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Un futur à l'aune de la médecine prédictive | AMELIE-BENOIST / BSIPS'il y a un domaine où le potentiel de l'exploitation des mégadonnées ne fait a priori aucun doute, et devrait donner lieu à d'innombrables innovations, c'est celui de la santé. On annonce bien plus qu'une révolution technologique, car ses enjeux touchent non seulement à l'organisation des soins, à l'équilibre financier comme à la gouvernance du système, mais aussi à la médecine elle-même, ouvrant la voie à la médecine personnalisée, prédictive, et de plus en plus préventive. Seulement voilà : ces révolutions annoncées sont pour l'instant quasi bloquées. « Alors que la technologie permet aujourd'hui de tout envisager, explique Jessica Leygues, responsable des politiques publiques de santé chez Alcimed, l'organisation des soins et les règlements sur les données privées freinent aujourd'hui le développement de cette industrie. »Lire aussi : La grande bataille des données personnellesMais d'abord, que sont les données médicales ? Car, avec les nouvelles technologies, leur périmètre ne cesse de s'élargir. Pour l'instant, les données médicales de chaque patient englobent ses consultations, ses prescriptions, ses examens, ses actes médicaux, ses séjours à l'hôpital, etc. « En un mot, résume Vincent Genet, associé chez Alcimed, ce sont les données médico-administratives certifiées par un professionnel de santé que seule la CNAM [Caisse nationale d'assurance-maladie] détient pour tous . Mais, avec l'arrivée des dispositifs connectés qui quantifient la vie des patients, la frontière des données médicales est poreuse », remarque Jessica Leygues. A cela s'ajoute l'analyse du génome qui, d'ici à trois ans, va permettre à chacun d'évaluer pour moins de 200 euros sa probabilité génétique de contracter telle ou telle maladie. Ou encore les échanges sur les réseaux sociaux qui, pour les épidémiologistes, constituent d'ores et déjà un précieux indicateur de l'arrivée des grippes et autres dengues, et ce avant même que n'éclatent ces épidémies. Mais on pourrait aussi y ajouter les remboursements, ou toutes les données médico-sociales.Conditions d'accès aux donnéesEn clair, selon la définition que l'on en retiendra, et l'usage que l'on voudra en faire, l'exploitation des données médicales changera du tout au tout : voudra-t-on juste fluidifier le parcours de soins et apporter de nouveaux outils de diagnostic et de traitement thérapeutique aux médecins ? Ou voudra-t-on aussi permettre aux patients de choisir les meilleurs médecins et hôpitaux, à la Sécurité sociale de surveiller les médecins et les patients « trop dépensiers », et aux assureurs d'individualiser leurs primes ? On le voit : les usages de gouvernance dépendent de choix politiques très clivants. Pour les opérateurs de big data, qui lorgnent sur la monétisation des analyses tirées du traitement de ces données, le périmètre des données médicales conditionnera la valeur qu'ils pourront en tirer.Autre question-clé pour tous ceux qui guettent ce nouveau marché : les conditions d'accès aux données. Dans l'article 47 de son projet de loi relatif à la santé, présenté le 15 octobre, le gouvernement ouvre totalement l'accès à certaines données détenues par la CNAM, en particulier aux données anonymes. Mais pour les données personnelles que l'on pourrait identifier, « elles pourront être utilisées sur autorisation de la CNIL à des fins de recherche, d'étude et d'évaluation d'intérêt public » . Il est même prévu que la CNAM puisse les vendre. Mais ce, après consultation d'un Institut national des données de santé, nouvellement créé, qui évaluera l'intérêt public de ces recherches. Bref, une usine à gaz qui, sauf alerte sanitaire, en verrouillera l'accès. Il est probable qu'un puissant lobbying des opérateurs du big data tentera dans les prochains mois de faire lever un à un chacun de ces verrous.Une application en guise de médecinDe toute façon, le déluge de données qui arrive, provenant des objets connectés comme des réseaux sociaux, est en passe de submerger la capacité de l'Etat à gérer leur accès. D'autant que ce dernier est trop lent. Par exemple, le dossier médical personnel, alias « DMP ». Cela fait plus de dix ans qu'on en parle, mais les problèmes d'interopérabilité des vieux systèmes d'information de la santé sont tels que, malgré les centaines de millions d'euros versés aux sociétés informatiques, ce dossier n'existe toujours pas. Le projet de loi relatif à la santé prévoit certes de le relancer. Mais Apple a déjà sorti le sien : l'application Health sur iPhone, intégrée à l'iOS 8. Votre coeur bat trop vite ? Health préviendra l'hôpital !Mieux: Apple invite tous les développeurs d'objets connectés qui sont dotés de capteurs biométriques à les rendre compatibles avec Health, via sa plate-forme Healthkit. Demain, vos résultats médicaux seront sur cette application. Qui non seulement stockera vos données, mais les analysera... en temps réel, et vous proposera des services ad hoc. Moralité: le dossier médical se fera sans la CNAM, et les données Tous droits de reproduction réservés Mots : 859 Date : 16/12/2014 Pays : FRANCE Surface : 127 % Journaliste : Valérie Segond > Lire cet article sur le site web

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Un futur à l'aune de la médecine prédictive| AMELIE-BENOIST / BSIPS'il y a un domaine où le potentiel de l'exploitation des mégadonnéesne fait a priori aucun doute, et devrait donner lieu à d'innombrables innovations, c'est celui de lasanté. On annonce bien plus qu'une révolution technologique, car ses enjeux touchent nonseulement à l'organisation des soins, à l'équilibre financier comme à la gouvernance du système,mais aussi à la médecine elle-même, ouvrant la voie à la médecine personnalisée, prédictive, et deplus en plus préventive. Seulement voilà : ces révolutions annoncées sont pour l'instant quasibloquées. « Alors que la technologie permet aujourd'hui de tout envisager, explique JessicaLeygues, responsable des politiques publiques de santé chez Alcimed, l'organisation des soins etles règlements sur les données privées freinent aujourd'hui le développement de cette industrie.»Lire aussi : La grande bataille des données personnellesMais d'abord, que sont les donnéesmédicales ? Car, avec les nouvelles technologies, leur périmètre ne cesse de s'élargir. Pourl'instant, les données médicales de chaque patient englobent ses consultations, ses prescriptions,ses examens, ses actes médicaux, ses séjours à l'hôpital, etc. « En un mot, résume Vincent Genet,associé chez Alcimed, ce sont les données médico-administratives certifiées par un professionnelde santé que seule la CNAM [Caisse nationale d'assurance-maladie] détient pour tous . Mais, avecl'arrivée des dispositifs connectés qui quantifient la vie des patients, la frontière des donnéesmédicales est poreuse », remarque Jessica Leygues. A cela s'ajoute l'analyse du génome qui, d'icià trois ans, va permettre à chacun d'évaluer pour moins de 200 euros sa probabilité génétique decontracter telle ou telle maladie. Ou encore les échanges sur les réseaux sociaux qui, pour lesépidémiologistes, constituent d'ores et déjà un précieux indicateur de l'arrivée des grippes etautres dengues, et ce avant même que n'éclatent ces épidémies. Mais on pourrait aussi y ajouterles remboursements, ou toutes les données médico-sociales.Conditions d'accès aux donnéesEnclair, selon la définition que l'on en retiendra, et l'usage que l'on voudra en faire, l'exploitation desdonnées médicales changera du tout au tout : voudra-t-on juste fluidifier le parcours de soins etapporter de nouveaux outils de diagnostic et de traitement thérapeutique aux médecins ? Ouvoudra-t-on aussi permettre aux patients de choisir les meilleurs médecins et hôpitaux, à laSécurité sociale de surveiller les médecins et les patients « trop dépensiers », et aux assureursd'individualiser leurs primes ? On le voit : les usages de gouvernance dépendent de choixpolitiques très clivants. Pour les opérateurs de big data, qui lorgnent sur la monétisation desanalyses tirées du traitement de ces données, le périmètre des données médicales conditionnera lavaleur qu'ils pourront en tirer.Autre question-clé pour tous ceux qui guettent ce nouveau marché :les conditions d'accès aux données. Dans l'article 47 de son projet de loi relatif à la santé, présentéle 15 octobre, le gouvernement ouvre totalement l'accès à certaines données détenues par laCNAM, en particulier aux données anonymes. Mais pour les données personnelles que l'onpourrait identifier, « elles pourront être utilisées sur autorisation de la CNIL à des fins derecherche, d'étude et d'évaluation d'intérêt public » . Il est même prévu que la CNAM puisse lesvendre. Mais ce, après consultation d'un Institut national des données de santé, nouvellement créé,qui évaluera l'intérêt public de ces recherches. Bref, une usine à gaz qui, sauf alerte sanitaire, enverrouillera l'accès. Il est probable qu'un puissant lobbying des opérateurs du big data tentera dansles prochains mois de faire lever un à un chacun de ces verrous.Une application en guise demédecinDe toute façon, le déluge de données qui arrive, provenant des objets connectés commedes réseaux sociaux, est en passe de submerger la capacité de l'Etat à gérer leur accès. D'autantque ce dernier est trop lent. Par exemple, le dossier médical personnel, alias « DMP ». Cela faitplus de dix ans qu'on en parle, mais les problèmes d'interopérabilité des vieux systèmesd'information de la santé sont tels que, malgré les centaines de millions d'euros versés auxsociétés informatiques, ce dossier n'existe toujours pas. Le projet de loi relatif à la santé prévoitcertes de le relancer. Mais Apple a déjà sorti le sien : l'application Health sur iPhone, intégrée àl'iOS 8. Votre cœur bat trop vite ? Health préviendra l'hôpital !Mieux: Apple invite tous lesdéveloppeurs d'objets connectés qui sont dotés de capteurs biométriques à les rendre compatiblesavec Health, via sa plate-forme Healthkit. Demain, vos résultats médicaux seront sur cetteapplication. Qui non seulement stockera vos données, mais les analysera... en temps réel, et vousproposera des services ad hoc. Moralité: le dossier médical se fera sans la CNAM, et les données

Tous droits de reproduction réservés

Mots : 859

Date : 16/12/2014Pays : FRANCESurface : 127 %Journaliste : Valérie Segond

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médicales, ainsi que leur exploitation, échapperont à l'Etat, vite dépossédé de ses pouvoirs par leGAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). De nouveaux services émergeront, sans doute avecla validation d'un médecin. Se posera alors la question de la cohabitation avec un système publicde protection social, condamné à épouser le numérique pour ne pas voir émerger une médecine àdeux vitesses: numérique et efficace pour les riches, papivore et sans moyens pour les pluspauvres.

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Date : 16/12/2014Pays : FRANCESurface : 127 %Journaliste : Valérie Segond