié et capable de lui venir en aide dans sa

situation particulière. Il faut cependant se garder de faire appel à deux esprits

incompatibles en même temps.

Même si le joro ne peut être assimilé à ces situations de crise, il est clair

que son rejet par les chrétiens tient beaucoup plus aux risques qu'il

comporte. 70 % des intervenants soulignent les dangers encourus pendant

l'initiation. Les risques d'enlèvement (E001FL, §12 ; E002FL, §12 ; E004HB,

§7 ; E007FB, §14 ; E010FL, §41), les circonstances éprouvantes (E001FL, §7,

9, 18 ; E002FL, §19 ; E005FL, §34), et le fait qu'on est facilement mis à mort

(E001FL, §8 ; E003HL, §12 ; E005FL, §6 ; E009HL, §8) caractérisent, non

seulement la période de la grande marche, mais aussi celle des différents

rituels. En choisissant de devenir chrétien, le Lobi initié ne fuit pas ces

risques, puisqu'il les a déjà surmontés ; mais il traduit sa liberté de choix

religieux et son ouverture aux changements, pourvu qu'il soit convaincu des

bénéfices qu'il pourrait en retirer. En changeant de voie, il se soustrait

désormais des interdits du joro et devient « libre de sa liberté » ; car subir les

épreuves du joro avec succès c'est acquérir sa liberté.

1.3. Similitudes

Si les chrétiens protestants sont très peu enthousiastes du joro, nos

répondants sont à 90 % d'accord qu'il existe des ressemblances entre la « voie

des ancêtres » et la « voie de Dieu » comme ils le disent. Les entrevues font

référence aux sacrements, à la catéchèse, à l'éthique et au caractère ecclésial.

Les sacrements touchent le baptême et la dation de nouveau nom. E003HL

résume cela en ces termes :

II y a des éléments qui étonnent, surtout si tu es chrétien et que tucompares ce qui se passe au joro avec ce qui se vit dans la marchechrétienne. Il y a deux choses pour lesquelles je me demandecomment cela a pu arriver. Il y a le baptême, je ne sais pas ce qui aamené les ancêtres à voir la nécessité d'un baptême. L'autre choseest le changement de nom qui atteste de la nouvelle naissance. Je

266

Page 269: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

ne sais pas comment ils ont réussi à savoir qu'il y avait une nouvellenaissance, puisqu'ils interdisent de parler des anciennes choses.Ainsi, l'ancien nom ne doit plus être prononcé, les objets laissésavant d'aller au joro ne doivent plus préoccuper l'initié. Quand ilsvont au village du joro, ils tiennent pour acquis qu'ils vont à larencontre de ce qui est d'une très grande importance, ce qui estparfait et exige de leur part, une préparation très sérieuse. Ainsi,celui qui a des différends avec quelqu'un, doit se réconcilier, toutréparer avant de s'engager dans le pèlerinage. (§20)

Aspersion et baignade sont liées dans le rite du bain. Les néophytes

sont d'abord aspergés par les anciens initiés et se lavent eux-mêmes par la

suite. L'action n'est pas unilatérale comme dans le christianisme où tout est

fait par l'officiant. Officiants et néophytes au joro travaillent ensemble pour

que l'initié suive les traces aquatiques des ancêtres. Aucun de nos répondants

n'a fait mention de formules pendant le bain. Toutefois, d'après Joseph-

Antoine Kambou, pendant ce rite, un prêtre local implore le fleuve d'accepter

ceux qui sont en train de se baigner en son sein431. Ce bain au fleuve marque

un nouveau départ, c'est pourquoi il faut un nouveau nom à l'initié. Ce

dernier renonce non seulement à son ancien nom, mais aussi à tout objet qui

lui appartenait avant l'initiation. Une nouvelle vie commence et l'initié doit

tout réapprendre, d'où la nécessité d'être enseigné afin de connaître les règles

qui s'attachent à ce nouvel état.

Comme dans le christianisme, un temps d'éducation est réservé aux

initiés. Bien que tout au long du parcours initiatique des instructions soient

données, il existe un temps spécialement réservé pour la transmission des

savoirs. Généralement, cela se passe lors de la retraite. E003HL souligne

qu'au village du joro, il n'y a pas d'enseignements à proprement parler, mais

qu'au bois sacré, les moniteurs dispensent des enseignements (§24, cf.

E006FB, §36). E002FL compare la manière dont ces enseignements sont

donnés à l'approche chrétienne qu'elle connaît. Pour elle, « la façon dont on

insiste sur les commandements de Dieu, c'est ainsi qu'on insiste sur les

431 Joseph-Antoine KAMBOU, « Histoire d'un rite de passage. Le Joro lobi » dans Imagesd'Afrique et sciences sociales. Les pays lobi, birifor et dagara. Paris, Karthala/ORSTOM,1993, p. 366.

267

Page 270: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

commandements du joro. » (§31 ; cf. E003HL, §22 ; E006FB, §36)

L'enseignement est plutôt légaliste et vise surtout la manière de se comporter.

C'est pourquoi l'essentiel porte sur les règles de pureté sexuelle et la

transparence. Pour ces anciens initiés, l'éthique sexuelle se retrouve aussi

bien dans l'initiation lobi que dans les enseignements chrétiens. E005FL fait

le commentaire suivant :

Quand tu connais Dieu, tu ne dois plus courtiser les femmes à toutde bout de chemin. Si tu veux faire la volonté de Dieu, tu ne doispas succomber à la convoitise sexuelle ; il en est de même au villagedu joro. Quand on est là-bas, l'homme ne doit pas convoiter unefemme et la femme ne doit pas convoiter un homme. C'est un péché.Comme cette loi se retrouve dans le christianisme et dans le joro,elle peut constituer un élément de comparaison. (§24, cf. E008HL,§26 ; E010HL,§37)

Outre les aspects liés aux sacrements, à l'enseignement et à l'éthique,

les répondants ont relevé la dimension communautaire. Chez les chrétiens

protestants, des conférences annuelles sont régulièrement organisées à

l'approche de la fête de Pâque, et rassemblent les chrétiens lobi venant de

divers horizons. Les non-chrétiens assimilent ces grandes rencontres au joro.

E008HL en témoigne.

Quand nous allons à nos conférences annuelles, ils disent que notrejoro est aussi arrivé, que nous nous rejoignons ; car comme eux,nous apportons de quoi nous nourrir et des couchettes. Chez eux,ces couchettes sont destinées aux grands, les enfants se couchent àmême le sol ; c'est à leur retour qu'on leur donne des nattes au boissacré. Quand ils nous voient allant à la conférence, ils disent que letemps du joro des adorateurs432 de Dieu est venu. Ils ont fait unecomparaison avec ce qu'ils font. Une fois de retour de la conférence,ils m'ont abordé et ont voulu me faire comprendre que nosconférences étaient notre joro. Alors j'ai répliqué en leur disant ceci :oui, nous étions à notre joro, seulement, nous, nous avions invité lecommandant, les chefs de services, les encadreurs (agents del'agriculture) et aucune personne n'est décédée là-bas. Si vous, vousallez à votre joro, il ne faudrait pas que quelqu'un y meure ; ils sesont dispersés sur le champ en disant que j'étais en train de briserleur tête, de les tuer. (§18 ; cf. E009HL, §19)

432 Littéralement, ceux qui saluent de Dieu.

268

Page 271: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

E010HL renchérit en ces termes : « L'aspect de regroupement est un

élément important, car on remarque que les gens viennent de partout, de loin

comme de près pour se rassembler. Dans le joro des gens quittent Bouna en

Côte d'Ivoire, pour se joindre à ceux d'ici afin de former le cortège pour le

pèlerinage. Il en est de même des conférences chrétiennes, les chrétiens

viennent de partout pour se rassembler. » (§29) L'atmosphère des

rassemblements avait en effet quelque chose de spécial. Après chaque

homélie, des personnes s'avançaient pour des confessions et demander la

prière. Cette attitude ne serait-elle pas des réminiscences de la grande

initiation ?

1. 4. Évaluation

La perception des chrétiens protestants du joro est fondamentalement

négative. Les conflits entre d'anciens initiés convertis au christianisme et les

maîtres d'initiation témoignent d'un désintérêt total des premiers pour la

grande initiation lobi. L'enseignement chrétien leur a fait comprendre,

directement ou indirectement, que cette institution sociale est une œuvre du

diable. Comment pouvait-il en être autrement ? Certaines pratiques du joro

laissent en effet voir ses liens occultes. Or l'enseignement biblique s'élève

contre tout occultisme. Les sacrifices et les expériences paranormales sont

autant d'éléments qui repoussent les chrétiens lobi. Mis à part ces aspects

spirituels, certaines pratiques pendant l'initiation sont rétrogrades du point

de vue de l'homme du XXIème siècle. Faire boire de l'eau fangeuse, enlever des

enfants, laisser mourir des personnes sans leur prodiguer les soins

nécessaires constituent la « main tremblante » du joro.

Même si le chrétien protestant lobi est respectueux de sa culture, nos

entretiens nous ont montré qu'il fuit tout ce qui a trait à la grande initiation.

Cependant, pour qui observe bien, il saute aux yeux que ce dernier vit sa

chrétienté en puisant, - du moins, pour celui qui est passé par l'initiation -,

ses outils d'interprétation de la vie spirituelle dans le fond traditionnel

émanant du joro. Le caractère légaliste des prédications en témoigne. En

milieu protestant, on parle souvent de jofu (littéralement loi ou

269

Page 272: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

commandement). La plupart des messages bibliques est souvent axée sur

l'éthique, sur ce qu'il convient de faire ou ne pas faire. Cette approche est plus

concrète que l'explication des doctrines. Cela ne veut pas dire qu'il est inutile

ou impossible de dispenser des enseignements sur les vérités fondamentales

de la Bible ou sur les données dogmatiques historiques. Il faut que la doctrine

biblique soit exposée le plus clairement possible, mais quelle doctrine ?

Quand on sait que les élaborations dogmatiques sont situées dans des

contextes précis pour répondre à des questions précises, il va de soi que le

Lobi souhaiterait que les questions de son vécu quotidien soient prises en

compte dans l'effort de transmission de la doctrine. Le symbolisme du joro

peut être d'une grande utilité, et contribuer à une telle tâche.

2. Le symbolisme du joro

L'étude du joro fait apparaître quatre composantes importantes qui

interagissent dans la construction de la vie des Lobi. Ces composantes

proviennent du monde humain, animal, végétal et aquatique/terrestre. Pour

saisir leur importance et les rapports qu'elles entretiennent pour l'éducation

traditionnelle lobi, nous allons nous servir de trois clefs de lecture prenant en

considération l'élément symbolique, ce à quoi il fait référence et la réalité dont

il représente une trace. Nous suivrons un mouvement qui part du concret au

moins concret.

Tableau VIII-2 : Structure symbolique du joro

Réalité• •• • ••

Maison dupatriclan

Ancêtre

Humaine

Bœuf

Animal

Faunique

Feuilles

Plante

Floristique

Eau sacrée

Fleuve/Terre

Aquatique /Terrestre

CULTURE- NATURE - ESPRIT

270

Page 273: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

2 . 1 . Symbolique liée à la maison

L'éducation lobi place l'humain et son environnement au centre de son

projet. Celui-ci est symboliquement représenté par le cokôtin (grande maison

du patriclan) devant laquelle ont lieu les rassemblements pour les rituels

d'intégration des membres du patriclan. Cécile de Rouville résume ici le

processus mis en œuvre.

D'abord membre d'une unité agnatique minimale (thi kuon), l'enfantest intégré dans le sous-patriclan (kuon leri) paternel par un riteexécuté quelques jours après sa naissance. Il n'est alors qu'unmembre potentiel du patriclan (kuon) de son père, dans lequel il seraincorporé complètement à son adolescence, après avoir subi les ritesinitiatiques du gyoro*33.

La maison en général est non seulement l'abri du corps physique, mais

aussi celui de l'esprit, c'est pourquoi il est presque obligatoire pour toute

personne de retour d'un voyage ou d'une promenade de rentrer

immédiatement dans la chambre ou au salon pour que son esprit retrouve sa

Photo VIII 1 : Maison lobi

Source : Cliché de Giovana Antongini et Tito Spini, in Fiéloux et. al. 1993 p. 143

place. Elle est le lieu de la parenté horizontale et verticale où tous ceux qui y

naissent sont sous la protection d'un esprit. Dès lors, la place centrale du cuor

433 Cécile de ROUVILLE, op. cit. p. 173-174.

271

Page 274: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

(maison) et du cokôtin (grande maison) dans les séquences du joro symbolise,

non seulement une parenté locale ou régionale, mais aussi une parenté

nationale voire cosmique.

Cette parenté dépasse le visible pour pénétrer l'invisible, elle dépasse le

présent et comprend le passé et le futur. Signe spatio-temporel, la parenté

symbolisée par le cuor est le lieu où les ancêtres, de leur regard veillent sur la

descendance. Dans le cadre du joro, la. grande maison représente

symboliquement la société lobi dont elle tente de préserver les valeurs et la

cohésion. Elle accomplit cette mission à travers la perpétuation des rites de

purification et le rappel de la route qu'ont suivie les ancêtres. Par dessus tout,

le cokôtin est le lieu où lejûkuma apprend à devenir un jorbi, (l'enfant du joro).

Il se présente comme un espace d'actualisation du sujet, de dynamique pour

une identité communautaire en terme de socialisation dans une conception

holiste. Car il s'agit ici d'intégrer et d'assumer les valeurs et les normes

ancestrales respectueuses des êtres célestes, terrestres et aquatiques. La

formation en initiation commence par une connaissance de ses racines, de

son milieu de vie, non pas pour transformer ce milieu sauvagement, mais

pour s'y conformer et inscrire sagement les particularités propres à le

construire harmonieusement.

Une telle approche s'enracine dans les valeurs du passé pour mieux

comprendre le présent. Certes, le risque de se réfugier dans le passé est un

réel danger dans le joro, et cela peut être préjudiciable au progrès. Toute

ouverture au changement est difficile, mais non impossible. Il y a eu déjà une

scission dans le joro et rien n'empêche de rêver à une version du joro qui

saura mieux relever les défis de la modernité. Les initiés lobi devenus

chrétiens ne pourraient-ils pas contribuer à transformer la vision passéiste

fermée du. joro pour une vision beaucoup plus large ?

2. 2. Symbolique liée à l'espèce animal

La socialisation se fait aussi dans un certain climat en communion avec

l'espèce animale. Le rhombe sacré qui émet du bruit comme celui d'un fauve

272

Page 275: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

symbolise la terreur, la force brutale, et entretient un climat d'angoisse et de

violence dans la formation du jorbi. Labouret explique cette terreur en faisant

référence à la Bête434 dont il est souvent question à l'initiation. Joseph-

Antoine Kambou s'y réfère en la désignant par le pronom « II »435. Cécile de

Rouville parle de la « Chose »436. Nos répondants parlent de « bruit » (E004HB,

§8 ; E005FL, §3 ; E006FB, §2 ; E007FB, §12 ; E009HL, §10). E006FB et

E007FB comparent ce bruit à celui d'une hyène. Comment pouvait-il en être

autrement, car la naissance, autant que la mort en milieu lobi ne se vivent

que dans un climat d'angoisse. Or dans le joro, il ne s'agit pas d'une simple

naissance, mais d'une re-naissance qui passe par l'acceptation de mourir. Si

cette mort est généralement symbolique, il arrive qu'elle devienne réalité ; c'est

pourquoi le néophyte est sommé de se revêtir d'un esprit d'anéantissement, de

jouer le tout pour le tout. Comme dans le contexte lobi, la naissance peut

donner un être vivant ou un être mort-né. Ainsi en est-il de la renaissance au

joro. Le néophyte peut y laisser sa peau ou la sauver. Cela explique en partie

la raison pour laquelle le processus initiatique lobi se passe dans un climat de

violence et surtout d'angoisse. Toutefois, la référence à l'animal n'est pas que

représentation effrayante propre à éloigner, car l'animal, autant qu'il est un

être sauvage, est aussi un être de proximité.

Les sacrifices de volailles et autres bêtes, montrent combien le sort du

Lobi est lié à celui de l'animal. Peuple éleveur, les Lobi vivent avec les poules

dans la même maison où des places leur sont spécialement réservées. Il en est

de même des bœufs qui sont souvent utilisés pour les sacrifices de grande

envergure. Ces animaux qui servent aussi à payer les amendes constituent un

élément des facteurs d'échanges dans la société. Les bœufs servent à payer la

dot des femmes qui sont des opératrices économiques de taille dans la société

lobi. Conquises au moyen des bœufs, les femmes produisent et font rentrer de

l'argent qui sert à acheter les bœufs. Dans la tradition, si vous n'aviez pas eu

à payer la dot de votre femme, vous n'avez aucun droit de réclamer la dot de

« 4 Henr i LABOURET, op. cit. p . 4 2 5 - 4 2 6 .435 J o s e p h - A n t o i n e KAMBOU, « a r t . cit. » d a n s Michèle FIÉLOUX, et. al. [dir.], op. cit., p .362, 366.436 Cécile de ROUVILLE, op. cit. p . l 9 0 .

273

Page 276: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

sa fille pour vous. Par contre si quelqu'un avait payé trois bœufs pour sa

femme, il a le droit de demander au-delà de trois bœufs pour la dot de sa fille.

Père a vu juste quand elle place le bœuf dans le circuit de l'économie de

reproduction437.

Mis à part cette fonction économique du bœuf, sa relation avec les

enfants démontre la symbiose entre l'humain et l'animal dans l'univers lobi.

Les troupeaux de bœufs sont généralement conduits par des enfants qui les

mènent dans la brousse et restent avec eux toute la journée. Ils veillent à ce

que ces animaux paissent bien et en retour ils partagent avec les veaux le lait

des vaches qui ont mis bas. Ces enfants qui sont appelés nakena (bergers)

remplacent symboliquement les bœufs pendant le joro, étant donné que leurs

accompagnateurs, les initiés de la dernière promotion sont appelés nakena.

Les candidats à l'initiation seraient ainsi assimilés aux bœufs438, et comme le

bâton du petit berger lui permet de conduire le troupeau, de même, les

cravaches des nakena contribuent à maintenir l'ordre et le respect parmi ces

bouviers dans la peau des bœufs, que les rites du joro aideront à s'en

débarrasser.

Photo VIII-2 : Enfants trayant une vache

Source : Cliché de Bozi Somé 1964 dans Fiéloux, (1993) p.262

437 Madeleine PÈRE, op. cit. p. 194-195.«s Ibid. p. 240.

274

Page 277: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

2. 3. Symbolique liée à la terre et aux eaux

Ce dépouillement médiatisé par le thii (la terre) introduit le rôle de la

terre dans la formation dnjorbi. Dans les rites du joro, les initiés sont souvent

marqués ou badigeonnés de boue. En général, la terre est considérée comme

l'épouse de Thâgba (Dieu) qui par la pluie, sa semence, féconde cette épouse

de laquelle émanent les produits agricoles qui sont nécessaires à la survie des

hommes. Toute offense à la terre est une offense à Thâgba, et c'est de la bonne

relation avec celle-ci, que dépendent l'abondance des moissons et la fécondité

générale du groupe local439. C'est pourquoi, comme le relève Père, il ne faut

jamais verser du sang humain sur la terre de façon injuste ni commettre l'acte

sexuel à même le sol ou en brousse440.

Avant de passer à la cérémonie de consécration, les candidats sont

appelés à se coucher à même le sol comme pour faire mémoire du sein

maternel d'où ils sont sortis. Couchés à plat ventre sur la terre autour du trou

contenant la boisson sacrée, les jâkuma boivent le liquide de vie appelé ils

(lait), qui les introduit désormais dans le monde des jorbi. C'est également

dans cette position qu'ils sont dépouillés de toutes leurs parures pour qu'ils

soient complètement nus, état qui rappelle leur première naissance et marque

la nouvelle. Cette nouvelle naissance traduit l'union à la terre nourricière,

instant pendant lequel la mère utérine s'efface devant la Mère nourricière et le

patriclan. Tout se passe comme si l'on voulait faire passer le jâkuma dans une

autre dimension d'existence. Ainsi, après le dépouillement qui symbolise la

rupture avec le passé, le jorbi se relève pour entrer dans une nouvelle vie.

L'une des cérémonies qui consacre cette naissance à nouveau est celle de la

dation du nouveau prénom. Pendant ce rite, l'initié fait un trou à l'aide d'un

caillou, y crache un cauri de sa bouche, y dépose ses cheveux, et les recouvre.

Désormais, nul ne doit l'appeler par son ancien prénom sous peine d'amende.

Dans le joro, le contact avec la terre est un élément qui permet de se

rapprocher de la nature, en d'autres termes, des vraies origines. Les

«9 Cécile de ROUVILLE, op. cit., p 111-112.44°Madeleine PERE, op. cit., p. 390.

275

Page 278: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

cérémonies faites dans le fleuve entrent dans cette même optique. Père se

demande même si le culte des fleuves ne prolonge pas celui de la terre441. En

effet, le fleuve qui est appelé Miir est lié historiquement à la traversée des

ancêtres pendant leur migration du Ghana à la Haute Volta, actuel Burkina

Faso. Il représente l'espèce aquatique qui symbolise la semence divine qui

féconde la terre. Ainsi, symbolise t-il la présence de Thâgba (Dieu) et rappelle

t-il celle des ancêtres. Les aspersions et les baignades dans le fleuve sont

autant d'actes rituels qui traduisent le désir de communion avec les ancêtres

et Thâgba. C'est l'espace de transition entre l'au-delà et l'en deçà, entre

l'origine et la destination, le d'où vient-on et le où va-t-on. Il faut relever

cependant que pour le Lobi, origine et destination se fusionnent, car tout tend

vers l'origine, ultime destination de l'homme. Entre le départ et l'arrivée se

situe le temps de pèlerinage ici-bas, dans lequel on s'engage par la traversée

des eaux. Les Lobi n'ont pu occuper leur espace actuel qu'en traversant les

eaux, et ils le quittent aussi par le même mouvement. Ils croient qu'après la

mort, il faut nécessairement traverser le fleuve pour aller au village des morts.

C'est pourquoi, lorsqu'il ne pleut pas, le Lobi conclut qu'il y a des gens qui

n'ont pas pu traverser, et qu'il est urgent d'offrir des sacrifices pour les aider.

Car on ne peut rejoindre le village des ancêtres qu'en traversant le fleuve.

Un autre élément important lié aux eaux est le cauri. Ce coquillage qui

sert de monnaie, sert également de parure au jorbu Ceci connote une fois de

plus le désir du joro de mettre l'initié en contact avec les éléments de la nature

pour l'harmonie des hommes et de leur environnement physique et spirituel.

Ce contact recherché avec la nature s'exprime également dans le port des

feuilles pendant l'initiation. Culturellement, les feuilles font partie des

accoutrements pour se vêtir. Éléments de pudeur et de dissimulation, les

feuilles servent surtout à couvrir la nudité de la femme. Elles occupent

également une place de choix dans l'alimentation et les soins corporels, et ont

une fonction médicinale. Dans l'initiation du joro, elles rappellent les

habitudes vestimentaires des ancêtres, mais également leur rapport à la flore.

441 Madeleine PÈRE, op. cit., p. 208-209.

276

Page 279: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

2. 4. Symbolique de la mort-renaissance

Tous ces rapports du Lobi avec l'Homme, l'Eau, la Terre, le Végétal et

l'Animal s'incrustent dans la vision d'un monde global dont le poumon est le

Spirituel, principe qui maintient et anime toute vie. C'est à cause et par le

Spirituel que les interactions et la cohésion sont possibles, et qu'on peut

comprendre le passage du concret au moins concret. Sans cela il serait

difficile de faire le lien entre les vivants et les morts-vivants, puisque pour bon

nombre d'Africains, ceux qui sont morts ne le sont pas442. Ils vivent

autrement, sans qu'il ne soit nécessairement question de réincarnation. Ils

peuvent se manifester à travers les éléments de la nature et un nouveau-né

peut porter quelques traits d'un parent décédé.

Pour le Lobi il y a une symbiose entre lui et son environnement, car il

existe une âme (force qui anime la vie) en toute chose. Pour illustrer ceia,

nous rapportons ici un fait que nous avions vécu auprès d'un frère. Celui-ci a

fait la deuxième guerre, et a connu la vie en Occident. Un jour, nous l'avions

visité, et pendant que nous nous entretenions sous un arbre près de la

maison, voici qu'un tourbillon se dirige droit vers nous. Le grand frère arrête

notre causerie et se met à s'adresser au tourbillon en ces termes : « notre père

t'a vu, retournes d'où tu es sorti. » À notre grand étonnement, le tourbillon

changea de direction. Alors il me dit : « Se (c'est notre prénom Sié), je sais que

toi tu n'es pas dans notre travail443, mais quand je ferai le sacrifice au père, je

lui dirai de t'accompagner là où tu iras et de t'aider dans ton travail. » En tant

que chrétien évangélique nous étions gêné et il n'était pas facile pour nous de

faire comprendre au grand frère que ce sacrifice n'avait pas de sens pour

nous. Pour être poli, nous l'avons rassuré que Dieu saura nous garder. Cet

incident permet de saisir combien cette vision du monde est intimement liée à

l'anima (âme), composante nécessaire pour les échanges entre tout ce qui

existe dans l'univers lobi.

442 Birago DIOP, « Souffle », dans Leurres et lueurs, 3é édition, Paris, Présence africaine,1981,87 pp.443 II voulait parler des actions liées aux sacrifices à offrir aux mânes des ancêtres.

277

Page 280: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

C'est le monde spirituel qui anime et la nature et la culture. Il est à la

source de ce qui permet d'appréhender la nature pour qu'émerge la culture, et

pour que de la culture on rejoigne la nature pour enfin atteindre le monde de

l'Esprit en tant que trace de la réalité vécue dans l'expérience humaine. Dès

lors, Esprit, Nature et Culture interagissent pour la destinée humaine. Ces

interactions ne peuvent être saisies que par le processus initiatique dont le

joro se veut garant. Ce processus s'insère dans un mouvement de naissance et

renaissance, les deux étant liées par un état transitoire qu'est la mort.

Illustration VIII-1 : Mouvement chiasmique de filialité jars

NAISSANCE RENAISSANCE

MORT

La naissance est intrinsèquement liée à la femme, elle constitue le

commencement de toute vie, et c'est grâce à la femme que ce soubassement

est possible. Serait-ce pour cette raison que, dans la tradition, le Lobi donne

la primauté au lignage de la femme ? Pour cette société matriarcale, la femme

fut la première à être créée ; elle s'appelait Yéri444. Elle était intelligente et

grande (digne d'honneur). À elle, Thâgba indiqua les noms de toutes choses et

lui enseigna la langue lobi (le lobiri). Elle, à son tour, apprit à l'homme à

parler. Celui-ci s'appelait Sié et n'était pas aussi intelligent que Yéri445. En

revanche, les mythes lobi sur les rapports de Thâgba et de l'homme, montrent

444 Yéri es t le n o m q u e reçoit toute fille aînée d 'une femme chez les Lobi.445 Nous a v o n s a d o p t é la vers ion q u e rela te Cécile de ROUVILLE, op. cit., p . 140.

278

Page 281: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

que là aussi la femme tient la tête, car elle est rendue responsable de la

rupture de communion entre Thâgba et le Lobi et cela, pour une question de

nourriture446. L'un des mythes raconte qu'il était très facile d'obtenir la

nourriture de chaque jour ; mais à cela était lié un interdit qu'il fallait

observer scrupuleusement. Un jour, une femme qui venait d'accoucher et

ayant très faim n'avait pas pu observer l'interdit, ce qui fut alors fatal pour

l'humanité.

Il serait certainement hasardeux de conclure que cette mésaventure a

permis à l'homme de retirer la primauté à la femme. Car le mouvement

chiasmique dans l'initiation du joro suggère une vision plus globale. Par les

rites du joro, le Lobi meurt pour renaître, et cette fois, ce n'est plus la femme

qui est la vedette, mais l'homme. Partant du produit du sein maternel,

l'homme le modèle, lui fait subir une sorte de kénose par les différents

dépouillements auxquels il le soumet. Cela entraîne la mort symbolique,

passage sine qua non pour renaître, non uniquement dans le clan de la

femme, mais cette fois-ci, dans celui de l'homme. Dès lors, l'initié devient un

être achevé et en voie de parachèvement. Il est achevé car il a atteint le

dernier point de son identité d'ici, il est parvenu à la conjonction du féminin et

du masculin, cependant il est un être en migration vers le pays des morts-

vivants. C'est quand il aura atteint cette destination qu'il sera un être

parachevé et aura ainsi atteint l'ultime lieu de sa naissance. Il faut toutefois

souligner qu'atteindre ce lieu ne dépend pas nécessairement de la renaissance

manifeste dans le patriclan. Même si l'initiation du joro vise ce processus pour

tous, la société qu'elle construit représente symboliquement tous les Lobi,

donnant à chacun l'occasion d'actualiser ce qu'il est potentiellement. C'est ce

qui explique la prétention du joro à réguler la société et aussi son approche

holiste.

Cette approche holiste donne l'impression que très peu de place est

laissée à l'individu. Ce dernier est soumis à une identité que la société

construit pour lui. Ainsi, l'éducation qui sert à réaliser cette identité passe par

446 Pour la rupture nous avons recueilli les informations auprès de KAMBOU D. Luc duvillage de Holi et auprès de plusieurs jeunes lors d'un camp de vacance en Août 1986.

279

Page 282: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

des normes et des valeurs qui lui semblent étrangères et imposées de

l'extérieur. Dans une telle approche, l'individu ne trouve sa place que par un

processus d'assimilation, en ce sens qu'il perd toute spécificité propre pour

vivre l'image que le groupe lui impose. Une violence est faite sur lui en vue de

le modeler à l'image de la société, car il se présente comme un être qui subit,

celui qui doit s'effacer devant la cause générale, et éviter toute forme de

velléités personnelles. La communauté prime sur l'individu, le domine et le

contrôle, du moins c'est la première impression que l'initiation du joro donne.

Si en effet, le joro donne l'impression d'un holisme opposé à

l'individualisme, il conviendrait de clarifier certains points pour une meilleure

compréhension de la situation. Tout d'abord, la société traditionnelle lobi est

une société qui refuse les inégalités sociales. Lorsqu'un individu commence à

s'élever au-dessus de tous, surtout par sa richesse, d'aucuns s'arrangent pour

régler son compte, soit en le dépossédant de ses biens, soit en l'éliminant

physiquement. Cela arrive lorsque l'individu se montre arrogant et peu

disposé à partager sa richesse. C'est une sorte de nivelage social. Que cela

soit inacceptable pour la société d'aujourd'hui, nous n'en disconvenons pas.

Toutefois, il importe d'être sensible à chaque contexte avec sa perception de

l'organisation sociale, non pas dans un esprit de jugement mais dans une

attitude d'ouverture pour en saisir les enjeux.

Si, au joro, le Lobi est amené à se soumettre à une structure qui semble

l'englober, cela est dû justement à son individualisme manifeste. Il n'est pas

rare d'entendre un Lobi dire : « je ne mange pas chez toi ». Quand il lance une

telle parole, il veut signifier son absolue indépendance. Tout en concédant à

l'individu un espace d'autonomie dans la société en général, le joro se donne

comme espace de régulation de cette autonomie. À première vue on croirait

qu'il est totalitaire, mais il se présente ainsi afin de régler une situation

sociale ou, en d'autres termes, pour servir de voie d'équilibration. C'est

pourquoi, il laisse six ans aux individus pour faire plus ou moins ce qu'ils

veulent et leur demande deux ans d'apaisement en vue de purifier toute la

société, question de remettre les pendules à l'heure. Ainsi accorde-t-il aux

280

Page 283: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

individus une liberté contrôlée. Cette approche serait-elle un frein à la

prétendue autonomie de l'homme du XXIéme siècle ?

À voir de près, le holisme du joro est loin de s'opposer à l'autonomie des

personnes, il la sert plutôt. Si cela n'était pas le cas, comment comprendre la

scission dans cette importante institution de formation ? Nous avions relevé

qu'il y a deux types de joro, celui des pabulodara et celui des gôgôdara. Si le

joro ne laissait pas de place à l'individu d'une certaine façon, (liberté

contrôlée) il serait difficile qu'une chose pareille arrive. Des individus ont

certainement cherché à innover et cela a donné une autre institution. Tant

que la traversée pour l'autre bord ne sera pas consommée, le joro connaîtra

d'autres changements. Car, quand le Lobi et son milieu prendront davantage

conscience que l'homme et sa culture se nourrissent mutuellement et qu'ils

sont pris, non seulement dans un processus d'acculturation, mais aussi dans

celui de l'accommodation, il pourra en ce moment transformer le visage de ses

institutions pour en ôter certaines scories, afin de construire un univers plus

pacifique, heureux et convivial. Aussi pourrait-il contribuer à repenser les

approches éducatives nouvelles en milieu lobi par sa spécificité.

3. Spécificité du processus initiatique

L'éducation à la foi, en raison des différents déplacements qui marquent

son histoire, explore de nos jours, plus que jamais, les possibilités que peut

lui offrir la notion d'initiation. À ce titre, le joro qui est une importante

institution d'initiation chez les Lobi, peut être pour elle un interlocuteur non

négligeable. Même si le mot initiation ne se lit pas noir sur blanc dans la

Bible, il n'en demeure pas moins que la réalité qu'elle vise est très présente

dans les Saintes Écritures. Nous avons montré que cette réalité est axée sur

une situation éducative qui met en œuvre des acteurs, des institutions, des

démarches et des finalités.

Une lecture de l'impératif missionnaire permet de mettre en évidence

des indicateurs qui touchent ces différentes composantes de la situation

281

Page 284: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

éducative. Le tableau ci-dessus récapitule les points d'ancrage entre

l'approche biblique de la formation du disciple et celle du joro.

Tableau VIII-3 : Tableau comparatif du joro et de l'initiation chrétienne

ACTEURS

INSTITUTIONS

FINALITÉ

DÉMARCHE

Formation du jorbiMaître d'initiationMoniteursParentsNéophytesPatriclansGroupes promotionnels

Transformation- Filialité

Intégration sociale

PèlerinageRitesTransmission dessavoirsAccompagnement

Formation du discipleJésus le MaîtreDisciplesNations

ÉgliseDifférentes confessionschrétiennesTransformationFilialitéIntégration ecclésiale

PèlerinageRitesTransmission dessavoirsAccompagnement

Pour la dimension « Acteurs », apprenants et maîtres occupent les

mêmes fonctions dans deux registres bien différents, l'un étant

anthropologique et l'autre théologique. L'initiation du joro se veut d'abord

ethnique alors que la formation du disciple a une visée universaliste. Certes,

le joro se limite à l'homme lobi mais, symboliquement, c'est l'homme tout

court qu'il vise ; c'est la raison pour laquelle il ouvre ses portes aux étrangers

sans aucune prétention de prosélytisme. Il vit ce qu'il croit dans la plus

grande discrétion, laissant aux autres la latitude d'en juger. Dans sa

démarche, il implique toute la cellule familiale et clanique, car toute initiation

requiert nécessairement la présence de l'autre. Cette présence se manifeste de

façon individuelle (chaque parent pourvoyant aux besoins des néophytes),

mais aussi de façon communautaire traduite dans la mise en place des

institutions.

Les institutions qui portent le projet éducatif du joro se limitent

géographiquement et sociologiquement. Elles sont situées dans les limites de

282

Page 285: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

l'ethnie tandis que la formation du disciple s'étend à tous les peuples de la

terre. Les patrlclans, institutions principales qui portent les cérémonies du

joro, se donnent comme une expression locale du peuple lobi, où se côtoient

jorbi et jâkvma (initié et non-initié). La société joro, tout comme l'Église,

constitue chacun un groupe des mis à part avec ses différentes ramifications.

Cependant, si nous réduisons ces institutions à la seule dimension

sociologique ou anthropologique, nous ne faisons pas justice à la différence

qui les sépare. L'Église n'est pas uniquement une institution sociale, elle

constitue les traces de la réalité du Christ dans le monde, et s'exprimant dans

chaque espace et à travers le temps. Les institutions initiatiques du joro

traduisent, quant à elles, les traces de la réalité des ancêtres et de Thâgba

(Dieu). Malgré ces différences, ces institutions visent des objectifs similaires.

Transformer l'individu pour l'introduire dans une relation filiale, telle

est la finalité de la formation du disciple et de l'initiation du joro. C'est d'une

identité dont il s'agit. L'identité recherchée n'est pas celle qui érige l'individu

pour le placer dans une solitude ou un individualisme privé. Elle construit un

individu « sociocentrique » et non égocentrique, qui se sent partie intégrante

d'un corps. Dans la vie chrétienne, la construction de cette identité, bien que

prenant en compte des aspects procéduraux humains, est essentiellement

l'œuvre de l'Esprit Saint en chacun des disciples. Dans le joro, il se déploie un

ensemble de voies et moyens humains pour faire passer le jâkvma à l'état de

jorbi. C'est à juste titre que Raymond Lemieux définit le travail d'initiation

comme « un ensemble de moyens et de procédures par lesquels un groupe

affirme et réaffirme périodiquement son identité447. » Ces moyens et

procédures que sont le pèlerinage, les rites, la transmission des savoirs et

l'accompagnement sont traduits du côté de l'impératif missionnaire et du joro

de diverses manières comme nous l'avons déjà développé.

Ces particularités de l'initiation nous amène à parler du « processus

initier » tout comme Houssaye parle de « processus enseigner », « processus

447 Raymond LEMIEUX, «Les relations en initiation chrétienne. Point de vue del'anthropologie» dans Gilles ROUTHIER (dir.), L'initiation chrétienne en devenir,Montréal/Paris, Médiaspaul, 1997, p. 51-60.

283

Page 286: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

former » et du « processus apprendre ». Cette spécificité de l'initiation peut

s'opérationnaliser à travers les dimensions suivantes : l'objectif visé, la

procédure mise en œuvre et le médium privilégié (la parole).

3. 1. Objectif : une dynamique identitaire

Dans nos entrevues, nos questions ne faisaient pas directement

référence aux objectifs. Toutefois, l'analyse de celles-ci laisse apparaître des

indices à ce propos. Il en ressort une volonté de construire l'identité, de

transmettre des savoirs et d'avoir une certaine emprise sur la société lobi (cf.

graphique ci-après).

Graphique

/42% f

VIII-2

AA

: Les objectifs

w26%

du joro

H Construire l'identité• Transmettre des savoirsD Réguler la société

Sans les rites initiatiques du joro, il est difficile, d'après nos répondants,

de jouir de tous ses droits dans la société lobi. E008HL souligne que celui qui

n'est pas passé par le joro « ne peut pas entrer dans le cercle des Lobi, parmi

les gens qui ont été au joro. Il ne peut pas participer à leurs cérémonies, ni

danser leur danse. C'est comme s'il n'est pas Lobi, il lui faut aller au joro. »

(§20) E009HL renchérit : « si tu n'as pas été au joro, tu n'es pas encore Lobi,

puisque le but des cérémonies consiste à te donner ta vraie identité. » (§21)

Pour ces anciens initiés, acquérir cette identité élève au rang d'homme libre

284

Page 287: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

(E009HL, §21 ; E010, §41), ce qui marque un nouveau départ, permet de

quitter l'état immature pour la maturité, quel que soit l'âge. La maturité chez

le Lobi est moins une question d'âge, car un petit enfant peut être considéré

comme mature et l'adulte non initié comme un immature. Même si l'enfant

peut être considéré comme mature, le Lobi est conscient que l'expérience et le

temps sont essentiels pour rendre cette maturité dynamique. C'est pourquoi,

dans le cadre des savoirs, aller une seule fois au joro ne suffit, il faut s'y

rendre plusieurs fois pour parvenir à une pleine connaissance des choses.

Cette connaissance qui est donc nécessaire à la construction de son

identité se transmet au joro. C'est elle qui permet de passer de l'état

d'ignorance à celle de la connaissance. E003HL commence son entrevue par

ces mots : « Pour nous les Lobi et Birifor, le joro est très important. Si tu n'es

pas allé au joro, il y a certaines choses que tu ne peux pas connaître ; même

si tu es un adulte, leur sens t'échappera et il ne te sera pas permis d'en

parler. » (§1) Les cérémonies du joro mettent l'accent sur ce passage de l'état

d'ignorance à celui de la liberté ou de la connaissance. Pour marquer ce

passage, les nouveaux initiés doivent démontrer à quel point ils sont

ignorants afin d'apprendre. E009HL explique :

On vous considère comme des nigauds. On peut vous donner unrécipient contenant de l'eau et vous demander de le porter sur latête, vous devez le porter de travers de telle sorte que l'eau serenverse. Ainsi, on vous montre que vous ne connaissez rien et onvous apprend la bonne manière de porter une jarre d'eau. C'est decette manière qu'on procède pour vous apprendre les choses ; sanscela, vous ne pouvez pas rejoindre le cercle des gens normaux.Quand vous rencontrez un enfant, vous le battez jusqu'à le jeter parterre, car on vous considère comme des nigauds. (§6)

II faut ajouter que la connaissance qui libère chez le Lobi est bien loin

de nos savoirs académiques. Cette connaissance est celle léguée par les

ancêtres qu'il convient de dynamiser. Elle est constituée de savoirs déclaratifs

et procéduraux. La transmission des savoirs vise la connaissance des

différents interdits et des bonnes manières (comportements) dans la société.

C'est pourquoi, tout ce qui s'apprend vise à réguler le milieu de vie (cf.

285

Page 288: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

graphique VIII-2), sans avoir nécessairement une vision politico-

administrative.

Cette régulation vise à rendre le milieu social convivial. Le graphique

VIII-2 montre à quel point cet objectif est important et prédomine. Ce n'est

donc pas pour rien que la période du joro est appelée période de bonheur, di-

booyier (E009HL, §8). E003HL le confirme en ces termes :

Ce temps est aussi appelé di-boo yier448, car en ce moment certainscrimes sont strictement interdits, exemple le meurtre ; auparavantles gens ne tardaient pas à se flécher, mais quand arrive cettepériode, ils doivent arrêter toute hostilité. Le pays vit alors uneaccalmie et on peut se déplacer librement et partout sanss'inquiéter. (§2)

Cette période qui peut s'étendre sur deux ans (E003HL, §19), constitue

un moment de purification de la société à travers les razzias, la correction des

enfants insoumis et des réparations des forfaits et offenses. L'idée de

purification traverse toutes les cérémonies du joro. À chaque étape on s'assure

que tout mal soit dévoilé et réparé. Un an avant le pèlerinage, la société est

soumise à une sorte de catharsis, car nul ne peut se rendre au village du joro

avec un cœur impur. C'est pourquoi les Lobi réservent un temps de

préparation sérieuse avant le pèlerinage.

Les objectifs de régulation de la société, de construction de l'identité et

de transmission des savoirs montrent à quel point, le joro est essentiellement

un espace éducatif. Il vise moins une organisation politique de la société bien

que cela ne soit pas absent. En effet en cherchant à réguler la société sur le

plan moral, il y a là une gestion des affaires de la polis. Toutefois, la mission

première du joro se veut éducationnelle. Cette éducation prend en compte la

totalité de l'homme qu'elle cherche à construire à travers les rites, mettant en

interaction le Lobi d'aujourd'hui avec celui du passé, son milieu naturel et

l'environnement spirituel.

448 Littéralement, l'année du bon pays.

286

Page 289: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

L'initiation est un « processus de formation qui permet la maturation et

la croissance d'un sujet par son intégration dynamique dans un groupe

social449. » Mvuanda va dans le même sens en y voyant une « dynamique de

croissance et de dépassement450. » Des aspects psychologiques et sociaux

ressortent de ces définitions. C'est pourquoi Villepelet parle d'autonomisation

et de socialisation. L'initiation vise l'humain dans son développement

psychologique et psychosocial en vue d'une dynamique identitaire qui

structure l'initié intérieurement et extérieurement. Elle met de l'ordre à

l'intérieur des dimensions cognitives et affectives de l'individu en les meublant

d'éléments susceptibles de lui permettre de s'appréhender en tant qu'entité

d'un corps, d'une communauté ou d'une société. Ces éléments orientent à

l'extérieur les interactions avec les autres à travers les représentations qu'ils

construisent. Ils sont constitués de paroles déposées au fond de l'initié, de

marques sur son corps (exemple : dents taillées), symboles du sceau

d'appartenance à une réalité immanente et transcendante au candidat.

L'individu se comprend à travers son appartenance à son groupe

promotionnel, mais aussi à son patriclan et à la tribu. Le nom qui lui est

donné permet de l'identifier comme personne portant une histoire, un récit. Le

nom fait généralement référence à des faits ou à des événements ayant

marqué la vie de celui qui l'a donné. Il constitue un signe de différenciation et

de relation, car il nomme pour marquer une différence entre celui qui porte le

nom et les autres ; mais conjointement, il fait partager la vie de celui qui l'a

proposé. Dès lors, le nommé ou la nommée récapitule l'histoire de tous ceux

qui sont engagés dans les événements qui ont marqué la vie de celui qui a

proposé le nom. En outre, il s'accommode à cette histoire et y inscrit sa

particularité. Le nom se donne ainsi comme mémoire de l'autre, conscience de

soi et de son appartenance à un corps.

Cette conscience et cette appartenance ne se réduisent pas à la réalité

sociale ou humaine. Et comme nous l'avons déjà souligné, elles les

449 Denis VILLEPELET, « Initiation et pédagogie » dans Catéchèse, n°161, Paris, CentreNational Catéchistique, 2000, p. 17.«o Jean de Dieu MVUANDA, op. cit. p. 248.

287

Page 290: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

transcendent et touchent l'environnement en tant que milieu de vie

comprenant tous les êtres non-humains et les êtres spirituels. Nous avons vu

que le sort du Lobi était lié au monde animal, végétal et aquatique ; l'identité

que propose le joro prend en compte cette relation. D'habitude, l'accent est

placé sur l'identité communautaire limitée à un milieu social déterminé, mais

ce qu'offre le joro se veut cosmique. Elle récapitule les dimensions touchant la

nature, la culture et le spirituel dans une perspective holiste. L'initié

appartient à un cadre constitué des êtres non-humains de son milieu naturel

et d'êtres invisibles, puisque le nom qui lui est donné peut faire référence à

des éléments de la nature ou à ceux du monde spirituel. C'est avec raison que

Pierre Erny relève : « Le savoir initiatique tire sa force du fait qu'il intègre les

lois qui régissent aussi bien l'ordre social que l'ordre cosmique451. »

Le solipsisme est impensable dans la perspective du « processus

initier », car l'identité qu'il entend promouvoir n'est réalisable qu'avec le

concours des autres. C'est pourquoi, dans le joro, l'individu est défini par son

appartenance au groupe promotionnel. L'initiation fonctionne dans un esprit

communautaire et de solidarité qui, tout en reconnaissant l'individualité de

chacun, fait passer d'abord la relation au groupe d'appartenance. Il ne s'agit

pas uniquement d'une socialisation, mais d'un accueil et d'une intégration

prenant en compte l'équilibre intérieur de l'initié en harmonie avec son milieu

de vie. Un tel projet est très exigent, ce qui explique les voies et moyens mis

en œuvre pour le réaliser.

3. 2. Voies et moyens : épreuves et structuration symbolique

Villepelet comme Pasquier452, souligne que le moyen mis en oeuvre dans

l'initiation pour cette intégration est l'épreuve. La notion d'épreuve n'a rien à

voir avec les sujets d'examen dans les établissements scolaires. Elle consiste

en une confrontation psychique, sociale et cosmique. Le novice est soumis à

451 Pierre ERNY, L'enfant et son milieu en Afrique noir, Par i s , l 'Ha rma t t an , 1987, p . 2 4 3 .452 Denis VILLEPELET, « a r t . cit. », d a n s Catéchèse n° 168, 2 0 0 0 , p . 22 ; Abel PASQUIER,« a r t . cit. », d a n s Essais de théologie pratique, l'institution et le transmettre, collection « LePoint Théologique » 4 9 , 1988 , p . 132.

288

Page 291: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

une série d'épreuves qui exposent sa vie en lui faisant prendre d'énormes

risques. Il est confronté à ses propres peurs auxquelles il ne doit en aucun

cas céder. Tout est orchestré intentionnellement pour créer un climat

d'angoisse afin que le novice affronte les sources de ses peurs. Cette angoisse

est celle que suscite la menace de la mort omniprésente dans tout le parcours

initiatique. En effet, il est question d'une mort symbolique, quelquefois réelle,

pour une renaissance, car l'initié est un nouvel homme, un homme

transformé.

La nouveauté de vie dans laquelle il est introduit n'a rien à voir avec ce

qu'offrent les autres processus pédagogiques. C'est le caractère et la

personnalité profonde qui sont visés dans le projet initiatique. Cela implique

des renoncements à tous les niveaux. Non seulement l'initié renonce aux

signes de son identité passée (son ancien nom), mais il est sommé de renoncer

à ses avoirs passés, car faisant partie de l'ancienne vie. Il passe désormais de

l'état de celui qui ne connaît rien à celui qui détient la connaissance des

interdits, et ce, grâce aux épreuves par lesquelles il passe. Ces épreuves

peuvent être aussi physiques, car il faut endurer et dépasser certaines limites

du corps : braver la fatigue, la soif et la faim pendant le parcours, supporter

les flagellations et la douleur (par exemple pendant le taillage des dents). Elles

peuvent être psychologiques comme nous l'avons mentionné plus haut. La

maîtrise des pulsions sexuelles face à l'attrait du corps de l'autre, le courage

face aux bruits angoissants et aux menaces, la vigilance face aux risques

d'enlèvement sont autant de situations qui mettent à rude épreuve le potentiel

psychologique des néophytes. Toutes ces épreuves contribuent à la

structuration symbolique de la personne.

Dans le contexte lobi, le novice vit déjà dans un bain de paroles, de

pratiques et d'objets qu'il manipule. Il se sert de la langue lobi pour

communiquer, il est soumis au respect des aînés, manipule la houe ou tout

autre outil. Seule la signification matérielle et immédiate est portée à son

entendement avant l'initiation. Avec l'initiation, cette signification est

transcendée pour donner lieu à tout une symbolique. L'une des symboliques

289

Page 292: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

clefs touche la nudité. Le novice est confronté quotidiennement à l'expérience

de la nudité, mais dans l'initiation, sa compréhension immédiate de la nudité

prend une autre signification. Dans le parcours initiatique, les néophytes sont

généralement nus, ce qui rappelle l'état originel et dit un récit sur la

naissance rituelle. Erny explique :

La naissance rituelle n'est pas individuelle. Nés collectivement, lesnéophytes sont tous frères jumeaux ; sortis en même des entraillesde la terre ancestrale, ils ne sont plus les enfants d'un couple, maisd'un groupe clanique ou ethnique entier. La nudité symbolise lafraternité qui lie désormais tous ceux d'une même classe d'âge : eneffet, par leur tenue, ils signifient qu'ils n'ont plus aucun secret lesuns pour les autres, aucune honte, que rien ne les sépare453.

Cette compréhension de la nudité est portée à la connaissance de

l'initié par le discours oral. Si ce dernier peut recevoir des interprétations

toutes faites, il est important de souligner que le « processus initier » structure

surtout son être et sa pensée de telle sorte qu'il puisse entrer dans l'univers

du symbolique. Cette opération passe par les cérémonies pendant lesquelles le

corps et l'esprit de l'initié reçoivent mystérieusement l'aptitude à interpréter.

L'initié sait désormais qu'il ne suffit pas de voir les objets dans leur

matérialité - ce qu'il savait avant - mais qu'au-delà du visible, agit l'invisible,

et qu'il est possible de cerner cela. Ainsi, part-on de la dimension immédiate

ou manifeste de ce qui se donne directement aux sens, vers la dimension

médiate, ésotérique. Dès lors l'initié est introduit dans un cercle

herméneutique qui lui permet de percevoir au-delà du sens- obvie la

complexité de l'objet, afin de saisir les rapports entre le perçu et la réalité

profonde, et d'en donner le sens. Une certaine structure de base est mise à sa

disposition pour lui permettre de traiter les objets et les discours. Le médium

principal de transmission de ces savoirs demeure la parole dans un contexte

d'oralité.

«3 pierre ERNY, op. cit., 1987, p. 238.

290

Page 293: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

3. 3. La parole dans le « processus initier »

D'après Isidore de Souza, l'utilisation de la parole dans la société

traditionnelle en Afrique, repose sur deux organes, la bouche et les oreilles, et

sur une faculté, la mémoire454 ; nous ajouterons les interactions. Le corps est

tout à fait engagé dans la communication orale. Le communicateur dispose de

plusieurs procédés pour que son message soit compris. Il communique par

l'expression corporelle, ce qui humanise le message car communiquer c'est

s'engager, c'est se dévoiler, c'est entrer en relation avec l'autre. La répétition,

l'hyperbole, les expressions idiomatiques sont autant de figures de styles à la

disposition du communicateur traditionnel. Les gestes, l'intonation et les

variations de la voix, les chants, etc. sont des moyens pour tenir le public en

haleine et pour fixer le message dans la mémoire. Les gestes et l'intonation

montrent combien tout le corps est engagé dans la transmission orale.

Certains orateurs sont de véritables metteurs en scène ou des acteurs. Ils

sont capables de faire revivre des faits et des récits anciens à travers les

mains, les pieds, les mouvements du corps et la voix. Les refrains introduits

dans les discours peuvent être repris par l'auditoire, car parler, c'est vivre

l'acte de la parole en relation avec l'altérité. C'est un espace d'interactions et

de relation dans lequel les textes oraux sont privilégiés.

Le communicateur oral a pour fonction de créer un lien entre les textes

du passé et le présent. Ces textes sont traditionnels et un bon transmetteur y

puise tout en veillant à ce que le noyau du contenu soit respecté, même s'il a

une certaine liberté de modifier le sens pour l'adapter au contexte de

l'auditoire. L'initiation permet de se familiariser avec la tradition. Elle agit sur

la personne entière en la structurant à travers les rites et la transmission des

savoirs en vue de l'introduire dans l'univers du symbolique. L'initié apprend à

voir au-delà du concret pour atteindre les significations profondes. C'est

pourquoi, la pensée orale est très imagée, ce qui donne une très grande

flexibilité d'interprétation.

454 Isidore de SOUZA, op. cit., p. 83.

291

Page 294: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Dans la communication orale, le récepteur n'est pas passif ; sa passivité

est un mauvais signe. Il doit montrer qu'il suit celui qui parle, soit par des

gestes ou verbalement. Une parole émise requiert une impression de sa part.

Cependant, toute réaction est contrôlée car il n'est pas donné à n'importe qui

de réagir négativement vis-à-vis des paroles de tous. Cela ne pose toutefois

pas le principe d'irréfutabilité de propos sans fondements. Une réglementation

s'impose. Ainsi, un jeune fera beaucoup attention quand il s'agira de remettre

en question les paroles d'un aîné. Discuter les paroles d'un aîné équivaut à

s'opposer à sa personne, car l'individu n'est jamais détaché de ce qu'il dit ; il

s'y implique profondément.

Pour réfuter les paroles de quelqu'un, il convient de puiser dans le

même fonds traditionnel de paroles, de faits et d'événements. Dans le cadre de

l'oralité, la parole est prise en tenant compte de ce capital à la disposition de

tous. Les proverbes, les contes, les événements qui ont marqué le village sont

des exemples de données traditionnelles. Chacun peut y puiser et leur donner

le sens qu'il croit pertinent tout en respectant la hiérarchie des âges.

Pour finir, il convient de remarquer, que la parole ne sied pas

uniquement au « processus initier » mais, qu'en contexte lobi, elle est

fondamentale dans l'initiation. Les rites qui tiennent une place centrale dans

le joro sont toujours accompagnés de paroles prononcées oralement.

L'importance de la parole se voit également dans l'apprentissage de la langue

secrète. En effet, étant donné la nouvelle naissance et l'introduction dans une

société nouvelle, l'initié doit s'accoutumer au langage de sa nouvelle

communauté.

Au terme de ce chapitre, et en guise de conclusion de nos recherches, il

ressort des discours d'initiés devenus chrétiens que l'initiation traditionnelle

lobi au Burkina Faso

1) constitue la principale institution de formation du Lobi ;

2) par elle, le Lobi apprend à construire son identité à travers des rites

et des épreuves ;

292

Page 295: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

3) elle permet la cohésion du groupe en apprenant à l'individu que sa

destinée dépend de sa gestion des rapports avec ses semblables

(ascendance comme descendance) avec les composantes de son

milieu naturel et avec le monde spirituel.

La majorité de nos répondants relève ces éléments dans un esprit de

fierté mais aussi de recul ; car pour eux, si le joro peut comporter des

parallèles avec la vie chrétienne, ils n'hésitent pas à le qualifier d'œuvre de

Satan. Cette perception des chrétiens est une des conséquences de

l'enseignement véhiculé dans une totale ou partielle méconnaissance du rôle

foncièrement éducatif du joro. Les études anthropologiques et théologiques

ont contribué à donner quelque éclairage à l'Église pour une vision beaucoup

plus positive. L'aspect purement pédagogique dans une perspective

théologique a manqué. C'est pourquoi ce travail a tenté de répondre à ce

besoin, sans prétendre épuiser le sujet ou même gagner son pari.

En partant de l'Évangile de Matthieu, nous avons relevé le caractère

pédagogique de l'impératif missionnaire, ce qui nous a permis de mettre cela

en parallèle avec l'initiation lobi. Ainsi, nous avons relevé que les deux se

rejoignent par le fait qu'ils déploient une situation pédagogique mettant en

évidence des acteurs, des institutions, des finalités et des démarches. Ces

composantes de la situation pédagogique constituent un espace

d'interactions. Cependant, nous ne nous sommes pas limité à cet ancrage ;

nous nous sommes efforcés d'examiner les possibilités d'un ancrage de

l'initiation dans les processus pédagogiques. Après avoir souligné la

dynamique identitaire qui caractérise l'initiation lobi, sa particularité à

construire une structuration symbolique de la personne, son enracinement

dans l'oralité, les propositions et conclusions suivantes s'imposent.

4. Propositions

Au terme de toutes nos analyses, il importe de revenir sur nos objectifs

de départ pour proposer quelques idées qui restent à être approfondies sur le

293

Page 296: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

plan pédagogique et sur celui de l'éducation à la foi. Celles-ci constituent des

pistes pour des études plus spécialisées.

4. 1. Sur le plan des théories pédagogiques

Après avoir relevé les spécificités majeures de l'initiation, et au regard

des résultats de notre analyse du joro, nous nous rangeons du côté de

Villepelet, qui soutient que « toute initiation comporte une part

d'enseignement et d'apprentissage qui s'intègrent en elle sans qu'elle ne s'y

réduise455. » Olivier Reboul renchérit que l'initiation constitue « à elle seule la

forme la plus complète de l'acte d'apprendre ; s'initier, n'est-ce pas, au-delà de

tout savoir-faire et de tout savoir, apprendre à être ?456 » En outre, « La

formation est [...] un processus initiatique par excellence457. » Dès lors, il nous

semble possible de reconsidérer les différents processus de la situation

pédagogique, et aménager une place pour l'initiation.

Dans ce cas, le triangle pédagogique pourrait être modifié pour accorder

une place à une figure qui exprimerait visuellement les interactions entre les

différents processus enseigner, former, apprendre et initier. Ainsi, sera

préservée l'idée du triangle {cf. chapitre IV) avec des modifications traduisant

la situation pédagogique de manière plus complète. Nous proposons donc la

figure ci-après.

455 Denis VILLEPELET, « Ini t iat ion et pédagogie » d a n s Catéchèse, n ° 1 6 1 , Par i s , Cen t r eNational Catéchistique, 2000, p. 22.456 olivier REBOUL, Qu'est-ce qu'apprendre ? Pour une philosophie de l'enseignement,Paris, PUF, 1991, p. 92.457 Sylviane SALZMANN, « La d imens ion ca téché t ique de la format ion d e s a d u l t e s », d a n sAmbroise BINZ, Robert MOLDO et Alain-Louis ROY, Former des adultes en Église, Étatdes lieux, Aspects théoriques, Pratiques, Saint-Maurice, Éditions Saint- Agustin, 2000, p.255.

294

Page 297: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Schéma VIII-2 : Situation pédagogique B'

La figure ci-dessus présente les trois composantes majeures de la

situation pédagogique, « savoir », « enseignant » et « apprenant ». Quand on

établit les relations qui les lient, il s'y dégage ce que Houssaye appelle des

processus. Ainsi, nous avons les processus « enseigner », « former » et

« apprendre ». Nous avons déjà relevé qu'en dissociant les différentes

dimensions qui déterminent les liens entres les différentes composantes de la

situation pédagogique, cela permet de saisir les particularités de chacune

d'elles. Toutefois, accentuer ces particularités ne doit pas faire oublier que

chaque dimension partage des caractéristiques avec les autres. La figure

l'exprime, mais ne permet pas de visualiser les particularités. Cependant sa

force est d'illustrer qu'il existe un point de rencontre des trois composantes

pédagogiques. Ce point focal est l'initiation qui, tout en récapitulant les

différents processus pédagogiques, ne les épuisent pas, puisque l'expérience

démontre que les réflexions et pratiques éducatives ont été faites en marge de

l'initiation.

Tout en récapitulant ces autres processus pédagogiques, le processus

« initier » conserve cependant une certaine particularité que nous avons déjà

mise en évidence. Il constitue le noyau de l'éducation africaine de laquelle

295

Page 298: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

découlent les autres aspects de la pédagogie. Malgré les points communs que

partagent ces différents processus, nous insistons sur le fait que chacun joue

un rôle spécifique, ce qui permet à la situation pédagogique de maintenir sa

cohésion et une certaine unité.

4. 2. Sur le plan de l'éducation à la foi

L'initiation est à la mode dans certains milieux chrétiens458, mais dans

les milieux évangéliques en Afrique, elle est peu exploitée. Les idées que nous

avançons ici servent surtout à la réflexion. Ce sont des pistes à explorer pour

une prise en compte judicieuse de la formation en Afrique. Elles visent

particulièrement les milieux chrétiens évangéliques du Burkina Faso et de la

Côte d'Ivoire et touchent trois domaines.

• L'école du dimanche

Dans les milieux où se développe l'école du dimanche, il est

souhaitable que, dans les processus d'apprentissage mis en

oeuvre, il soit aussi question des hommes et des femmes qui

ont vécu leur foi en milieu africain en vue de rattacher leur

expérience biblique à celle de la société qui se présente

quotidiennement à l'enfant.

- Après un certain nombre de mois ou d'années de cours

bibliques, il est souhaitable d'organiser une cérémonie

officielle pour célébrer le passage de l'enfant de l'étape

parcourue à l'étape suivante.

- Quand l'enfant ou l'adolescent atteint l'âge de quitter l'école

du dimanche, il est opportun de lui proposer l'expérience d'un

certain nombre d'exercices spirituels qui seront couronnés par

un rituel d'accueil dans l'Église. À cette cérémonie les parents

458 Plusieurs auteurs s'accordent sur l'actualité de l'initiation dont Abel PASQUIER,« Initiation, initiation chrétienne » dans André FAYOL-FRICOURT, Abel PASQUIER, OdetteSARDA, L'initiation chrétienne, Démarche catéchuménale, Paris, Desclée, 1991, p. 13.

296

Page 299: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

non-chrétiens pourraient être invités pour accompagner leurs

enfants.

Quelle que soit la manière de procéder, l'objectif visé est de trouver des

moments solennels pour marquer les passages d'une étape à une autre en

veillant à créer un lien entre les enfants et les pères dans la foi, tout en

cherchant à impliquer la société, là où cela est possible, dans le parcours de

l'enfant. En initiation il est capital de toujours garder à l'esprit, que la

démarche se fait en société, en communauté. C'est le lieu où se déploie

premièrement une communion fraternelle, familiale, clanique et, pourquoi

pas, nationale et internationale ! Deuxièmement, c'est là que se tissent des

liens spirituels qui rappellent aux hommes qu'ils ne sont pas seuls à habiter

ce monde ; qu'il existe un environnement spirituel et matériel à prendre en

compte dans le quotidien.

• Le catéchuménat

II serait souhaitable de développer un type de catéchuménat adapté au milieu,

car dans les étapes proposées, plusieurs aspects se retrouvent dans le

parcours initiatique. Le tableau ci-après présente quelques aspects. Dans

chaque situation, ces similitudes pourraient faire l'objet de réflexion et de

discussions en vue d'établir des pistes de compréhension et de pratique.

Avant d'engager une telle démarche, il importe de déceler les lieux éducatifs

dans la tradition et ceux du monde moderne, et de chercher à se familiariser

avec les principes de la communication orale.

Tableau VIII-4 : Similitude entre catéchuménat etjoro

CatéchuménatAcceptation du postulant par lesigne de la croix au frontExorcismePénitenceApprentissageDépouillementEau du baptêmeBaptêmeEucharistie

joroAcceptation du jâkuma par le signeau frontRite pour conjurer le mauvais sortConfession/ réparationApprentissageDépouillementEau du fleuve ou de la rivièreAspersion et bain au fleuveLa boisson sacrée

297

Page 300: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

• Institutions de formation biblique et théologique

En vue d'améliorer la formation biblique et théologique en Afrique, il

serait judicieux que les institutions de formation sortent de leurs ghettos et

des programmes prêts à consommer qui viennent de l'étranger pour enfin

évaluer les besoins des populations et des Églises locales en vue de construire

des curriculums adaptés. En outre, il conviendrait d'examiner à nouveaux

frais les démarches éducatives des peuples d'Afrique pour aider le reste de la

chrétienté à puiser dans le riche patrimoine des pédagogies propres aux

sociétés à tradition orale. Ainsi, ces institutions pourraient :

- proposer des cours sur les pédagogies initiatiques en Afrique ;

encourager les recherches sur l'oralité et ses modalités ;

encourager les recherches anthropologiques et sociologiques

axées sur les récits de vies des hommes et des femmes de foi en

Afrique ;

- venir en aide aux communautés qui aimeraient expérimenter une

inculturation de l'éducation à la foi chrétienne à travers la

réflexion ;

- créer des réseaux de réflexion sur les interactions entre

pédagogies africaines et les pédagogies exogènes.

Il ne fait aucun doute que la prise en compte de ces propositions

dépend en grande partie de la volonté des autorités ecclésiastiques ainsi que

des responsables en éducation chrétienne. À cause de l'unité de l'Église et de

son caractère universel, nous ne disconvenons pas qu'un programme de

formation conçu hors d'Afrique puisse être de quelque utilité. En revanche,

nous soutenons la nécessité de contextualiser et de revoir ces programmes

pour les adapter aux situations nouvelles. Car, comme le dit l'adage yacouba :

« lorsque le rythme du tambour change, la danse elle-même change459. »

459 Mathurin Kofïî KONAN et collaborateurs, Proverbes en liberté, Bouaké, Presses de laLibrairie Imprimerie de la Cathédrale, 1985, p. 31.

298

Page 301: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

CONCLUSION GÉNÉRALE

Le joro crée des sous-groupes patriclans dans la société lobi, et se

donne pour mission la régulation de l'espace vital lobi. Pour cela, dans sa

démarche initiatique, il soumet ses candidats à une purification morale et à

une mise à part qui les préparent au pèlerinage et aux différents rites

d'initiation. La formation qu'il propose est constituée d'épreuves et de la

transmission des savoirs, dont l'accent porte sur le savoir-être et la

connaissance des interdits du clan. Tout se joue pour que l'initié comprenne

que « la calebasse grossit parce qu'elle reste attachée à la tige460. »

L'importance de tenir compte de ses racines et de s'y attacher est centrale

dans le fonctionnement du joro et des valeurs qu'il entend transmettre à la

société.

L'approche de transmission et de réception du savoir sacré et profane,

ainsi que les rites et les cadres d'activités qui permettent au jâkuma (non-

initié) d'accéder au rang de jorbi (enfant du joro ou initié) aide à décrypter des

indicateurs pédagogiques. Ces indicateurs démontrent la vocation

éducationnelle du joro. Aujourd'hui, cette institution est confrontée aux

réalités exogènes et se trouve contestée par des institutions qui proposent

d'autres projets d'éducation. La rencontre avec le christianisme et l'éducation

occidentale en témoigne. L'éducation moderne ne fait aucun cas des

pédagogies initiatiques, même s'il arrive qu'elle s'y réfère pour illustrer ses

propos. Du côté du christianisme, les positions sont partagées entre la

méfiance et la conviction que l'initiation constitue une pierre d'attente pour

un meilleur devenir chrétien. La difficulté de concilier ces positions demeure

entière malgré les résultats des recherches actuelles.

Comme nous l'avons déjà souligné, les auteurs qui se sont intéressés à

la question de l'initiation l'ont abordée dans une perspective anthropologique

ou théologique. Leurs études ont donné une image religieuse au joro, ce qui a

460 René MAVOUNGOU-PAMBOU, Proverbes et dictons du Loango en Afrique centrale :langue, culture et société, Jouy-le-Moutier, Bajag-meri, 1997, p. 111.

299

Page 302: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

contribué à voiler sa dimension éducationnelle et les valeurs qu'elle a dans les

rapports interpersonnels chez les chrétiens et les non chrétiens. En effet, la

quasi-totalité des chrétiens lobi se sert bon gré mal gré, des schèmes de

l'initiation pour comprendre les vérités de leur foi. Même si ceux qui sont

passés par le joro relèvent les aspects malheureux de l'initiation, il s'ensuit

qu'ils vivent leur chrétienté en puisant inconsciemment dans le fonds

traditionnel émanant du joro. Nous avons déjà relevé le souci des nouveaux

baptisés d'avoir un nom chrétien, ce qui rappelle le rite de la dation de nom à

l'initiation. Dans les milieux protestants, le légalisme témoigne aussi des

principes du respect des interdits sous peine de sanctions sévères, qu'on

retrouve dans le joro. En outre, ceux qui sont restés fidèles aux traditions

ancestrales comparent certaines activités chrétiennes, en l'occurrence les

rencontres de Pâque, à l'initiation du joro. Ces rapports placent ainsi le joro

dans une dimension religieuse, et les chercheurs n'ont pas tort d'orienter

certaines conclusions dans ce sens.

Cependant, nous avons remarqué que cette perception du joro oublie

que la vision lobi du monde se veut globale. Elle ne trace pas une ligne nette

entre le sacré et le profane, l'un influence l'autre, et les deux se trouvent très

liés. Cette situation fait qu'on peut facilement se méprendre de ce qui relève

fondamentalement du religieux, et c'est le cas du joro. Les sacrifices à tous les

niveaux de l'initiation, l'implication des devins et des prêtres des patriclans

sont autant d'évidences qui peuvent laisser penser à un phénomène religieux.

Mais l'évidence n'est pas toujours synonyme de vérité. Étant une institution

importante dans la société, comment le joro pouvait-il se passer d'aspects

religieux ? Toutes les activités importantes de la société sont toujours confiées

à des forces spirituelles. À chaque saison de travaux champêtres, le Lobi

confie son champ aux esprits, et les prémices de chaque moisson leur sont

dédiées. Assimilera-t-on pour autant ces activités à des phénomènes

religieux ?

Le joro, certes, ne peut être isolé de ce contexte général qui veut que

toute activité importante soit vécue sous les regards bienveillants des esprits.

300

Page 303: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

Cependant, le considérer comme un dieu nous semble insoutenable ; il est

une institution de formation. C'est pourquoi, la présente thèse se démarque

des discours qui soutiennent le caractère religieux du joro, pour mettre en

exergue son caractère pédagogique. Cette orientation s'explique, d'une part,

par le fait même que ceux qui ont abordé l'initiation sous d'autres angles, ne

manquent pas de relever sa dimension éducationnelle. D'autre part, cette

dimension ressort des entrevues réalisées qui ont fait l'objet de nos analyses.

Celles-ci mettent en lumière des indicateurs axés sur l'environnement, les

objectifs, les voies et moyens, les acteurs ainsi que les rapports à l'altérité du

projet éducatif joro. Ces indicateurs rejoignent les composantes d'une

situation éducative, ce qui vient confirmer notre hypothèse.

Cette hypothèse comporte des enjeux théologiques. Abordé sous un

angle privilégiant les aspects pédagogiques, le joro, qui fait l'objet de

sentiments partagés chez les chrétiens, offre une structure de représentations

cognitives et les cadres d'action propices à la contextualisation de la formation

chrétienne. Une telle approche sera mieux acceptée chez les évangéliques.

Car, au lieu d'être perçu comme un suppôt de Satan, le joro sera mis sur le

pied d'égalité que les autres institutions humaines pouvant entrer en dialogue

avec l'évangile. Si la contextualisation vise une corrélation des données

bibliques, des savoirs et des pratiques des peuples, la dimension pédagogique

du. joro est alors la plus suggestive pour cette démarche théologique, en milieu

protestant évangélique.

Certes, avons-nous dit, le mot initiation semble absent de la Bible, mais

la réalité qu'elle vise y est démontrée. Cette réalité concerne la situation

éducative dont les composantes sont : les acteurs, les institutions, les

démarches et les finalités. La lecture de l'impératif missionnaire nous a

permis de mettre en évidence ces indicateurs qui démontrent qu'il existe des

points d'ancrage entre l'approche biblique de la formation du disciple et celle

du joro.

En plus de cela, la démarche pédagogique du joro ouvre des pistes

intéressantes pour une taxonomie de la situation éducative. La dynamique

301

Page 304: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

identitaire, la capacité de structuration symbolique de la personne et

l'enracinement dans l'oralité sont des particularités de l'initiation qui

permettent d'explorer la possibilité d'articuler le « processus initier » comme

une quatrième composante des processus pédagogiques. Cette piste est peu

explorée, et nous n'avons fait qu'effleurer le sujet qui pourrait être l'objet

d'études ultérieures.

Au terme de notre parcours, certaines remarques s'imposent. Quand on

considère le groupe des initiés lobi, les théories sur les rites de passage se

vérifient. En effet, les néophytes sont soumis à un parcours jalonné d'étapes

géographiquement tracées et des états psychologiquement vécus afin d'être

progressivement intégrés dans la société. Ils sont les « choisis » ou « les mis à

part » pour souffrir dans leur corps et dans leur esprit, afin que l'homme idéal

se forme en eux pour qu'advienne une société idéale dans laquelle régnent

l'harmonie et la paix. La formation de cet homme se veut inchoative, car,

comme le disent les Peuls, « l'initiation commence dans le parc et finit dans la

tombe. » II n'est jamais achevé l'homme que propose l'initiation africaine ; c'est

celui dont l'identité advient pour qu'advienne la société. C'est l'homme pris

dans un parcours, c'est le membre de la communitas pour emprunter le terme

de Turner, celui qui vit entre deux espaces et deux états. C'est enfin l'homme

en transit, en route vers la société idéale.

Cette société est eschatologique car, si les patriclans en sont les signes

tangibles, elle est toujours en chantier. Elle se veut une société de pureté de

cœur, de fraternité, d'harmonie et de paix. L'harmonie en vue dépasse celle

qui se limite aux hommes, pour intégrer toutes les dimensions de la création

et le Créateur lui-même. L'établissement d'une telle société est un projet de

longue haleine qui requiert bien des sacrifices. C'est pourquoi, l'initiation est

exigeante dans ses pratiques et dans l'éthique qu'elle prône. Toutefois, si le

joro veut continuer à remplir la fonction qui lui est assignée pour atteindre ce

but, il a besoin d'être reformé.

Le but qu'il se fixe est aussi celui d'autres institutions qui disposent de

beaucoup plus de moyens, et leur audience ne fait que croître. La mission

302

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chrétienne, avec son projet d'éducation à la foi, constitue l'une des

institutions dont le but est d'asseoir une société caractérisée par l'amour, la

paix, la joie et l'harmonie. Son audience n'est plus à démontrer en Afrique.

Cependant, si elle veut gagner le cœur de l'Africain, un dialogue avec les

initiations traditionnelles s'avère nécessaire. \Jnjoro reformé pourrait se doter

d'outils adéquats pour un tel dialogue. Comment y arriver ? Ce travail a

suggéré des pistes qui pourraient constituer des sujets de réflexion.

À ces remarques, ajoutons que l'éloignement de notre terrain de

recherche n'a pas facilité notre travail. Les entrevues, effectuées en lobiri et en

birifor, langues que nous comprenons bien, ont souvent présenté des termes

difficiles à traduire en français. Comme toute traduction comporte le risque de

trahison, le lecteur lobi comprendra pourquoi nous avions préféré certains

termes à la place d'autres. Il nous est donc arrivé de sacrifier la fidélité à la

forme pour rendre le contenu plus digeste tout en cherchant à être le plus

proche possible du style oral.

Ne disposant pas personnellement du logiciel NVivo qui a servi à

l'analyse des données, nous avons dû faire la navette entre notre département

et celui des sciences sociales de l'Université Laval, quand cela s'est avéré

nécessaire. Cette situation nous a pris beaucoup de temps. En outre, le

passage des catégories inductives à celles qui nous ont permis de construire

nos commentaires basés sur la perspective pédagogique a posé des difficultés.

Nous avons dû recodifier plusieurs passages ou déplacer certaines sous-

catégories pour les placer dans des catégories plus appropriées. Dans cette

manipulation, il s'est souvent glissé des erreurs que nous avons corrigées ; il

n'empêche que certaines ont pu nous échapper.

Malgré ces quelques difficultés, le traitement informatisé a facilité

l'accès rapide aux résultats et nous pouvions y revenir pour les traiter selon

les besoins, sans être obligé de revoir toute la codification. Certes, le grand

danger qui nous a guetté est celui de vouloir arranger les résultats de manière

à ce que cela s'accorde avec nos présupposés et notre cadre opérationnel.

Conscient de ce danger, nous nous sommes efforcé de rester le plus proche

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Page 306: LE J3R0 ET L'EDUCATION A LA FOI :

possible des discours. C'est pourquoi le texte fait largement référence aux

paroles de nos répondants.

Ce travail ne prétend pas épuiser ce que ces derniers ont dit. D'une

part, la perspective dans laquelle nous l'avons confiné nous aide à

approfondir certains aspects du joro, mais d'autre part, elle écarte des

données que d'autres perspectives auraient permis de mettre plus en

évidence. Pour parvenir à une théorie générale de la pédagogie initiatique en

Afrique, d'autres institutions initiatiques doivent être prises en compte et

mises en rapport avec celle du joro. Toutefois, l'apport des pédagogies

exogènes pourrait être mis à contribution. Tout isolement ou renferment ne

peut faire qu'appauvrir. L'idéal est de s'enraciner dans les réalités éducatives

traditionnelles en interaction avec les apports exogènes et les réalités

africaines actuelles, pour que des solutions plus humaines soient proposées à

l'homme africain dans ses quêtes quotidiennes.

S'il y a quelque chose à retenir dans tout ce balbutiement, c'est que :

« le remède de l'homme c'est l'homme », comme le disent les Wolof. Le joro est

justement en quête de cet « homme remède ». N'est-ce pas aussi d'un tel

homme qu'il s'agit dans les paroles de Pilate dans Jean 19, 5 : « 'IÔoù ô

âv9pa)jtoç » (voici l'Homme) !

304

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