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Prologue

En Angleterre, sous le règne du roi Richard Ier

La mère de Gillian mourut auxheures les plus noires d’une nuit d'hiver,alors qu'elle luttait pour mettre au mondeson troisième enfant. Une jeune servanteun peu écervelée s'empressa de réveillerGillian et sa sœur aînée, pour être sûred'être la première à leur annoncer lafuneste nouvelle. Deux nuits plus tard,les fillettes furent à nouveau tirées dusommeil par la même domestique : lepetit Ranulf, à qui l'on avait donné leprénom de leur père, venait à son tour demourir. Né deux mois avant terme, iln'avait pas survécu.

Gillian avait toujours eu peur dunoir. Cette nuit- là, elle attendit que laservante eût quitté sa chambre avant desortir de son lit. Alors, elle courut piedsnus jusqu'au passage dérobé quicommuniquait avec la chambre de sasœur. La fillette se faufila derrière lebahut que son père avait placé devant

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l'ouverture du mur pour décourager sesfilles de l'emprunter. Il leur avait maintesfois expliqué qu'il s'agissait d'un passagequi ne devait être utilisé qu'en descirconstances exceptionnelles, et enaucun cas pour jouer. Du reste, la plupartdes domestiques du château ignoraientl'existence de ce réseau parallèle decouloirs qui reliait les chambres entreelles, puis débouchait sur une volée demarches raides et se terminait par untunnel qui passait sous les cuisines.Ranulf craignait que ses filles, ens'aventurant dans les couloirs, ne serompent le cou dans l'escalier, tantcelui-ci était étroit et abrupt. Aussi lesavait-il menacées de leur donner lafessée si elles tentaient quand même debraver l'interdit.

Mais, en cette terrible nuit, Gillianse moquait bien de s'attirer les foudrespaternelles. Elle avait besoin de trouverun peu de réconfort auprès de sa grandesœur, Christen, et le passage dérobé luipermettrait d'arriver plus vite dans sa

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chambre. Christen, réveillée elle aussi,l'invita aussitôt à la rejoindre sous lescouvertures. Blotties l'une contre l'autre,les deux fillettes pleurèrent longuement,tandis que les lamentations déchirantesde leur père résonnaient dans tout lechâteau. Tel un fauve blessé, le pauvrehomme hurlait le nom de sa femme. Lamort était entrée dans leur paisibledemeure, traînant avec elle son cortègede douleur et de chagrin.

Hélas, le pire restait encore à venir.Les démons nocturnes semblaients'acharner sur leur famille. Quelquessemaines plus tard, au beau milieu de lanuit, leurs ennemis assaillirent lechâteau.

Cette fois, ce fut son père quiréveilla Gillian. Ses plus fidèles soldats,William - celui que Gillian préférait, caril lui donnait des bonbons dès que sonpère avait le dos tourné -, Lawrence,Tom et Spencer l'accompagnaient. Tousavaient l'air grave. Gillian se redressadans son lit et se frotta les yeux.

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Son père, qui avait confié Christen àLawrence, paraissait accablé de tristesse.

- Maman est morte une deuxièmefois ? demanda Gillian d'une voixinquiète.

Son père eut l'air perplexe.- Non, Gillian, répondit-il

finalement.- Alors, elle va bientôt revenir à la

maison ?Son père secoua la tête.- Ta maman ne reviendra pas. Les

morts partent pour toujours. Maman estau ciel, maintenant. Tu comprends, machérie ?

- Oui, papa, murmura la fillette.Des cris assourdis provenaient du

rez-de-chaussée, et Gillian remarquasoudain que son père portait sa cotte demailles.

- Tu vas te battre, papa ?- Oui. Mais je veux d'abord vous

mettre en sécurité.Il attrapa les habits que Lisa, la

servante de Gillian, avait préparés pour

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le lendemain et entreprit de vêtir sa fille,tandis que William s'agenouillait devantelle pour lui enfiler ses chaussures.

C'était la première fois que son pèrel'habillait, et Gillian comprit que lasituation était grave.

- Est-ce qu'il fait encore noir,dehors? demanda-t-elle.

- Oui, ma chérie.- Je vais être obligée de sortir dans la

nuit ?Son père essaya de la rassurer.- Tu ne seras pas toute seule. Et des

torches éclaireront le chemin.- Mais tu viens avec nous, hein,

papa?- Non, il ne vient pas, intervint

Christen. Il doit rester ici pour livrerbataille à nos ennemis.

La sœur de Gillian avait presquecrié, car elle se trouvait à l'autre bout dela pièce. Lawrence lui fit signe de parlermoins fort.

- Il ne faut pas qu'on remarque votredépart, lui rappela-t-il.

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La fillette hocha la tête, penaude.- Je serai prudente, la prochaine fois,

promit- elle à voix basse.William prit Gillian dans ses bras et

la porta jusqu'à la chambre de son père.Lawrence les suivait avec Christen.Spencer et Tom ouvraient le chemin,tenant des candélabres pour éclairer lecouloir. Les chandelles projetaient degrandes ombres mouvantes sur les mursen pierres. Gillian, effrayée, nicha sa têtecontre l'épaule de William.

- Je n'aime pas les ombres,gémit-elle.

- Elles ne te feront pas de mal,assura le soldat.

- Je voudrais voir ma maman,William.

- Je sais, petite oursonne.En entendant le surnom affectueux

dont le soldat la gratifiait de temps entemps, la fillette sourit et oublia sa peur.

Dès qu'ils furent dans la chambre,Tom et Spencer déplacèrent la lourdearmoire qui bloquait l'entrée du passage

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secret. Le vieux meuble grinça sur leplancher avec un bruit de sanglier encolère.

Lawrence et William posèrent lesdeux fillettes à terre. Elles seprécipitèrent aussitôt vers leur père.Celui-ci était penché au-dessus d'unegrande malle qu'il venait d'ouvrir.

- Qu'est-ce que tu cherches, papa ?demanda Christen.

- Ceci, déclara-t-il, tout en tirant dela malle un coffret incrusté de pierreries.

- Comme c'est beau ! s'exclamaChristen. Tu me le donnes ?

- Moi aussi, je le veux ! IntervintGillian.

- Non, répondit leur père. Ce coffretappartient au prince Jean.

Puis, prenant Christen par le bras, ilajouta :

- Ma chérie, j'aimerais que tum'écoutes très attentivement.

- Oui, papa.- Parfait, fit-il en souriant. Tu

emporteras ce coffret avec toi. Lawrence

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te protégera et t'aidera à cacher ce trésorjusqu'à ce que je puisse vous rejoindrepour aller rendre le coffret au princeJean. En attendant, il ne faut parler àpersonne de tout cela, Christen.

- Je ne dirai rien, promit la fillette.- Moi non plus, je ne dirai rien,

renchérit Gillian avec un hochement detête solennel.

Mais Ranulf ignora sa cadette etcontinua à s'adresser à Christen.

- Personne ne doit savoir que tudétiens ce coffret, ma chérie.Maintenant, je vais l'envelopper dansune tunique.

- Pour qu'on ne puisse pas le voir,suggéra Christen.

- Exactement. Pour qu'on ne puissepas le voir.

- Mais moi, je l'ai vu, papa, protestaGillian.

- Je sais, ma chérie, répondit-il.Il leva les yeux vers Lawrence et

soupira.

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- Elle est trop jeune. Je lui endemande trop. Mon Dieu, pourquoisuis-je obligé de laisser partir mes filles?

Lawrence avança d'un pas.- Je protégerai lady Christen de mon

mieux, monseigneur. Et je veillerai à ceque personne ne remarque le coffret.

William ajouta :- Rien n'arrivera à lady Gillian,

baron Ranulf, soyez-en sûr.Le soutien de ses hommes

réconforta Ranulf. Il hocha gravement latête, puis enveloppa le coffret dans lunede ses tuniques et le tendit à Christen.Gillian battit des mains, se réjouissantdéjà à l'idée de recevoir un cadeau à sontour. Bien que Christen eût trois ans deplus qu'elle, leur père n'avait jamais faitpreuve du moindre favoritisme à sonégard. Il donnait toujoursscrupuleusement la même chose àchacune de ses filles.

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Gillian réprima son impatiencetandis que leur père soulevait Christendu sol et l'embrassait tendrement.

- N'oublie jamais ton papa, machérie, lui murmura-t-il à l'oreille.

Dès qu'il eut reposé son aînée àterre, Gillian se précipita dans ses bras.

- Tu m'offres aussi une jolie boîte,papa ?

- Non, mon ange. Tu vas suivre biensagement William, maintenant.Donne-lui la main et...

- Mais, papa, je veux une boîte,comme Christen !

- Ce coffret n'est pas un cadeau,Gillian.

- Mais, papa...- Je t'aime, mon ange, coupa son

père, bouleversé par l'émotion.- C'est pas juste ! protesta Gillian,

outrée. Pourquoi j'ai pas de boîte ?Hector, un des gardes du château,

surgit tout à coup dans la pièce. Sonentrée fracassante surprit Christen, quilaissa échapper le trésor. La boîte glissa

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de la tunique dans laquelle elle étaitenveloppée et roula sur le sol. À lalumière des torches, les rubis, saphirs etémeraudes incrustés dans le boisprécieux scintillaient comme des étoilestombées du ciel.

Hector s'était figé, hypnotisé par letrésor qui brillait à ses pieds.

- Que se passe-t-il, Hector?interrogea Ranulf.

Avant de répondre, Hector ramassale coffret et le tendit à Lawrence.

- Monseigneur, le capitaine Bryantvous fait dire qu'Alford le Rouge et seshommes ont creusé une brèche dans lemur d'enceinte.

- Le baron Alford accompagne-t-ilses troupes ou continue-t-il à se cacher?demanda Ranulf.

- Je l'ignore, avoua Hector Lecapitaine Bryant vous fait égalementdire que vos soldats vous réclament,monseigneur.

- J'arrive tout de suite, répondit lebaron.

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Il désigna la porte à Hector et luiemboîta le pas. Avant de quitter lachambre, il se retourna pour contemplerune dernière fois ses deux filles adorées :Christen, avec ses boucles blondes et sesjoues de chérubin, et la petite Gillian, quiavait hérité des yeux verts de sa mère.

- Partez, maintenant, leurordonna-t-il. Et que Dieu vous garde.

La seconde d'après, il avait disparu.Aussitôt, les soldats se ruèrent vers lepassage dérobé. Tom ouvrait la marche,son épée brandie devant lui au cas où unennemi croiserait leur route. Lawrencetenait Christen par la main et portait unetorche. Gillian suivait sa sœur, sa mainagrippée à celle de William. Spencer,enfin, fermait la marche. C'était lui quiavait replacé l'armoire devant l'ouverturedu passage.

Gillian tira sur la manche deWilliam pour attirer son attention.

- On va où? lui demanda-t-elle.- Tu le sauras plus tard, fillette,

répondit le soldat. Pour l'instant, prends

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garde à ne pas me lâcher. Nous allonsbientôt atteindre l'escalier.

Gillian jeta un regard inquiet auxombres qui se dessinaient sur le mur,puis reporta son attention sur sa sœur.Christen serrait le coffret sur sa poitrine,mais un bout de la tunique pendait sousson bras. Gillian ne put résister à l'enviede l'attraper.

- Papa dit que ce serait chacunenotre tour de garder la boîte,déclara-t-elle.

- Il a jamais dit ça ! rétorquaChristen, indignée.

Elle releva le bout de la tunique,avant d'ajouter :

- C'est à moi qu'il l'a confiée. Pas àtoi.

Mais Gillian refusait de s'avouervaincue aussi facilement.

- Si, papa l'a dit ! Insista-t-elle.Elle tendait le bras pour attraper à

nouveau un bout de la tunique, quand unbruit derrière elle la fit sursauter. Elle seretourna, mais l'obscurité était trop dense

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pour qu'elle pût distinguer quoi que cesoit. Elle était cependant persuadéequ'un monstre les suivait, peut-êtremême un dragon.

- J'ai peur! dit-elle à William.Portez-moi dans vos bras.

Ils étaient arrivés en haut del'escalier qui menait au tunnel. Celui-cis'enfonçait sous les cuisines, pourresurgir ensuite à l'extérieur du murd'enceinte. L'humidité qui suintait desmurs rendait les marches glissantes.Comme William se penchait vers elle,Gillian, terrifiée, poussa un cri d'effroiéchappa au soldat et dérapa sur une despremières marches. Ne trouvant rien àquoi se raccrocher, elle tomba sur sasœur, l'entraînant dans sa chute. Williamet Lawrence, déséquilibrés à leur tour,roulèrent eux aussi jusqu'au bas del'escalier.

William fit de son mieux pourprotéger Gillian, mais il ne put empêcherle menton de la fillette, de heurter lerebord d'une marche, juste au moment

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où ils arrivaient en bas de l'escalier.Hébétée par le choc, la fillette resta uninstant assise. Du sang coulait sur sarobe. Quand elle vit que ses mainsétaient également tachées de sang, ellefondit en larmes. Sa sœur gisait à côtéd'elle, face contre terre, parfaitementsilencieuse.

- Christen, réveille-toi, sanglotaGillian. Réveille- toi, s'il te plaît !

William la prit dans ses bras etcommença à courir dans le tunnel.

- Calme-toi, fillette, lui murmurait-ilsans cesse à l'oreille.

Lawrence les suivait avec Christen,qui se remettait peu à peu.

Alors qu'ils atteignaient l'issue dutunnel, William distribua ses ordres.

- Lawrence et Tom, vous allezconduire lady Christen au bord de larivière. Je vous retrouverai là-bas, avecSpencer.

- Pourquoi ne viens-tu pas tout desuite? demanda Lawrence.

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- Lady Gillian a le menton ouvert. Ilfaut d'abord la soigner, expliquaWilliam. Dépêchez-vous, nous vousrejoindrons plus tard.

- Christen ! Gémit Gillian. Christen,ne pars pas sans moi !

Avant de sortir du tunnel, Williamplaqua la main sur la bouche de la filletteet la supplia de se taire. Puis, Spencer surses talons, il se dirigea vers la tannerie,où Maud, l'épouse du tanneur, sauraitrecoudre la blessure de Gillian.

Les deux soldats maintinrentsolidement la fillette sur une chaisetandis que Maud s'occupait d'elle. Latannerie était accolée au mur d'enceintedu château, aussi entendaient-ils leséchos de la bataille qui faisait rage del'autre côté de la muraille. Le bruit étaitsi fort qu'ils étaient obligés de crier pourse parler.

- Dépêchez-vous! ordonna Williamà Maud. Nous devons mettre ladyGillian en sécurité.

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Maud termina de recoudre lablessure et posa un bandage tout autourdu menton de la fillette. Pendant cetemps, William s'approcha de la porte dela tannerie pour monter la garde. Dès queMaud eut fini de soigner Gillian,Spencer prit l'enfant dans ses bras, et ilscoururent tous les deux vers la rivière, oùles attendaient leurs camarades et leursmontures.

Ils avaient parcouru la moitié duchemin lorsqu'un détachement ennemileur coupa soudain la route. Toute fuiteétait impossible, mais les deux bravessoldats accomplirent leur missionjusqu'au bout. Gillian abritée entre leursjambes, ils livrèrent la dernière bataillede leur vie. Et ils moururent comme ilsavaient vécu, avec l'honneur et lecourage de ceux qui protègent lesinnocents.

L'un des hommes d'Alford,reconnaissant l'enfant, la conduisitjusqu'au château. Lisa, la servante deGillian, apercevant la fillette, s'échappa

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du groupe de domestiques parqués dansun coin de la cour sous la garde d'unsoldat. Elle expliqua qu'elle avait lacharge de la fillette et demanda lapermission de rester auprès d'elle. Fortheureusement, l'homme qui avait amenéGillian fut ravi de se débarrasser d'elle. Ilordonna à Lisa de rentrer à l'intérieur duchâteau avec la fillette et partit aussitôtrejoindre ses compagnons.

Gillian était trop choquée pourréagir. Lisa la prit par la main etl'entraîna à sa suite. La servante voulaitemmener la fillette dans sa chambre pourla tenir à l'écart du massacre. Mais, alorsqu'elles couraient dans la galerie quisurplombait le grand hall, lescombattants pénétrèrent dans la demeuredu baron Ranulf. En l'espace de quelquessecondes, une mêlée indescriptible avaitenvahi le hall.

Gillian, reconnaissant son pèreparmi les guerriers, se précipita vers labalustrade qui longeait la galerie.

- Papa... murmura-t-elle.

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Puis elle vit un inconnu enfoncerson épée dans le ventre de son père.

- Papa ! cria-t-elle.Ce furent ses dernières paroles. À

partir de cet instant, Gillian se mura dansle silence.

Deux semaines plus tard, le jeuneseigneur qui avait pris le contrôle duchâteau, le baron Alford de Lockmiere,la convoqua pour décider de son sort.

L'estomac noué par l'appréhension,Lisa emmena Gillian à cette audience, lamain de la fillette serrée dans la sienne.Alford avait à peine vingt ans, et pasassez de barbe au menton pour avoir l'aird'un homme. Pourtant, c'était un démon,une brute sanguinaire qui ignorait lapitié. Lisa savait que, d'un simplemouvement de tête, il pouvait ordonnerleur mort à toutes les deux.

Alford dînait en compagnie dequelques fidèles. Gillian lâcha la mainde Lisa et avança, seule, jusqu'au bout dela table où se tenait le baron. Elles'immobilisa et le considéra d'un œil

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étrangement vide. Alford dévorait unecuisse de faisan. Son menton luisait degraisse. Il continua à manger, sansparaître remarquer la présence de lafillette, et ne la regarda qu'après avoirjeté l'os de faisan par-dessus son épaule.

- Quel âge as-tu, Gillian?demanda-t-il.

Comme elle ne répondait pas, ilgrommela d'une voix impatiente :

- Je t'ai posé une question.- À mon avis, elle n'a pas plus de

quatre ans, suggéra un des compagnonsde table du baron.

- Moi, je dirais qu'elle a dépassé lescinq ans, intervint un autre. Bien qu'ellesoit petite, elle pourrait même avoir sixans.

Alford leva la main pour réclamer lesilence.

- Je t'ai posé une question toutesimple, répéta-t-il à Gillian. Tu as intérêtà me répondre. Mon confesseur estconvaincu que tu ne parles plus parceque le diable s'est emparé de ton âme. Il

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n'attend que mon autorisation pour telibérer du démon. Mais ses méthodessont très déplaisantes, je te préviens.Alors, si tu ne veux pas rester enchaînéeà une table pendant que mon confesseurte torturera, tu ferais mieux de me direton âge. Et vite.

Gillian lui opposa le même silenceglacé. Alford voyait bien que sesmenaces n'intimidaient pas la fillette.Était-elle simple d'esprit? Après tout,elle tenait peut-être de son père. EtRanulf avait été assez bête pour croireaux protestations d'amitié d'Alford.

- Sans doute ne connaît-elle pas sonâge, tout simplement, déclara un invité.Demandez-lui plutôt où est le coffret.

Alford opina du chef.- Écoute, Gillian, reprit-il d'une voix

doucereuse, ton père avait volé uncoffret au prince Jean, et j'aimerais le luirendre. C'était un coffret serti de pierresprécieuses. Si tu l'as vu, tu dois t'ensouvenir. Alors? As-tu vu ce coffret?Ton père l'a-t-il caché quelque part ?

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Gillian demeura impassible. On eûtdit qu'elle n'avait même pas entendu lesquestions du baron. Mais son regardexprimait à présent une haine si intensequ’Alford en eut la chair de poule.

Furieux de s'être laisséimpressionner par une gamine qui sortaità peine du berceau, le baron retrouvarapidement sa cruauté habituelle.

- Tu es une vilaine fillette, avec tapeau blanche et tes cheveux noirs. Tasœur était beaucoup plus jolie que toi,n'est-ce pas ? Avoue que tu la jalousais,Gillian. C'est pour cela que tu laspoussée dans l'escalier? La femme qui t'arecousu le menton m'a tout raconté. Lesoldat qui t'escortait lui a expliquécomment vous étiez tombés dansl'escalier. Christen est morte,maintenant, et c'est ta faute.

Il se pencha et pointa sur elle unindex accusateur.

- Tu vivras toute ta vie avec cethorrible péché sur la conscience. Enattendant que je statue sur ton sort, j'ai

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décidé de t'expédier tout au nord del'Angleterre, là où l'été est aussi froidque l'hiver. À présent, disparais de mavue. Tu me dégoûtes.

Lisa, tremblant de peur, avança d'unpas.

- Monseigneur, puis-jeaccompagner cette enfant?

Alford se tourna vers la domestiqueet eut un rire méprisant.

- Fais comme tu veux, femme. Je memoque que tu restes ou non au château.Mais déguerpissez toutes les deux decette salle. Vous gâchez mon dîner.

Emporté par sa rage, Alford attrapaun verre qu'il lança à la figure de Gillian.Le verre passa au- dessus de la tête de lafillette, la manquant de peu, maisl'enfant ne cilla même pas. Dans sesyeux verts brillait toujours la haine.

Alford eut soudain l'impressionqu'elle contemplait son âme.

- Dehors ! cria-t-il. Dehors, tout desuite !

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Lisa se précipita vers Gillian, lui pritla main et l'entraîna avec elle.

Dès qu'elles furent dans le couloir,elle étreignit la fillette.

- C'est fini, murmura-t-elle. Nousserons bientôt loin de cet endroit maudit.Tu ne verras plus jamais l'assassin de tonpère. Quant à moi, je n'aurai plus àcroiser le regard de mon mari. Nouscommencerons une nouvelle vie et, avecl'aide de Dieu, nous connaîtronspeut-être encore le bonheur.

Lisa était résolue à partir le plus tôtpossible, de crainte que le baron Alfordne change d'avis. La décision du baronsignifiait qu'elle pouvait enfin quitterson mari. Depuis l'attaque du château,Hector n'était plus qu'un pauvre fou. Sacouardise lui avait laissé la vie sauve,mais le Seigneur avait puni sa lâcheté enlui ôtant la raison. Le jour, Hectorparcourait sans relâche les collines quientouraient le château, en serrant contrelui une besace remplie de cailloux qu'ilappelait son trésor. À ceux qui le

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croisaient, il répétait qu'il allait bientôtdevenir très riche, aussi riche que le roien personne. Le soir, il faisait son litdans un coin de l'écurie, où il affrontaitseul ses cauchemars. Même ses yeuxsemblaient fous. Les soldats d'Alfordavaient renoncé à le tuer, tant ilsredoutaient de libérer le démon quis'était emparé de son esprit. Ilspréféraient s'écarter sur son passage etesquissaient invariablement un signe decroix dans son dos.

Lisa n'était pas mécontente que ledestin la conduise à se séparer de sonépoux. Pendant les sept années qu'avaitduré leur mariage, Hector ne lui avaitjamais adressé un seul mot tendre, nitémoigné la moindre affection. À sesyeux, une bonne épouse devait sesoumettre humblement, sans rienattendre de son mari.

Mais il y avait pire encore : salâcheté. Pendant l'attaque du château,Hector s'était caché. Lorsque les soldatsl'avaient découvert, il avait feint d'être

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mort. Lisa en avait éprouvé une tellehonte qu’elle ne pouvait plus penser àson mari sans ressentir une haineirrépressible. Certes, elle avaitconscience que mépriser à ce point unecréature de Dieu constituaitvraisemblablement un péché. Dieu,cependant, s'était montré assez clémentpour lui donner une deuxième chance.

Le matin de leur départ, Lisa serendit avec Gillian dans l'écurie. Elledésirait faire ses adieux à Hector, maisvoulait surtout s'assurer qu'il ne luiprendrait pas l'envie de les suivre. Quandelle arriva devant son mari, celui-ci serracontre lui sa besace remplie de cailloux.

- Pauvre fou ! lança-t-elle. Personnene songe à te voler ces malheureusespierres. Je suis venue t'annoncer que jequittais Dunhanshire avec lady Gillian.J'espère bien ne plus jamais te revoir. Entout cas, ne t'avise pas de nous suivre.

Hector roulait les yeux enmarmonnant des paroles

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incompréhensibles. Gillian, apeurée, seréfugia dans les jupes de Lisa.

- N'aie pas peur, dit celle-ci. Je ne lelaisserai pas te faire de mal.

Puis, reportant son attention sur sonmari, elle reprit :

- Je te le répète, Hector, ne t'avisepas de nous suivre. Sinon, je n'hésiteraipas à te tuer.

Il ne semblait même pas l'avoirentendue.

- Je toucherai bientôt marécompense... Tout pour moi... Un trésorde roi... récitait-il d'une voix hachée. Jel'ai bien mérité... Un trésor de roi...

Lisa tira Gillian par la manche etplongea les yeux dans ceux de la fillette.

- N'oublie jamais ce spectacle, monenfant. Voilà ce que la lâcheté fait d'unhomme.

Sur ces mots, Lisa partit sans seretourner.

Le baron Alford avait refusé que seshommes escortent les deux voyageuses.L'idée qu'elles seraient obligées de

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marcher l'avait beaucoup amusé. Maisles deux fils Hathaway, Waldo et Henry,dont le père avait été un des métayers dubaron Ranulf, offrirent de lesaccompagner. Ils installèrent Lisa etGillian dans leur charrette tirée par deuxchevaux de trait. Chacun des frères étaitsolidement armé, au cas où ilsrencontreraient en chemin des banditss'attaquant aux voyageurs sans défense.

Heureusement, le trajet s'effectuasans le moindre incident. Quelques joursplus tard, Lisa et Gillian arrivèrent auchâteau du baron Morgan Chapman. Lebaron, un oncle de Gillian, vivait là enreclus. Bien qu'il fût en bons termes avecla famille royale, il n'était que trèsrarement invité à la cour. On leconsidérait un peu comme un étranger,surtout à cause du sang écossais quicoulait dans ses veines.

De prime abord, le baron n'inspiraitguère la sympathie. C'était un géant auxcheveux noirs frisés qui semblaitperpétuellement de mauvaise humeur.

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Pourtant, si Alford avait pensé punirGillian en l'expédiant chez ce parentqu'elle ne connaissait pas, il s'était bientrompé. Cet exil aux confins del'Angleterre sauva la fillette. Car sononcle, sous ses dehors sévères, cachaitun cœur d'or et l'âme d'un saint. Le jourde leur arrivée, il expliqua à Lisa qu'il nelaisserait pas la fillette troubler sonexistence paisible, mais se contreditrapidement en consacrant tout son tempsà Gillian. Dès ce premier jour, il l'aimacomme un père et s'évertua à l'aider àreparler. Devant le mutisme de sa nièce,il finit toutefois par se demander si sesefforts seraient jamais récompensés.

De son côté, Lisa fit de son mieuxpour que Gillian surmonte la tragédie quiavait détruit sa famille. Mais, après desmois et des mois de soins constants, lamalheureuse servante commençait elleaussi à désespérer. Elle dormait dans lamême chambre que l'enfant, de manièreà pouvoir la calmer quand ses

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cauchemars la plongeaient dans descrises de larmes.

Presque chaque nuit, la filletterevivait les heures terribles qui avaientprécédé la mort de son père. Son jeuneâge l'empêchait de faire la distinctionentre la vérité et son imagination, maiselle se rappelait clairement avoir tiré surla tunique enroulée autour du coffret,puis avoir bousculé accidentellement sasœur, l'entraînant avec elle au bas del'escalier. La cicatrice qu'elle portaitsous le menton prouvait, du reste, qu'elleétait réellement tombée. Mais, aprèscette chute, ses souvenirs devenaientplus confus. Dans ses rêves, desmonstres hideux aux grands yeux rougesles poursuivaient, elle et sa sœur, ettuaient Christen.

Une nuit d'orage, alors que letonnerre grondait au-dehors avec unfracas assourdissant, Gillian recouvrafinalement l'usage de la parole. Lisal'avait tirée de son cauchemar et

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enveloppée dans un plaid pour la bercerdevant le feu.

- Comme tu es étrange, Gillian !murmura la servante. Le jour, tu neprononces pas un mot mais, la nuit, tuhurles à la mort comme un loup solitaire.J'aimerais tellement connaître tespensées...

Lisa ne s'attendait pas que la filletteréponde. Aussi fut-elle stupéfaited'entendre la fillette bredouiller quelquesmots.

- Qu'as-tu dit ? S’exclama-t-elled'une voix presque hystérique.

- Je ne voulais pas tuer Christen. Jene le voulais pas.

Lisa fondit en larmes.- Enfin, Gillian, tu n'as pas tué

Christen ! Je te l'ai déjà répété cent fois.Je sais bien que le baron Alford a essayéde t'en convaincre, mais rappelle- toi :dès que nous l'avons quitté, je t'aiexpliqué qu'il mentait. Pourquoi nem'as-tu pas crue? Alford s'amusaitseulement à te terroriser.

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- Elle est morte.- Non, ta sœur n'est pas morte,

Gillian.La fillette releva la tête et scruta le

regard de Lisa, comme pour chercherdans ses yeux la confirmation de sesparoles. Elle avait désespérément besoinde la croire.

- Christen est vivante, reprit Lisa. Jete jure que jamais je ne te mentirais, siterrible que puisse être la vérité.

- Mais je la vois saigner.- Dans tes cauchemars ?Gillian hocha la tête.- J'ai poussé Christen dans l'escalier.

Papa me tenait la main. Quand il m'alâchée, j'ai poussé Christen.

- Tu as tout mélangé dans ta tête, machérie. Ton père n'était pas avec toi, à cemoment-là. Il ne pouvait pas te tenir lamain.

- Vous étiez dans le tunnel avecnous ?

- Non. Mais je sais ce qui est arrivé.Pendant que Maud recousait ta blessure,

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un des soldats qui t'accompagnait dans letunnel lui a tout raconté. On vous avaitréveillées en pleine nuit, Christen et toi,et emmenées dans la chambre de votrepère.

- C'est William qui me tenait lamain.

- Oui.- Et il faisait tout noir, dehors, ajouta

Gillian en frissonnant.Lisa la serra contre elle.- Oui. Cela s'est passé au beau

milieu de la nuit. Alford et ses hommesvenaient d'ouvrir une brèche dans le murd'enceinte du château.

- Je me souviens du passage secret,dans la chambre de papa.

- Il aboutissait au bord de la rivière,de l'autre côté du mur d'enceinte. Quatrehommes vous escortaient, ta sœur et toi,quatre des plus valeureux soldats de tonpère. Tu les connaissais tous, Gillian. Il yavait Tom, Spencer, Lawrence etWilliam.

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- Papa ne me tenait pas la main,alors ? Insista Gillian.

- Non. Il ne vous avait pas suivisdans le tunnel. Ce n'aurait pas étéhonorable de sa part de se dérober à sondevoir pendant que la bataille faisaitrage. Or ton père était un hommed'honneur. Il est resté avec ses soldats.

- J'ai poussé Christen dans l'escalier.Après, elle n'a plus rien dit. Elle étaitmorte.

Lisa soupira.- Je sais que tu es trop jeune pour

comprendre, mais écoute-moi, Gillian :Christen et toi êtes tombées ensemble,avec les soldats. Les marches étaienthumides et glissantes. Et William a eul'impression que quelqu'un l'avait poussédans le dos.

- C'était peut-être moi, suggéra lafillette d'une voix inquiète.

- Non ! Tu es bien trop petite pourdéséquilibrer un grand gaillard commel'était William.

- Mais je...

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- Tu n'es responsable de rien et tun'as rien à te reprocher, coupa Lisa. Entombant, tu t'étais blessée au menton, etil fallait te recoudre. Alors, William etSpencer t'ont conduite chez Maud. C'esten sortant de chez elle qu'ils ont été tuéspar les hommes d'Alford. Ceux-ci t'ontcapturée et ramenée au château.

- Christen aussi a été capturée ?- Non, elle a réussi à s'échapper

avant que sa fuite ne soit découverte.- Où est-elle, maintenant ?- Je l'ignore, avoua Lisa. Mais

peut-être que ton oncle Morgan le sait,lui. Tu pourrais lui demander demainmatin. Il t'aime comme sa propre fille,Gillian. Je suis convaincue qu'il t'aideraà retrouver ta sœur.

- Christen est peut-être perdue ?- Non, elle n'est pas perdue.- Mais si elle est perdue, elle doit

avoir très peur.- Ma chérie, ta sœur n'est pas

perdue. Elle se trouve quelque part, en

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sécurité. Crois-moi, je t'en prie. Ta sœurest bien vivante.

Gillian hocha la tête.- Je vous crois, dit-elle.Elle bâilla, puis ajouta :- Est-ce que papa va bientôt venir

me chercher?Lisa faillit à nouveau se mettre à

pleurer.- Hélas, ma chérie, ton papa ne

viendra pas. Il est mort. C'est Alford quil'a tué.

- Il a enfoncé une épée dans leventre de papa.

- Mon Dieu ! Tu as donc tout vu ?- Papa n'a pas crié.- Oh, ma pauvre, pauvre chérie...- Maud pourrait peut-être recoudre

papa? Comme ça, il viendrait mechercher, après.

- Non, c'est impossible, Gillian. Lesmorts ne reviennent jamais.

La fillette hocha la tête d'un airsongeur.

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- Est-ce que papa est monté au cielrejoindre maman?

- Oui, ma chérie.- Je veux monter au ciel, moi aussi.- Ce n'est pas encore ton heure,

Gillian. Une longue vie t'attend d'abord.Ensuite, ce sera ton tour de les rejoindre.

Gillian ferma les yeux. Lisa auraitjuré qu'elle retenait ses larmes.

- Papa est mort pendant la nuit,dit-elle.

- Oui.Après un long silence, la fillette

murmura :- Je n'aime pas la nuit.

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1

En Écosse, quatorze ans plus tard

Désormais, le destin du clan desMacPherson était entre les mains de lordRamsey Sinclair.

Les MacPherson traversaient unemauvaise passe. Leur chef, un vieillardnommé Lochlan, était mort l'annéeprécédente - et par sa propre main, Dieule pardonne. Ses compagnons avaient étési choqués par son acte qu'ils n'osaienttoujours pas l'évoquer ouvertement.Après ce drame, aucun des jeunesguerriers du clan n'avait demandé àprendre la succession de Lochlan. Laplupart craignaient en effet d'endosserune responsabilité rendue maudite par lesuicide de leur ancien chef. Il fallait queLochlan eût été fou pour se donner lamort, car il passerait à présent l'éternité àbrûler en enfer pour expier son péché.

Faute de successeur, les deuxdoyens du clan, Brisbane Andrews et

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Otis MacPherson, avaient accepté deprésider aux destinées des MacPherson,mais seulement à titre temporaire.Brisbane et Otis étaient âgés et fatiguéspar des années de luttes incessantescontre les clans rivaux du leur. Cesconflits s'étaient du reste aggravés aprèsla mort de Lochlan, leurs ennemischerchant à profiter de la vulnérabilitédes MacPherson après la disparition deleur chef. La situation devenaitdésespérée, et il fallait trouver unesolution de toute urgence. Voilàpourquoi Brisbane et Otis, avec l'accordde l'ensemble du clan, décidèrent deparler à lord Sinclair au cours dutraditionnel festival de printemps. C'étaitl'occasion idéale pour présenter leurrequête, car la coutume voulait quechaque clan oublie ses querelles durantces deux semaines de réjouissances etd'affrontements sportifs. Le festivalpermettait de raffermir certaines amitiés,parfois même de réconcilier desennemis. Plus important encore, la

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plupart des mariages se scellaient durantcette période de trêve.

Comme les terres des Sinclairbordaient celles des MacPherson à leurextrémité sud, Ramsey crut d'abord queBrisbane et Otis désiraient lui proposerune alliance. Mais il s'aperçutrapidement que les deux vieillardsespéraient beaucoup plus. Ils rêvaientd'une union entre les deux clans et sedisaient prêts à renoncer à leur autorité,si Ramsey leur promettaitsolennellement que chaque MacPhersonserait traité comme un Sinclair.

Pour le festival, les clans campaientdans une immense prairie. La tente deRamsey était assez vaste pour accueillirtous les participants aux négociations.Autour de la grande table se réunirent lesdeux représentants des MacPherson,Ramsey lui-même, Jason, son bras droit,ainsi que deux de ses guerriers les plusfidèles, Anthony et Foster. Le petit frèrede Ramsey, Michael, âgé de six ans,

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assistait lui aussi à l'entrevue, réfugiédans un coin de la tente.

Brisbane Andrews, le regardperçant et la voix profonde malgré songrand âge, expliqua pourquoi lesMacPherson souhaitaient cette alliance.

- Nous ne manquons pas de jeunesguerriers, dit-il, mais ils sont malentraînés et ne sauraient pas défendrenos femmes et nos enfants contre desagresseurs mieux préparés. Nous avonsbesoin de vous pour garder l'ennemi horsde nos terres.

Otis MacPherson, renommé dansles Highlands pour ses nombreuxexploits de jeunesse, désigna Michael duregard.

- Monseigneur, peut-êtredevriez-vous demander à votre jeunefrère de sortir. Les enfants répètentsouvent les secrets par imprudence, et jen'aimerais pas qu'on apprenne le sujet denos discussions avant que nous ayonsabouti à un accord.

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Ramsey hocha la tête et se tournavers l'enfant.

- Qu'as-tu envie de faire, Michael ?Le petit garçon était très intimidé

par son grand frère, qu'il connaissait àpeine. Ramsey avait en effet passé denombreuses années à parcourir lesHighlands, avant d'être rappelé sur sesterres par son père, au moment oùcelui-ci avait senti la mort venir. Aussiles deux frères étaient-ils presque desétrangers l'un pour l'autre. Mais Ramseyétait déterminé à ce que cela changerapidement.

- Mes amis sont partis à la pêche,répondit Michael, les yeux baissés.Puis-je les rejoindre?

- Regarde-moi quand tu me parles,ordonna Ramsey.

Michael s'exécuta promptement etrépéta sa question, y ajoutant cette foisun « s'il vous plaît » poli.

Ramsey était conscient que sonfrère avait peur de lui et se demandaitcombien de temps il faudrait à Michael

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pour s'habituer à lui. Le petit garçonpleurait encore leur père, et Ramseydevinait qu'il devait se sentir abandonné.Michael n'avait pas connu sa mère, quiétait morte quelques mois après sanaissance. En revanche, il avait été trèsproche de son père et ne s'était toujourspas remis de sa disparition. Ramseyespérait qu'avec du temps et de lapatience il réussirait à gagner saconfiance et, avec un peu de chance, àramener le sourire sur son jeune visage.

- Ne t'approche pas des rapides, et jeveux que tu sois de retour avant lecoucher du soleil, lui dit-il.

- Promis, fit Michael. Je peux partirtout de suite ?

- Oui, répondit Ramsey.Dans sa hâte à rejoindre ses amis,

l'enfant renversa une chaise vide sur sonpassage. Ramsey réprima le juron qui luivenait aux lèvres.

- Michael ! Appela-t-il avant queson frère ne quitte la tente. N'as-tu pasoublié quelque chose ?

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L'enfant parut décontenancé, jusqu'àce que Ramsey, discrètement, luidésigne leurs visiteurs du regard.Michael revint aussitôt sur ses pas pours'incliner devant les deux vieillards.

- M'autorisez-vous à prendre congé?

Otis et Brisbane lui donnèrent lapermission qu'il attendait et leregardèrent s'esquiver en souriant.

- Ce garçon vous ressemble,monseigneur, commenta Brisbane. C'estmême votre portrait craché. J'ail'impression de vous revoir lorsque vousétiez enfant. Si Dieu le veut, Michaeldeviendra aussi un fier guerrier et unmeneur d'hommes.

- Oui, approuva Otis. Il a l'étoffed'un grand chef. Cependant, je n'ai paspu m empêcher de remarquer qu'ilsemblait vous craindre, monseigneur.Comment expliquez-vous cela?

Ramsey ne s'offusqua pas de laquestion. Le vieillard, après tout, secontentait de constater une évidence.

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- Pour lui, je ne suis qu'un étranger.Mais, avec le temps, il apprendra à mefaire confiance.

- Je me rappelle le jour où votre pèrem'a annoncé son intention de seremarier, déclara Brisbane. J'ai été trèssurpris. Je pensais qu'Alisdair était tropvieux et trop habitué à sa solitude pourprendre une nouvelle femme. Votremère était morte depuis plus de dix ans.Avez-vous connu Glynnes, sa secondefemme ?

- J'ai assisté à leur mariage, réponditRamsey. Glynnes était bien plus jeuneque lui, aussi était-il persuadé de mouriravant elle. Il l'a épousée pour s'assurerqu'elle ne serait pas dans le besoin.

- Vous auriez pu avoir peur pourvotre héritage, remarqua Otis.

- C'était mon père, répliqua Ramsey.Je trouvais normal de m'incliner devantses volontés.

Otis adressa un regard entendu àBrisbane.

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- Je savais que lord Sinclair était unhomme de devoir, dit-il.

Ramsey fronça les sourcils. À sesyeux, ils ne s'étaient déjà que tropécartés du sujet de leur discussion.

- Vous dites désirer ma protection,reprit-il, mais que voulez-vousexactement?

- Nous pourrions nous contenter deconclure une alliance qui engagerait vosguerriers à patrouiller jour et nuit le longde nos frontières. Mais ils finiraientfatalement par se lasser de cette tâche.En revanche, si vous possédiez nosterres...

- Oui, acquiesça Brisbane. Si lesSinclair devenaient propriétaires de nosterres, nous...

Brisbane s'interrompit en voyantRamsey verser du vin dans leurs verres.Il fut si stupéfait par ce geste, qu'il enperdit le fil de ses pensées.

- Vous... vous êtes lord et vous nousservez comme si nous étions vos égaux !

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Ramsey s'amusa de l'étonnementdes deux vieillards.

- Ici, sous ma tente, vous êtes mesinvités, expliqua-t-il. Et vous êtes aussimes aînés. J'estime qu'il est de mondevoir de veiller à votre confort.

Cette réponse ravit ses deuxvisiteurs.

- Vous avez la bonté dame de votrepère, déclara Otis. C'est une joie de voirAlisdair revivre dans son fils.

Ramsey hocha la tête.- Merci, fit-il. Donc, vous disiez que

si je possédais vos terres...-... vous auriez plus à cœur de les

défendre, acheva Otis. De plus, vous ygagneriez. Nos champs sont fertiles, noslacs poissonneux, et nos moulinsregorgent de blé.

- C'est d'ailleurs pour cela que noussommes régulièrement attaqués par lesCampbell, les Hamilton et les Boswell.Ils convoitent nos richesses.

Ramsey ne répondit pas tout desuite. Il se leva de table et se mit à faire

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les cent pas sous la tente, les mainscroisées dans le dos.

- M'autorisez-vous à leur poserquelques questions, monseigneur?demanda Jason.

- Si tu veux.Jason se tourna vers Otis.- De combien de guerriers les

MacPherson disposent-ils ?- Presque deux cents, répondit le

vieillard. Mais, comme Brisbane l'a dittout à l'heure, ils n'ont pas étécorrectement entraînés.

- Notre clan compte également unecentaine d'adolescents qui seront bientôten âge de porter les armes, ajoutaBrisbane. Avec l'aide de lord Sinclair, ilspourraient devenir aussi invincibles queles soldats de Brodick Buchanan.

- Brodick Buchanan est mon ami,intervint Ramsey. Je le considère commeun frère.

- Nous le savons, lord Sinclair,répondit Otis avec empressement. Noussavons aussi que Brodick Buchanan et

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vous avez eu le même maître d'armes,Ian Maitland.

- C'est exact.- Lord Maitland dirige son clan avec

sagesse, commenta Brisbane.Otis hocha vigoureusement la tête.- Lord Buchanan dirige le sien avec

flamme. Quant à vous, lord Sinclair,vous possédez un sens aigu de la justice.Vous êtes un homme compatissant,monseigneur. Prenez pitié de nous,implora- t-il.

- Je ne suis à la tête des Sinclair quedepuis six mois, répliqua Ramsey.Comment pouvez-vous déjà juger moncaractère ?

- Vos actes parlent pour vous,monseigneur, dit Brisbane. Jason,Anthony et Foster gouvernaient le clandes Sinclair pendant la maladie de votrepère. Après sa mort, vous n'avez pas faitce qu'un autre héritier aurait fait à votreplace.

- Et qu'aurait-il fait ?

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- Remplacer ces trois hommes pard'autres dont il aurait été sûr de laloyauté.

- Nous sommes loyaux envers notreseigneur ! s'écria Jason, offensé.Oseriez-vous prétendre le contraire ?

- Non, bien sûr que non ! réponditaussitôt Brisbane. Je voulais simplementdire qu'un autre que lord Sinclair seserait montré moins... confiant et qu'ilaurait préféré se séparer d'hommes qu'ilpouvait considérer comme des rivauxpotentiels. C'est tout. Lord Sinclair atémoigné de son sens de la justice envous permettant de garder vos postesprestigieux.

- Comme je viens de vousl'expliquer, je n'ai hérité du titre quedepuis six mois, reprit Ramsey. Je doisd'abord m'assurer qu'il n'y a pas deproblèmes au sein de mon propre clan. Jecrois que le moment n'est pas très bienchoisi pour...

- Nous ne pouvons pas attendredavantage, monseigneur. Les Boswell

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nous ont déclaré la guerre, et la rumeurcourt qu'ils projettent de s'allier auxHamilton. Si cela se produisait, lesMacPherson seraient purement etsimplement anéantis.

- Qu'en pensent vos guerriers ?Accepteront-ils de jurer allégeance àlord Sinclair? demanda Jason.

- Sans la moindre hésitation, assuraOtis.

- Tous autant qu'ils sont? InsistaJason. Il n'y aura pas de dissident?

Otis et Brisbane échangèrent unregard, avant que le premier n'avoue :

- Quelques-uns de nos hommes sesont prononcés contre cette union. Avantde vous soumettre notre offre, nousavons procédé à un vote. Tout le mondes'est exprimé, y compris les femmes.

- Vous laissez vos femmes voter? fitJason, étonné.

Otis lui sourit.- Oui. Cela nous semblait normal,

puisque nos femmes seront aussiconcernées que nous par cette alliance.

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- Combien de vos guerrierss'opposent à cette union ? demandaRamsey.

- Une soixantaine, répondit Otis. Laplupart sont jeunes, voir très jeunes.

- La fierté a faussé leur jugement,suggéra Brisbane.

- Ils ont surtout été entraînés par unentêté du nom de Proster. Mais tous lesautres ont voté en faveur de l'alliance. Àune large majorité.

- Est-il possible que les dissidentsreviennent sur leur position ? S’enquitRamsey.

- Proster fera tout pour les enempêcher, admit Otis. Cependant, ilexiste un moyen de gagner leur loyauté.Un moyen très simple...

- Lequel ?- Que vous épousiez Meggan

MacPherson, déclara Brisbane.- La petite-fille de Lochlan ?- Pensez aux avantages que ce

mariage pourrait vous apporter, ajoutaOtis.

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- Mais si je refuse d'épouserMeggan?

- Eh bien, j'essaierai de vous fairechanger d'avis, répliqua tranquillementOtis. Ce mariage serait le plus sûr moyende renforcer notre alliance. Nous avonscruellement besoin de votre protection,lord Sinclair. Il y a deux semaines,David et Lucy Douglas ont étéassassinés. Leur seul crime était de s'êtreun peu éloignés de nos terres. Ilsvenaient tout juste de se marier.

- Si vous n'intervenez pas, mêmenos enfants seront tués, renchéritBrisbane.

Ramsey comprenait l'inquiétude desdeux vieillards. Il savait que les Boswellétaient prêts à tout pour agrandir leurterritoire. Leurs guerriers n'hésiteraientpas une seconde à tuer des enfants.

- Les Boswell sont des chacals,marmonna-t-il.

Jason, qui connaissait bien sonmaître, devinait que Ramsey s'apprêtait àaccepter l'offre de leurs visiteurs.

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- Ne préféreriez-vous pas réfléchir àvotre décision avant de la rendrepublique, monseigneur? suggéra-t-ilprudemment.

Ramsey hocha la tête, puis se tournade nouveau vers les MacPherson.

- Messieurs, je vous donnerai maréponse demain. Cela vous convient-il ?

Otis opina du chef et se leva.- Avec votre permission, nous

reviendrons donc demain pour que vousnous annonciez votre décision.

Brisbane retint son compagnon parle bras.

- Tu as oublié de lui parler de lacompétition.

- Quelle compétition ? S’enquitJason.

Otis s'empourpra légèrement.- Nous avons pensé que... hum...

pour ménager la fierté de nos guerriers,lord Sinclair pourrait concourir dans unesérie d'épreuves. Il serait plus simple derenoncer à notre nom si les Sinclair nous

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battaient, loyalement, au cours de joutessportives.

- Et si les MacPherson gagnaient?objecta Jason.

- Oh, ce n'est guère probable !répondit Otis.

- Mais si cela arrivait quand même ?Insista Jason.

- Dans ce cas, les Sinclair devraientrenoncer à leur nom. Lord Sinclairconserverait son titre, mais il deviendraitun MacPherson.

Jason était outré. Ramsey, enrevanche, ne semblait pas trouver cetteproposition choquante.

- Le nom des Sinclair est sacré,répliqua-t-il calmement. Mais, pourménager la fierté de vos guerriers, nouspourrions organiser des compétitionsentre vos hommes et les miens. LesMacPherson, qui auront prouvé leurforce et leur courage, gagneront le droitd'avoir des responsabilités dans monarmée.

Otis acquiesça.

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- Nous reviendrons demain pourconnaître votre réponse, dit-il.

- Que Dieu guide votre décision,ajouta Brisbane, avant de suivre soncompagnon hors de la tente.

Après leur départ, Ramsey donnalibre cours à son amusement.

- Cet Otis est un vieux renard. Ilaurait voulu gagner sur les deux tableaux: garder son nom, mais bénéficier de maprotection.

Jason ne partageait pas sa bonnehumeur.

- Ils réclament votre aide, mais ils sepermettent de poser leurs conditions.C'est scandaleux.

- Qu'en penses-tu, Anthony?demanda Ramsey.

- Je n'approuve pas cette union,répondit le soldat. Un homme prêt àrenoncer à son nom ne m'inspire que dudégoût.

- Je suis d'accord avec Anthony,intervint Foster d'une voix pleine de

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colère. Otis et Brisbane sontméprisables.

- Non, rétorqua Ramsey. Ce ne sontque deux vieillards habiles qui essaientde sauver leur clan. Je me doutais depuisun moment qu'ils viendraient sollicitermon aide et j'avais déjà réfléchi à laquestion. Et toi, Jason, es-tu favorable àcette alliance ?

- Je sais que vous l'êtes,monseigneur, répondit Jason. Votrecœur s'est laissé attendrir. Quant à moi,je vois surtout les problèmes que cettealliance entraînerait.

- Moi aussi, répliqua Ramsey.Cependant, Otis a raison : ils nousoffrent beaucoup en contrepartie. Etpuis, leur appel à l'aide est sincère.Peut-on l'ignorer?

Jason secoua la tête.- Les Boswell n'hésiteront pas à les

massacrer jusqu'au dernier. Toutefois,l'attitude de ce Proster et des autresdissidents m'inquiète.

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- Peut-être finiront-ils par changerd'avis. Quoi qu'il en soit, nous lessurveillerons de près.

- Autrement dit, vous avez déjà prisvotre décision...

- Oui, admit Ramsey.- La réaction de nos propres

guerriers m'inquiète également.Ramsey donna une tape amicale sur

l'épaule de son compagnon.- Nous nous en occuperons en temps

voulu. Pour l'instant, l'heure est auxréjouissances. Ian et Judith Maitlandsont arrivés hier, et je n'ai pas encore eul'occasion de les saluer. Allons les voirtout de suite.

- Il y a une affaire plus urgente àrégler, objecta Jason.

Ramsey congédia Anthony et Fosteravant de répondre à son bras droit.

- À en juger par ton sourire, cetteaffaire n'est pas d'une extrême gravité, jeme trompe ?

- Pour Dunstan Forbes, si. Ilaimerait épouser Bridgid KirkConnell.

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Ramsey haussa les sourcils.- Nous en sommes à combien,

désormais ?Jason éclata de rire.- En comptant la mienne, j'ai

recensé sept demandes en mariage. MaisDouglas prétend qu'il y en a déjà eu huit.

Ramsey se rassit et étendit sesjambes devant lui.

- Bridgid connaît-elle les sentimentsde Dunstan?

- Pas encore, répondit Jason. Maisj'ai pris la liberté de la convoquer. Elleattend dehors.

- Merci du cadeau.Jason rit à nouveau.- Bridgid est une très belle femme,

et j'avoue que j'ai plaisir à la regarder. Deplus, elle ne manque pas d'esprit. Hélas,elle est à peu près aussi têtue qu'unBuchanan. Tout bien considéré, je mefélicite aujourd'hui qu'elle ait repoussémon offre. Je n'aurais pas aimé vivreavec une épouse aussi difficile.

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Bien entendu, elle va égalementrefuser d'épouser Dunstan...

- Oui. Je crains que le malheureuxne rejoigne bientôt la cohorte des cœursbrisés.

- Tout cela est la faute de mon père.Il avait donné sa parole au père deBridgid qu'elle pourrait choisir son mari.Je trouve incroyable qu'il lui ait accordéle droit de décider seule de son avenir.

- Quoi qu'il en soit, vous n'avezguère le choix, répliqua Jason. Vous êteslié par le serment de votre père. Le pèrede Bridgid fut un vaillant guerrier et ilarracha cette promesse à notre seigneursur son lit de mort. Probablement ne sedoutait-il pas de l'obstination quemettrait sa fille à repousser tous lesprétendants.

Ramsey se releva et fit signe à Jasond'inviter Bridgid à entrer sous la tente.

- Et arrête de sourire, s'il te plaît.Pour Dunstan, c'est une affaire sérieuse,et nous allons la traiter comme telle.

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Après tout, Bridgid acceptera peut-êtrecelui-là.

- Oui, quand les poules auront desdents, rétorqua Jason.

Il souleva la porte de la tente,sembla hésiter et se retourna finalementvers son maître.

- Avez-vous déjà été ébloui par unefemme ? demanda-t-il.

- Jamais.- Eh bien, préparez-vous à l'être.Lorsque Bridgid KirkConnell

pénétra sous sa tente, quelques secondesplus tard, Ramsey admit en lui-mêmeque Jason avait eu raison de le mettre engarde. Bridgid était une jeune femmed'une rare beauté, avec de longs cheveuxcouleur de miel, des yeux étincelants etdes courbes parfaites. Ramsey étaitpresque surpris qu'elle n'ait encore reçuque sept demandes en mariage.

Elle esquissa une révérence et luisourit.

- Bonjour, lord Sinclair.Ramsey la salua d'un signe de tête.

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- Nous nous rencontrons enfin,Bridgid KirkConnell. À cause de votreentêtement, j'ai dû briser le cœur deplusieurs de mes guerriers. Jusqu'ici, jene savais pas pourquoi ces valeureuxhommes étaient si désireux de vousépouser. Maintenant, je les comprendsmieux.

La jeune femme le regardagravement.

- En réalité, nous nous sommes déjàrencontrés.

Ramsey secoua la tête.- Je vous assure que si je vous avais

déjà vue, je ne l'aurais pas oublié.- Pourtant, nous nous sommes déjà

rencontrés, je vous le jure, insistaBridgid. Et je m'en souviens comme sic'était hier. Vous étiez venu à la maisonpour le mariage de votre cousin. Pendantque mes parents assistaient au banquet,j'avais décidé d'aller nager dans le lac quiborde nos terres. C'est vous qui m'avezrepêchée.

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- Et pourquoi vous aurais-jerepêchée ?

- Parce que je coulais.- Vous ne saviez donc pas nager?

Intervint Jason.- Non, à ma grande surprise.Elle sourit à nouveau, et Ramsey

sentit son cœur s'emballer. Sa réactionl'étonna lui-même. Certes, la jeunefemme était particulièrement jolie, maisil n'était plus un gamin. Et il avait déjàconnu d'autres femmes tout aussi belles.Sans doute le charme irrésistible deBridgid tenait-il à son sourireétrangement innocent et sensuel...

- Si vous ne saviez pas nager,pourquoi avoir plongé dans le lac ?demanda Jason, perplexe.

Elle haussa les épaules.- Nager ne me semblait pas si

difficile que cela, et j'étais persuadée depouvoir me débrouiller.Malheureusement, je m'étais trompée.

- Vous étiez intrépide, commentaJason.

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- Non. J'étais simplementinconsciente.

- Vous n'étiez qu'une enfant, ditRamsey à son tour.

Bridgid se tourna vers lui.- Je comprends pourquoi vous ne

vous souvenez pas de moi. J'ai beaucoupchangé en grandissant. Cela dit, je nesuis pas entêtée, contrairement à ce quevous prétendez.

- Vous devriez être mariée depuislongtemps, rétorqua Ramsey. Mais vousavez fait la difficile en repoussant tousles candidats qui se sont proposés. Ils'agissait pourtant de bons et valeureuxguerriers.

- Je n'en doute pas.Ramsey avança d'un pas vers elle.

La jeune femme recula aussitôt. Ilréprima un sourire. Son refus de semarier était presque comique.

- Un autre guerrier a demandé votremain, annonça-t-il. Il s'appelle DunstanForbes. Le connaissez-vous ?

Elle secoua la tête.

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- C'est un homme d'honneur, et jesuis convaincu qu'il vous traiterait bien.

- Pourquoi ? fit-elle.- Pourquoi quoi ?- Pourquoi veut-il m'épouser? A-t-il

donné une raison ?Ramsey s'adressa à Jason :- T'a-t-il donné une raison?Jason hocha la tête.- Il vous trouve merveilleuse.À l'hésitation de Jason, Ramsey

comprit que celui-ci n'avait pas révélél'entière vérité.

- Répète-nous ses paroles exactes,lui ordonna-t-il Jason s'empourpra.

- Bridgid ne souhaite certainementpas les entendre, monseigneur.

- Je suis sûr que si, répliquaRamsey. Du reste, Dunstan attend denous que nous parlions à sa place.

Le soldat, embarrassé, toussota.- Eh bien... hum... Dunstan jure qu'il

vous adore. Il admire votre beauté etvénère même le sol que vous foulez.

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Dieu m'est témoin que ce sont sesvéritables paroles.

Ramsey sourit. Bridgid, elle, nepartageait pas son amusement. Elle sesentait blessée, mais s'obligea à n'en rienlaisser paraître. Comment lord Sinclairaurait-il pu deviner le secret qu'ellecachait dans son cœur?

- J'ai du mal à y croire,déclara-t-elle. Je ne connais même pascet homme, et il dit m'aimer!

- Dunstan est quelqu'un derespectable, répondit Jason. Je suispersuadé qu'il n'a pas fait sa demande àla légère.

- En tout cas, il s'est entiché de vous,intervint Ramsey. Acceptez-vous aumoins de réfléchir à sa proposition ?Peut-être qu'en le rencontrant et endiscutant avec lui, vous...

- Non, coupa la jeune femme. Je neveux pas le rencontrer et je n'ai nulbesoin de réfléchir à sa proposition.Dites à Dunstan que je le remercie,mais...

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- Mais quoi ? demanda Jason.- Mais je refuse de l'épouser.- Pourquoi ? S’enquit Ramsey, un

peu irrité.- Parce que je ne l'aime pas.- L'amour et le mariage sont deux

choses différentes. De toute façon, vouspourriez apprendre à l'aimer.

- J'aimerai l'homme que j'épouseraiou je ne marierai pas du tout, répliquaBridgid avec véhémence, avant dereculer à nouveau d'un pas.

- Quelle bêtise ! Comment veux-tudiscuter avec une femme aussi peurationnelle ? dit Ramsey à Jason.

- Impossible, monseigneur. Je medemande où elle a bien pu pêcher desidées pareilles.

Voir les deux hommes parler d'ellecomme si elle n'avait pas été là ulcéraBridgid, mais elle réprima sonmécontentement. Lord Sinclair était sonseigneur, et elle lui devait respect etobéissance.

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- Vous ne changerez pas d'avis surDunstan? lui demanda Ramsey.

Elle secoua la tête.- Non.- Décidément, vous vous comportez

en enfant gâtée, Bridgid.Cette fois, la jeune femme donna

libre cours à sa colère.- Je suis là depuis moins de dix

minutes, et vous avez déjà trouvé lemoyen de dire que j'étais entêtée, que jefaisais la difficile et que je mecomportais en enfant gâtée. Si vous nem'avez convoquée que pour m'insulter,j'aime autant aller rejoindre mon oncle etma tante.

Ramsey en resta bouche bée. C'étaitla première femme qui osait lui parlersur un ton pareil. En temps normal, ill'aurait punie pour son insolence, mais ilsongea soudain qu'elle n'était pasvraiment à blâmer. Il s'étaiteffectivement montré insultant à sonégard.

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- Vous ne devez pas manquer derespect à votre seigneur, déclara Jasond'un ton sévère. Votre père seretournerait dans sa tombe, s'il vousentendait.

Bridgid baissa la tête, mais Ramseyeut le temps de voir que des larmesperlaient à ses paupières.

- Laisse son père en dehors de cetteaffaire, dit- il à Jason.

- Mais elle pourrait au moinss'excuser, monseigneur!

- Pourquoi ? Je l'ai insultée sans levouloir. C'est moi qui lui dois desexcuses.

La jeune femme redressa la tête.- Vous vous excusez ?- Oui.Elle se détendit et lui adressa un

sourire radieux.- Dans ce cas, je regrette de m'être

emportée.Sur ces mots, elle esquissa une

révérence et quitta précipitamment latente.

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- Ce n'est pas une femme facile,commenta Jason après son départ. Jeplains celui qui finira par l'épouser. Leurmariage ne sera pas de tout repos.

Ramsey s'esclaffa.- Oui, mais certaines bagarres sont

excitantes.Jason parut étonné.- Auriez-vous l'intention de...Un cri interrompit sa question.

Jason se tourna vers la porte, juste aumoment où un jeune guerrier pénétraiten trombe sous la tente. C'était le filsd'Emmet MacPherson, Alan. Il semblaitsi bouleversé qu’on aurait juré qu'ilvenait de croiser le fantôme de son père.

- Monseigneur, il y a eu... un terribleaccident... aux rapides... balbutia-t-il.Votre frère... Michael...

Ramsey s'était déjà rué hors de latente lorsque Alan termina sa phrase :

- Michael est mort.

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2

En Angleterre, sous le règne du roi Jean

Son équilibre était précaire. Dans sahâte à fuir ses ravisseurs, l'enfant avaitenroulé autour d'un gros rocher le boutde corde qu'il avait pris dans un coin del'écurie, puis il avait confectionné unnœud solide, comme son oncle Ennis lelui avait appris. Ensuite, il avaitcommencé à se laisser glisser le long dela falaise, la corde accrochée à sonpoignet gauche. Il s'était souvenu, maistrop tard, qu'il aurait également dûattacher la corde autour de sa taille et seservir de ses pieds pour descendre,comme il avait vu des guerriers le fairele long des falaises de Huntley.

Mais il n'avait pas le temps deremonter pour mieux s'encorder. Lesrochers étaient aussi coupants que deslames, et son ventre et ses bras étaientdéjà écorchés en de multiples endroits.

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Le petit garçon devinait qu'il sortirait decette épreuve couvert de cicatrices, cequi ferait de lui un vrai guerrier. Cetteidée le réjouissait d'avance, mais il auraitquand même préféré arriver au mêmerésultat en ayant moins mal.

Malgré tout, il se promit de ne paspleurer, quelle que soit la douleur qu'ildevrait endurer. Mais, à mesure qu'ildescendait la falaise, les rochers setachaient de son sang, et la perspectived'une chute mortelle l'angoissait de plusen plus. Si son père était apparumaintenant, il l'aurait sans doute grondépour son imprudence, mais il l'auraitaidé à se tirer de ce mauvais pas.

- Oh, papa, j'aimerais tellement quetu sois là... gémit-il à voix haute.

Ses yeux s'emplirent de larmes, et ilcomprit qu'il allait pleurer comme unbébé. Il aurait voulu se réfugier sur lesgenoux de sa mère, pour qu'elle le serretrès fort contre lui et qu'elle lui murmuredes paroles de réconfort en luiébouriffant tendrement les cheveux.

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Penser à ses parents le rendit encoreplus malheureux, et il ne put retenir sespremiers sanglots. Son bras gauche, quitenait la corde, s'ankylosait, son ventre lebrûlait, mais il refoula la panique quimenaçait de s'emparer de lui. Sesravisseurs, là- haut, s'étaient sûrementlancés à sa poursuite.

Descendre au fond de la gorge serévélait plus compliqué qu'il ne l'avaitcru. Pourtant, il continua sa progression,n'osant pas trop regarder le vide quis'ouvrait sous ses pieds. Pour se donnerdu courage, il essaya de s'imaginer qu'ildescendait seulement le long d'un desgrands chênes du domaine familial. Sonpère lui avait dit qu'il était très doué pourgrimper aux arbres, même plus doué queGraham, son grand frère.

À bout de forces, il s'arrêta unmoment pour se reposer. Il jeta un coupd'œil au-dessus de sa tête et constataavec fierté qu'il avait déjà parcouru unebonne distance. Puis il se rendit compteque la corde commençait à s'effilocher

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par endroits, et sa fierté se changea eneffroi. À présent, il était certain de neplus jamais revoir ses parents.

Quand lady Gillian retrouva enfinl'enfant, sa poitrine la brûlait et le soufflelui manquait. Elle avait suivi la trace dupetit garçon à travers la forêt, courantaussi vite que ses jambes le luipermettaient. Lorsqu'elle avait atteint lafalaise et entendu ses gémissements, elleétait tombée à genoux de soulagement.Grâce à Dieu, l'enfant vivait encore.

Mais sa joie fut de courte durée : aumoment où elle voulut tirer sur la cordepour le remonter, elle s'aperçut que lechanvre s'était effiloché. La cordepouvait se rompre à tout instant. Ellen'osa même pas la toucher, de peur quele moindre frottement contre les rochersne la fasse céder.

Elle cria à l'enfant de ne plus bougeret s'allongea au bord de la falaise pourévaluer la situation. Le simple fait deregarder en bas lui donna le vertige.Comment, dans ces conditions,

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allait-elle sauver le gamin ? Retourner auchâteau prendre une corde demanderaittrop de temps. De plus, elle risquaitd'être surprise par un des soldatsd'Alford. En revanche, plusieurs pierressaillaient de la paroi rocheuse. N'importequel grimpeur expérimenté aurait pufacilement descendre cette falaise.

Mais Gillian n'était ni expérimentéeni particulièrement agile, et son vertigeaccroissait encore la difficulté d'une telleentreprise. Cependant, elle refusaitd'abandonner l'enfant. Si elle n'agissaitpas rapidement, la corde se romprait et lepetit garçon plongerait dans le vide.

Elle n'avait pas le choix. Ellemarmonna une courte prière et décida dedescendre la falaise. « Ne regarde pas enbas, se dit-elle en posant le pied sur lapremière pierre. Ne regarde surtout pasen bas ! »

Gillian aurait volontiers poussé uncri de joie chaque fois qu'elle posait lepied sur une nouvelle pierre. Pour serassurer, elle tenta de s'imaginer qu'elle

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descendait tout simplement un escalier.Quand elle parvint à la hauteur del'enfant, elle appuya son front contre laroche et remercia Dieu de lui avoirpermis d'arriver jusque-là sansdommages.

Puis elle se tourna lentement vers lepetit garçon. Il n'avait sans doute pasplus de six ans, mais il luttaitdésespérément pour garder courage. Lacorde était enroulée autour de sonpoignet gauche, et il brandissait unepetite dague de sa main libre.

Gillian était sa seule chance desurvie. Pourtant, de toute évidence, il seméfiait d'elle. Chaque fois qu'elleessayait de lui attraper la main, il luidonnait un coup de dague qui luientaillait le bras.

- Cesse ces idioties et laisse-moit'aider ! lança-t-elle. Tu n'as vraimentaucun bon sens. Tu ne te rends pascompte que ta corde s'apprête à céder?

La sévérité de son ton surpritl'enfant, qui surmonta enfin sa panique.

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En voyant le sang couler du bras de lajeune femme, il prit soudain consciencede ce qu'il avait fait et jeta sa dague dansle ravin.

- Je... je m'excuse, dit-il enhoquetant. Je n'aurais pas dû frapper unelady.

- Tu veux bien que je t'aide, alors ?demanda Gillian.

Avant qu'il ait eu le temps derépondre, elle s'empressa d'ajouter :

- Arrête de gigoter, sinon la corde vase rompre !

- Oui, madame, dépêchez-vous.De la main droite, Gillian s'agrippa

à une pierre, tandis qu'elle tendait le brasgauche pour attraper l'enfant. Elle venaitde l'attirer à elle lorsque la corde céda. Sile petit garçon n'avait pas déjà eu un piedsolidement posé sur le rocher en saillieoù Gillian se tenait elle-même, ilsseraient tombés tous les deux dans leravin. Gillian serra l'enfant contre elle etpoussa un soupir de soulagement.

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- Vous êtes arrivée juste à temps,remarqua l'enfant.

Il se débarrassa du bout de cordeencore accroché à son bras et le jeta dansle vide. Quand il voulut se tourner pourcontempler sa chute, Gillian le retintfermement et lui ordonna de ne pasbouger.

- Nous avons déjà réussi un belexploit, dit-elle d'une voix tremblante.Mais ce n'est pas terminé.

- Vous avez peur, madame ?- Oh, oui, j'ai peur ! Je vais te lâcher,

maintenant. Reste bien plaqué contre laparoi. De mon côté, je vais commencer àremonter et...

- Mais nous devons continuer àdescendre ! protesta l'enfant.

- Je t'en prie, ne dis pas de sottises.Nous ne pourrons jamais atteindre lefond du ravin. Le bas de la falaise estlisse. Il n'y a plus aucune pierre quidépasse de la paroi.

- Peut-être que si vous alliezchercher une bonne corde, nous...

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- C'est hors de question, coupaGillian.

Des deux mains, elle agrippa lapierre qui se trouvait au-dessus de sa têteet entreprit de se hisser dessus. Maistoute force semblait avoir déserté sesbras, et elle ne parvint pas à grimper.

- Vous savez quoi, madame ?- Chut! ordonna Gillian, qui se

concentrait pour faire une autretentative.

- Mais vous savez quoi ?- Non, quoi ? répondit-elle en

s'adossant à la falaise, le souffle court.- Il y a une grosse saillie, juste en

dessous de nous. Nous pourrions nouslaisser tomber dessus. Regardez,madame, ce ne sera pas difficile.

- Je ne veux pas regarder en bas.- Si vous ne regardez pas en bas,

vous ne verrez pas de quoi je parle. Unefois sur cette saillie, nous pourrions...

- Non ! Coupa Gillian, qui tenta unenouvelle fois d'escalader la paroi.

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Si elle franchissait cette premièreétape, elle réussirait à remonter jusqu'aubord de la falaise, elle en était sûre.

Le petit garçon l'observait.- Vous n'avez pas la force de

monter?- J'ai bien peur que non.- Je vais vous aider...- Surtout pas ! Reste où tu es et ne

bouge pas.Gillian essaya encore de se hisser

sur la pierre, sans succès.- Vous savez quoi, madame ?Cet enfant ne se taisait donc jamais

?- Non, quoi ?- Nous ferions mieux de descendre.- Je préfère qu'on remonte.- Oui, mais vous n'y arrivez pas.- Un peu de patience, s'il te plaît.

Accorde-moi une minute, et je vaisrecommencer.

- Vous n'arrivez pas à grimper àcause de votre bras. C'est ma faute. Je

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n'aurais pas dû vous donner des coups dedague. Mais j'avais peur.

Il semblait sur le point de fondre enlarmes, et Gillian s'empressa de l'apaiser.

- Ne parlons plus de cela, dit-elle.Elle se lança de nouveau à l'assaut

de la paroi, mais elle fut obligée derenoncer très vite et poussa un soupir defrustration.

- Je crois que tu as raison,déclara-t-elle. Nous allons plutôt essayerde descendre. Très lentement, la jeunefemme se retourna et, dos à la falaise, sebaissa pour s'asseoir au bord du rocheren surplomb. Le garçon l'imita.

- On saute, maintenant?proposa-t-il.

Décidément, cet enfant étaitinconscient ! Songea Gillian.

- Non. Pas question de sauter. Nousallons descendre tout doucement, ennous laissant glisser contre la paroi.

Après une autre courte prière,Gillian joignit le geste à la parole, suiviede son jeune compagnon. La distance

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qui séparait les deux saillies n'était pastrès importante, mais le petit garçonmanqua perdre l'équilibre. Gillian lerattrapa juste à temps. Il se serra dans sesjupes, tout tremblant.

- J'ai bien failli tomber, dit-il.- Oui. Mais c'est fini, maintenant.

Nous sommes en sécurité, ici.- Nous ne descendons pas plus ?- Non. Pour l'instant, nous ne

bougeons pas.Ils restèrent agrippés l'un à l'autre

quelques minutes, le temps que l'enfantse remette de ses émotions. Puis ilabandonna la jeune femme et partitexplorer le rocher où ils avaient atterri. Àl'une des extrémités, la pierre formaitune cavité naturelle. Le petit garçons'accroupit et fit signe à Gillian de lerejoindre.

La jeune femme secoua la tête.- Je suis très bien où je suis.- Il va pleuvoir, et vous allez être

trempée. Ce n'est pas difficile. Il suffitjuste de ne pas regarder en bas.

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Comme pour confirmer ses paroles,un coup de tonnerre résonna au loin.

Gillian se risqua donc à suivre leconseil de l'enfant. Par endroits, lerocher atteignait à peine une trentaine decentimètres de large. La jeune femmeavançait à pas comptés, son cœurtambourinant dans sa poitrine. Elle ne serappelait pas avoir eu aussi peur de savie. L'enfant, en comparaison, semontrait beaucoup plus courageuxqu'elle.

Finalement, elle réussit à lerejoindre.

- Vous avez peur de regarder enbas? lui demanda-t-il, tandis qu'ilpenchait la tête au-dessus du vide.

Gillian le tira vivement en arrière.- Ne fais pas ça !- Mais je voulais juste cracher, pour

voir où ça tombait...- Reste assis à côté de moi et

tiens-toi tranquille. J'ai besoin de calmepour réfléchir.

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- Mais pourquoi avez-vous peur deregarder en bas?

- J'ai peur, c'est tout.- Vous allez vomir? Vous êtes toute

verte.- Non, je ne vais pas vomir.- Mais de quoi avez-vous peur?Seigneur Dieu ! Ne la laisserait-il

donc pas une minute en paix ?- Pourquoi me poses-tu toutes ces

questions ?Il haussa les épaules.- J'en sais rien.- Eh bien, moi, je ne sais pas

pourquoi j'ai peur de regarder en bas.Mais ça a toujours été comme ça. Mêmede la fenêtre de ma chambre, j'ai levertige si je me penche trop.

- Est-ce que toutes les damesanglaises sont comme vous ?

- Je suppose que non.- La plupart sont chétives et faibles,

décrétât-il avec autorité. C'est mon oncleEnnis qui me l'a dit.

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- Ton oncle se trompe. En général,une femme peut faire autant de chosesqu'un homme.

L'enfant dut trouver sa remarqueamusante, car il partit d'un grand riresonore. Gillian était stupéfaite de voir ungarçon de cet âge se montrer aussiarrogant.

- Comment vous appelez-vous,madame? lui demanda-t-il, une fois qu'ileut repris son calme.

- Gillian.Comme elle ne lui retournait pas la

question, il s'étonna :- Vous ne voulez pas savoir mon

nom ?- Je le connais déjà. J'ai entendu les

soldats parler de toi. Tu t'appellesMichael et tu appartiens au clan dirigépar lord Sinclair. Tu es son frère.

Le garçon secoua la tête avecvéhémence.

- Michael n'est pas mon vrai nom.Nous nous amusions à un jeu quand des

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hommes m'ont attrapé et m'ont enfermédans un sac en toile.

- Tu as dû avoir très peur, ditGillian.

Sans lui laisser le temps derépondre, elle ajouta :

- Mais pourquoi ne m'as-tu pasattendue dans l'écurie? Tu aurais put'enfuir beaucoup plus facilement si tum'avais écoutée. Et pourquoi m'as-tublessé le bras? Tu avais pourtant comprisque j'étais ton amie. Rappelle-toi, c'estmoi qui t'ai ouvert la porte de l'écurie. Siseulement tu m'avais fait confiance...

- Il ne faut jamais faire confianceaux Anglais, déclara le petit garçon d'unton péremptoire.

- C'est ton oncle Ennis qui t'a dit ça?- Non, c'est mon oncle Brodick.

Mais je le savais déjà.- Alors, tu n'as pas confiance en moi

?- Si, peut-être. En tout cas, je ne

voulais pas vous blesser. Ça vous faitmal ?

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Gillian avait très mal au bras, maiselle préféra n'en rien dire à l'enfant, depeur de l'inquiéter davantage.

- Ça ira, répondit-elle. Mais jedevrais peut-être essayer d'arrêter lesaignement.

Elle déchira un morceau de sonjupon, qu'elle enroula autour de sablessure. L'enfant l'aida ensuite à nouerson pansement de fortune.

- Voilà, c'est parfait.- Vous savez quoi ?Gillian soupira.- Non, quoi ?- Je me suis coupé aux doigts, sur le

torse et sur le ventre.Son visage s'était illuminé. Avec ses

boucles brunes et ses jolis yeux gris, ilétait très beau, même si son nez et sesjoues étaient couverts d'égratignures.

Il releva sa tunique pour lui montrerqu'il disait vrai.

- J'aurai plein de cicatrices.- Ça m'étonnerait, répliqua Gillian.

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En voyant son air chagriné, ellereprit aussitôt :

- Tu en auras peut-êtrequelques-unes, tout compte fait. Tuaimerais bien, n'est-ce pas ?

Il hocha vigoureusement la tête.- Oh, oui!- Pourquoi ?- Tous les guerriers portent des

cicatrices. Ce sont des preuves decourage.

Il était si sérieux que Gillian n'osapas rire.

- Tu es très courageux, déclara-t-elle.Mais quand nous serons de retour auchâteau, je demanderai à une domestiquede mettre de la pommade sur teségratignures. Les vieilles servantesdoivent se souvenir de moi, ajouta-t-elleà mi-voix.

- Mais nous n'allons pas retournerau château ! protesta-t-il.

- Essaie de comprendre, dit Gilliand'une voix douce. Ce rocher ne mènenulle part. Nous sommes prisonniers de

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la falaise. Nous n'avons plus qu'àattendre que les soldats nous retrouvent.

- Je pourrais descendre jusqu'à...- Non, coupa Gillian. Je t'ai déjà

expliqué que le bas de la falaise était troplisse.

L'enfant avait les larmes aux yeux.- Mais je ne veux pas retourner au

château. Je veux rentrer chez moi !Gillian hocha la tête.- Je sais. Et je te promets de t'aider à

trouver un moyen de rentrer chez toi. Jet'en donne ma parole.

L'enfant ne semblait pas convaincu.- Mon oncle Ennis dit que les

Anglais ne tiennent jamais leurspromesses.

- J'aimerais beaucoup rencontrer tononcle un de ces jours, histoire d'avoirune petite discussion avec lui.

L'enfant s'esclaffa.- Il refuserait de vous adresser la

parole.Puis il reprit son sérieux et changea

de sujet.

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- J'avais l'intention de vous attendredans l'écurie, mais un monsieur est entré.J'ai eu peur et je me suis enfui.

- Quel monsieur? Le baron ?- Un monsieur très laid avec une

barbe rousse.- C'était bien le baron.- Pendant que j'étais caché dans un

arbre, je l'ai vu partir avec deux autrescavaliers. Peut-être qu'il ne reviendra pas?

- Si, il reviendra, répondit Gillian,qui ne voulait pas donner de faux espoirsà l'enfant. Demain, après-demain au plustard.

L'enfant s'assombrit. Gillian eut lecœur serré. Les petits garçons de son âgepassaient leur temps à courir et às'amuser avec leurs amis. Mais celui-ciavait été enlevé à sa famille pour servirles plans machiavéliques du baronAlford.

- Vous avez encore peur, Gillian ?- Non.- Moi, je n'ai jamais peur.

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- Jamais ?- Presque jamais, admit-il.- Quel âge as-tu ?- Bientôt sept ans.- Tu es très courageux pour ton âge.- Je sais, répliqua-t-il avec un

naturel désarmant. Pourquoi cesétrangers m'ont-ils enlevé ? J'ai faitquelque chose de mal ?

- Non, tu n'as rien fait de mal. Cen'est pas ta faute. Le baron veut quelquechose et il t'utilise pour l'obtenir.

- Je sais ce qu'il veut, déclarafièrement l'enfant. Mais il ne l'aurajamais, parce que mon papa l'enverrabrûler en enfer.

Et il ajouta, un sanglot dans la voix :- Mon papa et ma maman me

manquent.- Je m'en doute. Ils doivent te

chercher partout.- Non, sûrement pas. Ils croient que

je suis mort.- Pourquoi penseraient-ils une chose

pareille ?

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- J'ai entendu le baron parler à sessoldats.

- Alors, tu connais ses plans ?demanda vivement la jeune femme.

- Oui. Ses hommes et lui ont décidéde raconter que je m'étais cogné la têtecontre un rocher, puis que j'avais coulédans les rapides. Ma maman doitbeaucoup pleurer.

- Pauvre femme...- Je suis sûr que je lui manque

beaucoup.- C'est évident. Mais imagine sa

joie, quand elle te verra revenir sain etsauf. À présent, reprit-elle d'un ton qui sevoulait détaché, peux-tu me répéter ceque le baron a dit d'autre ?

- En fait, j'ai entendu tout ce qu'ils seracontaient. Et vous savez pourquoi ?Parce que je n'ai pas ouvert la bouchedevant eux, pour qu'ils pensent quej'étais muet.

- C'était très intelligent de ta part,répondit Gillian. Maintenant, dis-moi

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tout ce que tu as appris, en prenant bienton temps, pour ne rien oublier.

- Le baron a perdu une boîte, il y atrès longtemps. Mais aujourd'hui, il croitsavoir où elle se trouve. Un homme lui arévélé l'endroit où elle était cachée.

- Quel homme ? Le baron a-t-il ditson nom ?

- Non. En revanche, la boîte a undrôle de nom, mais je ne m'en souvienspas.

Gillian avait la gorge sèche. Àprésent, elle comprenait pourquoi Alfordl'avait forcée à revenir à Dunhanshire.

- Arianna, murmura-t-elle. Il l'aappelée la boîte d'Arianna, n'est-ce pas ?

- Oui ! s'exclama le garçon, toutexcité. Comment connaissez-vous sonnom ?

Gillian était trop angoissée pour luirépondre immédiatement. SeigneurDieu! Alford avait-il retrouvé Christen ?

- Ma sœur vit dans les Highlands,déclara-t-elle à brûle-pourpoint. Et je...

- Où ça, dans les Highlands ?

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- Je ne sais pas exactement.- Mais...- Quand je saurai précisément où

elle habite, j'irai la rejoindre, coupaGillian.

- Comment se fait-il que votre sœurvive dans les Highlands, et pas vous ?

- Parce que j'ai été kidnappée, il y alongtemps, expliqua Gillian. Je n'étaisencore qu'une toute petite fille lorsqueles soldats du baron ont attaquéDunhanshire. Mon père avait essayé denous mettre à l'abri, ma sœur et moi,mais dans le chaos, j'ai été séparée deChristen.

- Votre sœur est perdue ?- Non. Elle a été conduite en Écosse

par un des hommes de confiance de monpère. Mon oncle Morgan a tout tentépour la retrouver, mais il n'a pu suivre satrace que jusque dans les Highlands.Pour l'instant, j'ignore où elle vitexactement, mais je ne désespère pas dele découvrir un jour.

- Elle vous manque ?

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- Oui, beaucoup, même si je ne l'aipas revue depuis le jour de notreséparation. Si je la rencontraisaujourd'hui, je ne la reconnaîtraispeut-être pas. Mon oncle Morgan m'aexpliqué que la famille qui l'avaitrecueillie lui avait probablement donnéun autre nom, pour la protéger.

- Pour la protéger du baron ?- Oui. Mais je suis sûre que ma sœur

se souvient de moi, elle aussi.Le silence s'installa, jusqu'à ce que

l'enfant reprenne la parole.- Vous savez quoi ?- Quoi?- Mes oncles refuseraient de vous

renseigner, sauf si mon oncle Brodickles y autorisait.

- Et pourquoi refuseraient-ils de meparler?

L'enfant la gratifia du regard apitoyéqu'on réserve d'ordinaire aux simplesd'esprit. Gillian le trouva à la fois sicomique et si attendrissant qu'elle dut seretenir de le serrer dans ses bras.

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- Parce que vous êtes anglaise !S’exclama-t-il avec un soupir exaspéré.

Changeant de sujet, il ajouta :- La nuit tombe. Est-ce que vous

avez aussi peur du noir ?- Non, je n'ai pas peur du noir.Il se rapprocha d'elle et lui prit la

main.- Vous sentez comme ma maman.- Et alors, c'est agréable ?- Oh, oui!Il avait parlé d'une petite voix

étranglée, qui fit craindre à Gillian unnouvel accès de chagrin.

- Le baron ne nous trouverapeut-être jamais ?

- Ses soldats finiront bien parapercevoir le bout de corde restéaccroché au rocher, assura Gillian.

- Je ne veux pas retourner là-bas.Cette fois, il fondit en larmes.

Gillian le serra contre elle et l'embrassasur le front pour l'apaiser.

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- Je te promets que tout ira bien,dit-elle, et que je t'aiderai à rentrer dansta famille.

- Mais vous n'êtes qu'une femme,protesta-t-il en sanglotant.

Gillian renonça à combattre lespréjugés de l'enfant. Dans l'immédiat,mieux valait essayer de lui redonnerespoir.

- Tu ne crois pas que ton oncle Ennisse doutera que tu n'es pas mort, si on neretrouve pas ton corps ?

L'enfant redressa la tête et s'essuyales joues du revers de là main.

- Si. Et mon oncle Brodick aussi.C'est le seigneur des Buchanan, et tout lemonde sait que les Buchanan sont lesplus tenaces des guerriers. Mon oncleBrodick est mon champion.

- Qu'est-ce qu'un champion?- C'est un protecteur. En Écosse,

chaque fois que naît un petit garçon ouune petite fille, on désigne parmi lesgrandes personnes celui qui sera sonchampion. Oncle Brodick est le mien. Il

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doit veiller tout le temps sur moi, pours'assurer qu'il ne m'arrive rien. Peut-êtrebien qu'oncle Brodick me retrouveraavant mon père.

- C'est probable, approuva Gillianavec force. Et maintenant, si tu posais tatête sur mes genoux et que tu fermes lesyeux pour dormir un peu ?

- Vous ne partirez pas pendant queje dormirai ?

- Et où voudrais-tu que j'aille ?Il sourit.- Oui, c'est vrai... Au fait, le baron

était furieux que vous ne sachiez pas oùvit votre sœur.

- Pourquoi ne m'as-tu pas dit celatout à l'heure ?

- Je n'y pensais plus.- Qu'a-t-il dit d'autre ? demanda

Gillian, suspendue à ses lèvres. Essaie dete souvenir de tout.

- Je me rappelle qu'il a dit que votreroi cherchait la boîte, lui aussi. Mais lebaron prétendait qu'il serait le premier à

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mettre la main dessus. C'est tout ce dontje me souviens, conclut l'enfant.

Après quelques secondes de silence,il ajouta à voix basse :

- Je voudrais que mon papa arrive,maintenant.

- Je t'en prie, ne pleure pas, réponditGillian en le serrant à nouveau dans sesbras. Un grand garçon comme toi, qui adeux champions, ne devrait pas pleurer.

- Je n'ai qu'un champion,corrigea-t-il.

- Non, deux. Ton oncle Brodick etmoi. Je te protégerai jusqu'à ce que tusois rentré chez toi.

- Mais une femme ne peut pas êtreun champion.

- Bien sûr que si.Il étudia longuement cette

possibilité, puis finit par hocher la tête.- D'accord. Mais alors, il faut que

vous me donniez quelque chose.- Ah, bon ?Il hocha encore la tête.

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- Un champion donne toujoursquelque chose d'important au petitgarçon ou à la petite fille qu'il est chargéde protéger. Donc, il faut que vous medonniez quelque chose, répéta-t-il.

- Que t'a donné ton oncle Brodick?- Sa meilleure dague. Papa avait fait

confectionner un étui en cuir pour laranger et je l'avais apportée au festival.Mais je ne l'ai plus, maintenant.

- Tu l'as perdue ?- Un soldat du baron me l'a

confisquée. Il l'a posée sur le coffre de lagrande salle du château.

- Nous tâcherons de la récupérer,promit Gillian.

- Mais vous, qu'allez-vous medonner ? Insista l'enfant.

Gillian tendit la main.- Tu vois cet anneau ? Je le chéris

tout particulièrement.Le crépuscule empêchait l'enfant de

bien distinguer l'anneau. Il prit la mainde la jeune femme dans la sienne etl'approcha de ses yeux.

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- C'est joli, dit-il.- Il appartenait à ma grand-mère.

Mon oncle Morgan me l'a offert à mondernier anniversaire. Je le nouerai à unde mes rubans pour l'accrocher à toncou. Tu le porteras sous ta tunique, pourque le baron ne remarque rien.

- Je pourrai le garder toute ma vie ?- Non. Quand j'aurai tenu ma

promesse de te ramener sain et sauf cheztoi, tu me le rendras. Maintenant, fermeles yeux et essaie de dormir. Pour techanger les idées, pense à la joie de tesparents lorsqu'ils te reverront.

- Maman pleurera de bonheur. Papasera content, lui aussi. Mais il nepleurera pas, parce que les guerriers nepleurent jamais. Malheureusement, il nesera pas content très longtemps, parcequ'il faudra bien que je lui avoue que jelui ai désobéi.

- Comment cela ?- Il m'avait interdit de m'approcher

des rapides, à cause des rochers tropglissants et du courant. Mais j'y suis

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quand même allé avec mon copain.Quand mon papa l'apprendra, il sera foude rage.

- Tu as peur de ton père ?- Non ! Je n'aurai jamais peur de

mon père.- Alors, pourquoi te fais-tu du souci

?- Parce qu'il me punira.- Comment te punira-t-il ?- Il refusera peut-être que je monte à

cheval avec lui pendant plusieurssemaines. Ce serait le pire. J'adorechevaucher sur ses genoux, parce qu'ilme laisse tenir les rênes.

Gillian lui caressa l'épaule et lui ditde ne plus s'inquiéter. Mais l'enfantn'avait pas confessé tous ses péchés.

- Il faudra aussi que j'avoue à papace que nous avons fait, avec Michael.

- Ton ami s'appelle Michael, luiaussi ?

- Mon ami est Michael. Je vous aiexpliqué que nous avions imaginé unjeu.

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- Ton père se moquera bien desavoir à quoi vous pouviez jouer,crois-moi.

- Mais...- Dors ! ordonna Gillian.Il resta silencieux pendant quelques

minutes. Gillian, pensant qu'il s'étaitendormi, s'apprêta à réfléchir à deschoses plus importantes.

- Vous savez quoi ?La jeune femme soupira. Combien

de fois avait-elle entendu ces trois mots,depuis qu’elle avait rencontré l’enfant ?

- Non, quoi ?- Je vous aime bien. Pourtant, je

déteste la plupart des Anglais. Mononcle Ennis les hait tous. D'après lui, sivous serrez la main d'un Anglais, vousrisquez d'y perdre vos doigts. C'est vrai ?

- Non, ce n'est pas vrai.- Vous regrettez d'être anglaise ?- Je regrette seulement qu'Alford le

soit.- C'est un idiot. Et vous savez

pourquoi ?

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Gillian comprit qu'il ne la laisseraitpas en paix tant qu'il ne lui aurait pas dittout ce qu'il avait en tête.

- Non, pourquoi ? demanda-t-ellepatiemment.

- Parce qu'il croit que je suisMichael.

La jeune femme se raidit.- Tu n'es pas Michael ?Il se redressa et s'assit face à elle.- Non. Michael, c'est mon copain. Je

me tue à vous l'expliquer depuis tout àl'heure. Cette andouille de baron croitque je suis le frère de lord Sinclair, maisson vrai frère, c'est mon copain,Michael. Quand j ai été enlevé, nousnous amusions à jouer le rôle de l'autre.Nous avions échangé nos kilts, pour voircombien de temps les autres mettraient às'en apercevoir. Le soir, nous avionsprévu d'aller chacun dans la tente del'autre. Michael dans celle de mesparents, et moi dans celle de lordSinclair.

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- Ô mon Dieu... murmura Gillian,atterrée.

Ce pauvre enfant innocent n'avaitaucune idée des conséquences de ce petitjeu. Et il s'inquiétait de la punition quelui infligerait son père, alors qu'undanger bien plus grand le menaçait ! Dèsqu'Alford découvrirait la supercherie -ce qui ne tarderait pas -, il entrerait dansune rage folle et se vengerait sur l'enfant.

Elle posa la main sur l'épaule dupetit garçon.

- Écoute-moi bien, murmura-t-elle.Tu ne dois répéter à personne ce que tuviens de me dire. Jure- le-moi.

- Je le jure.Malgré les éclairs qui déchiraient le

ciel dans le lointain, il n'y avait pas assezde lumière pour que Gillian puissedistinguer le visage de l'enfant. Ellel'attira vers elle et croisa son regard.

- Qui es-tu, alors ?- Je m'appelle Alec.- Alec... répéta Gillian, qui ne s'était

pas encore remise de sa surprise.

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L'enfant, lui, avait déjà retrouvé lesourire.

- Le baron est un idiot, hein? Il akidnappé le mauvais garçon.

- Dis-moi, Alec, ton ami a-t-il vu leshommes d'Alford t'emmener avec eux?

L'enfant prit l’air concentré, commes'il essayait de se rappeler ledéroulement exact des événements.

- Non. Michael était retourné danssa tente chercher son arc et ses flèches.C'est à ce moment- là que les étrangersm'ont sauté dessus. Je ne pense pas qu'ils'agissait de soldats du baron, parcequ'ils portaient tous des kilts.

- Combien étaient-ils ?- Je ne sais pas... Peut-être trois.- C'étaient sans doute des traîtres

écossais en cheville avec le baron,marmonna Gillian, qui se passaitnerveusement la main dans les cheveux.Tout se complique.

- Qu'arrivera-t-il si le barondécouvre que je ne suis pas Michael ? Ilsera furieux, n'est-ce pas ? Il enverra

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peut-être ses hommes kidnapper moncopain. J'espère qu'ils ne mettront pasMichael dans un sac en toile. On étouffe,là-dedans.

- Il faudra qu'on trouve un moyen deprévenir la famille de Michael du dangerqui le menace.

Gillian tentait désespérément decomprendre ce que manigançait Alford.

- Michael va bien finir par raconter àquelqu'un la petite comédie que vousaviez imaginée, non ? reprit-elle.

- Il aura peut-être trop peur pour toutavouer.

- Quel âge a Michael ?- À peu près mon âge, je pense.

Vous savez quoi? Il a dû se débarrasserde mon kilt. À sa place, j'aurais fait lamême chose. Michael craint son grandfrère, il le connaît à peine. Il n'osera paslui parler de notre jeu. D'ailleurs, c'estmoi qui ai insisté pour qu'on échange nosvêtements. Michael disait que ça nousattirerait des ennuis.

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- Je voudrais que tu arrêtes deculpabiliser, Alec. Tu n'as rien fait demal et tu n'as rien à te reprocher.Pourquoi n'essaies-tu pas enfin dedormir? J'aimerais bien pouvoir réfléchirtranquillement.

Sur ces mots, Gillian ferma lesyeux, pour décourager l'enfant de poserune autre question. Mais c'était tropespérer.

- Vous savez quoi ?Comme elle ne répondait pas, il tira

sur sa manche.- Vous savez quoi ?Gillian capitula.- Quoi?- J'ai une dent qui bouge.Pour prouver qu'il disait vrai, il prit

la main de la jeune femme et lui fittoucher une de ses incisives de la pointede l'index.

- Regardez comme elle bouge quandon appuie dessus ! A mon avis, elletombera demain.

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Il semblait attendre cet événementavec une réelle impatience. Ceci, tout àcoup, le ramenait à sa dimension de petitgarçon. Il posa la tête sur les genoux deGillian, qui lui caressa la nuque.

- J'aurais aimé montrer ma dent àmon copain, dit-il. Michael appartient auclan des Sinclair, précisa-t-il, au cas oùGillian l'aurait oublié.

- Et toi, d'où viens-tu ?Le garçon se rengorgea.- Je suis le fils de Ian Maitland.

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Alford aimait s'amuser,particulièrement lorsque le jeu étaitcruel.

De ce point de vue, cette soirée dedimanche s'annonçait prometteuse.Pourtant, la journée avait bien malcommencé. En rentrant à Dunhanshireun peu avant midi, trempé jusqu'aux os àcause (d'un orage diluvien qui l'avaitsurpris en route, une mauvaise nouvellel'attendait : lady Gillian avait aidél'enfant à s'échapper. Pour se passer lesnerfs, Alford avait violemment frappé auvisage le soldat venu lui apprendre lafuite des prisonniers. Fort heureusement,ses hommes avaient enfin réussi àretrouver la trace des fugitifs et lesavaient ramenés au château. À présent,la jeune femme et l'enfant se tenaientdevant lui, à sa merci.

Alford savourait cet instant. Ilaimait lire la peur dans le regard de ses

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prisonniers et prenait un malin plaisir àles laisser imaginer quelle torture il leurréservait.

L'enfant - le petit frère de lordSinclair - n'était qu'un simple d'espritincapable de parler, peut-être même depenser. Il paraissait malgré tout terroriséet s'était réfugié dans les jupes de ladyGillian. Celle-ci, en revanche, semontrait plus retorse. Elle gâchaitpresque le plaisir du baron, car elle nesemblait pas le moins du monde inquiètedu sort qui l'attendait. Mais ce n'étaitqu'une façade, bien sûr.

Cette garce, cependant, le mettaitmal à l'aise, et Alford se maudissait de nepas avoir le cran de soutenir son regard.Livrer bataille au milieu de ses soldatsl'intimidait moins que de se retrouverface à cette frêle jeune femme. Il avaitbeau savoir qu'il pouvait à tout momentdécider de sa vie ou de sa mort, d'unsimple geste de la main, il avait tout demême l'impression que le contrôle de lasituation lui échappait. Alford n'avait pas

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oublié le regard de pure haine que ladyGillian lui avait lancé lorsqu'il avaitordonné, bien des années plus tôt, qu'ellesoit déportée dans le nord du pays. Ellen'était pourtant qu'une fillette, àl'époque. Alford n'ignorait pas qu'ellel'avait vu tuer son père, mais il s'étaitpersuadé qu'avec le temps elle finiraitpar oublier cette scène. Il n'en était plussi sûr, à présent. La haine de Gillian, sipalpable, l'effrayait presque, à tel pointque sa main tremblait quand il attrapason verre de vin.

D'ordinaire, il ne buvait jamais enpublic. Il trouvait refuge dans l'alcooldepuis des années, mais il s'était toujoursefforcé de ne boire que lorsqu'il étaitseul. Néanmoins, ce soir, il faisait uneentorse à la règle qu'il s'était imposée. Ilavait besoin du vin pour apaiser sa rageet cette étrange angoisse qui l'habitait.

Assis au centre de la grande table,Alford était entouré de ses compagnonshabituels, le baron Hugh de Barlowe etle baron Edwin de Bald. Alford se

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déplaçait rarement sans ses deux fidèlesamis, qui approuvaient ses crimes, yparticipaient souvent et, pour cetteraison même, ne songeraient jamais à letrahir, car ils étaient largement aussicoupables que lui.

Gillian et l'enfant n'avaient rienmangé depuis la veille. Alford devinaitqu'ils étaient affamés et prenait un plaisirsadique à se régaler devant eux avec sesamis. La table était surchargée de metsrecherchés : gibiers rôtis, plats en sauce,fromages et gâteaux. Les domestiquess'ingéniaient à varier les menus poursatisfaire l'appétit glouton de leur maître.

Gillian assistait à ce spectacle avecun dégoût grandissant. Devant elle, il yavait largement de quoi nourrir unearmée entière, mais la jeune femmefinissait par oublier les cris deprotestation de son estomac. Regarderces trois porcs s'empiffrer lui ôtait touteenvie de manger. Elle se demandaitlequel elle trouvait le plus répugnant.Hugh, avec ses grandes oreilles et son

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menton pointu, mâchait en émettant desgrognements d'animal. Edwin, affubléd'un triple menton et de petits yeux deporcelet, avait la bouche dégoulinante degraisse. Il avalait la nourriture avec unetelle voracité que son visage étaitcouvert de sueur.

Tous trois étaient ivres. Gillian lesavait vus vider une demi-douzaine depichets de vin, et les domestiquescontinuaient à remplir leurs verres. Detous, Alford était le plus repoussant.Trop soûl pour conserver un semblant debonnes manières, il enfournait lesaliments dans sa bouche en parsemant sabarbe de miettes et de sauce.

Alec se tenait juste à côté d'elle etcontemplait le même spectacle sans faireun bruit. Malgré son envie de leconsoler, Gillian n'osait jeter un coupd'œil vers lui, de peur qu'Alford ne s'enaperçoive. Si elle montrait le moindresigne d'affection pour le petit garçon,cela se retournerait contre elle, elle lesavait.

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Elle avait préparé Alec à cetteentrevue et lui avait expliqué quel'épreuve serait pénible. Il lui avaitpromis de garder le silence, quoi qu'ilarrivât. Aussi longtemps qu'Alfordcroirait que l'enfant était sourd-muet, ilparlerait librement en sa présence, etGillian espérait découvrir ainsi quelsétaient exactement ses plans.

Comme elle se lassait de voir cestrois pourceaux se gaver, la jeune femmedétourna les yeux pour inspecter lapièce. Elle avait certainement dû jouerici lorsqu'elle était toute petite, mais ellen'en avait aucun souvenir. Un grandcoffre en bois sculpté était poussé contreun des murs. Gillian n'aurait su dire si cemeuble avait appartenu à ses parents ousi Alford l'avait apporté avec lui. Lecouvercle du coffre était encombréd'objets divers. Parmi les cartes et lesrouleaux de parchemin, la jeune femmeremarqua un étui en cuir. La dagued'Alec ! Le soldat qui l'avait jetée là nel'avait pas récupérée. Et cette dague avait

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été offerte à l'enfant par son oncleBrodick, son protecteur. Gillian décidaqu'il s'agissait d'un signe encourageant.

Alford lâcha soudain un rot sonore.Gillian le regarda s'essuyer la bouche àl'aide de la manche de sa tuniqueécarlate, puis s'adosser plusconfortablement à son siège. Il semblaitavoir du mal à garder les yeux ouverts ets'exprimait d'une voix de plus en pluspâteuse.

- Que vais-je faire de vous, Gillian ?Vous vous obstinez à me résister. Quanddonc comprendrez- vous que je ne mesoucie que de votre intérêt?

Edwin rit bruyamment. Hugh parutlui aussi apprécier la plaisanterie.

- Vous ne me causez que des ennuis,poursuivit Alford. Pourtant, jusqu'ici, jeme suis montré très patient avec vous.N'oubliez pas que je vous ai laisséegrandir seule. D'ailleurs, j'avoue avoirété agréablement surpris de constatercombien vous étiez devenue jolie. C'estd'autant plus étonnant que j'avais

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conservé le souvenir d'une fillette plutôtdisgracieuse. Mais vous avez pris de lavaleur, ma chère. Je pourrais vousvendre au plus offrant et récolter unepetite fortune. Cette éventualité vouseffraie-t-elle ?

- Elle a plus l'air de s'ennuyer qued'avoir peur, remarqua Edwin.

Alford haussa les épaules.- Savez-vous, Gillian, qu'il m'a fallu

presque une armée pour vous sortir devotre sanctuaire ? Votre oncle Morganétait prêt à se battre lui-même pour vousgarder. Ah, ah! N'est-ce pas amusant, dela part d'un frêle vieillard comme lui ?Vous devriez me remercier de l'avoirépargné.

- Mon oncle n'est ni vieux ni frêle,rétorqua Gillian.

Edwin s'esclaffa de nouveau. Lajeune femme aurait voulu le gifler. Siseulement elle avait été plus forte ! Elledétestait se sentir aussi impuissante.

- J'espérais que vous m obéiriez plusfacilement, reprit Alford, comme s'il ne

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l'avait pas entendue. Après tout, vousêtes sous ma responsabilité. Je necomprends pas votre méfiance. Non,vraiment, je ne comprends pas.

Il secoua la tête, avant d'ajouter :- Vous êtes ici chez vous, pourtant.

J'imaginais que vous seriez heureuse derevenir vivre dans ces murs. Le roi Jeana décrété que Dunhanshire vousappartiendrait jusqu'à votre mariage.Ensuite, bien sûr, votre épouxadministrera le château et les terres envotre nom.

Gillian ne put cacher sa surprise :- Le roi ne vous a donc pas donné la

propriété de Dunhanshire ?- Je ne le lui ai même pas demandé.

Pourquoi l'aurais-je fait? Je profite dudomaine comme si j'en étais le véritablepropriétaire, puisque je suis votre tuteuret que je contrôle tout ce que vouspossédez.

- Le roi Jean vous a-t-il réellementconfié cette charge ? S’enquit Gillian.

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Elle n'avait posé cette question quepour irriter le baron, car elle se doutaitbien que le roi n’avait pu lui accorder ledroit de jouer les tuteurs.

Alford, rouge de colère, tendit lebras pour attraper son verre.

- Vous avez si peu d'importance auxyeux de notre roi qu'il a pratiquementoublié votre existence, déclara-t-il. J'aidécidé d'être votre tuteur, et il en seraainsi.

- Ce n'est pas aussi facile que cela,répliqua tranquillement Gillian.

- Le baron Alford est l'un desseigneurs les plus écoutés de notre roi !s'exclama Edwin. Comment osez-vouslui parler sur ce ton ?

- Elle est insolente, n'est-ce pas ?Commenta Alford. Que cela vous plaiseou non, Gillian, je suis votre tuteur et lemaître de votre destin. Je choisiraipersonnellement votre mari... à moinsque je ne vous épouse moi-même, quisait ?

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Gillian préféra ne pas envisager unetelle éventualité. Elle continua à toiserAlford en s’efforçant de rester demarbre.

- Vous l’avez promise à votrecousin, rappela Hugh au baron. Et j'aicru comprendre que Clifford s'enréjouissait d'avance.

- Oui, je m'en souviens. Maism’avez-vous déjà vu tenir ma parole ?demanda Alford avec un sourirecynique.

Ses deux compagnons partirent d'unénorme éclat de rire. Alford leur ordonnade se taire d'un geste de la main.

- Vous m'avez fait perdre le fil demes pensées, grommela-t-il.

- Vous expliquiez à lady Gilliancombien son comportement vousdécevait, dit Edwin.

- Ah, oui, c'est vrai... Ça ne peut plusdurer ainsi, Gillian. Je suis pourtant unhomme patient et clément. Je l'aid'ailleurs montré en épargnant votreoncle.

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Il avala une gorgée de vin etpoursuivit :

- Mais comment m'avez-vousrécompensé de ma bonté ? En aidant cepetit sauvage à s'enfuir. Vous méritezune bonne punition pour m'avoirdésobéi.

- Si vous la battez, Alford, ellemettra du temps à se rétablir, intervintEdwin. Cela risquerait de contrarier vosplans.

Alford vida son verre et fit signe àun domestique le remplir à nouveau.

- J'en suis conscient, répondit-il.Mais as-tu remarqué, Edwin, à quelpoint cet enfant semble s'être attaché àGillian ? Il doit s'imaginer qu'elle pourrale protéger. Je suggère que nous luifassions prendre conscience de sonerreur. Hugh, puisque je sais que tuaimes cela, je t'autorise à frapper cegarçon.

- Vous ne toucherez pas à cet enfant.Gillian avait parlé d'une voix posée,

presque douce, et ses paroles

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produisirent plus d'effet que si elle avaitcrié. Alford parut désarçonné.

- Ah, non?- Non.Le baron pianota nerveusement sur

la table.- Une bonne raclée convaincra cet

enfant qu'il est inutile d'essayer dem'échapper. Fais en sorte de ne pas letuer, Hugh, ajouta-t-il en se tournant versson compagnon de table. Si Gillian ne semontre pas à la hauteur de sa tâche,j'aurai besoin de lui.

- Vous ne toucherez pas à cet enfant,répéta Gillian d'une voix plus ferme.

- Préférez-vous être frappée à saplace ? demanda Alford.

- Oui.Le baron était d'autant plus surpris

que la jeune femme ne semblait mêmepas avoir peur. Le courage était unenotion qui le dépassait, et il n'aimait pasle voir à l'œuvre chez les autres. D'unemanière générale, il détestait les qualitésde ses semblables.

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- J'agirai selon mon bon plaisir,Gillian. Si je décide de vous tuer, vousne pourrez pas m'en empêcher.

- J'en suis consciente, répliqua-t-ellesans se démonter.

Alford dévisagea la jeune femme enplissant les yeux. Étourdi par toutl'alcool qu'il avait ingurgité, il avaitbeaucoup de mal à se concentrer.

- Que manigancez-vous, Gillian ?Quel jeu cher- chez-vous à jouer avecmoi ?

- Je ne joue à rien, répondit-elle.Tuez-moi, si cela vous chante. Je medoute bien que vous saurez justifier votreacte devant notre roi. Mais je crois plutôtque c'est vous qui manigancez quelquechose. Comme vous l'avez rappelé, vousm'avez laissée tranquille pendant desannées. Et maintenant, vous me traînezde force ici. Il y a une raison. Vousattendez quelque chose de moi. Or, sivous me tuez...

- Oui, coupa Alford. J'attendsquelque chose de vous. Il se redressa sur

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son siège et prit un air triomphant, avantd'ajouter :

- J'ai une excellente nouvelle à vousannoncer. Après des années de patientesrecherches, j'ai enfin réussi à retrouvervotre sœur. J'ai découvert l'endroit où secache Christen.

À son grand dépit, Gillian nemanifesta aucune émotion.

- Je sais même qui la protège,continua-t-il. Le clan des MacPherson.En revanche, j'ignore le nom qu'elle aadopté. Et vous, sa propre sœur, êtes lamieux placée pour la reconnaître. Voilàce que j'attends de vous. Vous irez là-baspour démasquer Christen.

- Pourquoi ne pas envoyer vossoldats pour la ramener ici ?

- Je refuse que mes troupess'aventurent dans les Highlands. Ceserait trop risqué. C'est d'ailleurs pourcela que Christen reste avec cessauvages. Elle sait que mes hommescourraient au massacre. Bien sûr, notreroi me soutiendrait, si je le lui

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demandais. Il n'hésiterait pas à dépêcherune armée entière pour épauler mesguerriers. Mais je ne veux pas mêler Jeanà une affaire strictement familiale. Dureste, vous êtes la seule à pouvoirréellement m'aider.

- De simples soldats neparviendraient pas à identifier votresœur parmi toutes les filles du clanMacPherson, expliqua Hugh.

- Et si je refuse d'y aller? demandaGillian.

- Quelqu'un d'autre peut nous livrerChristen, répliqua Hugh. L'Écossais quinous a donné le renseignement connaît lenom sous lequel elle se cache.

- Cet Écossais doit arriver icidemain ou après- demain, ajouta Edwin.Dans son dernier message, il évoquait unproblème à régler... Un problème urgent.

Edwin caressait son triple menton.- Nous risquons d'indisposer

l'Écossais si tu frappes ce gamin, Hugh.L'autre s'esclaffa.

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- Mais non, idiot ! Il veut la mort decet enfant. Tu étais trop ivre, l'autre jour,pour prêter attention à notreconversation. Pour résumer, un marché aété passé entre l'Écossais et Alford.Comme tu le sais, chaque fois qu'unerumeur annonce qu'on a retrouvé lecoffret quelque part, le roi envoie sestroupes sur place. Malgré les années, sondésir d'identifier le meurtrier de satendre Arianna et de récupérer son trésorne s'est pas émoussé.

- Certains prétendent même que saferveur n'a fait qu'augmenter, renchéritEdwin.

Hugh opina du chef.- Et pendant que Jean cherche son

trésor, Alford cherche Christen, parcequ'il est convaincu qu'elle connaîtl'endroit où se trouve le coffret. Ilsouhaite prouver que c'était son père quil'avait volé.

- Je sais tout cela, rétorqua Edwin.Parle-moi plutôt de ce marché qu'ontpassé Alford et l'Écossais.

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Hugh se tourna vers le baron, poursolliciter la permission de répondre à soncompagnon. Mais Alford avait fermé lesyeux et sa tête s'était affaissée sur sapoitrine. Il semblait s'être assoupi.

- Je ne l'ai jamais vu aussi soûl,murmura Hugh à son ami.

Edwin haussa les épaules.- Alors, ce marché ? Insista-t-il.- Le baron a accepté de séquestrer le

gamin pour favoriser les plans del'Écossais. Celui-ci espère que le frère del'enfant, lord Sinclair, s'en prendra à luiet qu'il pourra ainsi le tuer. L'enfant n'estqu'un moyen de pression. Quand toutsera terminé et que lord Sinclair seramort...

- ... le gamin ne sera plus d'aucuneutilité.

- Exactement, approuva Hugh.Voilà pourquoi l'Écossais se moqueéperdument qu'on le frappe ou non.

- Quels avantages le baronretirera-t-il de ce marché?

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- L'Écossais lui a déjà remisbeaucoup d'or. Et ce n'est pas tout. Maisje préfère que ce soit Alford lui-mêmequi te l'explique.

Edwin, vexé d'avoir été tenu à l'écartdes négociations, donna un coup decoude au baron. Celui- ci se réveilla ensursaut, et Edwin l'interrogea aussitôtsur les clauses du marché. Alford but unénième verre de vin avant de répondre.

- Ce traître possède une informationqui a encore plus de valeur que de l'or.

- Qu'est-ce donc ? demanda Edwin.Alford esquissa un sourire.- Il sait sous quel nom se cache

Christen. Il a promis de me le révéler,quand il aura obtenu ce qu'il veut. Donc,si Gillian échoue, l'Écossais viendra àmon secours.

- Mais pourquoi ne vous le dit-il pastout de suite? Ce serait tout de mêmeplus facile de...

- Il n'a pas confiance en notre baron,intervint Hugh. Il faut d'abord que lord

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Sinclair meure. Ensuite, l'Écossais nousdonnera le nom.

Gillian avait du mal à croire que lestrois convives parlent aussi librementdevant elle. L'alcool leur avait ôté touteprudence. À leur réveil, le lendemainmatin, ils ne se souviendraientprobablement pas de cette conversation,songea-t-elle avec espoir.

Edwin et Hugh semblaient penserqu'Alford serait généreusementrécompensé par le roi, et ils discutaientmaintenant de la nature de cetterécompense. Dieu merci, pendant cetemps, ils ne faisaient pas attention à elleet ne pouvaient remarquer sa nervosité.

Tout à l'heure, lorsqu'elle les avaitentendus annoncer que l'Écossaisarriverait bientôt à Dunhanshire, Gillianavait eu l'impression que le sols'effondrait sous ses pieds. Elle avaitimmédiatement compris le motif de lavisite du traître : il s'apprêtait à révéler àAlford que l'enfant qu'il séquestraitn'était pas Michael. Quand le baron

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saurait cela, Alec n'aurait plus aucunechance de survivre. Le moment étaitvenu de fuir.

Alford bâilla bruyamment et setourna vers la jeune femme.

- Ah, Gillian ! J'avais oublié quevous étiez là. De quoi parlions-nous ?Ah, oui... Puisque Gillian a siobligeamment proposé de recevoir lescoups à la place du gamin, elle est à toi,mon cher, dit-il à l'adresse de Hugh.Mais ne la frappe pas au visage. Lafigure met longtemps à cicatriser, or jevoudrais qu'elle puisse partir rapidementeffectuer sa mission.

- Et le garçon? demanda Hugh.Alford jeta à Gillian un regard de

défi.- Frappe-le aussi.La jeune femme cacha Alec derrière

elle.- Il faudra d'abord passer sur mon

cadavre, Alford. Je ne vous laisserai pastoucher à cet enfant.

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- Je n'ai aucune intention de voustuer, Gillian, au contraire. Je compte survous pour me ramener votre sœur.

- Si vous faites du mal à cet enfant,je ne vous ramènerai jamais Christen, jevous le jure.

- Oui, oui, je sais.II avait dit cela d'une voix

volontairement moqueuse. Gilliancroyait-elle vraiment l'impressionner,avec ses menaces ridicules ? En tout cas,Alford ne supportait pas qu'elle essaie delui dicter sa conduite. Décidément, cettegarce avait besoin d'une bonne leçon.

Hugh recula sa chaise et s'apprêta àse lever. Gillian, paniquée, chercha unmoyen de détourner l'attention d'Alfordde l'enfant.

- Au fond, vous vous moquez bienque Christen revienne ou pas,lança-t-elle. Ce n'est pas cela qui vousintéresse.

Alford secoua la tête.- Détrompez-vous. J'ai de grands

projets pour elle.

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Gillian éclata de rire.- Oh, je devine facilement lesquels!

Vous convoitez le précieux coffretd'Arianna et vous pensez que Christen ledétient. Vous espérez qu’elle lerapportera avec elle. Ensuite, voustenterez de prouver au roi Jean que monpère a assassiné Arianna et volé lecoffret. Et vous comptez obtenir lapropriété de Dunhanshire en récompensede Votre loyauté. C'est cela, n'est-ce pas,votre grand projet ?

Alford réagit comme si elle lui avaitjeté de l'eau bouillante en plein visage. Ilse leva d'un bond, renversant sa chaise.

- Vous vous souvenez du coffret !cria-t-il.

Il contourna la table, bousculantHugh au passage.

- Et vous savez où il est caché !- Bien sûr que je le sais, mentit

Gillian.Alford se rua sur elle.

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- Et dire que j'ai cherché votre sœurpendant toutes ces années, alors quevous le saviez !

Fou de rage, il lui envoya un coupde poing en pleine mâchoire. Gilliantomba à la renverse. Aveuglé par lacolère, Alford continua à la frapper alorsqu'elle était à terre, la bourrant de coupsde pied dans l'espoir qu'elle crierait dedouleur et finirait par l'implorer de luipardonner de lui avoir dissimulé lavérité.

- Je rendrai son coffret au roi,lâcha-t-il, le souffle court. Etj'empocherai la récompense.

Étourdie par le coup de poing qu'illui avait donné au visage, Gillian n’étaitpas en état de se débattre, mais elle avaiteu la présence d'esprit de se rouler enboule, la tête entre les bras. Ses jambeset ses bras recevaient la plupart descoups et, plongée dans une étrangeinconscience, elle ne souffrait pas autantqu'Alford le croyait.

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La jeune femme, cependant, sortitde sa léthargie lorsque Alec, en larmes,se précipita pour la défendre. Gillianl'attira contre elle et se servit de sonpropre corps comme d'un bouclier pourprotéger l'enfant, tout en lui chuchotantde se calmer. Pour l'instant, la colèred'Alford était dirigée contre elle, maiselle ne voulait pas qu'il change de cibleet s'en prenne au petit garçon.

Le baron ne cessait pas de la frapperen hurlant des obscénités, mais ilcommençait à manquer de force. Undernier coup de pied finit par ledéséquilibrer. Il bascula en arrière ettomba sur les fesses. Hugh éclata de rire,tandis qu'Edwin, ravi du spectacle,encourageait Alford à se relever pourcontinuer. Gillian entendait tous cesbruits, mais elle ne songeait qu'à l'enfant.

- Chut, lui murmura-t-elle.Calme-toi, maintenant.

Alec ne versait plus une larme, maisses yeux exorbités traduisaient sa

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terreur. Gillian esquissa un sourire pourle rassurer.

- Reprenez-vous, Alford, dit Hughentre deux éclats de rire. Si vous la tuez,elle ne pourra plus aller chercher sasœur.

Alford s'était redressé et s'agrippaità la table pour retrouver son équilibre.

- Oui... fit-il, le souffle court. Il fautque je me contrôle.

D'un revers de manche, il essuya lasueur qui lui coulait sur le front, puisrevint vers la jeune femme, écartal'enfant et obligea Gillian à se remettredebout. Ses lèvres étaient ensanglantéeset, à en juger par son regard, ellesouffrait. Alford s'estima satisfait.

- Vous m'avez fait perdre patience,dit-il, mais vous êtes la seule à blâmerpour ce qui vous arrive. Je vous accordedeux jours de convalescence. Ensuite,vous quitterez Dunhanshire pourl'Écosse. Votre sœur se cache dans leclan des MacPherson. Trouvez-la et

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ramenez-la, ordonna-t-il. Avec lecoffret.

Sur ces mots, il rajusta sa tunique etse dirigea vers la table. Dès qu'il se futassis, il prit son verre de vin.

- Si vous échouez ou si vous essayezde me trahir, Gillian, l'homme que vouschérissez le plus au monde en subira lesconséquences. Votre cher oncle Morganconnaîtra une agonie lente etdouloureuse. Je torturerai égalementl'enfant, ajouta-t-il, comme s'il venaitseulement d'y penser. Mais si Vous meramenez Christen et le coffret, je vousdonne ma parole de laisser le gamin envie, en dépit de la promesse que j'ai faiteà l'Écossais.

- Mais que se passera-t-il si elle neremplit sa mission qu'à moitié ?demanda Hugh.

- Qu'est-ce qui est le plus importantà vos yeux, baron ? ajouta Edwin.Christen ou le coffret du roi ?

- Le coffret, bien sûr, réponditAlford. Mais je veux les deux. Si Gillian

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ne me rapporte que l'un ou l'autre, sononcle mourra.

Hugh avait tourné son siège, defaçon à mieux voir Gillian. La lueur deconcupiscence qui brillait dans sonregard alarma la jeune femme.

- Nous sommes amis depuislongtemps, dit-il au baron, sans détacherles yeux de Gillian. Et je ne vous aijamais rien demandé... jusqu'àaujourd'hui. Donnez-moi lady Gillian.

Alford sembla à la fois surpris etamusé par cette requête.

- Tu as envie d'avoir une sorcièredans ton lit ?

- C'est une lionne, en effet, maisj'aimerais bien la dompter, répliquaHugh en se léchant les lèvres d'unemanière obscène.

- Elle risque de t'égorger pendantton sommeil, intervint Edwin.

Hugh gloussa, puis quitta son siègepour s'approcher de la jeune femme.

- Avec lady Gillian dans mon lit, jene perdrai pas mon temps à dormir.

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Gillian était retombée à terre aprèsqu'Alford l'eut relevée. Hugh voulutl'attraper par le bras, mais elle reculavivement.

- Vous êtes un porc, Hugh. Vous medégoûtez.

Abasourdi par cette rebuffade,Hugh la gifla violemment.

Gillian lui adressa un sourirenarquois.

- Laisse-la tranquille, ordonnaAlford, voyant que son compagnons'apprêtait à frapper la jeune femme ànouveau.

Hugh attendit quelques secondes,puis baissa le bras.

- Je t aurai, garce, tu peux me croire,murmura- t-il

Quand il eut regagné sa place àtable, il insista :

- Donnez-la-moi, Alford. Je sauraila rendre obéissante.

Alford lui sourit.- J'y réfléchirai, répondit-il.

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- Si vous lui donnez Gillian, alors jeveux Christen, protesta Edwin.

- Impossible, répliqua Alford.- Vous vous la réservez ?- Non. Mais je l'ai promise à

quelqu'un d'autre.- Qui cela ? demanda Edwin.Hugh s'esclaffa.- Quelle importance, Edwin ?

Alford ne tient jamais ses promesses.- Jamais, confirma Alford.Edwin ricana, rassuré. Maintenant,

il pensait avoir une chance d'obtenirChristen.

- Si elle est seulement à moitié aussibelle que Gillian, je m'estimerai comblé.

- Combien de temps accordez-vousà Gillian pour accomplir sa mission ?demanda Hugh.

- Elle devra être rentrée pour la finde l'été.

- C'est un peu court, protesta Edwin.Son voyage lui prendra au moins unesemaine, peut-être deux, rien que pour

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l'aller. Et elle risque d'être retardée surplace, si elle...

Alford leva la main pour réclamer lesilence.

- Tu me donnes mal à la tête, Edwin.Tais-toi pendant que j'explique lesdétails à ma pupille.

Se tournant vers la jeune femme, ilcontinua :

- Gillian, au cas où vous réussiriez àconvaincre quelque généreux Écossaisde vous aider à sauver votre oncle,écoutez bien ceci : mes meilleurestroupes encerclent actuellement sonchâteau. Si un seul Écossais tentait des'approcher du pont-levis, Morgan seraitimmédiatement abattu. Je compte legarder en otage jusqu'à votre retour.Est-ce bien clair?

- Et si elle raconte à lord Sinclairque son frère n'est pas mort et qu'il setrouve ici ? S’enquit Hugh, soudaininquiet.

- Elle ne dira rien, assura Alford.Sinon, l'enfant mourra.

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Sur ces mots, il fit signe aux deuxsentinelles en faction près de la ported'avancer.

- Lady Gillian tient à peine debout,déclara-t-il. Montez-la dans sa chambre.Voyez comme je suis attentionné,Gillian. Je vais vous laisser dormir dansvotre propre lit.

- Et l'enfant, monseigneur?demanda une des deux sentinelles.

- Installez-le dans la chambrevoisine. Comme ça, il l'entendra pleurerpendant la nuit.

Les deux soldats exécutèrentpromptement les ordres de leur seigneur.L'un d'eux prit le bras d'Alec, tandis quel'autre se penchait sur Gillian. Elles'écarta pour se redresser toute seule,mais dut s'agripper au rebord de la tablepour se relever totalement. Elle sedirigea ensuite vers la porte à petits pas.En passant devant le coffre en bois, ellefaillit s'effondrer et se rattrapa dejustesse au meuble.

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La sentinelle se plaça alors derrièreelle pour la soutenir. Dans l'escalier,Alec se rapprocha de la jeune femme, etils montèrent les marches enlacés l'un àl'autre. Cependant, quand Gillian euttrébuché deux fois contre une marche, lasentinelle, étouffant un juron, la soulevadans ses bras.

Gillian souffrait tellement qu'elleperdit connaissance avant d'arriver à sachambre. Après l'avoir déposée sur le lit,le soldat voulut conduire Alec dans lachambre qui lui était destinée, maisl'enfant refusa de quitter Gillian.

- Fiche-lui la paix, suggéra soncollègue. S'ils dorment tous les deuxdans la même chambre, nous n'auronsqu'une porte à garder.

Les deux hommes sortirent bientôtde la pièce et verrouillèrent la porte.Aussitôt, Alec grimpa sur le lit pours'allonger à côté de Gillian. Paniqué àl'idée qu'elle puisse mourir et le laisserseul, il fondit en larmes.

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Un long moment s'écoula avant quela jeune femme ne reprenne conscience.Elle tenta de se redresser, mais elle avaitencore si mal qu'elle dut renoncer. Elleretomba sur les oreillers, anéantie, leslarmes aux yeux.

Alec l'appela doucement.- C'est fini, maintenant, lui dit-elle.

Le pire est passé. Ne pleure plus.- Mais vous aussi, vous pleurez.- Je vais m'arrêter, promit-elle.- Vous allez mourir? demanda-t-il,

inquiet.- Non.- Vous avez mal ?- Je me sens déjà beaucoup mieux,

mentit Gillian. Au moins, nous sommessains et saufs.

- Mais demain, nous...- Ne pense pas à demain. Il fait

sombre, ici, tu ne trouves pas? Si tuouvrais les rideaux?

- La nuit est presque tombée,protesta l'enfant.

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Mais il quitta le lit et alla écarter lestentures.

Les derniers rayons du soleilpénétrèrent dans la chambre. D'infimesgrains de poussière se mirent à danserdans les faisceaux lumineux. Alecregagna te lit et serra la main de la jeunefemme dans la sienne.

- Vous avez dormi longtemps, maisje n'osais pas vous réveiller,expliqua-t-il. Et vous savez quoi ?

- Non, quoi?- Demain, ce sera encore pire. J'ai

entendu le baron dire que l'Écossaisvenait ici.

- Je l'ai entendu aussi, réponditGillian.

Elle ferma les yeux, le temps deréciter une courte prière pour demanderà Dieu de lui redonner des forces et deles secourir rapidement, elle et l'enfant.Le temps pressait.

- L'Écossais sera là demain ouaprès-demain, reprit Alec. S'il me voit, ilsaura que je ne suis pas Michael.

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- Je crains qu'il ne le sache déjà.C'est probablement la raison pourlaquelle il rend visite au baron.

L'enfant fronça les sourcils, commes'il réfléchissait intensément.

- Peut-être qu'il vient pour autrechose ?

- Je ne crois pas.- Je ne veux pas que vous me

quittiez.- Je ne te quitterai pas, promit

Gillian.- Mais le baron a décidé de vous

envoyer dans les Highlands...- Oui. Mais je vais t'emmener avec

moi.L'enfant ne semblait pas convaincu,

aussi Gillian lui tapota-t-elleaffectueusement la main pour lerassurer.

- Peu importe que l'Écossais vienneou non à Dunhanshire. Mais j'aimeraisquand même bien voir à quoi ilressemble.

- Parce que c'est un traître ?

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- Oui.Alec retrouva soudain sourire et

espoir.- Comme ça, vous pourriez le

dénoncer à mon papa, à mon oncleBrodick, et même à lord Sinclair !

- Exactement.- Alors, vous savez ce qui arriverait?

Ils lui feraient regretter d'être un traître.- Je l'espère bien.- Mais pourquoi ça n'a pas

d'importance qu'il vienne ou pas?- Parce que nous partons cette nuit.Il écarquilla les yeux.- Dans le noir?- Dans le noir. Mais, avec un peu de

chance, la lune nous guidera.Alec bondit hors du lit.- Mais comment allons-nous nous

enfuir? S’enquit-il d'une voiximpatiente. J'ai entendu les soldatsverrouiller la porte, tout à l'heure. Et jesuis sûr qu'ils montent la garde dans lecouloir.

- Nous partirons quand même.

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- Mais comment ?Gillian désigna un des murs de la

pièce.- Nous passerons à travers ce mur.Alec cessa brusquement de sourire.- C'est impossible.Il avait l'air si déçu que Gillian en

aurait presque ri. En elle, la souffrance ledisputait à l'euphorie : par miracle, Alecet elle n'avaient pas été séparés. Et ellecomptait bien en profiter.

- Tu sais, Alec, je pense que Dieuveille sur nous, dit-elle.

- C'est Dieu qui va nous aider àtraverser le mur?

- Oui, en quelque sorte.Il secoua la tête, toujours sceptique.- Je crois que le baron vous a ôté la

raison, en vous frappant.- Pas du tout. Il m'a simplement

mise très en colère contre lui.- Mais, Gillian, les gens ne peuvent

pas traverser les murs !- Nous allons emprunter un passage

secret, expliqua-t-elle. Quand j’étais

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petite fille, j'occupais déjà cette chambreet j'utilisais ce passage pour rejoindre lachambre de ma sœur.

- Mais si le passage conduit à lachambre de votre sœur, commentferons-nous pour quitter le château ?

- Il y a plusieurs couloirs, dont unqui passe sous le mur d'enceinte etdébouche près de la rivière. C'est celui-làque nous prendrons pour nouséchapper... en espérant que son issuen'ait pas été condamnée.

- On essaie tout de suite ?- Non, attendons que le baron soit

couché. Ce ne sera pas long, avec tout levin qu'il a bu. Mais il faut que nousrestions ici pour l'instant, au cas où ilenverrait une domestique pour s'assurerque tout va bien. Si nous ne sommes pluslà, elle donnera l'alerte.

Tout en l'écoutant, l'enfant gardaitles yeux fixés sur le mur.

- Et si le baron a condamné l'issuedu tunnel ?

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- Eh bien, nous trouverons un autremoyen de nous enfuir.

- Comment ?Gillian n'en avait pas la moindre

idée. Elle savait seulement qu'elle devaitéloigner Alec de Dunhanshire avantl'arrivée de l'Écossais.

- Nous pourrions attirer une dessentinelles à l'intérieur et...

- ... et je l'assommerais pour luivoler son épée, coupa l'enfant avecenthousiasme. Je suis très fort, ajouta-t-ilen bombant le torse.

Décidément, Gillian adorait cegarçon. Mais elle s'interdit de sourire,pour qu'il ne croie pas qu'elle se moquaitde lui.

- Oui, je vois bien que tu es fort.L'enfant rosit de plaisir sous lecompliment. Gillian trouvait sonbrusque changement d'humeur plutôtsurprenant. Quelques minutes plus tôt, ilsanglotait et s'agrippait à elle, maismaintenant, il rêvait de se battre. Lespetits garçons de son âge lui

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ressemblaient-ils tous? Gillian necôtoyait que peu d'enfants. En réalité,Alec était le premier qu'elle approchaitdepuis des années. Elle ne savaitcomment se comporter avec lui, tout enressentant un profond besoin de leprotéger. Alec ne pouvait compter quesur elle, désormais.

- Ça fait mal? Elle sursauta.- Quoi?- Votre joue, dit-il. Elle est enflée.- Non. Ça me brûle juste un peu.- Pourquoi vous avez une cicatrice,

sous le menton?- Je suis tombée dans un escalier, il

y a très longtemps, répondit Gillian.Elle tapota le matelas et ajouta :- Si tu essayais de dormir un peu ?- Mais il ne fait pas encore nuit !

protesta-t-il.- Peut-être, mais il nous faudra

marcher pendant de longues heures. Tudevrais te reposer avant que nous nousmettions en route.

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L'enfant s'allongea contre la jeunefemme et posa la tête sur son épaule.

- Vous savez quoi?- Quoi?- J'ai faim.- Nous chercherons quelque chose à

manger, plus tard.- Nous volerons de la nourriture ?À en juger par l'excitation de sa

voix, cette perspective le réjouissait.- Voler est un péché, lui rappela

Gillian.- C'est ce que ma maman dit

toujours.- Elle a raison. Nous ne volerons

rien du tout. Nous nous contenteronsd'emprunter ce dont nous aurons besoin.

- Est-ce qu'on empruntera deschevaux ?

- Oui, si l'occasion se présente.- Voler un cheval peut vous

conduire à la potence.- C'est bien le cadet de mes soucis,

répliqua Gillian.

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Elle tenta prudemment de s'étirer.La moindre de ses articulations la faisaitsouffrir, et aucune position ne semblaitmeilleure qu'une autre. En ramenant sonbras gauche sur sa poitrine, elle sesouvint soudain de la surprise qu'ellegardait pour Alec.

- J'ai quelque chose pour toi,déclara-t-elle. Ferme les yeux.

L'enfant se redressa et obéit.- Qu'est-ce que c'est ?Gillian sortit la dague de sa manche.

Elle n'eut pas besoin de dire à Alec derouvrir les yeux : il n'avait pas attenduson autorisation.

- La dague de Brodick !S’exclama-t-il.

Il paraissait si heureux que Gillianen aurait pleuré.

- Comment avez-vous fait pour larécupérer?

- Tu m'avais dit où le soldat l'avaitposée, expliqua la jeune femme. Je l'airamassée tout à l'heure, en passant prèsdu coffre. Laisse-la dans son étui. Je ne

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voudrais pas que tu te blessesaccidentellement.

Le petit garçon était si heureuxd'avoir retrouvé son trésor qu'il se jeta aucou de Gillian pour l'embrasser.

- Je vous aime, Gillian.- Moi aussi, je t'aime, Alec.- Maintenant, je vais pouvoir vous

protéger.Elle sourit.- Tu vas être mon champion ?- Mais non !- Pourquoi non ? S’étonna Gillian.- Parce que je ne suis qu'un petit

garçon, voyons ! Mais vous savez quoi ?- Non, quoi?- On vous en trouvera un.- Un champion?Il hocha gravement la tête.- Je peux très bien me passer de

protecteur, répliqua Gillian.- Non, décréta-t-il. On demandera à

Brodick. Et vous savez pourquoi ?- Non, pourquoi ?- Parce que vous aurez besoin de lui.

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4

Quatre des plus valeureux guerriersdu clan Buchanan encerclaient un jeuneguerrier MacDonald venu délivrer unmessage important à leur chef. Lecontenu de ce message les irritait au plushaut point. Aaron, Robert et Liam étaientles plus énervés. Ils suspectaient unemanœuvre machiavélique de la part duseigneur des MacDonald. Personnen'ignorait que c'était un forban qui netenait jamais parole. Le quatrièmesoldat, Dylan, était seulement intrigué. Ilattendait d'en savoir plus. Dylan était lefidèle second de Brodick. En l'absencede celui-ci, il commandait les guerriers.

Aaron s'approcha du jeuneMacDonald et lui demanda de répéter lemessage, sans omettre un seul détail.

- Mais je vous ai déjà tout dit,protesta le jeune homme.

- Eh bien, reprends tout depuis ledébut, lui ordonna Aaron. Mot pour mot.

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Le messager faisait penser à unlapin pris au piège. Robert se tenait justederrière lui, Dylan devant lui, tandisqu'Aaron et Liam s'étaient postés dechaque côté de lui. De plus, les quatreguerriers Buchanan le dépassaient tousd'une bonne tête.

Il se tourna vers Aaron etrecommença son récit.

- Une jeune dame insiste pour quevotre seigneur vienne immédiatement lavoir. Elle se trouve dans la petitechapelle Saint-Thomas, sur les terresMacDougal. Elle prétend...

Le regard noir des quatre guerriersBuchanan l'effrayait tellement qu'il n'eutpas la force de continuer. Il voulutreculer d'un pas, mais se cogna contreRobert.

- Mon message s'adresse à Brodick,et à lui seul, fit-il.

- Pour toi, il s'appelle lordBuchanan, répliqua Liam.

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- Oui... lord Buchanan, corrigeaaussitôt le jeune homme. Ma langue afourché.

Brodick avait été averti de l'arrivéedu messager et devait bientôt lesrejoindre. En attendant, Dylan décida depoursuivre l'interrogatoire. Il croisa lesmains dans son dos, pour indiquer aujeune. MacDonald qu'il n'avait pasl'intention de le frapper... pas pourl'instant, du moins.

- Nous t'écoutons, dit-il.- Cette dame prétend être sa fiancée,

expliqua le messager. Et elle demandeque votre seigneur l'escorte jusqu'à sademeure, pour qu'elle puisse y prendrepossession de ses appartements.

Robert lui donna un coup de coudedans le dos.

- Comment t'appelles-tu ? luidemanda-t-il.

- Henley, répondit le messager, quipâlissait à vue d'œil. Je m'appelleHenley, répéta-t-il, comme s'il étaitheureux de s'en souvenir.

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Dylan le tira par la manche pourattirer son attention. Le jeune hommecommençait à avoir le tournis, au milieude tous ces géants qui l'interpellaient àtour de rôle.

- Pourquoi lord MacDonald a-t-ilchargé un gamin de délivrer ce message?interrogea Dylan.

Henley aurait aimé protester. Iln'était quand même plus un gamin!Toutefois, il n'osa pas contredire soninterlocuteur.

- Lord MacDonald a pensé que votreseigneur s'emporterait moins contre unjeune homme. Et que Brodick...

Liam posa la main sur son épaule etle secoua vivement.

- Pas Brodick, lord Buchanan, luirappela-t-il.

- Oui, lord Buchanan, corrigeaHenley.

- Tu disais ? fit Aaron pourl'encourager.

Henley se tourna sur sa gauche pourlui répondre.

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- Mon seigneur a également penséque lord Buchanan ne s'en prendrait pasà un messager désarmé. Je ne suis pasarmé.

- Nous ne tuons jamais lesmessagers, répondit Aaron.

- À moins, bien sûr, que nousn'aimions pas leur message, plaisantaRobert.

Henley pivota une fois de plus pours'adresser à Dylan. Plus vite il en auraitterminé avec sa mission; plus vite ilpourrait repartir.

- Il y a encore autre chose. Mais jecrains vraiment que la suite ne déplaisefortement à votre seigneur.

Brodick n'était plus très loin,justement. Il entraînait des chevauxlorsqu'on l'avait prévenu de l'arrivée d'unmessager porteur d'une nouvelleimportante. Il avait d'abord cru quel'homme venait lui annoncer qu'Alec, lefils de Ian Maitland, avait enfin étéretrouvé. Mais quand il apprit que lemessager portait les couleurs du clan

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MacDonald, sa rage avait été à la mesurede sa déception. Il s’était tourné versGawain, un de ses fidèles guerriers, et luiavait dit :

- Demain, nous retournerons auxrapides pour chercher encore.

Gawain avait soupiré.- C'est inutile, mais tant que vous ne

serez pas convaincu que l'enfant estmort, je continuerai à chercher avecvous.

- Toi, tu es persuadé qu'Alec s'estnoyé ?

- Oui.- Alec savait nager. Son père le lui

avait appris.- Oui, mais si la tête d'Alec a heurté

les rochers, comme le laissent supposerles traces de sang, avait répliquéGawain, il a dû tomber inconscient dansl'eau. Dans ces conditions, même unnageur expérimenté n'aurait pu enréchapper.

- Ian ne croit pas à cette noyade, luinon plus.

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- Avec le temps, lord Maitland finirapar accepter la mort de son fils.

- Non, avait répondu Brodick. Tantque nous n'aurons pas retrouvé de corpsà enterrer, ni lui ni moi ne l'accepterons.

- Vous veniez juste d'être désignécomme son champion. C'est sans doutepour cela que vous n'arrivez pas àadmettre sa mort.

- Je n'ai pas été capable de leprotéger, avait reconnu Brodick d'unevoix amère.

Puis il avait secoué la tête, commepour chasser cette sinistre pensée, etavait ordonné :

- Continue l'entraînement. Je terejoins dès que possible.

Une fois dans le hall du château,Brodick Buchanan se dirigea tout droitvers le messager, toujours encerclé parses quatre guerriers.

- Alors ? Rugit-il. Qu'est-ce que lordMacDonald a de si important à me dire ?

Henley se décomposa un peu plusen voyant lord Buchanan venir se poster

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à côté de Dylan. L'homme, encore plusgrand que ses guerriers, était un géanttout en muscles, avec de longs cheveuxclairs, aussi blonds que ceux de Dylanétaient noirs. Sous son regard intense, lejeune soldat eut l'impression de setrouver devant un lion décidé à ledévorer en guise de dîner. Et c'était à cefauve qu'il devait délivrer son message...

- Je t écouté, lui dit Brodick.Henley ne se sentait pas la force de

soutenir son regard. Il baissapiteusement les yeux sur ses bottes etentama son récit.

- La dame vous prie de la retrouverdans la chapelle Saint-Thomas pourque... pour que vous l'escortiez jusqu'à sanouvelle demeure.

Henley releva un instant les yeuxpour épier la réaction de Brodick, mais ilregretta aussitôt sa curiosité. L'Écossaissemblait sur le point d'exploser.

- Qui est cette dame ? demanda-t-ild'une voix affreusement calme.

- Dis-lui, ordonna Dylan.

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- C'est votre fiancée, lâcha Henley,livide.

- Cette femme prétend être mafiancée?

Henley hocha la tête.- C'est la pure vérité.- Impossible ! fit Dylan.- Non, non... Je voulais juste dire

qu'elle prétend vraiment être votrefiancée, expliqua Henley en retenant sonsouffle.

- À quoi ressemble cette pécore?Est-elle mignonne, au moins ? demandaAaron.

Cette fois, Henley osa se rebeller.- Ce n'est pas une pécore. C'est une

dame, une véritable lady.- Et comment s'appelle cette dame ?

S’enquit Robert.Henley inspira profondément, avant

de répondre :- Je l'ignore.- En tout cas, elle t'a tourné la tête,

décréta Aaron. Mais tu n'es qu'un gamin,

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après tout. Les blancs-becs de ton âge selaissent facilement influencer.

Henley ne releva pas l'insulte.- Me permettez-vous de vous

raconter ce qui s'est passé ? demanda-t-ilà Brodick.

Ce dernier hocha la tête.- J'étais en route pour rentrer chez

moi, commença Henley, lorsque j'ai étéinterpellé par un étranger que j'ai d'abordpris pour un fermier. Il parlait avecl'accent anglais, et j'étais étonné qu'il sesoit aventuré dans les Highlands sansautorisation. Mais je lui ai vite pardonnéson impertinence, quand il m'a appris sanoble mission.

- Quelle noble mission?- Lui et son frère escortaient la

dame.- Seulement deux hommes pour

protéger un pareil trésor? Ironisa Robert.Henley ignora son sarcasme et se

prépara à subir la colère de Brodick. Àprésent, il devait lui avouer le pire.

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- Lord Buchanan, votre fiancée estanglaise, dit- il d'une traite.

Liam, pourtant le plus calme dugroupe, poussa un rugissement qui fitsursauter Henley. Robert marmonna unjuron abominable, Aaron secoua la tête,et Dylan ne put réprimer une grimace dedégoût. Seul Brodick ne parut pasaffecté par cette nouvelle. Il leva la mainpour intimer le silence à ses compagnonset encourager le messager à poursuivre.

- Je n ai pas tout de suite su, pourvotre fiancée, reprit Henley. L'Anglaisme dit qu'il s'appelait Waldo et m'invitaà partager sa maigre pitance. Commej'étais affamé, j'ai accepté. D'ailleurs, ilsemblait très convenable - pour unAnglais. Pendant que nous mangions, ilme posa plusieurs questions sur nosclans. Il prétendait en connaître uncertain nombre et me pria de lui dessinerune carte, dans la poussière, et dem'indiquer où chacun se situait.

- Quels clans l'intéressaient plusparticulièrement ? interrogea Brodick.

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- Les Sinclair et les MacPherson,répondit Henley, ainsi que les Maitlandet les Buchanan. Maintenant que j'yrepense, il a souri quand je lui ai montréque les terres des Buchanan touchaientcelles des Sinclair, qui touchaientelles-mêmes celles des Maitland.J'aurais dû lui demander pourquoi cetteinformation le réjouissait tellement,mais je n'y ai pas songé, sur le moment.

- Lui as-tu au moins demandépourquoi il te posait toutes ces questions? Intervint Dylan.

- Oui. Waldo m'a expliqué qu'ilvoulait savoir quel clan lui donnerait lapermission de traverser Ses terres et quelclan la lui refuserait. Je lui ai réponduqu'il ferait mieux de rebrousser cheminet de rentrer chez lui, parce que aucunclan ne l'autoriserait à mettre les piedschez lui.

- Quand t'a-t-il parlé de la donzelle ?S’enquit Aaron.

Henley osa corriger une deuxièmefois le guerrier.

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- C'est une lady.Aaron leva les yeux au ciel.- C'est toi qui le dis, répliqua-t-il.

J'attends de juger par moi-même.- Continue ton récit, ordonna Dylan.- Ensuite, Waldo me demanda si je

connaissais un guerrier nommé Brodick.- Lord Buchanan! s'exclama Liam

d'un ton réprobateur.Henley hocha la tête.- Je ne faisais que répéter les paroles

de Waldo, dit-il pour se justifier. Il m'abeaucoup interrogé à votre sujet,monseigneur, mais il semblait surtoutcurieux de savoir si vous étiez... unhomme d'honneur. Je lui ai assuré queoui. C'est alors qu'il m'a avoué lavéritable raison de sa présence dans lesHighlands. Il escortait votre fiancée.

- Aucun guerrier n'accompagnaitdonc la jeune fille?

- Non, répondit Henley. Il n'y avaitque ces deux hommes, Waldo et sonfrère. J'en ai cherché d'autres, mais jen'ai vu personne.

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- Quel genre de père laisserait safille voyager sans escorte? S’étonnaAaron.

- Il n'y avait personne d'autre, insistaHenley. Waldo et son frère ont environquarante ans. Bien qu'ils soient déjà unpeu âgés pour être encore soldats, ilsdonnaient l'impression de veiller trèsattentivement sur la dame. Ilsm'expliquèrent qu'elle se trouvait dans lachapelle, mais refusèrent que je larencontre. Ils me confièrent leurmessage, ajoutant que vous merécompenseriez... Bien entendu, jen'attends rien de vous, monseigneur,précisa aussitôt Henley. Du reste, j'aidéjà eu ma récompense.

- Quelle sorte de récompense?demanda Robert.

- J'ai vu la dame et je lui ai parlé.Aucun cadeau ne saurait rivaliser avecce moment.

Liam gloussa, mais Henley l'ignora.

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- Riez tant que vous voulez. Vous nel'avez pas encore vue, alors vous nepouvez pas comprendre.

- Raconte-nous cette entrevue,ordonna Aaron.

- J'allais partir quand elle m'a hélédepuis la fenêtre de la chapelle. LordMacDonald m'a ensuite autorisé à venirvous délivrer son message.

- Ne t'égare pas. Reviens à notrequestion, ordonna Dylan.

En lui-même, le guerrier s'étonnaitque Brodick n'ait pratiquement rien ditdepuis le début du récit du messager.Son chef ne paraissait pas spécialementscandalisé d'apprendre qu'une Anglaiseprétendait être sa fiancée.

Henley s'éclaircit la gorge et repritla parole.

- Donc, la dame m'a appelé. J'aicouru jusqu'à la fenêtre avant que Waldoet son frère puissent m'en empêcher.

Le messager marqua une pause,pour mieux se remémorer ce moment de

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pur enchantement. Puis il poursuivit,d'une voix douce comme le miel :

- Je l'ai vue d'aussi près que je vousvois.

- L'as-tu touchée ? interrogeaBrodick d'une voix glaciale.

Henley secoua la tête avecvéhémence.

- Non ! Je n'aurais jamais osé !s'écria-t-il. Votre fiancée a étéhonteusement maltraitée, monseigneur.Une de ses joues était enflée, elle avaitun bleu à la main droite et son brasgauche était bandé du poignet jusqu'aucoude. Lorsque j'ai voulu lui demandercomment elle avait récolté ces blessures,les mots sont restés bloqués dans magorge. Ses yeux étaient du même vertmagnifique qui recouvre nos collines auprintemps, mais je pouvais lire ladouleur et le chagrin dans son regard.Pourtant, elle était si belle que j'avaisl'impression de me trouver face à unange, ajouta- t-il en rougissant.

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Brodick contint péniblement sonexaspération devant tant de romantismeéchevelé. Un ange ? En tout cas, un angequi mentait effrontément.

- As-tu parlé d'elle aux membres deton clan ? demanda-t-il au messager.

- Oui, admit Henley. Mais je me suisgardé d'entrer dans les détails.

- Pourquoi ? Intervint Robert.- Parce qu'ils auraient cherché à la

voir, si je leur avais raconté ce quej'avais ressenti en sa présence, réponditHenley. J'ai dit à mon maître que deuxAnglais m'avaient chargé d'un messagepour vous, vous demandant d'allerrejoindre votre fiancée. LordMacDonald s'est satisfait de cetteexplication et m'a autorisé à venir ici.Mais... le capitaine des gardes voulaitplus de détails.

- Balcher t'a interrogé? S’enquitDylan.

- Oui, avoua Henley.- Et que lui as-tu dit ?

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- Il désirait savoir si la dame étaitdéjà arrivée dans les Highlands. Je lui airépondu que oui, mais sans lui donnerplus de précisions. J'avais promis à ladame de ne révéler qu'aux Buchananl'endroit où elle se trouvait.

- Donc, tu as menti à Balcher? fitDylan.

Henley secoua la tête.- Non. Je lui ai simplement appris

que la dame traversait les terres desMacDougal. Mais je n'ai pas parlé de lachapelle.

- Il y a gros à parier que Balcherarpente déjà les terres des MacDougalpour la retrouver, marmonna Aaron.

- Oui, approuva Henley.Puis, s'adressant directement à

Brodick, il ajouta :- Je ne trahirai pas un grand secret

en vous disant que Balcher cherche àvous provoquer Alors, s'il pouvaitkidnapper votre fiancée...

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- Qu'il ose s'emparer de ce qui nousappartient ! s'écria Liam, que cette idéemettait hors de lui.

- Si un seul des MacDonald touche àcette femme, ils mourront tous, décrétaRobert.

- Tous ! répéta Liam.Dylan regarda Henley droit dans les

yeux.- Tu es sûr que tu ne l'as pas

touchée, au moins ?- Je vous le jure, répondit le

messager, la main sur le cœur. Même sielle n'avait pas été la fiancée de votreseigneur, je n'aurais pas voulu ladéshonorer en portant la main sur elle.

- Les MacDonald se soucientrarement d'honneur, grommela Robert,l'air sceptique.

Dylan était médusé par la réactionde ses compagnons.

- Il n'y a pas cinq minutes, vous étiezscandalisés par ce message, etmaintenant, vous vous inquiétez pour

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cette femme ! Pourquoi un telrevirement?

- Cette dame appartient à Brodick,et personne d'autre ne la touchera,déclara Robert.

Brodick ne put s'empêcher desourire. La conversation prenait un toursurréaliste. Il leva la main pour réclamerle silence.

- J'ai encore une question à poser àce messager et j'aimerais assez entendresa réponse.

- Oui, monseigneur? demandaHenley, tout tremblant.

- Tu nous as expliqué que la damet'avait fait venir à la fenêtre de lachapelle, mais tu ne nous as toujours pasrévélé ce qu'elle t'avait dit...

- Elle a ajouté une précision aumessage.

- Une requête ? suggéra Brodick.Pour la première fois, Henley réussit

à sourire.- Non. C'était davantage un ordre

qu'une requête.

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- Elle me donne des ordres, en plus ?s'écria Brodick, abasourdi par la téméritéde cette étrangère.

Henley prit une profondeinspiration, en espérant que ce ne seraitpas la dernière de sa courte vie, et lâcha :

- Elle vous sommait de vousdépêcher.

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5

Gillian commençait à douter de laréussite de son plan, certes un peu hardi.Il y avait maintenant près de vingt-quatreheures qu'elle attendait, avec Alec, dansla chapelle abandonnée. C'était plus qu'iln'en fallait à lord Buchanan pour larejoindre - à supposer, bien sûr, qu'il aitconsenti à répondre à son appel.

Incapable de rester en place, lajeune femme arpentait de long en largel'intérieur du petit édifice.

- Nous allons bientôt partir, dit-elleà l'enfant. Nous ne pouvons pas resterici.

Alec, sagement assis sur une chaise,les jambes croisées sous lui, l'observait.

- Vous n'avez pas bonne mine,Gillian. Vous êtes malade ?

- Non. Je suis simplement épuisée.Si je m'asseyais, je crois que je n'auraismême pas la force de me relever.

- Moi, j'ai faim.

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- Mais tu viens de manger !- Eh bien, j'ai encore faim.- C'est parce que tu manges trop

vite.La jeune femme se dirigea vers le

coin de la chapelle où elle avait posé sonbaluchon et le panier de victuaillesfourni par les frères Hathaway. En jetantun coup d'œil par la fenêtre, elle aperçutHenry qui faisait le guet devant l'édifice.

- Qu'est-ce que vous regardez ?S’enquit Alec.

- Henry Hathaway, répondit Gillian.Je ne sais pas ce que nous serionsdevenus, sans lui et Waldo. Ils m'ontdéjà aidée une première fois, voilà desannées, lorsque Alford m'a exilée chezmon oncle. Et ils n'ont pas hésité uneseconde à me secourir une deuxièmefois. Il faudra que je trouve un moyen deles remercier.

Elle tendit au petit garçon unetranche de pain et un morceau defromage.

- Mange lentement, cette fois.

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Tout en mordant dans sa tartine, ildemanda :

- Oncle Brodick va bientôt arriver?- N'oublie pas les bonnes manières,

Alec. Ce n'est pas poli de parler labouche pleine.

- Vous savez quoi ? fit-il, sans tenircompte de sa remarque.

- Non, quoi ?- Si nous partons maintenant, oncle

Brodick sera furieux. Nous devonsl'attendre.

Gillian s'assit sur la chaise voisinede la sienne.

- Donnons-lui encore une heure,mais pas plus. D'accord ?

Il hocha la tête.- Je déteste attendre.- Moi aussi, figure-toi.- Gillian? Je peux te tutoyer?Elle sourit.- Bien sûr que oui !- Tu feras quoi, si tu ne trouves pas

ta sœur?

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- Je la trouverai, répliqua-t-elle. Il lefaut.

- Il faut aussi que tu trouves lecoffret.

- Malheureusement, j'ai peur que cene soit impossible. Ce coffret a disparudepuis des années.

- Tu as pourtant dit au baron que tusavais où il était...

- J'ai menti. J'ai dit cela uniquementpour éviter que le baron ne s'en prenne àtoi. Mon père avait confié le coffret à masœur, pour qu'elle l'emporte avec elle.Mais il y a eu un accident et...

- Pourquoi le baron tient-il tellementà récupérer cette vieille boîte ?

- D'abord parce qu'elle vautbeaucoup d'argent, mais aussi parcequ'elle est la clé d'un mystère vieux deplusieurs années. As-tu envie deconnaître l'histoire ?

- Ça me fera peur?- Peut-être un peu.Il hocha la tête avec enthousiasme.

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- Dans ce cas, je veux l'entendre.J'adore les histoires qui font peur.

Gillian lui sourit.- D'accord. Je vais tout te raconter. Il

y a bien longtemps, avant que Jean nesoit roi...

- Il n'était encore qu'un prince.- Exactement. Et il était tombé

éperdument amoureux d'une jeune fillenommée Arianna. On la disait trèsbelle...

- Aussi belle que toi ?La question désarçonna Gillian.- Tu me trouves belle ?- Oh, oui!- Merci. Mais Arianna était plus

belle que n'importe quelle autre dame duroyaume. Ses cheveux blondsaccrochaient les rayons du soleil et...

- Elle est morte de maladie ?- Elle est morte, oui, mais pas de

maladie.- Alors, que lui est-il arrivé ?Gillian éclata de rire.

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- Écoute, si tu m'interromps sanscesse, je ne pourrai pas te raconter la finde l'histoire. Où en étais-je? Ah oui! Leprince Jean était donc très amoureuxd'Arianna, à tel point qu'il désiraitl'épouser. As-tu déjà entendu parler de lachâsse de Saint-Jérôme ?

- Non. Qu'est-ce que c'est ?- Un coffret très précieux qui

appartient aux Écossais, expliquaGillian. À l'intérieur se trouvent lesreliques du saint qui...

- C'est quoi, des reliques ?- Des fragments d'os répondit

Gillian. Les Écossais les avaientenfermés dans ce coffret, qu'ils gardaienttoujours avec eux quand ils se battaient.

- Pourquoi ?- Parce qu'ils pensaient que les

reliques du saint leur permettaient devaincre leurs ennemis.

- Et ça marchait ?- Je l'ignore. Mais, même

aujourd'hui, ils continuent à emporter le

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coffret avec eux lorsqu'ils livrent desbatailles importantes.

- Comment sais-tu tout ça?- C'est mon oncle Morgan qui me l'a

expliqué.- Tu sais ce que dit mon oncle Ennis

?- Non. Mais je m'attends à une

horreur.- Il dit que quand des soldats anglais

voient arriver plus de trois Écossais verseux, ils lâchent leurs épées et s'enfuient.

- Tous les Anglais ne sont pascomme Alford. La plupart sont aussicourageux que les Écossais.

Mais le petit garçon ne semblait pasdisposé à l'écouter défendre les Anglais.

- Raconte-moi la suite de l'histoiredu prince Jean, demanda-t-il.

Dès qu'il eut posé sa question, ilcracha par terre. Gillian préféra ignorercette impolitesse et poursuivit son récit.

- Jean, qui avait été impressionnépar la légende de la châsse deSaint-Jérôme, décida de se faire

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fabriquer un coffret semblable. Ilordonna au meilleur orfèvre du royaumede se surpasser en réalisant un écrin detoute beauté, dont il serait le seul àconnaître le mécanisme d'ouverture.L'orfèvre mit plus d'un an à accomplircette prouesse, mais le résultat dépassatout ce qu'on aurait pu imaginer. Lecoffret était entièrement serti d'or et depierres précieuses. Il y avait des saphirsbleus comme le ciel d'un jour d'été, desémeraudes aussi vertes que...

- ... tes yeux? suggéra Alec.- Et des rubis d'un rouge éclatant.- Rouges comme le sang?- Peut-être. En tout cas, on ne voyait

ni poignée ni serrure. Seul Jean savaitcomment l'ouvrir.

- Et l'orfèvre qui l'avait fabriqué.- Oui. C'est pourquoi Jean fit une

chose terrible : sur ses ordres, ses soldatsexécutèrent l'artisan.

- Et après ? S’enquit Alec. Est-ceque le prince Jean...

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Il cracha par terre, avant de terminersa question :

- Est-ce qu'il tua la jolie dame pourranger ses os dans la boîte ?

- Non. Le coffret aurait étébeaucoup trop petit pour cela. Jeanvoulait seulement y enfermer une mèchedes cheveux d'Arianna, car il étaitconvaincu qu'elle lui porterait chancelorsqu'il livrerait bataille.

Il ouvrit la boîte, mit sa dague àl'intérieur, puis confia le tout à sonécuyer en lui demandant d'aller ledonner à Arianna pour qu'elle coupeelle-même une mèche de ses cheveux.

- Et alors ?- L'écuyer obéit. Il entra dans la

chambre d'Arianna, posa le coffret grandouvert sur un guéridon et partit rejoindrele prince. Il lui expliqua que la jeune fillese trouvait seule dans sa chambre. Sesservantes n'étaient pas là.

- Je sais ce qui s'est passé ! Ariannaa volé le coffret et la dague.

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Gillian secoua la tête, amusée parl'imagination débordante de l'enfant.

- Non. Elle n'a rien volé du tout.L'écuyer, en quittant la chambred'Arianna, l'entendit verrouiller la portederrière lui. Quand il revint chercher lecoffret, un peu plus tard, la porte étaittoujours fermée, et Arianna ne réponditpas à ses appels. Le prince monta donclui-même dans la chambre de la jeunefille.

- Elle le laissa entrer ?- Non. Comme elle ne répondait

toujours pas, Jean ordonna à ses soldatsd'enfoncer la porte à coups de hache.C'est alors qu'ils découvrirent l'horriblespectacle. La pauvre Arianna gisait surle sol, dans une mare de sang. On l'avaitpoignardée.

- Et là, Jean mit ses os dans lecoffret ?

- Non. Rappelle-toi que la boîte étaittrop petite pour cela. De toute façon, lecoffret et la dague n'étaient plus là. Ilsavaient disparu.

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- Qui les avait pris ?- C'est là que le mystère commence.- Qui a tué Arianna ?- Personne ne le sait. Les soldats du

prince Jean eurent beau patrouiller àtravers tout le royaume, le coffretsemblait s'être volatilisé. Bien entendu,Jean était persuadé que celui qui avaitvolé le coffret avait aussi tué sa chèreArianna. Mon oncle Morgan m'a racontéque, depuis ce drame, au moins une foispar an, une rumeur prétend que le coffreta réapparu quelque part. Jean envoietoujours ses hommes vérifier, mais envain. Et personne n'est encore venuréclamer l'énorme récompense qu'il apromise à celui qui lui rapporterait lecoffret.

- Tu sais quoi?- Non, quoi ?- Arianna a eu de la chance de

mourir. Sinon, il aurait fallu qu'elleépouse le roi Jean, décréta Alec, avant decracher par terre à nouveau.

- Pourquoi fais-tu cela ?

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- C'est obligatoire. Chaque fois quenous prononçons son nom, nouscrachons par terre, pour montrer lessentiments qu'il nous inspire.

Gillian était médusée.- Dois-je comprendre que tous les

Écossais crachent par terre lorsqu'ilsparlent du roi d'Angleterre ?

- Certains blasphèment, maismaman me l'interdit.

- J'espère bien !- Brodick blasphème quand il parle

du roi. Tu lui interdiras de le faire ?Gillian lui donna une petite tape sur

le bout du nez.- Tu es un garçon adorable, mais tu

poses de drôles de questions.- Tu lui interdiras de jurer? Insista

l'enfant.- Si Brodick blasphème ou crache

devant moi, je lui dirai d'arrêter, oui.Alec éclata de rire.- Ça promet ! Brodick déteste qu'on

lui dise ce qu'il doit faire.

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Puis, reprenant son sérieux, il ajouta:

- J'aimerais bien qu'il soit déjà là.- Moi aussi.- Pourquoi n'as-tu pas confié ma

dague au messager ?- C'était trop risqué. Il vaut mieux ne

montrer la dague qu'à Brodick. Je ne saispas en qui avoir confiance.

- Pourtant, tu as bien vu le traîtreapprocher de Dunhanshire, pendant queje dormais ?

- Oui, je l'ai vu. Mais souviens-toide ce que je t'ai dit : il ne faut en parler àpersonne.

- Même pas à Brodick?- Même pas à Brodick.- Et s'il ne vient pas ?- Dans ce cas, nous trouverons un

autre moyen de te ramener chez toi. J'aipeut-être eu tort de raconter au messagerque j'étais la fiancée de Brodick. Tononcle va s'imaginer que je suis une folle.J'aurais dû lui offrir de l'or.

Alec gloussa.

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- Brodick n'attache aucuneimportance à l'or.

Gillian sourit.- Tant mieux, parce que je n'en

possède pas.Le petit garçon écarquilla les yeux.- Tu aurais menti à oncle Brodick ?- Je lui ai bien menti en prétendant

être sa fiancée.- C'est sûr qu'il sera furieux, en

arrivant ici. Mais je ne le laisserai pas tefaire de mal.

- Merci.- Brodick pensera que tu es très

jolie, mais tu sais quoi ?- Non, quoi ?- Il ne te le dira pas. Tu as envie qu'il

te trouve jolie ?- Pas particulièrement, répondit

Gillian, qui avait d'autres préoccupationsen tête. Nous ne pouvons plus attendre,Alec. Termine ta tartine et partons d'ici.

- Mais si tu ne veux pas que Brodickte trouve jolie, pourquoi as-tu mis tabelle robe verte ?

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Gillian soupira. Alec avait sanscesse une question à la bouche. À sesyeux, les sujets les plus futilessemblaient revêtir l'importance la plusextrême. Et il la harcèlerait tant qu'ellene lui aurait pas donné de réponsesatisfaisante.

- Je l'ai mise parce que mon autrerobe était couverte de poussière.

L'enfant mordit dans sa tartine enréfléchissant, puis il demanda :

- Tu sais quoi ?Gillian s'arma de patience.- Non, quoi?- Tu vas avoir peur de Brodick.- Pourquoi donc ?- Parce que les femmes ont toujours

peur de lui. - Eh bien, moi, je n'aurai paspeur, déclara Gillian. Maintenant,tais-toi et finis de manger.

On frappa soudain à la porte de lachapelle, et Waldo, l'aîné des frèresHathaway, surgit à l'intérieur.

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- Les ennuis s'annoncent, ladyGillian. Le soldat MacDonald, celui àqui j'avais confié votre message...

- Henley?- Oui. Il a dû tout raconter aux

membres de son clan, parce qu'unebonne trentaine d'entre eux dévalent lacolline dans notre direction. Et ce sontbien des MacDonald : ils portent lesmêmes couleurs que Henley.

- Je ne comprends pas. Je n'ai pasparlé d'Alec à Henley. Pourquoi ceshommes viendraient-ils ici?

- Je pense qu'ils ont l'intention des'emparer de vous, madame.

Gillian était abasourdie.- Mais pourquoi ?- Les Écossais ne sont pas comme

les Anglais, répliqua Waldo. Ce qu'ilsconvoitent, ils le prennent sans autreforme de procès.

La jeune femme attrapa Alec par lebras.

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- Nous partons tout de suite. Waldo,va chercher ton frère et rejoignez-nousaux chevaux. Vite!

- Mais, madame, protesta Waldo,vous ne m'avez pas laissé le temps determiner. Un autre clan se dirige aussivers nous, mais s'apprête d'abord àcouper la route aux MacDonald.J'imagine que ce sont les Buchanan. Ilssont neuf.

- Même s'il s'agit effectivement deBrodick et de ses hommes, ils ne serontpas assez nombreux pour arrêter lesMacDonald.

- Peu importe le nombre, madame.Je n'ai jamais vu des guerriers aussiféroces que ces neuf là. Si du sang doitêtre versé aujourd'hui, ce ne sera pascelui des Buchanan. Êtes-vous bien sûrede pouvoir faire confiance à cessauvages ?

- Je l'ignore, mais j'espère quandmême que c'est Brodick, murmura-t-elle.

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Alec voulut sortir pour assister à labagarre, mais Gillian le retintfermement.

- Waldo, il faut que vous et Henrypartiez maintenant, avant qu'ilsn'arrivent ici. Je vous remercie du fonddu cœur de nous avoir aidés, Alec etmoi. À présent, dépêchez-vous.

Waldo secoua la tête.- Nous resterons ici tant que nous ne

serons pas certains que vous êtes ensécurité, lady Gillian. Nous allonsmonter la garde devant la porte. Gillianeut beau le supplier, elle ne réussit pas àdissuader. Dès qu'il fut ressorti, elledemanda £ Alec :

- Dis-moi à quoi ressemble Brodick.- Il ressemble à Brodick, répondit

l'enfant sur le ton de l'évidence.- Oui, mais encore ? L'enfant haussa

les épaules.- Il est très grand... Il est vieux,

aussi.- Vieux?Alec hocha énergiquement la tête.

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- Très vieux.Gillian avait du mal à le croire.- De quelle couleur sont ses cheveux

?- Ils sont blancs.- Tu en es sûr?Il hocha de nouveau la tête.- Et tu sais quoi ?- Non, quoi ? fit Gillian avec

appréhension.- Il n'entend plus très bien.Gillian s'assit, consternée.- Pourquoi ne m'as-tu pas dit que

Brodick était un vieillard, avant quej'envoie un messager l'avertir que safiancée l'attendait ? Cela aurait pu luicauser un choc mortel.

Elle se releva brusquement et ajouta:

- Viens. Partons tout de suite.- Et les Buchanan?- Ce ne peut pas être eux. Sinon,

Waldo aurait remarqué un vieux cavalieraux cheveux blancs.

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- Laisse-moi aller voir, s'il te plaît.Comme ça, je te dirai si ce sont bien lesBuchanan.

À cet instant précis, Waldoentrouvrit la porte et leur cria :

- Les MacDonald battent en retraite,et l'autre clan se dirige vers la chapelle.

Gillian prit Alec par l'épaule etl'obligea à la regarder.

- Je veux que tu te caches derrièrel'autel. Et, tant que nous ne saurons pasqui sont ces hommes, je ne veux past'entendre dire un mot. Promets-le-moi,Alec.

- Mais...- Promets-moi de te taire, insista

Gillian.- Bon, d'accord, c'est promis.Gillian l'embrassa sur la joue pour le

remercier,- Va vite te cacher, maintenant,

ordonna-t-elle en le poussant vers l'autel.Puis une idée lui traversa l'esprit, et

elle le retint une seconde par le bras.

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- Attends. Peux-tu me donner ladague de Brodick?

- Mais elle est à moi !- Je sais qu'elle est à toi. Je te

demande juste de me la prêter.Il lui tendit la dague, puis partit se

cacher derrière l'autel.- Je les entends approcher, dit-il.- Moi aussi, je les entends.- Tu as peur, Gillian ?- Oui, j'ai peur. Maintenant, tais-toi.Elle n'attendit pas longtemps. Au

bout de quelques secondes, Waldo etHenry crièrent aux cavaliers de s'arrêter.Mais ceux-ci, de toute évidence, lesignorèrent, car la porte de la chapelle netarda pas à s'ouvrir à la volée. Alors,devant les yeux de Gillian apparut leguerrier le plus impressionnant qu’elleavait jamais vu. Il était incroyablementgrand, avec de longs cheveux blond pâleet une peau tannée par la vie au grandair. Son plaid noué à taille était jetépar-dessus son épaule nue. Il ne portaitpas d’épée.

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Il resta immobile un instant, letemps de balayer des yeux les recoins dela chapelle, puis il avança d'un pas etreferma la porte derrière lui. Gillian n'enmenait pas large.

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6

Brodick avançait dans la chapelle ensoulevant un petit nuage de poussièrechaque fois qu'il posait le pied par terre.Gillian, courageusement, ne bougeaitpas.

Arrivé à un mètre d'elle, il s'arrêtaet, les mains croisées dans le dos, ladétailla sans vergogne de la tête auxpieds. Quand il eut terminé son examen,il croisa son regard et attendit qu'elleprenne la parole.

Gillian s'était longuement préparéeà ce moment. Pour commencer, elleavait prévu de se présenter, parce que lapolitesse l'exigeait, puis de lui demanderson nom. Il répondrait qu'il s'appelaitBrodick, mais elle ne le croirait pas tantqu'elle n'aurait pas eu confirmation deson identité. Pour cela, elle lui poseraitplusieurs questions précises qu'elle avaitdéjà toutes en tête. Cependant, avant de

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se jeter à l'eau, elle voulait que lesbattements de son cœur s'apaisent.

Le guerrier perdit patience.- Êtes-vous celle qui prétend être ma

fiancée ? demanda-t-il avec colère.Gillian se sentit rougir.- Oui, avoua-t-elle.- Pourquoi ?- J'ai menti.Il parut surpris par son honnêteté.- Cela me semble évident.- En général... je... je n'ai pas pour

habitude...- En général, quoi ? Coupa-t-il.Il ne comprenait pas pourquoi elle

était si nerveuse. Il ne la menaçait pas,gardait les mains dans le dos et, avantd'entrer dans la chapelle, il avait confiéson épée à Dylan. Cette jeune femme nevoyait donc pas qu'elle ne risquait rienavec lui?

- Je n'ai pas pour habitude de mentir,déclara-t-elle enfin.

Tout en l'observant, elle ajouta :

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- Vous n'êtes pas vieux. On m'avaitraconté que vous étiez un vieillard auxcheveux blancs.

Sur ces mots, elle éclata de rire.Brodick, déconcerté, commençait àpenser qu'il avait réellement affaire àune folle.

- Je crois que je devrais toutreprendre depuis le début, dit-elle,comme si elle avait conscience deparaître écervelée. Je m'appelle ladyGillian et je suis sincèrement désolée devous avoir menti. Mais faire croire quej'étais votre fiancée m'a semblé lemeilleur moyen de vous inciter àentreprendre cette grande chevauchée.

Il haussa les épaules.- Ce n'était pas un si long voyage.- Ah, bon ? Pourtant, nous vous

avons attendu plus d'une journée.- Nous ?- Oui. Les deux frères Hathaway,

qui montent la garde, et moi-même.- Comment pouviez-vous être sûre

que je viendrais ?

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- La curiosité. Et j'avais raison,n'est-ce pas ? Vous êtes venu parcuriosité.

L'ébauche d'un sourire adoucitl'expression sévère du guerrier.

- Oui, admit-il. Je voulais rencontrerla femme qui avait fait preuve d'un telculot.

- Vous êtes Brodick... euh... lordBuchanan, n'est-ce pas ?

- En effet.Le soulagement se dessina sur les

traits de la jeune femme. Sa faussefiancée était diablement ravissante,songea Brodick. Le messager n'avait pasmenti.

- J'avais l'intention de vous testerpour m'assurer que vous étiez bienBrodick, mais j'en suis convaincue, àprésent. On m'a raconté que vouspouviez abattre un chêne d'un seulregard et, à en juger par la façon dontvous m'observez, je crois que vous enêtes capable. Vous savez que vous êtes

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très intimidant et vous en jouez, n'est-cepas ?

Il s'abstint de tout commentaire- Qu'attendez-vous de moi ?- Eh bien... je transporte un trésor de

grande valeur et j'ai besoin d'une escortepour le conduire à bon port.

- Aucun Anglais ne pouvait doncvous aider?

- C'est une histoire compliquée,monseigneur.

- Commencez par lecommencement, suggéra Brodick.

Il était le premier étonné par sapatience. Mais la voix de la jeunefemme, chaude et sensuelle, le charmaitpresque malgré lui. Heureusement, ilétait habitué à cacher ses sentiments.Cette lady Gillian ne pouvait pas sedouter de l'effet qu'elle produisait surlui... un effet tel qu'il devait faire appel àtoute sa volonté pour ne pas s'approcherdavantage.

- Je pense que ceci sera pluséloquent qu'un long discours, dit-elle,

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tout en sortant de sa manche la daguequ'il avait offerte à Alec.

En un clin d'œil, il lui arracha ladague des mains. Puis, la tirantviolemment par son bras bandé, ildemanda :

- Où avez-vous eu cela?- Je vais vous expliquer. Mais

d'abord, lâchez-moi. Vous me faites mal.Les larmes qui brillaient dans ses

yeux confirmaient ses paroles. Brodickla relâcha aussitôt.

- Expliquez-vous, maintenant.- J'ai emprunté la dague,

répondit-elle.Puis elle tourna la tête et cria :- Alec, tu peux te montrer !Brodick n'avait jamais été aussi près

de perdre son flegme. Quand il vit le filsde Ian s'élancer vers lui, il sentit soncœur bondir dans sa poitrine. Et iltremblait presque lorsqu'il se baissa poursoulever l'enfant dans ses bras.

Le petit garçon noua ses bras autourde son cou et l'embrassa avec effusion.

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- Je savais que tu viendrais ! Jel'avais dit à Gillian.

- Tu vas bien, Alec ? demandaBrodick, la voix altérée par l'émotion.

Il se tourna vers Gillian pourl'interroger du regard, mais la jeunefemme n'avait d'yeux que pour l'enfant.

- Réponds-lui, Alec, dit-elle.L'enfant hocha vigoureusement la

tète.- Je vais très bien, mon oncle.

Gillian a pris soin de moi. Elle medonnait même son repas quand nousn’avions pas assez à manger pour deux.Et tu sais quoi ? Elle a empêché que lebaron ne me fasse du mal.

Lorsqu'il eut terminé, Brodicks'adressa à la jeune femme :

- Vous allez me raconter ce qui s'estpassé.

Ce n'était pas vraiment un ordre,plutôt une affirmation tranquille.

- Oui, acquiesça Gillian. Je vais toutvous raconter.

- Et tu sais quoi, mon oncle?

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- Non, quoi ?- Je ne me suis pas noyé.Brodick était encore trop choqué

pour éclater de rire.- Je le vois bien, que tu ne t'es pas

noyé.- Mais est-ce que tu l'as cru ? J'ai dit

à Gillian que tu ne voudrais jamais lecroire.

- Non, je n'ai pas cru que tu t'étaisnoyé.

- Je te l'avais bien dit ! s'exclamaAlec à l'intention de Gillian. Ilsm'avaient enfermé dans un sac en toile,expliqua-t-il à son oncle. J'ai eu trèspeur.

- Qui t'avait enfermé dans un sac ?demanda Brodick, refrénant sa colèrepour ne pas effrayer l'enfant.

- Les hommes qui m'avaientkidnappé.

- Qui étaient ces hommes ?- Je ne sais pas. Je n'ai pas vu leurs

visages.

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- Alec, intervint Gillian, tu veuxbien ramasser nos affaires, pendant queje m'entretiens en privé avec ton oncle ?

Brodick reposa l'enfant à terre et leregarda courir vers le fond de lachapelle.

- Allez-vous m'aider à le ramenerchez ses parents ? demanda Gillian.

Il se tourna vers elle.- Je vais l'escorter jusque chez lui.- Moi aussi, dit Gillian. Je l'ai

promis à Alec et je compte tenir maparole. Par ailleurs, je dois parler à sonpère. C'est urgent et...

Elle inspira profondément, avantd'ajouter :

- J'ai confiance en vous, lordBuchanan. Mais en personne d'autre. Jecrois que huit guerriers vousaccompagnent?

- C'est exact.- J'aimerais voir chacun d'entre eux,

avant qu'Alec ne sorte.- Vous aimeriez les voir? répéta

Brodick, étonné par cette étrange

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requête. Ce sont des Buchanan. Vousn'avez pas besoin d'en savoir plus.

- Je désire quand même les voir,insista Gillian.

Alec revint vers eux en courant.- Tu sais pourquoi, mon oncle ?Brodick regarda son neveu.- Non, pourquoi ?- Parce qu'elle a vu le traître,

déclara-t-il. Je m'étais endormi, maisGillian a tout vu. Elle me l'a dit. C'est unÉcossais.

- Oh, Alec, je t'avais demandé de nepas...

- J'ai oublié, coupa l'enfant. MaisBrodick ne le répétera à personne.

- L'homme que j'ai vu est sans doutedéjà rentré en Écosse, précisa Gillian. Jene veux prendre aucun risque.

- Et vous souhaitez examiner mesguerriers pour vous assurer que le traîtren'est pas l'un d'entre eux? demandaBrodick, outré.

Gillian n'essaya pas de jouer lesdiplomates.

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- C'est exactement cela, lordBuchanan.

- Je croyais que vous aviezconfiance en moi !

- En vous, oui, mais uniquementparce que vous êtes le protecteur d'Alec.En revanche, je me méfie de tous lesautres Écossais. Alec est toujours endanger, et je me tiendrai sur mes gardesjusqu'à ce qu'il ait retrouvé ses parents.

Brodick s'apprêtait à répondrequand ils entendirent un sifflementau-dehors.

- Il nous faut partir, maintenant,dit-il. Mes hommes s'impatientent. LesMacDonald pourraient revenir avec desrenforts.

- Tu es en guerre contre lesMacDonald ? lui demanda Alec.

-Non, pas encore, mais je crains quenos rapports ne se soient subitementenvenimés.

- Pourquoi? Intervint Gillian, quecette réponse laissait sur sa faim. LeMacDonald que j'ai rencontré était un

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homme charmant. Et il a tenu parole,puisque vous avez eu mon message.

Brodick hocha la tête.- Oui, Henley ma délivré votre

message, mais Seulement après en avoirparlé à son seigneur et éveillé du mêmecoup la curiosité de son clan. Voilàpourquoi ils cherchaient à s'emparer devous. Et c'est une insulte que je ne puistolérer.

Gillian était stupéfaite.- S'emparer de moi ? Mais pourquoi

donc ?Il secoua la tête sans daigner lui

répondre.- Partons, à présent.Alec voulut se ruer vers la porte,

mais Gillian le retint par le bras.- Tu ne sortiras pas tant que je

n'aurai pas vérifié que tu n'as rien àcraindre dehors.

- Mais j'en ai marre d'être enfermé !- Sois gentil, ne discute pas, jeune

homme.

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Alec décida d'appeler son oncle à larescousse.

- Je n'arrête pas de lui répéter quemon papa est un lord et qu'elle n'a pasd'ordres à me donner, mais elle refuse dem'écouter. Et elle n'a même pas peur depapa. Tu devrais lui dire.

Brodick cachait son amusement.- Lui dire quoi ?- De me laisser tranquille.- Lady Gillian agit pour ton bien,

Alec,- Mais parle-lui au moins de papa,

insista Alec.Pour faire plaisir à son neveu,

Brodick déclara :- Ian Maitland est un homme très

puissant dans les Highlands. Beaucouple craignent et craignent également demanquer de respect à son fils.

Alec approuvait en hochanténergiquement la tête, mais Gillian neparut nullement impressionnée.

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- Je préfère te garder en vie plutôtque de flatter ton père et t'exposer audanger par la même occasion.

- Montrez-moi votre bras, lui ditsoudain Brodick.

- Pourquoi ?Sans lui répondre, Brodick lui prit le

bras et remonta vivement la manche desa robe. Les taches qui maculaient lebandage prouvaient que sa blessures'était infectée.

- Comment cela est-il arrivé ?Alec s'approcha de la jeune femme.- Tu vas lui dire? demanda-t-il d'une

voix inquiète.Brodick fit mine de ne pas avoir

entendu la question du petit garçon. Detoute façon, il avait maintenant laréponse à la sienne. D'une manière oud'une autre, Alec était responsable de lablessure de Gillian. Quand il serait seulavec l'enfant, il tirerait cette affaire auclair. Mais, dans l'immédiat, il devaitparer au plus pressé. Si cette blessure

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n'était pas rapidement soignée, la jeunefemme tomberait gravement malade.

- Peu importe de savoir comment jeme suis blessée, monseigneur; dit-elle.

- Vous pouvez m appeler Brodick.- Si vous le souhaitez, répondit-elle,

étonnée de voir combien il s'étaitradouci.

- Et qui vous a fait cela?demanda-t-il en désignant sa joue enflée.

- C'est le baron, expliqua Alec avecempressement.

L'enfant était soulagé que son onclene s'intéresse plus au bras de Gillian. Ilavait honte de lui avoir donné des coupsde dague et espérait bien que Brodick nel'apprendrait jamais.

- Et tu sais quoi, mon oncle ?Brodick regardait toujours Gillian,

les sourcils froncés.- Non, quoi ?- Son dos est couvert de bleus.- Alec, tais-toi, s'il te plaît.- Mais c'est vrai ! J'ai vu les marques

quand tu es sortie du lac.

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- Tu étais censé dormir! s'écriaGillian.

Puis elle se tourna vers Brodick etréitéra sa requête.

- Puis-je examiner vos guerriers, àprésent ?

- Oui.Brodick siffla entre ses doigts, si

fort qu'Alec se boucha les oreilles.L'instant d'après, huit guerriers firentirruption dans la chapelle. Chacun d'euxdut se baisser pour passer la porte. LesBuchanan étaient-ils donc tous desgéants? se demanda Gillian. Elle eutjuste le temps de cacher Alec derrièreelle pour le protéger.

Dylan marchait en tête. Il s'avançavers son maître et lui rendit son épée.Brodick la glissa dans sa ceinture, touten s'amusant des mines effarées de seshommes. De toute évidence, ils étaientmédusés par la beauté de la jeune femmeet ne pouvaient détacher les yeux d'elle.

Son amusement, toutefois, tournavite à l'irritation. C'était à croire qu'ils

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n'avaient jamais vu une femme de leurvie !

Alec, désobéissant à Gillian, sepencha sur le côté et adressa un petitsalut de la main à Dylan. Le guerrier sepétrifia.

Gillian, pendant ce temps,dévisageait les Buchanan un à un.

- Êtes-vous rassurée, maintenant?lui demanda Brodick, lorsqu'elle eutterminé son examen.

- Oui.- Ne serait-ce pas un Maitland qui se

cache derrière cette jupe de femme ?s’enquit Dylan d'une voix émue. Il m'abien semblé reconnaître Alec Maitland.

L'enfant courut aussitôt vers lui etrit de bonheur quand le guerrier lesouleva dans ses bras.

- C'est Gillian qui a voulu que je mecache. Moi, je ne voulais pas.

- Nous te croyions mort, mongarçon, murmura Liam, résumant lapensée de ses compagnons.

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- Je ne me suis pas noyé, j'ai étékidnappé, annonça fièrement Alec,toujours pendu au cou de Dylan.

Les huit guerriers se rassemblèrentautour de l'enfant, mais Liam et Robertcontinuèrent à observer Gillian du coinde l'œil. Brodick se rapprocha de lajeune femme et lança un regardcourroucé aux deux hommes, pour leurfaire comprendre qu'il n'appréciait pasleur attitude.

- Si nous partions ? suggéra Gillian.- Oui, partons, approuva Brodick.

Robert, ramasse son baluchon etattache-le à ta selle, ordonna-t-il, tandisqu'il prenait la main de la jeune femmepour l'accompagner jusqu'à la porte.Alec montera avec toi, Dylan, ajouta-t-il.

En passant près de Robert, il luichuchota :

- N'avais-tu donc jamais vu defemme ?

- En tout cas, jamais d'aussi belle,répliqua le guerrier sans se démonter.

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Dylan s'avança vers eux, Alec dansses bras.

- Vous ne nous présentez pas votrefiancée, monseigneur?

- Elle s'appelle lady Gillian,répondit Brodick.

Puis il lui présenta ses hommes,mais si rapidement que la jeune femmene put retenir tous leurs noms.

- Je suis ravie de faire votreconnaissance, leur dit-elle. Et je tiens àvous remercier de m'aider à rendre Alecà ses parents.

- Êtes-vous la fiancée de Brodick?demanda Robert, sans s'embarrasser decirconlocutions.

Gillian rougit légèrement.- Non.- Pourtant, c'est ce que vous avez

prétendu, lui rappela Aaron.Elle sourit.- C'est vrai. J'ai menti pour attirer

lord Buchanan ici.

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- Ce qui est dit est dit, décréta Liam,aussitôt approuvé par ses compagnons.Vous êtes sa fiancée.

- Mais j'ai menti ! Insista Gillian,déroutée par leur réaction.

- Le moment est mal choisi pourcontinuer cette conversation, intervintBrodick.

Il entraîna Gillian dehors, sansprêter la moindre attention aux deuxAnglais qui attendaient devant la porte.Les chevaux des Buchanan étaientattachés un peu plus loin, à un bouquetd'arbres.

- Vous monterez avec moi, annonçaBrodick à la jeune femme.

Gillian libéra sa main.- Je dois d'abord dire au revoir à mes

amis.Avant qu'il ait pu l'en empêcher, elle

courait déjà vers Waldo et Henry.Brodick les vit échanger quelques mots.Comme leur conversation seprolongeait, il les rejoignit.

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- Nous n'avons déjà perdu que tropde temps. Venez.

Gillian l'ignora.- Monseigneur, je voudrais vous

présenter Waldo et Henry Hathaway.Sans leur aide, Alec et moi n'aurionsjamais réussi à arriver jusqu'ici.

Brodick se contenta de saluer lesAnglais d'un signe de tête.

- Waldo, je compte sur toi pourrendre les chevaux que j'ai empruntés,reprit Gillian.

- Mais vous les avez volés, madame,objecta Henry.

- Non. Je n'ai fait que les empruntersans la permission de leur propriétaire.Promettez-moi aussi de vous cacherjusqu'à ce que tout ceci soit fini. Si lebaron découvre que vous m'avez aidée, ilvous tuera.

- Oui, madame, acquiesça Waldo.Nous savons ce dont ce démon estcapable. Nous nous cacherons jusqu'àvotre retour. Que Dieu vous garde, d'icilà.

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Gillian avait les larmes aux yeux.- Je ne pourrai jamais assez vous

remercier. Déjà, quand j'étais toutepetite, vous m'avez secourue. Je resteraiéternellement votre débitrice.

- Ce fut un honneur pour nous devous servir, répondit simplement Henry.

Brodick tira Gillian en arrière.- Nous devons partir, cette fois,

dit-il d'une voix ferme.- Oui, je sais.Gillian tourna les talons, mais fit

signe aux Hathaway d'attendre: Puis ellefaussa de nouveau compagnie à Brodicket courut vers Alec, qui se trouvaittoujours dans les bras de Dylan.

- Alec, va remercier Waldo et Henryde nous avoir escortés.

Le petit garçon secoua la tête.- Non, répliqua-t-il avec arrogance.

Ce sont des Anglais, alors je n'ai pas àleur dire merci. Les Écossais détestentles Anglais.

Gillian s'obligea à garder son calme.

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- Dylan, j'aimerais discuter en tête àtête avec ce garçon.

- Oui, madame.Dès qu'il eut posé Alec à terre,

Gillian prit l'enfant par le bras. Aprèss'être éloignée de quelques pas, elle sepencha pour lui parler à l'oreille.

- Que fait-elle ? demanda Dylan àBrodick.

Celui-ci esquissa un sourire.- Elle rappelle les bonnes manières à

cet enfant. Il jeta un coup d'œil aux deuxfrères Hathaway et ajouta avec un soupir:

- Elle me les a rappelées, à moiaussi.

Sans laisser à Dylan le loisir del'interroger plus longuement, Brodickpartit rejoindre Waldo et Henry.

Dylan ne put entendre ce queBrodick dit aux deux hommes, mais il levit tendre son poignard incrusté depierreries à Waldo. L'objet valant unepetite fortune, l'étonnement de l'Anglaisn'eut d'égal que celui de Dylan. Waldo,

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cependant, commença par refuser leprésent, mais Brodick insista et eut gainde cause.

Gillian, qui n'avait rien perdu de lascène, sourit, tout en continuant à faire laleçon à Alec. Puis elle le conduisitdevant les deux Anglais.

L'enfant s'arrêta à côté de son oncleet s'adressa aux Hathaway :

- Je vous remercie, parce que vousm'avez aidé à rentrer dans mon pays,récita-t-il, les yeux baissés.

- Et ? dit Gillian pour l'encourager.- Et aussi parce que vous n'étiez pas

obligés de le faire.- Alec est conscient que vous avez

risqué votre vie pour la sienne, précisaGillian. N'est-ce pas, Alec?

L'enfant hocha la tête et s'agrippa àla main de Gillian.

- C'était bien, ce que j'ai dit?demanda-t-il, une fois que leursprotecteurs anglais les eurent quittés.

- C'était parfait.

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Ensuite, Dylan jucha l'enfant sur soncheval, puis il se tourna vers Brodick.

- Lady Gillian vous a-t-elle expliquécomment Alec s'était retrouvé avec elle ?

Brodick monta en selle, avant derépondre :

- Non, elle ne m'a encore rien dit.Mais sois patient, Dylan. Pour l'instant,le plus urgent est de nous éloigner desMacDonald. Dès que nous serons ensécurité, elle nous racontera tout.Demande à Liam de prendre la tête.Nous allons passer par le cottage deKevin Drummond avant de remontervers le nord. Robert fermera la marche,pour surveiller nos arrières;

- Drummond habite à plusieursheures d'ici, protesta Dylan. C'est unsacré détour.

- Je sais. Mais la femme de Kevinest réputée pour ses talents deguérisseuse, et il faut soigner le bras deGillian au plus vite.

La jeune femme attendait, àquelques mètres de que les deux

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hommes aient fini de discuter. À en jugerpar les regards qu'ils coulaient dans sadirection, il était clair qu'ils parlaientd'elle.

Le soleil de ce début d'été baignaitson visage et ses épaules, pourtantGillian frissonnait. La fièvrecommençait à la gagner, à son granddésespoir. Elle ne pouvait pas sepermettre de tomber malade. Elle devaitchercher sa sœur.

Heureusement, elle avait un plan.Du moins, un embryon de plan. Dèsqu'elle aurait ramené Alec chez lui, elledemanderait au père de l'enfant de laconduire sur les terres des MacPherson,où Christen était censée vivre. Après...après, elle aviserait.

Brodick s'approcha d'elle au petittrot, la tirant de ses réflexions.L'Écossais, sans ralentir, se baissa, lasouleva dans ses bras avec une aisancedéconcertante et la plaça devant lui.Gillian rabattit vivement sa robe sur sesjambes et essaya de garder le dos raide

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pour ne pas toucher le torse de Brodick.Mais celui-ci ne semblait pas se soucierdes convenances. Il passa un bras autourde sa taille et la plaqua contre lui. Enréalité, Gillian lui en fut reconnaissante,car il lui apporta chaleur et réconfort. Ilétait si robuste, si fort, qu'elle eut mêmela tentation, un instant, de fermer lesyeux et de se reposer. Mais elle sel'interdit, car elle souhaitait garder un œilsur Alec.

À un moment, elle se retourna pourparler à Brodick. Elle le trouva si beauqu'elle en oublia presque ce qu'ellevoulait lui dire. Lord Buchanan luifaisait penser à ces Vikings qui avaientenvahi l'Angleterre, quelques sièclesplus tôt, et dont elle avait lu l'histoiredans un livre. Peut-être Brodickdescendait-il de l'un de ces farouchesconquérants... En tout cas, son visage siparfaitement dessiné avait dû tournerbien des têtes. Alec lui avait dit queBrodick n'était pas marié, mais Gillian se

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surprit à se demander si une femmen'attendait pas son retour.

- Quelque chose ne va pas, Gillian ?- Alec ne pourrait-il pas monter avec

nous ? Il ne pèse pas lourd, et il nousreste de la place.

- Non.Il ne prit pas la peine d'expliquer son

refus, mais Gillian comprit qu'elle nedevait pas se sentir offensée. Son oncleMorgan lui avait dit que les Écossais semontraient la plupart du temps froids etdistants. La rudesse de Brodick n'étaitpas de l'impolitesse, simplement un traitde son caractère.

La jeune femme s'adossa au torse ducavalier et tenta de se détendre, mais ellene pouvait s'empêcher de regarderderrière elle toutes les cinq minutes,pour s'assurer qu'Alec les suivaittoujours.

- Vous allez finir par attraper untorticolis, lança Brodick. Alec ne craintrien, ajouta-t-il. Dylan veille sur lui.

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Puis, plaquant la tête de Gillian dansle creux de son épaule, il lui ordonna :

- Reposez-vous.

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7

Brodick réveilla Gillian lorsqu'ilsfurent arrivés à destination.

La jeune femme ouvrit les yeux.Pendant un moment, elle se demanda sielle ne rêvait pas encore. Où était-elle ?Quel était cet endroit? Des collinesVerdoyantes se détachaient sur le cielsans nuages, tin petit torrent traversait levallon, où se dressait un cottage enpierres grises recouvert d'un toit dechaume.

Des fleurs sauvages de toutes lescouleurs emplissaient l'air de leurparfum. Des bouleaux bordaient letorrent à l'eau pure comme du cristal.Près du cottage, des draps immaculésvoletaient au vent. Un chien montait lagarde en silence devant la porte, et unpetit panache de fumée s'échappait de lacheminée. Gillian eut soudainl'impression de se trouver au paradis.

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Une voix la tira brusquement de sarêverie. Un homme grand, le visageémacié, était sorti du cottage pouraccueillir les cavaliers.

Dylan, Alec dans ses bras, pénétra àl'intérieur de la maison, tandis que lesautres guerriers restaient dehors.Brodick, qui avait mis pied à terre,attendait pour aider Gillian à descendre.Comme la jeune femme se laissaitglisser dans ses bras, leurs regards secroisèrent.

Gillian en profita pour scruter levisage de cet homme qu'elle connaissaità peine et à qui elle avait confié sa vie.Son regard perçant semblait lui dire qu'ilavait deviné tous ses secrets. Mais cen'était qu'un homme, après tout, songeaGillian, et un homme qui avait besoin dese raser. Ses joues et son menton étaientrecouverts d'un duvet blond. Poussée parune étrange envie, Gillian faillit tendre lamain et caresser ces poils.Heureusement, elle se reprit à temps.

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- Pourquoi me regardez-vous ?demanda-t-elle.

- Pour la même raison que vous meregardez, répliqua-t-il d'une voixarrogante.

Elle s'écarta de lui.- Pourquoi nous sommes-nous

arrêtés ici ? Et qui est cet homme quinous a accueillis ? Alec n'aurait pas dûentrer dans sa maison tant que je...

- C'est la dernière fois que je vousrappelle qu'Alec est en sécurité avecDylan, coupa Brodick. Dylan se sentiraitgravement insulté de savoir que vousn'avez pas confiance en lui.

- Mais je ne le connais pas, objectaGillian.

- Moi non plus, vous ne meconnaissez pas. Pourtant, vous avezdécidé de me faire confiance. Vousdevez donc me croire sur parole. Mesguerriers seraient prêts à mourir pourdéfendre Alec, conclut-il d'un ton sansréplique.

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- Je suis trop fatiguée pourargumenter.

- À la bonne heure ! De toute façon,je préfère vous prévenir : il ne sert à riende discuter avec un Buchanan. Nousavons toujours le dernier mot.

Gillian pensa qu'il plaisantait, maisdans le doute, elle n'osa pas rire. Soit cethomme avait un étrange sens del'humour, soit il était d'une suffisancerare.

- Venez, maintenant, dit-il, tout enla prenant par le bras pour l'entraînervers le cottage. Nous avons déjà perduassez de temps.

- Allons-nous passer la nuit ici ?- Non. Nous repartirons dès

qu'Annie aura soigné votre bras.- Je ne veux pas la déranger...- Elle sera honorée de vous servir.- Pourquoi ?- Parce qu'elle croit que vous êtes

ma fiancée.- Pourquoi croirait-elle cela? Je n'ai

menti qu'au jeune MacDonald.

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Il rit.- Les nouvelles vont vite, dans les

Highlands. Et tout le monde sait que lesMacDonald sont incapables de garder unsecret.

- Ô mon Dieu! Je vous cause biendes ennuis, n'est-ce pas ?

- Pas du tout, répondit-ilsimplement.

Arrivé devant la porte du cottage, ils'effaça pour la laisser entrer la première.

- Avez-vous confiance en ces gens ?Lui chuchota-t-elle.

Il haussa les épaules.- Autant que je puisse avoir

confiance en quelqu'un qui n'est pas unBuchanan. La sœur de KevinDrummond a épousé l'un de mesguerriers. Annie et lui font donc un peupartie de la famille.

Dylan la présenta au couple. AnnieDrummond, debout devant la cheminée,inclina respectueusement la tête poursaluer la fiancée de lord Buchanan. Elleétait à peu près de l'âge de Gillian, et son

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ventre doucement arrondi annonçait lavenue prochaine d'un bébé. KevinDrummond s'inclina lui aussi, avant delui souhaiter la bienvenue dans samaison.

Le cottage était petit mais bien tenu,et une bonne odeur de pain frais flottaitdans la pièce. La table ovale étaitentourée de six chaises. C'étaitexactement le genre de maison queGillian aurait aimé habiter, quand elle sesurprenait à rêver qu'elle tombaitamoureuse et fondait une famille. Unrêve irréalisable, bien sûr. Car sa vie neserait que solitude et chagrin.

- C'est un honneur de vous avoirchez nous, répéta Kevin, qui semblaittrès intimidé de recevoir son seigneurdans son humble demeure.

Annie proposa à la jeune femme des'asseoir pour qu'elle puisse examiner sablessure. Pendant que Gillian s'installait,son hôtesse étala un linge propre sur latable. Gillian posa son bras dessus,remonta sa manche et ôta son bandage.

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- Ce n'est pas une blessure bienméchante, mais je crains qu'elle ne sesoit infectée, expliqua-t-elle.

Mais Annie pâlit brusquement enconstatant l'étendue des dégâts.

- Ma pauvre, cela doit vous faireterriblement souffrir!

Brodick et Dylan s'approchèrentpour observer la blessure. Alec, lui, seréfugia dans les jupes de la jeune femme.Il paraissait terrifié.

- Comment cela vous est-il arrivé ?demanda Dylan.

- Je me suis coupée.- Il faut désinfecter la plaie de toute

urgence, annonça Annie.Elle se tourna vers Brodick et

précisa :- Il va falloir que vous restiez ici

deux jours, monseigneur. Comme c'estune dame, je serai obligée d'employer laméthode douce.

- Je ne peux pas m'attarder aussilongtemps, protesta Gillian.

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- Et si c'était un homme ? interrogeaBrodick. Comment le soignerais-tu ?

Persuadée qu'il lui avait posé cettequestion par simple curiosité, Annierépondit franchement :

- Je rouvrirais la plaie pour drainerle pus, puis je verserais dessus unonguent de ma fabrication. C'est radicalpour désinfecter et cautériser, mais c'esthorriblement douloureux.

- J'ai vu des guerriers hurler etsangloter pendant qu'Annie étalait cetonguent sur leur blessure, renchéritKevin.

Brodick laissa Gillian choisir laméthode.

La jeune femme était convaincueque les Drummond exagéraient larudesse du traitement. De toute façon,elle ne pouvait pas se permettre deperdre deux jours, juste pour s'éviter unepetite douleur de rien du tout.

Brodick semblait lire dans sespensées, car il demanda à Annie :

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- Au bout de combien de temps lesguerriers que tu soignes avec cet onguentsont-ils capables de repartir?

- Oh, dès que j'ai posé un bandagesur leur blessure!

- Mais ne repartent que ceux quitiennent encore sur leurs jambes, déclaraKevin.

Brodick échangea avec Gillian unregard entendu, avant de reprendre :

- Tu vas utiliser cet onguent sur elle,Annie. Elle ne dira rien. C'est uneBuchanan, ajouta-t-il.

- Êtes-vous sûr que je ne crierai pas,monseigneur? demanda Gillian, quel'arrogance de Brodick amusait, cettefois.

- Sûr et certain, répondit-il avec leplus grand sérieux.

Gillian eut soudain envie de fondreen larmes, avant même qu'Annie netouche sa blessure, pour le simple plaisirde vexer ce fanfaron. Elle y renonça,cependant, de crainte de bouleverserAlec et d'effrayer son hôtesse. Mais elle

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se jura de rappeler à Brodick qu'ellen'était pas une Buchanan, dès qu'elle seretrouverait seule avec lui. Et ellepréciserait qu'elle s'en félicitait, car lesBuchanan étaient beaucoup trop imbusd’eux-mêmes.

Annie avait blêmi quand Brodickavait choisi pour sa fiancée le traitementréservé aux guerriers. Elle chuchotaquelques mots à l'oreille de son mari.Bien que Gillian ne pût saisir que desbribes de phrase, elle en entendit assezpour comprendre qu'Annie demandait lapermission d'endormir sa patiente.

Kevin rapporta ensuite à Brodick larequête de son épouse, toujours à voixbasse, pendant qu'Annie, dans la cuisine,réunissait les ingrédients dont elle auraitbesoin.

Gillian décida d'intervenir.- Je ne souhaite pas être droguée,

déclara-t-elle. J'apprécie votresollicitude, mais je veux garder l'espritclair, pour que nous puissions repartir leplus tôt possible.

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Brodick hocha la tête sans mot dire.- J'insiste, reprit-elle. Je refuse d'être

droguée.Alec tira sur sa manche pour attirer

son attention. Au moment où elle sepenchait vers lui, Gillian aperçut Anniequi versait discrètement une poudre dansun gobelet, avant d'y ajouter du vin.

- Qu'y a-t-il ? demanda-t-elle àl'enfant.

- Tu vas leur dire ? murmura-t-il.- À propos de ma blessure ?Il acquiesça.- Non, je ne dirai rien. Cesse de

t'inquiéter à ce sujet.- D'accord, répondit-il. Tu sais

quoi? J'ai faim.- Nous mangerons tout à l'heure.- Avec votre permission,

monseigneur, j'aimerais porter un toast àvos fiançailles, intervint Kevin, tandisque sa femme lui tendait un plateauchargé de gobelets.

- Mais je ne suis pas... commençaGillian.

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- Tu as ma permission, Kevin, coupaBrodick.

La jeune femme fronça les sourcils.Elle ne comprenait pas pourquoiBrodick n'avait pas rétabli la vérité, maiselle préféra attendre d'être seule avec luipour réclamer une explication.

Kevin posa le vin destiné à Gillianjuste devant elle, à bonne distance desautres gobelets. Apparemment, il voulaitéviter toute confusion avec la boissondroguée. Bien que Gillian sût que lesDrummond pensaient agir dans sonintérêt, elle était furieuse qu'ils fassent fide sa volonté. Une fois le toast prononcé,elle serait obligée de boire, pour pasparaître impolie. Il ne lui restait doncqu'une solution.

- Puis-je inviter vos autres guerriersà partager

ce toast ? demanda Kevin.En guise de réponse, Brodick ouvrit

la porte et siffla. La seconde d'après, sixgéants pénétraient dans le petit cottage.Gillian aida à distribuer les gobelets.

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Quand tout le monde fut servi,Kevin leva son verre bien haut.

- Buvons à une longue vie d'amourpeuplée de beaux enfants, suggéra-t-il.

- Oui, oui, acquiesça Aaron.Tout le monde attendit que Gillian

boive la première. Une fois les gobeletsvidés, Brodick fit un signe à Annie ets'assit face à Gillian. Il lui demandad'étendre à nouveau son bras sur le lingeet serra solidement la main de la jeunefemme dans la sienne. Il voulait éviterque son bras ne se rétracte pendantqu'Annie opérerait, comprit Gillian.

Dylan se plaça derrière la jeunefemme et posa les mains sur ses épaules.

- Robert, emmène l'enfant dehors,dit-il.

Alec s'agrippa au bras valide deGillian.

- Je veux rester avec toi,murmura-t-il, angoissé.

- Demande poliment la permission àDylan. Peut-être changera-t-il d'avis.

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L'enfant leva timidement les yeuxvers le guerrier.

- Je peux rester... s'il te plaît?- Lady Gillian? interrogea Dylan.- J'aimerais beaucoup qu'il me

tienne compagnie.- Dans ce cas, tu peux rester, Alec.

Mais promets-moi de ne pas nous gêner.- Je te le promets, Dylan.Annie vint s'asseoir à côté de

Gillian. Elle était prête à commencer,mais préféra cependant attendre encoreun peu.

- N'avez-vous pas sommeil,madame?

- Moi ? Pas du tout.Annie jeta un coup d'œil à Brodick.- Patientons encore une minute ou

deux, proposa-t-elle.Gillian observa les hommes qui

l'entouraient et remarqua que Kevin etRobert bâillaient à s'en décrocher lamâchoire. Elle ne pouvait donc savoirlequel avait bu le somnifère. Puis Kevin

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se mit à vaciller imperceptiblement surses jambes.

- Annie, dites à votre mari des'asseoir.

- Pourquoi devrais-je m'asseoir,madame? S’étonna Kevin.

- Parce que vous vous ferez moinsmal en tombant.

Mais Kevin n'eut pas le temps desuivre son conseil. Soudain, il chancela.Heureusement, un des guerriers réussit àle rattraper au moment où son front allaitheurter le rebord de la table.

- Vous avez échangé les gobelets!s'exclama Dylan.

- Elle a drogué Kevin? S’enquit unautre guerrier, hilare.

Gillian se sentit rougir. Elle baissales yeux et réfléchit à l'excuse qu'ellepourrait donner à Annie.

Désarçonnée par la tournure desévénements, celle-ci interrogea sonseigneur du regard. Brodick haussa lesépaules. Il semblait déçu, mais une lueurétrange brillait dans ses yeux.

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- Kevin avait sommeil, on dirait. Val'allonger sur son lit, Aaron. Annie, à toide jouer, ajouta-t-il.

L'Écossaise hocha la tête. D'unemain tremblante, elle s'empara d'uncouteau. Brodick étreignit la main deGillian, juste à l'instant où la lame ducouteau toucha sa peau. Au début, lajeune femme voulut lui dire que c'étaitinutile, mais dès qu'Annie commença àrouvrir la plaie, elle le remerciamentalement de son aide. S'il ne l'avaitpas maintenue fermement, elle n'auraitpu s'empêcher de retirer son bras.

Le traitement, cependant, se révélabeaucoup moins terrible que ne l'avaientlaissé présager les échanges d'Annie etde son mari. Lorsque la guérisseusedraina le pus accumulé dans la plaie,Gillian éprouva même une brusquesensation de soulagement.

- Ça fait mal? lui demanda Alecd'une voix angoissée.

- Non, répondit-elle tranquillement.

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En voyant qu'elle restait si calme, ilse détendit à son tour.

- Et ça a fait mal, quand le baron t'adonné un coup de poing dans la figure?S’enquit-il.

- Chut, Alec.- Tu as senti quelque chose?

Insista-t-il.Elle soupira.- Non.Annie, qui était en train de nettoyer

la blessure avec un linge propre,suspendit son geste.

- Un homme vous a battue, madame? dit-elle, visiblement très émue.

Gillian s'empressa de la rassurer.- Ce n'était pas très grave. Ne vous

inquiétez pas.- Qui était cet homme ? demanda

Annie.Le silence s'installa soudain dans la

pièce. Tout le monde semblait attendrela réponse de Gillian.

- Ce n'est pas important,répliqua-t-elle.

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- Si, c'est important, objecta Dylan.Un murmure d'approbation suivit sa

déclaration.- C'était un Anglais, lâcha Alec.Annie hocha la tête d'un air entendu

et reprit sa tâche.- Je me doutais bien que c'était un

Anglais, marmonna-t-elle. Un Écossaisn'oserait jamais lever la main sur unefemme.

Plusieurs guerriers lui firent écho.Gillian, mal à l'aise, tenta de changer desujet.

- C'est une belle journée, n'est-cepas? Le soleil brille et...

- Le baron était soûl, coupa Alec.- Alec, personne n'a envie

d'entendre les détails de...-Si, justement, nous voulons les

entendre, intervint Brodick.Il bouillait de rage. Quel monstre

pouvait être assez cruel pour frapper unefemme et un enfant sans défense? Oui, ilvoulait connaître tous les détails. Et il se

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jura de les obtenir avant le coucher dusoleil.

- Hein, qu'il était soûl, Gillian?Insista Alec.

Elle ne répondit rien, mais l'enfantne se laissa pas intimider. Puisqu'elle nelui avait pas interdit d'évoquer cetépisode, il décida de tout raconter.

- Oncle Brodick, tu sais quoi ?- Non, quoi ?- Le baron l'a frappée avec son

poing, et quand elle est tombée par terre,tu sais ce qu'il a fait ? Il lui a donné pleinde coups de pied partout. J'avais trèspeur.

- Vous avez terminé, Annie ?demanda Gillian.

- Bientôt, madame.- Et tu sais quoi ? Continua Alec. Je

me suis jeté sur Gillian pour la protéger,mais tu sais ce qu'elle a fait? Elle m'aabrité dans ses bras pour que je neprenne pas de coups.

Gillian aurait voulu bâillonnerl'enfant avec sa main. Les guerriers

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semblaient horrifiés par le récit d'Alec.Tous les regards étaient braqués sur elle,et la jeune femme se sentait terriblementembarrassée.

- Et tu sais ce qu'elle a fait, quand lebaron s'est arrêté de la frapper?poursuivit Alec. Elle lui a souri, justepour l'énerver.

Annie glissa un linge propre sous lebras de Gillian.

- Monseigneur, j'ai fini de drainer laplaie.

Brodick comprit l'allusion.- Mon neveu a faim, dit-il. Si tu lui

donnais un morceau de ton pain, Annie,je crois qu'il accepterait.

- Avec du miel, ajouta Alec.Annie lui sourit.- Bien sûr. Avec du miel.- Tu iras la manger dehors, décréta

Brodick. Robert t'accompagnera.- Mais, oncle Brodick, je veux rester

avec Gillian...- Je lui tiendrai compagnie à ta

place. Robert?

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Le guerrier s'approcha du petitgarçon.

- Je t'appellerai si j'ai besoin de toi,lui murmura Gillian.

Elle dut également lui jurer, sur latête de sa mère, qu'elle ne partirait passans lui. Alec, enfin rassuré, prit latartine que lui tendait Annie et suivitRobert dehors, oubliant au passage deremercier son hôtesse.

- Je lui rappellerai la politesse plustard, dit Gillian. Il est encore très jeuneet il sort d'une pénible épreuve.

- Que vous l'avez aidé à traverser,observa Dylan.

Il avait à nouveau posé ses mainssur ses épaules, plus pour l'empêcher debouger que pour la réconforter.

Sur ces entrefaites, Annie revintavec une casserole contenant un liquidefumant.

- Ce n'est pas très chaud, madame,mais ça va vous brûler quand même. Sivous avez besoin de crier...

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- Elle ne dira rien, répéta Brodickavec assurance.

Gillian était médusée par sonarrogance. Comment pouvait-il savoir sielle serait courageuse ou pas?

Annie continuait à remuer le liquidedans la casserole. Lorsque Brodick lui fitun signe de tête, elle versa brusquementl'onguent sur la plaie ouverte de la jeunefemme. La douleur fut instantanée etterrible. Gillian eut l'impression que toutson bras s'enflammait et que le feu secommuniquait à ses os. Elle aurait bondide sa chaise si Brodick et Dylan nel'avaient pas fermement maintenue. Et lepire était que la douleur ne cessaitd'augmenter. Gillian se cambra, respira àpleins poumons, ferma les yeux pourretenir ses larmes, serra les dents pour nepas crier et s'agrippa à la main deBrodick de toutes ses forces.

S'il lui avait témoigné la moindremarque de sympathie, elle se serait sansdoute effondrée, mais comme il restait

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impassible, le regard presqueinexpressif, elle réussit à se contrôler.

En réalisant qu'elle s'était colléecontre Dylan, elle s'obligea à raidir ledos. Heureusement, au moment où ellese disait qu'elle ne pourrait pas supportercette torture une seconde de plus, ladouleur commença à diminuer.

- Le pire est passé, madame,murmura Annie, qui semblait souffrirautant qu'elle. Maintenant, je vais étalerun baume apaisant sur votre blessure,puis je vous mettrai un pansementpropre. La douleur est-elle supportable,à présent ?

Gillian essaya en vain de parler.Finalement, elle se contenta de hocher latête. Elle regardait pardessus l'épaule deBrodick, fixant un point sur le mur, enpriant pour ne pas perdre connaissance.Quelques minutes plus tard, le bras de lajeune femme était à nouveau bandé dupoignet jusqu'au coude. Annie travaillavite, bien que les conditions ne fussentpas idéales : Gillian avait refusé de

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lâcher la main de Brodick. Maintenantque la douleur décroissait, il lui caressaitla paume avec son pouce. Sonexpression n'avait pas changé, mais cettepetite attention suffit à réconforterGillian. Elle avait l'impression qu'ill'avait prise dans ses bras et qu'il laserrait très fort.

Quand Annie eut noué le bandage,Gillian se résolut à lâcher la main deBrodick.

- Voilà, c'est fini, annonça Annie.Demain, vous vous sentirez en pleineforme. Mais essayez de ne pas mouillervotre bandage, au moins pendant deuxjours.

Gillian hocha la tête et remercia sonhôtesse d'une voix un peu rauque.

- Si vous voulez bien m'excuser unmoment, ajouta-t-elle.

Dylan l'aida à se lever, puis ellequitta le cottage, les guerriers de Brodicks'inclinant un à un sur son passage.

Gillian se doutait qu'ils l'observaientdepuis la porte, aussi résista-t-elle à son

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envie de courir. Alec se trempait lespieds dans le torrent, sous la garde deRobert. Par chance, l'enfant ne la vit passortir, et elle eut le temps de partir dansla direction opposée avant qu'il ne puisseentendre son premier sanglot.

Liam la suivit des yeux, l'air inquiet,puis se tourna vers Annie.

- Reste-t-il un peu de cet onguent?demanda-t-il.

- Le fond de la casserole, réponditleur hôtesse.

Liam s'assit, tira son poignard de saceinture et se fit une petite entaille aupoignet. Aucun de ses compagnons nefut surpris. Liam était comme saintThomas : il ne croyait que ce qu'il voyait.

Désireux de savoir exactement queleffet produisait cet onguent, il posa sonbras sur le linge encore étalé sur la tableet ordonna à Annie :

- Verse ce qu'il te reste sur cetteégratignure.

- Cette coupure n'a rien de communavec la blessure de lady Gillian, prévint

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Annie. La brûlure sera moins vive.Après cette précision, elle vida lecontenu de la casserole sur l'égratignure.Sur le coup, Liam ne manifesta aucuneréaction. Il gratifia Annie d'unhochement de tête, se releva sans motdire et sortit. Les autresl'accompagnèrent, attendant patiemmentqu'il rende son verdict. Finalement, illâcha, d'une voix étranglée qui fit sourireAaron :

- Nom de nom, ça fait un mal dechien ! Je ne comprends pas commentcette fille a pu endurer cela.

Robert les rejoignit, Alec juché surune de ses épaules. L'enfant riait à gorgedéployée, mais sa bonne humeurs'évanouit brusquement quand il réalisaque Gillian n'était plus là. Il obligeaRobert à le reposer et se mit à pleurer àchaudes larmes en criant le nom de lajeune femme.

Robert plaqua une main sur sabouche pour le faire taire.

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- Elle est partie se promener derrièrela maison, Alec. Calme-toi. Elle vabientôt revenir.

Sans cesser de sangloter, l'enfantcourut vers son oncle. Brodick le pritdans ses bras et lui tapotaaffectueusement le dos.

- Gillian ne t'a pas abandonné, mongarçon. Ne pleure plus.

Un peu honteux d'avoir paniqué, lepetit garçon tacha son visage dans le coude son oncle.

- J'ai cru qu'elle était partie,avoua-t-il.

- Depuis que tu la connais, t'a-t-ellequitté une seule fois?

- Non, c'est vrai, admit-il, rasséréné.Puis, regardant son oncle droit dans

les yeux, il ajouta :- Tu vas la protéger, hein, oncle

Brodick? Parce que c'est une faiblefemme.

Brodick éclata de rire.- Ça reste à prouver.

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- Si, je t'assure. La nuit, je l'entendspleurer, quand elle pense que je suisendormi. Je lui ai expliqué qu'elle avaitbesoin de toi. Je ne veux plus quequelqu'un la batte.

- Je ne laisserai personne lui faire demal, promit Brodick. Tu n'as plus àt'inquiéter, maintenant. Retourne avecRobert. Nous partirons dès que Gilliansera rentrée de sa promenade.

Gillian ne réapparut qu'une bonnedizaine de minutes plus tard, les yeuxrougis et gonflés. Brodick attendit, prèsde son étalon, qu'elle ait remercié Annie.Lorsqu'elle vint à sa rencontre, il lasouleva dans ses bras pour l'asseoirdevant lui sur la selle. Elle était siéprouvée par le traitement qu'elle avaitsubi qu'elle n'avait même plus la force dese tenir droite.

Brodick ressentit soudain le besoinde la réconforter et de la protéger. Ill'enlaça et la serra contre lui. Au bout dequelques minutes, elle s'endormit, etBrodick put la contempler à loisir. Elle

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avait un visage d'ange, songea-t-il. Dudos de la main, il lui caressa la joue.Puis, cédant au désir qui le taraudaitdepuis le premier instant où il avait poséles yeux sur elle, il se pencha pourl'embrasser doucement. Elle ne seréveilla pas, mais émit un petit soupir quile fit sourire.

Sa raison, cependant, lui disait degarder ses distances. Gillian étaitanglaise, et il détestait tout ce qui étaitanglais depuis qu'il avait essayé, dans sajeunesse, de trouver une épouse aussiadmirable que Judith, la femme de IanMaitland. Sa quête n'avait pas abouti, carIan possédait déjà le seul trésor quepouvait receler l'Angleterre.

Du moins, c'était ce que Brodickavait cru jusqu'à ce qu'il croise la routede Gillian. Maintenant, il n'en était plusaussi sûr.

- Tu es très courageuse,murmura-t-il. Je t'accorde au moins cela.

Mais rien de plus.

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8

Ce soir-là, ils établirent leur campdans une petite clairière qui descendaiten pente douce jusqu'au lac Beech.

Alec passait en premier. Bien qu'ilbrûlât de connaître les réponses auxquestions qu'il se posait, Brodickattendit patiemment que l'enfant aitmangé avant d'interroger Gillian. Il étaittard et la lune brillait déjà dans le ciel.Gillian et Alec étaient fatigués. Aprèsavoir constaté que la jeune femmefrissonnait, Liam alluma un feu. Elle leremercia d'un sourire qui fit rougir leguerrier comme un adolescent.

Gillian s'assit sur la couverturequ'Aaron avait étalée pour elle. Brodicks'émerveillait toujours du courage de lajeune femme. Elle avait le teint pâle etles yeux fiévreux, mais elle ne s'était pasplainte une seule fois. Elle refusa lanourriture que Robert lui offrit. Duranttout le repas, elle surveilla Alec, lui

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rappelant de manger lentement pourmieux profiter de la nourriture.

Le garçon était d'excellente humeur,jusqu'à ce qu’elle lui propose de sebaigner dans le lac. Il se releva et courutse réfugier derrière son oncle.

- Je n ai pas besoin de me laver !protesta-t-il.

- Tu te sentiras mieux après, insistaGillian, que la réaction de l'enfant nesemblait pas étonner.

Alec secoua la tête avec véhémence.- Non, je refuse ! cria-t-il.- Alec, tu ne dois pas parler à une

dame sur ce ton, dit Brodick, l'air sévère.Et cesse de te cacher derrière moi. UnMaitland est toujours courageux.

L'enfant vint se placer à ses côtés.- Je ne veux pas me laver,

marmonna-t-il.- Pourquoi donc ?Alec désigna Gillian.- Elle va se servir de son savon et

je...

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- Tu quoi ? fit Brodick pourl'encourager.

- Je vais sentir comme une fille.- Ça m'étonnerait beaucoup, Alec.- J'ai pris de gros risques pour

emprunter ce savon, lui rappela Gillian.- Tu l'as volé.- Non, Alec, je l'ai emprunté,

rectifia-t-elle.Puis elle expliqua à Brodick :- C'est un savon fait avec des pétales

de roses, et Alec pense que si jel'utilise...

- ... je vais sentir comme une fille,conclut le garçon, l'air buté.

Robert l'attrapa par surprise et leporta jusqu'au lac. Liam demanda lesavon à Gillian et les suivit.

Gillian entendit Robert promettre àl'enfant qu'ils sentiraient aussi la roseaprès s'être lavés, mais qu'ils ne seraientpas des femmes pour autant.

La minute d'après, Alec riait auxéclats. Gillian décida alors de se releverpour se dégourdir un peu les jambes.

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Aaron et un autre guerrier offrirentaussitôt de l'aider et la prirent chacun parun bras.

- Merci, messieurs.- Je m'appelle Stephen, lui dit le

guerrier aux cheveux bruns,- Avez-vous retenu tous nos noms?

demanda Aaron.- Non, pas tous. Robert a emmené

Alec se baigner, Liam les aaccompagnés, et je sais que vous êtesAaron. Mais je ne me souviens plus dunom des autres. - Moi, je m'appelleFingal, déclara un grand roux ens'approchant.

- Et moi, Ossian, dit un autre.Gillian fut soudain entourée de

géants. Ils semblaient la regarder commeun animal d'une espèce inconnue.N'avaient-ils donc jamais rencontréd'Anglaise auparavant ? Et pourquoi luimanifestaient-ils autant d'intérêtmaintenant ? Ils étaient ensemble depuistoute une journée. Leur curiosité auraitdû être satisfaite.

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Entre deux des géants, Gillianpouvait apercevoir Brodick, adossécontre un arbre à quelques mètres de là.Lui aussi l'observait. Mais, à ladifférence de ses guerriers, il ne souriaitpas.

- Vous n'avez presque rien mangé,madame, s’inquiéta Ossian. Vous nevous sentez pas bien ?

- Si, très bien, merci.- Vous n'avez pas besoin de vous

montrer courageuse devant nous, lui ditStephen.

- Vous savez, monsieur...- Appelez-moi Stephen.Un autre guerrier se joignit au

groupe. Il avait de beaux yeux noirs, etune cicatrice lui barrait la joue gauche.

- Je me nomme Keith, annonça-t-il.Et je voulais vous dire que vous n'avezpas à craindre de parler librement devantnous. Nous sommes la garde personnellede votre seigneur.

- Mais ce n'est pas mon seigneur.

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Dylan, qui se dirigeait vers eux,entendit la dernière remarque de la jeunefemme et constata qu'aucun desguerriers ne la contredisait. Ils luisouriaient tous comme des idiots.

- Lady Gillian, Annie a confié àLiam une poudre médicinale pour vous.Vous devez en prendre la moitié ce soir,mélangée avec de l'eau, et le restedemain soir.

Liam revenait justement du lac, ungobelet dans les mains.

- Je l'ai goûtée, madame. C'est trèsamer. Je vous conseille de l'avaler d'unseul coup.

Gillian le regarda d'un œilsuspicieux.

- Auriez-vous l'intention de medroguer pour m'obliger à dormir, Liam?

Il rit.- Non, madame. Ce qui s'est passé

avec Kevin Drummond nous a servi deleçon. Cette potion est simplementdestinée à faire baisser votre fièvre.

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Gillian décida de le croire et vida legobelet aussi vite qu'elle put. Liamn'avait pas menti. Le breuvage étaithorriblement amer, et elle dut respirer àpleins poumons pour réprimer son enviede vomir.

- Le traitement est plus pénible quele mal, commenta-t-elle, pâle comme unlinge.

- Votre bras est-il encoredouloureux? demanda Stephen.

- Non, répondit-elle. Et maintenant,messieurs, si vous voulez bienm'excuser, j'aimerais m'entretenir enprivé avec lord Buchanan.

Fingal et Ossian s'écartèrent pour lalaisser passer, tandis que Keith ramassaitprestement la couverture pour la déposerprès de l'arbre où se tenait Brodick.

La jeune femme le remercia de cettedélicate attention et s assit.

- Pouvons-nous faire autre chosepour vous, madame ? S’enquit Fingal.

- Non, merci. Vous avez tous ététrès gentils avec moi.

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- Vous n'avez pas à nous remercierd'avoir accompli notre devoir, madame,répliqua Ossian.

- Je vous en prie, appelez-moiGillian.

Le guerrier parut scandalisé par unetelle proposition.

- Je n'oserais jamais me lepermettre, madame.

- C'est hors de question, en effet,intervint Brodick, qui s'était rapprochéde la jeune femme. Partez, maintenant,ordonna-t-il à ses guerriers.

L'un après l'autre, les guerrierss'inclinèrent devant Gillian, avant des'éloigner vers le lac. La jeune femme lessuivit des yeux jusqu'à ce qu'ils aientdisparu, tout en essayant de rassemblerses idées. Le moment était venu dedonner à Brodick les explications qu'ilréclamait, mais Gillian répugnait àévoquer le passé.

Elle posa les mains sur ses genouxet attendit que Brodick l'interroge. Dylanétait resté auprès d'eux. Il se tenait

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debout, face à Brodick et à la jeunefemme, les bras croisés sur sa poitrine.

- Comment avez-vous rencontréAlec ? demanda Brodick.

- Je ne sais pas très bien par oùcommencer...

- Commencez tout simplement parle début. Elle hocha la tête.

- C'est l'histoire d'une vieilleobsession, en fait...

- Une obsession ? Coupa Dylan.- Laisse-la parler sans l'interrompre,

lui ordonna Brodick. Nous lui poseronsdes questions après.

- J'ai une sœur, expliqua Gillian.Elle s'appelle Christen. Quand nousétions petites, notre château fut attaquéet notre père tué devant mes yeux.

Une petite brise agitait les branchesdes sapins, emplissant l'air d'unemusique mélancolique. Gillian avait lecœur serré en décrivant la funeste nuitqui avait vu sa vie basculer. L'histoire ducoffret d'Arianna et de l'obsession du roià retrouver le meurtrier de sa bien-aimée

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intrigua Brodick. Mais, fidèle à saparole, il n'interrompit pas Gillian, secontentant de l'encourager à poursuivreson récit lorsqu'elle marquait une pause.

- Si le baron récupère le trésor, ilrecevra une énorme récompense. C'estuniquement la cupidité qui le motive,reprit-elle. Et il est convaincu queChristen détient le coffret depuis qu'ellea quitté l'Angleterre.

Brodick drapa son plaid autour desépaules de la jeune femme.

- Vous frissonnez, lui dit-il.Gillian, surprise par sa sollicitude,

balbutia un remerciement qu'il semblaignorer.

- Continuez, lui ordonna-t-il.- Le baron a fini par découvrir que

Christen se cache dans les Highlands.- Comment a-t-il obtenu cette

information?- Par le traître dont je vous ai déjà

parlé, souvenez-vous. Cet Écossais saitoù vit Christen, et il a promis au baron dele lui révéler en échange d'un service.

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- Quel service ?- Il désirait que le baron séquestre le

frère de lord Sinclair après sa capture.Dylan rompit sa promesse.- Mais c'est le fils de Ian Maitland

qui a été enlevé !- Oui. Ils se sont trompés d'enfant.Leurs questions commencèrent,

l’une suivant l'autre à un tel rythme queGillian eut bientôt la migraine. Pendantqu'elle répondait à Brodick et à Dylan, lerire d'Alec lui parvenait depuis le lac.Les guerriers de Brodick divertissaientl'enfant pour qu'il ne s'immisce pas dansleur conversation.

- Et quel rôle jouez-vous dans cettehistoire ? demanda Brodick.

- Le baron m'a chargée de retrouverma sœur et le coffret et de les lui rameneravant la fin de l'été.

- Et si vous échouez ?- Il tuera mon oncle Morgan,

répondit-elle, la voix brisée par unsanglot.

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Consciente que la fatigue mettait sesnerfs à vif, la jeune femme s'obligea àgarder son calme et reprit :

- Mon oncle est le plus adorable deshommes. Il m'a recueillie et élevée aprèsle drame comme sa propre fille. Je l'aimeet veux le protéger par tous les moyens.

- Le baron n'est donc pas votreparent?

- Pas du tout. Avez-vous fini dem'interroger, maintenant ? Il est tard et jesouhaiterais coucher Alec.

- J'ai presque termine, répliquaBrodick. Donnez-moi le nom de cetÉcossais qui s'est associé avec le baron.

- Impossible. Je l'ignore.- Ne me cachez-vous pas la vérité ?

Le baron ou l'un de ses comparses ontbien dû prononcer son nom, à unmoment ou à un autre.

- Pourquoi mentirais-je ? Pourprotéger un traître ?

- Mais vous l'avez vu, n'est-ce pas?Alec me l'a dit.

- Oui.

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- Et vous sauriez le reconnaître, sivous l'aviez à nouveau devant vous ?demanda Dylan.

- Oui. Il faisait sombre, maisl'Écossais est passé très près de moi. J'aiparfaitement distingué ses traits. Il étaitseul ce soir-là, mais Alec se souvientqu'au moins deux ou trois hommes l'ontkidnappé, ce qui signifie qu'il a descomplices.

Elle prit une profonde inspiration,avant d'ajouter :

- J'imagine que vous avez devinépourquoi ce traître se rendait àDunhanshire...

- Pour informer le baron qu'il y avaiteu erreur sur l'enfant, répondit Dylan. EtAlec aurait été tué, n'est-ce pas ?

- Oui.- Pourquoi le baron vous a-t-il

frappée, madame? S’enquit Dylan. Vousa-t-il donné une raison?

- Un homme qui frappe une femmeest un lâche, Dylan, et les lâches n'ontpas besoin de raison pour justifier leurs

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forfaits, répliqua Brodick d'une voixblanche de colère.

Gillian resserra le plaid sur sesépaules.

- Notre première tentative de fuiteavait échoué. Le baron a voulu nouspunir, Alec et moi.

- Alec nous a raconté comment vousl'avez protégé, déclara Dylan. Vous vousêtes montrée très courageuse, madame.

- Oh, je ne sais pas si c'était ducourage ! protesta Gillian avec modestie.J'avais peur qu'il ne tue l'enfant et j'étaissi paniquée que je...

Elle s'interrompit pour reprendreson souffle.

- Nous nous en sommes bien tirés,finalement. Je n'ai pas été séparéed'Alec, ce qui nous a permis de nousenfuir ensemble. Chaque fois que jepense à ce qui aurait pu se passer, j'en aides frissons. Courageuse? Non,franchement, je ne crois pas.

Brodick et Dylan échangèrent unregard entendu, puis Brodick demanda :

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- Qui vous a battue ? Le baronlui-même ou l'un de ses hommes ?

- Pourquoi tenez-vous à le savoir ?- Répondez-moi.- Le baron.- Et personne d'autre ?- Un de ses amis aussi. Mais je ne

comprends pas pourquoi cela vousintéresse. Cette histoire est terminée, àprésent.

- Non, répliqua-t-il à mi-voix. Ellene fait que commencer.

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9

Sous la rude façade du guerrierbattait le cœur d'un gentleman, compritGillian. Brodick tenait visiblement à luimanifester sa sollicitude, mais il nesavait pas trop comment s'y prendre.

Une fois l'interrogatoire terminé, lajeune femme annonça qu'elle se rendaitau lac, dans l'espoir qu'un bon bain laremettrait de sa fatigue. Aussitôt,Brodick offrit de l'aider à se relever.Mais, la considérant sans douteréellement comme sa fiancée, il la gardadans ses bras. Gillian essaya de lerepousser doucement, en vain. Elle leregarda alors droit dans les yeux pour luifaire comprendre qu'il devait la relâcher.Il la regardait aussi, et ses yeux brillaientd'un mélange de compassion et detendresse qui bouleversa la jeunefemme.

Se doutait-il seulement de l'effetqu'il produisait sur elle ? Le simple

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contact de sa peau la réchauffait plusqu'une épaisse couverture. Tout en lui laravissait : sa voix un peu rude maismerveilleusement sensuelle, et même sadémarche arrogante, avec ce gracieuxbalancement des hanches et la tension deses cuisses si musclées...

Gillian s'interdit de laisservagabonder son esprit. Elle n'auraitjamais dû remarquer ces détails. Maiselle n'avait encore jamais rencontréd'homme comme lui, ni éprouvé cegenre de sensations. Dans l'immédiat,elle n'avait qu'une envie : poser sa têtesur son épaule et fermer les yeuxpendant quelques minutes. Quand elle setrouvait avec lui, elle ne se sentait plusvulnérable. Brodick semblait ne rienredouter. Se croyait-il invincible? D'oùtirait-il cette confiance en lui que rien neparaissait pouvoir ébranler?

Le plus étrange, c'était qu'elle avaitl'impression de le connaître depuis desannées, alors qu'elle lui avait parlé pourla première fois le matin même.

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Ils marchèrent jusqu'au lac, côte àcôte, comme deux vieux amis... oucomme un couple d'amoureux.

Oui, vraiment, Brodick produisaitun drôle d'effet sur elle, Tout à coup, elleavait le sentiment de ne plus être seule.Saurait-il l'aider à vaincre les fantômesqui la hantaient? Tout bien considéré,non. Elle ne voulait pas l'impliquer dansses combats personnels.

- Avez-vous froid, Gillian?- Non.- Vous frissonnez, pourtant.- Je pensais à mon oncle. Je

m'inquiète pour lui.Il se rapprocha d'elle et lui chuchota

:- Pouvez-vous faire quelque chose

pour votre oncle, ce soir?- Non, répondit-elle, tout en

s'efforçant de ne pas succomber aucharme de sa voix.

- Alors, pensez à autre chose pourl'instant. L'angoisse n'est jamais bonneconseillère.

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- C'est plus facile à dire qu'à faire.- Peut-être, admit-il.Alec passa en courant devant eux,

un bâton à la main. Il était pieds nus etsemblait beaucoup S'amuser. Son rirerésonnait dans la clairière.

- Il est trop excité pour dormir.- Il s'endormira d'un seul coup,

comme une masse, prédit Brodick.Ils s'arrêtèrent au bord de l'eau.- Avez-vous besoin d'aide ?- Non, merci. J'arriverai à me

débrouiller toute seule.- Ne mouillez pas votre pansement,

lui rappela-t-il, avant de rebrousserchemin.

- Attendez...Il se retourna.- Oui?Elle resta muette. Intrigué par ce

soudain silence, il avança d'un pas. Ellejoignit alors les mains, comme pourprier, ce qui la rendit encore plusattendrissante... et irrésistible.

- Oui ? répéta-t-il.

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- Je me sens en sécurité avec vous.Et je voulais Vous en remercier.

Ne sachant que répondre, il secontenta d'incliner la tête, puis s'esquiva.

Gillian avait conscience de l'avoirdéconcerté, Cependant elle étaitheureuse de lui avoir exprimé sareconnaissance. Elle aurait même aimése montrer plus éloquente, mais il étaittrop tard pour revenir en arrière.

Le lac semblait peu profond, et lespierres sur la grève à peine glissantes. Enprenant quelques précautions, Gillianétait convaincue de réussir à se baignersans mouiller son pansement.

Avant de rentrer dans l'eau, elleessaya de se débarrasser de sa tunique,mais son bras bandé la gênait. Elle seretrouva prisonnière du vêtement aumoment où elle tentait de le passepar-dessus sa tête. Tout à coup, cetincident insignifiant lui parut plus quellene pouvait en supporter, et elle fondit enlarmes.

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Presque aussitôt, deux braspuissants l'enlacèrent. Gillian ne voyaitrien, sa tunique étant plaquée sur sonvisage, mais elle comprit que Brodickétait accouru à sa rescousse.

Il lui ôta son vêtement, puis la serrade nouveau dans ses bras.

- Pleurez tout votre soûl. Personnen'est là pour vous observer.

Gillian essuya ses larmes avec sonplaid.

- Mais vous, vous êtes là,protesta-t-elle, d'une voix entrecoupéede sanglots.

Il continua de la serrer très fortcontre lui, jusqu'à ce qu'elle se calmeenfin. Alors, seulement, il s'écarta.

- Ça va mieux, maintenant?- Oui, merci.Gillian n'avait absolument pas

prémédité ce qui arriva ensuite. Sansréfléchir, elle noua les bras autour du coude Brodick et l'embrassa sur la bouche.Ses lèvres n'effleurèrent celles del'Écossais qu'une fraction de seconde,

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mais elle lui donna bel et bien un baiser.Quand elle se ressaisit et osa regarderBrodick à nouveau, elle lui trouva uneexpression étrange.

Brodick devinait qu'elle regrettaitdéjà sa spontanéité. Mais il pressentitsurtout, alors qu'il plongeait les yeuxdans les deux merveilleuses prunellesémeraude, que cette femme étonnanteallait irrémédiablement bouleverser savie.

- Je ne sais pas ce qui m'a prise,murmura-t-elle, encore surprise par songeste.

- Quand tout cela sera terminé...- Oui, Brodick?Il secoua la tête, incapable pour

l'instant d'ajouter quoi que ce soit, puistourna les talons et disparut.

Gillian faillit courir derrière lui pourlui demander de s'expliquer, mais elle seravisa. Le moment venu, Brodick luiparlerait. Du reste, elle étaitpratiquement certaine de savoir ce qu'ilavait voulu dire : bientôt, elle rentrerait

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en Angleterre, et il n'aurait pas été sagequ'ils s'attachent l'un à l'autre.

Mais pourquoi donc l'avait-elleembrassé? Sa situation était déjà assezcompliquée comme cela ! Un moment,elle envisagea même de le rattraper pourlui dire qu'elle n'avait pas réellement eul'intention de l'embrasser, qu'il nes'agissait en fait que d'une sorte deréflexe spontané pour le remercier de sagentillesse...

... Son bain, en tout cas, n'était plus àl'ordre du jour. Dans l'état d'esprit où ellese trouvait, elle aurait bien été capable dese noyer. Elle se contenta d'avancerjusqu'au bord du lac et de se laversommairement en s'aspergeant d'eau.Puis elle enfila tant bien que mal satunique, rassembla son courage et rentraau camp.

Les Buchanan étaient assis en cercledans la clairière et discutaientbruyamment, mais ils se turent dès qu'ilsla virent approcher. Ce soudain silencemit la jeune femme mal à l'aise. Elle

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n'osa pas regarder du côté de Brodick, depeur de piquer un fard, ce qui n'aurait pasmanqué d'éveiller la curiosité de sesguerriers. Se forçant à paraître naturelle,elle prit une couverture et installa son lità l'écart du groupe des soldats. Tous lesregards étaient rivés sur elle... sauf celuid'Alec, qui dessinait des cercles dans lapoussière avec la pointe de son bâton.

- Es-tu prêt à te mettre au lit, Alec?lança-t-elle.

- Je vais dormir avec les guerriers,d'accord ?

- D'accord. Bonne nuit.Gillian s'allongea sur le côté droit,

face aux sapins. Elle était convaincuequ'elle n'arriverait pas à trouver lesommeil, avec ces hommes quisurveillaient le moindre de sesmouvements, mais la fatigue eut raisond'elle. Cinq minutes plus tard, elledormait à poings fermés.

Les Écossais poursuivirent leurconversation à voix basse, pour ne pas laréveiller. Brodick ne cessait de

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l'observer et de s'inquiéter pour elle.Avait-elle assez chaud, avec une seulecouverture ? Le vent soufflait, et desnuages chargés de pluie envahissaientpeu à peu le ciel bleu-noir. Un orages'annonçait.

À mesure que l'obscurité tombait,Alec devint de plus en plus nerveux.Robert raviva le feu, et les flammesdansantes ne tardèrent pas à illuminer lecamp. Mais cela ne calma pas Alec. Il seleva et ramassa sa couverture.

- Je vais dormir avec Gillian,annonça-t-il.

- Pourquoi ? demanda Brodick,devinant que son neveu avait peur dunoir.

- Parce qu'elle fait des cauchemars,la nuit, répliqua-t-il.

Brodick le vit installer sa couvertureà côté de la jeune femme et s'étendrecontre elle.

- Oncle Brodick?- Qu'y a-t-il, Alec?- Tu ne vas pas partir, hein ?

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- Non, je ne vais pas partir. Tu peuxdormir tranquille.

Au beau milieu de la nuit, Gillian futtirée du sommeil par un cri déchirant,semblable à celui d'un animal blessé.Elle commençait à s'habituer à cesréveils en sursaut, provoqués par lescauchemars d'Alec. Elle serra aussitôtl'enfant dans ses bras pour le réconforter.

- Chut, lui dit-elle. Ne t'en fais pas.Tu es en sécurité, maintenant.Rendors-toi.

Et elle continua à serrer l'enfantdans ses bras, jusqu'à ce qu'il s'apaise etse rendorme.

Une heure plus tard, Gillian seréveilla de nouveau, troublée par uneétrange sensation. Alec dormaittoujours, la tête posée sur son bras. Maisla jeune femme remarqua, sur son propreventre, une main qui ne pouvait pasappartenir à l'enfant... et qui ne luiappartenait pas non plus. Stupéfaite, elletenta de rassembler ses esprits et suivit lamain du regard. Celle-ci se prolongeait

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par un bras musclé, lequel se terminaitpar une épaule solide. Bonté divine ! Elledormait avec Brodick ! En se redressant,elle constata quelle se trouvait au centred'un cocon protecteur, les guerriers deBrodick s'étant couchés tout autourd'eux. Gillian ne comprenait pascomment ils en étaient arrivés là, nicomment elle s'était retrouvée dans lesbras de Brodick. Du reste, son esprit étaittrop embrumé par le sommeil pour luipermettre de réfléchir posément. Elle serallongea donc, posa la tête sur l'épaulede Brodick, la main sur son torse, et serendormit rapidement. Pour la premièrefois depuis longtemps, elle se sentaitprotégée. Et cette nuit-là, enfin, elle nefit aucun cauchemar.

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10

Brodick décida de réveiller Gillianun peu après le lever du soleil. La jeunefemme dormait encore à poings ferméset il s'en voulait de briser son repos, maisle temps passait et une longuechevauchée à travers des territoireshostiles les attendait.

- Il faut qu'on y aille, Gillian.- J'en ai pour une minute,

promit-elle en courant vers le lac.Elle se débarbouilla rapidement,

puis se brossa les cheveux. Elle auraitaimé se faire une queue-de- cheval, maisson bras blessé rendait la manœuvre|délicate. Après quelques essaisinfructueux, elle renonça.

Quand elle revint au campement,Liam lui tendit une tartine.

- Je n'ai pas faim, Liam, merci.- Il faut manger, madame, insista le

guerrier.

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Gillian, qui craignait de le vexer;accepta sa tartine.

- Pendant que je mange, Liam,seriez-vous assez aimable pour attachermes cheveux avec ce turban ? Je...

Voyant son expression médusée,elle demanda :

- Ce ne serait pas convenable ?- Non, madame, ce ne serait pas

convenable. Seul lord Buchanan a ledroit de toucher vos cheveux.

Apparemment, ils étaient touspersuadés qu’elle était véritablement lafiancée de Brodick. Comment leur ôtercette idée de la tête ? Les Buchanan,Gillian avait déjà pu s'en apercevoir,étaient des gens obstinés. Mais c'étaientaussi des hommes braves et généreux,qui veillaient désormais sur elle et surAlec. Elle n'avait aucune raison des'emporter contre eux.

- Très bien, acquiesça-t-elle.Brodick se dirigeait justement vers

eux, traînant sa monture derrière lui.Gillian lui demanda son aide. Il parut

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d'abord surpris, mais prit finalement leruban qu'elle lui tendait. Elle se retournaet souleva ses cheveux à l'aide de sonbras valide. Brodick tira dessus commes'il s'était agi de la queue de son étalon etattacha le ruban avec un nœud très serré.

Cet homme était à peu près aussidélicat qu'un animal de labour, maisGillian, amusée plutôt que choquée, leremercia.

- Serons-nous arrivés sur les terresde lord Sinclair avant le coucher dusoleil ? S’enquit-elle.

- Non, répondit-il sèchement, avantde la soulever dans ses bras pour lamettre en selle. Nous allons tout droitchez les Maitland.

Gillian tourna la tête pour leregarder.

- Il faut d'abord que nousavertissions lord Sinclair du danger quiles menace, lui et son frère, avant deraccompagner Alec chez lui.

- Non.- Si.

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Brodick n'en croyait pas ses oreilles.Comment Gillian osait-elle lui tenir tête? Aucune femme ne s’y était jamaisrisquée, et il ne savait pas trop commentréagir.

- Vous êtes anglaise, dit-il, commesi cela pouvait excuser certaines choses.Je pense que vous n'avez pas réalisé quevous ne deviez pas discuter avec moi.Alors, je vous l'explique gentiment : nediscutez pas avec moi.

- Si j'ai bien compris, répliquaGillian, incrédule, je ne dois pas discuteravec vous, pour la bonne et simple raisonque je ne dois pas discuter avec vous.C'est bien cela, n'est-ce pas?

- Essayez-vous de me mettre encolère ?

- Bien sûr que non.Convaincu qu'il lui avait enfin fait

entendre raison, il s'apprêta à appelerDylan. Mais il n'eut pas le temps d'ouvrirla bouche qu'elle reprit :

- Il faut que j'avertisse lord Sinclair.

; Il la dévisagea.

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- Le connaissez-vous ? Avez-vousdéjà rencontré Ramsey?

Gillian ne comprenait pas pourquoiil était soudain devenu tendu et irritable.Décidément, cet homme avait uncomportement bizarre.

- Non, je ne l'ai jamais rencontré.Mais on m'a parlé de lui. | Il haussa lessourcils.

- Dites-moi ce que vous savez.- Eh bien, il est à la tête du clan des

Sinclair, j'imagine donc que pourcommander tous ces guerriers, il est aumoins aussi grand et fort que vous.Brodick se détendit.

- Presque, répondit-il avecarrogance.

Gillian réprima un fou rire.- Je sais aussi que Ramsey a un

jeune frère de l’âge d'Alec. Étant donnéqu'il s'agit d'un enfant, mon devoir,comme le vôtre, est de veiller à sasécurité. Tout enfant doit être protégédes agressions, et Michael ne fait pasexception à la règle.

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Brodick fut bien obligé de convenirque son argumentation ne manquait pasde poids. Il avait pensé déposer Alec etGillian chez les Maitland, avant de partirprévenir Ramsey, mais il étaitmaintenant prêt à revenir sur sa décision.

- Je vais envoyer Dylan et deuxautres guerriers chez lord Sinclair. Nous,nous allons chez les Maitland. Cela voussatisfait-il ?

- Oui, merci.Il posa la main sur son bras.- Mais, à l'avenir, ne vous avisez

plus de discuter avec moi.Gillian feignit d'acquiescer.- Comme vous voudrez.Brodick distribua ensuite ses

nouvelles instructions. Dylan partit pourles terres des Sinclair, avec Fingal etOssian. Alec monta avec Robert, et Liamprit la tête du convoi qui se dirigeait versle clan des Maitland. Un peu avant midi,ils s'arrêtèrent pour permettre aux bêtesde se reposer. Keith et Stephens'éclipsèrent à ce moment-là. Ils

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réapparurent une demi-heure plus tard,avec une jument grise destinée à Gillian.

La jeune femme l'accepta de boncœur, puis se rétracta en comprenant quel'animal avait été volé. Finalement, elleessaya de leur faire promettre qu'ilsrendraient la jument à son propriétairedès qu'ils auraient atteint les terres desMaitland, mais les deux guerriers, aussientêtés que leur maître, refusèrent.Stephen prétendit même que lamalheureuse victime se sentirait honoréequ'un Buchanan ait choisi de lui voler samonture.

- Voulez-vous offenser cet homme ?demanda Stephen.

- Non, bien sûr, mais...- Si nous lui rapportions son cheval,

le pauvre mourrait de honte. Il penseraitque nous ne l’avons pas trouvé assezbien pour nous.

- Si vous croyez que je vais...- Il est temps de repartir, intervint

Brodick, qui était resté silencieuxjusque-là.

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Il jucha Gillian sur la jument et posala main sur cuisse de la jeune femme.

- Savez-vous tenir les rênes ?Elle tenta de repousser sa main,

mais il la laissa fermement plaquée sursa cuisse, attendant sa réponse.

- Mieux que vous, répliqua-t-elle.- Je n'aime pas les femmes

arrogantes.- Dans ce cas, vous n'allez pas

beaucoup m'apprécier, répondit-elleavec un sourire mielleux. Je suishorriblement arrogante. Mon oncleMorgan dit toujours que c'est mon plusgros défaut.

- Non, ce n'est pas votre plus grosdéfaut.

Avant que Gillian ait pu réaliser cequi se passait, Brodick l'avait faitdescendre de selle. Il la prit dans les braset s'empara fougueusement de ses lèvres,Le contact de leurs langues procura à lajeune femme un tel plaisir qu'elle sutaussitôt qu'elle était train de commettreun péché. Mais, pour l'instant, elle s'en

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moquait. Elle ne désirait qu'une chose :lui rendre son baiser avec la mêmepassion.

Quand leurs lèvres se séparèrentenfin, Brodick ne parut pas du toutaffecté par ce baiser. Gillian entendit rireAlec dans son dos, mais n'osa pas seRetourner, consciente d'être écarlate.

- Ne m'embrassez plus jamais,Brodick, murmura-t-elle, d'une voixaltérée par l'émotion.

Sans rien ajouter, il rit, la remit enselle, monta sur son propre cheval etdonna le signal du départ.

Ils chevauchèrent sans relâche toutl'après-midi, traversant des paysagesdésertiques mais grandioses, nes'arrêtant qu'une fois pour laissersouffler les bêtes et permettre à Alec dese dégourdir les jambes.

Le soir, ils établirent leurcampement au bord d'un petit torrent oùGillian alla se laver. Elle ne cessait depenser à la remarque de Brodick, sedemandant ce qu'il avait voulu dire en

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prétendant que l'arrogance n'était pas sonprincipal défaut.

Elle mourait d'envie de l'interroger,mais réussit cependant à réprimer sonimpatience. Le voyage l'avait tellementfatiguée qu'elle se coucha aussitôt aprèsdîner, imitée par Alec. Tous deuxs'endormirent immédiatement. Si Aleceut des cauchemars, cette nuit-là, Gilliann'en sut rien tant elle dormaitprofondément. Elle se réveilla un peuavant l'aube et se retrouva de nouveaublottie dans les bras de Brodick.Satisfaite, elle ferma les yeux et serendormit.

Le lendemain matin, ils partirent unpeu plus tard. Ils ne firent donc pas depause avant le milieu de l'après-midi.

- Oncle Brodick dit que nousapprochons de la maison, maintenant,déclara Alec.

- Ce vallon te semble-t-il familier?S’enquit Gillian.

- Non, avoua l'enfant.

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Il prit la main de la jeune femme etajouta :

- Gillian?- Oui?- Est-ce que je peux monter avec toi

?- Tu n'aimes pas monter avec

Robert?- Il ne me parle jamais.- Alors, d'accord.- Mais il faut que tu demandes à

oncle Brodick.- Très bien. Finis de manger, je vais

lui demander. Brodick s'était adossé à untronc d'arbre.

- Sommes-nous encore loin de lamaison des Maitland, Brodick?

- Nous arriverons dans deux heuresenviron.

- Autorisez-vous Alec à monteravec moi ?

- Il restera avec Robert.- Mais Robert ne lui dit pas un mot.- Mes guerriers ont des

préoccupations plus importantes que de

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babiller avec un enfant, répliquaBrodick, exaspéré.

- Alec est justement trop petit pourcomprendre cela.

- Il soupira.- Bon, d'accord. Il peut monter avec

vous. Nous sommes en territoire sûr, àprésent, ajouta-t-il en repartant vers soncheval.

Il s'arrêta brusquement.- Est-ce que tous les garçons de son

âge sont aussi bavards ?- Je l'ignore. Alec est le premier

enfant dont je m'occupe.- Vous vous débrouillez très bien,

Gillian.La jeune femme l'observa tandis

qu'il s'éloignait. Le soleil semblait lesuivre pas à pas. Des reflets dorésbrillaient dans ses cheveux tandis qu'iltraversait la clairière. Dans cette lumièrepresque surnaturelle, Brodick donnaitl'impression d'avoir été sculpté par Dieului-même, à l'image de l'archangeGabriel, pour qu'il puisse combattre tous

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les démons qui menaçaient le monde. Àcet instant précis, la jeune femmecommença à regarder Brodick d'un autreœil. Le charmant petit cottage desDrummond lui revint en mémoire, et elles'imagina à la place d'Annie, accueillantBrodick, et non Kevin, sur le pas de laporte.

- Ça ne va pas, madame ? demandasoudain Liam.

Gillian sursauta.- Si, si, tout va bien, merci.Sans laisser au guerrier le temps de

lui poser une autre question, elle se hâtade rejoindre sa jument. Comme son brasbandé l'empêchait de monter seule enselle, elle pria Brodick de l'aider, puisRobert jucha Alec devant elle et partitretrouver son propre cheval.

- Brodick? Chuchota-t-elle, pourque les autres ne puissent pas l'entendre.

- Oui?- Hier, vous m'avez dit que

l'arrogance n'était pas mon principaldéfaut. À quoi d'autre pensiez- vous ?

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Brodick s'était demandé combien detemps elle résisterait avant del'interroger. Il se retint de sourire.

- Vous avez beaucoup de défauts...fit-il d'une voix traînante.

Il vit aussitôt des étincelless'allumer dans ses prunelles émeraude.La jeune femme avait un tempéramentde feu, ce qui n'était pas pour luidéplaire.

- Mais un de vos défauts surpassaitles autres de beaucoup.

- Surpassait? Je ne l'ai plus, alors ?- En effet, vous ne l'avez plus.- Dites-le-moi, enfin ! Insista

Gillian, exaspérée. Quel était donc ceterrible défaut?

Il sourit.- Vous étiez anglaise.

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11

Gillian avait l'impression depénétrer dans un autre monde. Même lecrépuscule était différent, dans lesHighlands. Le ciel était tapissé detraînées jaune-orange. Le soleil n'étaitplus qu'un immense disque d'un rougedont Gillian n'avait encore jamais vu lanuance auparavant. Et ce spectacle serépétait, soir après soir, toujours aussimerveilleux. On eût dit que Dieu avaitvoulu favoriser cette contrée.

- Tu sais quoi, Gillian ? Je suispresque arrivé chez moi.

- Nous ne devons plus être très loin,en effet, approuva la jeune femme, Alecbâilla bruyamment.

- Raconte-moi encore comment tuas terrifié ton oncle Morgan,implora-t-il.

- Je t'ai déjà raconté cette histoireune bonne demi-douzaine de fois.

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- Mais je veux encore l'entendre. S'ilte plaît...

- D'accord, mais seulement si tufermes les yeux pour te reposer.

Alec nicha sa tête contre la poitrinede la jeune femme et bâilla de plus belle.

- Je suis prêt.- Quand j’étais petite fille...- Tu es restée plus d'un an sans

parler, coupa l'enfant, qui avaitmémorisé l'histoire.

- Oui, c'est vrai. Je ne prononçaispas un mot.

Brodick ralentit et se rapprocha dela jeune femme. Il avait entendu le débutdu récit et avait envie de connaître lasuite.

- Tu vivais chez ton oncle Morgan,reprit Alec.

- Une nuit, j'ai fait un terriblecauchemar.

- Comme les cauchemars que je faisparfois.

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- Exactement. Lisa, la servante quis'occupait de moi, me réveilla et meberça dans ses bras pour me calmer.

- Et elle faillit te laisser tomber parterre, tellement elle a été surprise det'entendre parler.

- Oui.- Et Lisa t'expliqua que tu n'avais

pas tué ta sœur, contrairement à ce que lebaron t'avait dit. Mais tu sais quoi ?

- Non, quoi?- Oncle Brodick lui fera payer tous

ses crimes.Gillian, consciente que Brodick les

écoutait, s'empressa de continuerl'histoire.

- J'étais très heureuse d'apprendreque Christen vivait toujours, mais j'avaisaussi beaucoup de chagrin de savoir queje ne la reverrais peut-être jamais. Pourme réconforter, Lisa m'assura que mononcle m'aiderait à la retrouver. Elle medemanda seulement d'attendre lelendemain matin pour lui en parler, maisj'ai sauté de ses genoux pour courir dans

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la chambre de mon oncle. Lisa n'a pas pume retenir. Elle était horrifiée.

- Parce qu'on était au milieu de lanuit, c'est ça?

- Exactement.Alec pouffa, car il connaissait la

suite et se réjouissait déjà de l'entendreune nouvelle fois.

- Lisa ne réussit pas à me rattraper.Je suis donc entrée toute seule dans lachambre de mon oncle. Je me suisprécipitée sur son lit et je l'ai secoué pourle réveiller. Mais il dormait siprofondément que, malgré tous mesefforts, je n'arrivais pas à lui foire ouvrirles yeux.

L'histoire captivait Brodick, mais iln'aurait su dire si cela était dû à la jolieconteuse ou à la réaction d'Alec. Le petitgarçon souriait béatement.

- Et alors, qu'as-tu fait ? demandal'enfant.

- Tu as oublié ? Plaisanta Gillian.- Non, mais je veux te l'entendre

dire !

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- J'ai crié si fort dans l'oreille de mononcle que j'ai failli lui donner uneattaque.

Alec éclata de rire.- C'est là qu'il est tombé de son lit.- Oui. Le pauvre homme a été si

surpris qu'il a bondi du lit et s'est affalépar terre, emportant ses draps avec lui.Et voilà comment se termine l'histoire.

- Non ! protesta Alec. Tu n'as pasraconté comment, le lendemain, tu l'assuivi pas à pas sans cesser de parler.

- Eh bien, tu viens de le dire à maplace. Mon oncle m'a expliqué que,durant tous ces mois où je ne parlais pas,il priait chaque soir pour qu'un jour,enfin, je retrouve l'usage de la parole.

- Mais quand tu as recommencé àparler et que tu ne t'es plus arrêtée, il s'estmis à espérer un peu de calme et desilence, récita l'enfant.

- Oui. Tu sais, Alec, quand tu vasarriver chez toi, il y aura beaucoupd'excitation. À mon avis, tu n’es pas prèsde te coucher. Pourquoi n'essaies-tu pas

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de fermer les yeux pour te reposer unpeu ? Insista-t-elle.

Le petit garçon bâilla encore et seserra un peu plus contre la jeune femme.

- Gillian?- Oui?- Je t'aime.- Moi aussi, je t'aime, mon chéri.L'enfant, épuisé, s'endormit en

quelques minutes, tandis que la petitetroupe poursuivait l'ascension de lacolline. Régulièrement, Brodick seretournait pour regarder Gillian, l'airétrangement préoccupé.

Le vent se leva, une petite briseaigre qui rafraîchit brutalementl'atmosphère. Gillian sentit Alecfrissonner dans son sommeil etl'enveloppa dans le plaid.

Au bout d'un moment, le poids del'enfant sur son bras blessé devintinsupportable, et elle demanda à Brodickde la remplacer. Alec dormait siprofondément qu'il ne se réveilla mêmepas lorsqu'on le transporta sur le cheval

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de son oncle. Brodick l'installa entre sesbras avec une telle tendresse que Gillianen eut la gorge serrée. Cette scène luirappelait sa propre enfance, quand sononcle Morgan l'asseyait sur ses genouxpour la bercer.

Brodick s'aperçut qu'elle leregardait.

- Alec va attraper froid aux oreilles,si vous ne lui couvrez pas la tête, dit-ellepour masquer son embarras.

Brodick emmitoufla l'enfant dans leplaid, sans quitter Gillian des yeux.

- Pourquoi faites-vous cette tête ?- Pour rien, répondit-elle. Je

pensais...- Vous pensiez à quoi ?Il s'était encore rapproché d'elle, à

tel point que leurs cuisses se frôlaient.Gillian feignit de n'avoir rien remarqué.

- Répondez-moi, insista-t-il.Elle soupira.- Je pensais que le jour où vous vous

marierez et que vous aurez des enfants,vous serez un père merveilleux.

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- Qu’est-ce qui vous fait croire queje n'ai pas déjà des enfants ?

- Mais vous n'êtes pas marié !s'exclama Gillian. Il éclata de rire.

- Un homme n'a pas besoin d'êtremarié pour avoir des enfants.

- Je sais, répliqua Gillian, d'une voixqu'elle voulait naturelle. Je ne suis pascomplètement ignorante.

- Mais vous êtes complètementinnocente, n'est-ce pas ?

- Elle rougit violemment, ce qui nela rendit que plus attirante aux yeux deBrodick. C'était un bonheur de lacontempler, mais une telle tentation...

- Vous en avez ? murmura-t-elle.- Quoi?- Des enfants ?- Non.- Vous vous moquiez de moi ?Brodick préféra ne pas continuer

cette conversation. Il éperonna samonture et prit la tête du convoi.

Quelques minutes plus tard,Stephen, Aaron, Liam et Robert

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rapprochèrent leurs montures pourencadrer la jeune femme.

- Pourquoi faites-vous cela?S’étonna-t-elle ?

- Nous sommes entrés sur les terresdes Maitland, madame, répondit Robert.

Avant qu'il ait eu le temps de mieuxs'expliquer, des guerriers Maitlandsurgirent des bois qui bornaient lechemin. Leur soudaine irruption effrayajument de Gillian, qui se cabra. Liamattrapa les rênes de l'animal et l'obligea àcourber la tête.

Ils étaient maintenant encerclés parune bonne quarantaine de guerriersMaitland. Un soldat passa devant lesautres pour parler à Brodick. Gillian luitrouva un vague air familier.

- Qui est-ce? demanda-t-elle à Liam.- C'est Winslow, madame. Il

commande les guerriers de lordMaitland. Et il est le frère de Brodick.

À présent, la ressemblance entre lesdeux hommes sautait aux yeux deGillian. Tout en discutant avec Brodick,

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Winslow l'observait, avec le mêmeregard perçant que son frère.

- Winslow veut savoir qui vous êtes,madame, expliqua Robert.

En réponse à la question de sonfrère, Brodick haussa les épaules,comme si la jeune femme avait si peud'importance pour lui qu'il ne jugeaitmême pas utile d'en parler.

D'une certaine manière, c'était lavérité, songea Gillian, dépitée. Elle nereprésentait rien pour lui. Pour l'instant,ils étaient liés par un but commun :ramener Alec à ses parents. Mais, sitôtleur mission accomplie, chacunrepartirait de son côté. Brodick rentreraitchez lui et Gillian se lancerait à larecherche de sa sœur. Tout cela étaitlogique, au fond. Dans ce cas, pourquoiéprouvait-elle une telle tristesse? Ellen'avait pas besoin de cet homme, nid'aucun autre. À l'exception de son oncleMorgan, bien sûr, qui était toute safamille. Quand son périple en Ecosse

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serait terminé, elle retournerait vivreauprès de lui.

Mais Gillian savait déjà qu'ellen'oublierait jamais Brodick. Elle savaitaussi que le baiser qu'ils avaient échangén'avait eu aucune signification pour lui,alors que ce souvenir resterait toujoursgravé dans son cœur.

Winslow la regarda de nouveauavec mépris. Elle entendit le mot«anglaise» et devina qu'il était furieuxque Brodick ait amené une étrangère surles terres des Maitland.

Brodick dut le tancer vertement, carWinslow recula d'un pas et hocha la tête.Puis Brodick écarta le plaid qui couvraitle visage d'Alec. Winslow laissaéchapper un cri de surprise. Alec seréveilla aussitôt et sourit en voyant lesguerriers Maitland se rassembler autourde lui.

Tous se mirent alors à pousser desvivats. L'enfant était ravi d'être le centrede l'attention. Il se retourna pouradresser un petit signe à Gillian. Il

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semblait vivre un moment de purbonheur. La jeune femme lui sourit etmurmura tout bas :

- Merci, mon Dieu, d'avoir rendu cetenfant aux siens.

Brodick se retourna à son tour. Lesourire radieux de Gillian le bouleversa.Comment cette femme avait-elle faitpour acquérir autant de pouvoir sur luien si peu de temps ? C'était un mystère.Brodick avait l'impression que sonmonde avait basculé, depuis qu'ilconnaissait Gillian. Mais il ne pavait pasencore s'il devait se réjouir ou non del’apparition de la jeune femme dans savie. La voix de son frère le tira de sespensées.

- Ian est parti dresser des chevaux,annonça Winslow, mais il ne va pastarder à rentrer.

- Il faudrait lui annoncer la nouvelleavec douceur, suggéra Brodick. Il risqued'avoir un sacré choc, quand il verra queson fils est ressuscité d'entre les morts.

Winslow sourit.

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- Ce sera un choc bien agréable,dit-il, avant de tourner bride.

Le convoi repartit, escorté par undétachement de guerriers Maitland. Cesderniers tentèrent d'encadrer Gillian, ce àquoi les Buchanan s'opposèrentfarouchement. Brodick mit rapidementun terme à ce début de conflit, évitantqu'une bagarre n'éclate. Quelquesregards noirs, quelques mots acerbesfurent encore échangés de part et d'autre,mais tout le monde obéit à Brodick et lereste du trajet s'effectua sans encombre.

Des cottages bordaient le chemin.Des hommes et des femmes sortirent desmaisons au passage des cavaliers etcrièrent au miracle en reconnaissant lefils de leur maître. Gillian en vitplusieurs se signer, d'autres pleurer dejoie. Beaucoup d'entre eux emboîtèrentle pas à la petite troupe.

La demeure des Maitland se dressaitsur une colline. C'était une grandebâtisse en granit sombre, entourée

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d'arbres. Du crêpe noir était cloué à laporte et aux fenêtres en signe de deuil.

Brodick descendit de cheval, Alecdans ses bras. Il ordonna à Robert d'aiderGillian, puis reposa l'enfant sur le sol.Aussitôt, celui-ci courut vers la jeunefemme et la tira par la main pourl'entraîner vers la maison.

La foule silencieuse s'était masséedevant le perron. Brodick prit la mainlibre de Gillian et la serra, devinantqu'elle était mal à l'aise au milieu de tousces étrangers qui l'observaient. Il s'arrêtasur le perron et arracha d'un coup sec lecrêpe noir qui encadrait la porte. Uneacclamation joyeuse ponctua aussitôtson geste. Ensuite, Brodick ouvrit laporte et s'effaça pour laisser entrerGillian, mais celle-ci s'immobilisa.

- Les retrouvailles d'Alec et de sesparents doivent se faire dans l'intimité,dit-elle. Ça ne me dérange pas de resterici.

Il sourit.

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- Je préfère vous savoir à l'intérieur,répondit-il en la poussant doucementdevant lui.

Gillian décida qu'elle attendrait prèsde la porte, afin qu'Alec puisse passerquelques minutes seul avec ses parents.

Une seule chandelle éclairait le hallde la demeure. La bougie était posée surun coffre, au pied de l'escalier qui menaità l'étage. Sur la gauche de Gillian, troismarches conduisaient à la salle deréception. Un feu brûlait dans lacheminée de la grande pièce, au centrede laquelle trônait une table auxdimensions imposantes. Une femmeétait assise au bout de la table, en train debroder à la lumière d'une chandelle.Comme elle était penchée sur sonouvrage, Gillian ne pouvait voir sestraits, mais elle aurait juré qu'il s'agissaitde la mère d'Alec. Absorbée par sa tâcheou plongée dans son chagrin, la femmegardait la tête baissée sur sa broderie. Oneût dit qu'elle n'avait même pasremarqué la clameur venue du dehors.

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- Que signifie ce vacarme ? Tonnaune voix depuis le fond de la grandesalle.

L'instant d'après, Ian Maitlandsurgit dans le hall. Il reconnut Brodick etrépéta sa question.

Alec, qui avait commencé à gravirl'escalier pour ce rendre dans la chambrede ses parents, fit demi- tour enentendant la voix de son père et dévalales marches pour se ruer dans la grandesalle.

- Papa ! Je suis rentré !

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12

Les parents du petit garçon eurent lechoc de leur vie. Sur le coup, IanMaitland, complètement hébété, reculade trois pas, l'air incrédule.

- Alec? murmura-t-il d'une toutepetite voix.

Puis il poussa un énormerugissement :

- Alec!Au même instant, Judith Maitland

bondit de sa chaise, laissant tomber sabroderie par terre. En voyant son fils,elle porta une main à son cœur ets'évanouit. Son mari était trop choquépour réagir. Heureusement, Brodick seprécipita vers Judith et là recueillit dansses bras avant qu'elle ne s'écroule sur lesol.

Ian s'était agenouillé devant Alec.Le farouche guerrier, tout tremblant,enlaça son fils en fermant les yeux.

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- Tu ne devrais pas plutôt t'occuperde maman ? demanda l'enfant, quisemblait être le seul à garder la têtefroide.

Ian se releva. Comme il ne voulaitpas se séparer de son fils, il demanda àBrodick de monter Judith dans sachambre. La jeune femme, très pâle,n'avait toujours pas repris connaissance.

- Tu as beaucoup secoué ta mère,Alec, expliqua Brodick à l'enfant, ensoulevant Judith dans ses bras. Elle tecroyait mort et enterré.

Ian secoua la tête.- Non, elle conservait encore un

petit espoir au fond de son cœur.Judith rouvrit les yeux et constata

avec surprise qu’elle se trouvait dans lesbras de Brodick.

- Pourquoi...- Maman, tu es réveillée !Brodick reposa délicatement Judith

sur le sol, mais continua à la tenir par lataille, au cas où elle s'évanouirait ànouveau. Submergée par l'émotion, la

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jeune femme fondit en larmes. Ian, quis'était un peu ressaisi, courut la serrercontre lui.

- Pourquoi pleures-tu, maman,puisque je suis rentré ? demanda Alec,décontenancé. Papa, dis-lui de ne paspleurer.

Ian sourit à son fils.- Elle est très heureuse que tu sois de

retour. Donne-lui une petite minute, etelle te le dira elle- même.

Judith caressa la joue de son filsd'une main tremblante.

- J'ai tellement prié...Brodick s'écarta discrètement. Il

souhaitait laisser aux Maitland unmoment d'intimité et avait hâte derejoindre Gillian. Il pensait qu'elle l'avaitsuivi lorsqu'il avait pénétré dans lagrande salle, mais prenait conscience àprésent qu'elle était restée en arrière. Il laretrouva dans le hall, assise au pied del'escalier, les mains croisées sur sesgenoux.

- Que faites-vous ? lui demanda-t-il.

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- J'attends que les Maitland aientfini de célébrer leurs retrouvailles.

Brodick s'assit à côté d'elle et lui pritla main.

- Il ne faudra pas oublier d'enlevervotre bandage, avant de vous coucher,dit-il.

- Promis.Il ne relâcha pas sa main, et Gillian

ne la retira pas.- Brodick?- Oui?Elle le regarda dans les yeux, avant

de reprendre :- Je voulais vous remercier de votre

aide. Sans vous, je ne sais pas si Alecaurait pu revoir ses parents.

- Ce n'est pas moi qui l'ai ramenéchez lui, Gillian, mais vous seule. Jevous ai simplement apporté monconcours. Et si je ne l'avais pas fait, vousseriez quand même arrivée ici, d'unemanière ou d'une autre.

Ian appela Brodick, mais Gillian luiétreignit la main pour le retenir.

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- Oui?- Quand vous aurez parlé aux

parents d'Alec... rentrerez-vous chezvous ?

Il se releva et obligea Gillian àl'imiter. Il mourait d'envie del'embrasser, mais se retint, car ce baiseren aurait appelé un autre, puis un autre,et encore un autre...

- Répondez-moi, insista-t-elle,troublée par son regard.

- Pourquoi me posez-vous cettequestion? Elle baissa les yeux.

- J'imagine que vous avezénormément de responsabilités, en tantque lord...

- En effet, ce n'est pas le travail quimanque.

- Bien sûr, approuva-t-elle,s'efforçant de masquer sa déception. Jevous remercie encore, Brodick. Je... jene sais pas ce que j'aurais fait sans vous.

Elle avait conscience de se répéter etde bafouiller, mais c'était plus fort

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qu'elle, elle n'arrivait pas à contrôler sesémotions.

- Je comprends que vous deviezrentrer chez vous, ajouta-t-elle. Maisj'avais pensé...

- Oui?Elle haussa les épaules.- J'avais pensé que vous aimeriez

voir votre ami Ramsey.Brodick lui souleva délicatement le

menton.- Je le verrai avant de quitter les

Maitland. Il sera bientôt ici.- Qu'est-ce qui vous fait croire...Il ne la laissa pas terminer sa

question.- J'ai envoyé Dylan le prévenir,

souvenez-vous.- Oui, mais...- Ramsey voudra vous parler le plus

tôt possible. Il va donc venir ici.- Mais ensuite, vous rentrerez chez

vous ?- Comme je vous l'ai expliqué, ce

n'est pas le travail qui manque.

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- Pourquoi ne me répondez-vous paspar oui ou par non ? s'exclama Gillian, àbout de patience.

Ian appela de nouveau Brodick.- Accompagnez-moi, Gillian. Je

pense que Ian s'est un peu remis de sesémotions, à présent.

Il sourit, puis ajouta :- Pour Judith, ce sera peut-être un

peu plus long. À mon avis, elle risque dene pas quitter Alec d'une semellependant plusieurs jours.

Gillian épousseta nerveusement sarobe.

- Je suis affreuse, gémit-elle.- Oh, certainement !Elle s'apprêtait à se diriger vers la

grande salle, mais Brodick la retint par lebras.

- Si vous désirez que je vousréponde clairement, commencez doncpar me poser des questions directes.

- Que voulez-vous dire ?- Vous le savez très bien.- Vous êtes exaspérant !

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- Oui, il paraît.Alec surgit soudain dans le hall.- C'est elle, maman. C'est Gillian,

déclara-t-il en désignant la jeune femme.Gillian alla au-devant de l'enfant, lui

prit la main et entra avec lui dans lagrande pièce.

- N'aie pas peur de papa, luimurmura-t-il. Il impressionne toujoursles dames, mais toi, tu n'es pas commeles autres.

En son for intérieur, Gillianremercia quand même Alec de l'avoirmise en garde. Ian Maitland étaitréellement impressionnant, avec sahaute stature et ses yeux noirs au regardpénétrant. Ses cheveux, aussi noirs queses yeux, contribuaient à donner à sonvisage un air de sévérité. Le sourire deJudith Maitland contrastait avecl’apparence presque effrayante de sonmari. La mère d'Alec était une très bellefemme, avec des yeux d'un bleufascinant, presque mauve. Bien qu'ellefût toute menue, elle avait la prestance

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l'une reine. En comparaison, avec sapauvre robe salie par le voyage, Gillianse sentait à peu près aussi élégantequ'une paysanne. Elle avaitdésespérément besoin d'un bon bain etde vêtements propres.

Dès que Brodick eut fait lesprésentations, Judith étreignitchaleureusement la main de Gillian.

- Vous avez retrouvé notre fils etvous nous l'avez ramené. Je ne sais pascomment vous remercier.

Gillian lança un regard angoissé àBrodick. Les Maitland semblaient croirequ'Alec s'était simplement égaré.Comment allait-elle leur expliquer cequi s'était réellement passé ?

- Venez vous asseoir à table,proposa Judith, Vous devez avoir faim etsoif, après un aussi long voyage. Alecnous a raconté que vous étiez anglaise.

Gillian prit la chaise que son hôtesselui désignait.

- C'est exact.

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- Moi aussi, je suis anglaise, ditJudith.

- Non, Judith, corrigea son mari. Tuétais anglaise.

Sa femme sourit.- Les hommes aiment bien changer

l'histoire, quand cela les arrange.- Tu es une Maitland, désormais,

insista Ian. Peu importe le reste.Brodick, sers-toi à boire et assieds-toi.Avant d'ouvrir la porte aux voisins etamis, je veux connaître tous les détailsde votre aventure. Alec, installe-toi àcôté de moi, ajouta- t-il d'une voix plusaffectueuse.

L'enfant s'exécuta aussitôt. Ianpassa un bras autour de son épaule, puisle père et le fils échangèrent un sourireradieux.

Sur ces entrefaites, Winslowpénétra dans la salle.

- Ramsey Sinclair vient de franchirla limite de nos terres, annonça-t-il. Ilsera ici dans une heure.

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- Il est déjà au courant du retourd'Alec? S’étonna Ian.

- J'ai envoyé Dylan le prévenir,intervint Brodick.

Il se tourna ensuite vers Gillian etdéclara :

- Gillian, j'aimerais vous présentermon frère, Winslow. Winslow, voicilady Gillian.

Winslow s'inclina poliment, mais neput s'empêcher de demander :

- Vous êtes anglaise, n'est-ce pas,lady Gillian?

- En effet. Cela vous déplaît-il ?Winslow lui sourit.

- Ça dépend, madame.- Ça dépend de quoi ?- De mon frère, répondit-il

laconiquement.Jugeant sans doute inutile de

s'expliquer plus longuement, il s'adressaà Brodick :

- J'espère que tu passeras direbonjour à ma femme et à mon fils avant

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de partir. Ils seraient déçus de ne past'avoir vu.

- Bien sûr. Tu peux compter surmoi.

- Invite-les donc ici, Winslow,suggéra Ian. Ce soir, nous allons tousfaire la fête. Même les enfants auront ledroit de se coucher tard.

- Winslow, savez-vous si Michael,le jeune frère de Ramsey, accompagnelord Sinclair ? demanda Gillian.

- Désolé, madame. Je l'ignore.Sur ces mots, il s'inclina et quitta la

salle. Après son départ, Judith se chargeaelle-même de servir à boire à ses invités.

- Où est Graham, papa? demandaAlec.

- Ton frère est chez ton onclePatrick, mais il rentrera bientôt. Il va êtretrès content de te voir.

- Je lui ai manqué ?- Tu nous as manqué à tous, Alec,

déclara son père.

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- Vous aussi, vous m'avez manqué,répondit son fils. D'ailleurs, je le disaistout le temps à Gillian. Pas vrai, Gillian?

La jeune femme opina du chef. Ianébouriffa tendrement les cheveux de sonfils et se tourna vers elle.

- Racontez-nous par quel miraclevous avez retrouvé notre fils... Mais c'estdéjà un miracle qu'un enfant de cinq ansait survécu aux rapides, ajouta-t-il enserrant son fils contre lui.

- Alec n'a que cinq ans ? S’étonnaGillian.

- Mais j'en aurai bientôt sept.- C'est ton frère qui a sept ans, lui

rappela Ian.- Mais j'aurai sept ans un jour, moi

aussi ! protesta l'enfant.Puis, sans demander la permission,

il sauta de sa chaise pour courir verscelle de Gillian et monter sur les genouxde la jeune femme.

- Apparemment, vous êtes devenuesa grande amie, remarqua Judith avec unsourire.

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- Ian, peut-être devrions-nousattendre qu'Alec soit couché avantd'évoquer cette histoire en détail...suggéra Brodick.

- Mais je vais rester debout très tard,parce que nous allons tous faire la fête,répliqua Alec. C'est papa qui l'a dit.Hein, que tu l'as dit, papa ?

- Oui, Alec.- Tu sais quoi, Gillian?- Non, quoi ?- Maintenant, ma maman restera

avec moi jusqu'à ce que je sois bienendormi, alors je n'aurai plus decauchemars. Mais toi? Peut-être qu'ilfaudrait que Brodick continue à dormiravec toi?

Gillian, rouge de confusion, plaquala main sur la bouche de l'enfant, sansoser jeter un regard à Brodick.

- Alec, tu embarrasses Gillian,intervint sa mère en riant.

Ian regarda tour à tour Gillian etBrodick, avant d'annoncer à celui-ci :

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- Le père Laggan est revenu. Unautre prêtre, plus jeune, sillonneégalement la contrée. Il s'appelle le pèreSteven.

- Pourquoi me parles-tu de cela?demanda Brodick.

- Pour que tu saches que nous avonsdeux prêtres à notre disposition, répliquaIan, avec un coup d'œil éloquent endirection de Gillian.

- Je ne couche pas avec Brodick!protesta la jeune femme. Et nous n'avonspas besoin d'un prêtre.

- Si, tu dors avec lui !- Alec, ce n'est pas poli de

contredire les adultes.- Mais, maman...- Tais-toi, mon chéri.Gillian, cramoisie, fusilla Brodick

du regard. Il n'avait qu'un mot à direpour dissiper ce malentendu. Alors,pourquoi ne le disait-il pas ?

Au lieu de cela, il se pencha verselle, tout sourires, et lui murmura :

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- Je ne pensais pas qu'on pouvaitrougir à ce point.

- Expliquez-leur, enfin !- Expliquer quoi ? demanda-t-il d'un

ton innocent.Gillian se tourna vers Judith.- Ce n'est pas du tout ce que vous

croyez. Mais comme nous dormions à labelle étoile, chaque matin, au réveil, ilsétaient tous...

- Qui, ils ? Coupa Ian.- Les guerriers de Brodick.- Ah, parce que vous couchiez aussi

avec ses guerriers ?Gillian ne comprit pas qu'il la

taquinait et rougit de plus belle.- Non... Enfin, c'est-à-dire... Nous

dormions ensemble. Mais je vous jurequ'il ne s'est jamais rien passé.

- Arrête de la tourmenter, Ian,intervint Judith, Ne vois-tu pas combienc'est gênant pour elle ? Qu'est-il arrivé àvotre bras ? ajouta-t-elle, pensantaborder un sujet moins embarrassant.Avez- vous...

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Alec bondit une nouvelle fois àterre.

- Papa, si nous allions marcher?proposa-t-il, interrompant sa mère.

- Maintenant?- Oui, maintenant.- Alec, je voudrais d'abord parler à

Gillian et à Brodick. J'aimerais qu'ils meracontent comment ils t'ont ramené.

- Mais, papa, tu vas être en colèrecontre moi, quand tu sauras ce que j'aifait.

- Viens ici, fiston, ordonna Ian,conscient de l'angoisse du petit garçon.

Alec s'approcha de son père. Dèsque celui-ci eut posé la main sur sonépaule, l'enfant fondit en larmes.

- J'avais très peur, papa, c'est pour çaque j'ai coupé le bras de Gillian. C'est mafaute, mais je détestais l'Angleterre etj'avais envie de rentrer ici, dit-il, avantde se jeter dans les bras de son père ensanglotant.

- Alec ne comprenait pas quej'essayais de l'aider, expliqua Gillian. Il

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voulait descendre au fond de la gorge,mais sa corde était usée et...

Gillian jeta un regard désespéré àBrodick. Elle avait tant de choses àraconter qu'elle ne savait pas par quelbout commencer.

- Mon fils a dit une chose étrange,commenta Ian. Se trouvait-il vraiment enAngleterre ?

Gillian prit son courage à deuxmains.

- C est exact. Alec était enAngleterre.

- Puisque je te l'ai dit, papa !Ian hocha distraitement la tête, les

yeux toujours rivés sur Gillian.- Et comment, s'il vous plaît, mon

fils s'est-il retrouvé en Angleterre ?- Alec n'est pas tombé dans les

rapides. Il a été kidnappé durant lefestival et enfermé dans un châteauanglais. C'est là que je l'ai rencontré.

Ian Maitland confia Alec à Judith etse leva, les traits soudain menaçants.

- Qui l'a kidnappé ?

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Gillian frissonna. Ian la dévisageaitcomme s'il la tenait pour responsable dece qui était arrivé à son fils.

- C'était une erreur...commença-t-elle.

- C'est aussi mon avis ! Rugit Ian.- Tu es fâché, papa ? demanda Alec.Son père inspira profondément et

s'efforça de se calmer pour ne paseffrayer son fils.

- Oui, lâcha-t-il.- Il n'est pas fâché contre toi, Alec,

dit Gillian pour rassurer l'enfant. ?- Non, sûrement pas contre lui.- Ne parle pas sur ce ton à Gillian,

intervint Brodick, qui était restésilencieux jusque-là. Elle est aussiinnocente que ton fils. Assieds-toi, et jete raconterai moi-même ce que je sais. Jecomprends ton impatience, mais je ne tepermettrai pas d'en faire souffrir Gillian.

Gillian voyait bien que Ian était surle point d'exploser.

- C'était donc une erreur...répéta-t-elle.

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- Oui? fit Ian.- Les ravisseurs d'Alec pensaient

avoir affaire au frère de lord Sinclair,Michael. Ils se sont trompés d'enfant.

- Pour l'amour de...Mais Ian était si furieux qu'il ne put

terminer sa phrase.- Assieds-toi, Ian, s'il te plaît,

supplia Judith. Écoute ce que Gillian a ànous dire.

Le chef des Maitland se laissatomber sur sa chaise, puis dévisageaGillian.

- Je vous écoute, fit-il.- C'est une longue histoire,

monseigneur, et lord Sinclair ne va plustarder à arriver, maintenant. Si vousvoulez bien attendre encore un peu...

Ian secoua la tête.- Papa, tu sais quoi ? dit soudain

Alec.Ian se tourna vers lui.- Non, quoi ?

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- Nous nous sommes échappés deuxfois, mais la première fois, tout a raté àcause de moi.

Ian essayait de mettre de l'ordredans les explications confuses de sonfils.

- Parle-moi de cette première fois.- J'ai descendu une falaise, répondit

fièrement l'enfant. Mais j'avais pris unemauvaise corde.

Ian s'adressa à Gillian :- Où étiez-vous, pendant que mon

fils jouait les acrobates ?- Papa, elle m'avait demandé de

l'attendre, mais je ne l'ai pas fait. Nousne devions pas non plus passer par lecanyon, mais j'ai pensé que c'était pluscourt. Quand Gillian m'a vu au bout de lacorde, elle est devenue si verte que j'aibien cru qu'elle allait vomir. Elle avait levertige.

- ô mon Dieu ! s'exclama Judith.- Mais vous êtes quand même

descendue dans le ravin ? demanda Ian.- Je n'avais pas le choix.

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- Elle est arrivée juste à temps, papa,reprit Alec. Ma corde s'est rompue aumoment où elle me récupérait dans sesbras. Elle a eu très peur, mais elle n'a pasvomi.

Le petit garçon semblait vaguementdéçu par cette dernière précision. Maisses parents n'eurent pas le cœur de s'enamuser, car ils réalisaient qu'ils avaientréellement failli perdre leur fils... et queGillian l'avait sauvé.

- Je veux bien faire un effort etattendre que Ramsey soit là, déclara Ian,mais donnez-moi au moins les noms descrapules qui ont enlevé mon enfant.

Il tapa du poing sur la table et cria :- Nom de nom ! Dites-moi qui sont

ces fumiers, et tout de suite !- Je t'ai déjà demandé de ne pas

parler sur ce ton à Gillian, intervintBrodick d'une voix dangereusementcalme. Cette fois, je te l'ordonne.

Judith Maitland n'aurait su dire qui,de son mari ou de Gillian, fut le plussurpris par le brusque éclat de Brodick.

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Ian, furieux, lança :- Tu me l'ordonnes, hein ?- Exactement.Gillian, espérant désamorcer le

conflit, se tourna vers Brodick.- Ce n'est pas grave, assura-t-elle.

Lord Maitland n'avait pas l'intention dem'insulter.

- Mais il m'a insulté, moi !Gillian leva les yeux vers Judith,

quêtant son aide du regard, mais ce futfinalement Alec qui apaisa la tension.

- Ne fais pas pleurer Gillian, papa!Elle n'a jamais pleuré, même quand lebaron l'a battue.

- Quelqu'un l'a frappée ? demandaIan.

Alec hocha vigoureusement la tête.- Oui. Parce qu'elle ne voulait pas

qu'on me tape dessus.L'enfant se rappela soudain l'anneau

que Gillian lui avait donné et passa leruban par-dessus sa tête.

- Gillian m'avait juré qu'elle meprotégerait comme oncle Brodick et que

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je pourrais porter cet anneau jusqu'à ceque je sois rentré à la maison. Ellem'avait promis qu'elle ne laisseraitpersonne me faire du mal et elle a tenuparole. Je n'ai plus besoin de l'anneau,maintenant. Mais j'aimerais bien legarder quand même...

- C'est impossible, Alec, réponditGillian.

- Oncle Brodick m'a bien dit que jepourrais toujours garder sa dague,objecta l'enfant.

Elle rit.- Mais moi, je tiens beaucoup à la

bague de ma grand-mère, souviens-toi.Judith étreignit la main de son mari.- Comprends-tu que, sans cette

femme, notre fils aurait été tué ?- Oui, j'ai bien conscience que...- Dans ce cas, au lieu de t’emporter

contre elle, tu ferais mieux de luimontrer ta reconnaissance. Pour ma part,je remercie Dieu de l'avoir envoyée ànotre fils. Elle a été son ange gardien.

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Gillian, émue par ce discours,voulut protester, mais Ian ne lui en laissapas le temps.

- Gillian, commença-t-il d'une voixhésitante, je vous remercie d'avoirprotégé mon fils. Je n'avais certainementpas l'intention de vous accuser de sonenlèvement. Si j'ai pu vous donner cetteimpression, je m'en excuse.

Judith sourit, satisfaite.- Je crois bien que je ne t'avais

encore jamais entendu t'excuser de quoique ce soit. C'est un moment à marquerd'une pierre blanche ! Et maintenant, enattendant Ramsey, je pense que Gillianapprécierait un bon bain.

- Gillian adore prendre des bains,maman, intervint Alec. Moi aussi, ellem'obligeait à en prendre.

Judith pouffa.- Eh bien, c'est la preuve qu'elle

s'occupait bien de toi.Elle se leva et tendit la main à

Gillian.

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- Je vais vous trouver des vêtementspropres, pendant qu'on nettoiera votrerobe. Le plaid des Maitland vous ira trèsbien et vous tiendra chaud. Même aucœur de l'été, les nuits sont souventfraîches, dans les Highlands.

Brodick fronça les sourcils.- Gillian portera le plaid des

Buchanan pour la fête de ce soir, dit-ilsans réfléchir.

Ian croisa les bras sur sa poitrine etdévisagea son ami.

- Pourquoi désires-tu qu'elle portevos couleurs?

- Mes hommes seraient frustrés de lavoir porter tes couleurs, Ian. Ils se sontpris d'amitié pour Gillian et veillentjalousement sur elle. Tant qu'elle seradans les Highlands, elle portera noscouleurs. Je ne voudrais pas contrariermes hommes.

Ian écarquilla les yeux.- Contrarier tes hommes ?

répéta-t-il, incrédule. C'est bien ce que tu

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as dit ? Mais, que je sache, ce sont desguerriers, pas des fe...

Il croisa le regard courroucé deJudith et corrigea aussitôt :

- Ce ne sont pas des enfants.Judith, riant des efforts

diplomatiques de son mari, entraînaGillian vers la porte. Une fois sur leseuil, cette dernière se retourna.

- Brodick, vous avez promis derendre visite à la famille de votre frère...

- Je me souviens de ce que j aipromis.

- Serez-vous encore là quand jeredescendrai?

- Oui, grommela-t-il, irrité de voirqu'elle n'avait toujours pas le courage delui parler franchement.

La jeune femme hocha la tête et sehâta de rejoindre Judith dans l'escalier.Elle était soulagée de savoir que Brodickne partirait pas tout de suite, mais s'envoulait de sa propre attitude. Elle n'avaitaucun droit de compter sur Brodick.

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Désormais, elle ne lui demanderait plusrien.

Durant l'heure qui suivit, elle seconsacra à sa toilette. Lorsqu'elle se futlavée, Judith lui apporta une robe jaunepaille. Celle-ci se révéla un peu tropajustée et décolletée, mais Judith assuraà Gillian que cette tenue restaitparfaitement décente. Brodick avait faitmonter un plaid aux couleurs desBuchanan, et Judith montra à la jeunefemme comment le draper.

- Moi-même, j'ai mis très longtempsavant d'y arriver correctement,expliqua-t-elle. La meilleure manièred'apprendre, c'est encore de s'exercer.

- Leur plaid a donc tantd'importance, pour les Écossais ?

- Oh, oui! Ils... Je veux dire, nous...nous devons porter fièrement noscouleurs. Et le plaid doit être drapé demanière à toujours cacher le cœur.

Elle se recula pour examiner Gillianet décréta :

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- Vous êtes ravissante. Maintenant,venez vous asseoir devant le feu etlaissez-moi m'occuper de vos cheveux.

Gillian s'exécuta de bon cœur.- Cela vous embête-t-il, si je vous

pose quelques questions ? demandaJudith. Je suis terrible, je le reconnais,ajouta-t-elle en riant. J'exige que monmari attende, et maintenant, c'est moi quime montre impatiente.

- Je répondrai volontiers à vosquestions. Que désirez-vous savoir?

- Comment avez-vous rencontréAlec ? Étiez- vous captive, vous aussi ?

- Oui.- Mais pourquoi? Puisque vous êtes

anglaise, vous auriez pu réclamer l'aidede votre roi.

- Mon roi est ami avec les hommesqui ont enlevé Alec et qui me retenaientaussi prisonnière. D'une certainemanière, c'est Jean qui est responsablede tout cela.

Tandis que Judith la coiffait, Gillianlui parla du coffret d'Arianna. Judith

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était captivée par l'histoire, mais quandGillian aborda l'épisode de la mort deson père, elle parut sincèrement navrée.

- L'amour de Jean pour Arianna étaittrès romantique, certes, et leur aventures'est terminée de façon tragique,poursuivit Gillian. Cependant, je neplains pas notre roi. Il n'aurait pas dûs'éprendre d'une autre femme alors qu'ilétait déjà marié. Il a trahi les vœux sacrésdu mariage.

Judith acquiesça.- J'ai même entendu dire qu'il avait

été marié deux fois. Et sa premièreépouse est toujours vivante, n'est-ce pas?

- Oui. L'archevêque de Canterburylui a accordé l'annulation de son mariageavec Hadwisa.

- Pour quel motif?- Consanguinité, répondit Gillian.

Jean et Hadwisa étaient cousinséloignés. Sitôt l'annulation prononcée, ila épousé Isabella.

- Jean obtient tout ce qu'il désire,n'est-ce pas ?

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- C'est exactement cela.Judith eut une moue déçue.- J'ai bien peur que l'Angleterre n'ait

beaucoup changé, depuis le temps où j'yhabitais.

- Le roi Jean est l'uniqueresponsable de tous ces changements. Ils'est mis à dos quelques-uns des baronsles plus puissants du royaume, quiseraient bien capables de se révoltercontre lui. Mais le pire, c'est qu'il s'estaussi aliéné l'Église. Si Jean continue àle narguer, le pape Innocent finira parl'excommunier.

- On raconte que le roi est trèscolérique.

- Oui. Il perd facilement patience etne sait pas se contrôler.

- Dans ces conditions, je comprendsmieux que vous n'ayez pas pu comptersur lui. Mais n'avez- vous pas de famillepour vous aider?

- Il ne me reste que mon oncleMorgan. Et lui aussi, désormais, setrouve à la merci de mes ennemis.

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Elle poussa un long soupir.- En fait, je suis chargée d'une

mission. Si j'échoue, mon oncle sera tué.Mais j'ai besoin de l'aide de votre maripour réussir.

- Ian vous aidera du mieux possible,promit Judith.

- L'homme qui retient mon oncle estun familier du roi. Jean le croira, et pasmoi. J'ai bien pensé à m'adresser à l'undes grands barons du royaume, mais ilsse combattent les uns les autres, et je nesais pas à qui faire confiance.L'Angleterre s'enfonce dans le chaos, etl'avenir me paraît bien sombre.

- Je ne veux plus vous ennuyer avecmes questions, dit Judith. Vousexpliquerez le reste à mon mari et àRamsey.

On frappa à la porte. Avant queJudith ait pu répondre, Alec surgit dansla pièce. Il se figea en voyant Gillian.

La jeune femme se leva et lui sourit.- Quelque chose ne va pas, Alec ?- Tu es... très très belle, répondit-il.

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Judith acquiesça. Séchés et brossés,les cheveux de Gillian formaientmaintenant une cascade de bouclessoyeuses qui retombaient sur ses épauleset encadraient son délicat visage. Sabeauté ne passerait pas inaperçue, cesoir-là.

- Maman, papa demande que tudescendes tout de suite, annonça Alec.Tu entends la musique ? Tout le mondearrive. Gillian, il faut que tu viennesaussi. C'est oncle Brodick qui l'a dit.

- Judith, descendez la première, ditGillian. Je dois d'abord enlever monpansement.

Judith voulut l'aider, mais Gillianinsista pour qu'elle rejoigne son mari,assurant qu'elle saurait se débrouiller.Quand elle se retrouva seule, la jeunefemme se rassit et défit lentement sonbandage, redoutant un peu le spectaclequi l'attendait. A son grand soulagement,sa blessure s'était refermée et ne suintaitplus, mais la cicatrice n'était pas très

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belle à voir. Heureusement, elle pourraitla cacher sous sa manche.

Une fois le bandage totalementenlevé, Gillian nettoyaprécautionneusement son bras avec unlinge humide, puis elle l'essuya avec uneserviette sèche et rajusta la manche de sarobe en décidant de ne plus penser à sacicatrice. Elle avait d'autres raisons bienplus sérieuses de s'inquiéter. Son oncleMorgan était-il bien traité, par exemple ?

La jeune femme joignit les mains etmurmura Une courte prière :

- Mon Dieu, prenez soin de moncher oncle. Faites qu'il ne souffre pas etqu'il ne tombe pas malade.Accordez-lui...

Des éclats de voix et des riresvinrent troubler sa prière. Gillian serésigna à descendre retrouver lesMaitland

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13

Comme Judith l'avait prédit,l'arrivée de Gillian provoqua un certainémoi.

Les invités s'étaient rassemblés aurez-de-chaussée de la demeure,envahissant le hall et la grande salle, oùbrûlaient maintenant des dizaines dechandelles. Tout ce petit monde fêtait leretour d'Alec avec une bonne humeurbruyante. Un jeune musicien jouait duluth dans un coin, et des domestiques sefrayaient un chemin à travers la foule enportant à bout de bras des plateauxchargés de gobelets. Un porcelet rôtissaitdans la cheminée, surveillé par unevieille femme équipée d'une cuillère enbois. Elle s'en servait comme d'une armepour repousser les guerriers tentés devoler un morceau de viande avant que leporcelet ne soit tout à fait cuit.

Gillian commença à descendrel'escalier et, soudain, la musique s'arrêta.

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Le joueur de luth, les yeux braqués surelle, semblait avoir oublié soninstrument. Peu à peu, les conversationscessèrent, celles aussi, à mesure que lesinvités se tournaient vers la jeunefemme.

Brodick discutait avec Ian etWinslow quand il aperçut à son tourGillian dans l'escalier. Sans mot dire, iltourna aussitôt le dos à son frère et à sonami pour s'approcher des marches.

Pour la première fois, Brodick serendait réellement compte de l'immensebeauté de Gillian. Sa robe, trop étroite àson goût, révélait ses courbesharmonieuses, et il songea un instant à lacouvrir d'un second plaid pour cacher lescharmes de la jeune femme aux regardsdes invités.

Gillian, voyant l'air irrité deBrodick, eut soudain envie de battre enretraite. Mais elle avait déjà descendu lamoitié des marches. Maintenant, il étaittrop tard pour remonter. De plus, elle nevoulait pas passer pour une lâche, même

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si l'attention dont elle était l'objet lamortifiait. Le silence, à présent, étaittotal. Plusieurs hommes la détaillaientsans vergogne.

Lorsqu'elle arriva au bas desmarches, Brodick lui tendit la main. Ellese sentit tout de suite plus rassurée.Aussitôt, les guerriers de Brodickformèrent un cercle autour d'eux, commeils en avaient l'habitude.

- Monseigneur, vous ne devriez paspermettre aux Maitland de regarder ladyGillian, marmonna Robert. Ce n'est pasconvenable.

- Et comment veux-tu que je les enempêche ?

- Nous pouvons nous en charger,proposa Liam, que cette perspectivesemblait réjouir.

- Oui, nous allons leur faire passerleurs idées salaces, renchérit Robert.

Aaron lui donna un coup de coudedans les côtes.

- Ne parle pas comme ça devantlady Gillian !

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Heureusement, la musique repritenfin, détournant l'attention de la foulede Gillian.

Brodick tenait toujours la jeunefemme par la main. Pendant qu'ildiscutait avec ses guerriers, Gillianl'admira plus en détail. Savait-il à quelpoint sa beauté pouvait troubler lesfemmes ?

Il s'était lavé, lui aussi, et portait unechemise blanche toute propre, que Ianlui avait probablement prêtée. Mais il nes'était pas rasé et sa barbe naissante lerendait encore plus séduisant. Gillianmourait d'envie de se jeter dans ses braset de l'embrasser.

Il s'aperçut qu'elle le regardait, maisla jeune femme était certaine qu'il n'avaitpas deviné ses pensées - bien peu dignesd'une dame.

- Nous pourrions proposer auxMaitland de sortir, pour leur dire deuxmots dehors, suggéra Robert.

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- Un bon coup de poing vauttoujours mieux qu'une explication,objecta Liam.

Gillian, qui n'avait pas prêtéjusque-là beaucoup d'attention à laconversation des Buchanan, réagit enentendant parler de coups de poing.

- Il n'est pas question que vous vousbattiez ce coir. C'est une fête, pas unpugilat.

- Mais, madame, il n'y a pas de fêteréussie sans bonne bagarre, déclaraStephen pour se justifier.

Gillian espérait que Brodick luiviendrait en aide. Mais, voyant qu'il nedisait rien, elle reprit :

- Peu importe que vous aimiez ounon vous battre. Lord Maitland ne vous apas invités pour que vous mettiez lapagaille dans sa maison.

- Mais, madame, ces hommes necessent de vous lorgner. Nous nepouvons pas le permettre.

- Bien sûr que si.- C'est déplacé, insista Stephen.

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- Si on me regarde, c'est ma faute.- Oui, c'est votre faute, répéta

Brodick, sortant enfin de son silence.Vous êtes trop belle, ce soir.

Gillian n'aurait su dire si cecommentaire la ravissait ou l'irritait.

- Votre compliment sonne commeune critique, observa-t-elle.

- C'était une critique, répliquaBrodick. Quand on a votre allure, on nepeut pas s'attendre à être ignorée. Si lesgens vous regardent, vous n'avez à vousen prendre qu'à vous.

Gillian retira brusquement sa main.- Que devrais-je changer à mon

allure, pour vous satisfaire ?- C'est vos cheveux madame,

intervint Aaron. Accepteriez-vous de lescacher sous un foulard, pour ce soir?

- Il n'en est pas question.- Sa robe ne va pas non plus, ajouta

Liam. Madame, ne pourriez-vous pasporter quelque chose de moins... ajusté?

Gillian se tourna vers lui.

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- Un sac en toile de jute vousconviendrait-il mieux ?

Le guerrier parut considérer saproposition avec le plus grand sérieux.Gillian, exaspérée, leva les yeux au ciel.

- Ne voyez pas le mal partout ! Jeparie que les Maitland me regardentparce que je porte le plaid des Buchanan.J'ai eu tort d'accepter de le mettre.

- Pourquoi, madame? s'écria Robert.Nous sommes heureux que vous portieznos couleurs.

- Seul un Buchanan est habilité à lesporter, répliqua Gillian. Je ne devrais pasme faire passer pour ce que je ne suispas. Maintenant, si vous voulez bienm'excuser, je vais remonter me changer.

- Non, vous n'irez nulle part, décrétaBrodick.

Il lui prit la main et la poussa devantlui. Il souhaitait l'emmener auprès de Ianet de Judith, mais les guerriers Maitlandaccoururent aussitôt autour de la jeunefemme. Brodick, qui n'appréciait guère

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cet enthousiasme, rembarra brutalementceux qui se montraient trop pressants.

Gillian était médusée par sonattitude.

- Vous êtes le seigneur desBuchanan, lui rap- pela-t-elle à mi-voix.

- Vous n'allez pas m'apprendre quije suis.

- Alors, tâchez de vous conduirecomme le veut votre rang.

Il rit.- C'est précisément ce que je fais. Je

défends ma réputation.- Vous et vos guerriers vous

comportez comme des soudards.- Bravo de l'avoir remarqué.Gillian renonça à le raisonner.

Finalement, ils réussirent, en jouant descoudes, à rejoindre leurs hôtes. IanMaitland accueillit poliment la jeunefemme, mais réprimanda Brodick.

- Contrôle tes guerriers,ordonna-t-il. Sinon, c’est moi qui m’enchargerai.

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Brodick se contenta de sourire.Gillian se retourna et constata que lesBuchanan s’ingéniaient à provoquer lesMaitland.

- Excusez-moi un instant, lordMaitland, dit-elle. J'aimeraism'entretenir avec les hommes deBrodick.

Elle s'éloigna vivement, ignorantBrodick, bien décidée à faire son devoirà sa place. Elle se précipita vers lesBuchanan et déclara, assez fort pour êtreentendue des Maitland :

- Messieurs, j'apprécierais que vousvous conduirez en gentlemen pour lereste de la soirée.

De toute évidence, cette sortie lesstupéfia, mais ils s'empressèrentd'acquiescer. Gillian les remercia d'unsourire et se tourna ensuite vers lesguerriers Maitland.

- Cela vaut également pour vous,messieurs.

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- Si l'on ne peut pas se battre, ça neva pas être drôle, objecta Liam malgrétout.

Un des guerriers Maitland lui donnaune tape sur l'épaule.

- Que diriez-vous d'une bonne bière,les gars ? Je parie que vous n'êtes mêmepas capable de descendre une pinteentière d'une seule traite.

Liam releva aussitôt le défi, et tousse dirigèrent vers les tonneaux de bièrepour entamer la compétition.

- Ce sont de vrais gamins,marmonna Gillian en revenant vers seshôtes.

Judith la prit à part pour la présenterà sa meilleure amie, une jolie rousseprénommée Catherine.

- Son mari, Patrick, est le frère deIan, expliqua Judith. Et Catherine estmon amie depuis des années.

Le sourire chaleureux de Catherinemit tout de suite Gillian à l'aise.

- Judith m'a déjà beaucoup parlé devous, expliqua la jeune rousse. Vous

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avez attiré l'attention de Brodick, et cen'est pas un mince exploit, Gillian.Brodick n'aime pas beaucoup lesAnglais, précisa-t-elle. Et c'est un douxeuphémisme.

- Vous a-t-il raconté que lui etRamsey s'étaient rendus en Angleterre,autrefois, pour essayer d'y trouver uneépouse ? demanda Judith.

Gillian écarquilla les yeux.- Non, il ne m'a rien dit de tel.

Quand cela s'est-il passé ?- Il y a six ou sept ans.- Au moins huit ans, corrigea

Catherine.- Mais pourquoi sont-ils allés

jusqu'en Angleterre ? S’étonna Gillian.- Ils étaient tous les deux amoureux

de Judith, voyez-vous... commençaCatherine.

- Ce n'est pas vrai ! protestal'intéressée.

- Bien sûr que si, insista son amie.Comme Judith était déjà mariée à Ian, ilsdécidèrent de partir en Angleterre, pour

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y dénicher des femmes qui luiressembleraient. Mais aucune de cellesqu'ils rencontrèrent ne soutenait lacomparaison avec Judith.

- Pour l'amour de Dieu, Catherine,tu n'as pas besoin de me faire passer pourla femme idéale ! Simplement, commeils n'avaient pas trouvé de partisconvenables ici, ils ont voulu tenter leurchance en Angleterre. Mais ils ont finipar se raviser et ils ont juré à Ian qu'ilsépouseraient des écossaises.

- Ça, c'est vrai, admit Catherine.- Mais votre arrivée change tout,

Gillian, remarqua Judith avec un sourire.- Brodick s'est montré très gentil

avec moi, mais ce n'est pas allé plus loin,protesta Gillian.

- Et nourrissez-vous des sentimentspour sa... gentillesse? demanda Judith.

- Nous ne devrions pas vous poserune telle question, admit Catherine.Mais j'avoue que nous paierionsbeaucoup connaître la réponse.

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- J'ai énormément d'estime pour lui,avoua Gillian. Il m'a aidée à ramenerAlec chez lui, et je lui en seraiéternellement reconnaissante. Cela dit, ilne faudra bientôt rentrer en Angleterre,dès que ma mission dans les Highlandssera terminée. Je ne peux donc pas mepermettre... de rêver.

- Il y a des complications dont tun'es pas au courant, Catherine, expliquaJudith.

- L'amour est toujours compliqué,objecta son amie.

Le mari de Catherine lesinterrompit, au grand soulagement deGillian. Patrick Maitland ressemblaitbeaucoup à son frère, mais il n'avait pasdu tout la même stature.

Catherine le présenta à Gillian, puiselle montra fièrement à la jeune femmeleurs six enfants, des jumelles et quatreadorables garçons. Le plus jeune nedevait pas avoir plus d'un an et gigotaitdans les bras de son père, en exhibant sapremière dent chaque fois qu'il souriait.

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Alec arriva sur ces entrefaites, encompagnie de son frère, Graham. L'aînédes enfants Maitland semblait trèstimide : il salua poliment Gillian, maisn'osa pas la regarder en face et s'esquivarapidement pour retourner jouer avec sesamis.

- Graham porte le nom d'unvaleureux guerrier qui apprit le métierdes armes à mon mari, expliqua Judith.Graham est mort depuis bientôt huit ans,maintenant, mais il nous manquetoujours beaucoup. C'était un hommemerveilleux, que je considérais un peucomme un grand-père. Ah, Helen me faitsigne. Le dîner doit être prêt.

À présent, la nuit étaitcomplètement tombée. On avait alluméde nouvelles chandelles pour éclairer latable. Toutes les femmes se proposèrentpour aider à transporter les plats. Gillianvoulut aussi participer, mais Judith luiinterdit de bouger le petit doigt, enprétextant qu'elle était leur invitéed'honneur. La jeune femme se contenta

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donc d'assister au spectacle, médusée devoir qu'un tel festin avait pu être préparéen aussi peu de temps. Il y avait desvolailles et des gibiers rôtis, du saumonet des truites, du pain frais, des entremetset des gâteaux de toutes sortes, sansparler du vin qui coulait à flots.

Durant le repas, Alec, toujours trèsexcité, passa de convive en convive pournarrer ses aventures.

- Mon fils commence à avoir descernes sous les yeux, remarqua Ian. Etvous aussi, Gillian. Vous seriez mieuxdans votre lit.

- Ils ont souvent des cauchemars,tous les deux, murmura Brodick à Ian.Où va dormir Gillian ?

- Dans l'ancienne chambre deGraham, répondit Ian. Tu n'as pas àt'inquiéter. Judith et moi veillerons à ceque rien ne vienne troubler son sommeil.

Comme le dîner s'achevait, lamusique reprit. Patrick se leva aussitôtde table, confia son bébé à Judith etentraîna sa femme au centre de la pièce.

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D'autres couples se mirent à danser aveceux, tandis que les convives restés assisles accompagnaient en battant des mainsou en tapant du pied sur le sol.

Plusieurs guerriers tentèrent deproposer à Gillian de danser avec eux,mais le regard noir de Brodick lesdissuada de pousser plus loin leurinvitation.

Ce dernier sentait sa mauvaisehumeur augmenter de seconde enseconde. Ces imbéciles ne Voyaient-ilspas que la jeune femme était exténuée?Pourquoi s'obstinaient-ils à vouloir lafaire danser, alors qu'elle avait besoin derepos ? Mais pourquoi se montrait-ilaussi possessif à ton égard? Après tout,elle ne lui appartenait pas.

- Bon sang de bon sang,marmonna-t-il.

Gillian se tourna vers lui.- Vous avez dit quelque chose,

Brodick?Comme il ne répondait pas, Ian s'en

chargea à sa place.

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- Il a dit « bon sang de bon sang »,n'est-ce pas, Judith?

- 'est exact, approuva Judith, unelueur malicieuse dans le regard. Il a dit «bon sang de bon sang».

- Mais pourquoi ? S’étonna Gillian.Qu'est-ce qui le tracasse ?

Ian pouffa.- Vous, répliqua-t-il sans ambages.

C'est vous qui le tracassez.- Ian, fiche-moi la paix, s'il te plaît,

maugréa Brodick.Alec vint se planter devant Gillian et

s'inclina respectueusement.- Lady Gillian, m'accordez-vous

cette danse ? demanda-t-il avec unsourire irrésistible.

Ignorant Brodick, qui expliquait àl'enfant que Gillian était trop fatiguéepour danser, celle-ci se leva, esquissaune révérence comme si le roi lui-mêmel'avait invitée, et tendit la main à Alec.

Brodick quitta la table à son tour etalla s'adosser à un pilier pour lesregarder danser. Gillian semblait vivre

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un moment de pur bonheur. MaisBrodick s'aperçut vite qu'il n'était pas leseul à admirer ce spectacle. Dès que ladanse s'acheva, plusieurs guerriersfondirent sur la jeune femme comme desvautours.

Tous voulaient danser avec elle,mais Gillian déclina poliment leursinvitations. Apercevant Brodick à l'autrebout de la pièce, elle fendit aussitôt lafoule pour le rejoindre. Il fit quelquespas vers elle, et ils s'arrêtèrent l'un enface de l'autre.

- L'Angleterre vous manque-t-elle ?- C'est surtout mon oncle Morgan

qui me manque.- Mais l'Angleterre ?- C'est ma patrie.Il y eut un long silence, durant

lequel ils contemplèrent les danseurssans les voir, puis Gillian demanda :

- Parlez-moi de votre maison.- Elle ne vous plairait pas.- Pourquoi ?Il haussa les épaules.

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- Les Buchanan ne sont pas commeles Maitland.

- C’est-à-dire?- Nous sommes plus... rustres.

Certains nous appellent d'ailleurs «lesspartiates», sans doute avec raison. Vousêtes trop douce pour notre mode de vie.

- Il y a pourtant bien des femmes quivivent sur les terres des Buchanan ?

- Évidemment.- Je ne sais pas ce que vous entendez

précisément en disant que je suis tropdouce, mais j'ai l’impression qu'il nes'agit pas d'un compliment. Par ailleurs,je suis prête à parier que les femmesBuchanan ne sont pas très différentes demoi... Il sourit.

- Elles ne feraient qu'une bouchée devous.

Elle sourit à son tour.- Expliquez-vous. Vous avez piqué

ma curiosité. Comment sont cesfemmes?

- Elles sont fortes et solides. Ellesn'ont besoin de personne et peuvent tuer

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aussi facilement que n'importe quelhomme. Ce sont des guerrières qui nepossèdent aucune douceur.

- Est-ce un compliment ou unecritique ?

- Un compliment, bien sûr.Elle le regarda droit dans les yeux.- Pourquoi m'avez-vous parlé des

femmes de votre clan ?- Parce que vous me l'avez

demandé.- Non. C'est vous qui avez abordé le

sujet. Alors, allez jusqu'au bout.Il soupira.- Je désirais juste vous faire

comprendre que ça ne marcherait jamais.- Qu'est-ce qui ne marcherait jamais

?- Vous et moi.- Vous êtes un homme plutôt direct,

commenta Gillian, avec un calme qui lasurprit elle-même.

- Je ne voulais pas que vousnourrissiez de vains espoirs.

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Brodick savait qu'il l'avait vexée,mais il ne regrettait pas ses paroles. Iln'aurait servi à rien de tourner autour dupot. Gillian et lui devaient voir la véritéen face, même s'il avait de plus en plusde mal à se résoudre à l'idée de quitter lajeune femme.

- Je suis trop douce pour que vouspuissiez m'aimer, c'est ça?

Craignant qu'elle n'ait mal interprétéses propos, il répondit sans réfléchir :

- Je n'ai pas dit que je ne pourraispas vous aimer.

- Vous avez dit que nous nepourrions pas vivre ensemble. Celarevient au même.

- Nous ne pourrions pas vivreensemble. C'est la vérité. Vous serieztrès malheureuse.

Gillian s'obligea à garder sonsang-froid.

- Si je comprends bien, vouspourriez m'aimer, mais vous ne pourriezpas vivre avec moi ?

- Exactement.

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- Fort bien. Puisque vous m'avezouvert votre cœur, à mon tour. Asupposer que j'aie la malchance detomber amoureuse d'un homme arrogantet obstiné dans votre genre, je nepourrais pas vous épouser, de toutefaçon. Alors, ne perdons plus notretemps à parler de cela.

- Pourquoi?- Pourquoi quoi ?- Pourquoi ne pourriez-vous pas

m'épouser? Bonté divine ! Cet homme larendait folle !

- Je dois retourner en Angleterre.- Pour retomber entre les mains de

cette crapule qui n'hésiterait pas à vousfrapper encore ?

- Mon oncle Morgan a besoin demoi. Brodick serra les poings.

- Et quand vous aurez retrouvé votresœur, lui demanderez-vous de sesacrifier comme vous le faites ?

- Non. Si je réussis à récupérer letrésor d'Arianna, cela suffira à monnayerla libération de mon oncle.

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- Je trouve curieux que vous nem'ayez pas encore dit une seule fois lenom du tyran qui garde votre oncleprisonnier, depuis le temps que noussommes ensemble.

- Cela ne fait pas si longtemps,répliqua-t-elle.

- Mais pourquoi ne prononcez-vousjamais son nom, Gillian ? Vous nevoulez pas que je le connaisse ?

Elle refusa de répondre.- J'aimerais retourner m'asseoir.

Excusez-moi.- En d'autres termes, vous mettez fin

à cette discussion.Elle s'apprêtait à acquiescer; mais se

ravisa.- En réalité, j'ai encore une chose à

vous dire.- Allez-y.- Je ne pourrai jamais aimer un

homme qui me juge fragile.Sur ces mots, elle voulut s'éloigner,

mais Brodick la retint par l'épaule.- Gillian, vous n'êtes pas fragile.

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Puis, se penchant vers elle, il ajoutad'une voix rauque :

- Tu es juste si... douce.Il l'attira à lui et s'empara

brusquement de ses lèvres. Le bruit, lamusique, la foule s'évanouirent. Seulcomptait pour Brodick ce désir absolu deposséder Gillian et de ne plus jamais lalaisser s'échapper. Lorsqu'elle noua lesbras autour de son cou pour lui rendreson baiser, il songea même à la juchersur ses épaules pour la porter jusqu'aupremier lit qu'il trouverait sur sonchemin. Mais le son des conversations,autour d'eux, éclata soudain à sesoreilles. Il revint à la raison en un éclairet mit brutalement fin à leur baiser.

Gillian eut quelques difficultés àreprendre ses esprits. Quand elle finit parréaliser ce qui s'était passé, elle futhorrifiée. Mon Dieu! Qu'aurait pensé sononcle Morgan s'il l'avait vue secomporter avec une telle impudeur?

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Dans sa confusion, elle ne savaitplus quoi faire. À la fois furieuse etfrustrée, elle s'écarta de Brodick.

- Ne m'embrassez plus jamaiscomme cela ! lui ordonna-t-elle, d'unevoix altérée par l'émotion.

- Je n'y manquerai pas, au contraire.Elle tourna les talons sans répondre,

mais Brodick la retint une nouvelle fois.- Gillian?- Oui? dit-elle, refusant de le

regarder.- Ramsey est arrivé.- Ah?- Tu te souviendras encore de mon

baiser quand tu le verras. Je suis mêmeconvaincu que tu ne vas pas cesser d'ypenser jusqu'à la fin de la soirée.

Exaspérée par une telle arrogance,Gillian lança d'un ton de défi :

- Vous croyez ?Il sourit.- Oui.Résolue à avoir le dernier mot, elle

se rapprocha de lui et murmura :

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- Je ne vous aimerai jamais.Il se pencha et lui chuchota à

l'oreille :- C'est faux. Tu m'aimes déjà.

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14

À la seconde où lord Sinclair,escorté de ses guerriers, pénétra dans lehall, toutes les jeunes filles du clanMaitland poussèrent un soupird'adoration et se précipitèrent vers lui.

Brodick avait ordonné à Gillian des'asseoir sagement dans un coin etd'attendre que l'agitation soit retombéeavant d'aller parler à Ramsey. Posté àl'autre bout du hall, il put ainsitranquillement observer les réactions dela jeune femme à l'arrivée de l'Adonis.

Son attitude le ravit. À l'inverse desautres femmes, Gillian ne chercha pas àattirer l'attention de Ramsey. Enrevanche, elle parut attacher beaucoupd'importance à son escorte. La présencede Michael sembla la soulager, mais ellescruta chaque guerrier d'un œil angoissé.En la voyant se détendre enfin, Brodickcomprit qu'elle avait craint que le traîtrene se trouvât parmi eux. ; Dylan apparut

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en dernier. Il vint aussitôt faire sonrapport à son maître, puis demanda :

- Où est lady Gillian?Brodick lui désigna la jeune femme.

Dylan esquissa un sourire.- Elle porte nos couleurs,

remarqua-t-il fièrement. N’est-elle pas laplus belle femme de la soirée?

- Si, admit Brodick.- Mais pourquoi reste-t-elle assise

dans son coin un soir de fête,monseigneur? Les Maitland laconsidéreraient-ils comme une étrangère? Ian ne leur a donc pas expliqué quec'était grâce à elle qu'ils pouvaient seréjouir ce soir? Bon sang, ils n'ont doncpas réalisé qu'elle a sauvé Alec?

À chaque nouvelle question, Dylans'empourprait un peu plus. L'idée que lesMaitland méprisaient peut-être Gillian lerendait visiblement fou de rage.

- C'est moi qui ai conseillé à Gilliande prendre un peu de repos à l'écart,répondit Brodick. Personne ne l'aignorée, bien au contraire. Il s'en est fallu

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de peu qu'une bagarre n'éclate pas entrenos guerriers et les Maitland.

Puis, changeant de sujet, il demanda:

- Comment Ramsey a-t-il réagiquand tu lui as révélé que c'était Michaelqui aurait dû être kidnappé ?

- Je ne le lui ai pas dit.- Pourquoi donc ?- Il y avait beaucoup de monde

autour de lui, y compris desMacPherson, expliqua Dylan. Nesachant pas à qui faire confiance...

- Tu ne dois faire confiance àpersonne, coupa Brodick.

- Vous avez raison, admit Dylan.Aussi me suis-je contenté de lui dire queIan et vous souhaitiez vous entreteniravec lui le plus tôt possible. Mais j'aiinsisté pour que Michael l'accompagne.Et quand j'ai réussi à me retrouver seulavec lord Sinclair, je lui ai appris qu'onavait retrouvé Alec.

- Je suppose que Ian est en train detout lui expliquer, à présent, commenta

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Brodick en voyant les deux hommesplongés dans une grande discussion.

Ian racontait ce qui était arrivé à sonfils avec force gestes, mais Ramseyl'écoutait placidement, comme s'il s'étaitagi d'une conversation anodine sur lapluie et le beau temps.

- Ramsey semble plutôt bienprendre la nouvelle, constata Dylan.

Brodick ne partageait pas sonoptimisme.

- Non. En réalité, il est furieux.Regarde comme ses poings sont crispés.Mais personne ne sait mieux queRamsey dissimuler ses émotions.

- Lord Maitland vous fait signe devenir, annonça Dylan.

Brodick se dirigea aussitôt vers sesdeux amis. Il témoigna son affection àRamsey en lui donnant une grande tapesur l'épaule.

- Content de te revoir, vieux frère,lui dit Ramsey.

- Une étrange rumeur court sur toncompte, Ramsey. Il paraîtrait que tu as

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pris ces mauviettes |de MacPherson souston aile?

- Ce n'est pas une rumeur, c'est lavérité. Les MacPherson ont rejoint monclan pour devenir des Sinclair. Mais cene sont pas des mauviettes, Brodick.Leurs guerriers n'ont simplement pas eula chance d'être aussi bien entraînés aucombat que les miens, les tiens ou ceuxde Ian.

- C'est vrai, concéda Brodick. Ian,que lui as-tu dit?

- Je lui ai expliqué qu'Alec avait étéenlevé par erreur, à la place de Michael.

- Où est la femme qui a ramené Alecici? demanda Ramsey. J'aimerais luiparler.

- Moi aussi, renchérit Ian. La fête estterminée.

Il distribua ses ordres et, enquelques minutes, la foule commença àrefluer vers la sortie. Pendant ce temps,Ramsey souhaita une bonne nuit àMichael, qui courut ensuite retrouverAlec et Graham dans leur chambre.

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Gillian, de son côté, fit ses adieux àCatherine. L'amie de Judith, en partant,croisa Winslow, qui revenait sur ses paset se dirigeait tout droit vers Gillian.

- Ma femme est très fâchée que je nevous aie pas présentée à elle, déclara-t-il.Si vous pouviez prendre le temps,demain...

- Je serai enchantée de rencontrervotre femme avant mon départ.

- Où donc comptez-vous aller?S’enquit-il, étonné.

- Chez les Sinclair, avec Ramsey.- Brodick vous y a autorisée?

demanda-t-il, incrédule.- Je n'ai pas besoin de sa permission,

Winslow.- Mon frère ne vous laissera pas

partir avec Ramsey.- Et pourquoi donc ?- Ma femme s'appelle Isabelle.Ce brusque changement de sujet

était délibéré, comprit Gillian. Winslowne voulait pas poursuivre leurconversation. Son comportement

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rappela à Gillian celui de son frère.Apparemment, Winslow se montraitaussi arrogant que Brodick... et aussiautoritaire : la seconde d'après, il luiassurait qu'elle apprécierait beaucoup safemme. Ce n'était pas un vœu. Il lui avaitpratiquement ordonné d'apprécier safemme.

- Je suis impatiente de faire saconnaissance, dit-elle, conciliante.

Winslow hocha la tête, satisfait,avant d'annoncer :

- Lord Maitland, lord Sinclair etBrodick vous attendent.

Gillian le remercia, prit uneprofonde inspiration et se prépara àl'épreuve qu'elle s'apprêtait à subir.

La grande pièce brillait encore del'éclat de toutes les chandelles alluméespour la fête. Les trois hommes s'étaientassis à une extrémité de la table, Ian aumilieu de ses deux amis. Dès qu'ilsvirent Gillian entrer, ils se levèrent. Lajeune femme s'installa à l'autre bout de latable, tandis que Dylan et Winslow

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allaient se poster derrière leurs maîtresrespectifs.

- Maintenant, j'aimerais apprendre cequi est exactement arrivé à mon fils,déclara Ian Maitland. .

Brodick déplaça sa chaise pours'asseoir à côté de Gillian, croisa les brassur sa poitrine et lança aux deux autreslords un regard d'avertissement, pour lesdissuader de critiquer son revirement.Mais Ramsey ne fit aucun commentaire,et leur hôte eut l'air plutôt satisfait.

Ian semblait d'ailleurs s'amuser dece petit manège, et Gillian en conclutque lord Maitland un homme agréable àvivre. Au premier abord, il était trèsintimidant, et Gillian s'était laisséprendre à sa mine sévère. Mais l'amourqu'il témoignait à sa femme et latendresse avec laquelle couvait son filsn'avaient pas tardé à la faire changerd'avis.

Le caractère de Ramsey, enrevanche, était beaucoup plus difficile àcerner. Il paraissait plus détendu que ses

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deux amis, ce que Gillian trouvait plutôtétonnant. Après tout, on venait de luiannoncer que son frère avait failli êtrekidnappé. Mais comment réagirait-il,quand il connaîtrait toute l'histoire ?

- Gillian, reprit Ian, je vous prometsde ne pas vous interrompre pendantvotre récit. Ainsi, vous en aurez terminéplus vite et vous pourrez aller vousreposer.

- Je ne suis pas si fatiguée que cela,mais merci. Si vous le voulez bien, jevais commencer au tout début, enremontant à la nuit où mon père nousréveilla, ma sœur et moi, pour nousmettre en lieu sûr.

Pendant près d’une heure, Gillianraconta son histoire, en s'efforçant den'oublier aucun détail important.Lorsqu'elle eut enfin fini, elle avait lagorge sèche.

Aucun des trois lords ne l'avaitinterrompue, et seul le craquement desbûches qui achevaient de se consumerdans l'âtre rompit le silence qui suivit

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son récit. Brodick remplit un gobeletd'eau et le tendit à la jeune femme. Ellele remercia et vida la moitié du gobeletd'une seule traite.

Ian et Ramsey montraient un calmeétrange, mais ils ne tardèrent pas àabreuver Gillian de questions,auxquelles la jeune femme passa encoreune demi-heure à répondre.

Finalement, Brodick se tourna versRamsey.

- Qui pourrait te haïr au point devouloir vous tuer, toi et Michael ?

- Aucune idée, grommela Ramsey.- Connaissez-vous Christen,

Ramsey? demanda Gillian. Savez-vousquelle famille l'a recueillie ?

Ramsey secoua la tête.- Les MacPherson viennent tout

juste de rejoindre mon clan. Je n'ai pasencore eu le temps de tous les rencontrer,avoua-t-il. Ce sera sans doute difficile deretrouver votre sœur.

- Mais acceptez-vous de m'aider?Il sembla surpris par sa question.

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- Bien entendu.- Les anciens doivent savoir qui est

Christen, suggéra Brodick. Ian opina duchef.

- Tu as raison. Les vieillardsconnaissent toute l'histoire du clan. Quelâge avait Christen, à son arrivée enÉcosse ?

- Environ sept ans, répondit Gillian.- Si une famille, à cette époque, a

brusquement prétendu avoir une petitefille de cet âge... commença Ramsey.

- ... quelqu'un s'en souvientforcément, termina Brodick à sa place.

- Je vais mener mon enquête, promitRamsey. Que comptez-vous faire,Gillian, une fois que vous aurez retrouvévotre sœur? Lui demanderez-vous derentrer en Angleterre avec vous ?

- Non. J'espère seulement qu'ellepourra me dire ce qu'est devenu le trésord'Arianna.

- Elle était très petite, lorsque votrepère lui a confié le coffret, remarqua Ian.

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Je doute qu'elle se rappelle quoi que cesoit.

- Elle ne se souvient peut-être mêmepas de toi, renchérit Brodick.

Mais Gillian refusait de croire àcette éventualité.

- Christen est ma sœur. Elle mereconnaîtra, affirma-t-elle.

- Vous nous avez dit que votre sœuravait trois ans de plus que vous, repritIan. Au moment de votre séparation,vous n'étiez encore guère qu'un bébé.Comment pouvez-vous vous rappelerautant de détails ?

- Lisa, ma fidèle servante, que Dieuait son âme, m'aida à entretenir mamémoire. Elle me reparlait sans cesse decette fameuse nuit et me racontait tout cequ'elle avait appris de la bouche dessurvivants.

Elle ne voulait pas que j'oublie, carelle devinait qu'un jour je réclamerais...

Elle s'interrompit.- Que tu réclamerais quoi? répéta

Brodick pour l'encourager.

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- Justice.- Et comment comptez-vous vous y

prendre ? interrogea Ramsey.- Je l'ignore encore. Mais je sais une

chose : je ne laisserai pas insulter lamémoire de mon père. L'homme quiretient mon oncle prisonnier a l'intentionde prouver que mon père a tué Ariannaet volé le coffret. Moi, j'entends ledisculper, afin qu'il puisse reposer enpaix dans sa tombe, expliqua-t-elle avecémotion.

Elle se ressaisit et ajouta :- J'ai une vague idée de plan. Le

baron ne pense qu'à l'argent. C'est aussiun homme vaniteux, qui se croit plusintelligent que n'importe qui. Je réussiraipeut-être à retourner ses défauts contrelui. En tout cas, c'est mon seul espoir.

Exténuée, Gillian vida son gobeletd'eau et tenta de mettre un terme à laconversation.

- Voilà, je vous ai tout dit,déclara-t-elle.

- Non, pas tout, objecta Ian.

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La jeune femme s'adossa à son siègeet écarquilla les yeux.

- Il ne me semble pas avoir omisquoi que ce soit d'important,répondit-elle, feignant l'innocence.

Brodick posa la main sur la sienne.- Ils savent que tu as vu le traître qui

a pactisé avec le baron.- Vous le leur avez dit ?- Alec l'a dit à son père, qui l'a dit à

Ramsey. Mais si cet enfant n'avait pasparlé, je l'aurais fait à sa place.

- Pourquoi avez-vous demandé àAlec de se taire ? S’enquit Ramsey.

Gillian prit une profondeinspiration.

- Je craignais que vous ne m'obligiezà rester ici tant que je n'aurais pas puvous désigner le traître.

Ian et Ramsey échangèrent un brefregard, et Gillian comprit que c'étaitexactement ce qu'ils avaient prévu.

- C'est bien cela, n'est-ce pas?Insista-t-elle. Vous avez l'intention deme garder dans les Highlands?

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Les deux hommes ignorèrent saquestion.

- À quoi ressemble-t-il ? demandaRamsey.

- Il est grand, avec de longs cheveuxnoirs et une mâchoire très dure. Plutôtantipathique au premier abord.

- Beaucoup d'Écossaiscorrespondent à cette description. Vousn'avez rien remarqué de plus précis?

- Des cicatrices, vous voulez dire ?- N'importe quoi qui pourrait nous

aider à l'identifier.- Non. Je suis désolée, mais je ne me

rappelle pas avoir noté un quelconquesigne particulier.

- Dommage, ça nous aurait facilitéles choses, commenta Ramsey.

Gillian admirait son sang-froid. Lerécit qu'il venait d'entendre aurait dû lerendre furieux, mais il ne se laissait pasgouverner par ses émotions et conservaitun calme, étonnant.

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Tout à coup, Alec surgit dans lapièce, pieds nus, interrompant leurconversation.

- Alec ? Je te croyais couché, lui ditson père en Souriant.

- J'ai oublié de t'embrasser pour tesouhaiter bonne nuit, papa.

Ian prit son fils dans ses bras, luipromit de passer le voir dans sa chambreavant d'aller se coucher, puis leraccompagna à l'escalier.

- Vous n'avez plus de questions ?demanda Gillian lorsqu'il revint dans lapièce.

- Encore une, dit Ramsey.- Oui, une dernière, renchérit Ian.

Nous voulons leurs noms, Gillian. Lesnoms du baron et de ses deux acolytes.

La jeune femme les regarda l'unaprès l'autre.

- Et quand vous aurez obtenusatisfaction, que ferez-vous ?

- Ça, c'est notre problème, répliquaIan. Contentez-vous de nous donnerleurs noms.

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Gillian contint son irritation etinsista :

- Dites-moi ce que vous comptezfaire.

- Ça ne te regarde pas, intervintBrodick.

- Ne me parlez pas sur ce ton,Brodick, rétorqua Gillian, furieuse.

Brodick fut si médusé par sarebuffade qu'il ne sut comment réagir.S'ils avaient été seuls, il aurait sans douteattiré la jeune femme à lui pourl'embrasser et l'obliger ainsi à se taire.Mais il ne voulait pas la gêner devant lesautres. Cela ne l'empêchait pas d'avoirterriblement envie de l'embrasser, et safrustration augmentait encore sa colère.Dès que Gillian se trouvait près de lui, ilperdait tout bon sens.

- Nom de D... grommela-t-il.- Et ne jurez pas devant moi, lord

Buchanan.Il se pencha vers elle et lui chuchota

à l'oreille :- J'aime bien que tu me résistes.

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- Dans ce cas, vous n'avez pas finide vous réjouir.

- Mais tu vas répondre à notrequestion. Nous voulons les noms de cesAnglais.

Sur ces mots, il se redressa sur sachaise et croisa les bras, attendantpatiemment qu’elle s'exécute.

- J'accepte de vous donner leursnoms, mais à une condition.Promettez-moi de ne rien faire avant lafin de l'été.

- Nous voulons ces noms tout desuite, Gillian, insista Ramsey, ignorantsa requête.

- Promettez-moi d'abord de ne rienfaire, Ramsey. Je refuse d'exposer mononcle au danger.

- Il est déjà en danger, observa Ian.- Oui, mais il est toujours vivant, et

j'entends qu'il le reste.- Comment pouvez-vous être

certaine qu'il vit toujours ? demandaRamsey.

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- Si j'apprenais qu'il a été tué, jen'aurais plus aucune raison de rentrer enAngleterre. Le baron le sait. C'estpourquoi je ne lui donnerai rien tant queje n'aurai pas revu mon oncle. Enattendant, il ne lui fera aucun mal.

Ian soupira.- Vous nous mettez tous dans une

position difficile, expliqua-t-il,cherchant à se montrer diplomate. Vousm'avez ramené mon fils, et je vous enserai éternellement reconnaissant. Jevous jure de faire tout ce qui sera en monpouvoir pour sauver votre oncle. Mais,Gillian, j'ai besoin de connaître le nomdu monstre qui a séquestré mon fils etqui vous a sauvagement frappée.

Gillian secoua la tête, sincèrementdésolée.

- Non, monseigneur Je ne peux pasencore vous le révéler. C'est trop tôt.

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15

Les cris retentirent au milieu de lanuit. Judith Maitland se réveilla ensursaut, reconnaissant avec horreur lavoix d'Alec. Elle repoussa lescouvertures, mais avant quelle ait pubondir du lit, Ian s'était déjà précipitédans la chambre des enfants.

Graham et Michael étaient assis surleur lit, terrorisés. Lorsque Ian se penchasur son plus jeune fils, Alec lui donnades coups de poing, comme pour lerepousser. Le petit garçon étaitprisonnier de son cauchemar. Pourl'instant, rien ne pouvait le ramener à laréalité. Ses larmes et ses cristourmentaient Ian, mais il ne savait quefaire pour l'apaiser. .

Judith le rejoignit. Elle s'assit aubord du lit, prit son fils dans ses bras et leberça. Au bout de quelques minutes,l'enfant se calma enfin.

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- Seigneur Dieu, par quellesépreuves est donc passé mon fils ?murmura Ian. Judith pleurait à chaudeslarmes. Elle secoua la tête, tropbouleversée pour parler. Ian repritl'enfant dans ses bras, l'embrassa sur lefront et le remit dans son lit, puis Judithle borda soigneusement. Ils restèrent unmoment à son chevet avant de regagnerleur chambre.

Ils eurent du mal à se rendormir,mais leur sommeil ne fut plus troublé.Un peu après l'aube, Graham pénétradans leur chambre et secoua son père parl'épaule pour le réveiller.

- Papa, Alec est parti, murmura-t-il.Ian ne paniqua pas. Persuadé que

son fils s'était déjà levé, il fit signe àGraham de se taire et de quitter lachambre. Puis il sortit du lit, se lava ets'habilla rapidement, avant de descendredans le hall, où Graham et Michaell'attendaient.

- Il n'est pas en bas, papa, annonçaGraham.

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- Cesse de t'inquiéter, Graham. Alecn'a pas pu disparaître.

- Mais il a déjà disparu une fois,papa, protesta Graham, de plus en plusangoissé.

- Allez voir Helen et demandez-luivotre petit- déjeuner. Laissez-moichercher Alec tranquillement.

Au même instant, la porte d'entrées'ouvrit sur Brodick et Ramsey. Commeils en avaient l'habitude, ils avaientdormi dehors, à la belle étoile, entourésde leurs guerriers. Ils préféraient la brisenocturne et l'odeur des sapins auconfinement d'une chambre. En réalité,ils ne se trouvaient bien dans un lit quequand ils avaient une femme avec eux.Cependant, ils ne restaient jamais dormiravec leurs compagnes occasionnelles.

Michael se précipita au-devant deson frère.

- Ramsey, Alec a disparu !- Comment ?- Il n'est plus dans son lit.

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- Il doit rôder quelque part, déclaraIan, qui refusait toujours de céder à lapanique.

- Les gardes l'auraient aperçu, s'ilétait sorti, dit Ramsey. Où a-t-il bien pualler?

Ramsey était visiblement inquiet.Brodick, en revanche, demeuraitparfaitement serein.

- Il est avec Gillian, dit-il.Ramsey et Ian le regardèrent,

interloqués.- Pourquoi serait-il avec Gillian?- Parce qu'il se sent en sécurité avec

elle. Ian écarquilla les yeux.- Et il ne se sentirait pas en sécurité

avec son père et sa mère ?Brodick se dirigea vers l'escalier.- Si, bien sûr, mais il sait que Gillian

accepte de le prendre dans son lit. Je suissûr qu'il dort avec elle.

Ian dépassa son ami, monta lesmarches quatre à quatre et ouvrit la portede la chambre qu'on avait attribuée àGillian. La pièce était plongée dans le

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noir. Brodick s'approcha de la fenêtre ettira les rideaux.

Alec était bien là, comme il l'avaitprévu. Le petit garçon était blotti contrela jeune femme, la tête posée sur sonépaule. Gillian était couchée sur le dos etavait passé un bras autour de l'enfant,comme pour le protéger, même pendantson sommeil.

Ian s'était figé devant le lit.- Un ange en protège un autre,

murmura-t-il. Sur ces mots, il ressortitdans le couloir, où il retrouva Ramsey.

- Nous ferons ce qu'elle demande,lui dit-il. Ramsey fronça les sourcils.

- Tu veux dire que nous attendronspour nous venger?

- Oui.Brodick était resté dans la chambre.

Il ramassa le plaid de Gillian et l'étala surles deux dormeurs. Puis il contempla unedernière fois la jeune femme, avant derefermer les rideaux et de quitter la piècesur la pointe des pieds.

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Quand il tira la porte vers lui, uneétrange bouffée de joie lui gonfla lecœur. Gillian ne repartirait pas. Que celalui plaise ou non, elle lui appartiendrait.

Gillian se réveilla une heure plustard, merveilleusement reposée. Aprèss'être lavée, elle enfila sa robe verte. Lesdomestiques avaient dû la nettoyer etl'étendre devant un feu pendant la nuit,car elle la trouva parfaitement propre etsèche. Une fois habillée, elle se brossales cheveux et termina sa toilette en sepinçant les joues pour leur redonner descouleurs. Quand elle s'estima prête, elledescendit au rez-de-chaussée.

Elle prit son petit-déjeuner avecJudith et Alec. Graham supplia sa mèrede le laisser emmener son frère etMichael dans la prairie où les guerrierss'entraînaient. Dès qu'elle les y eutautorisés, ils s'emparèrent de leurs épéesen bois et coururent vers la porte.

- Maintenant, nous pouvons parlertranquillement, dit Judith. Avez-vous

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bien dormi ? Je pensais que vous ne vouslèveriez pas avant midi. Vous sembliezsi fatiguée, hier soir !

- J'ai dormi comme un bébé,répondit Gillian. Et je voulais me levertôt. Il faut que je reparte aujourd'hui.

- Déjà?- Oui, déjà.- Où allez-vous?- Chez Ramsey.Judith écarquilla les yeux.- Brodick est au courant ?- Pas encore. Savez-vous où il est ?- Dans les écuries, avec Ian et

Ramsey. Ça ne vous embête pas, si jevous accompagne ? J'aimerais bien voirla réaction de Brodick quand ilapprendra que vous partez avec Ramsey.

- Pourquoi s'y opposerait-il ? Il saitque je dois chercher ma sœur et qu'ellevit parmi les MacPherson. Il est logiqueque je me rende chez les Sinclair, non?

- Avec Ramsey.- C'est bizarre, vous réagissez

exactement comme Winslow, hier soir,

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quand je lui ai annoncé mes projets. Ilparaissait tout aussi choqué que vous.

- Je pense que vous avez besoind'une explication, Gillian.

- C'est aussi mon avis, approuva lajeune femme.

- Ramsey, Ian et Brodick sontcomme des frères. Mais vous avezsûrement remarqué, depuis que vous lefréquentez, que Brodick estextrêmement possessif. Comme tous lesBuchanan, du reste.

- Je ne comprends pas.Judith soupira.- Quand Ian et moi étions jeunes

mariés, Ian ne supportait pas queRamsey s'approche de moi.

- Pourquoi ? Il ne lui faisait pasconfiance ?

- Si. Et Brodick lui fait confiance,lui aussi. Mais les femmes, voyez-vous,ont tendance à perdre la tête devantRamsey. Vous n'avez pas pu ne pas vousrendre compte qu'il était incroyablementbeau.

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- En effet. Mais Ian et Brodick sonttout aussi beaux.

- Ian n'était pas vraiment rassuré,mais il a fini par se calmer quand il acompris que mon cœur lui appartenait.Brodick, lui, n'est pas sûr de vous, et ilaura beaucoup de mal à accepter quevous partiez avec Ramsey.

- Il s'y fera, assura Gillian.Judith pouffa.- Vous croyez si bien le connaître ?- Oui.- Il y a toujours eu une petite rivalité

entre Ramsey et Brodick. Comme jevous l'ai raconté hier soir, ils sont tousles deux allés en Angleterre pour trouverune femme, autrefois. Ce que je ne vousai pas dit, c'est que Brodick avaitrencontré quelqu'un qu'il désiraitépouser.

- Que s'est-il passé? demandaGillian.

Sa nouvelle amie avait rougi etsemblait hésiter à poursuivre.

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- Cette femme s'est donnée àBrodick, répondit- elle enfin, en baissantla voix.

- Ils étaient fiancés ?Judith secoua la tête.- Non, mais elle s'est donnée à lui.

Vous comprenez ?- Vous voulez dire qu'il l'a mise dans

son lit?- Oui, mais je connais assez Brodick

pour savoir qu'elle était forcémentconsentante. Sinon, il ne se le serait paspermis.

- C'est lui qui vous a raconté tout ça? fit Gillian, sidérée.

Judith rit.- Grands dieux, non ! C'est Ian qui

m'en a parlé, et encore, longtemps après! D'ailleurs, il ne faudrait pas qu'ilsapprennent que je vous ai rapporté cettehistoire. Promettez-moi de la garderpour vous.

Gillian s'empressa de le luipromettre et demanda, impatiente :

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- Qu'est-il arrivé à cette femme?Brodick est un homme d'honneur. Iln'aurait pas défloré une innocente...

- Mais elle n'était pas innocente,murmura Judith. En fait, elle fréquentaitun autre homme.

- Ô mon Dieu...- Et cet autre homme était Ramsey.- Oh, non!- Chut ! ordonna Judith. Les

domestiques vont nous entendre.- Et ils ont tous les deux couché avec

elle ? Chuchota Gillian.- Oui. Mais pendant un moment, ils

ignorèrent qu'elle menait un double jeu.- Je ne m'étonne plus qu'il déteste à

ce point les Anglais. Que s'est-il passé,quand ils ont découvert le pot aux roses ?

- Plus aucun d'eux ne voulait d'elle,bien sûr Ils sont rentrés en Écosse et ontjuré qu'ils épouseraient une compatrioteou qu'ils ne se marieraient jamais.

- Brodick aimait cette femme ?- Je ne crois pas. S'il avait été

amoureux, il aurait été furieux contre

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Ramsey, alors qu'il était simplement trèsdéçu.

- Et Ramsey?- Il a continué sa vie comme si de

rien n'était. De toute façon, toutes lesfemmes se jettent sur lui. Voilà pourquoiBrodick acceptera difficilement de vouslaisser partir avec lui.

- Mais puisqu'il a confiance enRamsey...

- C'est à vous qu'il ne fera pasconfiance, expliqua Judith. Comme jevous l'ai dit, les femmes ont facilementtendance à perdre la tête devant Ramsey

- Et il aura peur que je... Oh, c'esttrop drôle ! fit Gillian en s'esclaffant.Vous Vous trompez, Judith. Brodick netient pas tant que cela à moi.

Judith préféra ne pas répondre.- Si nous allions les rejoindre ?

proposa-t-elle en se levant.Les deux amies prirent le chemin

des écuries. Elles trouvèrent Brodick,Ian et Ramsey devant le bâtiment,occupés à regarder les guerriers qui

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s'entraînaient dans le champ. Tous troisse tournèrent vers les nouvellesarrivantes. Gillian remarqua que Iancouvait sa femme des yeux. Leur amourn'avait pas faibli, malgré toutes cesannées de mariage.

- Gillian a quelque chose à vous direà tous, annonça Judith.

- Monseigneur... commença Gillianà l'adresse de Ian.

- Appelez-moi Ian, je vous en prie.Elle acquiesça.- Ian, je voulais d'abord vous

remercier de votre gentillesse et de votrehospitalité.

- C'est moi qui dois vous remercier,Gillian, de m'avoir ramené mon fils.

- Elle souhaite partir avec Ramsey,et je pense qu'elle a raison, intervintJudith.

- Ah, bon ? fît Ian en jetant un coupd'œil à Brodick.

- Ramsey, vous rentrez chez vousaujourd'hui, n'est-ce pas ? demandaGillian.

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À son tour, le chef des Sinclair lançaun regard discret en direction deBrodick.

- C'est exact, répondit-il.Gillian se tourna de nouveau vers

Ian.- Je sais que vous avez à cœur de

démasquer l'homme qui a trahiRamsey...

- Il nous a tous trahis, Gillian, coupaIan.

- Oui, approuva Gillian, mais...Elle s'interrompit et tenta de calmer

les battements précipités de son cœur.Imposer son choix à ces trois géants neserait pas chose facile, et elle voulaitjustifier sa décision pendant qu’elle enavait le courage.

- Je dois avoir retrouvé ma sœuravant la fin de l'été, ce qui ne me laisseque quelques semaines, reprit-elle.Puisqu'elle vit parmi les MacPherson etque ceux-ci relèvent désormais du clanSinclair, j'aimerais partir avec Ramseydès aujourd'hui, pour commencer tout de

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suite mes recherches. Et j'espère votresoutien à tous.

Après avoir débité son petitdiscours, elle croisa les bras et s'efforçade paraître sûre d'elle.

- Votre décision ne m'étonne guère,répondit Ian. Nous nous y attendionsplus ou moins.

- Vous m'avez inquiétée pour rien,murmura Gillian à Judith.

- Ne vendez pas la peau de l'oursavant de l'avoir tué, répliqua son amiesur le même ton.

- Ramsey, qu'en dis-tu? demandaIan. Acceptes- tu d'emmener Gillianavec toi dès aujourd'hui ?

- Nous pouvons même partirimmédiatement, si c'est ce qu'ellesouhaite.

- Et toi, Brodick? demanda Judith.Que penses- tu du plan de Gillian?

Sans laisser au chef des Buchanan letemps de répondre, Gillian déclara :

- Brodick va venir avec moi.

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- Tiens donc? répliquatranquillement celui-ci.

Le pouls de Gillian s'emballa denouveau. Elle se sentait paniquée. Elleétait terrifiée à l'idée de quitter Brodick,comprit-elle soudain. Seigneur !Comment avait-elle pu autant s'attacherà lui, et en aussi peu de temps? Ellesavait quelle n'avait aucun droit del'impliquer dans ses problèmes, mais ellen'était pas encore prête à se séparer delui.

- Les Buchanan sont en guerrecontre les MacPherson, murmura Judith.Je crois que vous en demandez trop àBrodick.

- Pour l'instant, elle ne m'a riendemandé, intervint l'intéressé.

- Judith, les Buchanan ne sont pas enguerre contre les MacPherson, rectifiaIan. Simplement, ils ne les aiment pas.D'une manière générale, ils n'aiment pasles mauviettes.

- Tout le monde ne peut pas êtreaussi fort que vous, Brodick, objecta

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Gillian. Vous devriez protéger lesfaibles, plutôt que de les piétiner.

Les trois hommes échangèrent unregard amusé. Sans doute latrouvaient-ils bien naïve, songea Gillian.

- Je n'ai pas raison ? Insista-t-elle.- Non, répondit Brodick. Les faibles

ne peuvent pas survivre, dans lesHighlands.

Ian et Ramsey opinèrent du chef.- Les MacPherson sont des

sangsues, dit Brodick à Ramsey. Ilssuceront toute la force des Sinclair, ycompris la tienne. Et quand ils vousauront détruits, ils chercheront une autrecible compatissante pour faire de même.

- À vous entendre, la compassion estun péché! s'exclama Gillian.

- En l'occurrence, c'en est un.- Ramsey a la réputation d'être

charitable, c'est pourquoi lesMacPherson se sont adressés à lui,renchérit Ian.

Tandis que la conversation sepoursuivait, Gillian remarqua l'étrange

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manège de quatre jeunes femmes, quis'étaient rapprochées des écuries etobservaient leur petit groupe. Ellesétaient probablement venues parler àlord Maitland et attendaient polimentque celui-ci ait fini de discuter pourl'aborder.

- Je n'ai pas plus d'indulgence quevous pour ceux qui vivent aux crochetsdes autres, répliqua Ramsey. Cela dit, jepense que vous vous trompez tous lesdeux, en ce qui concerne lesMacPherson. Leur problème, c'est queleurs guerriers sont mal entraînés.

- C'est bien ce qui nous inquiète,Ramsey, dit Ian. Une fois qu'ils serontassez forts pour ça, ils se retournerontcontre toi.

- Heureusement pour toi, Ian et moine les laisserons pas t'anéantir, ajoutaBrodick. Si tu ne surveilles pas tesarrières, nous nous en chargerons.

- Je sais ce que je fais, rétorquaRamsey avec autorité. Et vous n'avez pasà vous en mêler.

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- Croyez-vous que le traître soit unMacPherson? Intervint Judith.

- L'idée nous a effectivementeffleuré l'esprit, répondit Ian.

Judith se tourna vers Brodick.- Si cet homme apprend que Gillian

l'a vu et qu'elle peut le dénoncer... ilvoudra la réduire au silence.

- Oui, mais il ignore que je l'ai vu,objecta Gillian. Je n'ai donc rien àcraindre.

- Qui, en dehors de vous trois, saitque Gillian a vu le traître ? demandaJudith à son mari.

- Mon frère, Patrick, ainsi que Dylanet Winslow. Et Ramsey a prévu de ledire à Jason.

- Pourquoi l'avoir révélé à Winslow? S’étonna Judith.

- Vous ne faites pas confiance aufrère de Brodick? s'écria Gillian.

- La question n'est pas là, réponditJudith. J'ai parfaitement confiance en lui.Simplement, Winslow commande nos

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guerriers. Si Ian a décidé de le lui dire,c'est qu'il avait une idée derrière la tête.

Ian semblait mal à l'aise. Il regardaGillian, avant d'expliquer à sa femme :

- Il fallait que Winslow soit avertipour qu'il puisse tout préparer.

- Préparer quoi ? demanda Judith.- Nos troupes.Gillian écarquilla les yeux.- Pour une bataille ?- Oui.- Vous comptez vous rendre en

Angleterre ?- Oui.- Quand ?- Dès que tu nous auras donné les

noms des trois crapules, intervintBrodick.

La jeune femme se tourna vers lui.- Nous ? Dois-je comprendre que

Dylan a également été chargé depréparer les Buchanan au combat?

Il sourit.- Mes guerriers sont toujours prêts à

se battre.

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- Mais pourquoi ?- Comment peux-tu me poser une

question pareille ? Ian est mon allié etson fils est mon protégé. Je dois vengerAlec.

- Il y a aussi une autre raison, ajoutaRamsey.

- C'est exact, acquiesça Brodick. Il ya une autre raison.

- Laquelle ? S’enquit Judith.Brodick secoua la tête, refusant de

s'expliquer. Gillian s'adressa alors àRamsey :

- Préparez-vous aussi vos troupes ?- Oui.Incrédule, la jeune femme se tourna

vers la seule personne qui lui parûtencore raisonnable :

- Judith, ils ne peuvent quand mêmepas envisager sérieusement d'envahirl'Angleterre !

- Ils s'en sentent capables, réponditson amie.

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- Il ne s'agit que de trois hommes, ditIan. Il n'est pas question de se battrecontre un pays tout entier.

- Mais ce sont des barons trèspuissants, objecta Gillian. Ils appellerontle roi Jean à la rescousse, qui enverra sonarmée pour les défendre. Que vous levouliez ou non, ce sera bel et bien uneguerre.

- Tu ne comprends pas, répliquaBrodick. Ton roi ne saura même pas quenous avons pénétré sur ses terres.Personne ne nous verra.

- Et comment comptez-vous fairepour vous rendre invisibles ?

- Gillian, épargnez-nous vossarcasmes, lança sèchement Ramsey.

- D'accord, Jean ne saura pas quevous avez franchi la frontière, admit-elleen tentant de recouvrer son sang-froid.Mais dites-moi au moins quand aura lieucette invasion dont personne n'entendraparler.

- Nous vous avons déjà répondu.Nous nous mettrons en route dès que

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vous nous aurez donné les noms de cestrois porcs.

- Je vois. Mais maintenant que jeconnais vos intentions, je ne vousdonnerai jamais leurs noms, je medébrouillerai toute seule. D'une manièreou d'une autre, la justice l'emportera.

Ian s'esclaffa.- Et que pourriez-vous faire toute

seule, Gillian? Vous n'êtes qu'unefemme et...

- Elle est forte, coupa Brodick,prenant sa défense. Et elle est aussivolontaire et intelligente. Je suisconvaincu qu'elle saura trouver unmoyen de se venger de ces bâtards.

- Merci.- Ce n'était pas un compliment, juste

une constatation, répliqua-t-il. Cela dit,je ne vais pas te laisser nous écarter,Gillian. Dans cette affaire, nous sommesautant concernés que toi.

- Sauf que la vengeance n’est pasmon but principal, contrairement à vous.

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Pour toute réponse, il haussa lesépaules. Gillian décida de mettre unterme à cette conversation.

- Je peux être prête dans un quartd'heure, dit- elle à Ramsey.

Celui-ci hocha la tête.- Viens-tu avec nous, Brodick?- C'est à Gillian de me poser la

question.- Brodick, je crois me rappeler que

quand Annie Drummond a soigné maplaie, vous avez déclaré que je necrierais pas.

- Et tu n'as pas crié.- En effet. Mais vous ne m'aviez pas

consultée avant. Alors, j'imite votreexemple.

- Pour l'amour de Dieu, grommelaBrodick, à bout de patience, si tu asenvie que je vienne avec toi, Gillian,demande-le-moi. Sinon, je pars.

- Vous m'abandonneriez?murmura-t-elle, ébranlée par sa menace.

Brodick la regarda droit dans lesyeux.

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- Demande-le-moi, répéta-t-il.Gillian s'éloigna de quelques pas,

suivie de Brodick.- Je ne veux pas que vous pensiez

que j'ai besoin de vous et que...- Tu as besoin de moi.- Pourquoi me compliquez-vous les

choses ?- Parce que je suis un homme

compliqué.- Ça, c'est vrai, intervint Ramsey.Constatant que tout le monde

entendait leur conversation, malgré sesprécautions, Gillian rougit. Finalement,elle se jeta à l'eau.

- Voulez-vous venir avec moi ?- Oui.- Merci.Brodick lui souleva le menton.- Je resterai avec toi jusqu'à ce que

tu rentres en Angleterre. Je t'en donnema parole. Maintenant, cesse det'inquiéter.

Puis, comme s'il avait oublié qu'ilsn'étaient pas seuls, il se pencha pour

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l'embrasser. Ce ne fut qu'un petit baiserfurtif, qui dura à peine plus d'uneseconde, mais cela suffit pour queGillian sente son cœur s'emballer.

- Aussi longtemps que Gillianséjournera dans les Highlands, je meconsidérerai comme responsable de sasécurité, déclara Ian. Elle m'a rendu monfils sain et sauf. À présent, il est de mondevoir de la protéger.

- J'ai aussi une dette envers elle,renchérit Ramsey. Elle m'a averti dudanger qui menaçait Michael.

Ian se tourna vers Brodick et reprit :- J'entends veiller également sur sa

réputation.- Ce qui signifie ? demanda

Brodick.- Les gens vont parler, expliqua

Judith. Nous n'avons pas envie queGillian souffre de leurs racontars.

- Que pourraient-ils dire? S’enquitGillian.

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Judith évita de donner une réponsetrop précise, pour ne pas embarrasserson amie.

- Certains seront cruels. Pas lesMaitland, bien sûr. Mais d'autres...

- Judith essaie de vous dire qu'on varaconter partout que vous êtes lamaîtresse de Brodick.

- Ian ! Tu n'étais pas obligé d'êtreaussi direct ! protesta sa femme.

Il fallait qu'elle comprenne.- Y a-t-il déjà des rumeurs à mon

sujet? interrogea Gillian.Ian haussa les épaules.- Ce n'est pas une réponse

satisfaisante, objecta Brodick. Saréputation est-elle déjà entachée, oui ounon ?

Cette éventualité semblait le mettrehors de lui. Gillian se raidit.

- Je me moque des racontars,dit-elle. En fait, je n'avais même paspensé... Enfin, c'est-à-dire... J'aitellement d'autres soucis plus importantsque je...

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Elle réussit à se ressaisir et ajoutad'une voix ferme :

- Les gens qui passent leur temps àdénigrer leur prochain sont desimbéciles qui ne m'intéressent pas. Ilspeuvent bien raconter ce qui leur chante.Je sais qui je suis et je n'ai de comptes àrendre qu'à Dieu.

- Mais moi, je ne me moque pas desrumeurs, insista Brodick. Et je nelaisserai personne te déshonorer.

- Comment comptes-tu les enempêcher ? demanda Ramsey.

- Oui, renchérit Ian. Explique-nousun peu ton plan.

Dans l'esprit de Brodick, il n'y avaitqu'une solution. Il soupira.

- Je suppose qu'il faut que jel'épouse.

Gillian faillit s'étrangler.- Vous supposez mal.Tout le monde, y compris Judith,

ignora sa protestation.- Ça me paraît être une bonne idée,

dit Ian.

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- Oui, approuva Ramsey. De toutefaçon, Brodick se montre déjà possessifcomme un mari, avec Gillian. Hier soir,il m'a à peine permis de l'approcher.

- Il sait trop bien commentréagissent les femmes à ton contact,plaisanta Ian. Il se méfie.

- Je me suis laissé dire qu'il avaitembrassé Gillian devant tout le monde,hier soir.

Brodick haussa les épaules.- Non. Pas devant tout le monde.- Tu voulais proclamer qu'elle

t'appartenait, ajouta Ian. C'est pour celaque tu l'as embrassée en public.

La pauvre Gillian resta muettependant cet échange, l'air hébété. Judithprit pitié d'elle, car elle se doutait que lajeune femme n'était pas encore habituéeau franc-parler des Écossais.

- Je parie que ce n'était qu'un petitbaiser amical, comme auraient pu enéchanger deux cousins qui se retrouvent,dit-elle.

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Gillian hocha frénétiquement latête, mais Brodick marmonnadistinctement :

- Pour sûr, que c'était un baiseramical.

Judith préféra ne pas insister. Si elleavait appris une chose depuis qu'ellevivait avec Ian, c'était que les Écossaisignoraient la subtilité. Quand ilspensaient quelque chose, ils le disaient.De même, quand ils voulaient quelquechose - fût-ce une femme -, ils s'enemparaient. C'était aussi simple quecela. Cela ne les empêchait pas derespecter les femmes. D'ailleurs, en règlegénérale, ils les épousaient avant de lesglisser dans leur lit. Brodick,visiblement, désirait Gillian et avait bienl'intention le parvenir à ses fins, d'autantque ses deux plus fidèles amis venaientde lui faire comprendre, à leur manièrerugueuse, qu'ils approuvaient cettealliance et l'encourageaient. Enrevanche, aucun des trois ne semblait sesoucier des sentiments de la jeune

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femme, qui paraissait de plus en plusabasourdie. Judith lui étreignit la main,l'assurant silencieusement de sonsoutien.

- Brodick?- Oui, Judith?- Aimes-tu Gillian ?Un silence de mort accueillit sa

question. Si un regard avait pu tuer, Ianse serait retrouvé veuf dans l'instant,réalisa Judith. Un peu plus, et des filetsde fumée seraient sortis des narines deBrodick. De toute évidence, le faroucheguerrier ne souhaitait pas aborder unsujet aussi personnel. Judith, pourtant,ne se démonta pas.

- L'aimes-tu ? répéta-t-elle.- Chérie, tu ne devrais pas poser ce

genre de question, dit Ian.- Je ne suis pas de cet avis. Il faut

bien que quelqu'un pense aux intérêts deGillian et s'occupe d'elle.

- Nous nous occupons d'elle, objectaRamsey.

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- Ça ne suffit pas, répondit Judith.Avez-vous oublié qu'elle est anglaise ?

- Elle était anglaise, rétorquèrent Ianet Ramsey d'une même voix.

Judith, exaspérée, se tourna versRamsey.

- N'aviez-vous pas juré d'épouserdes Écossaises, Brodick et toi ?

- C'est exact, admit Ramsey. MaisBrodick a manifestement changé d'avis.

- Je me soucie de sa réputation,marmonna Brodick.

- Eh bien, dans ce cas, contente-toide ne plus l'approcher, suggéra Judith.

- Ce n'est pas une solutionacceptable, objecta Brodick.

- Pourquoi pas ? Insista Judith.- Parce qu'il est incapable de ne pas

l'approcher, répondit Ramsey. Tudevrais t'en être rendu compte, Judith.

Judith changea de tactique.- Brodick, lui as-tu expliqué à quoi

ressemblerait son existence, chez lesBuchanan ?

Il haussa les épaules.

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- Il m'a dit que je seraismalheureuse, murmura Gillian d'unetoute petite voix.

Elle avait d'abord été furieuse queBrodick s'imagine pouvoir décider seulde son avenir, mais sa colère avait laisséla place à l'incrédulité. À présent, elleattendait le moment où ils éclateraienttous de rire et lui diraient que cettehistoire de mariage n'était qu'une farce,qu'ils avaient simplement voulus'amuser un peu à ses dépens. Et quandce moment viendrait, Gillian savait déjàqu'elle éprouverait un petit pincement aucœur.

- C'est vrai, elle serait malheureuse,confirma Brodick.

Ramsey éclata de rire.- Pour une fois, tu es lucide ! Je

plains quiconque, homme ou femme,qu'on obligerait à vivre parmi cessauvages de Buchanan.

- Allez-vous enfin cesser cettecomédie ? s'exclama soudain Gillian, quiavait repris ses esprits.

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- Je ne pense pas qu'ils plaisantent,lui chuchota Judith. Si vous n'avez pasencore compris, je crois qu'il faudraitque je vous explique...

Gillian se passa nerveusement lamain dans les cheveux.

- M'expliquer quoi, à la fin?- Ils ne plaisantent jamais. Brodick a

réellement l'intention de vous épouser.

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16

- Brodick, j'aimerais m'entretenir enprivé avec vous, dit Gillian, plus furieuseque jamais.

- Pas maintenant, Gillian,répliqua-t-il avec impatience. Ramsey,nous partons dans un quart d'heure. Ça teva?

- Ça me va, acquiesça Ramsey, quisalua les dames avant de s'éloigner.

Ian passa un bras autour de l'épaulede Judith.

- Allons voir les enfants,proposa-t-il. Ils sont partis chez Patricket Catherine.

Judith n'eut pas le choix, car sonmari l'entraînait déjà sur le chemin.Gillian se retrouva donc seule avecBrodick, mais celui-ci ne faisait déjàplus attention à elle. Il essayait dedistinguer Dylan dans le champ où unecentaine de guerriers s'entraînaient.

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Pendant ce temps, Gillian vit lesquatre jeunes femmes qui avaientattendu patiemment la fin de leurconversation se lancer à la poursuite deRamsey.

- Que font-elles ? S’enquit-elle.Brodick jeta un coup d'œil aux

jeunes femmes.- Elles courent après Ramsey,

répondit-il, du ton de quelqu'un quiconstate une évidence.

- Pourquoi?- Pourquoi quoi ? demanda-t-il, tout

en continuant à chercher Dylan duregard.

Gillian soupira.- Pourquoi courent-elles après lui ?La question le surprit.- Elles le font toutes.- Toutes les femmes courent après

lui ? Insista Gillian, toujours perplexe.- Oui.- Mais pourquoi ?- Tu n'as pas une petite idée ?

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- Si je le savais, je ne vous ledemanderais pas, Brodick.

- Elles le trouvent... beau,répondit-il finalement. En tout cas, c'estce qu'on m'a dit.

- Elles ne courent quand même pasaprès lui juste pour son physique ?

- Elles se moquent de son caractère.Elles prennent simplement plaisir à leregarder.

- Vous essayez de me faire rire pourque j'oublie votre attitude insultante,c'est ça?

- Je te jure que je dis la vérité. Lesfemmes sont folles de Ramsey.Toi-même, tu ne le trouves pas trèsséduisant ?

- Je ne m'étais pas vraiment posé laquestion jusqu'ici, répondit-elle. Il estbeau, c'est vrai, mais Ian aussi. Et je suisétonné que ces jeunes femmes necourent pas après vous. Vous êteslargement aussi...

Elle s'arrêta à temps. Seigneur Dieu!Elle avait failli lui avouer l'attirance

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qu'elle éprouvait pour lui. Mais elle nelui permettrait pas de deviner combien illa troublait. Cela n'aurait fait que leconforter dans son arrogance, et c'étaitbien la dernière chose qu'elle désirait.

- Je suis largement aussi quoi?demanda-t-il.

Gillian détourna les yeux.- Je sais pourquoi les femmes ne

vous courent pas après, déclara-t-elle.C'est parce que vous les effrayez.

Il rit.- C'est bon à savoir. Ah ! J'aperçois

Dylan.Sur ces mots, il partit à la rencontre

du guerrier. Gillian était sidérée par untel manque de courtoisie. Brodick ne luiavait même pas adressé un regard avantde lui tourner le dos.

- Oh, non, murmura-t-elle, n'espérezpas vous débarrasser de moi aussifacilement !

Elle s'avança dans la prairie oùs'affrontaient les guerriers.

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- Brodick ! cria-t-elle. J'insiste pouravoir un entretien avec vous !

Mais il était déjà loin devant elle etn'avait probablement rien entendu, àcause du vacarme des épées quis'entrechoquaient.

Gillian releva ses jupes et courutpour le rattraper. Dans sa précipitation,elle faillit bousculer un guerrier et enévita un autre de justesse.

- Excusez-moi, dit-elle, avant defiler entre deux autres combattantsstupéfaits.

La jeune femme était mortifiée decauser un tel embarras. Bientôt, elle seretrouva au milieu d'un essaim deguerriers maniant l'épée comme si leurvie en dépendait. Aucun ne semblaitréaliser qu'il ne s'agissait que d'unentraînement.

Dans le chaos, Gillian avait perduBrodick de vue. Mais elle ne tarda pas àl'entendre, et son rugissement la pétrifia.Aussitôt, tous les guerrierss'immobilisèrent et firent cercle autour

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d'elle. Gillian comprit qu'elle était lacause de cette interruption et poussa unsoupir résigné.

- Je suis désolée, messieurs. Je nevoulais pas vous déranger. Je suisvraiment... Oh, voilà Brodick !Laissez-moi passer, s'il vous plaît.

Mais les guerriers étaient tropmédusés par son intrusion pour bouger.Brodick dut leur ordonner de s'écarter.Alors, en une seconde, un passages'ouvrit devant la jeune femme. EtBrodick se dressait au bout du chemin,les jambes écartées, les mains sur leshanches, l'air furieux.

Gillian envisagea de fairedemi-tour, mais un coup d'œilpar-dessus son épaule lui apprit queDylan et Winslow se tenaient à l'autrebout du champ, prêts à l'empêcher des'enfuir. Puisqu'elle était prise au piège,la jeune femme décida de s'en sortir latête haute. Elle se redressa et marchatranquillement vers Brodick.

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- Pour l'amour du Ciel, Gillian, àquoi pensais- tu ? Tu aurais pu te fairetuer !

Un murmure d'approbationparcourut la foule des guerriers. Rougede confusion, Gillian se tourna vers euxet, les mains jointes comme pour uneprière, elle répéta :

- Je suis terriblement désolée d'avoirperturbé votre entraînement, messieurs.Je ne me suis pas rendu compte de ce queje faisais.

La sincérité de ses excusesconvainquit les guerriers. Plusieurss'inclinèrent même respectueusementdevant elle, tandis que d'autres luiassuraient qu'ils lui pardonnaient.

Leur gentillesse réconforta Gillianet lui redonna du courage. Mais, quandelle se retourna vers Brodick, elle perditson assurance. Il semblait vouloirl'étrangler.

- Je désirerais vous parler, dit-elle,d'une voix qu'elle aurait souhaitée plusferme.

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Il se précipita vers elle, tel untaureau furieux, et l'attrapa par le brassans ralentir son allure. Gillian n'eutguère le choix. Elle dut le suivre, ce quil'obligea pratiquement à courir. Si elleavait résisté, il l'aurait traînée derrière luicomme un vulgaire sac de pommes deterre.

- Lâchez-moi ou ralentissez,supplia-t-elle.

Il ralentit.-Je te jure, Gillian, tu éprouverais la

patience d'un saint !- Vous n'êtes pas un saint, Brodick

Buchanan, quoi qu'ait pu vous dire votremère.

Il sourit.- Tu sais que tu me plais vraiment?La jeune femme n'était pas

d'humeur à accepter des compliments,surtout s'ils étaient dits sur ce tonironique.

- Je vous rends votre liberté,déclara-t-elle.

- Ce qui signifie?

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- Que vous n'avez plus à vousinquiéter pour ma réputation. Si je nem'en préoccupe pas moi-même,pourquoi vous en soucier? Vous n'avezpas besoin de m'épouser.

- Je vois.Tout en parlant, il l'entraînait vers

un bouquet d'arbres.- Où m'emmenez-vous ?- Dans un endroit où nous serons

plus à l'aise pour discuter.Gillian renonça à lui rappeler que

c'était précisément ce qu'elle lui avaitdemandé avant qu'il ne parte retrouverDylan. Cette fois, enfin, ils allaientpouvoir s'expliquer tranquillement.

- Je sais pourquoi vous avez fait ça.- J'ai fait quoi ?- C'était de la galanterie. Vous avez

proposé de m'épouser uniquement pargalanterie.

Il éclata de rire.- Gillian, je ne propose jamais rien.

Je donne des ordres. Tu saisis ladifférence?

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- Ce n'est pas le moment de jouer surles mots, répliqua-t-elle. Je veuxsimplement vous dire que vous n'avezpas besoin de vous conduire ainsi. Toutest ma faute, je le sais. Je n'aurais jamaisdû vous demander de venir avec moichez Ramsey.

- Je fais ce que j'estime nécessaire,et toujours de mon plein gré,rétorqua-t-il sèchement.

- Vous n'avez pas à vous sentirresponsable de moi, insista Gillian.

Ils étaient arrivés vers le bouquet desapins. Brodick lâcha la main de Gillianet s'adossa à un arbre pour écouter, lesbras croisés, les arguments qu'ellecontinuait à développer. Cependant, il netarda pas à ne plus rien entendre. Gillianavait-elle réellement conscience de sabeauté ? En tout cas, elle ne semblait passe soucier des apparences, ce qui ladistinguait - en bien - de la plupart desautres femmes. Dans le feu de ladiscussion, le vert de ses yeux devenait

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plus foncé, et Brodick dut lutter contreson désir de la prendre dans ses bras.

- Vous comprenez, à présent?Bon sang, de quoi parlait-elle ? Il

avait complètement perdu le fil de laconversation.

- Comprendre quoi ? dit-il.Gillian leva les yeux au ciel.- M'avez-vous écoutée, au moins ?- Non.- Brodick, je ne vous épouserai pas.

Vous n'avez pas à vous sacrifier pourmoi. C'est clair, non ?

- Gillian?- Oui?- Aimes-tu être avec moi ?La jeune femme tenta d'éluder la

question. Il ne fallait pas que Brodickdevine les sentiments qu'elle cherchaitdésespérément à lui cacher.

- En ce moment, vous voulez dire ?- Tu as parfaitement compris ce que

je voulais dire.- Brodick, je...- Réponds-moi.

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Elle baissa les yeux.- Oui, j'aime bien être avec vous...

beaucoup, même, avoua-t-elle. Mais làn'est pas la question, s'empressa-t-elled'ajouter. Nous ne nous connaissons quedepuis quelques jours, et vous devezrentrer chez vous pour diriger votre clan.Vous êtes le seigneur des Buchanan,après tout.

- Je sais quand même qui je suis,rétorqua-t-il froidement.

- Ne prenez pas ce ton avec moi,répliqua Gillian.

Puis, voyant qu'il souriait, elles'emporta franchement.

- Je vous amuse, peut-être ?- Je te trouve délicieuse, figure-toi,

et tellement différente des autres...Gillian en resta presque sans voix.- C'est vrai?- Oui, c'est vrai. Je ne connais pas

beaucoup de femmes qui oseraient semontrer aussi insolentes et me tenir têtecomme tu le fais.

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- Je n'avais pas l'impression d'êtreinsolente. Et je ne me mets pasfacilement en colère. C'est vous quim'avez poussée à bout.

- C'est bon à savoir.Gillian fit un pas vers lui.- Ne détournez pas la conversation,

s'il vous plaît. J'avais commencé à vousexpliquer...

- Que tu me rendais ma liberté, c'estbien cela ?

- Exactement.Il tendit la main vers elle, mais elle

recula précipitamment.- Ne faites pas ça.- Faire quoi ?- M’embrasser. C'était bien ce que

vous aviez en tête, non?Il s'adossa de nouveau au tronc

d'arbre.- En as-tu envie ?Gillian se passa la main dans les

cheveux.- Oui... Enfin, non. Oh, arrêtez de

me poser toutes ces questions !

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s'écria-t-elle. Je ne peux pas vousépouser. Je dois retrouver ma sœur et cemaudit coffret, puis rentrer enAngleterre. Si je vous épousaismaintenant, vous ne me garderiez paslongtemps.

- As-tu si peu confiance en moi ?Crois-tu que je ne saurais pas teprotéger?

- Bien sûr que si, répondit Gilliansans hésiter. Mais mon combat n'est pasle vôtre, et je ne veux pas vous y mêler.S'il vous arrivait quoi que ce soit, je neme le pardonnerais jamais.

Une pensée traversa soudain l'espritde Brodick.

- Y a-t-il un homme qui t'attend, enAngleterre ?

Pour la première fois depuis qu'ilsavaient débuté cette conversation, il neparaissait plus aussi sûr de lui. Cettevulnérabilité subite émut Gillian. Elleaurait pu mentir et mettre ainsi un pointfinal à la discussion, mais elle considéraqu'elle lui devait la vérité.

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- Non, il n'y a pas d'autre homme.Excepté mon oncle Morgan.

- Ton oncle t'a-t-il choisi un mari ?- Non.Il resta un moment silencieux, avant

de reprendre :- Je pense qu'il me trouverait

acceptable.- Je le pense aussi.- Il serait même sans doute ravi de

savoir que tu as épousé un lord.Brodick s'était à nouveau réfugié

derrière son armure de guerrier arrogant.- Mon oncle serait ravi de savoir que

vous êtes respecté par votre clan, mais cen'est pas pour cela qu'il vous trouveraitacceptable.

- Pourquoi, alors ? demanda-t-il,curieux.

- Parce qu'il ne se laisserait pasabuser par vos manières bourrues. Vousêtes courageux, honnête et loyal enversceux que vous aimez. Vous êtes unhomme d'honneur, Brodick, et mon

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oncle ne s'y tromperait pas. Il lirait dansle fond de votre cœur.

- Et toi, Gillian ? Devines-tu ce qu'ily a au fond de mon cœur? dit-il d'unevoix aussi douce qu'une caresse.

La jeune femme frissonna. Le soleilqui filtrait à travers les branches dessapins dessinait une auréole autour de latête de Brodick, ajoutant encore à sabeauté. Gillian ne se lassait pas de lecontempler. Soudain, elle réalisa qu'elleregardait sa bouche et s'obligea à baisserles yeux. Avant de rencontrer Brodick,aucun homme ne lui avait inspiré depensées impures. Mais aujourd'hui, elleavait bien conscience qu'elle aurait unelongue confession à faire, la prochainefois qu'elle verrait un prêtre.

- Avez-vous connu beaucoup defemmes ?

Elle se mordit la lèvre et ajoutaaussitôt :

- Ne répondez pas. Je n'aurais pas dûvous demander ça.

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- Tu peux tout me demander,répondit-il. Oui, j'ai connu beaucoup defemmes, précisa-t-il d'un ton calme.Veux-tu que j'essaie de compter?

- Non, ce n'est pas la peine,assura-t-elle en fixant le sol. Est-ce que...est-ce qu'il y en a une qui vous attend ?

- J'imagine qu'elles sont plusieurs àattendre mon retour.

Elle releva la tête et croisa sonregard.

- Vous ne pouvez pas épouserplusieurs femmes, Brodick. Juste uneseule.

- Ces femmes attendent de partagermon lit, expliqua-t-il en réprimant un fourire. Mais aucune n'espère m'épouser.

Gillian décida qu'elle détestaitchacune de ces femmes. Ce brusqueaccès de jalousie l'étonna, mais ce futplus fort qu'elle. Elle avait beau savoirqu'elle ne serait jamais l'épouse deBrodick, l'idée qu'il accorde ses faveursà une autre la rendait malade.

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- Ces femmes continueront-elles àpartager votre lit, après votre mariage?

- Je ne m'étais encore jamais posé laquestion, avoua-t-il.

- Alors, c'est le moment de vous laposer.

En le voyant sourire, Gillian réalisaqu'il avait lu dans ses pensées... et qu'ilallait probablement chercher à enprofiter. Elle était si décontenancéequ'elle aurait voulu le gifler etl'embrasser en même temps.

- Cela m'étonnerait que votre épouseapprécie que vous couchiez avec d'autresfemmes.

- Gillian, quand nous nousmarierons, je ne posséderai personned'autre que toi. Nous nous jureronsfidélité, pour le meilleur et pour le pire.Tu n'as donc pas à t'inquiéter pour cesbroutilles. Ton oncle Morgan, s'il estvraiment perspicace, comprendra bienque je saurai prendre soin de toi.

- Je peux très bien prendre soin demoi toute seule. Mon oncle m’a appris à

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me défendre. Vous êtes-vous imaginéque j'étais faible, parce que Alec vous araconté qu'on m'avait battue ?

- Non, répondit-il. Tu as fait preuvede force et de courage en protégeantAlec du monstre qui voulait le frapper.Et il ajouta, avec son arrogancecoutumière :

- Je n'épouserais jamais une femmefaible. Gillian avait envie de se pendre àson cou. Certes, son oncle lui avaitappris à se défendre. Mais, pour l'instant,elle ne savait toujours pas comment seprotéger de Brodick. Et elle commençaitdéjà à redouter leur séparation.Lorsqu'elle rentrerait en Angleterre, savie ne serait plus jamais la même.

- Dis-moi que tu m'aimes, Gillian.- Je vous aime, admit-elle. Mais cela

m'angoisse presque. Je ne parviens pas àcomprendre comment ça a pu arriver... sivite. Je n'avais certainement pasl'intention de tomber amoureuse enarrivant en Écosse.

Elle secoua la tête et ajouta :

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- Tout ceci n'a pas d'importance, detoute façon. Je ne peux pas vous épouser.

Brodick s'était détendu. Bien qu'ileût deviné que Gillian l'aimait, il sesentait plus rassuré, maintenant qu'elle lelui avait avoué.

- Tu es à moi, Gillian.Déroutée par la véhémence de son

affirmation, la jeune femme recula d'unpas.

-Non.- Si. Aucun autre homme ne te

touchera. Désormais, tu m'appartiens.- Quand avez-vous décidé cela?- Quand tu m'as dit que tu m'aimais.

Je le savais déjà, mais il fallait que jel'entende de ta bouche.

Gillian fondit en larmes.- Pourquoi insistez-vous ? Je ne

pourrai jamais avoir une maison commecelle d'Annie Drummond. Vous essayezde me mettre des rêves dans la tête, maisc'est cruel. Ne me faites pas miroiter ceque je ne posséderai jamais.

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- Tu veux une maison comme celled'Annie ? demanda-t-il, perplexe.Pourquoi ?

- Oh, peu importe ! Vous necomprendriez pas, de toute façon.

- Si tu m'expliques, je comprendraipeut-être.

- Ce n'est pas tellement la maisond'Annie en elle-même, mais tout cequ'elle représente. Elle a un joli petitintérieur, un mari qui l'aime... Sa vie estidyllique.

- Mais tu ne sais pas comment vitAnnie, en réalité. Tu n'es pas dans sapeau.

- Arrêtez d'être toujours aussirationnel ! J'essaie simplement de vousfaire comprendre que je ne pourraijamais connaître la même existencequ'Annie. Je dois rentrer en Angleterre.

Brodick la serra dans ses bras.- Tu t'es engagée avec moi à l'instant

où tu m'as avoué que tu m'aimais. Lereste n'a pas d'importance. Je me moquebien que les choses soient compliquées.

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Tu es à moi, désormais. Pensais-tuvraiment que je te laisserais partir?

Gillian se répétait qu'elle devait semontrer forte et ne pas lui céder. Elletenta de le repousser, pour mettre un peude distance entre eux. Quand elle setrouvait trop près de Brodick, elle avaitdangereusement tendance à tout oublier.

Mais Brodick était beaucoup tropfort, et il n'avait visiblement pasl'intention de la relâcher. Elle cessa doncde se débattre.

- Qu'allons-nous faire ?murmura-t-elle, à nouveau au bord deslarmes.

Brodick sourit de contentement.Elle n'avait pas dit «Que vais-je faire?»mais «Qu'allons-nous faire? ». Il luiembrassa le front et ferma les yeux, pourmieux savourer son parfum. Ses cheveuxdégageaient un doux parfum de rose.Elle ne ressemblait pas du tout auxfemmes Buchanan, et il devait admettrequ'elle l'intimidait un peu. Sa peau étaitmerveilleusement douce et son sourire

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angélique. Non, décidément, elle n'étaitpas comme les autres femmes. Lorsqu'ill'avait vue pour la première fois, il l'avaittrouvée trop menue, trop fragile, etl'avait jugée incapable de résister augenre de vie qu'il menait. Cependant, ilavait deviné en même temps l'étonnanteforce intérieure qu'elle possédait. Gillianétait courageuse et volontaire. Pour cesdeux raisons, et pour une bonne centained'autres, il ne voulait plus jamais seséparer d'elle.

- Je vais te promettre quelque chose,dit-il. Après cela, tu cesseras det'inquiéter.

- Qu'allez-vous me promettre?- Si tu rentres en Angleterre, je

viendrai avec toi.- Comment ça, si je rentre ?- Rien n'est décidé, pour l'instant.- Il me semble que c'est à moi de

prendre ce genre de décision. Et jerentrerai seule. Je ne veux pas qu'il vousarrive quelque chose. Elle avait dit celaavec une émotion qui surprit et ravit

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Brodick à la fois. C'était la première foisque quelqu'un se souciait de lui à cepoint. Il n'avait plus de famille depuislongtemps, excepté Winslow, mais lesdeux frères n'étaient pas intimes. Ilss'aimaient, bien sûr, mais ne s'étaientjamais témoigné leur affection.

- Tu dois avoir confiance en moi, luidit-il avec autorité. Je suis capable de teprotéger.

- Vous ne savez pas de quoi vousparlez. Ce sont des hommes diaboliques,qui ne reculent devant rien. Et ils ont lesoutien du roi.

- Ils ne sont pas invulnérables. Lesang des Highlands ne coule pas dansleurs veines.

- Vous plaisantez, j'espère? UnÉcossais n'est pas plus immortel qu'unAnglais.

- Tu dois me faire confiance,répéta-t-il. Je te le demande.

Gillian renonça à discuter.- Je vous fais confiance et j'essaierai

de ne pas m'inquiéter, mais je ne peux

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pas vous promettre plus. Vous aurezbeau m'ordonner tout ce que vousvoudrez, cela ne changera rien à ce queje pense.

- Chaque homme a ses faiblesses,répliqua-t-il. Je te promets de trouver lesleurs.

- Chaque homme, vraiment?- Oui.Il lui caressait les cheveux, son

regard perdu dans le sien.- Quelle est votre faiblesse,

Brodick? demanda-t-elle.- Toi.

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17

Brodick s'empara de sa bouche. Cen’était pas une simple caresse de seslèvres, mais un baiser profond,passionné, destiné à lui montrer à quelpoint il la désirait. Gillian lui répondit,timidement d'abord, puis avec uneardeur égale à la sienne. Leurs langues semêlaient dans un ballet enfiévré.Brodick la serra un peu plus fort contrelui et laissa échapper un gémissement.La force de son désir se communiquait àla jeune femme, mais elle n'éprouvaitaucune peur. Elle lui faisait confiancepour s'arrêter à temps, même s'il nesemblait pas vraiment en prendre lechemin... Du reste, elle ne songeait pas às'en plaindre. Son baiser envoyait desfrissons dans tout son être, éveillant auplus profond d'elle-même l'envie d'allerplus loin.

Brodick renonça un instant à seslèvres et la plaqua contre lui. Les seins

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de Gillian se retrouvèrent pressés contreson torse robuste, ses hanches colléescontre ses cuisses musclées, et ce contactaccrut encore son désir.

- Brodick, je...Il reprit sa bouche, sauvagement

cette fois, puis lui mordilla le lobe del'oreille. Gillian sentit aussitôt une ondede plaisir lui parcourir l'échine.

- Ne vous...Sa voix se brisa, et elle frissonna

dans ses bras.Il redressa la tête.- Quoi?Elle soupira.- Ne vous arrêtez pas.En l'entendant, Brodick éprouva une

satisfaction toute masculine. Il étaitflatté d'avoir réussi à éveiller son désiren si peu de temps. Dès qu'il auraitvaincu sa timidité, elle se montreraitaussi passionnée que lui, il le savait.D'ailleurs, mieux valait qu'ils se marientrapidement, car il n'était pas sûr depouvoir attendre encore très longtemps.

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Et il ne voulait pas la souiller en lapossédant avant qu'ils aient échangéleurs vœux devant Dieu. Mais Gillian nelui facilitait pas les choses. Le simple faitde la regarder l'embrasait de désir.

Ils auraient pu rester une éternitédans les bras l'un de l'autre, simplementà se contempler. Mais le monde lesrappela à la réalité. Ramsey cria le nomde Brodick et celui-ci, avec un soupirnavré, s'écarta.

- Va préparer tes affaires, dit-il àGillian. Il est temps de partir.

Sur ces mots, il tourna les talonspour sortir du bosquet.

Gillian lui courut après.- Merci d'avoir compris.- Compris quoi ?- Que je ne pouvais pas vous

épouser.Il continua sa route sans répondre,

mais son rire résonna entre les arbres.Quand Gillian revint chez les

Maitland, elle trouva ses affaires déjàemballées par Helen, la gouvernante.

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Elle la remercia, puis se rappela soudainune promesse qu’elle avait faite. Helenl'aida |à l'honorer en la guidant vers lescottages qui se pressaient derrière lademeure des Maitland.

Pendant ce temps, Brodick etRamsey attendaient devant la grandeporte que la jeune femme les rejoigne.Leurs guerriers étaient tous là, un peu àl'écart. Il ne manquait que Michael. Ianet Ramsey avaient en effet décidé quel'enfant, pour sa sécurité, resteraitquelque temps chez les Maitland, où ilpourrait s'amuser tout son soûl avecAlec.

Au bout de vingt minutes, Brodickcommença sérieusement à s'impatienter.

- Bon sang ! Qu'est-ce qu'ellefabrique ? grommela-t-il.

- Elle doit attendre le retour de Ian etJudith, suggéra Winslow, qui se tenait àcôté de son frère. Elle veut probablementleur dire au revoir.

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Ramsey vit le premier la jeunefemme descendre Je chemin derrière lamaison.

- La voilà !- Elle n'a pas oublié, constata

Winslow avec un sourire ravi.Sa femme, Isabelle, marchait à côté

de Gillian, en compagnie de leurs deuxfils. Le plus jeune, Andrew, qui allait surses cinq ans, s'accrochait à la main deGillian.

- Qu'est-ce qu'elle n'a pas oublié?demanda Brodick à son frère.

- Isabelle était furieuse contre moiparce que je ne l'avais pas présentée àGillian, hier soir. Gillian m'avait promisde lui rendre visite aujourd'hui.

Brodick hocha la tête.- C'est une femme de parole.- Comptes-tu la garder?- Oui.- Elle le sait?- Pas encore.Ramsey, qui avait tout entendu, rit

de bon cœur.

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- Je la plains. Ce ne, sera pas facilepour elle de vivre...

- ... avec les Buchanan, terminaBrodick à sa place. J'en ai conscience, etc'est la seule chose qui m'inquiète unpeu.

Ramsey secoua la tête.- Ce n'était pas ce que je m'apprêtais

à dire. Ce ne sera pas facile pour elle devivre avec toi. La plupart du temps, tu temontres à peu près aussi aimable qu'unours mal léché.

Brodick ne se vexa pas.- Gillian le sait.- Et tu penses qu'elle voudra quand

même de toi? demanda Winslow.- En fait, elle a refusé de m'épouser.Winslow et Ramsey, qui

connaissaient l'entêtement de Brodick,s'esclaffèrent.

- Alors, quel jour vous mariez-vous?demanda Ramsey.

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18

L'amour n'était pas supposé arriversi vite.

Gillian passa le plus clair du voyageà penser à Brodick et à se demandercomment il avait pu conquérir son cœuren si peu de temps. Cet homme n’étaitpourtant pas parfait. Mais ses défauts,Qu'elle connaissait, ne l'empêchaient pasde l'aimer. Comment était-ce possible ?L'amour, dans l'esprit de Gillian, était unsentiment qui se développait lentement,après des mois de cour assidue, voire desannées. Il ne pouvait éclore d'un seulcoup. Mais peut-être confondait-elledésir charnel et amour ? Or ce serait unpéché abominable, qu'elle n’oseraitjamais confesser à aucun prêtre. Nes'agis- sait-il que de luxure? Brodickétait un homme très séduisant, aprèstout. Mais Ian et Ramsey étaient beaux,eux aussi. Et son cœur ne s'emballait paspour autant chaque fois qu'elle les

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voyait. Seul Brodick avait le pouvoir dela faire flageoler sur ses jambes,simplement en posant les yeux sur elle.

Pour l'heure, il ne lui prêtait pas lamoindre attention. Lui et Ramseychevauchaient en tête du convoi, loindevant elle. Brodick ne s'était pasretourné une seule fois pour la regarder,alors qu’elle-même ne pouvaitpratiquement pas détourner les yeux deses larges épaules.

Mais Brodick n'était pas sa seulepréoccupation. Gillian avait beau serépéter de ne pas s'inquiéter inutilement,elle ne cessait d'imaginer ce quil'attendait chez Ramsey. Et si sa sœurn'était plus là? Elle avait très bien pu semarier et quitter le clan des MacPherson.Et que se passerait-il si Gillian laretrouvait, mais que Christen ne lareconnaisse pas ? Christen n'avait pas euLisa pour entretenir sa mémoire.Peut-être avait-elle tout oublié de sapetite enfance et du drame qui l'avaitséparée de sa sœur.

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Perdue dans ses songes, Gillian nese rendit pas compte que Brodick etRamsey avaient marqué une halte. Dylans'empara des rênes de la jeune femmepour forcer sa monture à s'arrêter.Gillian allait lui demander la raison decette pause, quand elle aperçut uncavalier arriver de l'est et se diriger versles deux lords.

L'étranger engagea une discussionapparemment assez vive avec Brodick.Ce ne devait pas être très grave, carRamsey, qui ne participait pas à leurconversation, les écoutait en souriant.

- Qui est cet homme, Dylan ?interrogea-t-elle.

- Le père Laggan. Il dit des messespour les Sinclair, les Maitland, ainsi quepour d'autres clans.

- Pour les Buchanan aussi ?- Oui, quand il est obligé.- Je ne comprends pas. Pourquoi

n'aime-t-il pas les Buchanan ?Dylan pouffa.

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- Personne ne nous aime, madame.La plupart des clans nous évitent, toutcomme l'Église.

- Pourquoi donc ?- Parce qu'ils ont peur de nous,

expliqua Dylan avec fierté. Le pèreLaggan nous prend pour des sauvages.

- Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?- Le père Laggan lui-même. Il nous

traite régulièrement de sauvages.- Je suis sûre qu'il ne le pense pas

vraiment. Vous n'êtes pas des sauvages.Vous êtes juste un peu... passionnés,c'est tout.

La conversation entre le prêtre etBrodick semblait toujours aussi agitée.Le père Laggan paraissait choqué etmultipliait les signes de dénégation.

- Avez-vous une idée du sujet deleur discussion ? demanda Gillian àDylan.

- Oui, répondit-il laconiquement.Le père Laggan tourna les yeux vers

la jeune femme, et celle-ci le salua d'unhochement de tête. Dès que le prêtre eut

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reporté son attention sur Brodick, elledemanda de nouveau à Dylan :

- Dites-moi de quoi ils parlent, alors.- De vous.- Pardon ?- Je suis convaincu que vous êtes

l'unique sujet de leur discussion.- Ça m'étonnerait. Le prêtre ne me

connaît même pas.- Ian l'a envoyé à Brodick, et je

suppose que Laggan considèremaintenant qu'il a une responsabilitéenvers vous. Il veut s'assurer qu'on nevous a pas forcé la main.

- Mais c'est moi qui ai décidé d'allerchez Ramsey ! s'écria Gillian. Ian a biendû l'expliquer au prêtre.

Dylan espérait sincèrement que lajeune femme ne le soumettrait pas à uninterrogatoire plus poussé. À ses yeux,moins elle en saurait, mieux celavaudrait.

Brodick fit soudain signe à Gilliande les rejoindre. La jeune femme avançasa monture et se plaça entre Brodick et

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Ramsey, face au prêtre. Ramsey sechargea des présentations.

- Bonjour, mon père, dit Gillian. Jesuis enchantée de faire votreconnaissance.

- Bonjour, ma fille, répondit-il avecune politesse purement formelle.

Puis il ajouta :- J'aimerais vous poser quelques

questions, comme le rite de l'Églisel'exige.

- Le rite de l'Église l'exige ? répétaGillian, perplexe.

Elle trouvait cette requête bienétrange. Pourquoi devait-elle accomplirun rite avant de se rendre chez Ramsey?

- En effet, confirma le prêtre, sanstenir compte du regard noir que luilançait Brodick. Je désire être certainque vous n'agissez pas sous la contrainte.

- Je ne comprends pas... avouaGillian.

- Dans ce cas, je vais me montrerplus explicite, répondit le prêtre. LesBuchanan sont d'experts manipulateurs.

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Ils sont prêts à tout pour obtenir ce qu'ilsveulent. Puisque vos parents et votreconfesseur ne sont pas là, je suis tenu devous protéger, en tant qu'hommed'Église. Comprenez-vous mieux,maintenant ?

Gillian ne comprenait rien du tout.De quoi le prêtre cherchait-il à laprotéger?

- Mon père, j'ai demandé àBrodick...

Le prêtre était si stupéfait qu'il ne lalaissa pas terminer.

- C'est vous qui le lui avezdemandé? Dans ces conditions, nul n'apu vous contraindre, en effet.

Gillian commençait à penser que lepère Laggan, malgré tout le respectqu’elle devait aux gens d'Église, était unpeu dérangé. Une nouvelle fois, elletenta patiemment de s'expliquer.

- En fait, si quelqu'un a exercé unecontrainte, ce serait plutôt moi. Brodickserait rentré directement chez lui, si je nelui avais pas demandé...

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- Elle est très indépendante d'esprit,mon père, coupa Brodick. Je ne l'ai pasmanipulée, ni forcée à faire quoi que cesoit. N'est-ce pas, Gillian?

- C'est exact, confirma la jeunefemme. Mais, mon père, je necomprends toujours pas pourquoi vousdésirez me protéger. Ne voyez-vous pasque je suis en de bonnes mains ?

Le père Laggan semblait la prendresincèrement en pitié.

- Ma pauvre enfant, vous ne savezpas où vous mettez les pieds,soupira-t-il. Répondez-moi honnêtement: êtes-vous déjà allée chez les Buchanan?

- Non, je ne...Le prêtre leva les bras au ciel.- Je m'en doutais ! s'écria-t-il.- Jusqu'ici, ce que j'ai vu des

Highlands m'a enchantée, répliquaGillian. Et j'imagine que les terres deBrodick sont largement aussi belles.

- Mais vous n'avez pas encorerencontré les sauvages qui les peuplent,objecta le prêtre.

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- Certes. Mais je doute fort que cesoient des sauvages. Je suis convaincuequ'il s'agit de gens charmants.

- Que Dieu me soit témoin, elle croitqu'ils sont charmants! Vous l'avezentendue comme moi, n'est-ce pas,Ramsey?

Ce dernier faisait visiblement desefforts pour contenir son hilarité.

- Je l'ai entendue, mon père,acquiesça-t-il. Mais j'aimerais vousrappeler ce que vous a dit Brodick :Gillian est très indépendante d'esprit. Sielle a décidé que les Buchanan seraientcharmants, elle les trouvera charmants.Elle trouve déjà leur seigneur...particulièrement charmant, ajouta-t-il,avant de partir d'un grand éclat de rire.

Le prêtre se tourna de nouveau versBrodick.

- Elle est inconsciente, il n'y a pasd'autre explication.

- Insinueriez-vous que je ne sauraipas veiller sur elle, ou que les membresde mon clan la maltraiteront ?

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Le père Laggan réalisa qu'il étaitallé un peu trop loin et s'empressa derectifier :

- Non, non... je voulais simplementvous faire remarquer que cette jeunefemme... m'a l'air plutôt fragile. Jel'imagine mal vivre dans unenvironnement un peu... rude.

Irrité, Brodick lui répondit, entermes assez peu diplomatiques, qu'il semêlait de ce qui ne le regardait pas.

- Vous ne devriez pas parler aussidurement à un prêtre, observa Gillian.

Puis, s'adressant au prêtre, elleajouta :

- Pardonnez-lui son comportement,il n'avait pas l'intention de se montrerinsolent.

- Tu n'as pas besoin de t'excuserpour moi, objecta Brodick.

- Je m'inquiète pour votre âme,répliqua-t-elle.

- Vous vous inquiétez pour son âme? répéta le prêtre, de plus en plus surpris.

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- Il faut bien que quelqu'un s'enoccupe, expliqua-t-elle. Brodick nemontera jamais au paradis sans un peud'aide. Mais je suppose que vous savezdéjà tout cela, mon père, puisque vous leconnaissez depuis plus longtemps quemoi.

- Gillian, assez discuté de cela,intervint Brodick.

La jeune femme l'ignora.- Mais il a aussi bon cœur, mon père.

Simplement, il ne veut pas que les genss'en aperçoivent. Le prêtre lui sourit.

- Vous avez deviné sa bonté sous sesdehors... rustiques ?

Elle hocha la tête.- Oui.Le prêtre la scruta plus

attentivement.- Je ne peux quand même pas

m'empêcher de me demander commentvous survivrez dans le clan desBuchanan, répéta-t-il.

- Mon père, Brodick et moi nousrendons chez lord Ramsey, précisa

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Gillian, afin de dissiper ce qu'elleestimait être un malentendu.

- Mais vous n'y resterez paséternellement! répliqua le prêtre. Ilfaudra bien, à un moment ou à un autre,que vous rentriez chez vous.

- En effet. J'ai d'ailleurs prévu deretourner...

- Mon père, Gillian est trèscourageuse, coupa Ramsey.

Gillian ne voyait pas pourquoi ilétait soudain question de courage.Décontenancée par l'interruption deRamsey, elle ne termina pas sa phrase.

- Maintenant, mon enfant, jevoudrais savoir si vous êtes en règle avecl'Église, demanda le prêtre.

- Pardon ?- Il veut savoir si tu es en règle avec

l'Église, répéta Brodick.La jeune femme regarda tour à tour

les trois hommes. Elle ne comprenaitdécidément plus rien.

- Je crois, oui.

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- À quand remonte votre dernièreconfession? reprit le père Laggan. Ellehésita.

- Réponds-lui, ordonna sèchementBrodick.

Gillian ne put réprimer sonirritation.

- Je vous ai déjà dit de ne pasemployer ce ton avec moi,répliqua-t-elle.

Le père Laggan, qui n'avait pasperdu une miette de leur échange, enresta bouche bée.

- Vous osez rabrouer lord Buchanan?

Gillian tenta de se justifier.- Vous avez entendu le ton sur

lequel il m'a parlé, mon père? Nedevais-je pas riposter?

- Si, sans doute. Mais la plupart desfemmes ne s'y seraient pas risquées.Elles auraient eu trop peur desconséquences.

- Brodick ne frapperait jamais unefemme.

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À sa grande surprise, le prêtre éclatade rire.

- La sagesse populaire dit qu'ilexiste une femme pour chaque homme,si barbare soit-il. Je constate que c'estvrai.

- Pouvons-nous en finir? IntervintBrodick.

- Oui, bien sûr, acquiesça le prêtre.Lady Gillian, je renouvelle ma question :à quand remonte votre dernièreconfession?

Elle rougit.- Euh... à longtemps.Le père Laggan ne parut pas

apprécier sa réponse.- Et pourquoi n'avez-vous pas

sacrifié au rite ?- Dois-je répondre à cette question

avant de continuer mon chemin?- Le père attend ta réponse, insista

Brodick.Gillian était de plus en plus

déroutée. Elle semblait être la seule àtrouver étrange l'interrogatoire du prêtre.

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Dès qu'elle serait seule avec Brodick,elle lui demanderait des explications.Mais, pour l'instant, mieux valait qu'elleobéisse au prêtre. Elle avait hâte dereprendre la route.

- Je ne me suis pas confessée, parceque l'Angleterre vit en ce moment unconflit religieux. Les prêtres ne peuventpratiquer aucun sacrement, exceptél'extrême-onction. Vous avez sûremententendu parler des relations... orageusesentre le pape et notre souverain ?

Le prêtre acquiesça.- C'est vrai. J'avais oublié que vous

étiez anglaise. Dans ce cas, je voudraisque vous vous confessiez maintenant.

- Maintenant? s'écria Gillian.Elle se voyait mal réciter ses péchés

devant Brodick et Ramsey !- Elle n'a rien fait qui ne soit

impardonnable, assura Brodick.- Comment pouvez-vous le savoir?

répliqua Gillian.Brodick éclata de rire.- Je le sais, c'est tout.

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Elle le fusilla du regard.- J'ai péché, déclara-t-elle d'un ton

provocant.- Tu n'as pas péché, objecta Brodick.Gillian s'entêta.- Si. Vous m'avez inspiré des

pensées impures. Beaucoup trop, même.Elle ne réalisa ce qu'elle venait de

dire qu'après avoir parlé. Mais, puisqu'ilétait trop tard pour faire marche arrière,elle continua sa confession.

- J'ai péché par votre faute, Brodick,et si je dois aller au purgatoire, vous m'yaccompagnerez. Ramsey, si vousn'arrêtez pas de rire, je vous lancequelque chose à la figure.

- L'aimez-vous, mon enfant?demanda le prêtre.

- Non, je ne l'aime pas, réponditGillian avec emphase.

- Ce n'est pas une conditionindispensable, admit le prêtre. Mais çarendrait votre vie plus agréable.

- Gillian, dis-lui la vérité, intervintBrodick.

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Il lui prit la main. Elle voulut laretirer, mais il la tenait fermement.

- J'ai dit la vérité. Je n'aime pasRamsey, et s'il n'arrête pas de rire, lesSinclair devront bientôt se chercher unnouveau maître.

- Il ne s'agit pas de lui ! s'écria leprêtre, pour couvrir le rire de Ramsey. Jevous demandais si vous aimiez lordBuchanan.

- Avez-vous dit au père Laggan queje vous aimais ? Qui d'autre aurait pu luien parler?

Brodick ne se donna pas la peine derépondre. Il pria tranquillement Gilliande lui répéter qu'elle l'aimait.

- Brodick, ce n'est pas le moment...- Au contraire. C'est le moment

idéal.Gillian secoua la tête.- Ce que je vous ai dit était purement

privé.- M'aimes-tu?

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Mais la jeune femme refusaitd'admettre la vérité devant un auditoiresuspendu à ses lèvres.

- Je ne veux pas discuter de çamaintenant.

Brodick insista.- M'aimes-tu ? répéta-t-il, en lui

serrant la main pour l'obliger à répondre.- Vous savez bien que oui,

murmura-t-elle.Alors, les traits solennels, Brodick

défit la bande du plaid qui passaitpar-dessus son épaule et en couvrit leursdeux mains jointes.

Cette fois, Gillian comprit enfin cequi se tramait. Paniquée, elle essaya delibérer sa main, mais Brodick lamaintenait fermement dans la sienne.Après quelques vaines tentatives, lajeune femme renonça à lutter.

Son cœur, désormais, appartenait àBrodick.

- Dis-le vraiment, reprit-il en laregardant droit dans les yeux.

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Comme elle gardait obstinément lesilence, il reprit :

- Je veux te l'entendre dire, Gillian.Ne me rejette pas publiquement.

La jeune femme sentait tous lesregards rivés sur elle. Elle savait queBrodick reviendrait à la charge jusqu’àce qu'il obtienne ce qu'il désirait. Alors,s'il souhaitait qu'elle lui avoue à nouveauson amour, elle pouvait bien s'exécuter.

- Je vous aime.- Maintenant et demain ? Pour le

meilleur et pour le pire ?- Oui.- Je t'honorerai et te protégerai,

Gillian, assura Brodick, avant d'attirer lajeune femme à lui.

Du coin de l'œil, elle vit le prêtrelever la main pour faire le signe de croix.

Alors, Brodick embrassa Gillian,avec une telle ardeur que la jeune femmene put lui résister. L'espace d'un instant,elle en oublia les témoins et les vivatsqui résonnaient autour d'eux. QuandBrodick la relâcha enfin, elle dut se

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cramponner au pommeau de sa sellepour ne pas tomber de cheval. Puis elletenta de reprendre contenance, tandisque Brodick remettait son plaid en placesur son épaule.

- Que Dieu vous bénisse, dit leprêtre.

Ramsey, un sourire jovial auxlèvres, donna une bourrade à Brodick.

- Il faudra faire la fête, ce soir.- Pour fêter quoi, Ramsey ? S’enquit

Gillian.- Votre obédience à la religion.- Nous pouvons continuer notre

route, maintenant?Il approuva d'un signe de tête, puis

s'adressa au prêtre :- Dînerez-vous avec nous, mon père

?- J'ai promis à lord MacHugh de

passer chez lui, mais si j'arrive à lequitter avant la tombée du jour,j'accepterai volontiers votre hospitalité.Mes vieux os commencent à réclamer unlit chaque nuit.

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- Un bon lit vous attendra, mon père,assura Ramsey.

Après un dernier regard apitoyépour Gillian, le révérend se tourna versBrodick.

- Je vous préviens, lord Buchanan,je veillerai sur elle.

Ramsey éclata de rire.- Allez-vous donc renier votre

parole de ne jamais retourner chez lesBuchanan ? Il me semblait vous avoirentendu dire à Ian Maitland que vous nevouliez plus fouler la terre de cessauvages ?

- Je n'ai pas perdu la mémoire,répliqua le prêtre, piqué au vif. Maismon devoir est sacré. Je veillerai sur ladyGillian. Si je constate qu'elle estmalheureuse, lord Buchanan aura affaireà moi. Le Seigneur lui a envoyé un vraitrésor. J'espère qu'il en est conscient.

Sur ces dernières paroles, le pèreLaggan donna à son cheval le signal dudépart et s'éloigna.

Brodick reprit la main de Gillian.

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- Je te traiterai toujours bien, luipromit-il avec ferveur.

- Je n'en doute pas un seul instant,répondit- elle. Pouvons-nous repartir,maintenant?

Brodick fit signe à Dylan dechevaucher en tête du convoi, et la petitetroupe s'ébranla. Au bout de quelquesminutes, ils atteignirent un replat quiplongeait d'un côté vers desescarpements rocheux, et de l'autre versdes vallons beaucoup plus doux. Gillian,horrifiée, vit Dylan se diriger vers lesrochers.

Sans même réfléchir, elle fila dansla direction opposée.

- Bon sang ! Qu'est-ce qu'ellefabrique ? demanda Brodick à Ramsey,avant de lancer son cheval au galop pourrattraper la jeune femme.

- Gillian, tu as pris la mauvaisedirection.

- Je ne veux pas passer par la falaise,répondit- elle, paniquée.

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Brodick s'empara des rênes de sajument pour l'obliger à s'arrêter.

- Ecoute, Gillian, c'est unraccourci...

La jeune femme mit pied à terre.- Que fais-tu ? S’enquit Brodick.- Ça ne se voit pas ? Je marche.

J'avais justement besoin de me dégourdirles jambes.

- Donne-moi ta main.- Non.- Ce n'est pas une falaise, Gillian.

Juste un sentier un peu raide.- Je préfère emprunter le chemin le

plus long.- D'accord.Elle s'immobilisa.- C'est vrai ? Vous n'allez pas me

forcer?- Non. Nous prendrons ensemble le

chemin des collines. Tant pis pour leraccourci.

Il siffla entre ses doigts pour attirerl'attention de Dylan. La petite troupes'arrêta aussitôt.

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- Je ne voudrais pas vous faire hontedevant vos guerriers... commençaGillian, embarrassée.

- Tu ne me fais pas honte, Gillian.Puisque tu as peur d'emprunter l'autresentier, nous prendrons les collines.

- Combien de temps perdrons-nous?

- Tout dépendra de la vitesse àlaquelle nous chevaucherons.

- Combien de temps ? Insista lajeune femme.

- Une journée.- Autant que cela ? Même si nous

nous dépêchons ?- Le chemin est long. Donne-moi ta

main.- Je vais remonter sur ma jument.- Je préférerais que tu chevauches

avec moi.- Brodick?- Oui, chérie ?- Nous allons passer par le

raccourci.

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- Tu n'as pas à te sentir obligée defaire ça.

Gillian inspira profondément, seredressa, puis tendit la main à Brodick. Illa souleva de terre pour l'installer devantlui et la serra dans ses bras.

- Vous devez me prendre pour unelâche...

- Non. Tu n'es pas lâche, Gillian.C'est bien compris ?

- Oui.- Alors, dis-le-moi.- Je ne suis pas lâche, déclara-t-elle.

Nous allons passer par le raccourci,répéta-t-elle.

- Tu en es sûre ?- J'en suis sûre, confirma-t-elle,

d'une voix qui manquait cependantd'assurance. Et je monterai mon proprecheval. Je ne veux pas que vos guerrierspensent que je suis une mauviette.

- Ils ne penseront jamais cela,répliqua Brodick, en faisant tournerbride à leurs montures.

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Ils rattrapèrent rapidement lesautres. Gillian aurait aimé chevaucher àl'arrière du convoi, à l'abri des regards.Mais Brodick ne ralentit pas l'allure et semit à remonter la file de ses guerriers.Ignorant les protestations de Gillian, ilconfia sa jument à l'un de ses hommes.

- Je voudrais qu'on reste à l'arrière,murmura-t-elle.

- Je préfère être à l'avant.Gillian se sentait à la fois terrifiée et

irritée. Pourquoi refusait-il de lui donnersatisfaction? La piste avait commencé àse rétrécir et courait à présent au-dessusd'un précipice. À chaque pas, les sabotsdu cheval de Brodick faisaient tomberdes cailloux, qui roulaient dans le videavec un fracas sinistre. Gillian dut semordre les lèvres pour ne pas crier.

- Brodick, je ne peux pas...- Raconte-moi donc ces pensées

impures que je t'ai inspirées.- Quoi?- Lors de ta confession, tu as

mentionné des pensées impures, lui

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rappela-t-il. Dans tes rêves,portions-nous des vêtements ?

- Évidemment! s'exclama Gillian,scandalisée.

- Dans ce cas, ce n'étaient pas despensées véritablement impures.

- Voulez-vous arrêter de parler decela ?

- Pourquoi ?- Parce que c'est indécent, voilà

pourquoi.- J'estime avoir le droit de savoir. Tu

as bien dit que ces pensées impures meconcernaient, non?

- Oui.- Dans ce cas, j'ai le droit de savoir

ce que je faisais.Elle ferma les yeux.- Vous m'embrassiez.- C'est tout ? Rien d'autre ?- Qu'espériez-vous donc ?- Beaucoup de choses. Où est-ce que

je t'embrassais ?- Sur les lèvres, répondit-elle.

Maintenant, cessez de...

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- Seulement sur les lèvres ?demanda-t-il, visiblement déçu. Mapropre imagination est allée bien plusloin que cela.

La jeune femme écarquilla les yeux.- Vous avez... vous avez eu des

pensées... à mon sujet?- Bien sûr. Et les miennes étaient

plus intéressantes.- Ah, bon?- Veux-tu que je te les raconte ?- Non.Il rit et ignora sa protestation.- Dans mes rêves, tu ne portais rien

sur toi. Enfin, presque rien.Gillian savait qu'elle n'aurait pas dû

poser la question, mais elle ne put s'enempêcher.

- Qu'est-ce que je portais ?Il se pencha et lui chuchota quelques

mots à l'oreille.Elle sursauta.- Juste Ciel ! s'écria-t-elle. Nous

irons tout droit en enfer si nouscontinuons cette conversation

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scandaleuse. Et d'abord, commentpouviez-vous m'imaginer sans mesvêtements ?

- Ce n'était pas bien difficile. Tu esparfaite.

- Ce n'est pas vrai.- Si. Ta peau est aussi douce que de

la soie. Dans mon rêve, quand je meglissais entre tes...

Elle posa la main sur sa bouche pourl'obliger à se taire. Brodick dépassait lesbornes de la bienséance, mais c'étaitpeut-être précisément ce qui l'attirait enlui. Il s'était libéré de toutes lesconventions. Il semblait se moqueréperdument de ce que les autrespensaient de lui et ne cherchait pas nonplus à les impressionner.

- Être avec vous est une expériencetrès... libératrice, avoua-t-elle.

- Ça n'a pas été trop dur, finalement,madame ?

En comprenant que Dylans'adressait à elle, Gillian sursauta denouveau.

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- Pardon? fit-elle, confuse, enenlevant précipitamment sa main de labouche de Brodick.

- La descente n'a pas été troppénible? demanda Dylan.

Gillian regarda autour d'elle etconstata, stupéfaite, qu'ils étaient arrivésen bas des falaises. Elle éclata de rire.

- Non, ça n'a pas été trop pénible.Quelques minutes plus tard, elle

remontait sur sa jument. Une fois enselle, elle poussa sa monture au trot etrattrapa Brodick.

- Vous m'avez bien eue, lui dit-elleen le dépassant.

- Tu m'en veux?Elle rit derechef.- Non. Mais je vous revaudrai ça.Brodick sourit, émerveillé.

Décidément, Gillian était une femmeétonnante.

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19

La demeure de Ramsey, bâtieau-dessus d'une splendide vallée, étaitmajestueuse. Un tapis d'herbe verte etgrasse s'étendait à perte de vue, et leparfum des sapins emplissait l'air. Depetits cottages entouraient le château,qui étendait sur eux l'ombre protectricede ses hauts murs de pierres grises.

À l'arrivée de la petite troupe, lesgardes ouvrirent les massives portes enfer forgé. Aussitôt, les soldatsaccoururent et acclamèrent bruyammentle retour de leur maître. Plusieurs jeunesfemmes se joignirent à ce concert debienvenue. Gillian scrutait attentivementchaque visage. Certes, elle se doutaitqu'elle ne trouverait pas Christenimmédiatement, mais chaque fois qu'elleapercevait une jeune femme blonde, soncœur battait d'un fol espoir.

Brodick et Ramsey avaient mis piedà terre et discutaient avec les guerriers.

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Gillian attendit patiemment que Brodickse souvienne de son existence.

- Le voyez-vous, madame ? luidemanda Dylan à voix basse.

- Qui?- Le traître.- Non, je suis désolée. En fait, je ne

cherchais pas vraiment...Elle s'interrompit et jeta un coup

d'œil autour d'elle.- Non, je n'arriverai pas à le

reconnaître ici. Il y a trop de monde.- La plupart des guerriers de

Ramsey doivent s'entraîner dans les présderrière le château, expliqua Dylan. Jesuppose que leur chef, Jason, viendrabientôt accueillir son maître.

Tandis que Gillian laissait errer sonregard sur la foule, un groupe deguerriers MacPherson s'approcha d'ellepour l'observer. Aussitôt, Robert, Aaronet Liam firent cercle autour de la jeunefemme.

- Cesse de regarder lady Gillian!ordonna Robert à un guerrier intrépide,

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qui s'était avancé beaucoup trop près dela jeune femme à son goût.

- Sinon quoi ? répliqua l'autre.Robert ne se démonta, pas. Avant

que le guerrier ait pu réagir, il s'étaitpenché de sa monture et l'avait attrapépar le cou, le soulevant du sol.

- Sinon, je te brise les os un par un.Le guerrier MacPherson, qui n'était

pourtant pas un gringalet, paraissaitsoudain chétif dans les mains de Robert.

- Robert, s'il vous plaît, relâchez cegarçon, lui dit Gillian.

- Comme vous voudrez, madame.Brodick se retourna juste au

moment où Robert lâchait le guerrierMacPherson, qui retomba lourdementpar terre.

- Robert?- Je n aimais pas la façon dont ce

type regardait lady Gillian,monseigneur.

Brodick s approcha du guerrierMacPherson.

- Comment la regardait-il ?

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- Avec insolence, répondit Robert.- Elle est très belle, protesta

l'homme pour se justifier. J'ai quandmême le droit de la regarder, non?

Brodick le serra à la gorge.- Oui, elle est très belle. Mais je

n'aime pas qu'un autre homme pose lesyeux sur elle, dit-il.

Il serra un peu plus fort. Le guerrier,cramoisi, semblait sur le point d'étouffer.

- Je n'aime pas ça du tout.

- Laisse-le, Brodick, intervintRamsey, qui les avait rejoints.

Brodick s'exécuta instantanément.Mais le MacPherson s'était à peine remisde ses émotions que Ramsey luidécochait un coup de poing en pleinefigure. L'homme s'écroula de nouveauau sol.

- Et maintenant, tu vas présenter tesexcuses à lord Buchanan, lui dit-il.

- C'est lord Buchanan? s'exclamal'autre, en se levant avec difficulté. Je nesavais pas...

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Comme Ramsey faisait un pas verslui, il s'empressa d'ajouter :

- Je m'excuse, lord Buchanan.Dorénavant, je ne poserai plus jamais lesyeux sur cette dame. Je vous le jure surla tête de mon père.

Mais Ramsey n'était pas satisfait. Ilavait remarqué que le guerrier et sescompagnons arboraient toujours le plaiddes MacPherson.

- Soit vous portez mes couleurs, soitvous quittez mon territoire, déclara-t-il.

Gillian observait la scène avecstupéfaction. Jusqu'à présent, elle avaittoujours pris Ramsey pour un hommecivilisé. Judith Maitland lui avait racontéque quand son mari désirait nouer unealliance, il demandait toujours à Ramseyde s'occuper des tractations. Mais, pourl'heure, Ramsey ne se montrait pasparticulièrement diplomate. En réalité,son comportement ressemblait fort àcelui de Brodick. Et Gillian étaitembarrassée de savoir qu'elle était àl'origine de sa colère. Elle se tourna vers

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Robert et le fusilla du regard, pour luifaire comprendre qu'elle lui en voulaitd'avoir déclenché ce conflit.

Le guerrier essaya de se justifier.- Il était insolent, madame,

chuchota-t-il.- Ce n'était pas mon avis.- Je vous assure que si, madame,

répliqua Robert avec obstination, lesmâchoires serrées.

Avec un soupir, Gillian renonça àdiscuter.

- Voilà Jason, annonça Aaron.Une troupe de guerriers arrivait

dans leur direction, mais Gillian,aveuglée par le soleil, ne pouvaitdistinguer leurs visages.

- Jason est l'équivalent de Dylanpour les Sinclair, lui expliqua Robert. Ilcommande les guerriers de Ramsey.

- Je vais à sa rencontre, déclaraDylan en éperonnant sa monture.Excusez-moi, madame.

- J'aimerais mettre pied à terre, ditGillian après son départ. Vous voulez

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bien vous écarter, Robert, pour melaisser la place de descendre ?

- Vous devez attendre lordBuchanan, madame.

- Oui, renchérit Liam. Et vous nousfaciliteriez les choses, madame, enportant notre plaid.

- Pourquoi ?- Comme cela, ils comprendraient

que vous êtes...Il s'interrompit brusquement.- Que je suis quoi ?- Des nôtres, répondit Robert.Gillian n'eut pas le temps de les

interroger plus longuement. Ramseyvenait de faire signe à Robert de s'écarteret lui tendait les bras pour l'aider àdescendre de selle.

- Ne jugez pas mon clan sur unepoignée d'écervelés, je vous prie, dit-il.

- Maintenant que tu l'as posée parterre, tu peux la lâcher, ordonna Brodicken arrivant derrière lui.

Mais Ramsey continua à tenir lamain de la jeune femme.

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- Rentrons à l'intérieur. .Vous devezêtre affamée.

Brodick repoussa sans ménagementla main de Ramsey. Furieuse, Gillianl'ignora.

- Je n'ai pas très faim, répondit-elle àRamsey.

- Vous vous rattraperez ce soir.Nous ferons un grand festin, promit-il.Auparavant, je vais vous présenter à tousles guerriers qui sont au châteauaujourd'hui. Si l'homme que vous avezvu ne se trouve pas parmi eux, nouschercherons parmi les autres. Mais celapeut prendre beaucoup de temps,Gillian, ajouta-t-il. Maintenant que lesMacPherson ont rejoint les Sinclair, nosterres se sont considérablementétendues.

- Et pour sa sœur? demandaBrodick.

- J’aimerais aussi être présentée auxfemmes, dit Gillian en glissant sa maindans celle de Brodick. Je sais combien ilest important pour vous de découvrir

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celui qui vous a trahi. Je ferai tout monpossible pour vous aider à le démasquer,mais je vous implore de m'aider aussi. Jedois retrouver Christen.

Ramsey hocha la tête.- Comme Ian l'a suggéré, nous

interrogerons les anciens. Peut-être sesouviennent-ils de quelque chose.

Tout en discutant, ils marchaientvers le château. Autour d eux, la foules'écartait pour les laisser passer. Gillianremarqua deux vieillards qui se tenaientau pied des marches du perron. L'un étaitgrand et décharné, l'autre petit et replet.Tous deux s'inclinèrentrespectueusement devant Ramsey.

Après avoir fait les présentations,Ramsey dit à Gillian :

- Je compte beaucoup sur Brisbaneet Otis pour nous aider à retrouverChristen. Ce sont des MacPherson.

Ramsey résuma pour les deuxvieillards l'histoire de Gillian.

- Avec votre bonne mémoire, je suisconvaincu que vous réussirez à vous

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rappeler si une famille a brusquementaccueilli une fillette, voilà quatorze ans.Christen devait avoir sept ans, àl'époque.

- Nous pourrions peut-être rendreservice à cette dame, répondit Otis, maisje me demande pourquoi vous cherchezà l'aider, monseigneur. Représente-t-ellequelque chose pour vous?

- Oui. Elle représente beaucouppour moi, répliqua sèchement Ramsey.

- Mais elle est anglaise, observaBrisbane.

- Je le sais aussi bien que vous, ditRamsey. Mais lady Gillian est la femmede Brodick, et Brodick est mon ami.

Cette nouvelle médusa les deuxvieillards, tout comme Gillian. Maiscelle-ci se remit rapidement de sasurprise. Elle comprenait que Ramseyavait eu recours à ce petit mensongepour ne pas s'aliéner les deux hommes.

- Alors, elle n'est pas votre...- Non, coupa Ramsey. Son cœur

appartient à Brodick.

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Brisbane se tourna vers Brodick.- Vous l'avez épousée bien qu'elle

soit anglaise ?- En effet.Embarrassée par le tour que prenait

la discussion, Gillian intervint :- Je suis très heureuse d'être

anglaise.Otis la gratifia d'un regard navré.- Ma pauvre enfant, lui dit-il, il n'y a

aucun bonheur à être anglais, mais c'esttrès courageux de votre part de vouloirprétendre le contraire. Venez avec moi,ajouta-t-il en écartant Ramsey pourprendre le bras de Gillian. Nous allonsparler de votre sœur.

- Ma mémoire est meilleure que latienne, Otis, protesta Brisbane, tandisque Brodick se poussait pour lui laisserl'autre bras de Gillian. Si nous faisionsune petite promenade autour du lac pourévoquer nos souvenirs? J'ai déjà unepetite idée...

Un peu décontenancée, Gillian setourna vers Brodick et le vit hocher la

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tête. La jeune femme reporta alors touteson attention sur son escorte.

Ramsey et Brodick les regardèrents'éloigner, puis ils pénétrèrent dans legrand hall du château, où plusieurspersonnes s'étaient déjà rassembléespour fêter le retour de leur maître.

- Penses-tu vraiment qu'Otis etBrisbane pourront aider Gillian ?demanda Brodick à son ami.

- La question est plutôt de savoirs'ils le voudront.

Ramsey remplit deux gobelets devin et en tendit un à son ami.

- Ils savent probablement où vitChristen, reprit-il. Mais ils parleront à safamille avant de dire quoi que ce soit àGillian. Si Christen est disposée à revoirsa sœur, ils arrangeront une rencontre.Mais dans le cas contraire...

- De toute façon, tu peux leurordonner de tout te révéler.

- Certes. Mais ce ne sera pas simple.Otis et Brisbane sont deux vieilles têtesde mule.

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- Pourquoi chercheraient-ils àprotéger Christen de sa propre sœur?

- Tout simplement parce que laditesœur est anglaise, expliqua Ramsey.Mais cesse de t'inquiéter, Brodick. SiChristen est bien là, nous la trouverons,d'une manière ou d'une autre. Ah, voilàJason et Dylan. Laisse-moi régler lesaffaires de mon clan. Ensuite, nousréfléchirons à un plan.

Ramsey écouta son bras droit luiexposer les problèmes survenus pendantson absence. Il ne fut pas surprisd'apprendre que la plupart de cesincidents impliquaient des guerriersMacPherson.

- Vous m'avez demandé de memontrer patient, dit Jason, quand il eutachevé son rapport, mais j'aimerais vousmettre en garde. Le chef de ce groupe derebelles prend chaque jour un peu plusd'assurance. Quand je donne un ordre,les autres guerriers se tournent d'abordvers lui pour savoir s'il va l'accepter.

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C'est inadmissible, conclut Jason d'unevoix pleine de colère.

Ramsey se tenait devant lacheminée, tandis que Jason faisait lescent pas dans la pièce. Brodick, assis surla table à côté de Dylan, avait égalementécouté la tirade du guerrier contre lesMacPherson.

- Qu'attends-tu de moi, Jason ?demanda Ramsey.

- Que vous écartiez ce Proster.- Otis et Brisbane m'avaient prévenu

de me méfier de lui. Tu voudrais que jele bannisse ?

- Personnellement, je préféreraisl'étrangler. Mais je serai déjà satisfait sinous sommes débarrassés de lui.

- Et les autres rebelles ?Jason soupira.- Le mieux serait de les bannir

également. Vous savez que j'étais contrecette alliance, monseigneur. Je vousavais dit que ça ne marcherait pas.

- On ne peut pas toujours éviter lesproblèmes, Jason. Ton devoir est

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précisément de les résoudre, mais encherchant le dialogue plutôt qu'enemployant la manière forte. Envoie-moiProster. Je vais discuter avec lui.

Jason semblait soulagé.- Je suis bien content que vous

acceptiez de vous en charger,monseigneur. Je vous avoue que cesfauteurs de troubles commençaient à mepousser à bout. Je n'ai pas votre patience.

La patience de Ramsey étaitlégendaire. Cependant, les apparencesétaient parfois trompeuses, songeaBrodick. Sous ses manières degentleman, Ramsey cachait untempérament de feu. Contrairement àBrodick, il en fallait beaucoup pour lemettre en colère, mais l'explosion, quandelle se produisait, n'en était que plusviolente.

- Il reste un dernier problème àrégler, reprit Jason en esquissant unsourire.

Ramsey haussa les sourcils.- On dirait que celui-ci t'amuse.

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- C'est vrai.Ramsey soupira.- Laisse-moi deviner. Bridgid

KirkConnell a un nouveau soupirant ?Jason éclata de rire.- On ne peut rien vous cacher,

monseigneur.- Comment s'appelle-t-il, cette fois?- Matthias, répondit Jason. Et c'est

un MacPherson. Alors, j'aime autantvous dire que si Bridgid l'épouse, aprèsavoir refusé tant de vaillants guerriersSinclair, il risque d'y avoir de la bagarre.

Ramsey s'esclaffa à son tour.- Je suis prêt à parier que Bridgid

repoussera ce nouveau prétendant avecla même énergie que les autres, tu n'asdonc pas à t'inquiéter. Envoie-la-moi,que je lui pose directement la question.J'aimerais que Brodick la rencontre.

- Pourquoi ? S’étonna celui-ci.- Elle est... intéressante, expliqua

Ramsey.

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- Sa mère réclame une audience,précisa Jason. Elle voudrait vous parleravant que vous ne convoquiez sa fille.

- Elle attend dehors ?- Non. Mais je vais la faire appeler,

répondit Jason.- Quand nous en aurons terminé

avec cette histoire, tu ordonneras à toutle monde de se rassembler dans la cour,reprit Ramsey. Tous sans exception,c'est compris ?

- Aucune excuse ne sera acceptée,renchérit Brodick.

Jason acquiesça avecempressement, puis il dévisagea sonmaître, sembla hésiter et finit par se jeterà l'eau.

- Comptez-vous annoncer un grandévénement, monseigneur? Dois-je vousféliciter?

- Non, répliqua Ramsey.- Te féliciter de quoi ? Intervint

Brodick.- Otis et Brisbane souhaitent que

j'épouse Meggan MacPherson, expliqua

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Ramsey. Je n'ai pas encore pris dedécision. En fait, je n'ai même pas eu letemps d'y penser. Mais je suis conscientqu'un mariage apaiserait les esprits dansnos deux clans.

- Vous briseriez beaucoup de cœurs,commenta Dylan.

- Ce n'est pas le moment de discuterde cela, fit Ramsey, qui n'aimait pasqu'on évoque ses succès auprès du beausexe.

Mais Brodick renchérit, amusé :- Ce ne doit pas être facile tous les

jours d'être aussi beau, dit-il. J'imaginequel enfer ça peut être de se réveiller,chaque matin, avec une femmedifférente dans son lit...

- Tu as couché avec autant defemmes que moi, si ce n'est plus,rétorqua Ramsey. Et je répète que nousavons mieux à faire que de parler decela.

Brodick éclata de rire, mais préférane pas insister. Ramsey alla s'asseoir àtable et invita Dylan et Jason à l'imiter.

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S'emparant d'un pichet d'eau fraîche, ilse servit à boire. Puis il appela le pagequi attendait près de la porte et luiordonna de leur apporter du pain et dufromage.

Après le départ de l'enfant, Ramseydemanda à Brodick de mettre Jason aucourant de leurs projets. ?

- Ian voudrait que tu aides Winslowet Dylan à préparer les guerriers qui noussuivront en Angleterre.

- Vous avez l'intention d'attaquerl'Angleterre? s'écria Jason, médusé.

- Non, répondit Brodick.Il s'assit à son tour et raconta à Jason

comment Gillian avait sauvé Alec.Quand il eut terminé son récit, Jason,éberlué, siffla entre ses dents.

- Dieu tout-puissant ! C'est unmiracle qu'Alec ait survécu.

- Ce miracle s'appelle Gillian,précisa Brodick. Sans elle, Alec seraitprobablement mort, à l'heure qu'il est.

- Et personne n'aurait su qu'il y avaitun traître dans nos rangs, ajouta Ramsey.

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- Quelle est l'ordure qui a pu faire ça? demanda Jason.

Il tapa brusquement du poing sur latable et déclara :

- Ce ne peut être qu'un MacPherson.Beaucoup aimeraient vous voir mort,monseigneur. À commencer par Proster.

- Ne condamnons pas sans preuves,objecta Ramsey. Je veux attendre d'ensavoir plus avant d'agir.

Comme le page revenait avec lepain et le fromage, il leva la main pourintimer le silence à ses compagnons. Dèsque l'enfant eut disposé la nourriture surla table, Ramsey le congédia.

- Nous devons d'abord aider Gillianà découvrir où vit sa sœur, reprit-il. Je lelui ai promis.

- Vous êtes sûr qu'elle a étérecueillie par des MacPherson? demandaJason, l'air pensif.

- Oui, répondit Ramsey. Elles'appelle Christen et elle a trois ans deplus que Gillian.

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- Sa famille adoptive lui a sûrementdonné un autre nom, pour la protéger, ditBrodick.

- Sans doute, admit Ramsey. Maisj'ai tout de même bon espoir. Brisbane etOtis réussiront à la retrouver. Rien neleur échappe.

- Mon père aussi a bonne mémoire,intervint Jason, et il connaît bien lesMacPherson. Sa sœur avait épousé un deleurs guerriers. Elle est morte, à présent,mais il a gardé des relations avec leurclan. Il saura certainement à quis'adresser pour résoudre ce mystère. Deplus, maintenant qu'il est presque rétabli,cela lui donnera une occasion de sortir. Ildéteste rester confiné chez lui. Avecvotre permission, monseigneur, j'irai luirendre visite le plus tôt possible.

- Le père de Jason s'est cassé lajambe en tombant de cheval, expliquaRamsey à Brodick. Je suis heureuxd'apprendre qu'il est guéri.

- Un moment, nous avons craintqu'il ne remarche plus jamais.

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Heureusement, ses os sont encoresolides. Il a bien récupéré. Si vous n'avezpas besoin de moi ce soir, je pourraispartir tout de suite et arriver chez luiavant le coucher du soleil.

- D'accord, acquiesça Ramsey. Plusvite tu parleras à ton père, mieux celavaudra. Brisbane et Otis vont perdre desjours à se demander ce qu'ils doiventfaire. Avec un peu de chance, tu serasrevenu avec des informations avant queces deux vieillards aient pris la moindredécision.

Jason s'apprêtait à se lever de table,mais il se ravisa.

- Monseigneur, je m'excuse, maisvous ne m'avez pas dit dans quellerégion de l'Angleterre vous projetiez devous rendre.

- Nous l'ignorons encore, avouaRamsey. Gillian ne nous a pas révélé lesnoms des Anglais qui retenaient Aleccaptif.

Jason était perplexe.- Pourquoi ne vous a-t-elle rien dit ?

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- Si elle nous donne les noms, elle apeur que nous ne passions tout de suite àl'attaque, ce qui mettrait son oncle endanger, expliqua Brodick. Et elleredoute aussi que nous ne la forcions àrester ici.

- De toute façon, c'est ce que tu vasfaire, n'est- ce pas? demanda Ramsey.Tu ne la laisseras pas retourner enAngleterre.

- Je crains que ce ne soit pas sisimple. Gillian est obstinée.

- C'est d'ailleurs pour cela qu'elle teplaît, remarqua Ramsey.

- Je ne sais pas quoi faire, avouaBrodick. Je ne voudrais pas revenir surma parole, mais je ne peux pas supporterl'idée qu'elle reparte s'exposer au danger.

- Il faudra bien que tu résolves ceproblème avec elle. Nous avons besoindes noms, objecta Ramsey.

Jason se leva.- Avec votre permission,

monseigneur, je vais me mettre en routesans plus attendre.

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- Tu souhaiteras à ton père unprompt rétablissement de ma part.

- Je n'y manquerai pas,monseigneur, répondit Jason.

Il se dirigea vers la porte, mais seretourna avant de l'ouvrir.

- Monseigneur?- Oui?- Désirez-vous toujours que tout le

monde se rassemble dans la cour ? Sioui, je demanderai à Anthony de s'encharger. Mais si vous ne comptez pasannoncer votre mariage, puis-je savoirce que vous voulez dire à nos guerriers ?

Ramsey réalisa qu'ils avaient omisun important détail.

- Gillian a vu le traître, avant dequitter l'Angleterre...

- Mais l'homme, bien sûr, ne s'estrendu compte de rien, précisa Dylan.

- Voilà pourquoi je désire qu'onrassemble tout le monde dans la cour,reprit Ramsey. Gillian examinerachacun d'eux.

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- N'avez-vous pas peur que le traîtrene se doute de quelque chose ? objectaJason. S'il devine que lady Gilliancherche à identifier quelqu'un, il pourraitêtre tenté de la réduire au silence avantque...

Dylan l'interrompit.- Gillian sera protégée. Les

Buchanan veilleront à ce qu'il ne luiarrive rien. Elle est des nôtres,désormais.

Jason sursauta.- Lady Gillian est des vôtres ?

Brodick hocha la tête.- Oui. Mais elle ne le sait pas encore.

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20

L'entrevue de Ramsey avec la mèrede Bridgid KirkConnell, Léa, lui laissaun goût amer dans la bouche. Lorsqu'elleétait entrée dans la pièce, Ramsey avaitpourtant été favorablementimpressionné. Quoiqu'elle approchât dela cinquantaine, Léa était encore une fortbelle femme. Mais quand elle eut finid'exposer sa requête, l'opinion deRamsey à son égard avait radicalementchangé.

Avant de la rencontrer, Ramseys'était lavé et avait mis des vêtementspropres, mais après son départ, il avaiteu envie de se laver une deuxième fois.Léa était une femme méprisable et unemère indigne.

Quelques minutes après que Léa eutdisparu, Brodick revint dans la pièce,l'air maussade. Gillian discutait toujoursavec Otis et Brisbane. Il était impatientde savoir ce que les deux vieillards lui

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avaient raconté, mais il était encore plusimpatient de retrouver la jeune femme. Ilse rendait compte qu'il ne pouvait plus sepasser d'elle, et c'était sans doute ce quil'irritait le plus.

Lorsqu'il entra dans la salle, Ramseyétait avachi dans un fauteuil. Il semblaitencore plus contrarié que lui.

- Que t'arrive-t-il? demandaBrodick. Tu en fais, une tête !

- Je viens juste de congédier la mèrede Bridgid Léa.

- Apparemment, elle ne t'a pas plu.- Cette femme est monstrueuse.

Imagine-toi qu'elle est jalouse de sapropre fille !

- Elle te l'a dit en ces termes ?- Non, mais il suffit de l'entendre

parler pour en être convaincu. Léa s'estrécemment remariée et elle n'aime pas lafaçon dont son mari regarde Bridgid.Elle pense qu'il désire sa fille et elle veutque Bridgid quitte la maison.

- Peut-être ne cherche-t-elle qu'à laprotéger? suggéra Brodick.

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Ramsey secoua la tête.- Non. Le bien-être de sa fille est le

cadet de ses soucis. Elle est surtoutangoissée de paraître vieille à côté de safille.

- Bridgid sait-elle que sa mère al'intention de la chasser?

- Je l'ignore. Pour l'instant, Léa arésolu le problème en l'envoyant vivrechez sa sœur, qui vient d'avoir un bébé,sous prétexte que celle-ci avait besoind'aide pour tenir son ménage.

- Eh bien, Bridgid n'a qu'à resterchez sa tante.

- Non. Ce n'est qu'une solutiontemporaire. La tante a déjà cinq enfantset habite dans un cottage minuscule. Iln'y a pas de place pour Bridgid.

- Alors, il faut la marier.- C'est bien le problème, commenta

Ramsey Vois-tu, mon père avait promisau père de Bridgid que sa fille pourraitchoisir seule son mari...

- Et, te connaissant, tu ne romprasjamais ce serment, conclut Brodick.

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Ramsey soupira.- Comment faire ? As-tu une idée ? ,

Brodick réfléchit un moment, avant deproposer :

- Ian pourrait la prendre chez lui.- Non. Elle appartient à notre clan.

Sa place est ici. Elle penserait que nousla bannissons.

- Elle s'en remettrait.- Je ne veux pas la blesser. Elle n'a

rien fait de mal.Brodick dévisagea longuement son

ami.- Ou je me trompe, ou tu tiens à cette

fille.- Bien sûr, que je tiens à elle.

Comme à tous ceux de mon clan.Brodick sourit.- Alors, pourquoi ne l'épouses-tu pas

? Ramsey se leva et fit les cent pasdevant la cheminée.

- Parce que c'est une Sinclair. Mondevoir me recommande d'épouserMeggan MacPherson si je veux sceller

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l'union entre nos deux clans. Tu n'es pasde cet avis ?

- Tu as toujours été un hommepratique, dit prudemment Brodick.

- Toi aussi, rétorqua Ramsey.Jusqu'à ce que Gillian entre dans ta vie.Brodick opina du chef.

- Le plus drôle, c'est que je n'ai rienvu arriver.

Brodick semblait si songeur queRamsey ne put s’empêcher de rire.

- Quand as-tu réalisé que tu...Brodick haussa les épaules pour

masquer sa gêne.- Quand Annie Drummond a

cautérisé sa plaie. Je lui tenais la main.Elle n'a pas crié.

- C'est donc sa bravoure qui t'aséduit ?

- Non, c'est la façon dont elle meregardait, avoua Brodick. On aurait ditqu'elle voulait me tuer pour l'avoirobligée à subir une telle douleur.Comment aurais-je pu résister à unefemme pareille ?

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Anthony poussa alors la porte,interrompant leur conversation, etannonça à son maître que BridgidKirkConnell attendait pour lui parler.

La jeune femme entra aussitôt. Lavue de son sourire réchauffa le cœur deRamsey, bien qu'il se demandâtpourquoi elle souriait, étant donné sasituation.

- Bonjour, monseigneur, dit-elle ens'avançant dans la pièce.

Puis elle ajouta à l'adresse deBrodick, sans cependant oser le regarderen face :

- Et bonjour à vous, lord Buchanan.Quelle belle journée, n'est-ce pas ?

- En quoi est-elle belle? fit Ramsey.- Eh bien, le soleil brille, le vent est

léger... Il n'en faut pas plus pour que lajournée soit belle.

- Bridgid, je viens de voir votremère...

Elle baissa les yeux et noua lesmains dans son dos.

- C'est vrai?

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- Oui.- Vous a-t-elle convaincu de briser

la promesse solennelle faite à mon père ?Ramsey comprit qu'elle avait

délibérément employé le terme «solennelle », afin de donner plus depoids à ses paroles.

- Non. Elle ne m'a convaincu derien, et certainement pas de renier leserment de mon père.

Bridgid retrouva le sourire.- Merci, monseigneur, mais j'ai déjà

trop abusé de votre temps. Avec votrepermission, je vais me retirer.

Elle avait déjà tourné les talonsquand Ramsey la rappela.

- Vous n'avez pas ma permission,Bridgid. Je vous ai convoquée pour vousparler d'un sujet important.

Sans se presser, la jeune femmerevint se planter devant Ramsey.

- Quelqu'un vous a de nouveaudemandée en mariage.

- Je décline sa proposition.

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- Vous ne pouvez pas la décliner,alors que vous ne savez même pas de quiil s'agit !

- Je suis désolée, dit-elle, d'un tonqui démentait ses propos. Qui est-ce ?

- Un dénommé Matthias, réponditRamsey. C'est un MacPherson, etj'avoue que je ne le connais pas.Toutefois, je suis persuadé qu'il voustraiterait bien.

Comme Bridgid gardait le silence, ilinsista :

- Eh bien ? Qu'en dites-vous ?- Puis-je refuser, à présent?- Pour l'amour de...

Connaissez-vous cet homme ?- Oui. Je l'ai déjà rencontré.- Et il ne vous convient pas ?- Oh, je pense qu'il ne manque pas

de qualités.- Mais?- Mais je refuse de l'épouser.- Pourquoi, bon sang ?- Monseigneur; êtes-vous obligé de

crier aussi fort?

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Brodick toussa pour ne pass'étrangler de rire. Ramsey le fusilla duregard, avant de se tourner à nouveauvers Bridgid. La jeune femme repoussaitune mèche de cheveux derrière sonoreille. L'espace d'un instant, il fut sitroublé qu'il perdit le fil de ses pensées.

- Vous mettez ma patience à bout.- Je m’excuse, monseigneur. Ce

n'était pas mon intention.M'autorisez-vous à prendre congé, àprésent ? J'ai entendu dire qu'une damevenait d'arriver d'Angleterre et jevoudrais la rencontrer.

- Pourquoi? demanda brusquementBrodick.

La jeune femme sursauta, mais seressaisit très vite.

- Parce que je ne connais pasl'Angleterre, expliqua-t-elle, et que jesuis curieuse d'apprendre commentvivent les Anglais. J'ai plein de questionsà lui poser.

- Vous avez au moins un pointcommun avec lady Gillian, remarqua

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Ramsey. Vous êtes aussi entêtées l'uneque l'autre.

- La force-t-on également à semarier? répliqua Bridgid, sans cacherson irritation.

Ramsey avança d'un pas vers elle.- Personne ne vous force à vous

marier, Bridgid.- Alors, je peux m'en aller, cette fois

?- Non, pas encore, répliqua Ramsey.

Ce Matthias...- Sommes-nous obligés d'y revenir?

Coupa la jeune femme, les mains sur leshanches.

- Bridgid, je ne tolérerai pas votreinsolence plus longtemps.

Elle s'excusa aussitôt.- Je suis navrée, monseigneur. Je

manque de manières, je l'admets. Maiscomme j'avais déjà refusé sa proposition,je pensais que...

- Bridgid, savez-vous au moinscombien de prétendants vous avezécartés ?

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- Oui.- Vous avez brisé beaucoup de

cœurs.- Ça, j'en doute fort. Aucun de ces

hommes ne me connaissait assez pouravoir le cœur brisé.

- Vous ne voulez donc pas vousmarier, Bridget?

-Bien sûr que si, répondit-elle. Etj'ai aussi envie d'avoir des enfants,ajouta-t-elle d'une voix fervente.

- Alors, pourquoi avoir déclinétoutes ces propositions, si vous voulezdes enfants ?

- J'aime quelqu'un.Ramsey en resta bouche bée.- Vous aimez quelqu'un ?- Oui.- Qui est-ce? Elle secoua la tête.- Je ne peux pas vous dire son nom.- Je ne comprends pas.

Qu'attendez-vous pour l’épouser?La jeune femme soupira.- Il ne m'a pas demandé ma main.- Connaît-il vos sentiments ?

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- Non. C'est un homme borné etstupide. Brodick éclata de rire.

- Et vous l'aimez quand même ?S’étonna-t-il.

- Oui, répondit-elle avec un sourireéclatant. Je ne voulais pas l'aimer, etpourtant je l'aime de tout mon cœur.Cela prouve sans doute que je suis aussistupide que lui. Mais le cœur a sa proprelogique. Elle se tourna vers Ramsey etdéclara avec force :

- Si je dois me marier un jour, cesera avec homme que j'aime.

Ramsey était embarrassé par sapropre réaction, lorsque la jeune femmelui avait annoncé qu'elle étaitamoureuse, il avait d'abord été surpris,puis surprise avait laissé la place àl'irritation. Bizarrement, l'idée queBridgid puisse aimer un homme lechiffonnait. C'était à n'y riencomprendre, puisqu'il avait précisémentconvoqué la jeune femme pour tenter dela convaincre d'épouser Matthias. Si elleavait accepté, aurait-il éprouvé la même

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déception? se demanda-t-il. Non, sansdoute, et pour une bonne raison : au fondde lui, il savait d’avance qu'ellerepousserait ce nouveau prétendant.

- Dites-moi qui est cet homme,reprit-il après un silence. Je lui parleraien votre nom.

- Je vous remercie de votresollicitude, mais l'homme que j'aimedevra se décider seul.

- Ce n'était pas de la sollicitude,c'était un ordre. Donnez-moi son nom.

La jeune femme tenta de détournerla conversation.

- Monseigneur, où est Michael ? Jene l'ai pas encore vu. Je lui avais promisde lui apprendre à grimper aux arbres.

- Comment cela ?- Eh bien, tous les garçons de son

âge savent déjà grimper aux arbres.- Et vous pensez pouvoir lui

apprendre?Elle hocha la tête.- Il va rester quelques jours chez les

Maitland, expliqua Ramsey. Lui et Alec

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sont devenus bons amis. Mais quand ilrentrera, il n'est pas question que vouslui montriez comment grimper auxarbres. Ce n'est pas une activité digned'une dame, Bridgid.

-Vous avez sans doute raison,approuva-t-elle à contrecœur

Ensuite, Ramsey lui demanda unenouvelle fois le nom de l'homme qu'elleaimait. Furieuse que son stratagème n'aitpas marché, la jeune femme réponditvertement :

- Je ne souhaite pas vous donner sonnom, monseigneur.

- Ça me paraît évident. Mais vousallez quand même le faire.

- Non.Comment osait-elle le défier?

Ramsey n'en revenait pas.- Son nom, Bridgid ?Cet homme était une vraie tête de

mule, mais Bridgid savait qu'elle était laseule à blâmer. Elle n'aurait jamais dû luiavouer ce qu'elle cachait au fond de soncœur.

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- Vous avez un avantage sur moi,déclara-t-elle.

- Lequel ?- Vous êtes lord. Vous pouvez parler

librement. Alors que moi, je...Ramsey ne la laissa pas terminer sa

phrase.- Il me semble que vous ne vous êtes

pas gênée pour vous exprimer librement,depuis que vous êtes entrée dans cettepièce, dit-il. Maintenant, répondez à maquestion.

La jeune femme cherchaitdésespérément un moyen de se sortir deson propre piège.

- À moins que vous ne m'ordonniezde...

- Je vous ai déjà ordonné de me direson nom, lui rappela-t-il.

Elle baissa les yeux.- Je suis désolée, mais je ne peux pas

vous répondre.Ramsey décida de renoncer. Il était

furieux contre lui-même. Il n'avait pas

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pour habitude de s’emporter devant unefemme, si exaspérante soit- elle.

- Est-ce un péché de ne pas vousrépondre, monseigneur?

Son ton contrit fit fondre sa colère.- Non, bien sûr que non.Elle retrouva le sourire.- Je suis bien contente, alors. Je ne

veux pas vous déranger plus longtemps,monseigneur. Permettez-moi de meretirer, à présent.

Elle s'apprêta de nouveau à tournerles talons, mais Ramsey la retint.

- Il faut que je vous parle d'autrechose, dit-il.

- Oui?Elle attendit patiemment, mais

Ramsey peinait à trouver ses mots.Comment lui faire comprendre, sans lablesser, que sa mère la chassait de chezelle?

Brodick vint à son secours.- Michael... murmura-t-il.Interloqué, Ramsey regarda son

ami.

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- Michael ?Brodick hocha la tête.- Tout à l'heure, tu me disais que tu

souhaitais demander à Bridgid de t'aiderà t'occuper de lui. Tu t'en souviens ?

Ramsey saisit aussitôt la perche.- Oui, c'est ça ! Maintenant, je m'en

souviens.Il poursuivit à l'adresse de la jeune

femme :- Michael est chez les Maitland,

pour l'instant...- Oui, monseigneur. Vous m'avez

déjà dit qu'il passait quelques jours avecson ami.

- C'est exact, acquiesça Ramsey, quise faisait l'impression d'être un idiot.Mais quand il rentrera...

Il s'interrompit. Les mots luiéchappaient soudain.

- Oui? fit Bridgid.Ramsey se tourna vers Brodick et

implora son aide du regard.- Michael n'est encore qu'un enfant,

expliqua celui-ci. Et Ramsey n'a pas

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beaucoup de temps à lui consacrer. Parailleurs, il est convaincu que Michael abesoin d'une présence féminine.

- Voilà, c'est ça, confirma Ramsey,soulagé.

- Je serai ravie de m'occuper deMichael, répondit la jeune femme, qui nesemblait pas avoir deviné que les deuxhommes venaient d'inventer ce scénariodevant elle.

- Eh bien, c'est entendu.- Qu'est-ce qui est entendu ?

Qu'attendez-vous exactement de moi ?- Vous allez vous installer ici, au

château, répondit Ramsey. Il y a deschambres vides, à l'étage. Choisissezcelle qui vous convient et déménagezvos affaires le plus tôt possible. Il vousfaudra quitter votre maison, bien sûr,mais j'espère que votre mère accepteravotre départ, ajouta-t-il, très fier de sibien s'en sortir.

- Vous voulez que je vive sous votretoit, monseigneur? Ce ne serait pasconvenable. Les gens pourraient parler.

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- Dans ce cas, vous n'aurez qu'àloger dans le quartier des domestiques.

La jeune femme le dévisageaquelques secondes sans rien dire, puiselle hocha la tête. La tristesse queRamsey lut dans son regard lebouleversa, et il réalisa qu'elle avait toutcompris. Mais elle redressa bien vite lesépaules et se ressaisit.

- Je serai ravie de m'occuper deMichael, répéta-t-elle. Mais nedevrais-je pas attendre qu'il soit rentréavant de déménager?

- Non. Je veux que vous vousinstalliez ici le plus tôt possible.

- Dans ce cas, avec votrepermission, je vais de ce pas préparermes affaires.

Cette fois, Ramsey l'autorisa àpartir. Arrivée devant la porte, Bridgidse retourna.

- Monseigneur?- Oui?- Ne jugez pas trop sévèrement ma

mère. C'est plus fort qu'elle. Elle désire

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simplement avoir un peu d'intimité avecson nouvel époux. Je comprends que jela gêne. De toute façon, il était grandtemps que je vole de mes propres ailes.

- Vous croyez que c'est pour celaque je vous ai demandé de venir vivreici? Parce que votre mère a besoind'intimité ?

- Évidemment. Pour quelle autreraison, sinon?

Parce que son beau-père la désiraitet que sa mère était jalouse d'elle,répondit Ramsey en lui- même. Mais iln'était pas question qu'il lui avoue lavérité.

- Je vous ai expliqué mes raisons : ilfaut que quelqu'un s'occupe de Michael.C'est tout.

- Vous êtes un homme trèsgénéreux, monseigneur, mais...

- Mais quoi ?Elle sourit.- Vous ne savez pas mentir.

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Rien n'était jamais facile, se répétaitGillian après sa longue entrevue avecOtis et Brisbane. Les deux vieillards nelui avaient fourni que des réponsesévasives. Ils s'étaient montrés aimables,attentionnés même, mais terriblementobstinés. De toute évidence, bienqu'aucun des deux n'ait voulu l'admettre,ils savaient qui était Christen et où ellehabitait. Toutefois, ils ne lui diraient rientant qu'ils n'auraient pas obtenu lapermission de l'intéressée. Ils lui avaientsimplement confirmé que Christen vivaitbien sur les terres des MacPherson.C'était peu, mais cela suffisait à luiredonner espoir.

Gillian était convaincue que sa sœuraccourrait à sa rencontre dès qu'Otis etBrisbane l'auraient avertie de sonarrivée. Aussi les implora-t-ellelonguement de parler à Christen le plusvite possible, en leur expliquant qu'elle

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devait bientôt repartir en Angleterre etque le temps lui était compté.

Après le départ des deux vieillards,la jeune femme continua sa promenade.Au sommet d'une colline, elle s'assit parterre, à l'ombre d'un chêne majestueux.Elle remonta les genoux et ferma lesyeux, goûtant la brise qui lui caressait levisage. Quand elle rouvrit les yeux, elleregarda attentivement autour d'elle. Ledomaine de Ramsey était magnifique etpaisible. Un peu partout, hommes etfemmes vaquaient tranquillement à leursoccupations, tandis que les enfantss'amusaient.

Pendant quelques minutes, Gilliansavoura la paix qui se dégageait de cetableau idyllique. Mais son esprit neresta pas longtemps en repos. Trop dequestions la taraudaient. Sa sœur sesouviendrait-elle d'elle? Et que sediraient-elles, pour commencer?

Une voix de femme la tira soudainde ses pensées. Gillian redressa la tête aumoment où une jeune blonde escaladait

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la colline en courant, l'air courroucé.Gillian crut comprendre rapidement laraison de son irritation : une brute lapoursuivait. Mais elle réalisa bientôt quela brute en question n'était qu'unadolescent maigre et dégingandé.

- Laisse-moi tranquille, Stewart,disait la jeune femme blonde. Si tucontinues à m'embêter, je...

Elle s'interrompit en apercevantGillian. Un sourire radieux illumina sonvisage. Puis, comme si elle avait déjàoublié l'importun qui la pourchassait,elle se précipita vers Gillian. Stewarts'arrêta à quelques mètres d'elles, pourécouter leur conversation.

- Bonjour, madame.- Bonjour, répondit Gillian.- Je m'appelle Bridgid, dit-elle d'un

ton respectueux. Non, ne vous levez pas,ajouta-t-elle. Vous êtes la dame qui vientd'Angleterre, n'est-ce pas ?

- En effet. Mon nom est Gillian.- Je vous ai cherchée partout.

J'espérais que vous pourriez prendre

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quelques minutes pour répondre à mesquestions sur l'Angleterre... Enfin, sicela ne vous dérange pas, bien sûr.

Gillian était à la fois surprise etenchantée.

- Je serai ravie de répondre à vosquestions. Depuis que je suis en Écosse,vous êtes la première personne quimanifeste de l'intérêt pour mon pays.Aimez-vous l'Angleterre ?

- Je l'ignore encore, réponditBridgid en riant. Mais j'ai envie d'ensavoir plus pour me faire une opinion.Les hommes, ici, racontent des histoiresincroyables. Mais il faut admettre qu'ilsont toujours tendance à exagérer.

- Je ne connais pas ces histoires,mais je peux vous jurer qu'elles sontfausses. Les Anglais sont de braves genset je suis fière d'appartenir à leur peuple.

- C'est noble de votre part dedéfendre vos compatriotes.

- J'essaie seulement d'être honnête,corrigea Gillian.

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- L'Angleterre est-elle aussi belleque l'Écosse ?

- Oh, oui ! C'est très différent, maistout aussi joli.

Un autre garçon, au visage couvertde taches de rousseur, avait rejointStewart, et tous deux lorgnaient sansvergogne les deux jeunes femmes.Gillian les trouvait très impolis, maispuisque Bridgid les ignorait, elle décidad'en faire autant.

Bridgid s'assit à côté d'elle et ellesdiscutèrent longuement. À la demandede sa compagne, Gillian évoqua sonpays, son histoire, ses coutumes. Aubout d'un moment, Stewart et son ami,Donald, en eurent assez d'être tenus àl'écart. Ils voulurent s'approcher, pour«voler un baiser» aux deux jeunesfemmes, comme l'expliqua Stewart.Gillian et Bridgid se relevèrent d'unmême mouvement et, à la grandesurprise des deux importuns, leurassenèrent à chacun un solide coup depied dans le tibia qui les fit hurler de

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douleur. Puis les deux jeunes femmesprirent leurs jambes à leur cou pour leurfausser compagnie. Mais, dans leurprécipitation, elles trébuchèrent etdévalèrent la colline en roulant dansl'herbe, avec force éclats de rire.

Gillian se redressa la première. Sarobe était toute tachée de vert.

- Suis-je aussi affreuse que vous?demanda Bridgid.

- Vous avez plus de feuilles que decheveux sur la tête!

- Stop ! supplia Bridgid, quihoquetait de rire. J'ai un point de côté.

Gillian lui tendit la main pour l'aiderà se relever.

- Vous ne vous êtes pas fait mal?S’inquiéta Bridgid.

- Non, mais j'ai perdu ma chaussure.Elles rirent à nouveau. Après

quelques minutes, Bridgid retrouva lesoulier égaré. Tandis que Gillian sebaissait pour le remettre, Bridgid luimurmura :

- Ne vous retournez pas.

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- Pourquoi?- Un Buchanan nous observe.

J'espère qu'il ne nous a pas vues dévalerla colline.

Gillian se redressa et tourna la tête.- C'est Dylan, dit-elle. Venez, je vais

vous le présenter. Il est très gentil.Bridgid secoua la tête.- Un Buchanan ne peut pas être

gentil. Mais vous venez d'Angleterre.Vous ne savez pas...

- Quoi?- Que ce sont des brutes.Gillian sourit.- Des brutes ?- C'est la pure vérité, insista Bridgid.

Du reste, cela s'explique facilement. Ilssuivent l'exemple de leur maître. LordBuchanan est un personnage terrifiant.Et je sais de quoi je parle. Je pourraisvous raconter des histoires qui vousdonneraient la chair de poule. J'airencontré des femmes qui avaient fonduen larmes simplement parce que lord

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Buchanan avait regardé dans leurdirection.

Gillian rit encore.- C'est absurde.- Non, c'est vrai, répliqua Bridgid.

J'étais au château, tout à l'heure, parceque lord Ramsey m'avait convoquée, etlord Buchanan était là.

- Il vous a fait pleurer?- Non. Je ne suis pas aussi faible que

certaines femmes. Mais je n'ai quandmême pas osé le regarder droit dans lesyeux.

- Je vous assure qu'il n'est pas siterrible que cela.

Bridgid la gratifia d'un regardapitoyé. Elle semblait trouver Gillianbien naïve.

- Mon Dieu, il n'a pas bougé !Chuchota-t-elle, après avoir jeté un coupd'œil vers le guerrier. J'ai l'impressionqu'il nous attend.

Gillian prit la main de Bridgid etl'entraîna à sa suite.

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- Je vous promets que vous aimerezDylan.

- J'en doute fort, marmonna Bridgid.Gillian, écoutez-moi. Puisque nousallons devenir amies, je voudrais vousconseiller de ne pas trop fréquenter lesBuchanan, particulièrement leurseigneur. Il ne vous fera pas de mal, maisil pourrait vous terrifier.

- Je ne me laisse pas facilementimpressionner.

- Ne cherchez pas à comprendre.Suivez mon conseil et ne vous approchezpas de lord Buchanan.

- Ce sera difficile.- Pourquoi?- Parce que nous sommes fiancés.Bridgid serait tombée si Gillian ne

l'avait pas solidement tenue par la main.Quand elle eut retrouvé son équilibre, lajeune femme éclata de rire.

- Un instant, j'ai cru que vous parliezsérieusement, expliqua-t-elle. Tous lesAnglais ont-ils votre sens de l'humour?

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- Je ne plaisantais pas, réponditGillian. Et je vais vous le prouver.

- Comment cela?- Je vais poser la question à Dylan. Il

vous répondra.- Vous êtes folle.- Vous voulez savoir quelque chose

d'encore plus choquant?- Bien sûr.- Je suis amoureuse de Brodick.Bridgid écarquilla les yeux.- Êtes-vous sûre de ne pas le

confondre avec quelqu'un d'autre?Toutes les femmes sont amoureuses delord Sinclair, pas de Brodick.

- J'apprécie beaucoup Ramsey, maisc'est Brodick que j'aime. Et je comptebien l'épouser.

Bridgid s'esclaffa. Elle ne la croyaittoujours pas, songea Gillian. Mais Dylanla convaincrait, lui.

Dylan les attendait, les bras croiséset les jambes bien campées sur le sol. Ilavait l'air furieux et menaçant, surtout

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avec ses sourcils froncés, mais Gilliansavait que ce n'était qu'une façade.

- Dylan, permettez-moi de vousprésenter ma nouvelle amie, Bridgid.Bridgid, ce guerrier impressionnant n'estautre que Dylan. C'est lui qui commandeles guerriers de lord Buchanan.

Bridgid s'inclina respectueusementdevant lui.

- Enchantée de vous connaître,monsieur.

Dylan ne répondit rien. Il secontenta de hocher légèrement la tête enguise de salut.

- Lady Gillian, que vous est-il arrivé? demanda- t-il en désignant sa robetachée.

- Eh bien, c'est en voulant échap...Affolée, Bridgid lui donna un coup

de coude dans les côtes et l'interrompit.- Nous avons glissé sur un talus,

déclara-t-elle.- C'est ça, renchérit Gillian avec

force. Nous avons glissé sur un talus.

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- Dois-je comprendre que vousrefusez de me dire ce qui s'est passé?S’enquit Dylan en esquissant un sourire.

- Exactement.- Mais vous le direz à lord Buchanan

?- Non, je n'en ai pas l'intention.

Dylan, j'aimerais vous demanderquelque chose, ajouta-t-elle.

- Je vous écoute, madame, réponditDylan.

- J'ai expliqué à Bridgid que j'étaisfiancée à Brodick, mais elle ne veut pasme croire. Pourriez- vous lui confirmerque... Pourquoi semblez-vous si surpris?

- Vous pensez que vous êtes fiancéeà...

- Brodick, termina Gillian à saplace, ne comprenant pas pourquoi ilcherchait à cacher son amusement.

- Je savais que c'était une blague,intervint Bridgid. Elle a un sacré sens del'humour, ajouta-t-elle à l'adresse deDylan.

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- Ce n'est pas une blague. Dites-lui,Dylan.

- À ma connaissance, madame, vousn'êtes pas fiancée à lord Buchanan.

- Non?- Non.Gillian était devenue cramoisie.- Je pensais que... Le prêtre était là...

Je l'ai vu nous bénir...Réalisant qu'elle s'était lourdement

méprise, la jeune femme tenta de sauverla face.

- Eh bien, je me suis trompée, voilàtout, reprit- elle. Mais je vous seraisreconnaissante de ne pas en parler à lordBuchanan, Dylan. C'était unmalentendu, et je vous remercie del'avoir dissipé.

- Mais, madame...Elle secoua la main.- Je ne veux plus en discuter.- Comme il vous plaira, madame.Gillian avait conscience de s'être

humiliée lamentablement devant Dylan.

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Affichant un air détaché, elle remit unpeu d'ordre dans sa toilette.

- Lord Buchanan désire vous parler,annonça Dylan, se rappelant soudain samission.

- Où est-il?- Dans la cour du château, avec

Ramsey.- Bridgid et moi avons besoin de

nous changer. Nous ne pouvons pas nousmontrer devant eux dans cet état.

- Brodick déteste attendre, répliquaDylan. Et j'aimerais beaucoup qu'il vousvoie dans cet état, précisa-t-il avec unsourire taquin.

- Très bien. Alors, nous y allons dece pas.

Bridgid garda le silence jusqu'à ceque Dylan se soit éloigné.

- Ne faites pas cette tête, Gillian.Vous devriez être ravie.

- Je me sens tellement idiote ! J'étaisvraiment persuadée que Brodick et moiétions fiancés. En tout cas, il m'ademandé de l'épouser. Je vous le jure.

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Enfin, plus exactement, il a dit qu'ilm'épouserait.

- En tout cas, il n'y a pas de quoi enfaire un drame.

Gillian haussa les épaules.- Je ne sais plus quoi penser. Allons,

venez. Brodick n'est pas très patient.Les deux jeunes femmes reprirent

en silence le chemin du château.- Vous avez l'air tellement déçue !

dit finalement Bridgid.- Je me sens surtout très honteuse.- Comme je vous comprends !

Aujourd'hui, il m'est arrivé quelquechose de pas très agréable, à moi aussi.Figurez-vous que ma mère ne veut plusde moi sous son toit. Et le pire, c'est quelord Sinclair est au courant. Il m'aordonné de déménager mes affaires auchâteau, sous prétexte qu'il avait besoinde quelqu'un pour s'occuper de son petitfrère, Michael. Mais la vérité, c'est quema mère lui a demandé de la débarrasserde moi.

- Mais pourquoi aurait-elle fait cela?

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Bridgid lui exposa tous les détails del'affaire.

Quand elle eut terminé son récit,Gillian avait déjà oublié son embarras.

- Votre mère a eu tort d'agir ainsi,dit-elle.

Les deux jeunes femmescontinuèrent à échanger desconfidences, telles deux amiesd'enfance. Ni l'une ni l'autre n'étaientpressées d'arriver au château.

- Vous voyez, je ne peux pasvraiment en vouloir à ma mère, conclutBridgid. Après tout, puisque je refuse deme marier, elle a le droit de considérerque je suis une fille difficile. Mais je suisfatiguée de parler de moi. Aimez-vousréellement Brodick?

- Oui.- Vous le connaissez depuis

longtemps ?- Non, pas très longtemps.- Tout s'explique! s'exclama

Bridgid. Quand vous le connaîtrezmieux, vous mesurerez votre erreur.

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Gillian secoua la tête.- Je n ai pas choisi de tomber

amoureuse de lui. Mais je l'aime de toutmon cœur et de toute mon âme, j'en suissûre.

Bridgid soupira.- Moi aussi, je suis amoureuse,

avoua-t-elle.Gillian se tourna vers elle.- Ça n'a pas l'air de vous transporter

de joie...- En fait, je me sens stupide. Et je

préférerais ne pas l'aimer.- Pourquoi ?- Parce qu'il ne m'aime pas.- Vous en êtes certaine ?- C'est un homme borné.Gillian éclata de rire.- Mais vous l'aimez quand même.- Hélas, oui.- Qui est-ce ?- Un Sinclair.- Connaît-il vos sentiments à son

égard?- Non.

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- Comptez-vous lui dire que vousl'aimez?

- Je voudrais d'abord qu'il meremarque. J'ai essayé d'attirer sonattention, mais sans succès.

- Je pense que, vous devriez luiparler. Après tout, qu'avez-vous à perdre?

- Ma fierté, ma dignité, mon...- Bref, rien de bien grave. Oubliez

tout cela.- Vous avez sans doute raison. Je

devrais lui parler. Si je continue àattendre, je deviendrai une vieille femmeavant qu'il admette que je suis ce quipeut lui arriver de mieux. Personne nel'aimera comme je l'aime. Je connaistous ses défauts - et ils sont nombreux -mais cela ne m'empêche pas de l'aimer.

- Quand allez-vous le lui avouer?- Je ne le lui avouerai pas.- Mais vous venez juste de

reconnaître...- ... que je devrais lui parler, précisa

Bridgid. Mais je ne le ferai pas. J'ai trop

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peur qu'il ne me repousse. Je ne saismême pas s'il m'apprécie. Il n'arrête pasde répéter que je suis entêtée.

- C'est donc qu'il vous a remarquée.- Oui, mais il me considère comme

un fardeau. Alors, je préfère ne pas luiavouer ce que je ressens pour lui. À quelmoment Brodick vous a-t-il dit qu'ilvous aimait?

Trois guerriers croisèrent leurchemin. Gillian attendit de les avoirdépassés pour répondre à son amie.

- Il ne me l'a pas vraiment dit.D'ailleurs, pour être tout à fait honnête,je ne suis pas certaine qu'il soitamoureux de moi. En revanche, je saisqu'il tient beaucoup à moi.

- Mais vous, vous lui avez dit quevous l'aimiez ?

- Oui.Bridgid était visiblement

impressionnée.- Vous êtes plus courageuse que

moi. J'ai tellement peur d'essuyer unéchec que je n'ose rien tenter.

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- En fait, c'est Brodick qui m'aforcée à lui avouer que je l'aimais.

Bridgid éclata de rire.- Ça ne m'étonne pas ! Les hommes

sont tous si arrogants !- C'est vrai, approuva Gillian. Mais

Brodick est aussi quelqu'un de très droit.Et quand il m'a interrogée, je n'ai pasvoulu lui mentir.

- Puis-je vous poser une questionpersonnelle... très personnelle, même?Vous n'êtes pas obligée d'y répondre, sivous ne le souhaitez pas.

- Que désirez-vous savoir?- Brodick vous a-t-il embrassée ?- Oui.- Et alors ? C'était comment ?Gillian sentit ses joues

s'empourprer.- Merveilleux, murmura-t-elle. Cet

homme a le don de me faire frissonnerrien qu'en me regardant, ajouta-t-elleavec un sourire.

Bridgid poussa un soupir désabusé.

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- On m'a embrassée une fois, et çane m'a pas fait frissonner. Je medemande ce que je ressentirais sil'homme que j'aime m'embrassait.

- Vos jambes se déroberaient sousvous, votre pouls s'emballerait et vousauriez le souffle court. Mais ce ne seraitpas tout.

- Ah?- Vous voudriez que le baiser ne

s'arrête jamais.Les deux jeunes femmes soupirèrent

à l'unisson, puis rirent de bon cœur,s'amusant de leur côté fleur bleue.

- Je n'ai jamais compris pourquoiBrodick et Ramsey étaient si bons amis,reprit Bridgid, pour changer de sujet. Ilssont tellement différents !

- Au contraire, je crois qu'ils ontbeaucoup de points communs.

- Lesquels, grands dieux? Ramseyest généreux, aimable, pondéré...

- Brodick aussi, répondit Gillian. Ilpossède toutes ces qualités, mais il lescache sous des manières... un peu

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brusques. En tout cas, c'est l'homme demes rêves, ajouta-t-elle.

Les deux jeunes femmes venaientde pénétrer dans la cour du château.Elles aperçurent Brodick et Ramsey aumilieu d'un groupe de guerriers.

- Nous ne pouvons quand même pasnous présenter à eux dans cet état, ditGillian, horrifiée.

- C'est trop tard, maintenant,répondit Bridgid.

En effet, Brodick s'avançait à leurrencontre.

- Que vous est-il arrivé, bon sang ?Rugit-il d'une voix terrifiante.

- Bridgid, expliquez-vous, ordonnaRamsey.

- Et si on leur faisait le même coupqu'aux deux gamins de tout à l'heure ?murmura Gillian à son amie.

Bridgid se mordit la lèvre pour nepas éclater de rire.

- Je vous ai posé une question,répéta Brodick. Que vous est-il arrivé ?

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- Qu'est-ce qui vous fait croire qu'ilnous est arrivé quelque chose ? demandaGillian, du ton de la plus parfaiteinnocence.

Compte tenu de leur apparence,Ramsey trouva sa question plutôtcomique. Mais Brodick ne partageait passon amusement. Il vint se planter devantGillian.

- Ta robe est déchirée et sale, tu asde la terre sur le visage et des feuillesplein les cheveux.

Tout en parlant, il lui nettoya, dupouce, le bout du nez et les joues. Gillianleva vers lui un regard si brillant qu'ilsentit sa colère fondre comme neige ausoleil.

- Que t'est-il arrivé ? demanda-t-ild'une voix plus douce.

- Rien, répondit Gillian, qui jugeaplus prudent de passer sous silence leurrencontre avec Stewart et soncompagnon. Avec Bridgid, ma nouvelleamie, nous avons voulu courir et nous

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avons malencontreusement dévalé unepente.

Elle posa une main sur son torse etse dressa sur la pointe des pieds, pour luichuchoter à l'oreille :

- Je me suis bien amusée, mais vousm'avez manqué. Est-ce que je vous aimanqué aussi ?

- J'étais très occupé, répliquaBrodick d'une voix bourrue, pourmasquer le plaisir que lui procurait cettepreuve d'affection.

Il avait appris si jeune à cacher sessentiments sous une carapace de froideindifférence que c'était devenu chez luiune seconde, nature. Gillian, aucontraire, était totalement spontanée.Brodick n'avait qu'à la regarder pourdeviner ses pensées. Elle n'était nicalculatrice ni dissimulatrice. Tout enelle respirait la sincérité.

- Pourriez-vous m'accorder uneminute en privé ? ajouta-t-elle, toujoursà voix basse.

- Pour quoi faire ?

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- Pour vous embrasser jusqu'à ceque vous en frissonniez.

Sur ces mots, elle déposa un baisersur sa joue et se recula.

- Et tu penses réussir à accomplir ceprodige en moins d'une minute ?

- Oui.- Quel prodige ? demanda Ramsey,

qui avait tendu l'oreille.Brodick lui sourit.- Elle veut...- Brodick ! Coupa Gillian,

scandalisée.- Oui?- Ce que je vous ai dit était

strictement privé.Ramsey préféra ne pas insister.- Gillian, tous les Sinclair seront

réunis ici dans deux heures.Gillian avait beaucoup de mal à se

concentrer. La façon dont la regardaitBrodick lui donnait la chair de poule.

- Excusez-moi, Ramsey. Vousdisiez?

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- J'ai ordonné à tout le monde de serassembler ici pour le coucher du soleil,répéta patiemment Ramsey.

- Hommes et femmes?- Oui.- Parfait.- Vous allez peut-être enfin

retrouver votre sœur ! s'exclama Bridgid.- Oui, acquiesça Ramsey en

souriant. Brisbane et Otis vous ont-ils ditquelque chose ?

- Non. Ils m'ont juste confirmé queChristen vivait chez les MacPherson.Maintenant, si vous voulez bien nousexcuser, Bridgid et moi avons besoin denous laver et de nous changer.

- Pas tout de suite, intervint Brodick.Sans rien ajouter, il prit Gillian par

la main et l'entraîna vers le perron. Lajeune femme fut presque obligée decourir pour s'accorder à son allure.

- Que faites-vous ?Pour toute réponse, Brodick ouvrit

la porte du château, poussa Gillian àl'intérieur et referma la porte derrière

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eux, plongeant le hall dans la pénombre.Puis, fermement mais avec uneincroyable douceur, il plaqua la jeunefemme contre le battant.

- C'est ta minute, Gillian. Tiens-tutoujours à gagner ton pari ?

Un moment décontenancée, la jeunefemme oublia finalement sa timidité etnoua les bras autour du cou de soncompagnon, pour l'attirer plus prèsd'elle. Puis elle approcha ses lèvres dessiennes et, délicatement, les obligea às'entrouvrir. Alors, ses dernièresinhibitions envolées, elle l'embrassafougueusement.

Brodick eut l'impression que sesjambes se dérobaient sous lui.

Il ne put cependant demeurer passifbien longtemps. Enlaçant la jeunefemme, il la serra contre lui et lui renditson baiser avec une ferveur égale à lasienne.

Au bout de quelques minutes, ilss'interrompirent pour reprendre leursouffle.

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- Ne me lâchez pas, murmuraGillian, persuadée qu'elle s'effondreraits'il s'écartait.

Ce baiser lui avait ôté toute force,mais elle n'avait qu'une envie :recommencer à l'embrasser le plus vitepossible.

- Je ne te lâcherai jamais,répondit-il.

Brodick la garda serrée contre lui etdéposa dans son cou des petits baisersqui la firent soupirer de plaisir.

- Tu es une tentatrice, Gillian. Aprèsm'avoir embrassé comme cela, tu nepeux pas espérer en rester là.

- Que voulez-vous dire ?Seigneur, qu'elle était innocente !- Je t'expliquerai ce soir, lui

promit-il.Il s'écarta enfin d'elle et lui rappela

qu'elle devait rejoindre Bridgid pour sebaigner dans le lac.

Gillian s'apprêta à ouvrir la porte,mais il la retint.

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- Dylan m'a raconté qu'ils vousavaient aperçues, toutes les deux, auxprises avec deux guerriers Sinclair quivous importunaient.

Gillian décida de nier en bloc.- Il aura mal vu. Il n'y avait

personne. Mais si un guerrier cherchait àm'importuner, je m'en débarrasserais trèsbien toute seule.

- Non. Tu viendrais m'avertir, etc'est moi qui t'en débarrasserais.

- Que lui feriez-vous ?- Je le tuerais, répondit-il sans la

moindre hésitation.Son regard prouvait qu'il parlait

sérieusement.- Vous ne pouvez quand même pas

tuer...Brodick ne la laissa pas finir sa

phrase.- Tu m'appartiens, dit-il, et aucun

autre homme n’a le droit de te toucher.Mais assez parlé de ça. J’ai quelquechose à te dire.

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Gillian attendit qu'il poursuive, maisil resta muet.

- Brodick?- En Écosse, lorsque nous voulons

quelque chose, nous le prenons,déclara-t-il.

- Ce n'est pas forcément bien.- Peu importe de savoir si c'est bien

ou pas. C'est comme ça, voilà tout.- Mais si, c'est important! Vous ne

pouvez quand même pas prendrequelque chose qui ne vous appartient passans offenser l'Église !

- Ne discute pas avec moi.- Je ne discute pas, je constate des

faits.Brodick posa ses mains sur les

épaules de la jeune femme.- Écoute ce que j'ai à te dire,

chérie.Surprise par son brusque

changement de ton, Gillian capitula.- D'accord, murmura-t-elle. Je vous

écoute.

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- Tu m'as avoué que tu m'aimais. Tul'as bien dit, n'est-ce pas? Tu ne peux pasrenier tes paroles.

Émue, Gillian s'empressa de lerassurer.

- Je n'ai aucune intention de reniermes paroles. Je vous aime.

Il se détendit.- Ce soir...- Oui?- Je... Enfin, nous... Oh, zut!- Brodick ! Que vous arrive-t-il ? Ça

ne va pas ?- Non, ça ne va pas, et c'est ta faute.Gillian le repoussa brutalement.- Je commence à me lasser de votre

mauvaise humeur. J'ai plus important àfaire que de vous écouter bafouiller undiscours incompréhensible.

Sur ces mots, elle ouvrit la porte etsortit dans la cour.

Brodick renonça à insister pour lemoment. Gillian n'était pas idiote. Ellefinirait bien par comprendre... au moinsce soir, quand il la déshabillerait pour la

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porter dans son lit. Et si elle necomprenait toujours pas, il luiexpliquerait.

Ramsey pénétra dans le hall. Envoyant Brodick, il devina aussitôt ce quis'était passé.

- Tu ne lui as toujours rien dit,n'est-ce pas ?

- Non. Mais Dieu m'est témoin quej'ai essayé.

- C'est pourtant simple, Brodick.- C'est très compliqué, au contraire.- Je ne vois pas ce qu'il y a de

compliqué à dire : « Au fait, Gillian, tues mariée. »

- Je te répète que j'ai essayé, bonsang ! Si tu crois vraiment que c'estfacile, va lui dire à ma place.

Ramsey éclata de rire.- En fait, tu es terrifié à l'idée de lui

annoncer la nouvelle.- Pas du tout.- Bien sûr que si. Parce que tu

redoutes sa réaction.

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Brodick ne chercha pas pluslongtemps à donner le change.

- C'est vrai, j'ai peur. Elle risque depaniquer et de vouloir s'enfuir. Jen'aurais jamais dû la prendre au piège.

- Sans compter que tu as aussi dupéun prêtre.

- Oui, enfin... je m'inquiètedavantage pour Gillian. J'ai vraiment eutort de lui tendre un piège.

- Et pourtant, je parie que tu seraisprêt à le refaire.

Brodick haussa les épaules, ce quiconstituait un aveu suffisant.

- Je ne peux plus imaginer de vivresans elle. Et si tu te moques de moi, je tepromets que je t'envoie mon poing dansla figure. ; Ramsey lui donna une tapesur l'épaule.

- Ne t'inquiète pas, va. Gillianpaniquera sans doute quand elleapprendra que vous êtes mariés, maiselle ne s'enfuira pas.

- Tu crois ?Ramsey hocha la tête.

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- Je lui parlerai pendant le dîner,ajouta Brodick, qui avait tout à coupretrouvé son assurance.

Sur cette déclaration, il ouvrit laporte avec une telle force qu'elle manquasortir de ses gonds.

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22

Gillian ne tenait pas en place, tandisqu'elle s'habillait pour être présentée auclan des Sinclair. Dire qu'elle allaitpeut-être revoir sa sœur, après tantd'années !

Elle avait choisi une robe jaunetoute simple, agrémentée d'un galon debroderie à l'ourlet et aux manches. Uneservante l'aida ensuite à draper,pardessus, le plaid des Buchanan, qu'elleretint avec une ceinture en cuir ouvragé.

Une fois sa toilette terminée, Gilliancongédia la servante. Elle désirait resterseule quelques minutes, afin de répéterune dernière fois le petit discours qu'elleavait préparé pour fêter ses retrouvaillesavec sa sœur.

Bridgid arriva sur ces entrefaites. Enentrant dans la chambre, elle poussa uncri d'admiration.

- Gillian, tu es superbe ! sexclama-t-elle, adoptant spontanément

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le tutoiement. Cette robe te vamerveilleusement bien.

- Merci, mais je me trouve presqueterne, à côté de toi.

Bridgid éclata de rire.- On a l'air de deux gamines qui

s'apprêtent à assister à leur premier bal etse félicitent mutuellement.

- Mais je suis sincère, Bridgid. Tu esradieuse. Ce sera bien le diable sil'homme que tu aimes ne s'en aperçoitpas ce soir.

Bridgid fit la moue.- Je parie qu'il regardera à travers

moi sans même me voir, commed'habitude.

Elle soupira.- Bah, tant pis ! Es-tu prête à

descendre ?Gillian prit une profonde

inspiration.- Oui. Mais je ne te cache pas que je

suis très angoissée à l'idée de revoir masœur.

- Penses-tu la retrouver ce soir?

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- Je le sens. Et j'ai longuementrépété ce que j'allais lui dire. Je voudraisque nos retrouvailles soient parfaites etqu'elle m'aime tout de suite... Mais tudois me trouver idiote de m'inquiéter.Après tout, c'est ma sœur. Elle m'aimeraforcément.

- Viens, dit Bridgid. Il ne faut pasfaire attendre lord Sinclair. Brodick estavec lui, ainsi qu'Otis et Brisbane. Je tepréviens, ils n'ont pas l'air de très bonnehumeur. Quelque chose les tracasse,mais je n'ai pas réussi à savoir de quoi ils'agissait. Un problème avec lesMacPherson, sans doute. Proster, l'un deleurs guerriers, cherche constamment àprovoquer les Sinclair. Anthony etFoster ne cessent de se plaindre de lui.

- Qui sont Anthony et Foster?demanda Gillian.

Tout en parlant, elle se pinça lesjoues pour leur donner un peu decouleur, puis suivit Bridgid dans lecouloir.

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- Les deux meilleurs amis de Jason,qui est lui- même...

- ... le bras droit de lord Sinclair. Jel'ai aperçu tout à l'heure, mais de loin.

- Tu en vois rarement un sans voirles deux autres. Ils sont inséparables.

Au moment où elles atteignaient lebas de l'escalier, un guerrier entra dans lehall.

- C'est Anthony, murmura Bridgid.Je vous présenterai plus tard, sinon lordSinclair va s'impatienter.

Dans la grande salle, Brodick etRamsey, debout, discutaient à voixbasse, tandis qu'Otis et Brisbane, assis àla table, arboraient une mined'enterrement. Comme les deux jeunesfemmes pénétraient dans la pièce, Otisse leva et fit signe à son compagnon del'imiter.

Gillian s'approcha en souriant.Mais, en voyant que Brodick semblaitfurieux, elle s'alarma brusquement.

- Ta sœur a refusé de te rencontrer,déclara-t-il sans préambule.

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- Et pourquoi aurait-elle refusé ?répliqua Gillian, incrédule.

Brodick se tourna vers Brisbane,pour l'inviter à répondre à sa place. Levieillard, très affecté, expliqua :

- Elle se sent une MacPherson et elleconsidère qu'elle ne doit rien àl'Angleterre.

- Mais sa famille ? protesta Gillian.N'éprouve-t-elle rien pour moi ?

- Sa famille est ici, insista Brisbane.Elle a une mère, un père et...

- Son père et sa mère sont enterrésen Angleterre, rétorqua Gillian.

Les épaules de Brisbane, déjàvoûtées par l'âge, s'affaissèrent encoreun peu plus.

- Et elle a un mari, ajouta-t-il. Elleest... heureuse.

- Heureuse ? Elle est heureuse ?répéta Gillian, hors d'elle.

Elle songeait à son oncle Morgan,dont la vie était en jeu, et se moquaitbien de savoir si Christen était heureuseou non.

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- Essayez de comprendre, ladyGillian, supplia Brisbane.

- Je n'ai pas le temps de comprendre,répondit- elle. Il faut que je parle à masœur le plus tôt possible.

- Vous a-t-elle dit elle-même qu'ellene voulait pas voir Gillian, ou est-ce sonmari qui l'a décidé pour elle ? IntervintBrodick.

La question dérouta Brisbane. Ilréfléchit un moment, avant d'avouer :

- C'est son mari qui a parlé à saplace. Mais Christen était présente. Sielle n'avait pas été d'accord, elle auraitprotesté.

- Lui avez-vous dit que je souhaitaisseulement discuter avec elle ?

- Oui. Mais je pense que ni elle nison mari ne m'ont cru. Souvenez-vous,lady Gillian, des Anglais ont déjà essayéde retrouver sa trace, autrefois. Elle doitcraindre que vous ne la forciez à rentreren Angleterre, ou que vous ne ladénonciez.

Gillian leva les yeux au plafond.

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- Je ne ferais jamais une chosepareille ! s'ex- clama-t-elle, en cherchantdésespérément un moyen de rassurer sasœur.

- Ramsey, dit Brodick, commentcomptes-tu nous aider?

- Je lui donne vingt-quatre heurespour changer d'avis.

- Et si elle refuse ? demandaBrisbane.

- Alors, je la convoquerai auchâteau. Au besoin, je n'hésiterai pas àrecourir à la force. Mais je préférerais deloin qu'elle revienne de son plein gré sursa décision.

- Son mari n'aimera pas ça, objectaBrisbane.

- Je m'en moque, répliqua Ramsey.- C'est un fier MacPherson, précisa

Otis.- C'est un Sinclair, à présent,

corrigea Ramsey. M'a-t-il juréallégeance, oui ou non?

- Comme tous les MacPherson,admit Brisbane.

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- La loyauté de nos guerriers vousest acquise, monseigneur, renchérit Otis.Mais puisque vous abordez ce sujet, jevoudrais vous dire qu'un grand nombred'entre eux nous ont exprimé leuramertume. Vos hommes, en particulierJason, Anthony et Foster, ne cessent deles ridiculiser. Une insurrection finirapar éclater si vous n'intervenez pasrapidement.

Ramsey garda son calme et nerépondit pas tout de suite à ce discoursinattendu, mais Brodick connaissaitassez son ami pour deviner qu'il étaitfurieux.

- Il faudrait peut-être que Ramseydorlote les guerriers MacPherson?lança-t-il.

Otis secoua la tête.- Je suggère simplement qu'on leur

donne une véritable chance de prouverleur valeur.

- Demain, je me chargeraipersonnellement de l'entraînement,décréta Ramsey. Et dès que Jason sera

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rentré, je discuterai de cela avec lui.Êtes-vous satisfait ?

Otis semblait soulagé.- Oui, merci.Brisbane voulut se montrer aussi

accommodant que Ramsey.- Avec votre permission,

monseigneur, je retournerai chez la sœurde lady Gillian demain matin, à lapremière heure, annonça-t-il. Etj'insisterai bien sur le fait que ladyGillian a déclaré qu'elle souhaitaitseulement lui parler, précisa-t-il en setournant vers la jeune femme.

- C'est uniquement ce que je désire,confirma Gillian.

Ramsey ayant approuvé laproposition du vieil homme, Brodickajouta :

- Brisbane, avant de lui parler,assurez-vous que son mari ne soit pasdans les parages. Il pourrait influencer saréponse.

- Pourquoi dites-vous cela?demanda Gillian

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- Parce que c'est ce que je ferais à saplace.

- Pourquoi ? répéta Gillian.- Le mari de ta sœur essaie

probablement de la protéger.Brisbane se frottait pensivement le

menton.- Maintenant que j'y repense, j'ai

l'impression que c'est exactement ce quis'est passé. Il ne l'a pas laissées'exprimer.

Gillian se reprit à espérer. Elles'accrocha à l'idée que c'était le mari deChristen qui refusait qu'elles se voient, etnon sa sœur elle-même. Elle ne pouvaitlui en vouloir, du reste. Comme Brodickl'avait suggéré, il ne cherchait sans doutequ'à protéger sa femme. Mais s'il luipermettait de discuter quelques minutesavec Christen, elle se faisait fort dedissiper ses craintes.

- Il va falloir que tu patientes un peu,lui dit Brodick.

- Je n'ai pas le temps de patienter.

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Il l'embrassa sur le front et luimurmura :

- Cesse de t'inquiéter pour lemoment. Nous en reparlerons demain.Ce soir, nous ne devons penser qu'à nousréjouir.

- Pourquoi ? Que se passe-t-il ?Elle avait levé le visage vers lui, et

Brodick ne put résister à la tentation del'embrasser. Mais ils n'étaient pas seuls,aussi se contenta-t-il d'effleurer seslèvres. Il avait beau savoir que Gillianserait bientôt complètement sienne, ilbouillait d'impatience... une impatiencemêlée d'inquiétude. Il se demandaitvraiment comment elle réagirait endécouvrant qu'ils étaient mariés. Cetteincertitude le rendait fou de nervosité.

Il déglutit péniblement.- Gillian, j'ai quelque chose à te dire.Il s’éclaircit la gorge.- Je voudrais que tu saches que...- Oui?- Eh bien, c'est-à-dire... Tu sais que

tu as de jolis yeux ?

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Gillian ne comprenait pas ce quiarrivait à Brodick. Lui, d'ordinaire simaître de ses émotions, paraissaitincroyablement nerveux.

- Vous voulez me dire quelquechose à propos de ce soir?

- Oui, répondit-il, en essuyant d'unrevers de manche la sueur qui perlait àson front. C'est au sujet de ce soir.

Il lui étreignit la main, avant depoursuivre :

- Il ne faut pas que tu le prennes mal.Ce qui est fait est fait. Tu n'as plus qu'àl'accepter.

- Accepter quoi ? demanda Gillian,qui ne comprenait décidément plus rien.

Il soupira.- Bon sang, ce n'est vraiment pas

facile à dire !- Brodick! Que va-t-il se passer ce

soir?Brisbane et Otis tendaient l'oreille,

mais Ramsey s'empressa de les entraînervers le hall. Brodick et Gillian seretrouvèrent seuls. Cette intimité n'aida

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pourtant pas Brodick, qui décidafinalement d'annoncer la nouvelle àGillian au cours du dîner, comme ill'avait d'abord prévu.

- Je vous ai posé une question, luirappela-t-elle. Que va-t-il se passer cesoir?

- Tu vas me rendre le plus heureuxdes hommes. Sa voix s'était changée enune sorte de murmure si sensuel que lajeune femme frissonna, Et comme il luiavait parlé en la regardant droit dans lesyeux, elle se sentit si troublée qu'ellen'écouta pas vraiment ses paroles.Cependant, puisqu'il semblait attendreune réponse, elle dit :

- Tant mieux.

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23

Pendant plus d'une heure, Gillian setint sur le perron du château, Ramsey etBrodick à côté d'elle, tandis que lesSinclair défilaient, un à un, devant elle.

Comment réussirait-elle àreconnaître le traître, au milieu de tant degens ? Cette tâche, tout à coup, luiparaissait irréalisable.

Le soleil déclinait rapidement. Surles ordres de Ramsey, des guerriersallumèrent les torches fichées dans lesmurailles.

- Quelle raison leur avez-vousdonnée pour justifier ce rassemblement?demanda la jeune femme au maître desSinclair.

- Aucune. Je leur ai ordonné devenir, c'est tout.

Son arrogance la fit sourire, maisBrodick, avec un de ses grognementsdont il avait le secret, lui rappela qu'elledevait se concentrer sur sa mission.

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L'épreuve se poursuivit. L'air avaitfraîchi, et Gillian se rapprocha deBrodick pour profiter de sa chaleur.

Il y eut un moment comique, quandles deux garçons qui avaient essayé deleur voler des baisers, un peu plus tôtdans l'après-midi, se présentèrent à leurtour. En voyant Gillian serrée contreBrodick, ils devinrent livides.

- Bonsoir, Donald, dit-elle.Le jeune guerrier trébucha, et son

compagnon dut le rattraper par le bras.- Tu connais ce garçon? demanda

Brodick.Donald retint son souffle, attendant

la réponse de Gillian. Bridgid, qui setenait au pied du perron, éclata de rire.

- Oui, dit Gillian. Nous avons faitconnaissance cet après-midi.

- Et l'autre?Stewart semblait sur le point de

s'évanouir.- Pareil.

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- Où les as-tu rencontrés ?interrogea Brodick, la voix lourde demenaces.

- Donald et Stewart sont des amis deBridgid, mentit Gillian. C'est elle quinous a présentés.

- Gillian...Elle prit la main de Brodick.- Laissez tomber, murmura-t-elle.Brodick n'insista pas. Le dernier

groupe de guerriers était conduit par unjeune homme qui paraissait vouloirdéfier tout le monde du regard. Sescheveux châtains lui retombaient sur lefront. Il s'inclina rapidement devantRamsey et s'éloigna aussitôt.

Ramsey l'arrêta.- Proster, reviens ici.Le guerrier se raidit, mais s'exécuta.- Oui, monseigneur?- Demain, toi et tes amis vous vous

entraînerez avec moi.L'attitude du guerrier changea du

tout au tout. On eût dit qu'il venait d'êtretouché par la grâce céleste.

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- Tous mes amis ? Nous sommeshuit.

- Tous.- Pourrons-nous nous battre contre

vous, monseigneur?- Bien sûr.- Mais huit contre un, ce n'est pas

très loyal.- Pour toi ou pour vous ?- Le nombre est en notre faveur,

monseigneur.Ramsey se tourna vers Brodick.- Ça t'intéresse ?- Et comment ! répondit Brodick.Ramsey s'adressa de nouveau au

jeune guerrier :- Lord Buchanan se joindra à moi.

Ne t'inquiète pas, Proster. Je veillerai àce qu'il ne tue aucun de tes amis.

Le guerrier s'esclaffa.- J'ai hâte de vous affronter,

monseigneur. Comment souhaitez-vouscombattre ?

- Vous pourrez tous utiliser desarmes, si cela vous chante. Mais lord

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Buchanan et moi nous battrons à mainsnues.

- Mais... monseigneur... si je vousbats, je veux que ce soit à la loyale.

Ramsey lui sourit.- Je t'assure que ce sera à la loyale.

Rendez-vous demain à l'aube.Proster le salua, plus

respectueusement que la première fois,puis s'empressa de s'esquiver avec sescompagnons, sans doute pour mettre aupoint leur plan d'action.

Bridgid, qui avait tout entendu, neput s'empêcher d'intervenir.

- Monseigneur?- Oui, Bridgid?- Proster et ses amis se serviront de

leurs épées. Comment comptez-vousvous défendre à mains nues?

Gillian, elle, ne se faisait pas desouci pour ses compagnons. Elle setourna vers Brodick.

- Ne vous avisez pas de blesser cesgamins.

- Tu ne t'inquiètes pas pour nous ?

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- Je sais bien que Ramsey et vous lesdélesterez de leurs épées, avant mêmequ'ils les aient sorties de leurs fourreaux.J'insiste, Brodick. Ne faites pas de mal àces gamins. Ils ne sont pas réellementméchants. Promettez-le-moi.

Il leva les yeux au ciel.- Quand Ramsey et moi en aurons

fini avec eux, leur arrogance auradisparu. Ça, je peux te le promettre.

Ramsey opina du chef.- Il faut qu'ils apprennent l'humilité.Ils s'interrompirent, car quelques

retardataires arrivaient en courant pourse présenter à leur maître. Ramsey épiaGillian du coin de l'œil, plein d'espoir,mais elle secoua discrètement la tête.

- Je suis désolée, je ne le vois pas,murmura-t-elle d'une voix dépitée.

- En fait, j'avais pensé que vousdésigneriez Proster ou l'un de sescomparses.

- Vous n'avez pas confiance en eux ?- Ils s'opposaient à l'union entre nos

deux clans. Cela dit, je suis content que

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ce ne soit pas eux. Ils sont jeunes, et jen'aurais pas aimé...

Il s'abstint de donner plusd'explication.

- Soupçonnes-tu quelqu'un?Intervint Brodick.

- Non, répondit Ramsey. Mais si cen'est pas un MacPherson, ce pourrait êtreun Hamilton ou un Boswell. Leurs clansont de bonnes raisons de vouloir quenotre union avec les MacPhersonéchoue.

Il était temps de rentrer à l'intérieur.Les deux amis poursuivirent leurdiscussion en se dirigeant vers la tabledressée pour le dîner. Gillian aurait aiméque Bridgid se joigne à eux, mais lajeune femme avait disparu. Elle ne larevit qu'à la fin du repas, lorsque sonamie pénétra dans la salle et lui fit signede la rejoindre.

- J'ai entendu ta conversation avecBrisbane, commença Bridgid enl'entraînant dans un recoin discret. Je

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suis vraiment désolée. Tu dois êtrehorriblement déçue.

- C'est vrai, mais j'ai bon espoir queChristen change d'avis. Le problème,c'est qu'il faut encore attendre.

- Si tu savais où vit ta sœur, queferais-tu ?

Gillian n'hésita pas une seconde.- Je me précipiterais immédiatement

chez elle.- Je peux peut-être t'aider, chuchota

Bridgid. Anthony propose de suivreBrisbane demain matin, quand celui-ciretournera chez ta sœur.

- Ne risque-t-il pas d'avoir desennuis, en me rendant ce service ?

- Il pense que c'est à moi qu'il rendservice, expliqua Bridgid. De toutefaçon, Anthony est libre de sesmouvements. Dès qu'il saura où habite tasœur, je viendrai te le dire. Comme ça, silord Sinclair décide d'attendre encoreavant de la convoquer, tu pourrasprendre les choses en main.

- Pourquoi Ramsey attendrait-il ?

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- Brisbane est le doyen desMacPherson, et lord Ramsey ne voudrapas le froisser. Il répugnera aussi à forcerla main à Christen, pour ne pas se mettresa famille à dos.

- C'est moi, sa famille.Bridgid lui tapota affectueusement

la main.- Je sais, Gillian.- Accepterais-tu de m'accompagner

chez elle ?- Quand?- Demain après-midi.- Va pour demain après-midi.Gillian jeta un coup d'œil en

direction de Brodick, qui était toujoursattablé avec Ramsey.

- Il faudra que je trouve un moyend'échapper aux hommes de Brodick. Ilsme suivent comme mon ombre.

- Si tu leur dis que tu veux tebaigner, ils ne te suivront pas jusqu'aulac, n'est-ce pas ? suggéra Bridgid.

- Non.

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- Alors, tu sais ce qu'il te reste àfaire.

Gillian fit la moue.- Ça m'embête de leur mentir. Ils

sont tellement gentils avec moi...- Mais si nous commençons par

nous diriger vraiment vers le lac, ce nesera qu'un demi-mensonge.

Gillian éclata de rire.- Tu es redoutable !- Que complotez-vous ? leur

demanda Ramsey depuis son siège.- Rien d'important, répondit

Bridgid. Fiona a gentiment proposé decoudre de nouvelles robes pour Gillian,mais elle a besoin de prendre sesmesures. Pourrions-nous nous enoccuper maintenant ? Ce ne sera paslong.

Dès qu'elles se furent esquivées àl'étage, Ramsey demanda à Brodick :

- Quand vas-tu soutirer à Gillian lenom de ces maudits Anglais ? Ians'impatiente. Il veut partir là- bas leurrégler leur compte. Et moi aussi.

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- Cette nuit, promit Brodick.- Les servantes ont préparé un

cottage pour toi et Gillian. Maispeut-être préfères-tu utiliser une deschambres de l'étage ?

- Le cottage sera plus intime.Ramsey approuva son choix, et les

deux amis trinquèrent à la nuit de nocesde Brodick. Quelques minutes après, lepère Laggan arriva, comme il l'avaitpromis. Les domestiques s'empressèrentde lui servir son repas. Pendant qu'ilmangeait, Brodick se leva et se mit àarpenter la salle en attendant Gillian.

Peu à peu, la pièce se remplissait deguerriers invités à faire la fête avec leursmaîtres après la fin du dîner. Au début,les Buchanan se mêlèrent peu auxSinclair. Mais, la bière aidant,l'atmosphère devint rapidement pluscordiale.

Quand Gillian redescendit avecBridgid, elle se crut revenue chez lesMaitland, le soir de son arrivée. La fouleétait largement aussi dense et bruyante.

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Apercevant le père Laggan, elle sedirigea tout droit vers lui et entraînaBridgid à sa suite. Le prêtre leur fit uneplace à ses côtés.

Ramsey donna un coup de coude àBrodick.

- Gillian est avec Laggan.- Et zut!- Tu devrais aller lui parler

maintenant, avant que le prêtre ne metteles pieds dans le plat.

Brodick se fraya un chemin parmi lafoule pour rejoindre la jeune femme,tandis que Ramsey s'installait dans uncoin d'où il pourrait assister à la scène.Pour rien au monde il n'aurait voulumanquer la réaction de Gillian, quandcelle-ci apprendrait qu'elle était mariée àBrodick.

Le prêtre était en train de sermonnerBridgid parce qu'elle n'était pas encoremariée.

- Votre devoir est de vous marier etd'avoir des enfants, lui disait-il. C'est lavolonté de Dieu.

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- Je suis toute disposée à me marier,mon père. Mais, jusqu'ici, aucun de mesprétendants ne m'a assez plu pour quej'accepte de l'épouser.

- Elle est amoureuse, expliquaGillian. Et elle espère que l'hommequ'elle aime lui demandera de l'épouser.

Le prêtre but une gorgée de vin,avant de reprendre :

- Cet homme connaît-il vossentiments ?

- Non, mon père. Il les ignore.Bridgid, qui ne souhaitait pas

poursuivre cette conversation, lança unregard suppliant à Gillian. Celle-cidécida de voler à son secours.

- Mon père, j'ai commis un grosimpair, aujourd'hui.

Le prêtre s'esclaffa.- C'est un peu tard pour vous en

repentir, ma fille.- Pardon ?- Vous m'avez parfaitement

entendu. Je vous ai pourtant demandé sivous étiez consentante et vous m'avez

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répondu... Enfin, non, c'est Brodick qui arépondu à votre place. Mais vous m'avezdit vous- même que vous l'aimiez.

- Ce n'était qu'un malentendu, monpère. Dylan m'a fait comprendre monerreur.

Laggan haussa les sourcils.- De quel malentendu parlez-vous ?- Je me suis conduite comme une

idiote, mon père, commença Gillian surun ton d'excuse. Vous voyez, quandvous nous avez bénis, Brodick et moi,j'en ai déduit que nous étions fiancés. Jel'ai raconté à Bridgid, mais comme ellene voulait pas me croire, j'ai demandé àDylan de le lui confirmer.

Elle s'interrompit. Le prêtresemblait soudain bien nerveux,songea-t-elle, perplexe, tout en ajoutantà voix haute :

- Voilà le malentendu.Le pauvre Laggan avait failli

s'étrangler en entendant le mot « fiancés». Espérant contre toute attente que ses

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oreilles lui avaient joué un tour, ildemanda :

- Vous m'avez bien dit... que vouspensiez être fiancée à lord Buchanan?C'est cela?

Gillian aurait préféré qu'il ne criepas, car il était en train d'attirerl'attention de toute la salle.

- C'est ce que j'ai cru, mon père,répondit-elle à mi-voix. Mais Dylan m'aéclairci les idées.

Le prêtre reposa son verre et joignitles mains.

- Et comment Dylan vous a-t-iléclairci les idées?

Gillian ne comprenait vraiment pasla réaction du prêtre. On eût dit qu'ellevenait de lui confesser un péché mortel.

- Il m'a expliqué que je n'étais pasfiancée.

- Et elle ne l'est pas, n'est-ce pas ?Intervint Bridgid.

- Non, elle n'est pas fiancée,répliqua-t-il.

Puis, dans un murmure, il lâcha :

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- Bonté divine...- Pardon, mon père ?Laggan serra la main de Gillian dans

la sienne et la regarda avec compassion.- Vous n'êtes pas fiancée, ma fille.

Vous êtes mariée.- Comment?- J'ai dit que vous étiez mariée,

répéta-t-il en criant presque. C'est pourcela que je vous ai bénis. Vous avezprononcé vos vœux.

- J'ai prononcé mes vœux ?- Mais oui, mon enfant. Je vous ai

demandé si vous n'agissiez pas sous lacontrainte et vous m'avez répondu quenon. Et puis, il y avait des témoins.

- Des témoins? fit Gillian, hébétée.- Mais oui ! Vous ne vous rappelez

donc pas ? Et lord Buchanan a pris votremain et...

- C'est impossible... murmuraGillian.

- Tout s'est fait dans les règles.Gillian secoua frénétiquement la

tête.

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- Je ne peux pas être mariée. Enfin,je le saurais, si j'étais mariée !

- C'était donc une mascarade!s'exclama le prêtre, soudain hors de lui.Dieu tout-puissant! Lord Buchanan m'adupé, moi, un homme d'Église !

Une servante passait près d'eux avecun plateau chargé de gobelets de vin.Bridgid en attrapa un et le tendit àGillian. Mais, avant que la jeune femmeait eu le temps de le porter à ses lèvres, leprêtre le lui arracha des mains et le vidad'un trait. Comme Gillian en demandaitun autre à la domestique, Brodicks'approcha d'elle, suivi de peu parRamsey.

- Gillian...Elle se tourna vers lui.- Nous nous sommes mariés

aujourd'hui ?- Oui, répondit-il tranquillement, en

lui retirant prudemment le gobelet desmains pour le tendre à Ramsey.

- Sur un cheval ? Je me suis mariéesur un cheval?

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Ramsey donna le gobelet à Bridgid.- Nous devrions fêter ce grand

événement, suggéra-t-il.Il n'osa pas sourire. Gillian semblait

pétrifiée, mais ses prunelles émeraudebrillaient d'une rage telle qu'il ne putréprimer un frisson.

Brodick restait calme, mais le prêtreparaissait au bord de l'hystérie.

- Ce mariage sera annulé,décréta-t-il.

- Il n'en est pas question, répliquaBrodick.

- Ce qui est fait est fait, renchéritRamsey.

Le prêtre le fusilla du regard.- Ce mariage a-t-il déjà été

consommé ?Ramsey écarquilla les yeux.- C'est à moi que vous demandez

cela?Gillian était devenue cramoisie.

Bridgid, pour la réconforter, lui offrit unautre gobelet de vin, mais Brodick s'en

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empara une fois encore et le tendit àRamsey.

- Tu ne boiras pas, dit-il à Gillian. Jeveux que tu aies les idées claires, cettenuit.

Gillian était si furieuse que deslarmes lui voilaient les yeux.

- Comment avez-vous pu ?murmura-t-elle. Puis, criant sansretenue, elle répéta :

- Comment avez-vous pu ?Ramsey avait du mal à réprimer son

amusement. Brodick lui donna un coupde coude dans les côtes.

- Ce n'est pas drôle, bon sang,grommela-t-il.

- Occupe-toi plutôt de calmer tafemme, répliqua son ami.

- Je ne suis pas sa femme ! protestaGillian.

- Écoute, chérie... commençaBrodick, qui n'avait pas la moindre idéede ce qu'il devait dire pour la calmer. Ilfaudra t'y faire, voilà tout.

- Je refuse, déclara-t-elle.

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Elle n'était manifestement pasd'humeur à écouter quoi que ce soit.Quand Brodick voulut la prendre dansses bras, elle recula si vivement qu'ellefaillit renverser le prêtre.

- J'ai posé une question et j'attends laréponse, intervint celui-ci. Ce mariagea-t-il été consommé?

Comme il regardait Bridgid, celle-cicrut qu'elle devait répondre.

- Je l'ignore, mon père.Laggan arracha le gobelet des mains

de Ramsey et le but cul sec. Ramseys'empressa d'en attraper un autre et le luidonna. Le prêtre, qui était trop en colèrepour deviner le manège de son hôte, butsans réfléchir

- De tout mon sacerdoce, je n'avais...C'est une honte... Lord Buchanan estl'unique coupable... bafouilla-t-il en seprenant les bras dans les manches de sarobe. Bonté divine ! Comment cela a-t-ilpu arriver?

- Sur un cheval, Brodick !

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- À mon avis, c'est ce qui l'a le pluschoquée, remarqua Ramsey,pince-sans-rire.

- Tu n'avais qu'à descendre de tamonture, objecta Brodick, qui tentait degarder la tête froide. Si tu voulais temarier les pieds sur terre, il fallait me ledire.

Gillian avait vraiment envie del'étrangler.

- Mais je ne savais pas que j'étais entrain de me marier!

- Gillian, c'est inutile de crier aussifort. Je ne suis pas sourd.

Gillian se rappela soudain qu'ilsn'étaient pas seuls dans la pièce. Lesguerriers de Brodick avaient interrompuleurs libations pour suivre la scène. Lajeune femme sentit que si un seul d'entreeux osait lui sourire, elle fondrait enlarmes.

- Vous saviez ? leur demanda-t-elle.Ils hochèrent la tête.

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- J'étais donc la seule à ne pas être aucourant, dit-elle à Brodick, plus furieuseque jamais. Vous m'avez bernée.

- Pas du tout. Je t'avais prévenue queje comptais t'épouser. Vrai ou faux?

- Oui, mais...- Et tu m'as dit que tu m'aimais. Vrai

ou faux?- J'ai changé d'avis.Il la fusilla du regard. Gillian n'eut

pas le courage de continuer à mentir.- Bon, d'accord, je vous aime

toujours. Vous êtes content, maintenant? Je vous aime, mais je me demandefranchement pourquoi. Vous êtesl'homme le plus borné, le plus arrogantet le plus entêté que je connaisse.

Brodick ne parut pas le moins dumonde impressionné par sa tirade.

- Nous sommes mariés, à présent,Gillian, répondit-il, d'une voix si calmeque la jeune femme eut envie de luiarracher les cheveux.

- Pas pour longtemps, lemenaça-t-elle.

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Cette réponse ne lui plut pas du tout.Devinant qu'il s'apprêtait à l'embrasserpour la forcer à se taire, Gillian reculaprestement.

- Restez où vous êtes, lui dit-elle.Quand vous me touchez, je suisincapable de réfléchir. Et j'ai besoin degarder les idées claires pour décider dece que je dois faire.

Pendant ce temps, Ramseycontinuait à abreuver le prêtre. Mais cedernier, malgré l'alcool qui commençaità lui embrumer l'esprit, considéraittoujours comme de son devoir deprotéger la jeune femme.

- Ce mariage a-t-il été consommé?demanda-t-il une nouvelle fois, haussantla voix sans s'en rendre compte.

Gillian était mortifiée.- Êtes-vous obligé de me demander

cela devant tout le monde ?- Je dois savoir, répondit le prêtre,

qui agitait la main pour s'éventer. Qu'ilfait chaud, ici ! Alors, est-ce consommé,oui ou non?

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- Non, murmura Gillian.- Dans ce cas, je peux encore

annuler cette farce.- Vous n'en ferez rien ! ordonna

Brodick.- Vous avez tendu un piège à cette

pauvre enfant pour lui extorquer sonconsentement, accusa le prêtre.

Mais Brodick n'éprouvaitvisiblement aucun remords. Le prêtre setourna vers Gillian pour la réconforter.

- Tenez-vous éloignée de lui jusqu'àce que j'aie résolu le problème, monenfant. Si vous souhaitez rompre cetteunion, vous ne devez pas le laisser voustoucher. Une fois qu'il... que vousaurez... enfin, vous voyez ce que je veuxdire, il ne sera plus possible d'annulerquoi que ce soit. Vous m'avez biencompris ?

- Oui, mon père.- Parfait. Maintenant, allez dormir

tranquillement. Demain, nousréfléchirons à tête reposée. C'est lapremière fois que je me retrouve dans ce

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genre de situation, et je vous avoue êtretrès choqué. Mais, d'une certainemanière, cela ne m'étonne pas. CesBuchanan sont de vrais sauvages.

Il hocha la tête d'un air entendu ets'exclama :

- Berner un homme d'Église !Attendez que mes supérieursl'apprennent... Ils écriront au pape pourréclamer l'excommunication de cescrapules.

- Oh, mon père, ne faites pas cela !Je ne voudrais pas que les Buchananaient des problèmes avec l'Église.

Brodick n'avait pas perdu une miettedu discours de Laggan, qui l'avaitbeaucoup amusé. Il se tourna versRamsey.

- Où est-ce ?Son ami lui répondit discrètement.De son côté, Gillian s'en prenait

maintenant à Dylan.- Pourquoi ne m'avez-vous rien dit ?- Parce que vous ne me l’avez pas

demandé, lady Buchanan.

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- Je ne suis pas lady Buchanan!s'écria Gillian.

- Vous ne voulez pas appartenir ànotre clan, madame ? Intervint Robert.

- Je ne veux appartenir à personne.- Mais nous, nous aimerions vous

garder parmi nous, madame, protestaStephen. Et vous aimez notre seigneur.Vous l'avez dit.

- C'est vrai, confirma Liam.Gillian sentit sa colère retomber,

sans doute parce que l'affection que luiportaient tous ces hommes était sincère.Oui, elle aimait Brodick. Oui, elledésirait être sa femme. Pour le meilleuret pour le pire, aujourd'hui et pourtoujours.

- Vous feriez mieux de verrouillervotre porte, ce soir, reprit Laggan. Vousme comprenez, mon enfant?

- Gillian?- Oui, Brodick?- J'aimerais m'entretenir en privé

avec toi. Tout de suite.

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Elle n'eut même pas le temps deréfléchir à une réponse. Brodick lui avaitdéjà pris la main pour l'entraîner dehors.

Dès que la porte se fut referméederrière eux, les guerriers poussèrent desvivats. Bridgid était perplexe. Quecélébraient-ils ?

Le père Laggan avait assisté,impuissant, au départ du couple.

- Bonté divine ! A-t-elle biencompris ce que je lui ai dit, au moins ?

Ramsey suggéra de porter un toast.Bridgid crut qu'il avait perdu la tête.

- Monseigneur, je pense que vousdevriez attendre le retour de Brodick etGillian avant de porter un toast.D'ailleurs, à quoi boirions-nous ? Vousavez entendu le père Laggan : demain, àla première heure, il s'occupera de...Pourquoi souriez-vous ?

- Ah, Bridgid, je ne vous savais passi naïve et si innocente, dit Ramsey.

- Je ne suis pas naïve.- Vous attendez bien le retour de

Gillian?

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Comme elle hochait la tête, il éclatade rire.

- Mais vous n'êtes pas naïve ?- Non, je ne le suis pas, insista la

jeune femme.- Alors, vous avez dû comprendre.- Comprendre quoi ?Il rit à nouveau.- Qu'ils ne vont pas revenir.Le prêtre laissa échapper un soupir

anéanti.- Sainte Vierge ! Il l'a kidnappée !

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24

Brodick souleva la jeune femmedans ses bras et l'emporta dans la nuit.Gillian s'agrippa à son cou et attenditpatiemment qu'il lui dise où ill'emmenait. Elle s'était déjà résolue àl'inéluctable. Elle aimait cet homme detout son cœur, et le reste n'avait pasd'importance.

Elle lui caressa la joue pour attirerson attention.

- Brodick ?- Ne t'avise pas de discuter, lui

ordonna-t-il. Tu vas dormir avec moi cesoir et tous les autres soirs pour le restantde tes jours. C'est compris ?

À sa grande surprise, elle neprotesta pas et ne fondit pas en larmes.

Après un silence, elle déclara :- J'ai juste une question à vous

poser.- Laquelle ?- Que vais-je dire à nos enfants ?

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Il s'arrêta brusquement.- Quoi?- Vous m'avez très bien entendue.

Que vais-je dire à nos enfants ? Je refusequ'ils sachent que j'ai épousé leur pèresur un cheval. Mais peut-êtrevoudrez-vous que j'accouche égalementen selle ?

Le regard de Brodick, tout à coup,s'emplit de tendresse.

- Je crois que nous devrions d'abordpenser à faire des enfants, avant de nousinquiéter de ce que nous leur dirons.

Gillian l'embrassa dans le cou.- Ça risque d'être difficile.- Pourquoi ?- J'ai toujours du mal à penser,

quand je suis près de vous.Il rit.- Vous ne ferez pas toujours vos

quatre volontés, Brodick.- Bien sûr que si.- Le mariage oblige à des

compromis.- Pas du tout.

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Elle lui mordilla le lobe de l'oreille.- Rien n'a changé, vous savez. Je

retournerai quand même en Angleterrefinir ce que j'ai commencé.

- Tout a changé, chérie.Se conformant aux indications de

Ramsey, Brodick marcha jusqu'à uncottage isolé et entouré de sapins. Ilouvrit la porte d'un coup de pied, sonépouse toujours dans ses bras, puisreferma la porte avec son talon ets'adossa au battant avec un soupir desatisfaction.

Le cottage était petit, mais mignonet propre. Des bûches crépitaient dansl'âtre, pour accueillir les futursoccupants. Brodick laissa glisser Gillianà terre et alla allumer les deuxchandeliers posés sur la cheminée.

Gillian resta près de la porte. Tout àcoup, elle se sentait nerveuse et trèsintimidée. Son regard était rivé sur legrand lit, qui paraissait occuper toutl'espace. Elle remarqua que sonbaluchon avait été déposé au pied de la

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table de chevet. Elle aurait voulu enretirer sa chemise de nuit, mais ne voyaitpas comment se changer : Brodick n'étaitqu'à quelques mètres d'elle, et il n'y avaitaucun paravent pour lui assurer unminimum d'intimité.

Soudain, elle eut l'impression desuffoquer. Les murs de la piècesemblaient se resserrer autour d'elle. Ellerecula instinctivement contre la porte, samain cherchant la poignée. « Calme-toi», s'ordonna-t-elle, tandis qu'elleessayait de contrôler sa respiration, deplus en plus haletante.

Brodick comprit qu'elle paniquait. Ilrevint vers la jeune femme et détachadoucement sa main de la poignée de laporte.

- Ça ne va pas fort, on dirait, chérie?La légèreté de son ton irrita Gillian.- J'arrive à peine à respirer, dit-elle.

Vous pourriez au moins prendre pitié demoi.

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Cette fois, il rit franchement.Exaspérée par son attitude, Gillian enoublia sa panique.

- Mon angoisse vous amuse ?- Oui. Mais tu m'aimes quand

même, n'est-ce pas?Il l'enlaça, l'attira contre lui et

approcha sa bouche de la sienne. Gillians'était raidie, mais Brodick prit sontemps et, après quelques minutes dedélicate torture, pendant lesquelles il secontenta de promener ses lèvres surcelles de la jeune femme, il la sentit sedétendre.

Il aurait voulu la conquérir avec debelles paroles qui auraient exprimé toutce qu'elle représentait pour lui. Mais ilne savait pas quoi dire, car les motsn'étaient pas son arme habituelle. C'étaitun guerrier - et même un sauvage,comme lavait dit le père Laggan. Pour lapremière fois de sa vie, Brodickregrettait de ne pas connaître le jargonpoétique qui venait si facilement àRamsey.

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Gillian se sentait devenir folle.Pourquoi ne l'embrassait-il pasfranchement? Finalement, n'y tenantplus, elle noua ses bras autour de son couet l'implora de ne plus la tourmenter.Avec un grognement amusé, Brodicks'empara de ses lèvres et l'embrassaavidement. Gillian, enivrée, s'agrippa àson cou pour ne pas s'écrouler sur le sol.Brodick, sans cesser de dévorer sabouche, commença à la déshabiller, maisGillian était si troublée par la magie dece baiser qu'elle ne réalisa ce qu'il faisaitqu'au moment où il s'attaqua à sesdessous.

Elle voulut le repousser et luidemander d'attendre qu'ils soient aumoins sous les draps, mais commeBrodick ne quittait pas ses lèvres, elle futincapable de dire quoi que ce soit. Etquand elle aurait enfin pu parler, il étaittrop tard, elle était déjà toute nue.Brodick avait réussi à la débarrasser deses chaussures et de ses bas sans mêmequ'elle s'en aperçoive.

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Lui aussi s'était déshabillé,comprit-elle en sentant ses seins sepresser contre son torse nu. Et ses mainsdonnaient l'impression d'être partout à lafois, sur sa poitrine, dans son dos, sur seshanches...

Leur baiser était devenu violent,presque sauvage. Quand leurs lèvres seséparèrent enfin, ils étaient tous les deuxhaletants.

- Tu m'embrases, lui murmuraBrodick.

Gillian ne savait pas si c'était bienou mal. D'ailleurs, elle s'en moquait. Ellele prit par la taille et, cette fois, ce fut ellequi l'embrassa, avec toute l'ardeur qu'illui avait communiquée.

Brodick était émerveillé parlapassion que manifestait sa jeune épouse.

- Il faut que nous nous calmions, luichuchota- t-il.

- Pourquoi ?- Parce que je veux que ce moment

soit parfait pour toi.

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- C'est déjà parfait. Conduisez-moijusqu'au lit.

Ses jolies prunelles émeraudebrillaient d'un désir égal au sien, quiremplit Brodick d'une satisfaction toutemasculine. Il la souleva dans ses bras etla porta jusqu'au lit.

En chemin, Gillian l'embrassaencore. Les lèvres toujours scellées auxsiennes, Brodick déposa la jeune femmesur le lit, avant de s'allonger à son tourpour la couvrir de son propre corps. Saglorieuse chevelure s'était répandue surl'oreiller, nimbant son visage d'uneauréole d'ébène. La douceur de sa peaucontre la sienne augmentait encore sondésir et, une fois de plus, Brodick serappela qu'il devait faire preuve depatience. Il lui mordilla le lobe del'oreille, et elle frissonna aussitôt deplaisir.

- Dis-moi ce que tu aimes, luidemanda-t-il.

Avec un soupir, elle répondit :- Toi. C'est toi que j'aime.

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Brodick continua à explorer soncorps. Gillian avait l'impression que desflammèches de plaisir s'allumaientpartout où il laissait courir ses lèvres.Qu'un homme aussi fort puisse se révéleraussi tendre l'émerveillait.

Ses caresses, cependant, devenaientplus insistantes... et plus intimes. Quandil glissa une main entre ses cuisses, ellesursauta et tenta de le repousser. Sansmot dire, Brodick fit taire sesprotestations d'un baiser, sans cesser sescaresses terriblement troublantes.

Elle l'agrippa aux épaules et luirendit son baiser avec frénésie. Elleaurait aimé lui donner autant de plaisirqu'il lui en donnait, mais ne savait pascomment s'y prendre et n'avait pasl'audace de le lui demander.

Brodick avait de plus en plus de malà refréner son désir. Il mourait d'envie deposséder Gillian, mais voulait attendrequ'elle soit totalement prête à le recevoir.

- Dis-moi tout ce qui te plaît,murmura-t-il.

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Il lui caressa un sein, avant d'ajouter:

- Ça, par exemple ?Sur ces mots, il embrassa un

mamelon durci. Gillian sursauta.- Oh, oui, j'aime ça... répondit-elle

dans un souffle.- Ce n'est que le début, lui promit

Brodick.Déjà, ses lèvres descendaient plus

bas, sa langue traçait de petits cerclesautour de son nombril, lui arrachant desgémissements de plaisir.

Jamais, même dans ses rêves lesplus fous, Gillian n'avait imaginé quefaire l'amour ressemblait à ce vertige.Quand Brodick approcha sa langue deson intimité, elle se cambra sous lui etcria son nom en enfonçant ses onglesdans son dos.

Brodick comprit qu'elle était prête àle recevoir. De toute façon, il n'avait plusla force de se retenir. Il lui écartavivement les cuisses et la pénétra,étouffant son cri de douleur dans un

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baiser passionné. Puis il s'immobilisa, levisage enfoui dans le cou de Gillian, letemps qu'elle s'habitue à son intrusion.

Gillian respirait déjà mieux. Ladouleur lui avait coupé le souffle, maiss'était calmée presque instantanément. Àprésent, la jeune femme attendaitconfusément qu'il se passe quelquechose. Cependant, Brodick ne bougeaitplus depuis qu'il s'était introduit en elle,et Gillian commençait à se demander sielle ne lui avait pas déplu d'une manièreou d'une autre.

- Brodick? murmura-t-elle d'unevoix angoissée.

- Chut, chérie. Tout va bien. Nebouge pas et... Ah, tu as bougé !

Gillian avait à peine remué leshanches, mais elle ressentit aussitôt unebrûlure de plaisir. Elle vouluts'immobiliser, mais l'incendie qui s'étaitdéclaré dans son corps réclamait d'êtrealimenté. Elle bougea de nouveau et sonplaisir s'intensifia.

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Comprenant que Gillian l'appelait,Brodick s'enfonça au plus profond d'elleet ne songea plus à se retenir.

Gillian allait d'émerveillement enémerveillement. Instinctivement, ellenoua ses jambes autour de la taille deBrodick pour encore mieux l'accueillir.Ses dernières inhibitions volaient enéclats. Elle criait son nom, s'agrippantdésespérément à lui, comme si elleattendait qu'il éteigne enfin ce brasierqui la consumait.

Son plaisir explosa soudain, avecune violence qui la terrifia. Puis latension retomba lentement, par à-coups,comme des vagues qui refluaient.Brodick, alors, céda à son tour à lajouissance.

Ils restèrent de longues minutes sansbouger. Gillian, encore bouleversée parce qui venait de se passer, étreignaittoujours Brodick, tout en essayant dereprendre son souffle.

Brodick l'embrassa dans le cou.

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- Je savais que tu me donnerais duplaisir, Gillian, mais je ne pensais pasque ce serait à ce point.

- C'est vrai ? Tu es heureux ?Il rit et releva la tête pour la regarder

dans les yeux. Ses prunelles vertesbrillaient encore de passion, et il songeaque ce ne serait peut-être pas unemauvaise idée de lui refaire très vitel'amour.

- Oui, je suis très heureux.Il déposa un petit baiser sur ses

lèvres, puis roula sur le côté et la serradans ses bras, savourant l'idée qu'elleétait désormais sa femme et qu'elle luiappartenait pour toujours.

Gillian se blottit contre lui. Ellecommençait à sombrer dans le sommeilquand elle rouvrit brusquement les yeux,alarmée.

- Brodick, que vais-je dire au pèreLaggan?

Brodick lui résuma, en termes crus,ce qu'ils venaient de faire et l'engagea àle répéter, mot pour mot, au prêtre.

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Gillian lui répondit qu'il n'en étaitpas question et, après avoir longuementtourné le problème dans sa tête, elledécida qu'elle ne dirait rien du tout.

- Je ne veux pas que le prêtre annulele sacrement, décréta-t-elle.

- Eh bien, dis-le-lui.- Non, c'est à toi de le lui expliquer.Brodick bâilla bruyamment.- Bon, d'accord. Mais à une

condition.- Laquelle?- Redis-moi que tu m'aimes.- Je t'aime.Elle s'assoupit un peu plus tard,

après avoir vainement attendu qu'il luiréponde qu'il l'aimait aussi.

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25

Gillian ne dormit pas beaucoupcette nuit-là, n'étant pas habituée à avoirun homme dans son lit - un géant, quiplus est, qui prenait presque toute laplace. Chaque fois qu'elle essayait debouger, elle se cognait contre lui. Ellefinit quand même par trouver lesommeil, une jambe à moitié écraséesous la cuisse de Brodick.

Brodick n'était pas plus à l'aise. Aumoelleux des matelas, il avait toujourspréféré la rudesse de sa terre d'Écosse,avec les étoiles pour ciel de lit. Mais, nevoulant pas abandonner sa femme pourleur nuit de noces, il s'obligea à resterdans le lit. Il s'assoupit par intermittence,et refit l'amour à Gillian en se montrantle plus tendre possible, pour lui faireoublier la douleur de la première fois.

Aimer Brodick se révélaitparticulièrement exténuant. Quand sonmari sortit enfin du lit, Gillian s'aperçut

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qu'elle était beaucoup plus fatiguée quela veille. Le soleil s'était déjà levé.Brodick, qui avait rendez-vous avecRamsey sur le champ d'entraînement,était en retard. Après un petit baiser surle front de sa jeune épouse, il lui remontales couvertures jusqu'au menton et quittale cottage.

L'entraînement se passa bien, maisRamsey impressionna davantage lesMacPherson que Brodick. Celui-ci étaitde trop bonne humeur pour avoir enviede blesser qui que ce soit. Lorsqu'il cassaaccidentellement le nez d'unMacPherson, il s'empressa de le remettreen place avant que l'autre ait eu le tempsde réagir. Puis il lui jura qu'il n'yparaîtrait rien, une fois que l'hémorragieserait stoppée. Ce n'était pas une excuse,mais cela y ressemblait presque, etBrodick commença à se demander si lemariage ne l'avait pas déjàdangereusement amolli.

Cela n'échappa pas à Ramsey,évidemment, qui ne manqua pas de

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taquiner son ami, en ajoutant quelquesremarques perfides sur les ombres quicernaient ses yeux et sur ses bâillementsrépétés. Brodick résista à l'envie de luibriser les os un à un et le laissa dire.

Au début de la séance, Prostervoulut affronter Ramsey à mains nues.C'était courageux de sa part, mais aussiun peu inconscient. Bien que Proster fûtbeaucoup plus agile et plus fort que sescompagnons, il ne pouvait rivaliser avecRamsey. Après que celui-ci l'eut misdeux fois au tapis, Proster se montraitdéjà moins arrogant. Ses camaradessortirent leurs épées, convaincus qu'ellesleur donneraient l'avantage. Seul Prosterrefusa obstinément d'employer unearme.

Brodick et Ramsey eurent tôt fait dedésarmer les jeunes MacPherson etcontinuèrent à leur apprendre l'humilité.Quand les deux lords quittèrent lechamp, il ne restait plus un seulMacPherson debout. Tous gisaient àterre et gémissaient comme des bébés.

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Les deux amis allèrent ensuite au lacpour se laver. Sur le chemin du retour, ilscroisèrent Bridgid. La jeune femmesalua froidement Ramsey, sourit àBrodick et lui souhaita une bonnejournée, avant de poursuivre sa route, latête haute.

- Que lui arrive-t-il? demandaBrodick. Elle semblait fâchée contre toi.

Ramsey pouffa.- Le mot est faible. Je dirais plutôt

qu’elle est furieuse. Mais comme je suisson seigneur, elle me doit le respect, cequi la fait probablement encore plusenrager. Tu as vu le regard noir qu'ellem'a lancé? Toi, par contre, tu as été plusgâté. Quand elle sourit comme ça, on al'impression...

- Oui? fit Brodick.- Non, rien.- Je me trompe, ou tu as envie d'elle

?- Oui, j'ai envie d'elle, avoua

Ramsey. C'est une très belle femme, etnombre de mes guerriers rêvent de

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l'avoir dans leur lit. Mais que Dieuvienne en aide à celui qu'elle choisira,car elle ne lui mènera pas une vie facile.

- Pourquoi t'en veut-elle ?Ramsey soupira.- Je l'ai embarrassée, la pauvre.

Marion, une jeune veuve, avait décidé deme tenir chaud, cette nuit. Elle étaitentrée dans ma chambre et s'étaitdéshabillée en m'attendant. Mais Bridgidl'avait vue se rendre chez moi.S'imaginant sans doute que Marionvoulait me tendre un piège, elle estentrée à son tour dans ma chambre et atrouvé Marion toute nue, juste aumoment où j'arrivais moi-même. S'il teplaît, arrête de rire !

- Excuse-moi, dit Brodick. Ques'est-il passé, ensuite?

- Bridgid était hors d'elle. Une vraiefurie, je te jure ! Elle a carrément jetéMarion hors de mon lit.

- Et?- Et alors, j'ai dormi tout seul.Brodick rit à nouveau.

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- À présent, je comprends pourquoitu es de si mauvaise humeur.

- Il y a de quoi, non ? Bridgidpensait que je la remercierais de m'avoirdébarrassé de Marion, mais elle setrompait.

- Lui as-tu au moins expliqué que tuavais invité Marion à partager ton lit ?

- Oui, mais ça n'a rien changé. Je necomprendrai jamais rien aux femmes.Bridgid paraissait... blessée. Elle esttellement innocente et naïve !

- Ça ne t'empêche pas d'avoir envied'elle.

- Oui. Mais je saurai me retenir. Jen'ai jamais couché avec une vierge et jene veux pas déshonorer Bridgid.

- Dans ce cas, épouse-la.- Ce n'est pas si simple, Brodick.- Les MacPherson font toujours

pression pour que tu épouses une deleurs femmes ?

- Meggan MacPherson, précisaRamsey. Et je n'ai pas dit non. Cetteunion résoudrait bien des problèmes.

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- À quoi ressemble-t-elle?- Oh, c'est une femme admirable !

Belle, intelligente, avec du caractère...Mais elle n'a pas...

- Oui?- Le tempérament de Bridgid.- Quand prendras-tu ta décision?- Bientôt, assura Ramsey. Mais

assez parlé de moi, ajouta-t-il. Passonsaux choses sérieuses. Gillian t'a-t-elledonné le nom des Anglais?

- Non.- Et pourquoi, bon sang ?- J'ai oublié de le lui demander,

avoua piteusement Brodick.Ramsey le dévisagea, incrédule.- Comment as-tu pu oublier?- J'étais occupé.- À quoi? demanda Ramsey sans

réfléchir, avant de réaliser qu'il venait dese montrer aussi naïf que Bridgid.

- À ton avis, à quoi pouvais-je êtreoccupé? répliqua Brodick.

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- À ce que je ne faisais pasmoi-même, répondit Ramsey enesquissant une grimace.

Ils poursuivirent leur chemin ensilence, chacun perdu dans ses pensées.Brodick n'avait jamais eu de mal à seconfier à son ami, mais cette fois, ilhésitait à lui demander conseil.

- Le mariage change un homme,n'est-ce pas ?

- C'est à Ian que tu devrais posercette question, pas à moi. Je n'ai jamaisété marié.

- Mais Ian n'est pas là, et tu en saisplus que moi sur ces sujets.

- Tu veux parler des affaires decœur?

- Oui.- Tu n'es marié que depuis

vingt-quatre heures, observa Ramsey.Qu'est-ce qui t'inquiète ?

- Je ne m'inquiète pas.- Si. Ça se voit. Dis-le-moi.- Eh bien, je me sens...

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- Tu te sens comment? demandaRamsey, irrité par les tergiversations deson ami.

- Heureux.Ramsey éclata de rire. Brodick se

rembrunit.- Oublie ce que j'ai dit. Je ne suis pas

habitué à parler de...- C'est moi qui ai eu tort de rire,

coupa Ramsey. Excuse-moi. À présent,raconte-moi ce qui t'arrive.

- Je te l'ai dit. Je me sens heureux.Joyeux. Enjoué...

- C'est inhabituel, en effet.- Après seulement un jour de

mariage, j'ai l'impression d'avoir déjàchangé. J'avais envie de Gillian, mais jene me serais pas douté qu'elle merendrait aussi possessif.

- Tu étais déjà possessif avec elleavant de l'épouser.

- Oui, peut-être. Mais c'est piremaintenant.

- Elle est devenue ta femme. C'estsans doute une réaction naturelle.

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- Non. C'est plus que cela. Je veuxl'emmener chez moi et la...

Ramsey l'interrompit.- Pas encore. Elle doit m'aider à

trouver la crapule qui a failli enleverMichael.

- Je sais. Mais dès que je pourrai laramener chez moi, je rêve de l'y gardersous clé, avoua Brodick, qui s'étonnait lepremier de nourrir de telles pensées.

- Au moins, comme ça, elle sera ensécurité, plaisanta Ramsey. Prends gardeà ne pas devenir trop jaloux.

- Je ne suis pas jaloux.- Non, à peine ! Chaque fois qu'un

homme regarde Gillian, on lit des enviesde meurtre dans tes yeux. Mon vieux, tues fou amoureux d'elle, tout simplement.

- Un homme amoureux est unhomme faible.

- Uniquement s'il était déjà faibleavant de tomber amoureux. Ian aimeJudith. Oserais-tu dire qu'il est faible?

- Bien sûr que non.

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- Donc, cela prouve bien quel'amour n'enlève rien à un homme.

- Mais ça le rend plus vulnérable.- Peut-être, admit Ramsey.

D'ailleurs, je te sens très vulnérable, toutà coup.

- Je me demande ce qui me retientde te casser le nez.

- Obtiens d'abord les noms desAnglais. Mais sois diplomate. Lesfemmes détestent que leur mari leurordonne quelque chose.

- Je connais Gillian, réponditBrodick en se rengorgeant. Elle ne peutrien me refuser. J'aurai les noms ce soir,avant le coucher du soleil.

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26

Ce soir-là, Brodick fut très surprisque sa chère et tendre épousequi-ne-pouvait-rien-lui-refuser refuse delui donner les noms des Anglais.

- Comment ça, non?Assise tranquillement, les mains

croisées sur ses genoux, Gillian nesemblait nullement impressionnée parson ton menaçant.

- Tu as oublié de m’embrasser enrentrant. Tu aurais dû.

- Quoi?- Tu as oublié de m embrasser.- Pour l'amour de...Il la souleva de sa chaise, plaqua un

baiser sur ses lèvres et la reposa aussitôtsur son siège.

- Maintenant, tu vas me donner lesnoms de ces satanés Anglais.

- Oui, acquiesça-t-elle. Enfin,peut-être.

- Que veux-tu dire ?

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Au lieu de répondre, elle commençaà se brosser les cheveux. Brodick enprofita pour la contempler. Décidément,sa jeune épouse était ravissante. Elleportait une chemise de nuit bleue, quimettait particulièrement en valeur sescourbes voluptueuses. Ses joues étaientcolorées, ses yeux brillants, et un subtilparfum de rose émanait d'elle. Brodickcoula un regard vers le lit, puis s'obligeaà se reprendre. Ses pensées s'égaraientdangereusement.

Le soleil s'était déjà couché, et iln'avait toujours pas les noms. Maismaintenant, il était résolu à obtenir uneréponse.

- Une bonne épouse doit obéir à sonmari.

- Moi pas.- Nom de nom, Gillian ! Ne

m'énerve pas.- Un bon mari ne doit jamais jurer

devant son épouse.- Moi si.

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Elle ne parut pas apprécier saréplique, car elle posa brutalement sabrosse sur la table, se leva et partits'asseoir sur le lit.

Ramsey avait sans doute raison,songea Brodick. Certaines femmesn'aimaient pas recevoir d'ordres de leurmari, et Gillian appartenait de touteévidence à cette catégorie. La jeunefemme semblait au bord des larmes. Ilréalisa qu'il l'avait brusquée. Sapristi !Le mariage se révélait plus compliquéqu'il ne l'avait imaginé.

- Ne fais pas ça.- Quoi?- Pleurer.- Ce n'était pas mon intention,

répliqua-t-elle, avant de se glisser sousles couvertures.

Brodick souffla la chandelle. Ils'apprêtait à mettre le pare-feu devant lacheminée, quand elle lui demanda derajouter une bûche.

- J'ai froid, expliqua-t-elle.- Je vais te réchauffer.

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Sur ces mots, il vint s'asseoir sur lelit pour ôter ses bottes.

- Regrettes-tu de m'avoir épousée?murmura-t-elle.

Sa question le surprit, puis ilcomprit que Gillian s'inquiétait parcequ'il ne lui avait témoigné aucunetendresse depuis qu'il était rentré.

- C'est un peu tôt pour le dire.Mais la jeune femme n'était pas

d'humeur à plaisanter.- Tu m'en veux ?- Je t'en veux d'être une tête de mule.

Mais je suis heureux de t'avoir épousée.- Pourtant, tu n'as pas l'air très

heureux.- C'est parce que tu me tiens tête.- Et tu n'y es pas habitué, n'est-ce

pas ?Il haussa les épaules.- C'est exact.- Brodick, je ne chercherai jamais à

te contredire en public. Mais quand nousserons seuls, je te dirai toujours ce que jepense ou ce que j'ai sur le cœur.

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Brodick médita un moment saréponse, avant d'acquiescer.

- T'est-il arrivé quelque chose,aujourd'hui ?

- J'ai eu une journée pénible.- Raconte-moi.- Tu as vraiment envie de

m'entendre me plaindre ?demanda-t-elle, étonnée.

Puis, encouragée par son hochementde tête, elle s'assit dans le lit et énumérases problèmes de la journée.

- D'abord, Ramsey m'a abandonnéeune partie de la matinée dans le hall,pour que j'observe tous ses visiteurs.Comme je n'avais toujours pas reconnule traître, il m'a obligée à arpenter sesterres pendant des heures, pour que jecroise d'autres personnes. Il était troppréoccupé par cette question pour sesoucier de parler à Christen. Par ailleurs,Brisbane m'a appris que ma sœur n'avaittoujours pas changé d'avis. Je me suisdéjà montrée trop patiente, Brodick. Jedonne jusqu'à demain midi à Ramsey

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pour qu'il convoque Christen. S'il ne lefait pas, je prendrai moi-même leschoses en main.

Elle inspira profondément, avant depoursuivre :

- Pour finir, je n'ai pas pu voirBridgid avant la fin de l'après-midi. Etelle avait de mauvaises nouvelles.

- C'est-à-dire?- Elle avait demandé à un ami de

suivre Brisbane jusque chez Christen.Mais son ami n'est toujours pas rentré.Bridgid pense qu'il a oublié sa mission.

Brodick se releva et s'étira, faisantjouer ses muscles sous sa chemise, puisil détacha son ceinturon et ôta sesvêtements. La jeune femme perdit le filde ses pensées. Son mari étaitincroyablement beau et viril.

- Tu comptais te rendre chezChristen, quand tu aurais su où ellevivait ?

Gillian se sentit rougir.- En effet, avoua-t-elle.

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- Désormais, Christen fait partie duclan Sinclair, Gillian. Son seigneur estRamsey, pas moi. Tu n'as pas àt'immiscer dans les affaires des Sinclair.Laisse Ramsey s'en occuper. Il t'a promisqu'il la convoquerait.

Après cette petite mise au point,Brodick s'écroula sur le lit. Il ne l'auraitjamais admis, mais il était exténué.

- Je lui donne jusqu'à demain midi,insista Gillian.

- Que t'est-il arrivé d'autre,aujourd'hui ? S’enquit Brodick pourchanger de sujet.

- Je me suis cachée du père Laggan,confessa Gillian.

Elle attendit que Brodick ait fini derire pour demander :

- As-tu eu l'occasion de lui parler?- Oui. Il tenait une sacrée gueule de

bois.- Ramsey l'a enivré délibérément,

n'est-ce pas ?

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- Laggan avait déjà bien commencétout seul, mais c'est vrai que Ramsey l'aaidé.

- C'est un péché. Pourquoi a-t-il faitcela?

- Parce qu'il est mon ami. Il savaitque je voulais t'emmener dans mon lit.

Gillian posa une main sur sonépaule. S'apercevant que ses musclesétaient tendus, elle se mit à lui masser ledos. Brodick poussa un grognement desatisfaction, et la jeune femme s'assit àcalifourchon sur ses hanches pour lemasser plus à son aise.

- C'est agréable, dit-il.Elle-même se sentait déjà plus

détendue, après lui avoir raconté sajournée.

- Qu'as-tu fait, aujourd'hui ?- Je suis allé chez moi.- Mais je croyais que tes terres

étaient loin d'ici?- J'ai galopé. Et je viens juste de

rentrer.- Pourquoi es-tu allé là-bas ?

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- Pour régler quelques problèmes.Soudain, Gillian se souvint qu'elle

avait omis un détail, dans le récit de sajournée.

- Sais-tu ce que Bridgid m'a raconté?

- Non, quoi?- Hier soir, une femme s'est

introduite dans la chambre de Ramsey.Bridgid l'a suivie et elle l'a trouvée dansson lit, déjà déshabillée, prête à... enfin,tu devines.

- Non, je ne vois pas, réponditBrodick pour la taquiner. Explique-moi.

- Elle cherchait à séduire Ramsey,évidemment. Bridgid l'a flanquée à laporte. Mais Ramsey lui a dit ensuite qu'ilavait invité cette femme à partager sonlit. Bridgid était furieuse. S'il al'intention de coucher avec une femmedifférente chaque soir, elle ne restera paslongtemps ici.

- Et où s'installerait-elle?- Nous en avons discuté en nous

rendant à la chapelle. Nous voulions

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allumer un cierge pour le père de Jasonet un autre pour l'âme de Ramsey.Bridgid est convaincue qu'il ira tout droitau purgatoire.

Le contact des cuisses de la jeunefemme contre ses hanches commençait àempêcher Brodick de se concentrer.

- Pourquoi désirais-tu allumer uncierge pour le père de Jason? Tu ne leconnais pas.

- Parce que le pauvre homme a faitune rechute. C'est pour cela que Jasonn'est pas encore rentré.

- Tu as bon cœur, tu sais.- Allumerais-tu un cierge pour moi,

si j'étais mourante ?- Ne parle pas de choses pareilles,

répliqua Brodick. D'abord, je ne telaisserais pas mourir, ajouta- t-il avecvéhémence.

Gillian se pencha pour lui embrasserl'épaule.

- J'ai proposé à Bridgid de venirvivre chez les Buchanan. Elle n'a pasvoulu me donner de réponse tout de

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suite, mais j'ai bien vu qu'elle étaithorrifiée à cette idée. C'est bizarre, non?

- Non. Ce serait un grand choc, pourelle. Ramsey traite ses sujets comme desenfants. Moi, pas. Notre vie est plusrude.

- Je n'aurai pas ce choc, puisque jeserai avec toi. Peu importe où je vis etcomment je vis, du moment que tu es àmes côtés.

Brodick fut ému par la force et lasincérité de son amour.

- Maintenant que je suis marié, ilfaudra que je change certaines choses,dit-il.

- Lesquelles ?- J'imagine que tu aimerais avoir une

maison, non?- Tu n'as donc pas de maison ?- Non.- Où dors-tu, alors ? s'exclama

Gillian.- À la belle étoile.- Mais quand il pleut ?- Eh bien, je suis mouillé.

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Gillian avait encore du mal à croirequ'il parlait sérieusement.

- Et tes sujets ? Ils dorment aussi à labelle étoile ?

- Quelques-uns, oui. Mais tous leshommes mariés vivent dans descottages, avec leurs épouses.

- Alors, pourquoi pas leur seigneur?- Je n'ai jamais eu besoin d'un toit.- Je refuse de dormir dehors,

Brodick. Je veux une maison.- Comme celle de Ramsey?- Non, ce n'est pas la peine. Un petit

cottage comme celui-ci me suffirait.Elle avait arrêté de le masser pour

suivre, du doigt, la ligne d'une cicatricequi lui barrait l'épaule droite.

- Comment t'es-tu fait ça ?- Je ne me rappelle plus. C'est vieux.- Tu as dû souffrir, en tout cas.Elle embrassa la cicatrice, puis

s'étendit de tout son long sur Brodick etposa sa tête sur son épaule.

- Tu me tues, Gillian,marmonna-t-il.

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- Je suis trop lourde pour toi ?- Ce n'est pas ce que je voulais dire.

Si tu continues comme ça, je ne pourraipas m'empêcher de te faire l'amour.

Il y eut un silence, puis Gilliandemanda d'une voix hésitante :

- Brodick ?- Oui, chérie ?- Tu crois que nous... Enfin, est-ce

que je...Elle prit une profonde inspiration et

rassembla son courage,- Est-ce que je pourrais te faire

l'amour, cette fois?- Oui, mais ça marchera mieux si tu

me laisses me retourner.Il roula sur le dos, l'enlaça et

l'embrassa passionnément, tout enl'aidant à se débarrasser de sa chemise denuit.

- Tu es si belle, murmura-t-il, avantde l'embrasser à nouveau.

Mais Gillian en voulait plus. Alors,Brodick la pénétra sans plus attendre. Iléprouva un tel plaisir qu'il ferma les

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yeux et émit un gémissement de purravissement.

- Ô mon Dieu...Puis il commença à bouger les

hanches, avec une lenteur savante, pourpermettre à la jeune femme de sentir lajouissance monter par vaguessuccessives. Enfin, lorsqu'ellecommença à crier son nom, il cessa de secontrôler et s'enfonça en elle jusqu'à ceque leur plaisir culmine en même temps.

Ils restèrent ensuite de longuesminutes dans les bras l'un de l'autre,pantelants.

- Tu m'as épuisé, murmura Brodicken roulant sur le côté.

Il attira Gillian contre son torse, dosà lui.

- Je n'aurais jamais imaginé quej'aimerais autant cela, avoua-t-elle.

- Moi, si. Je l'ai su dès notre premierbaiser. Je me doutais que tu cachais untempérament passionné.

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- C'est parce que je t'aime. Je nepense pas que je me montrerais aussi...libre avec un autre homme.

- Il n'est pas question que tu enfasses l'expérience. Aucun autre hommene te touchera.

- De toute façon, je ne veux pasd'autre homme. Il n'y a que toi quej'aime.

Brodick lui embrassa le poignet.- C'est encore douloureux ?

demanda-t-il en touchant sa cicatrice.- Non. Mais ce n'est pas très beau à

voir, protesta-t-elle en tentant de retirersa main.

Brodick lui embrassa l'oreille.- Rien ne me déplaît, chez toi.Sur ces mots, il entreprit

d'embrasser chaque centimètre de sacicatrice. Quand il arriva à son coude,Gillian frissonnait de plaisir.

- As-tu confiance en moi ? luidemanda-t-il soudain.

- Oui.

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- Alors, donne-moi les noms desAnglais.

Elle tourna la tête pour le regarderdroit dans les yeux.

- Promets-moi d'abord quelquechose.

- Quoi?Elle se redressa pour s'asseoir dans

le lit et ramena les couvertures sur elle.- Tu sais que je dois retourner en

Angleterre. Tu le savais avant dem'épouser, du reste.

Brodick fronça les sourcils.- Oui.- Je ne te donnerai les noms que si tu

me promets que ni toi, ni Ramsey, ni Ianne chercherez à vous venger avant quej'aie pu sauver mon oncle. Tu es unhomme d'honneur, Brodick. Jure-le-moi.

- Gillian, je refuse que tu retourneslà-bas. Je suis sûr que c'est un piège et jene...

- Tu ne peux quand même pas mel'interdire !

Il se redressa à son tour.

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- Si, décréta-t-il d'une voix ferme.- Mais je dois y aller !- Non.- Brodick, mon oncle est aussi ton

oncle, désormais. Sa sécurité te concerneautant que moi.

- Je le retrouverai pour toi, Gillian.Et je veillerai à ce qu'il ne lui arrive rien.

- Tu ne sais même pas où on leretient prisonnier! C'est à moi de lesauver.

Brodick tenta de la raisonner.- Écoute, Gillian, le baron t'a

ordonné de revenir avec ta sœur et lecoffret d'Arianna. Or tu vas rentrer enAngleterre les mains vides. Comment,dans ces conditions, comptes-tu sauverton oncle?

- Le baron est surtout intéressé parle coffret. J'essaierai de lui faire croireque ma sœur est morte.

- Ça n'empêche pas que tu n'as pasnon plus le coffret et que tu ignores où ilse trouve.

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- J'espère que ma sœur s'ensouviendra.

- Et si elle ne s'en souvient pas ?- Je ne sais pas ! cria-t-elle,

exaspérée. Mais je dois retourner là-bas.La vie de mon oncle est en jeu. Tu necomprends donc pas ?

- Je ne peux pas te permettre det'exposer à un tel danger. S'il t'arrivaitquoi que ce soit, je...

Sa voix s'était soudain brisée. Lesimple fait d'imaginer Gillian blessée luiétait insupportable.

- Je n'aimerais pas ça,marmonna-t-il, masquant son émotion.

- Donne-moi ta parole, Brodick.- Non.- Sois raisonnable, insista Gillian.- C'est toi qui n'es pas raisonnable.Gillian décida de changer de

tactique.- Et si tu me protégeais ?Brodick garda le silence.- Si toi, Ramsey et Ian venez avec

moi, je ne courrai plus aucun danger,

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poursuivit Gillian. Et quand j'aurai sauvémon oncle, vous pourrez vous venger dubaron.

Brodick comprit qu'elle nerenoncerait pas. Et il avaitimpérativement besoin des noms.

- D'accord, acquiesça-t-ilfinalement. Tu nous accompagneras.

Sans laisser à Gillian le temps de seréjouir, il précisa :

- À la seule condition que ta sœursache où se trouve le coffret. Il faut quetu aies les moyens de marchander avec lebaron. Et tu dois aussi me jurer d'agirselon mes ordres.

- En échange, tu me prometsd'attendre que mon oncle soit hors dedanger pour vous venger?

- Oui. Je t'en donne ma parole.Gillian était si rassurée qu'elle

l'embrassa avec effusion.- Merci. Oh, merci !Brodick se rembrunit.- S'il t'arrivait quelque chose, je ne

me le pardonnerais jamais, dit-il.

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- Il ne m'arrivera rien, puisque tuseras là pour me protéger.

Brodick regrettait déjà sa promesse.Comment avait-il pu accepter de laisserla jeune femme revoir le baron?

Gillian posa la tête sur son épaule.- Ils sont trois, murmura-t-elle. Les

trois sont des barons et des amis prochesdu roi. Le baron Alford de Lockmiere estle plus puissant. Mon oncle ma racontéque c'était lui qui avait présenté Ariannaà Jean, voilà des années. Ne serait-ce quepour cette raison, le roi le protégeratoujours. Il faudra vous montrer trèsprudents, avant de vous en prendre à lui.

- C'est Alford qui a tué ton père etqui s'est emparé de ton héritage ?

- Oui. On l'a surnommé Alford leRouge, à cause de la couleur de sescheveux et de son tempéramentsanguinaire. C'est lui qui a pactisé avecle traître écossais. Ses deux complicessont Hugh de Barlowe et Edwin de Bald.Ils suivent Alford comme son ombre.

- Où est Alford?

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- Il m'attend à Dunhanshire.- Ton oncle se trouve aussi là-bas ?- À priori, non. Alford prétend qu'il

l'a enfermé dans son propre château,sous bonne garde.

- Il faut que tu te fasses à l'idéequ'Alford a peut-être déjà tué ton oncle.

- Non, répliqua Gillian. Oh, je medoute qu'Alford n'hésiterait pas uneseconde à l'assassiner ! Mais il a besoinque mon oncle reste en vie pour obtenirma coopération. Il sait qu'il ne pourrapas récupérer le coffret si je ne retrouvepas d'abord Morgan en bonne santé.

- Mais ensuite, il vous tuera tous lesdeux.

- Tu seras là pour l'en empêcher.Pendant l'heure qui suivit, Brodick

l'interrogea longuement, lui demandantde décrire en détail le château deDunhanshire et celui de Morgan.

Il était plus de minuit quand il lalaissa enfin en paix. Gillian s'endormitaussitôt, blottie entre ses bras. MaisBrodick resta encore un long moment

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éveillé. Lorsqu'il ferma enfin les yeux,ce fut pour rêver qu'il tuait le monstrequi avait osé frapper la femme qu'ilaimait.

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27

Gillian était furieuse contreRamsey. Il était plus de midi et il n'avaittoujours pas tenu sa promesse de parler àChristen. En fait, il avait carrémentdisparu. Une domestique avait appris àla jeune femme qu'il avait quitté lechâteau de bon matin, avec Brodick et ungroupe de guerriers. Mais la servanteignorait où ils étaient allés et quand ilsreviendraient.

Gillian décida donc de chercherBrisbane pour lui demander de l'aider.Elle s'apprêtait à sortir quand Bridgid fitsoudain irruption dans le hall et seprécipita vers elle.

- Que dirais-tu d'une baignade dansle lac? suggéra-t-elle d'une voix forte, demanière à être entendue des deuxsentinelles qui montaient la garde à côtéde la porte.

- Je n'ai pas envie de...

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- Si, tu en as envie, chuchotaBridgid, en lui désignant les deux gardesdu regard. Joue la comédie avec moi.

- Oh, oui, quelle bonne idée ! s'écriaGillian. Allons nager.

- J'ai pensé à emporter des arcs etdes flèches, ajouta Bridgid, toujours àhaute et intelligible voix. Avec un peu dechance, nous arriverons peut-être à tuerun ou deux lapins.

Gillian glissa un carquois à sonépaule, accepta l'arc que lui tendait sonamie, et elles sortirent du château. Dèsqu'elles eurent atteint un bosquet desapins, Bridgid, très excitée, lui prit lamain.

- Je sais où habite Christen.Anthony n'a pas oublié, finalement.Hier, il a bien suivi Brisbane, comme ill'avait promis. Malheureusement, sur lechemin du retour, il a reçu l'ordre demonter la garde à la limite de nos terreset n'a pas pu rentrer au château avant lanuit. Le pauvre s'est excusé de sonretard. N'est-ce pas charmant?

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- Si, reconnut Gillian. Et tu comptesm'emmener chez Christen tout de suite ?

- Oui. Mais ralentis l'allure, Gillian,sinon les gens vont se douter de quelquechose. Anthony a caché deux chevaux,près du lac. Mais il ne faudra dire àpersonne qu'il nous a aidées.

- Je ne dirai rien, rassure-toi. Je nevoudrais pas lui attirer des ennuis.

- La chance est avec nous. Nous nepouvions pas rêver meilleure occasion.Brodick et Ramsey sont partis régler undifférend à l'autre bout des terres desSinclair.

- Penses-tu que Ramsey sera furieuxd'apprendre que je ne l'ai pas attendupour parler à ma sœur?

- Probablement. Mais il ne s'enplaindra qu'à Brodick.

- Je m'inquiète pour toi. J'ai peur quecette histoire ne te retombe dessus.

- À ta place, je redouterais plutôt lacolère de Brodick.

- Il ne m'en voudra pas. Je lui ai déjàexpliqué que je prendrais les choses en

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main si Ramsey ne tenait pas sapromesse. Et il ne l'a pas tenue.

- Il aura été retardé, objecta Bridgid,pour défendre son seigneur. Ramsey estun homme de parole.

- En tout cas, je ne sais pas ce quej'aurais fait sans ton aide. Mais j'étaisdisposée à frapper à chaque porte,jusqu'à ce que quelqu'un me dise oùvivait Christen.

- Tu n'aurais pas réussi. Ta sœur vitdans un endroit très reculé, à la frontièredes terres MacPherson. Moi-même, je nesuis jamais allée si loin au nord. D'aprèsAnthony, il nous faudra au moins troisheures pour nous y rendre.

Elles trouvèrent sans peine les deuxjuments qu'Anthony avait cachées pourelles.

- La grise est pour toi, décrétaBridgid en montant sur la jumentnoisette.

Gillian attendit un instant, admirantles bêtes et leurs selles ouvragées.

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- Elles sont magnifiques... Anthonyles a empruntées à Ramsey?demanda-t-elle avec appréhension.

- Il ne se rendra même pas comptede leur absence.

- Oui, mais si jamais...- Cesse de t'inquiéter.De toute façon, Gillian était trop

près du but pour faire marche arrière.Elle monta en selle et suivit son amie àtravers le vallon. En partant, ellesaperçurent Proster au loin. Gillian crutqu'il épiait leur départ, mais Bridgid étaitpersuadée qu'il ne les avait même pasremarquées.

C'était une belle journée pourchevaucher. Le soleil brillaitgénéreusement, et aucun nuagen'assombrissait le ciel. Au sommet d'unecolline, Gillian s'arrêta un moment pourcontempler le paysage grandiose quis'étendait à ses pieds. Voilà à quoi devaitressembler le paradis, songea-t-elle,émerveillée.

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Mais, à mesure qu'elles montaientvers le nord, Bridgid devenait de plus enplus nerveuse. Elle ne cessait de regarderderrière elle pour s'assurer qu'on ne lesavait pas suivies.

Gillian commençait à s'angoisser,elle aussi. Elle ne comprenait paspourquoi Christen vivait dans unecontrée aussi reculée, à l’écart des autresMacPherson. Cela n'avait pas de sens :elle aurait été beaucoup plus en sécuritéau milieu d'autres gens.

Bridgid semblait partager sespensées.

- Je n'aime pas ça, dit-elle, alorsqu'elles s'enfonçaient dans la forêt.

Elle tira sur ses rênes pourimmobiliser son cheval et attendit queGillian l'imite.

- Non, je n'aime pas du tout cela,répéta-t-elle.

- Nous avons peut-être pris unmauvais chemin, suggéra Gillian.

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- Je ne crois pas. J'ai bien mémoriséles instructions d'Anthony, et il a été trèsprécis.

- Mais il y a quelque chose quicloche, insista Gillian.

- Ça, je suis d'accord. Cette forêt estbeaucoup trop inquiétante à mon goût.Nous ferions mieux de tourner bride etde rentrer.

- C'est aussi mon avis, acquiesçaGillian. De toute façon, depuis le tempsque nous sommes parties, nous aurionsdéjà dû trouver le cottage de Christen.

- Si nous nous dépêchons, nousserons revenues au château avant lecoucher du soleil. Tu n'es pas trop déçue? Tu avais tellement envie de revoir tasœur...

- Tant pis. Le plus urgent, pourl'instant, c'est de partir d'ici. Cet endroitne me dit vraiment rien qui vaille.

Gillian prit la tête, et les deux amiesrebroussèrent rapidement chemin. Leurinstinct leur dictait de galoper, et toutesdeux convinrent qu'elles avaient eu tort

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de s'aventurer si loin, à peine armées etsans escorte.

Elles sortaient de la forêt ets'apprêtaient à traverser un torrent à guéquand Gillian entendit quelqu'un criersur sa droite. Elle se tourna et aperçut uncavalier qui arrivait dans leur direction,ventre à terre. Gillian reconnut, de loin,le plaid des MacPherson.

Bridgid mit sa main en visière.- C'est Proster! S’écria-t-elle. Il a dû

nous suivre.- Qu'est-ce qu'il fabrique?

S’inquiéta Gillian, en voyant l'Écossaisbander son arc et chercher une flèchedans son carquois, le regard fixé sur unpoint derrière elles.

Soudain, Gillian entendit un bruitderrière elle. Elle se retournait quandune flèche passa à quelques centimètresde sa tête.

D'autres flèches suivirent presqueaussitôt. Les deux jeunes femmeslancèrent leurs montures au galop, puisGillian conseilla à Bridgid de se diriger

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vers Proster, tandis qu'elle-mêmerepartirait du côté de la forêt. Ensemble,lui expliqua-t-elle, elles constitueraientune cible trop visible

Elle avait presque atteint le couvertdes arbres et se croyait déjà hors dedanger lorsqu'une flèche l'atteignit enpleine cuisse. La douleur fut instantanée,et Gillian laissa échapper un cri.Instinctivement, elle voulut retirer laflèche, mais s'aperçut que celle-ci avaittraversé sa cuisse de part en part et s'étaitfichée dans le cuir épais de la selle.Gillian comprit qu'elle était désormaisclouée à sa monture.

Au lieu de paniquer, elle fut soudainsaisie d'une rage aveugle. Au moment oùelle se tournait vers ses assaillants, lavoix de Bridgid déchira l'air. Gillian vitla jument de son amie trébucher sur unrocher, jetant sa cavalière à terre.Bridgid tomba brutalement et ne sereleva pas.

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- Non ! s'écria Gillian, enéperonnant sa monture pour se précipiterau secours de son amie.

Le carquois de Bridgid s'était vidédans sa chute, répandant son contenudans l'herbe. Gillian se rappela alorsqu'elle était armée. Elle prenait uneflèche dans son propre carquois, quandun cavalier surgit tout à coup de la forêtet galopa droit sur elle. Mais Proster, quila rejoignait enfin, lui cria de s'écarter etdécocha une flèche à l'assaillant, qui lareçut en pleine poitrine. L'hommes'écroula aussitôt à terre, se tortillaquelques secondes, puis s'immobilisa.

Un autre cavalier s'élançait déjà versGillian. Proster s'apprêtait à tirer ànouveau lorsqu'il reconnut l'assaillant. Ilhésita une seconde et manqua sa cible.La situation devenait critique.

Fort heureusement, l'assaillant avaitmaintenant reporté son attention surProster. Gillian en profita. Elle bandason arc, visa un court instant et lança saflèche. Elle atteignit l'homme au beau

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milieu du front. Le cavalier tomba de samonture et mourut sur le coup.

Gillian, horrifiée, jeta son arc dansl'herbe et fondit en larmes. Que Dieu luipardonne, mais elle venait de tuer unhomme ! Elle savait qu'elle n'avait pas eule choix, mais cette certitude ne suffisaitpas à la consoler.

Cependant, Gillian s'empressa desécher ses larmes. Ce n'était pas lemoment de s'apitoyer sur elle-même.Bridgid était blessée et avait besoind'elle.

Proster avait déjà mis pied à terrepour examiner la jeune femme, il laretourna délicatement. Bridgid nebougeait toujours pas, et un filet de sangcoulait sur son front.

- Est-elle...- Non, fit Proster. Elle respire

normalement. Je pense qu'elle s'estsimplement assommée en tombant unpeu rudement sur ces cailloux.

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Bridgid revenait déjà à elle. Gillianen éprouva un tel soulagement qu'elle seremit à pleurer.

- Dieu soit loué, tu es vivante ! Tune t'es rien cassé, au moins ?

Encore un peu hébétée, Bridgidmédita longuement la question de sonamie et se tâta partout, avant de répondre:

- Non, je crois que tout va bien.C'est vous qui nous avez sauvées,Proster? ajouta-t-elle à l'adresse duguerrier qui la tenait dans ses bras.

Il sourit.- Ça m'en a tout l'air.- Vous nous avez suivies, n'est-ce

pas ?- Oui, avoua-t-il. J'étais intrigué de

vous voir partir vers le nord. Au boutd'un moment, comme vous ne reveniezpas, j'ai décidé de vous rattraper pourm'assurer qu'il ne vous était rien arrivé.

- Eh bien, vous avez eu une richeidée, le félicita Gillian. Qui étaient ceshommes? Les connaissiez-vous ?

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- Oui. Il s'agit de Durston et Foster,deux Sinclair.

- Foster? s'écria Bridgid. Mais c'estl'un des hommes de confiance deRamsey!

- C'était, rectifia Proster. LadyGillian l'a tué.

- Ils n'étaient que deux? S’inquiétasoudain Bridgid.

- Oui, rassurez-vous.Puis il se tourna vers Gillian.- Ils vous ont tendu une embuscade.

Et c'est après vous qu'ils en avaient, ladyBuchanan.

- Comment pouvez-vous le savoir?demanda Bridgid.

- Leurs flèches étaient toutesdirigées contre elle. Ils voulaient voustuer, madame. Mais si Bridgid avait vuleurs visages, ils l'auraient tuéeégalement. Ils étaient sans douteconvaincus qu'ils n'avaient pas besoind'être plus de deux pour tuer une femme,d'autant que la surprise jouait en leurfaveur.

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- Mais pourquoi auraient-ils voulutuer Gillian ? Insista Bridgid.

- En avez-vous une idée, madame ?- Oui, répondit Gillian sans hésiter.

Mais je ne peux rien vous dire sans lapermission de Brodick et de Ramsey.

- Tout est ma faute, déclara Bridgid.Et je le dirai à Ramsey. Je ne...

- Non, c'est ma faute, coupa Gillian.Je n'aurais pas dû me lancer dans cetteentreprise insensée. À cause de moi,vous avez failli mourir tous les deux,ajouta-t-elle, la voix brisée par ladouleur.

Sa blessure à la cuisse la faisaitatrocement souffrir.

- J'ai besoin d'aide, murmura-t-elle.- Le danger est passé, maintenant,

dit Bridgid, qui s'était relevée. Tu n'asplus à t'inquiéter.

Gillian secoua la tête. Proster vitalors la penne de la flèche qui dépassaitde sa cuisse. Il se précipita vers la jeunefemme pour la lui retirer.

- N'y touchez pas ! s'écria Gillian.

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Proster comprit aussitôt leproblème. Bridgid, remarquant le sangqui coulait le long de la jambe de sonamie, pâlit.

- ô mon Dieu ! Ça doit te faireaffreusement mal.

- C'est supportable quand je nebouge pas. Mais il faut me débarrasserde cette flèche.

Proster releva délicatement sa jupe.Gillian n'osa pas baisser les yeux pourregarder l'état de sa jambe.

- Attention, ça va faire mal,annonça-t-il, en passant les mains entrela selle et la cuisse de Gillian.

Le sang qui coulait de la blessure luipoissait les mains, rendant la manœuvreplus délicate. Le guerrier essaya à troisreprises de retirer la flèche de la selle,sans succès. Il jugea inutile de prolongerla torture de la jeune femme.

- Je n'y arriverai pas tout seul.- Je vais vous aider, proposa

Bridgid.Proster secoua la tête.

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- Il faudrait quelqu'un de plus fort.- Ce n'est sans doute pas si grave

que ça en a l'air, dit Bridgid pour rassurerson amie. La flèche ne semble pas avoiratteint l'os. C'est spectaculaire, mais tudevrais guérir vite.

- Je vais rester ici, décréta Gillian, etvous allez partir chercher de l'aide.Trouvez Brodick. Il saura quoi faire.

- Je refuse de vous abandonner.- Proster, s'il vous plaît...- Moi non plus, je ne partirai pas

sans toi, déclara Bridgid.- Dans ce cas, Proster n'a qu'à

retourner seul au château.- Je ne vous abandonnerai pas,

madame, insista Proster, qui considéraitde son devoir de veiller sur la jeunefemme.

- Mais alors, que pouvons-nousfaire? demanda Bridgid.

- Peut-être qu'en nous y prenantlentement, j'arriverai à rentrer, suggéraGillian.

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- Essayons, approuva Proster.Bridgid, je vais récupérer votre monture.Vous sentez-vous en état de chevaucher?

- Oui, parfaitement.Pendant que Proster tentait de

rattraper la jument noisette, Bridgid serapprocha de son amie.

- J'ai un peu menti, avoua-t-elle. Enfait, j'ai des vertiges. Et ce sera pirequand Ramsey apprendra ce que j'ai fait.

- Tu n'as rien à te reprocher,répliqua Gillian. C'est Anthony qui nousa envoyées sur cette route. Lui seul est àblâmer.

- Anthony n'est pas plus responsableque nous.

- Tu ne vois donc pas ce qui s'estpassé, Bridgid? Ces hommes nousattendaient. Nous sommes tombées dansune embuscade, et c'est Anthony quinous y a conduites.

- Mais pourquoi aurait-il fait ça?Elle soupira et ajouta :- Ouh, j'ai la tête qui tourne !

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- Si tu allais te rafraîchir un peu dansle torrent ?

Bridgid trouva l'idée judicieuse.Elle descendit vers le cours d'eau ets'accroupit sur la rive pour s'asperger levisage. Gillian en profita pour retournervers les deux cadavres, en prenant soind'avancer au pas pour ménager sa jambe.Elle avait déjà rencontré Foster, mais nese souvenait pas d'avoir été présentée àun guerrier du nom de Durston. Ellecontempla brièvement son visage. Cen'était pas le traître.

Entre-temps, Proster était revenuavec la jument de Bridgid et aidait lajeune femme à monter en selle. Gillianles rejoignit.

Proster examina le soleil, àl'horizon, pour estimer l'heure.

- Avec un peu de chance, nousn'aurons pas à aller loin avant qu'on nousretrouve, dit-il.

- Vous pensez qu'ils nous cherchentdéjà?

- Je l'espère.

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Ils chevauchèrent lentement, maisau bout d'un moment, Gillian duts'arrêter. Finalement, elle prit soncourage à deux mains et osa regarder sablessure de plus près. À son grandsoulagement, le spectacle n'était pasaussi horrible qu'elle l'avait imaginé.Bridgid avait raison : la flèche avaittraversé la cuisse sans atteindre l'os. Cen'était qu'un peu de chair déchirée, quicicatriserait vite. Maintenant qu'ellesavait que sa blessure n'était pas trèsgrave, Gillian avait déjà l'impressiond'avoir moins mal. Mais quand elleessaya une nouvelle fois de tirer sur laflèche, la douleur lui fit presque perdreconnaissance.

Bridgid commençait à s'inquiétersérieusement pour son amie.

- Vous pensez vraiment qu'ils nouscherchent, Proster? demanda-t-elle.

- Alan et Ker m'ont vu partir. Je leurai dit que je vous suivais.

Bridgid blêmit et chuchota à l'oreillede Gillian :

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- Ils risquent de le dire à Anthony,qui est leur supérieur, et celui-ci enverrad'autres tueurs...

- Ça m'étonnerait, répondit Gilliansur le même ton. Il ne sait pas que seshommes ont échoué.

Le soleil déclinait rapidement àl'horizon. Les cimes des sapins étaientnoyées dans la brume.

- Personne ne nous trouvera dans cebrouillard, gémit Gillian, paniquée.

- Donc Anthony ne nous trouverapas non plus, dit Bridgid pour larassurer.

Proster, ignorant qu'Anthony étaitresponsable de l'embuscade, se mépritsur le sens de sa remarque.

- Alan et Ker ne diront pas àAnthony que je vous ai suivies.

- Pourquoi ? S’étonna Bridgid. Enl'absence de Jason, il est leur supérieur.

- Certes. Mais ils n'ont pas beaucoupde respect pour lui. Anthony méprise lesMacPherson et il a plusieurs fois humiliéAlan et Ker. Ils ne lui diront rien.

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- Mais quand on s'apercevra de notredisparition, Anthony lancera bien desguerriers à notre recherche?

- Oui. Mais je doute qu'il ait l'idée deles envoyer si loin vers le nord. Pourquoiavez-vous pris cette route, d'ailleurs?Vous vous êtes perdues?

- Non, répondit Gillian.- Oui, répondit Bridgid en même

temps.- En réalité, nous pensions que ma

sœur vivait par ici, avoua Gillian, maisnous nous sommes visiblementtrompées.

Proster devina que la jeune femmeétait au bord des larmes.

- Il ne faut pas désespérer, madame.Alan et Ker parleront à lord Sinclair. Etje suis sûr que votre mari vous cherchedéjà.

- Mais si...Proster lui sourit.- Madame, maintenant que vous êtes

une Buchanan, je suis prêt à parier queBrodick et ses hommes retourneront

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toute la contrée pour vous retrouver. Nevous inquiétez pas. Votre mari arriverabientôt.

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28

Ramsey et Brodick rentraient aumanoir. Ils venaient de mettre pied àterre quand Jason traversa la cour pourse précipiter à leur rencontre. À en jugerpar sa mine, il s'apprêtait à leur annoncerune mauvaise nouvelle.

- Que se passe-t-il? demandaRamsey.

- Lady Buchanan et BridgidKirkConnell ont disparu ! Nous lesavons cherchées partout, mais ellesdemeurent introuvables.

- Comment ça, introuvables ? RugitBrodick.

- Quand les a-t-on vues pour ladernière fois ? interrogea Ramsey.

Jason eut un geste d'impuissance.- Je l'ignore. Quand je suis revenu

de chez mon père, Anthony avait déjàquitté le château avec des guerriers, pourse lancer à leur recherche. J'étais sur lepoint de les rejoindre.

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- Elles n'ont pas pu aller bien loin,dit Ramsey à Brodick. Mais le soleil estpresque couché. Il va falloir se dépêcher,si nous voulons les retrouver avant lanuit noire. Dans quelle directionAnthony est-il parti ?

- Le sud, répondit Jason.Monseigneur, je prends toute laresponsabilité de cette affaire sur moi. Sij'avais été là...

Ramsey l'interrompit.- Ton père avait besoin de toi.

Personne ne les a vues s'en aller?Jason secoua la tête.- C'est incroyable ! s'écria Ramsey.

Elles n'ont quand même pas filé encachette !

- Nous perdons du temps, grommelaBrodick, qui remontait déjà en selle. Jem'occupe de l'ouest, Jason de l'est, et toi,Ramsey, tu files vers le nord.

- C'est inutile de monter au nord; Iln'y a rien, que des forêts et des landessauvages. Bridgid le sait. Il vaut mieuxque j'accompagne Jason.

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Pendant ce temps, à quelquescentaines de mètres de là, deux jeunessoldats MacPherson observaient avecinquiétude le château. Ils virent Ramsey,Jason et une troupe de guerriers partirvers l'est, puis Brodick et ses hommes sediriger vers l'ouest.

- Toi, tu vas le dire à lord Buchanan,murmura Alan.

Ker secoua la tête.- Non, c'est toi. Je n'ai pas envie qu'il

me casse le nez une deuxième fois. Moi,je vais le dire à Ramsey.

Brodick et Robert ouvraient lamarche, Dylan, Liam et Aaron derrièreeux. Ils venaient à peine de quitter lechâteau qu'ils entendirent quelqu'un leshéler. Dylan se retourna et aperçut unjeune guerrier MacPherson qui couraitdans leur direction. Il s'arrêta pourl'attendre, tandis que les autrescontinuaient leur route.

- Pros... Proster... bafouilla Alan;hors d'haleine. Il a suivi les dames. Ellessont parties vers le nord.

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Dylan siffla entre ses doigts.Aussitôt, Brodick et les autres firentdemi-tour et encerclèrent le messager.

- Proster a suivi ma femme ?Le regard de Brodick effrayait

tellement le pauvre Alan que les mots luiéchappaient.

- Proster... a vu votre femme etBridgid Kirk- Connell... qui sedirigeaient vers le nord.

- Y avait-il des guerriers pour lesescorter ?

- Non. Elles étaient seules. C'estpourquoi Proster les a suivies. Il trouvaitcela dangereux et voulait les ramener auchâteau.

- Alors, pourquoi ne l'a-t-il pas fait ?demanda Liam.

- Je l'ignore, avoua Alan. Il a dû sepasser quelque chose.

- Si tu nous as menti, je te prometsqu'il t'en cuira, le menaça Robert.

- Dieu m'est témoin que je vous disla vérité. Je le jure sur la tombe de ma

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défunte mère. Mon ami... Ker... est partiprévenir lord Ramsey.

- Prenons-le avec nous, ordonnaBrodick, qui lançait déjà son cheval augalop en direction du nord.

Il s'efforçait de ne pas paniquer,mais en vain. Pourquoi Gillians'était-elle aventurée dans ces terressauvages sans escorte ? Un malheur étaitarrivé, il en était sûr, sinon Proster seraitdéjà revenu avec les deux jeunesfemmes.

Pour la première fois de sa vie,Brodick se surprit à prier. «Dieutout-puissant, faites que je retrouveGillian saine et sauve, songea-t-il,désespéré. J'ai besoin d'elle. »

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29

Gillian était à bout. Elle n'avait plusla force d'avancer. De toute façon, leurprogression devenait difficile, avec lebrouillard qui ne cessait de s'épaissir.Comme ils approchaient d'un torrent, ilsentendirent un bruit de cavalcade dans lelointain.

Proster dégaina son épée et Bridgidbanda son arc, tandis que Gillian serapprochait de son amie.

- C'est peut-être Alan et Ker,murmura Bridgid, pleine d'espoir.

- Non. Il y a trop de chevaux,répliqua Proster, qui s'était placé devantles deux jeunes femmes pour lesprotéger.

Quelques secondes plus tard,Brodick émergeait du brouillard. Dèsqu'il aperçut sa femme, apparemmentsaine et sauve, il faillit crier de. joie etsauta à terre en ralentissant à peinel'allure de son cheval.

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Ses guerriers le suivaient. Ils mirentégalement pied à terre et firent cercleautour de Proster. Le pauvre garçonsemblait terrifié.

- Lâche ton épée, lui ordonna Dylan.Brodick, lui, s'était précipité vers sa

femme.- Ça va, Gillian ?Il attendait qu’elle lui réponde avant

de lui faire une scène. Commentavait-elle osé s'exposer ainsi au danger?Il était si furieux qu'il comptait bienl'obliger à lui demander pardon de l'avoirrendu fou d'inquiétude.

Gillian était si heureuse de revoirBrodick qu'elle ne remarqua pas sacolère.

- Non, Brodick, ça ne va pas. Maisje suis bien contente que tu sois là.

Proster avait lâché son épée etmettait pied à terre, quand il vit queBrodick s'apprêtait à prendre Gilliandans ses bras pour la faire descendre decheval.

- Ne la touchez pas ! lui cria-t-il.

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Brodick réagit à la vitesse del'éclair. Proster eut à peine le temps deposer son deuxième pied sur le sol qu'uncoup de poing l'envoya à terre.

- Ce blanc-bec a un sacré culot,marmonna Brodick en revenant versGillian.

Dylan attrapa le jeune MacPhersonpar la peau du cou pour le relever.

- Tu te permets de donner des ordresà mon seigneur? Rugit-il.

- Elle est clouée à la selle ! criaProster. Une flèche...

Dylan comprit aussitôt et le relâcha.Au même moment, Brodick aperçut laflèche et s'approcha pour regarder deplus près.

Gillian posa une-main sur sa joue.- Je suis tellement heureuse de te

retrouver, murmura-t-elle.- Moi aussi, dit-il. Maintenant,

laisse-moi voir ce que tu t'es fait.La jeune femme se raidit.

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- Je n'ai rien fait, sinon échapper àune embuscade. Sans Proster, Bridgid etmoi serions mortes, à l'heure qu'il est.

Soudain, tous trois se mirent à parleren même temps pour tenter d'expliquerce qui s'était passé.

- C'étaient des Sinclair, annonçaProster.

- Ils en avaient après Gillian, précisaBridgid.

- Ils t'auraient tuée aussi, renchéritGillian.

- Proster en a tué un.- C'était Durston, ajouta Proster. Et

l'autre assaillant était Foster.Brodick était abasourdi.- Foster a essayé de vous tuer?- Oui, confirma Bridgid. Ils nous

attendaient.- C'était une embuscade, répéta

Gillian.- Et Foster, où est-il ? Il s'est sauvé ?- Non, répondit Proster. Votre

femme l'a tué.Brodick écarquilla les yeux.

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- Je n'avais pas le choix, murmuraGillian.

- Avec une seule flèche,monseigneur, précisa Proster. Elle l'atouché en plein milieu du front.

Brodick avait passé une main sousla cuisse de sa femme pour empoigner laflèche. Mais, comme Gillian grimaçaitde douleur, il retira prestement sa main.

- Proster a déjà tenté de medébarrasser de cette maudite flèche, maisil n'y est pas arrivé.

Brodick prit sa dague et déchira lesjupes de Gillian jusqu'à la taille. Lesguerriers s'étaient rapprochés de leurmaître. Gillian, qui voulait conserver unminimum de décence, s'empressa delaisser retomber son plaid sur sa jambe.

- Ce n'est pas le moment d'êtrepudique, dit Brodick d'un ton sévère.

Elle comprit qu'il était bouleversé.- Ce n'est pas aussi méchant que ça

en a l'air.- Ne me raconte pas d'histoires.

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- Il faudrait peut-être l'endormir,suggéra Robert. On pourrait l'assommer.

Gillian était médusée par saproposition.

- Personne ne m'assommera. Est-cebien clair?

- Mais, madame...- Ça suffit, Robert. Je n'arrive pas à

croire que vous ayez pu suggérer unechose pareille.

- Une petite tape à l'arrière du crânesuffirait, intervint Aaron. Vous nesentiriez presque rien.

- Nous n'aimons pas vous voirsouffrir, madame, précisa Liam.

- Eh bien, fermez les yeux, répliquala jeune femme.

- Comment comptez-vous vous yprendre? demanda Robert à Brodick.

En guise de réponse, Brodickdégaina son épée.

- Dylan, maintiens la flèche biendroite. Liam, attrape les rênes.

Dylan empoigna des deux mainsl'extrémité de la flèche, tandis qu'Aaron

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écartait Bridgid, horrifiée, et que Liamimmobilisait la monture de Gillian.Robert, lui, se précipita de l'autre côté ducheval et pria Gillian de se pencher verslui.

- Avez-vous toujours l'intention dem'assommer? lui demanda-t-elle,soupçonneuse.

- Non, madame. Pas sans votrepermission.

Gillian décida de lui faire confiance.Elle se pencha et posa ses deux mainssur ses épaules. De cette manière, sacuisse droite se souleva un peu de laselle.

- Brodick?- Oui, chérie ?- Ne manque pas ton coup.Sur ces mots, la jeune femme ferma

les yeux.Elle entendit un sifflement déchirer

l'air, puis sentit une petite morsure quandla lame trancha la flèche, et ce fut tout.Quand elle rouvrit les yeux, elle vit quela flèche avait été coupée à ras de la

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selle. Alors, elle comprit ce quil'attendait et frissonna.

Brodick tendait les bras vers elle.- Mets tes mains sur mes épaules, lui

dit-il.- Une minute.- Que se passe-t-il ?- Je ne veux pas retourner chez

Annie Drummond. C'est clair? Je neveux plus jamais y retourner de ma vie.

Brodick haussa les sourcils.- Je croyais que tu aimais son

cottage ?Bridgid s'approcha.- À mon avis, ça irait tout de suite

mieux si tu pleurais, conseilla-t-elle àson amie. Ça te soulagerait.

Brodick regarda sa femme droitdans les yeux et devina les larmes quimontaient dans sa gorge.

- Elle ne pleurera pas, déclara-t-il.Gillian réagit exactement comme il

l'espérait.- C'est à moi de savoir si j'ai envie

d'être courageuse ! Pas à toi !

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Elle ne cria pas. À peine émit-elleun petit gémissement plaintif quandBrodick retira le morceau de flèche de sacuisse. Mais après, la jeune femme nouales bras autour du cou de son mari,enfouit son visage au creux de sonépaule et laissa libre cours à ses larmes.

Brodick n'aurait su dire lequeld'entre eux tremblait le plus. Sans unmot, il porta Gillian jusqu'au bord dutorrent. Bridgid voulut les suivre, pouraider Brodick à nettoyer la blessure deson amie, mais Dylan la retint par lebras.

- C'est terminé, maintenant,chuchota Brodick.

Il serrait très fort Gillian contre lui,comme s'il refusait de la lâcher. La jeunefemme sanglotait toujours, et il luiembrassa le front en lui murmurant desparoles de réconfort.

Finalement, Gillian essuya seslarmes avec l'extrémité de son plaid.

- Tu dois m'en vouloir, n'est-ce pas ?

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- Oui. Mais comme je suismagnanime, j'attendrai que tu sois unpeu rétablie avant de te passer un savon.

- C'est effectivement très généreuxde ta part, plaisanta Gillian, qui avait dumal à le croire.

Elle ne se trompait pas. Brodick netarda pas à exploser.

- Enfin, bon sang, Gillian ! Quellemouche t'a piquée de partir sans... Tuaurais pu te faire tuer!

Il continua à la sermonner pendantqu'il aspergeait sa cuisse d'eau fraîche. Ilse calma un instant, le temps d'admettreque sa blessure n’était pas aussidramatique qu'il l'avait pensé au début.Puis il reprit de plus belle sa diatribe,tandis qu'il déchirait un morceau de sachemise pour en faire un bandage. Sanscesser de parler, il noua le pansementautour de la cuisse de la jeune femmepour stopper l'hémorragie.

- Dès que nous serons à la maison, jete promets d'installer deux gardes devanttoi et deux derrière, conclut Brodick en

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la soulevant dans ses bras pour laramener vers les chevaux. Tu n'aurasplus jamais l'occasion de me donner desfrayeurs pareilles.

Gillian laissa courir ses doigts lelong de sa joue. Cette simple caressesuffit à le calmer. Mais la jeune femmeeut le tort, ensuite, de tenter de sejustifier.

- Je n'ai pas quitté le château dansl'intention délibérée de me faire attaquer.

- Mais tu as quitté le château !C'était déjà une erreur. Et sans escorte.Deuxième erreur.

- Ça ne sert à rien de me crierdessus.

- Si. Ça me libère, avoua Brodick.S'il avait perdu Gillian, il ne s'en

serait pas remis. Mais cette constatationle plongeait dans une colère noire. Il nesupportait pas de se sentir si vulnérable.

Gillian n'osa pas sourire, de craintequ'il ne se vexe et ne devienne encoreplus furieux. Elle lui demanda de lareposer par terre et fit quelques pas pour

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lui prouver qu'elle pouvait déjàremarcher.

- Tu vois ? dit-elle. Tout est bien quifinit bien.

Brodick leva les yeux au ciel.- Je te rappelle qu'en m'épousant, tu

as passé un marché avec moi.- Quel marché ?- Tu m'as épousé pour bénéficier de

ma protection.- Je t'ai épousé parce que je t'aimais.

Si nous avons, comme tu le dis, passé unmarché, pourquoi m'as-tu épousée, toi ?

Il ne répondit rien, mais Gillian nerenonça pas.

- M'as-tu épousée parce que tum'aimais ?

- L'amour affaiblit les hommes. Et jene suis pas un faible.

Ses paroles blessèrent tellementGillian qu'elle baissa les yeux pour nepas lui montrer sa peine.

- Je sais que tu m'as épousée pourpréserver ma réputation. C'est ce que tu

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as dit, du moins. Mais je pensais...j'espérais... que tu tenais à moi.

- Je me sentais une responsabilitéenvers toi, Gillian, voilà tout.

- Mais tu tiens à moi. J'en suis sûre.Il détourna la tête. Il réagissait

comme un animal pris au piège, songeaGillian. Bonté divine, lui était-il donc sidifficile d'avouer ce qu'il avait dans lecœur?

- Alors, pourquoi m'as-tu épousée?répéta-t-elle.

Il refusa une nouvelle fois derépondre.

- Ramsey est arrivé. Je te ramènelà-bas. Tu nous expliqueras en détail cequi s'est passé.

- Je peux marcher. Pars devant. Jevous rejoins dans une minute.

- Tu viens avec moi tout de suite,répliqua-t-il.

Sans tenir compte de sesprotestations, il la souleva dans ses braset retourna près des chevaux.

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Un guerrier avait allumé un feu aumilieu d'un carré d'herbe, et tous lesBuchanan s'étaient assis autour desflammes. Proster, Ker et Alan se tenaientun peu à l'écart, près des guerriersSinclair. Gillian aperçut Bridgid engrande discussion avec Ramsey. À enjuger par sa mine contrite, son amiesubissait les remontrances de sonseigneur.

Brodick installa Gillian sur lacouverture que Dylan avait étalée sur lesol. Mais dès que son mari eut le dostourné, la jeune femme se releva ets'approcha de Bridgid.

- Ramsey, ne blâmez pas Bridgid.Ce n'est pas elle, la coupable.

- Vous voulez dire que Bridgidaurait été contrainte de quitter lechâteau?

À sa voix mielleuse, Gillian compritqu'il était hors de lui.

- Non, je n'ai pas dit ça.- J'assume l'entière responsabilité de

mes actes, déclara Bridgid.

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- S'il y a un responsable, c'estd'abord vous, Ramsey, objecta Gillian.

Comme il semblait stupéfait, elleinsista :

- Oui, vous. Si vous aviez tenu votrepromesse, cet incident aurait pu êtreévité.

- Quelle promesse ?- Vous l’avez oubliée ? Ça n'avait

donc vraiment aucune importance pourvous ?

Brodick arrivait. Décontenancé,Ramsey se tourna vers lui

- Ta femme pense que je suisresponsable de ce qui s'est passé.

- Elle a tort.Gillian croisa les bras et les défia

tous deux du regard.- Je t'avais prévenu, Brodick, que si

Ramsey n'avait pas convoqué Christen àmidi, je prendrais les choses en main.C'est ce que j'ai fait. Et Bridgid a eu lagentillesse de m'aider.

Ramsey comprenait tout, à présent.

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- Je n'ai tout simplement pas eu letemps de parler à votre sœur. Mais votreimpatience a failli vous coûter la vie.

Pour apaiser la colère de sonseigneur, Bridgid essaya de lui faire voirles choses sous un autre angle.

- Sans cette aventure, vous n'auriezjamais su que Foster et Durstonprojetaient de tuer Gillian. Vous devriezpresque nous remercier.

Ramsey serra les poings.- Bridgid, je présume que votre

chute vous a quelque peu dérangél'esprit. Sinon, vous n'oseriez pas vousadresser à moi sur ce ton.

- Ne lui en voulez pas, intervintGillian. Tout est ma faute. Comme vousl'avez dit, j'ai eu tort de me montrerimpatiente.

- C'est moi qui ai eu l'idée de suivreBrisbane, protesta Bridgid.

- Mais non! s'écria Gillian. Tu m'asexpliqué que c'était Anthony qui tel'avait proposé !

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Ramsey était perdu, aussi les deuxamies reprirent-elles le récit de leuraventure depuis le début. Quand elleseurent terminé, Ramsey bouillait derage.

- Malheur à Anthony ! Je tuerai ceporc de mes propres mains.

- Il n'en est pas question, objectaBrodick. Il a voulu assassiner mafemme. C'est à moi de lui régler soncompte.

- Nous nous en chargerons tous lesdeux, concéda Ramsey. Comme ça, ilsouffrira deux fois plus

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30

Il était plus de minuit. Bridgid etGillian étaient si épuisées par leursépreuves de la journée qu’elles peinaientà garder les yeux ouverts. Cependant,assises lune à côté de l'autre au pied d'unsapin, les deux amies tendaient l'oreillepour tenter d'entendre ce que se disaientRamsey et Brodick.

Tous les guerriers s'étaient couchés.Enroulés dans leurs plaids, ils dormaientà côté du torrent. Ramsey et Brodick, enrevanche, étaient restés devant le feu etdiscutaient à voix basse. Ramsey necessait de retourner les braises avec unbâton, comme pour chercher quelquechose qu'il aurait perdu. Brodick fixaitun point invisible, à l'horizon, et opinaitrégulièrement du chef.

- Je ne comprends pas, chuchotaBridgid. Ramsey a l'air de penser qu'il acommis une grave injustice envers lesMacPherson parce qu'il s'imaginait que

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l'un d'eux avait enlevé Alec Maitland.Qu'est-ce que cela signifie ?

- Je t'expliquerai plus tard.Continuons à écouter.

- D'accord.Mais, une minute plus tard, Bridgid

reprit :- Pourquoi dit-il qu'il a eu tort de

garder en place ceux qui commandaientpendant la maladie de son père ?

- Chut!Une autre minute passa, avant que

Bridgid n'intervienne à nouveau :- Maintenant, il dit qu'il ne veut plus

faire traîner les choses et que... Oh !- Quoi ? demanda Gillian, alertée

par l'expression atterrée de son amie.- Tu as entendu ? Il va épouser

Meggan MacPherson, répondit-elled'une voix blanche.

Gillian comprit en un éclair.- Ô mon Dieu, Bridgid ! C'est lui,

n'est-ce pas ? Tu aimes Ramsey ?La jeune femme essuya une larme

qui coulait sur sa joue.

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- Oui, avoua-t-elle. Je l'aime. Etdepuis longtemps.

Gillian lui étreignit la main.- Je suis désolée...Bridgid renifla bruyamment.- Les hommes sont des idiots.- Oui, c'est vrai. Entends-tu ce que

dit Brodick?- Il conseille à Ramsey de réfléchir

encore un peu, avant de s'engager.- Comme s'il avait réfléchi, lui ! Et

maintenant, il est furieux contre moi.- Ça m'en a tout l'air, approuva

Bridgid. Il vient de dire à Ramsey que lemariage était un sacrifice.

Quelques secondes plus tard, ellereprit :

- Mais pourquoi Ramsey lui a-t-ilrépondu que, dans son cas, le sacrifice envalait là peine, puisqu'il avait obtenu lenom des Anglais en échange ? Sais-tu àquoi ils font allusion ?

- Oui, marmonna Gillian, furieuseque Ramsey puisse penser que Brodick

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l'avait épousée pour cette seule raison. Jet'expliquerai plus tard.

- En tout cas, Brodick sembled'accord avec lui.

Gillian ferma les yeux.- Je ne veux pas écouter ces horreurs

plus longtemps.- Qu'est-ce qui ne va pas ? murmura

Bridgid. Tu peux te confier à moi. Je suista meilleure amie, non?

- Tu es ma seule amie. Je n'arrivepas à croire que Brodick m'a épouséeuniquement pour obtenir les noms desAnglais... Non, c'est impossible,ajouta-t-elle. Personne ne se marieraitpour une raison semblable. Ce serait unpéché.

Bridgid réfléchit un instant, avant dedemander :

- Ces Anglais les ont-ils offensés ?- Offensés ? Oh, Bridgid, ils ont fait

bien pire !- Alors, il faut que tu saches quelque

chose. Les hommes des Highlands sontparticulièrement rancuniers. Ils ne

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pardonnent jamais à ceux qui les ontattaqués et n'hésitent pas à recourir àtous les moyens pour se venger.

- Le mariage est un lien sacré, etBrodick n'aurait pas... non, il n'aurait paspu faire une chose pareille. Il a dit çaparce qu'il est encore sous le coup de lacolère.

- T'avait-il demandé les noms de cesAnglais avant de t'épouser?

- Oui.- Mais tu ne les lui avais pas donnés

?- Non. Et après notre mariage, il m'a

juré qu'il ne se vengerait pas tant que jen'aurais pas accompli ma mission. Je nelui ai donné les noms qu'après lui avoirextorqué cette promesse. Je sais qu'ilrespectera sa parole. Il tient à moi. Il estsimplement trop entêté pour l'admettre.

- Bien sûr, qu'il tient à toi.- Brodick arrivera peut-être à

dissuader Ramsey d'épouser MegganMacPherson.

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- Ça m'étonnerait, soupira Bridgid.J'ai l'impression que Ramsey a déjà prissa décision. Il a toujours fait passer lesintérêts de son clan avant les siens. Enl'occurrence, il semble convaincu qu'ilest de son devoir d'accepter ce mariage.Mais je ne pense pas que je pourraisupporter de le voir avec elle. Je vaism'arranger pour partir le plus vitepossible du château.

- Et où iras-tu?Bridgid haussa les épaules.- Je n'en sais rien.- Ta mère acceptera peut-être de te

reprendre ?- Non, répondit-elle sans hésiter.

Elle m'a clairement fait comprendrequ'elle ne voulait plus de moi.Apparemment, personne ne veut de moi,ajouta-t-elle avec amertume.

Peu après, les deux jeunes femmess'allongèrent. Avant de s'endormir,Gillian médita longuement une desremarques de son amie et finit pardécider que Bridgid avait raison.

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Décidément, les hommes étaient desidiots.

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31

Les premiers rayons du soleilperçaient à l'horizon lorsque Brodickréveilla Gillian. Elle s'aperçut qu'elleavait dormi dans ses bras, bien qu'elle nese rappelât pas avoir été déplacéependant la nuit.

- Non, répliqua-t-elle d'une voixensommeillée.

Bridgid, elle, avait été transportéeprès du feu.

Ramsey se pencha sur elle. Elledormait si paisiblement qu'il eut desscrupules à la réveiller. Elle étaitvraiment ravissante, songea-t-il,remarquant pour la première fois lagrâce de ses longs cils soyeux, lafraîcheur de sa peau et la forme parfaitede son visage. Sans même réfléchir à cequ'il faisait, Ramsey se surprit àpromener son pouce sur ses lèvres.

La jeune femme repoussa sa maind'un geste machinal, comme pour écarter

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un moustique, et grommela quelquechose dans son sommeil. Ramsey crutentendre le mot «idiot».

- Ouvrez les yeux, Bridgid. Il esttemps de partir.

- Laissez-moi tranquille,marmonna-t-elle.

Brodick, de son côté, n'avait pasplus de chance avec Gillian. La jeunefemme refusait toujours de se lever.

- On devrait peut-être les balancerdans le torrent, suggéra Ramsey. Ça lesréveillerait.

Bridgid prit la menace au sérieux etse redressa sur les coudes. Elle se sentaitaffreuse, avec ses cheveux en bataille,alors que Ramsey était aussi beau qu'àson habitude. Comment faisait-il pourêtre parfait, même à une heure aussimatinale ?

Brodick aida Gillian à se mettredebout et ne la lâcha pas avant de s'êtreassuré qu'elle pouvait marcher. La jeunefemme boitait légèrement, mais ellesouffrit en silence. Elle savait que

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Brodick profiterait de la moindre plaintepour lui reprocher à nouveau sonimprudence.

- Es-tu toujours furieux contre moi ?- Oui.- Parfait, dit-elle. Parce que je suis

furieuse contre toi, moi aussi.Sur ces mots, elle voulut s'éloigner

vers le torrent, la tête haute, mais sajambe se déroba sous elle. Gillian seserait écroulée si Brodick ne l'avait pasrattrapée par le bras.

- Tu ne peux pas marcher.- Si, je peux, répliqua-t-elle

sèchement. Lâche-moi, il faut que j'ailleme laver.

Brodick la suivit à bonne distance,pour être prêt à intervenir au cas où elletrébucherait. Peu après, Bridgid rejoignitelle aussi le torrent. Brodick putabandonner sa surveillance quand ilconstata que la jeune femme proposaitson aide à son épouse.

Les deux amies prirent leur temps.Gillian défit même son bandage pour

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inspecter sa blessure. Elle fut viterassurée en voyant que la plaie avait déjàcommencé à cicatriser. Quand ellesrevinrent au campement, elles avaienttoutes deux bien meilleur moral, etGillian ne boitait pratiquement plus.

La petite troupe partit aussitôt.Gillian insista pour monter sa jument, etBrodick lui accorda cette faveur àcontrecœur.

Le retour se passa sans encombre.Mais lorsqu'ils arrivèrent en vue duchâteau, Gillian aperçut un guerrier quise faufilait sur le chemin de ronde. Soncœur manqua un battement.

- Brodick ! cria-t-elle enimmobilisant sa monture.

Brodick et Ramsey se retournèrentimmédiatement.

- Qu'y a-t-il? demanda Ramsey.- Pourquoi t'es-tu arrêtée ?

Renchérit Brodick.- Avez-vous vu l'homme sur le

chemin de ronde?

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- Je l'ai vu, répondit Brodick. Il doitse préparer à ouvrir les portes pouraccueillir son maître. C'est Jason. Tu l'asrencontré le jour de ton arrivée. Tu ne tesouviens pas ?

Gillian secoua frénétiquement latête.

- Non, Brodick. Je ne l'ai jamaisrencontré.

- Mais si, insista Ramsey.- Je vous dis que non ! s'écria

Gillian. Mais je l'ai reconnu. C'est lui, letraître.

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L'heure de la confrontation avaitsonné. Dès qu'il eut franchi les muraillesde son château, Ramsey ordonna à sesguerriers de bloquer toutes les issues.Jusqu'à nouvel ordre, plus personne nepourrait entrer ni sortir.

Tous les hommes en âge de porterles armes s'étaient rassemblés dans lacour. Pour la première fois depuis queles MacPherson avaient rejoint lesSinclair, les deux clans faisaient causecommune, sans préjugés ni rivalités. Ilsattendaient patiemment que le combatcommence, prêts à protéger Ramsey s'ille fallait.

Jason attendait, lui aussi. Il se tenaitau centre de la cour, entouré du carré deses fidèles, une dizaine d'hommes, pasplus, tous des Sinclair, qui avaient juréfidélité à celui qu'ils considéraientcomme leur véritable seigneur. Jasonétait confiant. Il espérait ce moment

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depuis longtemps et était impatient d'enfinir. Une fois qu'il aurait tué Ramsey, ilétait convaincu que le clan entier serangerait derrière lui.

Brodick ordonna à Liam et à Aarond'accompagner les deux jeunes femmesà l'intérieur, mais Gillian refusa.

- Nous pouvons nous débrouillertoutes seules, dit-elle aux deux guerriers.Restez ici pour défendre votre maître.

Brodick donna son accord. Gillianvoulut ensuite recommander à son maride ne pas prendre de risques inutiles,mais il s'était déjà concentré sur labataille à venir. Elle jugea plus prudentde ne pas le distraire et préféra s'enremettre à Dieu, le suppliant de garderBrodick et Ramsey en vie. Voyant queBridgid esquissait un signe de croix,Gillian comprit que son amie avait eu lemême réflexe.

Ramsey et Brodick dégainèrent leurépée, puis marchèrent tranquillementvers Jason et ses hommes.

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Jason s'avança lui aussi et se plantafièrement devant Ramsey.

- J'exige le commandement desSinclair, dit-il. Et je vous défie de me lecontester. Je suis le seul à mériter d'êtreleur chef.

Ramsey éclata de rire.- Que crois-tu mériter? Un lâche qui

ose s'attaquer aux enfants innocents nemérite même pas le nom d'homme.

- J'ai fait ce que j'ai estiménécessaire pour le bien des Sinclair.Michael et vous devez mourir. Je ne suispas un faible comme vous, Ramsey.Quand je pense que vous vous êtesabaissé à partager notre terre avec lesMacPherson ! Comment pouvez-vousles considérer comme nos égaux? Dèsque j'en aurai fini avec vous, je leschasserai.

- Eh bien, viens, Jason. Montre-moita force.

Jason brandit son épée et chargea enpoussant un grand cri de rage. Sescomparses le suivirent. De toute

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évidence, ils avaient l'intentiond'encercler les deux lords. Mais Brodick,rejoint par Dylan, anéantit leur plan entuant deux assaillants coup sur coup. Unguerrier Sinclair et deux guerriersMacPherson, plus intrépides que lesautres, se jetèrent dans la bataille pourles épauler. Brodick se précipita alorssur Anthony, qu'il jugeait le plusdangereux. L'autre, effrayé, voulutreculer, mais Dylan l'en empêcha.Brodick chargea sans hésiter et luitrancha la gorge. Anthony s'écroula àterre, et Brodick cracha sur son cadavre,avant de regarder où en était Ramsey.

Il vit son ami donner à Jason unterrifiant coup d'épée qui le coupapratiquement en deux, depuis l'épaulejusqu'à la taille. Le traître tomba àgenoux dans la poussière, uneexpression incrédule sur le visage. D'uncoup de botte, Ramsey le renversa sur ledos et vint se placer juste au-dessus delui.

- Tu as perdu, dit-il.

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Puis, avec toute la force dont il étaitcapable, il planta son épée dans le cœurdu traître.

Ramsey resta un moment immobile,à contempler le cadavre de Jason. Unsilence de mort s'était abattu dans lacour. Enfin, Ramsey retira son épée d'uncoup sec et toisa le cercle des guerriers.

- Quelqu'un d'autre veut-il medéfier?

- Non ! cria un guerrier dans lafoule. Notre loyauté vous est acquise,lord Sinclair.

Des vivats saluèrent aussitôt cesparoles, mais Ramsey y prêta à peineattention.

- Débarrassez-moi de leurs corps,ordonna-t-il à ses guerriers. Et jetez-lesen pâture aux vautours.

Il s'aperçut alors que ses bras et sesjambes, comme ceux de Brodick, étaientmaculés du sang des traîtres.

- Il faut que je .me lave, lâcha-t-il,écœuré. Puis, sans un regard en arrière, il

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partit vers le lac. Brodick lui emboîtaaussitôt le pas.

Quand ils furent à bonne distance duchâteau, Ramsey se tourna vers son ami.

- Demain, nous partons pourl'Angleterre.

- À la première heure, approuvaBrodick.

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33

Ce fut Proster qui raconta à Bridgidet à Gillian l'issue du combat. Emportépar son enthousiasme, il ne songeamême pas à épargner aux deux jeunesfemmes les détails les plus sanglants.Lorsqu'il eut terminé son récit, les deuxamies étaient aussi vertes l'une quel'autre.

- Vous êtes certain que ni Brodick niRamsey n'ont été blessés ? demandaGillian.

- Ils n'ont même pas uneégratignure, madame. Ils étaientcouverts de sang, mais ce n'était pas leleur, et ils sont allés au lac pour se laver.

- Je ne veux plus rien entendre à cesujet, décréta Bridgid.

Elle congédia Proster et ouvrit laporte.

- Je vais sortir avec vous,annonça-t-elle. Je dois aller chercher des

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herbes médicinales pour la blessure deGillian.

- Vous devriez attendre, luiconseilla Proster. La cour est encore toutensanglantée, et je suppose qu'ils n'ontpas encore eu le temps d'enlever tous lescadavres.

- Je passerai par le quartier desdomestiques, répliqua Bridgid.

Après leur départ, Gillian se laissatomber dans un fauteuil et attenditBrodick, persuadée qu'il allaitrapidement la rejoindre. Mais une heurepassa, et il n'était toujours pas là. Aprèsune autre demi-heure, elle décida departir à sa recherche. Un MacPherson luiapprit que son mari avait quitté lechâteau avec Ramsey. Tout le mondepensait qu'ils s'étaient rendus chez IanMaitland pour lui annoncer les dernièresnouvelles.

Gillian rentra chez elle et se préparaà attendre durant de longues heures.Mais comme sa blessure la fatiguaitencore et qu'elle avait très peu dormi la

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nuit précédente, elle s'endormit dès ledébut de la soirée.

Brodick revint en pleine nuit et laréveilla aussitôt pour lui faire l'amour.Ses gestes étaient brusques, et Gilliansentit au fond de lui un désespoir violent.Au lieu de le repousser, elle l'embrassaet le caressa tendrement pour tenter del'apaiser. Puis, quand tout fut terminé,elle resta blottie dans ses bras et luirépéta plusieurs fois qu'elle l'aimait.

Brodick ne se lassait pas del'entendre, car il savait que l'amour deGillian serait bientôt mis à rude épreuve.Demain soir, à la même heure, elle ledétesterait sûrement.

Brisbane et Otis frappèrent à laporte de Gillian le lendemain matin. Lajeune femme venait juste de s'habiller etde prendre son petit-déjeuner.

- Nous avons reçu l'ordre de vousconduire à votre sœur, annonçaBrisbane.

- A-t-elle finalement accepté de merencontrer?

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Otis secoua la tête.- Elle a été contrainte d'accepter.Gillian essaya de masquer sa

déception. Pourquoi Christenrefusait-elle de la voir? Elle accompagnales deux vieillards jusqu'aux écuries, oùl'on avait sellé des chevaux pour eux.Sans mot dire, Brisbane partit en tête. Nilui ni Otis ne parlèrent durant tout letrajet.

Soudain, Gillian s'alarma. Elle avaitcommencé à se résigner à l'idée, sipénible et humiliante fût- elle, queChristen n'éprouvait plus rien pour elle.Mais si sa sœur ignorait ce qu'étaitdevenu le coffret d'Arianna, tout étaitperdu, et son oncle Morgan étaitcondamné.

- Mon Dieu, faites qu'elle s'ensouvienne! implora la jeune femme àvoix haute, alors qu'ils mettaient pied àterre devant un petit cottage.

- Nous vous attendrons dehors, ditBrisbane.

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- Vous n'avez pas besoin dem'attendre. Je saurai retrouver monchemin.

La porte s'ouvrit soudain. Une jeunefemme, qui ne ressemblait en rien àl'image que Gillian avait gardée de sasœur, apparut sur le seuil. Son mari,grand et décharné, se tenait derrière elle,l'air hostile.

Christen dépassait Gillian d'unebonne tête. Ses cheveux étaient châtains,alors que Lisa lui avait raconté queChristen, enfant, avait des bouclesblondes. Gillian ne voyait aucun détail àquoi se raccrocher. Elle avaitl'impression de se trouver face à uneparfaite étrangère. En outre, Christenétait enceinte, ce que personne n'avaitsongé à lui dire.

Cependant, si Christen n'avait paseu l'air si renfrognée, Gillian n'aurait pashésité à la serrer dans ses bras; Maistoutes deux restèrent immobiles, à sedévisager, avant que Gillian ne se décideenfin à rompre le silence.

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- C'est bien toi, Christen ?- Oui. Enfin, c'était moi. Mes

parents m'ont donné un autre nom. Jem'appelle Kate, à présent.

Gillian ne put réprimer sa colère.- Tes parents sont morts et enterrés

en Angleterre.- Je ne me souviens pas d’eux.Gillian n'était pas convaincue.- Je suis sûre que tu te souviens de

notre père.- Qu'attends-tu de moi ? demanda sa

sœur, d'une voix où perçait la méfiance.Gillian eut soudain envie de pleurer.- Tu es ma sœur. Je voulais te revoir.Le mari de Christen intervint :- Mais vous n'êtes pas venue

seulement pour ça, n'est-ce pas ?Christen s'empressa de présenter

son époux à Gillian. Celle-ci déclaraqu'elle était enchantée de faire laconnaissance du dénommé Manus, puiselle lui répondit :

- Vous avez raison. J'ai besoin dequelque chose.

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Christen se raidit.- Je refuse de retourner en

Angleterre. Ma vie est ici, désormais.- C'est de cela que tu as peur? Tu

crois que je t'obligerais à retournerlà-bas ? Oh, Christen, je ne ferais jamaisune chose pareille !

Sa sincérité dut convaincreChristen, car la jeune femme hocha latête et murmura quelques mots à l'oreillede son mari. Manus sembla acquiescer àcontrecœur, mais il disparut un instant àl'intérieur du cottage. Peu après, il revintavec deux chaises qu'il posa devant laporte, puis il rentra dans la maison etferma la porte derrière lui. Les deuxjeunes femmes se retrouvèrent seules.Christen s'assit et invita Gillian àl'imiter.

- Es-tu heureuse ? demanda Gillian,désireuse de mettre sa sœur à l'aise.

- Très heureuse, répondit Christen.Manus et moi sommes mariés depuiscinq ans, maintenant. Et nous allonsbientôt avoir notre premier enfant.

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Elle marqua une pause, avantd'ajouter :

- Comment m’as-tu retrouvée ?- Un des Sinclair a découvert ta

véritable identité et ta dénoncée au baronAlford. Te souviens-tu de lui ?

Elle hocha la tête.- Le baron avait déjà envoyé d'autres

hommes à ma recherche, autrefois. Leroi aussi. Comment ce guerrier a-t-il suqui j'étais ?

- Je l'ignore.- Ça me fait tout drôle de parler de

cela. Mes parents m'avaient encouragéeà tout oublier.

- Mais moi, j'ai besoin que tu tesouviennes.

- Pourquoi ?- La vie de notre oncle Morgan est

en jeu.Christen haussa les épaules. De

toute évidence, ce nom ne lui évoquaitrien. Gillian poursuivit :

- Christen, je te jure qu'à mon retouren Angleterre, je convaincrai Alford et le

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roi que tu es morte. Tu as ma paroled'honneur. Ils ne te chercheront plus.

Christen semblait sceptique.- Comment comptes-tu t'y prendre

pour les convaincre ?- Je trouverai un moyen, assura

Gillian. Pour l'instant, j'aimerais quenous parlions de cette fameuse nuit oùnotre père a été tué.

- Je ne me rappelle rien, voyons.J'étais beaucoup trop jeune.

- Tu avais presque trois ans de plusque moi, observa Gillian. Or,moi-même, j'ai gardé des souvenirs.

- Je ne veux pas parler de cette nuit.J'ai passé des années à essayer del'oublier.

Gillian tenta par tous les moyens depersuader sa sœur de l'aider, mais envain. Christen s'entêtait dans son refus.Quand Manus rouvrit la porte pour direque sa femme avait besoin de repos etque Gillian devait partir, Christen parutincroyablement soulagée, ce qui achevade démoraliser Gillian.

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Elle se releva et s'éloigna sur lechemin, terrassée par la déception et lesregrets. Elle pensa à son oncle et fonditen larmes. Qu'elle avait été naïve decroire qu'elle pourrait le sauver !

Soudain ulcérée par l'attitude de sasœur, elle se retourna brusquement pourlui crier :

- Christen, depuis quand es-tu lâche? Tu fais honte à la mémoire de notrepère, et je remercie Dieu qu'il ne soitplus là pour voir ce qu'est devenue safille !

Le dédain de Gillian produisit surChristen l'effet d'un coup de poignard enplein cœur. Tout à coup, elle éclata ensanglots.

- Attends ! Ne pars pas !Abandonnant son mari, elle courut

vers Gillian.- Je t'en supplie, pardonne-moi !Alors, Gillian reconnut sa sœur sous

le visage de cette étrangère. Elles sejetèrent dans les bras l'une de l'autre.

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- Je ne t'ai jamais oubliée, murmuraChristen en séchant ses larmes d'unrevers de main. Je n'ai jamais oublié mapetite sœur adorée. Me pardonnes-tu ?Pendant tant d'années, j'ai vécu aveccette culpabilité...

- Tu n'étais coupable de rien,Christen.

- Sauf que j'ai réussi à m'échapper,et pas toi.

- Oh, Christen, tu n'as pas à te lereprocher ! Tu n'étais qu'une fillette. Tun'aurais rien pu y changer.

- Je me souviens de cette nuitcomme si c'était hier. Dieu m'estpourtant témoin que j'ai tout fait pourl'oublier! Je me souviens de notre pèrenous disant adieu. Je me souviens mêmedu contact de sa barbe sur mes joues.

- Et Lisa, tu te souviens d'elle ?- Bien sûr, répondit Christen en

souriant pour la première fois.- C'est Lisa qui a entretenu ma

mémoire, expliqua Gillian. Elle m'a

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souvent parlé de tes merveilleusesboucles dorées.

Christen rit.- C'est vrai. J'étais toute blonde, à

l'époque. Et puis, en grandissant, mescheveux ont foncé.

- Christen, raconte-moi tout ce quis'est passé cette nuit-là.

Sa sœur essaya de rassembler sessouvenirs.

- Les soldats d'Alford attaquaient lechâteau. Papa nous a réveillées, puis ilm'a confié une boîte. Tu étais furieuse,parce qu'il ne t'avait rien donné.

- C'était le coffret d'Arianna,Christen. Un trésor qui appartenait auroi. Qu'en as-tu fait ? L'as-tu caché ?

Christen secoua la tête.- Non. J'ignore totalement ce qu'il

est devenu.Gillian ne put cacher sa déception.- Je... j'avais espéré...La matinée était chaude et

ensoleillée, mais Christen se frictionnait

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les bras, comme si l'évocation de cettenuit tragique l'avait glacée.

- Je suis navrée, Gillian. Je ne saispas où est passé ce trésor.

Gillian ne répondit rien. Elle tentaitde dominer son désespoir. Commentallait-elle sauver son oncle, maintenant?

- Papa est mort cette nuit-là, n'est-cepas ?

- Oui, répondit Gillian.- Et tu étais là?- Oui, répéta Gillian d une voix

défaite.- Je me souviens que papa avait

enveloppé le coffret dans une de sestuniques.

- Qui était dans la chambre, à cemoment-là?

Christen compta sur ses doigts.- Il y avait quatre soldats. Tom et

Lawrence s'occupaient de moi. Deuxautres hommes se chargeaient de toi,mais je ne me rappelle pas leurs noms.

- William et Spencer. Lisa m'araconté comment ils s'étaient fait tuer en

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voulant me protéger. J'ai longtemps priépour le repos de leurs âmes.

- J'ignore ce que sont devenus mesdeux anges gardiens. Ils me confièrent àun parent de Tom, en m'assurant quepapa reviendrait un jour me chercher.Ensuite, ils sont partis. J'ai pensé qu'ilsétaient allés rejoindre papa. Je ne les aijamais revus.

- Avais-tu toujours le coffret avectoi, à ce moment-là?

- Non.- Alors, quand a-t-il disparu ?

demanda Gillian, s'agrippant au bras desa sœur. Dis-moi exactement tout ce quis’est passé après que papa t'a eu confié lecoffret.

- Je l'ai laissé tomber et j'avais peurde l'avoir abîmé. Mais le mari de Lisa l'aramassé et me l'a rendu. Puis noussommes partis.

- Hector était avec nous ? s'étonnaGillian.

- Oui. Mais il n'est pas restélongtemps dans la chambre. Je suppose

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qu'il est mort pendant l'attaque duchâteau.

- Non, mais il a sombré dans la folie.Il me terrifiait. Il vivait comme une bête,dans un coin de l'écurie, et ne se séparaitjamais d'une besace remplie de cailloux.Lisa prétendait que c'était sa lâcheté quilui avait ôté la raison. Elle n'a pas verséune larme le jour où elle a appris qu'ilétait enfin mort.

- Et Lisa? Qu'est-elle devenue?- Elle vivait avec moi et oncle

Morgan. Je pense qu'elle était heureuse.Elle est morte dans son sommeil, l'annéedernière. Elle n'a pas souffert.

- Je me rappelle aussi que nousavons quitté la chambre de papa enempruntant le passage dérobé, repritChristen.

- Oui. Et nous sommes tous tombésdans l'escalier, tellement les marchesétaient glissantes.

- Non. Nous ne sommes pas tombésaccidentellement. Quelqu'un nous apoussés. Je m'en souviens parfaitement,

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assura Christen. Tu étais derrière moi ettu essayais de me prendre le coffret.Lorsque je me suis retournée pour te dired'arrêter, j'ai vu la silhouette d'unhomme sortir de l'ombre et nous pousserpour nous faire dévaler les marches. Jesuppose que c'est cet homme qui s'estemparé du coffret. J'ai perduconnaissance en tombant et je me suisréveillée dans les bras de Lawrence, àl'air libre. Mais je n'avais plus le coffret.

Gillian se remémora ses cauchemarsd'enfant.

- Dans mes rêves, il y avait toujoursdes monstres qui nous pourchassaientdans l'escalier pour nous faire tomber.J'ai dû voir cet homme, moi aussi.

- Son visage était dans l'ombre. Jen'ai pas pu le reconnaître. Mais je suissûre que c'est lui qui a volé le trésor.

- Alors, comment le retrouver,maintenant? Ô mon Dieu, je ne sais plusquoi faire...

- Reste ici, suggéra Christen. Tu n'aspas besoin de retourner en Angleterre.

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Tu as épousé lord Buchanan et ta vie esten Écosse, désormais.

- Christen, pourrais-tu tourner le dosà la famille qui t'a recueillie et aimée ?

- Non, bien sûr que non.- Eh bien, c'est pareil pour moi avec

oncle Morgan. Il a besoin de mon aide.Je dois retourner là-bas pour le sauver.

- J'aimerais t'aider, mais je ne voispas comment. Peut-être qu'enréfléchissant, j'arriverai à me souvenird'un détail important.

Elles continuèrent à discuter enévoquant le passé, jusqu'à ce que Gillianprenne conscience de la fatigue de sasœur. Elle l'embrassa sur les deux joueset lui promit de revenir.

- Je ne te demanderai plus rien,Christen. Tu as ma parole. Maintenantque je t'ai retrouvée, je n'ai pas envie dete perdre une deuxième fois.

Christen baissa les yeux,embarrassée.

- Écoute, Gillian, je me souviensbien de toi quand tu étais petite fille,

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mais aujourd'hui, nous sommes deuxétrangères et nous n'avons pasgrand-chose en commun. Je préfère êtrehonnête avec toi. Nos retrouvailles ontravivé des souvenirs que j'espéraisenfouis à jamais au fond de ma mémoire.Pour l'instant, je pense qu'il vaut mieuxque nos chemins se séparent. Enrevanche, je te jure que si je me rappelaisquelque chose d'important, je t'enavertirais aussitôt.

Gillian était effondrée, mais elles'efforça de n'en rien montrer.

- Comme tu voudras,murmura-t-elle, avant de tourner lestalons.

Elle s'éloigna sans un regard enarrière.

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Gillian avait désespérément besoinque Brodick la réconforte. Elle étaitimpatiente qu'il la serre dans ses bras -preuve, songea-t-elle, que le mariagel'avait déjà changée. Car, avant derencontrer Brodick et de tomberamoureuse de lui, elle avait toujourspensé qu'elle devait affronter sesproblèmes toute seule. Mais à présent,elle souhaitait tout partager avec sonmari, ses joies comme ses peines. Pour lemoment, elle ne se souciait plus desavoir pourquoi il ne lui avait toujourspas avoué ses sentiments. De toutefaçon, au fond de son cœur, elle étaitconvaincue que Brodick l'aimait et qu'ilne l'avait pas épousée par intérêt: Aucunhomme ne se serait engagé pour la viedans le seul but d'obtenir les noms de sesennemis. Ramsey avait simplement maldeviné, et Brodick, n'osant pas admettre

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qu'il était amoureux de sa femme, n'avaitpas voulu le contredire.

Cependant, bien qu'il refusât de luiouvrir son cœur, Gillian ne pouvaits'empêcher d'aimer Brodick plus quejamais. Et elle désirait lui confier sonchagrin. Pourquoi Christen s'était-ellemontrée si froide et insensible ? Pendantdes années, Gillian avait rêvé de cesretrouvailles avec sa sœur, mais pas unseul instant elle n'avait imaginé quecelle-ci la rejetterait. Gillian se sentaithonteuse et humiliée, sans biencomprendre pourquoi.

Elle laissa sa monture à l'écurie etcourut vers le château, dans l'espoir detrouver Brodick à l'intérieur.

Ce fut Proster qui l'accueillit pourl'informer des derniers événements.

- Votre mari est parti, madame. Ilssont tous partis.

- Qui ça, tous ?- Lord Buchanan, lord Sinclair et

lord Maitland, expliqua Proster.- Lord Maitland était là?

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- Oui. Il est arrivé tôt dans lamatinée.

- Et où sont-ils allés ?- Ils ont rassemblé leurs guerriers

sur une colline.- Où se trouve cette colline ?- Dans le sud. Assez loin d'ici.- Ils ne rentreront donc pas avant ce

soir?- Madame, ils ne rentreront pas

avant plusieurs jours.Comme Gillian semblait déroutée,

Proster se hâta de préciser :- Ils sont partis pour l'Angleterre.

J'imagine que vous connaissez leursmotifs.

- Je sais qu'ils projetaient de serendre en Angleterre, mais vous devezvous tromper, Proster. Ils n'avaient pasprévu de partir maintenant. Je vais allerattendre dans mon cottage le retour demon mari.

- Il vous faudra attendre longtemps,répliqua Proster. Lord Brodick ne

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reviendra pas de sitôt. Et demain, vouspartirez.

Gillian haussa les sourcils.- Où suis-je censée me rendre ?- Chez vous, chez les Buchanan. J'ai

entendu votre mari donner ses ordres.Deux de ses guerriers, Graham etLochlan, ont été chargés de vousescorter jusqu'à votre nouvelle demeure.

- Je vois, murmura Gillian.- Ça ne va pas, madame ? Vous êtes

toute pâle...- Proster, vous avez dû mal

comprendre, insista Gillian, ignorant saquestion. Le jour où ils partiront enAngleterre, ils m'emmèneront avec eux.Brodick me l'a promis. Il ne renierait passa parole... Ils savent tous que si lesAnglais les voient arriver, ils tuerontmon oncle. Non, vous avez forcémentmal compris. Brodick va bientôt rentrer.

Sa détresse bouleversait Proster. Ilaurait voulu lui mentir, lui dire que oui,il avait mal compris, mais le plusraisonnable était sans doute de l'aider à

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accepter la vérité. Il s'arma de courage,en priant pour que la jeune femme nes'évanouisse pas sous ses yeux.

- Que Dieu me soit témoin, je les aiclairement entendus. Ils sont en routepour l'Angleterre, et on vous emmènerachez les Buchanan demain. Votre maris'inquiétait à cause de votre blessure,aussi a- t-il décidé d'attendre un jour deplus, avant de vous faire entreprendrecette longue chevauchée. Reconnaissezque c'est gentil de sa part, non ?

Gillian ne répondit rien. Elle tournales talons et s'éloigna, mais s'arrêta aubout de quelques pas.

- Merci de m'avoir appris lanouvelle, Proster.

- Madame, si vous ne me croyeztoujours pas, parlez à Graham etLochlan. Ils vous répéteront ce que jeviens de vous dire.

- Ce ne sera pas nécessaire. Je vouscrois. Maintenant, excusez-moi, jeretourne à mon cottage.

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- Avec votre permission, madame,je souhaiterais vous accompagner. Vousn'avez pas l'air dans votre assiette. Votrejambe vous fait-elle souffrir?

- Non, répondit Gillian d'une voixéteinte. Elle resta silencieuse jusqu'à cequ'ils aient atteint le cottage. Proster lasalua devant sa porte. Il s'apprêtait àrepartir quand elle le rappela :

- Proster, savez-vous où habitentKevin et Annie Drummond ?

- Bien sûr. Tous les guerriers desHighlands le savent. Annie nous apresque tous soignés, un jour ou l'autre.Pourquoi me demandez-vous cela ?

- Oh, par simple curiosité ! MentitGillian. Tout à l'heure, j'aimeraisretourner chez ma sœur.Accepteriez-vous de venir avec moi ?

Honoré que la femme de lordBuchanan le choisisse pour l'escorter,Proster redressa fièrement les épaules.

- J'en serais enchanté, madame.Mais je croyais que vous rentriezjustement de chez votre sœur?

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- Oui, mais j'ai oublié de lui donnerles cadeaux que je lui avais apportésd'Angleterre. Dès que je serai prête àpartir, je vous appellerai.

- Vos désirs sont des ordres,madame. Gillian ferma la porte ducottage, alla s'asseoir sur le lit et éclataen sanglots.

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Gillian se reprit bien vite et décidad'agir. Elle enleva le plaid desBuchanan, remit la robe qu'elle portaiten arrivant en Écosse et réunit les effetsdont elle aurait besoin pendant sonvoyage.

Elle était en pleins préparatifs quandBridgid frappa à la porte. Gillian lui criaqu'elle ne se sentait pas bien et qu'ellepréférait rester seule, mais Bridgid,décrétant qu'elle voulait la réconforter,entra malgré tout.

- Pourquoi as-tu mis cette robe?S’étonna-t-elle. Ton mari n'aimerait pasça. Tu dois porter les couleurs desBuchanan, désormais.

Gillian lui tournait le dos. Ellefourra sa brosse dans son baluchon et leferma. Lorsqu'elle se retourna, Bridgidréprima un cri de surprise. Son amieavait les yeux rougis et le teint blême.

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- Que se passe-t-il, Gillian?Explique-moi. Je peux peut-être t'aider.

- Je pars.- Oui, je suis au courant. Mais

seulement demain matin. C'est Brodickqui l'a ordonné. C'est ça qui tebouleverse? Tu n'as donc pas envie deconnaître l'endroit où tu vas vivre ?

- Je retourne en Angleterre.- Quoi? Tu ne parles pas

sérieusement...- Et je ne porterai plus jamais le

plaid des Buchanan. Jamais ! s'écriaGillian. Brodick m'a trahie, et je ne le luipardonnerai pas, ajouta-t-elle, avant dese laisser tomber sur le lit. Il m'avaitdonné sa parole que lui, Ramsey et Ianattendraient...

Bridgid vint s'asseoir à côté d'elle.- Ils sont tous partis pour

l'Angleterre.- Je sais. Proster me l'a annoncé tout

à l'heure. Brodick m'avait juré dem'emmener avec lui. Je le lui avais faitpromettre, avant de lui donner les noms

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des Anglais qui avaient retenu AlecMaitland prisonnier.

- Pourquoi ces Anglaisséquestraient-ils Alec ?

- Ce n'était pas lui qui les intéressait.Ils croyaient détenir le frère de Ramsey,Michael.

Bridgid était déroutée.- Reprenons depuis le début. Si tu

m'expliquais toute l'histoire, jetrouverais peut-être un moyen de t'aider.

- Tu ne peux pas m'aider. Personnene peut m'aider, murmura Gillian.Comment vais-je sauver mon oncle, àprésent? J'ai tellement peur que...

Sa voix se brisa dans un sanglot.Bridgid lui étreignit la main et la

pria une nouvelle fois de s'expliquer.Gillian se décida alors à tout lui raconter,depuis la nuit où son père avait été tué.Quand elle eut terminé son récit, ellejugea sa situation encore plusdésespérée.

- Peu importe que j'aie le coffret ounon, maintenant. Dès que Brodick et les

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autres vont se lancer à l'attaque, Alfordtuera mon oncle.

- Qu'est-ce qui te fait penser qu'il esttoujours en vie? Tu m'as dit qu'Alford netenait jamais parole.

- Mais Alford sait que je ne luirendrai pas le coffret si mon oncle n'estpas sain et sauf.

Bridgid s'était relevée et arpentait lapièce.

- Le problème, c'est que tu n'as pasle coffret.

- Malheureusement non, soupiraGillian. J'avais espéré que ma sœur sesouviendrait de ce qu'il était devenu...

- Oui, mais elle ne se souvient derien, coupa Bridgid, qui essayait dereconstituer le puzzle. Récapitulons. Quiétait dans la chambre de ton père, aumoment où celui-ci a donné le coffret àta sœur?

- Je te l'ai déjà dit. Ma sœur, moi,mon père, les quatre soldats chargés denotre protection, et Hector. Mais il s'estcontenté de passer en coup de vent, le

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temps de délivrer un message à monpère, d'après ce que m'a racontéChristen.

- Les deux soldats qui veillaient surtoi sont bien morts, n'est-ce pas ?

- Oui.- Mais ta sœur ignore ce qu'ont fait

les deux autres. Elle suppose seulementqu'ils sont revenus au château de tonpère, après l'avoir confiée au parent del'un d'eux. C'est bien cela?

- Oui, mais...- Donc, le voleur pourrait être l'un

des deux.- C'est impossible, objecta Gillian.

Mon père avait toute confiance en leurloyauté.

- Peut-être avait-il mal placé saconfiance. En tout cas, si ce n'est paseux, c'est Hector.

- Impossible. Il était fou, réponditGillian en se dirigeant vers la porte.

- Que fais-tu ?

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- Je vais chercher Proster. Je lui aidemandé de m'accompagner chez masœur.

- Mais tu viens de me dire queChristen ne souhaitait pas te revoir.

- C'est vrai, mais...- Alors, pourquoi désires-tu

retourner chez elle?Gillian soupira.- En fait, je n'ai pas l'intention de me

rendre là- bas. Proster sait où viventKevin et Annie Drummond. Pendant letrajet, je tenterai de le persuader dem'escorter jusqu'à leur cottage.

- Mais pourquoi ?- Parce qu'une fois chez eux, je serai

capable de retrouver ma route pourrentrer en Angleterre.

Bridgid était stupéfaite.- Bonté divine! Alors, tu comptes

vraiment retourner chez toi !- Oui, confirma Gillian.Comme Bridgid se précipitait pour

la serrer dans ses bras, elle ajouta :

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- Je veux que tu saches que tonamitié m'a été très précieuse. Tu vasbeaucoup me manquer.

- Mais tu reviendras en Écosse,n'est-ce pas ?

- Non, je ne reviendrai pas.- Et Brodick? Tu l'aimes, non?- Mais lui ne m'aime pas, Bridgid. Il

s'est servi de moi pour obtenir ces fichusnoms. Je représente si peu pour lui qu'iln'a...

Gillian n'eut pas la force de terminersa phrase. Elle s'écarta de son amie.

- Je dois partir, maintenant.- Attends, dit Bridgid.Gillian, qui avait déjà la main sur la

poignée de la porte, s'immobilisa.- C'est moi qui vais aller chercher

Proster, pendant que tu te changeras.- Non. Je refuse de porter les

couleurs des Buchanan.- Sois raisonnable, Gillian. Tout le

monde se doutera que tu mijotes quelquechose, si on te voit dans cette robe.

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Gillian réalisa que son amie avaitraison.

- Je n'avais pas pensé à ça, c'est vrai.- Attends-moi bien sagement ici, le

temps que je le trouve.- D'accord, promit Gillian. Mais

n'oublie pas : il s'imagine qu'il doitsimplement me conduire chez ma sœur.

- Je sais.Bridgid ouvrit la porte et sortit.

Mais, avant qu'elle n'ait refermé lebattant derrière elle, une idée lui traversal'esprit.

- J'ai encore une question.- Laquelle?- Tu m'as dit qu'Hector était fou,

mais sans donner de précisions. Était-ilseulement un peu dérangé, ou vraimentfou à lier?

- Fou à lier, répondit Gillian.Maintenant, dépêche-toi, Bridgid. Jevoudrais partir le plus vite possible.

- Oui, mais il y a un détail que je nem'explique pas. Pourquoi ton pèreaurait-il gardé un fou parmi ses soldats ?

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- Hector n'a pas toujours été fou.Lisa m'a raconté qu'il s'était cachépendant la bataille et que sa couardisel'avait rendu fou. Après l'attaque duchâteau, il n'était plus le même homme.

Bridgid referma finalement la porte.Gillian allait remettre le plaid desBuchanan quand elle eut uneillumination.

- Mon Dieu, mais c'est bien sûr!Bridgid resta absente près d'une

heure. Quand elle revint enfin aucottage, Gillian commençaitsérieusement à s'impatienter.

- Pourquoi as-tu autant tardé ?S’exclama-t-elle, dès que son amie eutfranchi le seuil.

- J'avais quelques affaires à régler,expliqua Bridgid. Proster est ici, mais iln’est pas seul. Alan et Kerl'accompagnent. À les entendre, ilss'apprêtent à escorter une princesse. Etils sont très fiers que tu aies demandé ceservice à un MacPherson.

- Ils sont jeunes, tout simplement.

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- J'ai réfléchi à ton plan, Gillian. Jene pense pas que ce soit une bonne idéede te rendre chez les Drummond, parceque ça t'obligerait à faire un détour.Demande plutôt à Proster de te conduiredirectement à la frontière avecl'Angleterre.

- Connaîtra-t-il le chemin?- Tous les guerriers le connaissent.- Mais je ne vois pas comment le

convaincre de m'emmener jusqu'à lafrontière. Il me semblait plus facile de luifaire croire que j'avais besoin des soinsd'Annie Drummond pour ma jambe.

- Alors, commençons par lui dire ça.En chemin, nous expliquerons à Prosterque nous avons une autre idée en tête.

- Nous ? Bridgid, tu ne...Son amie l'interrompit.- Je viens avec toi. J'ai déjà préparé

mon baluchon et je l'ai attaché à maselle. C'est ce qui m'a retardée.

Bridgid avait parlé d'un ton posé etdéterminé. Voyant que Gillian

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s'apprêtait à rejeter sa proposition, elles'empressa d'ajouter :

- Plus rien ne me retient ici. Mêmema mère ne veut plus de moi. Et je n'aipas envie de rester pour assister aumariage de Ramsey avec uneMacPherson. Je ne le supporterais pas.Mais je n'ai aucun endroit où aller. Jet'en prie, Gillian, laisse-moi venir avectoi. J'ai toujours eu envie de connaîtrel'Angleterre. Et tu m'as dit tellement debien de ton oncle Morgan que je suissûre qu'il acceptera de m'hébergerquelque temps avant que je...

- Je refuse de t'emmener avec moi,Bridgid. Ce serait trop dangereux. Je nepourrais pas te protéger du baron. Tun'as pas l'air d'avoir réalisé que c'était unmonstre.

- Et toi, comment comptes-tu teprotéger ? Il t'avait ordonné de luiramener ta sœur et le coffret, et tu rentressans rien. Si quelqu'un doit s'effrayer,c'est bien toi.

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- La différence, c'est que moi, je n'aipas le choix. Il faut que je retournelà-bas.

- S'il te plaît, Gillian ! J'accepted'avance le danger. Je serai la seule àblâmer s'il m'arrive quelque chose.

- S'il t'arrivait quoi que ce soit, je neme le pardonnerais jamais.

- Dans ce cas, laisse-moi au moinst'accompagner un bout de chemin. Jesuis persuadée que j'arriverai plusfacilement que toi à convaincre Prosterde te conduire à la frontière.

- Mais après, tu reviendras ici ?- Oui, promit Bridgid.Elle s'en voulut aussitôt d'avoir

menti à sa meilleure amie. Mais elleavait échafaudé un plan et était résolue àaider Gillian, avec ou sans sapermission.

- Alors, allons-y, dit Gillian. Et queDieu nous protège.

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Ce fut une course effrénée contre lamontre. Gillian savait qu’elle atteindraitDunhanshire avant la date limiteimposée par Alford, mais elle redoutaitque Brodick et les autres ne ladevancent. Or, bien qu’elle fût fâchéecontre son mari et déterminée à nejamais retourner dans les Highlands,Gillian ne pouvait s'empêcher des'inquiéter pour Brodick. Il avait beau luiavoir brisé le cœur en rompant sapromesse, elle l'aimait toujours. S'ilsarrivaient chez Alford avant elle, ceserait la guerre, et tous périraient.

Alford pouvait compter surplusieurs centaines de soldats dévoués.Tous le craignaient. Alford était un tyranqui contrôlait ses troupes d'une main defer, n'hésitant pas, au besoin, à recourir àla torture pour châtier ceux qui osaientlui désobéir.

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Gillian était encore à une bonnejournée de cheval de Dunhanshire, et safatigue l'avait obligée à ralentir l'allure.Depuis son départ, elle n'avaitpratiquement pas pris le temps demanger, ni de dormir.

Proster, Alan, Ker et Bridgid étaienttoujours à ses côtés. En dépit de tous sesefforts, Gillian n'avait pu les persuaderde rentrer en Écosse. Bridgid lui avaitexpliqué qu'elle avait un plan, sans luidonner plus de précisions, et elle avaitrefusé d'entendre raison. Les jeunesguerriers MacPherson s'étaient révéléstout aussi entêtés et inconscients.Puisque Gillian ne voulait pas retournerau château de lord Sinclair, Proster avaitdéclaré que ses amis et luil'accompagneraient jusqu'au bout, pourla protéger du mieux possible.

Comme le soir tombait, Bridgidsuggéra qu'ils s'arrêtent pour la nuit.Gillian, apercevant une ferme, proposade demander à son propriétaire de leshéberger dans sa grange. Proster trouva

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son idée risquée, mais Gillian s'obstinaet mit pied à terre devant la petite ferme.

Une famille de cinq personneshabitait là. Le père, un homme déjà âgé,se montra d'abord hostile en voyant lesÉcossais. Mais dès que Gillian se futprésentée et eut exposé sa requête, il seradoucit.

- Mon nom est Randall, madame, etma femme s'appelle Sarah. Cette terre nenous appartient pas. Nous la cultivonspour le compte du baron Hardington,mais je suis convaincu qu'il vousaccorderait bien volontiers l'hospitalité.J'ai connu votre père, madame. C'était unhomme plein de bonté, et je suis trèshonoré de pouvoir rendre service à safille. Vous et vos amis êtes les bienvenusdans cette maison. Entrez donc vousréchauffer devant le feu, pendant quemes fils s'occupent de vos chevaux.

Bien que les Randall nepossédassent pas grand- chose, ilsinsistèrent pour que Gillian, Bridgid etles MacPherson dînent avec eux. Le

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repas terminé, Sarah alla chercher descouvertures dans sa chambre.

- Les nuits sont fraîches, par ici,dit-elle à Gillian. Vous n'aurez qu'à leslaisser dans la grange, demain matin.

- Pouvons-nous faire autre chosepour vous, madame? demanda son mari.

Gillian prit Randall à part.- J'aimerais vous confier un message

de la plus grande importance,murmura-t-elle.

- Vous pouvez me le confier sanscrainte, madame, assura l'homme sur lemême ton.

- Voilà, il vous suffira de dire cessimples mots : « Lady Gillian a retrouvéle trésor d'Arianna. »

Randall répéta le message, mot pourmot, puis demanda :

- À qui dois-je le délivrer, madame ?Gillian lui chuchota le nom à

l'oreille. Randall blêmit aussitôt.- Vous êtes... sûre, madame?- Sûre et certaine. Il vous faudra

beaucoup de courage pour accomplir

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cette mission, j'en ai conscience. Vousen sentez-vous capable ?

Randall hocha lentement la tête.- Oui, madame. Je partirai demain, à

l'aube.

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Dunhanshire fourmillait de soldatsqui passaient et repassaient sur le cheminde ronde. C'était une nuit sans lune, maisle château brillait de mille feux, car destorches avaient été disposées tout le longdes remparts.

Gillian et ses compagnons s'étaientcachés dans un bosquet de sapins. Ilsvirent le pont-levis s'abaisser pourlaisser entrer un nouveau détachementde soldats.

- On dirait qu'ils se jettent dans lesflammes de l'enfer, murmura Ker.

- Ce déploiement de soldats estétrange, commenta Proster. Le baron seprépare sûrement à livrer bataille.Depuis que nous sommes là, j'ai comptéplus d'une centaine de guerriers.

- Le baron a dû apprendre que nosseigneurs étaient en route, supposa Alan.

Gillian secoua la tête.

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- Alford s'entoure toujours d'unepetite armée. Il a trop peur d'une attaquesurprise.

- Lord Brodick et les autres netarderont plus, maintenant, dit Proster.

- Prions Dieu que nous en ayons finiavant leur arrivée.

- Penses-tu que ton oncle soit là?demanda Bridgid.

- Je n'en sais rien. Mais je ledécouvrirai bien demain. Pour l'instant,reposons-nous.

Elle déroula la couverture attachée àsa selle et l'étendit au pied d'un arbre.Bridgid l'imita et s'assit à côté d'elle.

- Nous n'irons pas plus loinensemble, lui dit Gillian.

- Tu sais très bien que Proster ne telaissera pas pénétrer dans le château sansescorte.

- Il faudra que tu m'aides à lui fairecomprendre que c'est nécessaire. Aussilongtemps qu'Alford s'imaginera que j'aice qu'il désire, je ne craindrai rien. Maissi Proster m'accompagne, je suis

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convaincue qu'il s'en servira commed'une arme contre moi.

Proster rejoignit les deux jeunesfemmes.

- Nous avons parlé, annonça-t-il endésignant ses deux compagnons duregard. Et nous avons décidé que vousdevriez attendre ici l'arrivée de votremari. Une fois qu'il sera là, nousrentrerons tous ensemble à l'intérieur.

- Je veux bien patienter jusqu'à midi,concéda Gillian. Le baron se réveillerarement plus tôt. Mais je n'attendrai pasdavantage.

- Soit vous attendez votre mari, soitj'y vais avec vous, décréta Proster.

- Remettons cette discussion àdemain, proposa Gillian.

Et elle ferma les yeux pourdécourager le guerrier d'argumenter pluslongtemps.

Bridgid s'endormit presqueimmédiatement, mais Gillian ne fit quesomnoler et se réveilla bien avant l'aube.Les guerriers s'étaient couchés à

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quelques mètres d'elle, leurs mainsserrées sur le pommeau de leur épée.Aucun ne l'entendit partir.

Avant qu'elle ait eu le temps desortir de la forêt qui la séparait duchâteau, Gillian fut encerclée par lessoldats d'Alford, qui l'escortèrent àl'intérieur. Elle fut conduite dans lagrande salle, où on lui demandad'attendre.

Deux soldats gardaient la porte. Lajeune femme resta debout, à faire lescent pas devant la cheminée. Quand unejeune servante lui apporta un petit-déjeuner et une carafe d'eau fraîche, elles'installa à table. Elle n'avait pasvraiment d'appétit, mais elle s'obligea àmanger, car elle savait qu'elle avaitbesoin de reprendre des forces avant saconfrontation avec Alford.

Un soldat interrompit son repas.- Le baron Alford dort, expliqua-t-il.

Lui et ses compagnons, le baron Hugh etle baron Edwin, se sont couchés trèstard, hier soir.

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- De toute façon, je n'ai rien à dire àAlford tant que je n'ai pas vu mon oncleMorgan. Est-il là?

- Non. Mais vous avez de la chance.Lundi dernier, le baron a donné l'ordrede le transférer ici. Il devrait être là d'uneminute à l'autre.

Ensuite, il emmena Gillian à l'étage,dans la chambre qu'elle avait occupéeavec Alec la nuit où ils s'étaient enfuis.Mais le soldat lui apprit, avec un souriresournois, que le passage dérobé avait étémuré depuis.

L'attente se poursuivit jusqu'audébut de l'après-midi. Gillian passa sontemps à prier pour Brodick et ses amis.Elle espérait en avoir fini avec Alfordavant qu'ils n'attaquent le château.

Finalement, un soldat vint luiannoncer que le baron était prêt à larecevoir.

- Votre oncle est arrivé, ajouta-t-il.Gillian aurait voulu lui demander si

Morgan était en bonne santé, mais elledevinait qu'il ne lui répondrait pas. Elle

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s'empressa donc de le suivre aurez-de-chaussée.

Edwin se trouvait dans le hall.Gillian ne lui accorda même pas unregard et se dirigea tout droit vers lagrande salle. Alford et Hugh étaientattablés côte à côte. À en juger par leurstraits bouffis, ils s'étaient encore enivrésla nuit précédente.

- Où est mon oncle ? demandaGillian.

Alford se massait le front,visiblement en proie à la migraine.

- Il va venir, répondit-il. Alors,Gillian, avez-vous réussi votre mission?

- Je ne vous dirai rien tant que jen'aurai pas revu mon oncle.

- Votre sœur sera peut-être plusdisposée à parler. Fais-la entrer, Edwin,appela-t-il.

Consciente qu'Alford la dévisageaitattentivement, Gillian s'obligea àmasquer sa surprise.

- Ah, la voilà ! s'exclama Alford.

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Gillian se retourna et faillits'évanouir en voyant Bridgid pénétrerdans la salle. Les soldats avaient dûdécouvrir leur cachette, en conclut-elle.Mais alors, qu'était-il arrivé aux jeunesguerriers MacPherson?

La jeune femme commençait àpaniquer, mais Bridgid lui sourit etdemanda, assez fort pour être entenduede tout le monde :

- Lequel de ces porcs est Alford ?Le baron se redressa, les deux mains

appuyées sur la table.- Surveillez votre langue, vipère.

Sinon, je pourrais bien vous la couper.Bridgid ne parut nullement

impressionnée par cette menace.- Essayez donc, répliqua-t-elle.Gillian lui jeta un coup d'œil discret

pour l'inciter à plus de modération.- Où est mon oncle, Alford?Le baron balaya sa question d'un

revers de main méprisant.

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- Je suis ravi de voir ce qu'estdevenue Christen, intervint Hugh. Elleest plus que charmante.

Edwin rejoignit ses deux amis àtable.

- Elles n'ont pas du tout l'air d'êtresœurs, commenta-t-il.

Alford examina les deux jeunesfemmes.

- Enfants, elles ne se ressemblaientpas non plus. Christen a toujours été plusjolie. Mais il faut avouer que Gillian s'estarrangée, en grandissant.

- Je la veux pour moi, Alford,décréta Hugh.

Le baron ignora sa requête.- Dans quel clan vivez-vous ?

demanda-t-il à Bridgid.- Chez les MacPherson.- Avez-vous gardé votre nom de

baptême, ou vous ont-ils appeléeautrement?

Gillian sentit son cœur s'affoler, carelle ne se rappelait pas avoir mentionné

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le nouveau prénom de sa sœur devantBridgid.

- Je me nomme Kate, désormais,répondit Bridgid. Et ça me plaît plus queChristen.

- En tout cas, elle est aussi acerbeque Gillian, remarqua Hugh. Pour ce quiest du caractère, elles sont bien sœurs.

- Oui, acquiesça Alford.Cependant, il ne semblait pas encore

totalement convaincu. Il se leva etcontourna la table.

- Avez-vous apporté mon trésor,Christen?

Son regard était si menaçant queBridgid en avait la chair de poule. Maiselle était déterminée à lui tenir tête.

- Je pensais que le trésor appartenaità votre roi ?

- Mon roi ?Bridgid s'empressa de corriger sa

bévue.- Je suis une MacPherson,

désormais, expliqua-t-elle. Et je vis dansles Highlands depuis si longtemps que je

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ne considère plus l'Angleterre commema patrie. Mon roi est le roi d'Écosse.

- Et votre oncle Morgan? Vous ne leconsidérez plus comme votre parent?

Bridgid haussa les épaules.- Je ne me souviens plus de lui.Alford plissa les yeux.- Avez-vous le coffret avec vous ?

répéta-t-il.Edwin se leva à son tour et gratta

son triple menton.- Elle a déjà dû être fouillée avant

d'être amenée ici.- Fouille-la encore, Edwin, suggéra

Hugh. Emmène-la dans une chambre etinspecte-la sous toutes les coutures.

Gillian décida d'intervenir avantqu'il ne soit trop tard.

- Ma sœur n'a pas le coffret, et elleignore où il se trouve.

Edwin voulut se précipiter versBridgid, mais Alford le retint par le bras.

- Tu l'auras plus tard, lui promit-il.Puis, s'approchant de Gillian, il

demanda :

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- Avez-vous le trésor?- Non.- Tu peux monter Christen dans une

chambre, maintenant, dit-il à Edwin.Amuse-toi bien. Hugh, joins-toi à eux, sile cœur t'en dit.

Hugh reposa son verre et se leva.- Pour sûr, que ça me dit.Tout en parlant, Alford avait

observé Gillian. Elle n'avait manifestéaucune émotion, mais quand Edwin pritBridgid par le bras, elle se rua sur luipour le repousser. Fou de rage, celui-cila gifla si violemment qu'elle seraittombée à la renverse si Bridgid ne l'avaitpas rattrapée.

- Si vous la touchez encore, je voustue ! s'écria Bridgid.

Alford leva la main, pour faire signeà Edwin d'attendre.

- Va t'asseoir, s'il te plaît, dit Gillianà son amie.

Bridgid s'exécuta sans protester.Son cœur battait la chamade. Elleréalisait qu'au lieu d'aider Gillian elle lui

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mettait des bâtons dans les roues. Sonamie avait eu raison d'interdire à Prosterde la suivre, en expliquant qu'Alford seservirait de lui comme d'une arme contreelle. C'était exactement ce qui se passaitavec elle.

- Cette affaire doit se régler entrevous et moi, Alford, reprit Gillian. Jesais où le trésor est caché et je vous lerévélerai dès que mon oncle et ma sœurauront pu quitter les lieux. Je voussuggère donc de faire venir mon oncle leplus vite possible, car je ne vous dirairien de plus tant que je n'aurai pasconstaté qu'il est en bonne santé. Est-ceclair?

- As-tu remarqué, Edwin, qu'elle n'apas réclamé la liberté pour elle-même ?

Edwin hocha la tête. Comprenantqu'il lui faudrait encore patienter avantde pouvoir se divertir avec Bridgid, ilretourna s'asseoir à côté de Hugh.

- Et pourquoi ? demanda-t-il.- Parce qu'elle sait que je ne la

laisserai jamais repartir, répliqua

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tranquillement Alford, avant de faire unpas vers la jeune femme. Vous me défiezdepuis des années, Gillian. Mais cela nedurera pas éternellement. Un jourviendra où vous apprendrez à merespecter et à vous humilier devant moi.Je...

Deux soldats pénétrèrent soudaindans la salle, interrompant son discours.

- J'avais interdit qu'on me dérange,Horace ! Glapit le baron à l'adresse dupremier soldat.

- Nous avons une bonne raison,monseigneur, expliqua celui-ci.

Il se tourna vers son comparse etajouta :

- Dis-lui, Arthur.Le dénommé Arthur déglutit

péniblement.- Nous nous sommes rendus chez le

baron Morgan Chapman, comme vousnous l'aviez ordonné, afin de le ramenerici, mais quand...

- Où est Morgan? Coupa Alford.Amenez-le-moi immédiatement.

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- C'est impossible, monseigneur.J'essayais justement de vous l'expliquer.Quand nous sommes arrivés à sonchâteau, il était... vide. Ils étaient touspartis.

- Que me chantes-tu là? Qui étaitparti?

- Vos soldats, répondit Arthur, touttremblant.

Le soldat était terrifié, car il savaitque le baron, lorsqu'il recevait demauvaises nouvelles, s'en prenaitsouvent au messager. Reculant d'un pas,il précisa :

- Le château était entièrement vide,et vos soldats avaient disparu.

- Comment ça, disparus ? RugitAlford.

Arthur était devenu livide.- C'est la vérité, monseigneur. Tout

était désert, mais rien n'indiquait qu'il yait eu une bagarre. Les meubles n'étaientpas renversés, les pièces étaient en ordre,et nous n'avons trouvé de traces de sangnulle part.

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- Où est mon oncle ? IntervintGillian.

- Taisez-vous ! hurla Alford. Etqu'ont dit les domestiques, Arthur?

- Il n'y avait plus de domestiques,monseigneur. Comme je vous l'aiexpliqué, le château était entièrementdésert. Nous nous sommes demandé sivous n'aviez pas donné l'ordre auxsoldats de venir ici avec les domestiques.

- Je n'ai donné aucun ordre de cegenre, gronda Alford. Si ces abrutis ontabandonné leur poste, ils vont le payercher.

Il se tourna brusquement versGillian.

- Que signifie tout ceci ?- Je n'en sais pas plus que ce que je

viens d'entendre.Alford ne la crut pas. Il tira sa dague

de sa ceinture et en menaça la jeunefemme.

- Je n'hésiterai pas à vous trancher lagorge si vous ne me dites pas la vérité,petite garce. Où sont mes hommes ?

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- Je l'ignore, répondit calmementGillian.

Alford la toisa du regard, puis ilordonna aux deux soldats :

- Emparez-vous d'elle !Bridgid voulut se porter au secours

de son amie, mais Horace la repoussasans ménagement, avant d'attraperGillian par le bras.

- Je sais ce qui est arrivé à voshommes ! s'écria Bridgid.

Alford la regarda, visiblementsurpris.

- Eh bien, dites-le-moi.- Ils sont morts, répondit la jeune

femme. Tous. Pensiez-vous pouvoirkidnapper le fils d'un lord écossais sansen subir les conséquences ?

Elle éclata de rire.- Vous êtes les prochains sur la liste,

vous et vos amis.Edwin gloussa.- Ils n'oseront pas venir jusqu'ici, en

plein cœur de l'Angleterre.

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- Détrompez-vous, intervint Gillian.Ils veulent votre peau et ils nes'arrêteront pas avant de vous avoir tuéstous les trois.

- Elle bluffe, protesta Horace. LesÉcossais ne sont que des sauvages. Nossoldats leur sont bien supérieurs.

Gillian rit à son tour.- Dans ce cas, expliquez-moi où ils

sont passés.- Nous devrions peut-être renforcer

la garde, suggéra Edwin.Hugh acquiesça avec véhémence,

mais Alford ne semblait pas partagerleur inquiétude.

- Je peux doubler la garde, si celavous chante. Occupe-toi de ça, Horace,ordonna-t-il au soldat, qui s'exécutaaussitôt. De toute façon, personne nepénétrera dans ce château sans monautorisation. J'ai veillé à ce que la placesoit imprenable.

- Nous pouvons mobiliser plus dedeux cents hommes, renchérit Arthur.

Alford se tourna vers Edwin.

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- Tu vois ? Il n'y a rien à craindre.Sur ces entrefaites, Horace revint,

très agité.- Monseigneur, vous avez de la

visite.- Grands dieux ! s'exclama Edwin.

Les sauvages sont déjà là?- Non, il ne s'agit pas des Écossais.

C'est le roi lui-même, escorté d'undétachement de son armée. Nous avonsabaissé le pont-levis.

Alford était médusé.- Jean est là? Le roi d'Angleterre est

à ma porte ?- En personne, monseigneur.- Et combien de soldats

l'accompagnent?- Une bonne soixantaine, à mon

avis.Alford convoqua ses domestiques et

leur ordonna de préparer une collationpour son royal invité, puis Hugh etEdwin montèrent dans leurs chambrespour se changer. Après leur départ,Alford prit Gillian par le bras.

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- Écoutez-moi bien, lui dit-il. Vousallez garder le silence à propos du trésor,compris ? Ne dites pas à Jean que voussavez où se trouve le coffret d'Arianna.Je vous promets de tuer votre oncle etvotre sœur si vous me désobéissez. C estclair?

- Très clair.Il la relâcha.- Asseyez-vous dans un coin. Avec

un peu de chance, le roi ne remarqueramême pas votre présence.

Bridgid vint s'installer à côté de sonamie.

- J'ai bien peur de t'avoir compliquéles choses, murmura-t-elle.

- Pas du tout. Ne t'inquiète pas. Toutsera bientôt terminé.

- Tu n'as donc pas peur?- Si, un peu.Les deux amies se turent dès que

Hugh et Edwin réapparurent, vêtus detuniques propres. Ils rejoignirent Alford,occupé à nettoyer une tache qu'il venaitde découvrir sur sa manche.

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Les domestiques s'activaient pouraccueillir le roi. Des bûches furentrajoutées dans la cheminée. La table futnettoyée et recouverte d'une nappebrodée, sur laquelle on disposa descandélabres en argent.

Pendant ce temps, Alford et sesdeux comparses s'interrogeaient sur laraison de cette visite surprise.

- Peut-être le roi a-t-il appris que vossoldats avaient quitté le château deMorgan, suggéra Edwin.

- Ils ont déserté, corrigea Hugh. Cescouards n'ont même pas eu le cran delivrer bataille. Ils devront être châtiés.

- Le roi ne peut pas déjà être aucourant, intervint Alford.

- Alors, pourquoi débarque-t-ilmaintenant? demanda Edwin.

- Je suppose qu'il a une bonneraison, répliqua Alford. La rumeurprétend qu'il a l'intention d'aller enFrance. Sans doute souhaite-t-il que jeme joigne à lui.

Bridgid se pencha vers Gillian.

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- As-tu vu la réaction d'Alfordquand on lui a annoncé que ses soldatss'étaient volatilisés ? J'ai bien cru qu'ilallait avoir une attaque.

- Bridgid, quand le roi sera là, ne luimens surtout pas. S'il te demandecomment tu t'appelles, dis-lui ton vrainom.

- Mais Alford saura alors que je nesuis pas ta sœur!

- Tu ne peux pas mentir au roid'Angleterre.

Bridgid renonça à argumenter et serangea à l'avis de Gillian.

- En tout cas, ça tombe mal que Jeanait précisément choisi ce moment pourrendre visite au baron. Pourquoi vient-il,à ton avis ?

- Parce que je l'ai envoyé chercher,répondit tranquillement Gillian.

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38

L'heure du règlement de comptesétait enfin arrivée.

Jean fit une entrée en grande pompedans le château d'Alford. Il était suivid'une vingtaine d'officiers de sa gardepersonnelle. Dès que leur souverain eutpénétré dans la grande salle, les soldatsse rangèrent le long des murs, leursarmes bien en vue, prêts à intervenir à lamoindre menace.

Gillian et Bridgid mirent un genou àterre, baissèrent respectueusement la têteet attendirent que le roi les autorise à seredresser.

Gillian, cependant, osa jeter un coupd'œil vers lui. Elle était curieuse de voir àquoi ressemblait celui qu'on présentaitparfois comme la réincarnation dudiable. Finalement, elle fut presquesurprise de constater qu'il n'arborait pasdeux cornes sur le front. En fait, Jeanétait d'apparence tout à fait ordinaire. Il

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avait des cheveux bruns, une barbepoivre et sel, et paraissait à peine plusgrand qu'elle.

Les trois barons s'étaient inclinés,eux aussi. Dès que Jean leur eut donné lapermission de se relever, Alfords'exclama, tout sourires :

- Quelle merveilleuse surprise, sire !- N'est-ce pas? répliqua Jean,

visiblement amusé.- Que me vaut l'honneur de votre

visite, sire ?- Ce n'est pas toi que je viens voir,

répondit Jean, avant de lui tournerdélibérément le dos.

Gillian et Bridgid se retrouvèrentsoudain nez à nez avec une paire debottes parfaitement cirées.

- Relevez-vous, leur ordonna Jean.Elles s'exécutèrent aussitôt. Bridgid

regarda le roi dans les yeux puis,remarquant que Gillian gardait la têtebaissée, elle s'empressa de l'imiter.

- Laquelle de vous deux est ladyGillian?

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- C'est moi, sire.Alford s'approcha.- Puis-je vous demander, sire, ce que

vous voulez à ma pupille ?- Ta pupille, Alford? Je ne me

rappelle pas t'avoir nommé son tuteur.Gillian releva la tête. Le roi fut si

surpris par l'intensité de ses prunellesémeraude et la perfection de ses traitsqu'il en resta bouche bée.

- Elle est magnifique !S’exclama-t-il. Pourquoi n'a-t-elle pasété présentée à ma cour?

- J'ai pensé que vous n'aimeriez pasavoir la fille d'un assassin à votre cour,répondit Alford. Comme vous le savez,je suis convaincu que le père de Gillianétait impliqué dans le complot destiné àtuer Arianna et à vous voler le coffret.Voilà pourquoi j'ai préféré la teniréloignée de votre palais.

Jean plissa les yeux.- Oui, bien sûr. Tu as toujours été un

ami attentionné.

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Le baron inclina respectueusementla tête.

- Gillian vivait chez son oncleMorgan Chapman, reprit-il. Elle vientjuste de revenir à Dunhanshire. Je vaisl'expédier dans sa chambre, pour quevous n'ayez plus à souffrir sa présence.

- Non. Retourne t'asseoir avec Hughet Edwin, pendant que je m'entretiens enprivé avec ces deux jeunes femmes.

Alford n'osa pas discuter l'ordre deson souverain, mais il gratifia Gilliand'un regard menaçant, avant de rejoindreses comparses. Trop agité pour s'asseoir,il resta debout entre Hugh et Edwin ettendit l'oreille, pour tenter d'entendre ceque Jean disait à Gillian et à sa sœur.

- Où est-il? demanda le roi à Gillian.Avez-vous apporté le coffret avec vous ?

- Non, sire. Mais je crois savoir où ilest caché.

- Vous croyez? répéta-t-il en criantpresque. Vous n'en êtes donc pas sûre ?Si j'ai fait ce voyage pour rien, je vouspromets que vous le regretterez.

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Il s'était violemment empourpré.Gillian s'empressa de le rassurer, avantqu'il ne perde tout à fait son calme.

- Je n'ai pas encore eu le temps de lechercher, mais je suis certaine qu'il estcaché ici, à Dunhanshire. Si vous voulezbien m'accompagner, je vous conduirai àl'endroit où il doit se trouver.

Son explication avait déjà apaiséJean.

- Si vous dites vrai, cela prouverasans l'ombre d'un doute que votre pèreétait effectivement impliqué dans lemeurtre d'Arianna. Vous en avezconscience ?

Gillian savait qu'il était risqué decontredire le roi, mais elle ne puts'empêcher de défendre la mémoire deson père.

- J'ai toujours entendu dire que monpère était un homme d'honneur. Et leshommes d'honneur n'égorgent pas desjeunes femmes innocentes.

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- Moi aussi, je pensais que votrepère était un sujet loyal, répliqua Jean.Jusqu'à ce qu'il me trahisse.

- Je refuse de croire qu'il vous atrahi. À l'époque, ma mère venait demourir et mon père la pleurait encore. Icimême, à Dunhanshire.

- Certes, il n'était pas au palais lejour de l'assassinat d'Arianna, maisAlford est persuadé qu'il avait descomplices. Et l'assassin aura confié lecoffret à votre père. Si nous leretrouvons ici, la théorie d'Alford seraconfirmée.

- Je ne sais plus quoi dire pour vousconvaincre de l'innocence de mon père,avoua Gillian.

- Nous serons bientôt fixés, grâce àvous. Qu'est- ce qui vous a décidée à mefaire appeler?

- Alford a séquestré mon oncleMorgan et m'a menacé de le tuer si jen'allais pas en Écosse chercher ma sœur.Il pensait qu'elle détenait le coffret etvoulait que je le lui rapporte.

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Jean coula un regard vers Bridgid,mais ne lui adressa pas la parole.

- Alford a toujours manifestébeaucoup de zèle pour m'aider àretrouver le coffret d'Arianna,expliqua-t-il. Je ne peux pas luireprocher d'avoir recouru à desprocédés... extrêmes. La fin justifie lesmoyens.

Il eut un sourire indulgent et ajouta :- Mais Alford a aussi ses petits

défauts. La cupidité, par exemple.J'imagine qu'il projetait de vous prendrele coffret et d'empocher seul larécompense. J'aurais fait pareil à saplace. Et vous aussi, apparemment.

- Sire, je n'attends aucunerécompense.

- Alors, que voulez-vous ?- Que vous protégiez mon oncle.- C'est tout? Vous ne désirez rien

d'autre?- Rien, sire.Le roi changea brusquement

d'humeur. Il devint soudain charmant et

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attentionné. Mais Gillian préféra restersur ses gardes.

- Je viens juste de parler avecMorgan, annonça- t-il.

Gillian se sentit pâlir.- Est-ce qu'il va bien, sire ?- Il est fatigué, mais il va bien, oui.

Vous le verrez bientôt.Gillian avait les yeux embués de

larmes.- Merci, sire, murmura-t-elle. Je

devine que vous êtes impatient devérifier que le trésor est bien là, mais sivous me le permettez, j'aimerais vousdemander...

- Oui?- Si je me suis trompée et que le

coffret n'est pas ici, je vous supplie de nepas vous venger sur mon oncle. Il esttotalement étranger à cette histoire. Moiseule suis responsable…

Jean soupira.- Voilà quinze ans que j'attends de

revoir ce coffret. Une nouvelle déceptionm'attristerait affreusement, mais je vous

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donne ma parole que votre oncle sera detoute façon sous ma protection. Et vousaussi, Gillian. Même si le trésor n'est pasici. Me prendriez-vous pour un monstre? Je ne vais quand même pas vous fairepayer les crimes de votre père.

Gillian savait qu'à ce momentprécis, il était sincère. Mais elle savaitaussi qu'il pouvait très bien changerd'avis sur une impulsion. Aussin'accorda-t-elle qu'un crédit tout relatif àsa parole.

- C'est très aimable à vous, sire,murmura-t-elle.

- Mais je ne manque jamais d'êtreaimable avec les jolies femmes,répliqua-t-il avec un sourire arrogant.Dites-moi, Gillian...

- Oui, sire ?- Êtes-vous mariée à ce géant aux

cheveux blonds nommé lord Buchanan ?Gillian acquiesça.- Oui, sire. Je suis sa femme. Est-il

là? L'avez- vous vu?

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- Oui, il est là, confirma Jean enriant presque. Et ses amis aussi. Avecune petite armée en prime. En fait, ondirait que la moitié des guerriers desHighlands assiègent Dunhanshire.

Bridgid laissa échapper un cri desurprise qui attira l'attention du roi.

- Je vous ai ignorée trop longtemps,ma chère. Pardonnez mon impolitesse.

- C'est ma meilleure amie, expliquaGillian. Elle s'appelle BridgidKirkConnell.

Bridgid sourit au roi.- Est-ce pour vous qu'est venu lord

Sinclair? demanda Jean en lui rendantson sourire.

- J'appartiens à son clan, sire,répondit Bridgid, intimidée. Mais iln'aurait pas accompli tout ce péripleuniquement pour moi.

Jean s'esclaffa.- Détrompez-vous. Je dois avouer

que ces Écossais sont assez intimidants,au premier abord. J'ai rencontré les troislords, tout à l'heure. Apparemment, ils

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venaient d'apprendre que vous étieztoutes les deux ici et ils paraissaient pourle moins... nerveux. Notamment lordSinclair, à qui il a pratiquement fallu queje promette que je ne vous ferais aucunmal, Bridgid. Mais, dites-moi, pourquoiavez-vous suivi Gillian ?

La jeune femme se tourna vers sonamie et implora son aide du regard.

- Le baron Alford croit qu'elle estma sœur, expliqua Gillian.

- Mais c'est faux, n'est-ce pas?- En effet, sire.- Nous avons menti au baron,

déclara Bridgid. Mais Gillian m'ademandé de ne pas vous mentir, à vous.

Le roi sembla amusé par sonhonnêteté.

- Elle a eu raison. Qu'est devenuevotre vraie sœur? ajouta-t-il à l'adressede Gillian.

Celle-ci baissa les yeux.- Hélas, sire, elle est perdue à tout

jamais.

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Jean hocha la tête, tout disposé à lacroire. Alford tenta alors de s'immiscerdans la conversation en proposant desrafraîchissements au roi.

- Je trinquerai avec toi à mon retour.- À votre retour, sire ?- Oui. Lady Gillian va me montrer

l'endroit où elle pense pouvoir retrouverle coffret d'Arianna. Nous y allons de cepas.

Alford fit signe à Horace des'approcher, tandis que Jean souriait àGillian.

- Je vous suis, dit-il en lui offrantgalamment son bras.

La jeune femme s'exécuta, un peutremblante. Le roi, devinant sonappréhension, lui tapotaaffectueusement la main.

- Vous m'êtes loyale, n'est-ce pas ?- Oui, sire.- Dans ce cas, vous n'avez rien à

craindre de moi.D'une voix mélancolique, il reprit :

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- Par certains côtés, vous me larappelez, vous savez.

- Vous voulez parler d'Arianna, sire?

- Oui, Arianna. Je l'aimais comme jen'ai jamais aimé aucune autre femme.Elle était... parfaite. Je me suis souventdemandé quel cours aurait suivi monexistence si elle avait vécu. Elle merendait différent... meilleur.

Jean s'interrompit en constatantqu'Alford s'entretenait avec un de sessoldats.

- Que lui dis-tu de si important pourjustifier ton insolence ? Je te rappellequ'aucune conversation ne doit se teniren ma présence, si je n'y participe pas.

Alford s'empressa de s'excuser.- Horace est l'un de mes plus fidèles

soldats, expliqua-t-il. Je pensais quevous pourriez lui accorder l'honneur devous escorter, avec trois autres hommes,vous et lady Gillian.

Le roi accepta avec un haussementd'épaules.

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- Nous n'allons pas bien loin, fit-il.Puis il se tourna vers ses hommes et

leur ordonna :- Ne bougez pas d'ici. Personne ne

doit quitter cette pièce en mon absence.Bridgid, ma chère, vous voulez bienm'attendre, vous aussi ?

- Oui, sire.Alford intervint encore :- Puis-je vous accompagner, sire ?- Non. Tu restes ici.Alford réitéra cependant sa requête.- Il n'en est pas question, répliqua

sèchement Jean, que l'attitude du baroncommençait à irriter. Et je te conseille dete tenir éloigné des fenêtres.

Comme Alford semblait dérouté parsa remarque, Jean s'esclaffa.

- Aurais-je oublié de préciser queDunhanshire était cerné par les Écossais? Oui, je vois à ton expression que j'avaisomis ce détail. J'espère que tu ne m'enveux pas.

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- Les sauvages sont ici ? s'exclamaAlford, incapable de dissimuler sapanique.

- C'est ce que je viens de t'expliquer.Je suppose que tu as deviné la raison deleur venue ?

Alford feignit l'ignorance.- Non, sire. Pourquoi le saurais-je ?De toute évidence, l'embarras de son

ami amusait Jean. Alford avait misbeaucoup trop d'ardeur à récupérer lecoffret d'Arianna. Il s'était aliéné depuissants seigneurs écossais. Parailleurs, Jean n'avait pas envie de sefâcher avec Morgan, très écouté dans lanoblesse, et qui lui avait toujours étéloyal. Oui, Alford méritait une bonnepunition, avant que Jean ne décide de luipardonner.

- Dans ce cas, désires-tu que je tel'explique?

- Comme il vous plaira, sire.- Ils veulent te tuer. Attends que je

me rappelle leurs paroles exactes... Ah,oui, j'y suis! Le plus grand, lord

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Maitland, projette de t'arracher le cœur àmains nues avant de te l'enfoncer dans lagorge. N'est-ce pas amusant?

Alford se força à sourire.- Oui, c'est amusant.- Ils ont également proféré des

menaces contre vous deux, reprit Jean àl'intention de Hugh et d'Edwin. LordBuchanan est persuadé que l'un d'entrevous a frappé sa femme et il veuttrancher la main du coupable.

- Vous devriez les faire exécuter,pour avoir osé menacer vos amis !répliqua Alford, soudain hors de lui. J'aitoujours été à vos côtés, sire, même dansles moments les plus difficiles. Tuez- les!

- Non ! s'écria Gillian.Jean lui tapota le bras.- Tu n'as pas honte d'effrayer cette

pauvre petite, Alford ? Venez, Gillian.Nous reprendrons cette conversation àmon retour. Mais je vous promets que jen'ai aucune intention de tuer vos amis.J'ai déjà assez de soucis comme cela

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dans mon royaume pour ne pas memettre, en plus, toute l'Ecosse à dos.

On leur ouvrit la lourde porte duchâteau. En arrivant sur le perron,Gillian se figea. Ian, Ramsey et Brodickse tenaient au centre de la cour, leur épéeà la main, l'air sévère.

Jean se tourna vers la jeune femme.- L'avez-vous épousé de votre plein

gré? demanda-t-il, faisant allusion àBrodick.

- Oui, sire. Je l'aime.- Alors, ce qu'on dit est sûrement

vrai : l'amour est aveugle.Ne sachant pas s'il plaisantait ou

non, Gillian ne répondit rien.Comme ils descendaient les

marches du perron, Brodick avança d'unpas.

- Sire, mon mari peut-il nousaccompagner ? demanda Gillian. Je nel'ai pas vu depuis un moment et saprésence me ferait plaisir.

- Vraiment? S’étonna Jean.Pourtant, lui n'a pas l'air très content de

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vous revoir. Pour tout vous avouer, ilressemble à un mari qui s'apprête à battresa femme.

- Oh, il ne ferait jamais une chosepareille ! s'écria Gillian.

Jean s'arrêta devant Brodick et leregarda droit dans les yeux.

- Votre épouse souhaite que vousnous teniez compagnie durant notrepetite promenade.

Brodick ne dit pas un mot, mais ils'effaça pour laisser passer le roi etGillian devant lui. Il en profita poureffleurer la main de la jeune femme, àqui cette simple caresse donna desfrissons.

Gillian éprouvait des sentimentscontradictoires.

Elle aurait voulu se jeter dans sesbras et lui dire qu'elle était désolée del'avoir obligé à courir un tel danger, maiselle ne lui avait toujours pas pardonnéd'avoir brisé sa promesse.

Comme l'avait ordonné Jean, sessoldats ne bougèrent pas tandis qu'il

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traversait la cour, Gillian à son bras.Brodick les suivait, Horace et les troisautres hommes d'Alford derrière lui.

- Où m'emmenez-vous ? demandaJean.

- Dans l'ancienne écurie, sire. Elle aété conservée et se trouve derrière lenouveau bâtiment construit par Alford.

- Pourquoi ne pas l'avoir détruite?- Par superstition, sire.- Expliquez-vous, lady Gillian. Et,

par la même occasion, dites-moi ce quivous fait penser que le coffret pourrait setrouver là.

Gillian commença par lui parler dela nuit où son père avait été tué. Elleterminait son récit quand ils atteignirentl'écurie en ruine.

Jean réclama une torche, qu'un deshommes d'Alford s'empressa d'allerchercher. Pendant qu'ils l'attendaient,Jean demanda à Gillian :

- Alors, quelle est cette superstition?- La folie d'Hector effrayait tout le

monde. Chaque personne qui le

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rencontrait s'empressait de faire le signede croix dans son dos. Les genss'imaginaient qu'Hector était possédé parle diable et qu'il avait le pouvoir decontaminer tout ce qu'il touchait. Voilàpourquoi personne n'a osé détruirel'écurie. C'est là qu'il a dormi jusqu'à samort.

- À vous entendre, tous mes sujetssont ignorants et superstitieux. Mais sivotre hypothèse est confirmée, leurscraintes auront protégé mon trésor àtravers toutes ces années.

Le soldat revint avec la torche, etJean lui fit signe de pénétrer le premier àl'intérieur. Gillian se sentit soudain sinerveuse qu’elle craignit que ses jambesne se dérobent sous elle.

Soudain, la main de Brodick se posafurtivement sur son épaule. Cette caressene dura pas plus d une seconde, mais ellelui prodigua tout le réconfort dont elleavait besoin pour trouver la force desuivre le roi dans l'écurie.

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Quelques rais de soleil filtraient parles ouvertures, mais la torche se révélabien utile pour percer la pénombre quibaignait le bâtiment. L'air sentait uneodeur de moisi et de renfermé, quidevenait plus forte à mesure qu'ilsavançaient.

Le roi s'arrêta au milieu de l'allée etdemanda à Gillian de les guider.

- C'est là-bas, dans le coin,expliqua-t-elle.

Arrivée devant la dernière stalle,elle poussa un petit cri. La besaced'Hector était toujours là, accrochée àson clou.

- Allons-nous enfin retrouver lecoffret? murmura Jean.

Il s'approcha, Gillian à ses côtés, pritla besace et s'agenouilla.

- Le trésor est là-dedans, sire ? luidemanda Horace dans son dos.

Le roi ne répondit pas.- Voyez-vous comme mes mains

tremblent? Chuchota-t-il à Gillian,

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tandis qu'il ouvrait la besace pour enrépandre le contenu sur le sol.

Quelques cailloux en sortirentd'abord, puis deux ou trois petitsmorceaux de bois, et enfin, un objet pluslourd, enveloppé dans un morceau detissu à moitié mangé par les mites. Le roiretint son souffle et dégagea l'objet del'étoffe. Soudain, le coffret apparut enpleine lumière, avec ses joyaux dont letemps n'avait même pas terni l'éclat.

Le roi avait les larmes aux yeux.Perdu dans ses souvenirs, il pleurait uneseconde fois la mort de sa chère Arianna.

-. Sire, le trésor est là ? InsistaHorace.

Le roi était trop bouleversé pourremarquer son insolence ou s'enoffusquer.

Brodick, cependant, commençait àse douter de quelque chose. Il tourna ledos au roi et à Gillian et surprit Horaceen train de faire un signe à sescompagnons. Les quatre soldatsformèrent alors un demi-cercle autour de

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Brodick, le dernier obstacle entre eux etle roi.

Il avait deviné leur plan.- Votre roi n'est pas armé, leur dit-il.Jean, toujours agenouillé, leva la

tête et vit les soldats dégainer leursépées. S'imaginant qu'ils cherchaient à leprotéger de quelque chose, il demanda :

- Où est le danger?Les soldats restèrent muets.- Gillian, explique à ton roi que ces

hommes ont l'intention de le tuer,intervint Brodick.

Horace esquissa un sourire.- C'est exact. Nous allons vous tuer,

Jean. Et l'Écossais et sa femme du mêmecoup.

S'adressant à Brodick, il ajouta :- Naturellement, c'est vous qui serez

accusé. Nous déclarerons que nousn'avons pas pu intervenir à temps.

Jean se redressa.- Un cri de moi, et mes hommes

envahissent le bâtiment.Horace ricana.

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- Vous serez mort avant qu'ils aientfranchi la porte.

Brodick secoua la tête.- Je ne vous laisserai pas assassiner

votre roi, parce que cela révolterait mafemme. Et il est encore moins questionque vous touchiez à un seul de sescheveux à elle. Me suis-je bien faitcomprendre ?

Ils se ruèrent sur lui en même temps.Cette erreur tactique donna l'avantage àBrodick, car, dans leur précipitation, ilsse cognèrent les uns aux autres.

Réagissant avec l'agilité d'un fauve,Brodick les combattit avec une adressestupéfiante. Son épée lançait des éclairsen tournoyant dans l'air. Il ne lui fallutque quelques secondes pour venir à boutdes deux premiers Anglais.

Gillian avait tiré le roi par lamanche, pour l'écarter de la bataille,mais Jean, en galant homme, refusa dereculer. Il abrita Gillian derrière lui, seservant de son corps comme bouclier.

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Entre-temps, tout était déjà fini.Brodick avait occis les deux derniersassaillants. Il essuya son épée aupourpoint d'un des cadavres, pour lanettoyer du sang des traîtres qui ensouillait la lame, avant de la ranger dansson fourreau. Puis il se retourna,triomphant, et constata avec surprise quele roi protégeait sa femme.

Jean observait les cadavres, médusé.- Quatre contre un... C'est

impressionnant.Brodick haussa les épaules.- Vous vous laissez facilement

impressionner.Le roi se baissa pour ramasser son

trésor.Ensuite, avec mille précautions, il

fit jouer le mécanisme secret quidéclenchait l'ouverture du coffret.Pendant de longues secondes, il secontenta d'en contempler fixement lecontenu.

Puis, brusquement, un son s'échappade sa gorge.

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Ce fut d'abord un murmure torturé,tout droit surgi des profondeurs dupassé, mais qui se changea bientôt en unrugissement féroce.

Gillian frissonna. Tout à coup, ellesentit qu'elle allait craquer. Elle redevintsoudain la petite fille qui courait dansl'escalier humide du château, terrifiéepar les dragons qu'elle croyait voir rôderalentour, tendant en vain la main dansl'espoir, que son père viendrait lasauver...

Mais ce fut Brodick qui apparutdevant elle.

- Gillian, regarde-moi...La tendresse de sa voix et la caresse

de sa main sur sa joue tirèrent la jeunefemme de son cauchemar éveillé. Elle sejeta dans ses bras.

- Je veux rentrer à la maison, dit-elleen sanglotant.

- Nous rentrerons bientôt, lui promitBrodick. Pour l'instant, abrite-toiderrière moi.

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Gillian s'empressa d'obtempérer.Les soldats du roi, probablement alertéspar le bruit de la bagarre, s'engouffraientdans l'écurie. Quand ils apercevraient lescadavres des traîtres, ils s'en prendraientsans doute à Brodick, comprit-elle.

Jean, pendant ce temps, avaitrefermé le coffret. Il le rangea dans lavieille besace d'Hector et se releva enessuyant une larme.

D'un geste de la main, il ordonna àses soldats de s'écarter de son chemin.

- Cet homme est avec moi, dit-il endésignant Brodick, avant de s'éloignervers la sortie.

Gillian et Brodick le suivirent. Deretour dans la cour du château, ils virentDylan et Robert se diriger vers eux àcheval.

- Sors-la d'ici, ordonna Brodick àDylan. Toi, Robert, viens avec moi. Tute chargeras de Bridgid.

Gillian n'eut même pas le temps dediscuter.

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Dylan se pencha, la souleva dans sesbras, l'assit sur sa selle et repartit augalop.

Ensuite, Jean invita Ian et Ramsey àpénétrer avec lui, Brodick et Robert dansle château.

À peine Ramsey fut-il entré dans lagrande salle qu'il repéra Bridgid. Il seprécipita vers elle et la tira de sa chaise.

La jeune femme était terrifiée. Ellene l'avait jamais vu aussi en colère. MaisRamsey ne lui dit pas un mot, secontentant de la confier à Robert, quil'entraîna aussitôt dehors.

Pendant ce temps, le roi discutait àvoix basse avec Ian. Ramsey lesrejoignit au moment où Ian expliquait àJean que son fils, Alec, avait été retenuprisonnier par Alford.

- Me permettez-vous de vousemprunter votre épée ? demanda soudainle roi.

Ian hésita, puis lui donna son arme.Alors, Jean, l'épée dans une main, labesace dans l'autre, s'avança vers la

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table, d'où Alford n'avait pas bougédepuis son départ.

Le baron voulut se lever, mais le roilui ordonna de rester assis.

- Cette journée m'aura apporté unegrosse déception, dit-il d'une voixglaciale.

- Vous n'avez pas retrouvé le trésor? demanda Alford, sans pouvoirréprimer une ébauche de sourire.

Comme Jean ne répondait pas, il enconclut qu'il avait vu juste.

- Doit-on tolérer la présence desÉcossais dans cette pièce, sire ?

- Te font-ils peur?Alford n'était pas vraiment inquiet.

Il savait que si les Écossais devenaientmenaçants, sa garde et celle du roisauraient facilement les maîtriser.

- Non, sire, ils ne me font pas peur.Mais ce sont des sauvages.

- J'aimerais que tu te montres un peuplus hospitalier.

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Sur ces mots, le roi commença àfaire le tour de la table, sans quitter lestrois barons des yeux.

- Cette visite à Dunhanshire a ravivémon chagrin, dit-il. Je n ai jamaisvraiment aimé qu'une seule femme, etc'était Arianna. Mon meilleur ami,Alford, me l'avait présentée, et j'ai toutde suite eu le coup de foudre pour elle. Jecrois qu'elle m'aimait aussi. Et si elleavait vécu, je l'aurais épousée.

Il s'immobilisa et jeta la besace surla table, juste devant Alford.

- Ouvre-la ! lui ordonna-t-il.Alford ouvrit la besace et en tira le

coffret.Jean lui expliqua ce qu'il contenait.- Au fond, il y a ma dague. Je l'avais

confiée, avec le coffret, à mon écuyer,pour qu'Arianna coupe une mèche de sescheveux. Tu t'en souviens, Alford?

Avant que le baron ait pu répondre,Jean poursuivit :

- Sur ma dague est effectivementposée une mèche de cheveux blonds, qui

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n'a pu appartenir qu'à ma tendre Arianna.Mais au-dessus de la mèche, devine ceque j'ai trouvé, Alford ?

- Je... je ne sais pas, bafouilla lebaron.

- Si, tu le sais. Ta dague.- Non ! Ce n'est pas la mienne !

s'écria Alford.Jean haussa les sourcils.- Non ? Pourtant, ce sont tes

armoiries qui sont gravées sur lemanche.

- Quelqu'un... quelqu'un m'aura voléma dague. Le père de Gillian a dû...

- Le père de Gillian n'était pas à lacour, ce jour- là, lui rappela Jean. Maistoi, tu y étais. Et c'est toi qui l'as tuée.

- Non. Je n'ai pas...Jean tapa du poing sur la table,- Si tu veux rester en vie, je te

conseille de me dire la vérité.- Si je veux rester en vie ? répéta

Alford, paniqué.- Je ne te tuerai pas si tu me dis la

vérité, lui promit Jean. Mais j'ai besoin

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de savoir ce qui s'est exactement passé.L'as-tu assassinée, oui ou non ?

- Elle s'apprêtait à vous trahir. Ellepensait avoir acquis assez de pouvoir survous pour vous influencer. J'ai agi pourprotéger mon roi.

- Raconte-moi ce qui s'estexactement passé, répéta Jean.

- Je m'étais rendu dans sa chambrepour la raisonner, mais elle s'est moquéede moi, sire. Pendant que j'étais là, votreécuyer a monté le coffret et l'a posé surun guéridon. Le coffret était ouvert etvotre dague se trouvait à l'intérieur.L'écuyer ne m'a pas vu. Après sondépart, Arianna a pris votre dague pourse couper une mèche de cheveux. Puiselle a reposé la dague dans le coffret etmis sa mèche dessus.

- Et tu as recommencé à discuteravec elle ?

- Oui. Mais elle refusait d'entendreraison. Elle prétendait que désormais,plus personne ne s'interposerait entrevous et elle et qu'elle pourrait vous dicter

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ses quatre volontés. Pour finir, elle s'estjetée sur moi et j'ai dû me défendre.

- Tu lui as tranché la gorge.- C'était un accident. J'admets avoir

paniqué. Sans réfléchir, j'ai jeté madague dans le coffret et je l'ai refermé.

- Et comme tu possédais une clé desa chambre, tu as pu t'échapper sans tefaire remarquer, conclut le roi à sa place.Tu as refermé derrière toi et tu es partiavec le coffret. C'est bien cela?

- Oui.- Ensuite, tu es venu me consoler -

en bon ami que tu étais - quand j'aidécouvert le corps de ma pauvreArianna.

- Je voulais tout vous avouer, maisvous étiez si bouleversé que j'ai préféréattendre.

- Non. Tu as décidé de faire porterles soupçons sur le baron deDunhanshire.

- C'est vrai, convint Alford avec unemine contrite. Le lendemain, le père deGillian a débarqué chez moi à

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l'improviste, pour parler affaires. Il aaperçu le coffret et, dès que j'ai eu le dostourné, il me l'a volé. Il voulait le garderpour lui.

- Tu sais bien que ce n'est pas vrai,objecta le roi, qui avait recommencé àtourner autour de la table. Tu avaiscompris que Ranulf me rendrait lecoffret. Et c'est pour cela que tu t'esemparé de son château et que tu l'as tué.Pour le réduire au silence.

- Il fallait que je tue Arianna,s'entêta Alford. Elle vous aurait détruit.

Le roi jugea qu'il en avait assezentendu. Il se trouvait à présent derrièreAlford. Lentement, il brandit l'épée deIan à bout de bras.

- Que le diable t'emporte, dit-il enenfonçant la lame de l'épée dans le dosdu baron.

Alford se raidit brutalement ettomba de son siège. Jean se recula, lesouffle court. Un silence de mort S'étaitabattu dans la pièce. Puis le roi récupérason coffret et partit vers la porte.

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- Votre fils a été vengé, dit-il à IanMaitland, avant de lui rendre son épée.

- Sire ! Sire ! Appela Hugh en selevant de table. Edwin et moi n'avonsjoué aucun rôle dans les crimes d'Alford.

Jean l'ignora. Avant de sortir, il setourna une dernière fois vers les troislords écossais.

- Ils sont à vous, leur dit-il. Et laporte se referma sur lui

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Ramsey et Brodick n'étaient pasfacilement intimidables. Mais quand lebaron Morgan Chapman eut terminé deleur faire la leçon, ils étaient dans leurspetits souliers.

Le baron les avait accueillis dans lasalle de réception de sa demeure, brascroisés, comme s'il s'apprêtait àréprimander ses fils. C'était terriblementhumiliant, mais Brodick et Ramsey, quiavaient appris à respecter leurs aînés, nes'étaient pas rebellés.

- Voilà maintenant deux jours,commença le baron, que j'endure lespleurs et les jérémiades de deux jeunesfemmes très en colère contre vous. Vousavez si bien brisé le cœur de ma petiteGillian qu'elle ne veut plus jamais vousrevoir, ajouta-t-il à l'adresse de Brodick.

- Dans ce cas, elle n'aura qu'à fermerles yeux. Mais je vous jure qu'ellerentrera chez moi.

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- Vous l'avez épousée à la hâte.- Quand je désire quelque chose, je

le prends. Je n'ai pas besoin de réfléchirdes années.

- Quelque chose ? Nous parlons dema nièce, lui rappela le baron d'un tonsévère.

- Oui, monsieur.- Elle m'assure que vous avez rompu

un serment.- C'est vrai.- Elle pense que vous l'avez

manipulée.- C'est encore vrai.- Bon sang, vous pourriez au moins

tenter de vous justifier!- Je ne voulais pas prendre le risque

de l'exposer au danger. Si quelqu'un doitêtre en colère, c'est bien moi. Car ellem'a quand même suivi.

Morgan se passa la main dans lescheveux.

- Elle est convaincue que vous nel'aimez pas et a insisté pour revenir vivreici avec moi.

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Sans laisser à Brodick l'occasion dese défendre, le baron se tourna versRamsey et poursuivit :

- Bridgid a également demandé às'installer ici. Elle me jure qu'elle adoredéjà l'Angleterre.

- Elle va rentrer avec moi, répliquatranquillement Ramsey.

- Et pourquoi, s'il vous plaît?Ramsey parut étonné par sa

question.- Mais parce que c'est une Sinclair.- Ce n'est pas une raison suffisante.

Elle m'a dit que vous cherchiez à lamarier pour vous débarrasser d'elle. Etque sa mère l'avait jetée dehors. Est-cevrai?

Ramsey soupira.- Oui, c'est vrai.- Et la harcelez-vous pour qu'elle se

marie ?- Non, pas du tout. Bridgid m'a

avoué qu'elle était amoureuse, mais ellea refusé de me dire de qui.

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Morgan, exaspéré, leva les yeux auplafond.

- Vous a-t-elle dit que c'était unhomme idiot et borné?

- En gros, oui.Le baron soupira.- Êtes-vous réellement stupide, mon

garçon ? À votre avis, de qui Bridgidpeut-elle bien être amoureuse?Réfléchissez un tantinet, et je suis sûrque vous trouverez.

La lumière se fit enfin dans l'espritde Ramsey, et un sourire se dessinalentement sur ses lèvres.

Le baron hocha la tête, visiblementsoulagé.

- Je vois que vous avez compris. Çan'a pas été trop long, heureusement. Carje pense que j'aurais difficilementsurvécu à une autre description de tousvos charmes. À présent, j'espère quevous renoncerez à cette idée idioted'épouser une MacPherson uniquementpour sauvegarder la paix dans votre clan.

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Ramsey ne put s'empêcher desourire.

- Elle vous a parlé de Meggan ?- Mon garçon, je ne crois pas qu'il y

ait quelque chose à votre sujet dont ellene m'ait pas parlé. Allez-vous enfinarrêter de vous conduire comme unidiot?

Ramsey ne se sentit pas offensé.- J'essaierai, en tout cas.- C'est une fille formidable.- J'en ai parfaitement conscience.Le baron se redressa.- Maintenant, écoutez bien ce que je

vais vous dire, vous deux, car je ne lerépéterai pas deux fois.

Brodick et Ramsey avaient plus quejamais l'impression d'être deux gaminspris en flagrant délit de chapardage.

Le baron s'adressa d'abord àBrodick :

- Je lis dans vos yeux que vousaimez Gillian. Alors, je vous conseille dele lui avouer, et vite, car elle estpersuadée que vous ne tenez pas à elle.

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- C'est ma femme. Bien sûr que jetiens à elle.

- Ne jouez pas avec les mots. Gilliann'est pas idiote.

- Je n'ai pas dit cela !- Je l'espère bien. Gillian n'est ni

idiote ni faible. Elle sait se défendre.Mais elle a développé de tendressentiments pour vous.

- Où voulez-vous en venir,monsieur?

- J'y venais, précisément. Nem'interrompez pas. J'aime énormémentma nièce...

Il se tourna vers Ramsey et ajouta :- Et je me suis également pris

d'affection pour Bridgid. Si elle désirerester ici, elle restera. Mais...

- Oui ? fit Ramsey, voyant qu'ilhésitait.

- Je voudrais que vous lespersuadiez, l'une et l'autre, de rentreravec vous. En termes choisis.Maintenant que vous avez brisé leurscœurs, essayez de les recoller.

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Après ce conseil, qui sonnait plutôtcomme un ordre, Morgan quitta la piècepour aller chercher les deux jeunesfemmes. Brodick et Ramsey attendirenten faisant les cent pas.

- Le baron me rappelle quelqu'un,mais je n'arrive pas à savoir qui, ditRamsey.

- En tout cas, même mon proprepère ne m'avait jamais parlé sur ce ton.L'oncle de Gillian a un peu exagéré.

- Ton père est mort quand tu étaistout petit. Tu n'as pas eu le temps de bienle connaître.

- Bon sang, quelle humiliation !Qu'est-ce que Gillian a donc bien puraconter à ce vieux barbon de...

Soudain, Ramsey éclata de rire.- Toi, dit-il. C'est toi!- Quoi?- Morgan me fait penser à toi. Bonté

divine ! Gillian a épousé un homme quiressemble à son oncle. Regarde bien lebaron et tu te verras dans trente ans.

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- Insinuerais-tu que je vais devenircomme lui ?

- Tu es déjà comme lui. Jecomprends, maintenant, pourquoiGillian est tombée folle amoureuse detoi.

- Je ne suis pas d'humeur à rire.Ramsey retrouva son sérieux.- Bridgid ne peut pas

raisonnablement croire qu'elle va resterici, dit-il.

- Quant à ma femme, j'ai la fermeintention de la ramener avec moi, quoiqu'elle en dise. S'il le faut, je n'hésiteraipas à utiliser la force.

- Vous parliez de moi,monseigneur?

En entendant la voix de Bridgid, lesdeux hommes se retournèrent.

- Où est ma femme ? demandaBrodick.

- À l'étage.- Peux-tu nous laisser seuls un

moment? demanda Ramsey à son ami.

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Dès que Brodick se fut éloigné,Ramsey s'assit sur la table, croisa lesbras et sourit à Bridgid. Mais celle-ci nelui rendit pas son sourire. Elle avaitbaissé humblement la tête, comme unejeune fille timide. Cela ne manqua pas del'étonner : d'ordinaire, Bridgid était toutsauf timide. À quoi jouait- elle, cette fois?

- Le baron Morgan m'a dit que voussouhaitiez me parler?

- Oui. J'ai quelque chose d'importantà vous dire. Mais d'abord, je voudraisque vous m'expliquiez comment vousavez réussi votre coup.

- Quel coup, monseigneur?- Bridgid, regardez-moi.- Oui, monseigneur.S'armant de courage, la jeune

femme leva les yeux vers lui. Son cœurbattait la chamade. Si jamais Ramseyl'embrassait, elle s'évanouirait à coupsûr. Mais cette éventualité lui parutsoudain si improbable qu'elle se calma.

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- Bridgid, reprit Ramsey, j'aimeraissavoir comment vous êtes parvenue àtraverser la moitié de l'Angleterre sansvous faire tuer.

- J'ai rusé, monseigneur, avoua lajeune femme. J'ai fait croire à Prosterque Gillian avait besoin des soinsd'Annie Drummond. En chemin, je lui aidit la vérité. Alan, Ker et lui ont refuséde nous abandonner.

- Mais pourquoi avez-vous déjoué lasurveillance de Proster pour rejoindreGillian à l'intérieur de Dunhanshire ?

- Je pensais pouvoir l'aider en mefaisant passer pour sa sœur. En réalité, jeme suis vite rendu compte que je lagênais. Monseigneur, m'autorisez- vousà vous poser une question?

- Oui?- Comptez-vous bientôt rentrer chez

vous ?- Oui.Elle hocha la tête.- Dans ce cas, je vous souhaite un

bon voyage, monseigneur.

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Sur ces mots, elle s'apprêta à tournerles talons.

- Nous n'avons pas encore terminé,Bridgid.

- Que voulez-vous savoir de plus,monseigneur?

- Approchez-vous, Bridgid.- Je suis bien où je suis,

monseigneur.- Approchez-vous, répéta Ramsey

d'un ton autoritaire.Bridgid refusa de capituler. Elle fit

deux pas en avant et s'immobilisa, raidecomme un soldat au garde-à-vous.

- Ça vous va, comme ça ?- Plus près.Cette fois, elle vint carrément se

planter entre ses cuisses.- Et là, c'est bon ?- Pour le moment, oui.Bridgid eut soudain honte de son

audace, mais Ramsey semblait s'amuserde son embarras. Il jouait avec elle et nepouvait pas imaginer la torture qu'elleendurait. Si seulement elle n'était pas

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tombée folle amoureuse de lui... La vieétait parfois bien cruelle ! L'idée queRamsey allait bientôt repartir luidéchirait le cœur. Mais elle s'était juré demourir plutôt que de verser une seulelarme en sa présence.

- Oncle Morgan m'a expliqué quevous vouliez me dire quelque chose,insista-t-elle. De quoi s'agit- il?

- Vous l'appelez « oncle Morgan »,maintenant? Depuis quand est-il votreparent?

La jeune femme releva fièrement lementon.

- Nous sommes devenus trèsproches.

Ramsey eut un regard réprobateur.- Vous ne resterez pas ici. Voilà ce

que je voulais vous annoncer.- Mais...- Il n'en est pas question, coupa

Ramsey. Vous rentrez avec moi.Bridgid ne put réprimer sa colère.- Non, je ne rentre pas. Je reste ici.

Oncle Morgan est d'accord. Et j'aime

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déjà l'Angleterre, figurez-vous. Ce n'estpas du tout ce pays horrible qu'onimagine en Écosse. Les paysages sontlargement aussi beaux que les nôtres. Etleurs habitants nous ressemblent.Savez-vous combien d'Anglais nous ontaidées, Gillian et moi, dans notrepériple? Des dizaines ! Mentit-elle.J'aime ce pays et j'aime l'oncle deGillian. C'est un homme bon, charmantet généreux.

Ramsey n'aurait pas vraiment décritMorgan comme quelqu'un de charmant,mais là n'était pas la question.

- Vous êtes une Sinclair, rappela-t-ilà Bridgid.

- Personne ne m'attend, là-bas.- Pas même cet homme dont vous

m'avez dit être amoureuse ?Elle recula d'un pas, mais Ramsey la

prit par le bras pour la rapprocher de lui.Bridgid évita ostensiblement de croiserson regard.

- Je ne l'aime plus, déclara-t-elle.

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- Comment ça, vous ne l'aimez plus? Vous êtes bien inconstante !

- Certainement pas. Je l'ai aimé ensecret pendant des années. Mais j'ai finipar comprendre qu'il ne me convenaitpas du tout.

Ramsey ne fut pas particulièrementravi de cette réponse.

- Qu'entendez-vous par là?- Oh, beaucoup de choses! Il est

arrogant, entêté et, par-dessus le marché,complètement idiot. Sans compter quec'est un coureur de jupons. Or je veuxépouser un mari fidèle. Désormais, jerefuse de perdre mon temps avec lui. Detoute façon, comme il a déjà toutes lesfemmes à ses pieds, il ne m'a même pasremarquée.

- Vous le croyez vraiment, Bridgid?- J'en suis sûre. C'est à peine s'il sait

que j'existe.Ramsey lui sourit.- Non seulement il sait que vous

existez, mais il pense aussi beaucoup àvous.

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Bridgid voulut le repousser, maisRamsey l'attira encore plus près de lui.

- Que faites-vous ?- Ce que j'avais envie de faire depuis

longtemps.Bridgid ne pouvait plus bouger, ni

même respirer. Et encore moins penser.- Allez-vous... m'étrangler ?Il rit. Et il riait encore quand il

l'embrassa. Les lèvres de Bridgid étaientd'une douceur exquise, et Ramseyéprouva un plaisir indicible à serrer lajeune femme dans ses bras, tandis qu'ils'emparait de sa bouche. Et plus leurbaiser durait, plus il sentait son désirmonter, irrésistible.

Il trouva cependant la force des'arrêter, lorsqu'il réalisa qu'il était entrain de basculer Bridgid sur la table,prêt à lui faire l'amour sur-le-champ.Quand il la relâcha enfin, ils mirentplusieurs secondes à reprendre leursouffle.

- Pourquoi m'avez-vous embrassée ?

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- Parce que j'en avais envie, réponditRamsey d'une voix odieusementsensuelle.

- Était-ce... un baiser d'adieu?Il rit.- Pas du tout. Vous allez rentrer à la

maison avec moi.- Je reste ici. J'ai l'intention

d'épouser un Anglais.- Il n'en est pas question ! Rugit

Ramsey, qui fut le premier étonné parson brusque accès de colère.

Aucune femme n'avait encoreprovoqué chez lui une telle jalousie,mais le simple fait d'imaginer Bridgiddans les bras d'un autre homme le mettaithors de lui.

- Vous êtes une Sinclair et vousappartenez à notre clan.

- Pourquoi voulez-vous que je rentre?

Pour la première fois de sa vie,Ramsey se sentit vulnérable. Leursregards se croisèrent un long moment,

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tandis qu'il rassemblait son courage pourlui ouvrir son cœur.

- Vous rendez mon existence plusjoyeuse. Je ne peux plus imaginer la viesans vous.

Elle secoua la tête.- Vous essayez seulement de

m'obliger à épouser un...- Attendez-vous en effet à recevoir

une nouvelle demande en mariage,coupa Ramsey.

- Qui est-ce?Ramsey se pencha vers elle.- Ne vous avisez plus de

m'embrasser ! ordonna la jeune femme.En ce qui concerne cette proposition, jela refuse.

- Vous n'avez pas envie de savoir dequi il s'agit?

- Dites-moi son nom, alors, que jepuisse le repousser.

- Il paraît que c'est quelqu'und'arrogant, d'entêté et de très idiot. Maisje crois qu'il a réalisé à quel point il avaitété stupide.

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- Mais... mais... balbutia Bridgid,qui commençait à comprendre. C'estexactement ce que j'ai dit de vous.

- Je vous aime, Bridgid.Voulez-vous m'épouser?

Brodick ne savait pas quoi faire. Iln'osait pas froisser le baron Morgan enretournant tout le château pour trouverGillian et l'emmener de force avec lui.Par ailleurs, il n'était pas exclu que safemme refuse de lui pardonner d'avoirrenié sa parole. Mais imaginer la vie sanselle lui était tout simplement impossible.

Ramsey, bien sûr, aurait pu l'aider àdémêler l'écheveau. Après tout, c'étaitlui, le diplomate. Mais son ami était troppréoccupé par Bridgid pour penser àautre chose. Du reste, il était déjà repartiavec elle, aussitôt après l'avoirconvaincue de l'épouser. Ian, quant à lui,n'était plus là. Impatient de retrouverJudith, il avait décidé de reprendre laroute dès qu'Alford avait été éliminé.

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Brodick se retrouvait donc seul, faceà Gillian et à son oncle intraitable.

Pour l'heure, Brodick n'avait que lacompagnie de l'oncle. Les deux hommesdéjeunaient ensemble, et Morganconstata avec amusement que l'Écossaisne touchait pratiquement pas à sonassiette. Juste au moment où ilcommençait à prendre pitié de lui, levieil homme aperçut Gillian quidescendait l'escalier.

Brodick tournait le dos à la porte. Ilne pouvait pas avoir vu sa femme.

- Mon garçon, lui dit Morgan, vousauriez dû mieux connaître le caractère dema nièce avant de l'épouser. Gillian esttrès têtue. Il suffit de passer cinq minutesavec elle pour s'en rendre compte.

- Je le savais, qu'elle était têtue.Mais je ne considère pas cela comme undéfaut.

- Je pense que vous devriez rentrerchez vous et la laisser ici. Ce seraitmieux pour vous.

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- Comment pouvez-vous mesuggérer de la quitter? s'exclamaBrodick, outré. Ma vie est avec elle,désormais.

- Mais pourquoi ne pas avoir tenuparole, alors?

- Je vous l'ai expliqué. Je ne voulaispas l'exposer au danger. J'avais trop peurde la perdre.

- En tout cas, ne t'avise plus jamaisde me mentir, à l'avenir.

Le son de la voix de Gillian causa untel émoi à Brodick qu'il faillit bondir dejoie. Cependant, il réussit à se contenir.Il se retourna et répondit calmement :

- Et toi, ne t'avise plus jamais dem'infliger tous ces tourments.

- Promets-moi d'abord de ne plusme mentir.

- Pas avant que tu m'aies promis dene plus prendre de risques inconsidérés.Quand Proster m'a appris que tu étaisentrée seule à Dunhanshire, pour te jeterdans la gueule du loup, j'ai bien cru

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que... Bon sang, Gillian! Je n'ai jamaiseu aussi peur de ma vie.

- Tu m'as blessée.- Je sais.- Et c'est tout ce que ça t'inspire ?

Dans ce cas, je reste ici, Brodick. Tupeux rentrer chez toi.

- Bon, d'accord.Il se leva de table, s'inclina devant

Morgan et quitta la pièce. Gillianattendit qu'il ait refermé la porte derrièrelui avant d'éclater en sanglots.

- Il me quitte ! Gémit-elle.- C'est toi qui lui as dit de partir,

observa son oncle.- Il va rentrer sans moi.- Parce que tu le lui as demandé,

insista Morgan.- Oui, mais d'habitude, il ne fait

jamais ce que je lui dis. Mon Dieu !Comment vais-je faire pour vivre sanslui ?

Morgan lui tapota affectueusementla main.

- Ça passera, tu verras.

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- Je l'aime tellement...- Mais n'oublie pas qu'il t'a menti.- Ça partait d'une bonne intention. Il

voulait me protéger.- Alors, pourquoi ne lui

pardonnes-tu pas ?- J'étais sur le point de lui

pardonner, répondit Gillian, quisanglotait toujours. Je ne peux pas vivresans lui. Pourquoi me quitte-t-il ?

- Écoute, tu commences à medonner la migraine, ma chérie.Assieds-toi et calme-toi. Pendant cetemps, je vais aller regarder par lafenêtre, pour voir s'il part déjà.

- Je n'arrive pas à croire qu'ilm'abandonne comme cela.

Morgan leva les yeux au plafond ets'arma de patience. Sa nièce était-elledonc aveugle ? Ne comprenait-elle pasque son mari l'aimait comme un fou?

Depuis la fenêtre qui donnait sur lacour, il vit Brodick descendre de chevalet ordonner à ses hommes de l'attendre.Comme l'Écossais revenait sur ses pas,

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Morgan décida de s'éclipser dans sachambre, pour laisser un peu d'intimité àGillian et à son mari.

- Je m'absente deux minutes, dit-il àsa nièce. Reste ici, je reviens.

Une fois sur le seuil, il s'arrêta.- Tu sais que je t'aime, n'est-ce pas,

ma chérie ?- Oui, mon oncle. Moi aussi, je vous

aime.Morgan s'apprêtait à monter

l'escalier, quand il entendit s'ouvrir laporte d'entrée.

- Je compte sur vous pour bien latraiter, dit-il sans se retourner.

- Vous pouvez, monsieur.- Je me demande si vous la méritez.- Je me le demande aussi. Mais je

vais quand même l'emmener avec moi.- C'est étrange, mon garçon. Vous

me rappelez quelqu'un, mais je n'arrivepas à savoir qui.

Il haussa les épaules et ajouta :- Tant pis, ça me reviendra une autre

fois. En attendant, vous feriez mieux

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d'aller la rejoindre, avant qu'ellen'inonde mon carrelage avec ses larmes.

En entendant rire son oncle, Gillianse tourna vers la porte, juste au momentoù Brodick entrait. Elle se leva d'unbond.

- Tu es revenu...- Je ne suis pas parti.Ils se jetèrent dans les bras l'un de

l'autre. Mais Brodick n'osa pasl'embrasser, car il craignait d'êtreincapable de s'arrêter. Or il souhaitaitd'abord s'excuser de lui avoir causé tantde peine. Tout à coup, lui dire ce qu'ilavait dans le cœur ne lui semblait plus siterrible, et il se reprochait presque sabêtise passée. L'amour n'affaiblissait pasun homme. Au contraire, il lui donnait lesentiment d'être invincible.

- J'ai vraiment cru que tu étais déjàreparti.

- Comment as-tu pu penser que jerentrerais sans toi? J'attendais depuis silongtemps une femme comme toi,Gillian ! Il n'est plus question que je te

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quitte une seule seconde. Je vivrai là oùtu voudras vivre, dit-il en lui caressant lajoue. Comprends-tu ? Je t'aime et jedésire me réveiller à tes côtés chaquematin jusqu'à la fin de mes jours. Et si jedois habiter en Angleterre pour resteravec toi... eh bien, je m'installerai enAngleterre.

Des larmes de bonheur embuaientles yeux de Gillian. Elle était d'autantplus bouleversée par l'aveu de Brodickqu'elle savait ce qu'il lui avait coûté.Cette fois, il l'avait dit et bien dit.

- Redis-le encore, murmura-t-elle.- Je m'installerai en Angleterre, si

c'est ce que tu souhaites.Gillian mourait d'envie de

l'embrasser, mais elle ne put résister à latentation de le taquiner un peu.

- Serais-tu heureux de vivre ici ?Son malheureux mari s'obligea à

faire contre mauvaise fortune bon cœur.- Tout ce que je veux, c'est être à tes

côtés. Peu importe l'endroit.Gillian éclata de rire.

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- Ne te rends pas malade. Je n'aiaucune envie de vivre en Angleterre.Maintenant, je suis une Buchanan.Rentrons à la maison.