29
Afrique CFA: 2 200 F CFA, Algérie: 200 DA, Allemag ne: 4,90  , Antilles -Guyane: 4,95  , Autriche: 4,90  , Belgique: 4,90  , Canada: 6,7 5 $C, Espagne: 4,90  , Etats-Unis: 6,75 $US, Grande-Bretagne: 3,95 £, Grèce: 4,90  , Hongrie: 1500 HUF , Irlande: 4,90  , Italie: 4,90  , Luxem- bourg: 4,90  , Maroc : 28 DH, Pays-Bas : 4,90  , Portuga l (cont.) : 4,90  , Réunion: 4,95  , Suisse: 7,80 CHF, TOM: 700 CFP, Tunisie : 5,50 DT.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                Ce rapport m’a beaucoup appris, tout en me laissant perplexe. Tu donnes indirecteme nt quitus à M. Nicola s Sarkozy, avec une sorte de oui mais, d’avoir fait retour au bercail atlantique. Réintégration que tu n’aurais pas approuvée en son temps, mais qu’il y aurait plus d’inconvénient à remettre en cause qu’à entériner. Dans l’Union européenne, personne ne nous suivrait. Resterait pour la France à y reprendre fermement l’initiative, sans quoi il y aurait «normalisation et banalisation» du pays. Voilà qui me donne l’envie d e  poursuivre avec toi un dialogue ininter- rompu depuis mai 1981, quand nous nous sommes retrouvés à l’Elysée dans deux bureaux voisins et heureusement communicants (1). Une décennie après l’invasion américaine qui mit fin au règne de Saddam Hussein, l’Irak reste en crise. Mais, pour s’en rendre compte, Bagdad est le dernier endroit à visiter. Les attentats sanglants, sans lesquels ce pays cesserait pour ainsi dire d’exister dans les médias, y deviennent beaucoup plus rares qu’il y a quelques années, quand la résistance face à l’occupation et les milices confessionnelles faisaient grand usage de voitures piégées, de kamikazes et de bombes en tous genres. La circulation, rendue cauchemardesque par la prolifé- ration des checkpoints et des murs de béton, s’améliore. Les Irakiens qui, en 2006 notamment, avaient fui les violences et s’étaient réfugiés au Kurdistan ou hors des frontières sont de retour en nombre. Ceux qui ont « collaboré » avec les Etats- Unis retrouvent une place ordinaire en société. La cherté de la vie n’empêche pas de nouveaux contingents de béné- ciaires de la manne pétrolière de s’adonner à une consom- mation frénétique. Aussi l’activité semble-t-elle plus intense dans les rues commerçantes que dans les coulisses du monde politique, où des gures de tout bord paraissent aborder le dernier conit en date avec une nonchalance d’habitués. (Lire la suite page 6.) (Lire la suite page 12.) (Lire la suite page 10.) C HER HUBERT, Les avis rendus par un «gaullo-mitter- randien» – intrépide oxymore – connu  pour son apti tude à dégo ner les  baudruches pès ent lourd. Ai nsi de ton rapport sur le retour de la France dans l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), que t’avait demandé en 2012 le président François Hollande, conan t – et qui ne le serait ? – en ton expertise et en ton expérience. Le bruit médiatique étant inversement propor- tionnel à l’importance du sujet, il n’y a  pas de quoi s’ét onne r de la relat ive discrétion qui l’a entouré. Les problèmes de défense ne mobilisent guère l’opinion, et la place de la France dans le monde ne saurait faire autant de buzz que Baby et Népal, les éléphantes tuberculeuses du zoo de Lyon. Sauf quand une bataille d’Austerlitz nous emplit de erté, comme récemment avec cette héroïque avancée dans le désert malien qui, sans trop de morts ni coups de feu, t reculer dans la montagne des bandes errantes de djihadistes odieux. 4,90  - Me nsue l - 28 pa ge s N° 708 - 60 e année. Mars 2013 GAZ DE SCHISTE, LA GRANDE ESCROQUERIE – page 20  AU X KE RG UE L EN ,  AR P EN TE R LES CONFINS DU MONDE PAR KLAVDIJ SLUBAN Pages 14 et 15. SOMMAIRE COMPLET EN PA GE 28 Si l’invasion de l’Irak par les  Etat s-U nis avai t bie n comm e objectif le contrôle du pétrole, ainsi que le confirment des docu- ments récemment déclassifiés (lire  pag e 8), e lle s e sol de p ar u n éc hec cuisant. La guerre a également  fait des centaines de milliers de victimes et déstabilisé l’Etat. Sous le masque d’une étonnante nor- malité persistent à Bagdad les tensions politiques et confes-  sionnelles. P A R N O T R E E N V O Y É S P É C I A L  P E T E R  H A R L I N G  * * Chercheur, a vécu à Bagdad de 1998 à 2004. (1) En 1981, Régis Debray devient chargé de mission pour les relations internationales auprès du  président François Mitterrand. La même année, M. Hubert Védrine est nommé conseiller à la cellule diplomatique de l’Elysée. (Les notes sont de la rédaction.) Islamistes au pied du mur  P AR  SERGE  H AL IMI de jeunes Tunisiens sont déjà partis combattre aux côtés des djihadistes en Syrie, en Algérie et au Mali. Le 16 février dernier, à Tunis, les drapeaux djihadistes, justement, voisinaient avec ceux des islamistes d’Ennahda. La foule des manifestants était dense, mais bien moins que celle de leurs adversaires réunis huit jours plus tôt lors de l’enterrement de Chokri Belaïd, militant de gauche assassiné par un groupe non identié. Ce meurtre d’un opposant a a ff aibli le crédit populaire d’Ennahda, rapproché ses adversaires et, apparemment, provoqué la discorde dans ses rangs. Aussitôt désavoué par la plupart de ses amis, le premier ministre et secrétaire général du parti islamiste Hamadi Jebali proposa de former un «gouvernement de compé- tences nationales sans appartenance politique» . Encouragée  par plus ieurs for mations d’oppositi on, par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), l’armée, le patronat, l’Algérie, les ambassades occidentales, l’idée revenait à écarter provisoirement Ennahda du pouvoir pour stabiliser la situation, en attendant une nouvelle Constitution et de nouvelles élections. Les manifes- tants du 16 février, hostiles à un tel scénario, défendaient au contraire la «légitimité» de leur parti en fustigeant les complots des médias, de l’étranger, de la France en particulier, de la«contre- révolution», des «résidus de l’ancien régime».  A PRÈS d’effroyable s violences, brisant des centaines de milliers de vies et ne laissant quasiment personne sans histoire tragique à raconter, l’Irak s’installe dans une nouvelle normalit é, mais sans prendre de direction intelligible, sans permettre aux Irakiens de se projeter. « Comment raconter les dix dernières années?, s’interroge un romancier qui justement s’y essaie. Le problème n’est pas le point de départ, mais le point d’arrivée. Pour écrire l’histoire de la guerre d’Algérie, il a fallu attendre qu’elle se termine. Ici, nous sommes toujours dans une succession d’événements dont on ne voit pas la n. » La structure même de son livre en chantier, dont chaque chapitre situe le récit par rapport aux temps forts d’une année en parti- culier, le rend tributaire d’un système politique qui ne cesse d’entretenir le suspense. Chargé par le président François Hollande de tirer le bilan du retour de la Fran ce dans le commandement intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN),  M. Huber t Védrine a c onclu que reveni r s ur la décis ion  prise par M. Nicolas Sarkozy e n 2009 « ne don nerait à l a  France aucun n ouveau l evier d’i nfluence ». Régis D ebray conteste cette analyse. PAR  RÉGIS  DEBRAY  * LETTRE OUVERTE À M. HUBERT VÉDRINE La France doit quit ter l’OTAN NAZAR YAHYA. – Image extraite de «Why Book» (Le Livre des pourquoi), 2010 DOSSIER : BILAN DUNE INTER VENTION OCCIDENT ALE Dix ans après, que devient l’Irak ? * Ecrivain et philosophe. Dernier ouvrage paru,  Modernes Catacombes , Gallimard, coll. «Blanche », Paris, 2013. E  N TUNISIE, chacun ou presque est ime que les acquis de la révolution sont menacés. Reste à savoir par qui. Par une opposition «laïque » qui refuserait d’admettre que, lors des élections à l’Assemblée nationa le constituante d’octobre 2011, les islamistes conservateurs d’Ennahda l’ont largement emporté ? Par ces derniers, qui voudraient utiliser leur victoire  pour noyauter l’Etat de l’intérieur, tout en manipulan t la peur qu’inspire nt les milices salafistes ? Ou, plus simplement, par un manège politique qui rappelle les ballets ministériels de la IV e République française, avec ses blocs parlementaires qui éclatent dès qu’un député ne parvient pas à devenir ministre, ses coups de théâtre qu’on oublie vingt-quatre heures plus tard, ses groupuscules innombrables qui se reclassent en perma- nence ? Pendant ce temps, la production minière s’affaisse, le tourisme chancelle, l’insécurité s’installe, et plusieurs centaines  L ’assassinat d’un militant de gauche le 6 février dernier a provoqu é une vague de colère contre le parti islamiste au pouvoir et un changement de premier ministre.  Le nouveau gouvernement va devoir  se consacrer d’urgence au r établissement de l’ordre public et à l a réduction du chômage. POLARISATION POLITIQUE EN TUNISIE JJ

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  • Afrique CFA : 2 200 F CFA, Algrie : 200 DA, Allemagne : 4,90 , Antilles-Guyane : 4,95 , Autriche : 4,90 , Belgique : 4,90 , Canada : 6,75 $C,Espagne : 4,90 , Etats-Unis : 6,75 $US, Grande-Bretagne : 3,95 , Grce : 4,90 , Hongrie : 1500 HUF, Irlande : 4,90 , Italie : 4,90 , Luxem-bourg : 4,90 , Maroc : 28 DH, Pays-Bas : 4,90 , Portugal (cont.) : 4,90 , Runion : 4,95 , Suisse : 7,80 CHF, TOM : 700 CFP, Tunisie : 5,50 DT.

    Ce rapport ma beaucoup appris, touten me laissant perplexe. Tu donnesindirectement quitus M. NicolasSarkozy, avec une sorte de oui mais,davoir fait retour au bercail atlantique.Rintgration que tu naurais pasapprouve en son temps, mais quil yaurait plus dinconvnient remettreen cause qu entriner. Dans lUnioneuropenne, personne ne nous suivrait.Resterait pour la France y reprendrefermement linitiative, sans quoi il yaurait normalisation et banalisation du pays. Voil qui me donne lenvie depoursuivre avec toi un dialogue ininter-rompu depuis mai 1981, quand nousnous sommes retrouvs lElyse dansdeux bureaux voisins et heureusementcommunicants (1).

    !

    Une dcennie aprs linvasion amricaine qui mit fin aurgne de Saddam Hussein, lIrak reste en crise. Mais, poursen rendre compte, Bagdad est le dernier endroit visiter.Les attentats sanglants, sans lesquels ce pays cesserait pourainsi dire dexister dans les mdias, y deviennent beaucoupplus rares quil y a quelques annes, quand la rsistanceface loccupation et les milices confessionnelles faisaientgrand usage de voitures piges, de kamikazes et de bombesen tous genres.

    La circulation, rendue cauchemardesque par la prolif-ration des checkpoints et des murs de bton, samliore. LesIrakiens qui, en 2006 notamment, avaient fui les violences etstaient rfugis au Kurdistan ou hors des frontires sont deretour en nombre. Ceux qui ont collabor avec les Etats-Unis retrouvent une place ordinaire en socit. La chert dela vie nempche pas de nouveaux contingents de bnfi-ciaires de la manne ptrolire de sadonner une consom-mation frntique. Aussi lactivit semble-t-elle plus intense dansles rues commerantes que dans les coulisses du mondepolitique, o des figures de tout bord paraissent aborder ledernier conflit en date avec une nonchalance dhabitus.

    (Lire la suite page 6.)

    (Lire la suite page 12.)

    (Lire la suite page 10.)

    CHER HUBERT,Les avis rendus par un gaullo-mitter-

    randien intrpide oxymore connupour son aptitude dgonfler lesbaudruches psent lourd. Ainsi de tonrapport sur le retour de la France danslOrganisation du trait de lAtlantiquenord (OTAN), que tavait demand en2012 le prsident Franois Hollande,confiant et qui ne le serait ? en tonexpertise et en ton exprience. Le bruitmdiatique tant inversement propor-tionnel limportance du sujet, il ny apas de quoi stonner de la relativediscrtion qui la entour. Les problmesde dfense ne mobilisent gure lopinion,et la place de la France dans le mondene saurait faire autant de buzz que Babyet Npal, les lphantes tuberculeusesdu zoo de Lyon. Sauf quand une batailledAusterlitz nous emplit de fiert,comme rcemment avec cette hroqueavance dans le dsert malien qui, sanstrop de morts ni coups de feu, fit reculerdans la montagne des bandes errantesde djihadistes odieux.

    4,90 - Mensuel - 28 pages N 708 - 60e anne. Mars 2013

    G A Z D E S C H I S T E , L A G R A N D E E S C R O Q U E R I E page 20

    AUX KERGUELEN,ARPENTER LES CONFINSDU MONDEPAR KLAVDIJ SLUBAN

    Pages 14 et 15.

    ! S O M M A I R E C O M P L E T E N P A G E 2 8

    Si linvasion de lIrak par lesEtats-Unis avait bien commeobjectif le contrle du ptrole,ainsi que le confirment des docu -ments rcemment dclassifis (lirepage 8), elle se solde par un checcuisant. La guerre a galementfait des centaines de milliers devictimes et dstabilis lEtat. Sousle masque dune tonnante nor -malit persistent Bagdad lestensions politiques et confes-sionnelles.

    PA R N O T R E E N V O Y S P C I A L P E T E R H A R L I N G *

    * Chercheur, a vcu Bagdad de 1998 2004.

    (1) En 1981, Rgis Debray devient charg demission pour les relations internationales auprs duprsident Franois Mitterrand. La mme anne,M. Hubert Vdrine est nomm conseiller la cellulediplomatique de lElyse. (Les notes sont de lardaction.)

    Islamistes au pied du murPAR SERGE HALIMI

    de jeunes Tunisiens sont dj partis combattre aux cts desdjihadistes en Syrie, en Algrie et au Mali.

    Le 16 fvrier dernier, Tunis, les drapeaux djihadistes, justement,voisinaient avec ceux des islamistes dEnnahda. La foule desmanifestants tait dense, mais bien moins que celle de leursadversaires runis huit jours plus tt lors de lenterrement deChokri Belad, militant de gauche assassin par un groupe nonidentifi. Ce meurtre dun opposant a a"aibli le crdit populairedEnnahda, rapproch ses adversaires et, apparemment, provoqula discorde dans ses rangs. Aussitt dsavou par la plupart deses amis, le premier ministre et secrtaire gnral du parti islamisteHamadi Jebali proposa de former un gouvernement de comp-tences nationales sans appartenance politique. Encouragepar plusieurs formations dopposition, par lUnion gnraletunisienne du travail (UGTT), larme, le patronat, lAlgrie, lesambassades occidentales, lide revenait carter provisoirementEnnahda du pouvoir pour stabiliser la situation, en attendant unenouvelle Constitution et de nouvelles lections. Les manifes-tants du 16 fvrier, hostiles un tel scnario, dfendaient aucontraire la lgitimit de leur parti en fustigeant les complotsdes mdias, de ltranger, de la France en particulier, de la contre-rvolution, des rsidus de lancien rgime.

    APRS deffroyables violences, brisant des centaines demilliers de vies et ne laissant quasiment personne sans histoiretragique raconter, lIrak sinstalle dans une nouvelle normalit,mais sans prendre de direction intelligible, sans permettre auxIrakiens de se projeter. Comment raconter les dix derniresannes?, sinterroge un romancier qui justement sy essaie. Leproblme nest pas le point de dpart, mais le point darrive.Pour crire lhistoire de la guerre dAlgrie, il a fallu attendrequelle se termine. Ici, nous sommes toujours dans unesuccession dvnements dont on ne voit pas la fin. Lastructure mme de son livre en chantier, dont chaque chapitresitue le rcit par rapport aux temps forts dune anne en parti-culier, le rend tributaire dun systme politique qui ne cessedentretenir le suspense.

    Charg par le prsident Franois Hollande de tirer lebilan du retour de la France dans le commandement intgrde lOrganisation du trait de lAtlantique nord (OTAN),M. Hubert Vdrine a conclu que revenir sur la dcisionprise par M. Nicolas Sarkozy en 2009 ne donnerait laFrance aucun nouveau levier dinfluence . Rgis Debrayconteste cette analyse.

    PAR RGIS DEBRAY *

    LETTRE OUVERTE M. HUBERT VDRINE

    La France doitquitter lOTAN

    NAZAR YAHYA. Image extraite de Why Book (Le Livre des pourquoi), 2010

    DOSSIER : BILAN DUNE INTERVENTION OCCIDENTALE

    Dix ans aprs,que devient lIrak ?

    * Ecrivain et philosophe. Dernier ouvrage paru,Modernes Catacombes, Gallimard, coll. Blanche,Paris, 2013.

    EN TUNISIE, chacun ou presque estime que les acquis dela rvolution sont menacs. Reste savoir par qui. Par uneopposition laque qui refuserait dadmettre que, lors deslections lAssemble nationale constituante doctobre 2011,les islamistes conservateurs dEnnahda lont largementemport ? Par ces derniers, qui voudraient utiliser leur victoirepour noyauter lEtat de lintrieur, tout en manipulant la peurquinspirent les milices salafistes ? Ou, plus simplement, parun mange politique qui rappelle les ballets ministriels de laIVe Rpublique franaise, avec ses blocs parlementaires quiclatent ds quun dput ne parvient pas devenir ministre,ses coups de thtre quon oublie vingt-quatre heures plustard, ses groupuscules innombrables qui se reclassent en perma-nence ? Pendant ce temps, la production minire saffaisse, letourisme chancelle, linscurit sinstalle, et plusieurs centaines

    Lassassinat dun militant de gauche le 6 fvrier dernier a provoqu une vague de colre contre le parti islamiste au pouvoir et un changement de premier ministre. Le nouveau gouvernement va devoir se consacrer durgence au rtablissement de lordre public et la rduction du chmage.

    POLARISATION POLITIQUE EN TUNISIE

    JJ

    JJ

  • MARS 2013 LE MONDE diplomatique 2

    Contrle fiscalM. Laurent Ruhlmann apporte un

    clairage canadien la thmatiqueaborde par Alexis Spire dans sonarticle Comment contourner limptsans sexiler (fvrier 2013) :

    La ville de Montral peroit directementla taxe dhabitation. La valeur des immeu-bles est dtermine par un service spcialis,en fonction des quartiers et des transactionsqui sy sont ralises au cours de lanne.Ainsi, administration et contribuables sen-tendent sur les estimations. Les contesta-tions sont toujours possibles, mais elles sontlongues et ardues.

    Les avantages de ce systme ? Une plusgrande objectivit des taxes et une plusgrande proximit entre le citoyen et ladmi-nistration perceptrice. Les drives savrentplus rares, ce qui augmente le sentimentdgalit devant la loi (mme si les habitantsde Montral ont parfois limpression queleurs taxes alimentent la corruption).

    M. Michel Celso, quant lui, asouhait ragir au sujet de luti -lisation de lexpression agent subal -terne dans le mme article :

    Je suis cadre B aux finances publiquesde lAin et responsable syndical. Jai appr-ci votre article concernant les coulisses ducontrle fiscal mme sil ne reflte quepartiellement ce que les agents vivent auquotidien. A un moment, vous expliquez : Plus de vingt mille emplois ont t sup-prims dans lensemble de ladministra-tion des finances publiques, majoritaire-ment parmi les agents subalternes. Daprs le dictionnaire Larousse, le motsubalterne dsigne celui qui occupe unefonction subordonne, de rang peu levdans la hirarchie professionnelle. Qui estinfrieur ou qui na quune importancesecondaire .

    A ce jour, plus de vingt mille emplois ontt supprims parmi les cadres B et C, lesplus nombreux et paralllement ceux quisont les plus utiles nos services. Les rangsdes cadres A et A+ (les plus grads) nont

    pas t touchs (des postes ont parfois tcrs). (...) Je trouve dommage que vousemployiez le terme subalterne , pjora-tif, pour dsigner la majorit de mes col-lgues.

    Espace public,espace priv

    Notre quadruple page dpliableAroports, de lespace public lespace priv (fvrier 2013) a rap -pel M. Jacques Virot certaines deses propres observations :

    Cet article me rassure pleinement : non,je ne suis pas atteint de paranoa ! Ou si jele suis, du moins, je ne suis pas seul. Cestpeu de dire que la mdiocrit des produitso!erts notre convoitise dans les espacesduty free toujours plus envahissants a ledon de mexasprer, avec pour e!et imm-diat la transformation instantane de monportefeuille en hrisson. Suite la lecture delarticle, jai dailleurs introduit duty freedans mon abcdaire de la pense unique : Incitation forcene la consommation deproduits superflus.

    Mais le transport arien na pas lemonopole des espaces mercantiles, loin del. Au printemps 2000, jai sjourn troissemaines Prague. Jy circulais en mtro.Il mest arriv, dans une ou deux stationsde Star Mesto [centre historique], dechercher, durant plusieurs minutes, laccsaux escaliers mcaniques menant auxquais, dans un ddale de kiosques etdventaires de camelots. ()

    Jattire votre attention sur un autre typede lieux dsormais vous au mercantilismetriomphant : les muses et monumentsnationaux. Il est impossible de quitter lab-baye de Fontevraud, le chteau de Cham-bord, le chteau dAmboise, le Clos Luc...sans passer par la case marchande. Lesnouveaux gestionnaires de ces lieux ontfait preuve dune imagination parfois dli-rante pour nous contraindre la tentationdachats compulsifs. Il ny a pas que lesbanques que notre argent intresse !

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    DE 1954 2012

    39*au lieu

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    FRUGALITSoucieux de se forger une image

    de M. Propre, M. Xi Jinping quideviendra o!ciellement prsident dela Rpublique populaire de Chine au dbutdu mois de mars a appel les cadrescommunistes plus de frugalit, la veilledu Nouvel An lunaire (South ChinaMorning Post, 9 fvrier).

    Le chef du Parti communiste, Xi Jinping,dans un e!ort apparent pour lutter contrela corruption et freiner le gaspillagedes fonds publics, a appel les agencesgouvernementales, les entreprisespubliques et les organismes but nonlucratif mettre fin leurs dpensesextravagantes. () Son souhait a tinterprt par de nombreux responsablescomme une directive politique, etdes millions de dners da!aires [dansdes restaurants de luxe] ont t annuls.

    MALBOUFFEA Naples, une nouvelle menace pse

    sur lalimentation (Theatlanticcities.com,13 dcembre 2012).

    Manger local est la mode. Mais, quandils se rendent lpicerie, certainsNapolitains, comme Antonio Trotta, lisentles tiquettes pour viter dacheterdes fruits, des lgumes, de la viandeet mme la fameuse mozzarella produitsdans la Campanie, proximit de Naples.La zone au nord de Naples tait jadisun important centre agricole. Mais la mafialocale, la Camorra, a durant des dizainesdannes dvers des dchets provenantdusines et dhpitaux europens,un problme environnemental aggravchaque nuit lorsque des douzainesde dcharges illgales sont mises feu,

    produisant des manations toxiquesqui flottent sur les pturages fermierset nimbent les cultures. (...) Selonle snateur italien Ignazio Marino,prsident de la commission parlementairedes services sanitaires, environ dix millionsde tonnes de dchets ont t dversesillgalement au cours des dcenniesrcentes. Le pays, autrefois dnommCampanie heureuse, (...) a acquisle surnom plus macabre de triangledu cancer en 2004, la suite dun articlepubli dans le journal mdical The Lancet.

    FRONTIRESDepuis son arrive au pouvoir en 2006,

    le prsident bolivien Evo Morales rclameau Chili de retrouver laccs la mer queson pays a perdu lors de la guerredu Pacifique (1879-1884). Le quotidienchilien Santiago Times sinquitedu soutien que Lima vient dapporter La Paz (4 fvrier).

    Le prsident pruvien Ollanta Humalaa appuy la demande bolivienne dobtenirun accs la mer, suggrant que la requtetait juste et lgitime, ce qui rend encoreplus aigu le dsaccord entre le Chiliet la Bolivie. () M. Humala a rappelque, depuis longtemps, le Prou soutientla Bolivie. Les deux pays taient allispendant la guerre du Pacifique, au cours delaquelle la Bolivie a perdu ses territoiresctiers au profit du Chili. () Lorsde la confrence de la CommunautdEtats latino-amricainset carabes (Celac) [ la fin du moisde janvier], le prsident chilien SebastinPiera a indiqu : Le Chili nest pasdispos couper ou diviser son territoire,et je ne crois pas que lon puisse demanderune chose pareille un pays.

    PRISONSPendant plusieurs dcennies, la faveur

    du durcissement des politiques rpressives,le nombre de prisons sest accru demanire vertigineuse aux Etats-Unis.Depuis deux ans, la situation semblestre inverse (The Wall Street Journal,11 fvrier).

    La combinaison de la baissede la criminalit, de sentences plusclmentes pour les petits dlitset de la volont de rduire les budgetsde ladministration pnitentiaire a entranune diminution du nombre de personnesplaces derrire les barreaux. Impensable

    il y a quelques annes, les fermetures deprisons se multiplient. () Dans les zonesrurales, o le bassin demploi dpendparfois largement de ladministrationpnitentiaire, les fermeturessont particulirement di"ciles vivre.Dbut janvier, des fonctionnairesde Pennsylvanie ont annonc quilscomptaient remplacer les tablissementsde Cresson et Greensburg par un centreunique ct de State College.Les restaurants et les commercesvont en payer les consquences, expliquele maire de Cresson Patrick Mulhern.Cinq cents emplois dun seul coup,cest norme.

    COURRIER DES LECTEURS

    Edit par la SA Le Monde diplomatique, socit anonyme avec directoire et conseil

    de surveillance. Actionnaires : Socit ditrice du Monde, Association Gunter Holzmann,

    Les Amis du Monde diplomatique1, avenue Stephen-Pichon, 75013 Paris

    Tl. : 01-53-94-96-01. Tlcopieur : 01-53-94-96-26Courriel : [email protected]

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    Directoire : Serge HALIMI, prsident, directeur de la publication (01-53-94-96-05),

    Alain GRESH, directeur adjoint (01-53-94-96-01), Bruno LOM BARD, directeur de la gestion

    (01-53-94-96-01)

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    Secrtaire gnrale :Anne CALLAIT-CHAVANEL (9605)

    Directeur de la rdaction : Serge HALIMIRdacteur en chef : Pierre RIMBERT

    Rdacteurs en chef adjoints : Benot BRVILLE, Martine BULARD, Renaud LAMBERT

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    Rdaction : Alain GRESH, Evelyne PIEILLER,Philippe RIVIRE, Philippe REKACEWICZ

    (cartographie), Anne-Ccile ROBERT

    Site Internet : Guillaume BAROU

    Conception artistique : Alice BARZILAY, Maria IERARDI (avec la collaboration

    de Delphine LACROIX pour liconographie)

    Rdacteur documentaliste : Olivier PIRONET

    Mise en pages et photogravure : Jrme GRILLIRE, Didier ROY

    Correction : Pascal BEDOS, Xavier MONTHARD

    Responsable de la gestion et de la diffusion numrique : Vincent CARON

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    ADAGP, Paris, 2013, pour les uvres de ses adhrents.

    Concours tudiants Le Monde diplomatique 2013ALINITIATIVE de lassociation des Amis du Monde diplomatique (AMD) (1),qui regroupe les lecteurs du mensuel et contrle un quart du capital delentreprise, la deuxime dition du concours tudiants Le Monde diplo-matique dbute le 4 mars 2013.

    Plutt quun essai philosophique, chaque candidat est invit rdiger uneenqute ou un reportage de douze mille signes sur une question sociale,conomique, politique ou gopolitique en privilgiant une approche inter-nationale. Quatre articles slectionns dans nos archives peuvent lui servirde modle (www.amis.monde-diplomatique.fr/concours). Un jury prsidpar Maurice Lemoine, ancien rdacteur en chef du Monde diplomatique,tudiera au cours de lt les textes reus par lintermdiaire des corres-pondants locaux des AMD. Les cinq meilleurs seront soumis lapprciationde la rdaction du journal. Le laurat verra son article publi dans le mensuelen fin danne 2013 et rmunr.

    La date limite de remise des textes est le 15 juillet 2013. Les candidatsdevront joindre une photocopie de leur carte dtudiant leur dossier.

    Inscriptions par courriel : [email protected]

    (1) www.amis.monde-diplomatique.fr

    RECTIFICATIF

    Limage de Jonx Pillemer accompagnant larticledAnne Frintz Trafic de cocane, une picenglige du puzzle sahlien (fvrier 2013) est unconstat photographique dune intervention artis-tique de Sean Hart (www.seanhart.org).

    A partir du mois prochain, Le Monde diplomatique cotera 5,40 euros.

    Nous avons diffr cette dcision aussi longtemps que possible, alors mmeque quotidiens et hebdomadaires augmentaient leur prix un rythme de plusen plus rapide, dans certains cas plusieurs fois par an.

    Le dernier relvement de tarif du Monde diplomatique date davril 2010.

    Nous savons que notre dcision entranera une difficult pour certains de noslecteurs dj confronts aux consquences de laustrit.

    Le recul marqu de nos recettes publicitaires, dune part, le tassement denos ventes en kiosques, dautre part, nous contraignent cependant cetteaugmentation. Nous ne voulons pas nous endetter, au risque daliner peu peu notre indpendance, ou renoncer ce qui fait la marque de ce journal :lenqute partout dans le monde plutt que le commentaire incessant depolmiques sans porte. Au lieu dajouter au vacarme et au sentiment desaturation qui enfantent amnsie et cynisme, nous esprons ainsi susciter undsir de connaissance et dmancipation. Mais une telle priorit a un prix.

    Depuis 2009, 6827 dentre vous nous ont vers des dons. Ils ont ainsi contribu notre quilibre financier et la ralisation de nombreux projets, dont lelancement en avril prochain dune nouvelle dition lectronique du journal. Il existe,bien sr, dautres moyens de nous aider : acheter rgulirement le journal enkiosques, sy abonner en remplissant les bulletins qui se trouvent dans chaquenumro ou en passant par notre site, privilgier le prlvement automatique.

    Lavenir dune presse crite qui refuse le journalisme de racolage, les diktatsde linstantanit et les compromissions avec les puissances dargent nestpas garanti. Il dpend de vous.

    S. H.

    A nos lecteurs

    JJ

  • 3 LE MONDE diplomatique MARS 2013PANIQUE MORALE, FRNSIE DE SONDAGES

    Ce quils appellent droitisation

    dil y a vingt ans. La deuxime, enrelayant la critique obsolte du totalita-risme, ressuscite la rhtorique du ni-ni , nime rsurgence de la troisimevoie centriste cense se frayer depuisles annes 1930 un chemin entre lesextrmes.

    La surprenante unanimit et la pauvretdes diagnostics viennent peut-tre de cequon ne se soucie gure de savoir de quoilon parle. Pour les uns, la droitisationexprime le glissement des opinions verslextrme droite, traduction dune radica-lisation. Pour dautres, ce serait unmouvement vers la droite des prises depositions politiques, socialistes compris.On peut en arriver ainsi des conclusionsinverses. Avec, dans le premier cas, lafocalisation sur les thmes dextrmedroite, en particulier xnophobes ouracistes, exprime avec agressivit. Et,dans un second cas, un accord assez large,une sorte de consensus libral ou de findes idologies. Or les indices de ces deuxtendances coexistent. Dune part, le renfor-cement lectoral et la normalisation duFront national, la concurrence entrediverses formations politiques sur lesthmes de ce parti inscurit, menaceislamique, confiscation fiscale, abus deprestations sociales, prfrence nationale.Dautre part, un consensus des partis degouvernement sur le march, le libre-change, lentreprise prive et la rductiondes dpenses publiques.

    PAR ALAIN GARRIGOU *

    Au renoncement du gouvernement franais la plupart deses engagements conomiques et sociaux (interdiction deslicenciements boursiers, domptage de la finance) rpondcomme en cho la mobilisation des forces conservatricescontre la loi sur le mariage pour tous. Doit-on pour autantconclure une droitisation de la socit ? Il faudrait dabordsaccorder sur ce que signifie rellement cette expression.

    ASSISTANAT , immigration, exilfiscal suscitent de plus en plus de rac-tions de retour lordre, de clbration delautorit, de justification des ingalits.De la droite la gauche de lchiquier poli-tique, le diagnostic de la droitisationsemble faire lunanimit, que ce soit poursen rjouir, pour sy adapter avec ou sanscomplexes, pour sen accommoder avecrsignation ou mauvaise conscience, oupour sen navrer. En 2007, lors de llec-tion de M. Nicolas Sarkozy, le diagnostictait parfois tempr par la rsistance des valeurs humanistes (1) . Aujourdhui,il le serait par lapprobation de rformessocitales comme le mariage pour tous.Il nempche : dans les domaines cono-mique, social et politique, la chose seraitclaire. Ne resterait plus qu en mesurerlampleur et la vitesse. Or, mieux vaudraitcomprendre la droitisation que rpter desexplications toutes faites.

    On reparle de la dfiance desFranais, comme il y a cinq ans, enassociant ce vocable tantt la vieilleide dune crise de la dmocratie repr-sentative, selon laquelle les lus repr-senteraient mal les citoyens, tantt cellede la monte du populisme , une visionaccusatoire mettant les extrmismes dedroite et de gauche sur un mme pied. Lapremire ide ractive les thmes de lanti-parlementarisme dil y a plus dun sicleet les explications de la progression duFront national et de labstention lectorale

    Relaye quotidiennement par desmdias aussi puissants que la chane FoxNews, la dimension conspirationniste estplus prononce aux Etats-Unis quenEurope. Dans les socits europennes,on est moins convaincu par la lgitimationpuritaine de lenrichissement et davantageintress aux bnfices bien rels de lEtatsocial, ce qui en limite la critique auxabus commis par les trangers , les paresseux , les assists .

    La droitisation prend donc des voiesplus discrtes sur le Vieux Continent.Quand des magazines dont on peutsupposer quils ne se sont pas concertstitrent la mme semaine sur les francs-maons Ces francs-maons qui nousgouvernent (Le Nouvel Observateur,3 janvier 2013) ; Hollande et ses francs-maons (Le Point, 7 janvier 2013) , ilsentretiennent une vision complotistefeutre (4). Et comme il faut changer desujet, Nos ennemis islamistes couronnent les ttes pati bulaires dequelques chefs terroristes (Le Point,24 janvier 2013), rappelant les portraits-types des expositions antismites dunautre temps.

    Ces couvertures sensation ne sontplus motives par des objectifs commer-ciaux, assurent les patrons de presse. Sitel est le cas, exprimeraient-elles alorsles nouvelles visions dune professionjournalistique touche par la crise ettraduisant une peur du dclassementpartage par nombre de lecteurs ? Lesqualits critiques lmentaires du travailintellectuel semblent se rsumer au dvoi-lement des secrets et des complots .Mais o est la vertu critique quand lesquestions les plus racoleuses et les moinsgnreuses salignent sans que nul nyprenne plus garde et encore moins nesen alarme ?

    ou encore les chefs dentreprise, les artisans et commerants () terro-riss lide dun contrle fiscal, ou pis,dune rencontre avec un inspecteur dutravail (3). Les discours dplacent lesfrontires. Lespace du politiquementpensable slargit avec celui du politi-quement dicible.

    * Professeur de science politique luniversitParis-Ouest Nanterre - La Dfense. Coauteur, avecRichard Brousse, de Manuel anti-sondages. Ladmocratie nest pas vendre !, La ville brle,Montreuil-sous-Bois, 2011.

    Hantise du dclassement social

    Prdication du chacun pour soi

    (1) La droitisation aurait t un trompe-lil parceque la monte des valeurs dordre nentrane pas derecul des valeurs humanistes (Etienne Schweisguth,Le trompe-lil de la droitisation, Revue franaisede science politique, vol. 57, no 3-4, Paris, 2007).

    (2) Richard Hofstadter, Le Style paranoaque.Thories du complot et droite radicale en Amrique,Bourin Editeur, Paris, 2012. Le Monde diplomatiquea publi les bonnes feuilles de cet ouvrage dans sonnumro de septembre 2012 sous le titre Le styleparanoaque en politique .

    (3) Jean-Franois Cop, Manifeste pour une droitedcomplexe, Fayard, Paris, 2012.

    (4) Libration.fr (28 fvrier 2012) recensaitentre 2009 et 2012 cinq couvertures de LExpress etdu Point consacres aux francs-maons, quatre pourLe Nouvel Observateur. Oubliant sans doute ce quilavait dclar auparavant cela finit par lasser toutle monde , le directeur de ce dernier, Laurent Joffrin,se justifiait le 5 janvier 2013 sur France Inter : Il yen a pas mal au gouvernement. Et puis, ils ont uneinfluence.

    (5) Richard Hoggart, La Culture du pauvre, Editionsde Minuit, Paris, 1970.

    fonctionnaires, etc. Le style paranoaquedont parlait Richard Hofstadter, joignantla mentalit conspirationniste la haine dela fiscalit, de la bureaucratie, des intel-lectuels et surtout des trangers, ne faitpas seulement des mules aux Etats-Unis (2). Ple-mle, des majorits sonda-gires se dessinent ou saccroissent enfaveur de la peine de mort, de la libreentreprise contre lEtat, de laugmentationde la dure du travail, etc.

    Un lien existe entre les deux concep-tions de la droitisation. Ce nest point quelaxe mdian du dbat politique dplacvers la droite repousse mcaniquementcelle-ci vers lextrme droite, mais lesluttes partisanes conduisent forcment une surenchre dans la recherche desdiffrences. Les politiques pratiquentlart de la litote pour exprimer des penseslimites en voquant, comme M. Jean-Franois Cop, prsident de lUMP etadepte dune droite dcomplexe , cesparents dlves traumatiss parce quunde leurs fils, qui prenait son goter lasortie du collge, sest fait arracher sanourriture des mains par une bande dejeunes qui se prenaient pour une brigadeiranienne de promotion de la vertu ; ou un racisme anti-Blancs [qui] sedveloppe dans les quartiers de nosvilles ; ou les sans-papiers [qui] sontdsormais les seuls pouvoir bnficierdun systme 100 % pris en charge ;

    LA DROITISATION conue comme uneradicalisation politique retient davantagelattention : plus tonitruante, plus dran-geante. Des changements aussi profondsque la mondialisation, la crise de la dette,lexplosion du chmage, le renforcementdes pays mergents, lenrichissement desriches, la pauprisation des classesmoyennes et la clochardisation despauvres, pour ne prendre que quelqueslments dun inventaire donner letournis, ont forcment des effets poli-tiques. Langoisse est accrue par lesouvenir de la crise des annes 1930, quia boulevers le XXe sicle et engendrles catastrophes politiques que furent lesfascismes et la guerre.

    Il y a peu, on salarmait des scores despartis dextrme droite en France, enBelgique, en Hongrie ou aux Pays-Bas.Mais leur monte en puissance apparatdsormais plus lente ou moins ample,alors quils sont rarement parvenus aupouvoir (si ce nest dans une positionmarginale comme le parti du dfunt JrgHaider en Autriche), ou seulement dansdes institutions locales (comme le VlaamsBlok en Belgique). Dautres mouvementsse sont signals qui, tel le Tea Party auxEtats-Unis, visent faire pression sur lesformations politiques institutionnelles, leParti rpublicain dans le cas despce.Avec, larrire-plan, la hantise du dclas-sement social dune population pluttblanche, parfois modeste, plus sensible la menace venue den bas, celle des pluspauvres, des trangers, qu lenrichis-sement des riches sensible la race mais pas la classe. Cela na pas permisau candidat rpublicain, qui avait donndes gages son extrme droite, de gagner.On a mme suggr que cet ancrage avaitjou un rle dans sa dfaite.

    Si, en 2007, linflexion droite dudiscours de M. Sarkozy avait favoris lereport sur son nom des suffragesdextrme droite, la mme stratgie nelui a pas permis dtre rlu cinq ans plustard. Toutefois, la dfaite ayant t pluscourte que prvu, lUnion pour unmouvement populaire (UMP) semblestre convaincue de la ncessit de seradicaliser. Ses militants apparaissentdsormais trs proches de ceux du Frontnational sur les thmes de limmigrationet de la scurit, mais largement aussi,et, cette fois, contre lavis de leursdirigeants, sur les questions conomiqueset financires du protectionnisme et deleuro.

    Il faut croire que la question de la radica-lisation revt un caractre durgence pourque pas moins de trois sondages soientvenus attester la monte des valeursdextrme droite en janvier 2013. Lundeux a mme soutenu que 87 % desFranais dsiraient un vrai chef en Franceafin de remettre de lordre (Le Monde,25 janvier 2013). Cette formulation auxchos de bruits de bottes donne une consis-tance des discours violents plus frquentset dj dcomplexs contre les immigrs,les dlinquants, les assists , les

    MIGUEL SANCHO. Ballon bleu , 1999

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    IL NY AURAIT plus rien dire non plusquand des sondeurs (Ipsos - Le Monde,25 janvier 2013) sollicitent des volontairesdont ils savent quils sont plutt classs droite, et redressent lchantillon enrmunrant dautres sonds. Cela afin deleur poser des questions sur le racismeanti-Blancs (qui existerait donc), ou surl effort dintgration des immigrs enFrance (forcment une questiond effort ). Et de leur offrir des alterna-tives aussi biaises que la confiance que certains accordent la plupart desgens , par opposition au surcrot de prudence que devraient susciter lesautres (qui sont les autres?). Puis enfinde leur proposer de dire si lon se sentou pas chez soi comme avant ( chezsoi en France, mais avant quoi ?). Quant ces coups de sonde qui benotementsuggrent que peut-tre lautorit estune valeur trop souvent critique en

    France , comment des professionnelsont-ils pu commettre cette faute demthode flagrante consistant dclencherleffet dacquiescement ?

    Le bal des ides reues mlant unevulgate nolibrale et un grossier bonsens contribue la droitisation des espritsquand il magnifie lgosme. Commentpeut-on attendre ensuite des citoyens quilscroient que les dirigeants politiquesservent lintrt gnral ? Il serait pourle moins aberrant dattendre des politiquesun comportement altruiste quils seraientbien les seuls dmontrer. Diffuse longueur de temps dans lespace public,la prdication du chacun pour soi estdautant plus puissante quelle prend appuisur une forme de mfiance populaire,cette disposition des gens modestes quion ne la fait pas (5). On ne leur donnerapas forcment tort.

    Ce cynisme gnralis est en tout casle viatique le plus ordinaire de ces discourspublics derrire lesquels se cacheraittoujours la dispute des places, dessuffrages, de largent ou du ptrole. Moinsconservateurs et traditionalistes quils lecroient, les idologues mdiatiques encou-ragent une fascisation pour le momentcantonne aux esprits, car le principe duchacun pour soi interdit par dfinitiontoute mobilisation des masses. Cela doit-il nous rassurer ?

    Guatemala : un dictateur poursuivi,un prsident inquit

    Chantage lemploiet licenciements boursiers

    Du Brsil au Prou,pour la justice sociale.Un webdocumentaire

    de Philippe Revelli

    Barack Obama vire-t-il enfin gauche ?,

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    Quelle coalition pour Isral ?,par Dominique Vidal

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    La rgulation bancaire au pistolet bouchon,

    par Frdric Lordon(La pompe phynance)

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    par Martine Bulard(Plante Asie)

    La rvolte, cest top,par Emilie Laystary(Le lac des signes)

    La CIA, procureur, juge et bourreau,par Philippe Leymarie(Dfense en ligne)

    25 janvier. Rvolutionet contre-rvolution en Egypte,

    par Alain Gresh(Nouvelles dOrient)

    Sur le site du Monde diplomatique

    w w w . m o n d e - d i p l o m a t i q u e . f r

    JJ

    JJ

  • MARS 2013 LE MONDE diplomatique 4

    ETENDUS sur un trottoir, dans le centre-ville duCap, des hommes en combinaison de travailprofitent de leur heure de pause au pied dunchafaudage. Pas question den perdre une minuteou de faire du zle. On est pays au lance-pierre,sourit un maon, dvoilant une dent en or. Pourtant,avec lquivalent de 1100 euros par mois, il nestpas plaindre. Il est vrai quavant la Coupe dumonde de football, accueillie par lAfrique du Suden 2010, les syndicats de la construction ont obtenudes augmentations substantielles, de 13 16 %,en menaant de ne pas finir les chantiers temps

    Mais cette situation reste exceptionnelle. Latension sociale est palpable depuis que, le16 aot 2012, la police a tu trente-quatre mineursen grve Marikana, une mine de platine proche deJohannesburg (1). Pour la population, quel symbole!Les forces dun Etat dmocratique et multiracial,dirig depuis 1994 par le Congrs national africain(African National Congress, ANC), tiraient sur desmanifestants, comme au temps de lapartheid ; surces travailleurs qui constituent sa base lectoralehistorique, lcrasante majorit noire et dmunie delAfrique du Sud. Dans ce pays industrialis, seulmarch mergent au sud du Sahara, les mnagespauvres, 62 % noirs et 33 % mtis, reprsententplus de vingt-cinq millions de personnes, soit lamoiti de la population du pays, selon des chiffrespublis fin novembre par les institutions nationales.

    Londe de choc est comparable celle dumassacre de Sharpeville, dont les vnements deMarikana ont rveill le souvenir. Le 21 mars 1960,la police du rgime dapartheid (1948-1991) avait tusoixante-neuf manifestants noirs qui protestaientdans un township contre le pass impos aux non-Blancs pour se rendre en ville. Quand la nouvelledu drame tait arrive au Cap, la population deLanga, un township noir, avait rduit les btimentspublics en cendres.

    Les mmes ractions en chane se produisentaujourdhui. Dans le sillage de Marikana, lesemploys des secteurs des mines, des transports

    et de lagriculture multiplient les grves sauvages.Les ouvriers agricoles de la province du Cap-Occidental rclament le doublement de leur salaire,150 rands (15 euros) par jour au lieu des 7 eurosgarantis par leur salaire minimum. Rsultat :vignobles incendis, magasins pills et preuve deforce avec la police. Le tout sur fond de licen-ciement des grvistes et dabsence de dialoguesocial. En novembre, dans le village de De Doorns, cent quatre-vingts kilomtres du Cap, deuxouvriers agricoles ont t tus lors dune manifestation.

    Chez Lonmin, les mineurs ont dcroch, aprssix semaines daction, une augmentation de 22 %et une prime de 190 euros, au lieu du triplement deleur salaire, quils voulaient voir passer de 400 1 200 euros. Dans les fermes de De Doorns, leCongrs des syndicats sud-africains (Congress ofSouth African Trade Unions, Cosatu) a pris le trainen marche et obtenu, le 5 fvrier, une hausse de52 % des salaires, atteignant ainsi 105 rands(10 euros) par jour. Cest la mtastase dun seul etmme cancer, commente M. Andile Ndamase,dlgu syndical dans une entreprise de ciment duCap et membre dsillusionn de lANC. Les meutesont commenc bien avant Marikana, et lagitationna fait que saggraver depuis. On manifeste pourdes lendemains meilleurs quon est las dattendre

    Le bras de fer social fait partie de lhritagepolitique de lapartheid. Les syndicats noirs duCosatu ont t autoriss en 1985 par un rgimeraciste aux abois. La centrale a alors particip unvaste front de protestation, alors que M. NelsonMandela tait encore en prison et lANC interdit.Ses appels la grve gnrale ont contribu paralyser lconomie du pays, frappe partir de1985 par des sanctions internationales.

    Aujourdhui, les syndicats noirs, forts de plusde deux millions dadhrents, rclament au gouver-nement une vraie politique sociale et de meilleuresconditions de travail pour tous. Mais, particularitsud-africaine, ils sont au pouvoir. Avec le Particommuniste sud-africain et lANC, ils constituentdepuis 1990 une alliance tripartite rvolutionnairecense uvrer la transformation de la socit.Communistes et syndicalistes reprsentent lailegauche de lANC, que le parti sefforce de brideren distribuant le pouvoir. Les dirigeants commu-nistes occupent ainsi rgulirement des postesministriels, tandis que ceux du Cosatu sigent aucomit excutif national de lANC. Leur contestationde la gestion librale de lconomie par lANC yperd en crdit (2).

    A la gare de Khayelitsha, le plus grand townshipnoir du Cap, la foule afflue tt le matin pour acheterson billet de train : 8,50 rands (85 centimes deuro)pour un aller simple vers le centre-ville. La cartemensuelle pour les transports publics cote10 euros, soit 5 % du salaire moyen dun agentde scurit prive (200 euros). Des femmesfinissent leur trop courte nuit pendant le trajet. Desvendeurs ambulants proposent des chips, desboissons, des chaussettes, des boucles doreilles.A larrive, beaucoup montent sur le toit de la garecentrale du Cap, o se trouve la gare routire. Desfiles de fourgonnettes, une vraie ruche de taxiscollectifs, desservent les banlieues rsidentiellesblanches o se trouvent les emplois. Ces taxis,dtenus par des oprateurs privs, pallient leslacunes des transports publics. Du matin jusquausoir, ils assurent lessentiel des dplacements delAfrique du Sud noire et sans voiture. Au dbutdu trajet, les pices de 5 rands passent de mainen main, pour arriver jusque dans les poches duchauffeur.

    Jai peur que les roues ne soient en train de sedtacher, soupire M. Sipho Dlamini, un passagersexagnaire, en polo et blue-jeans, voquant parailleurs la situation politique du pays. Il se dcritcomme un unsung hero (hros inconnu) de lalutte contre lapartheid. Ex-combattant de la branchearme de lANC, il a pass ses meilleures annes

    lutter pour un changement de son vivant. Inour lifetime tait le leitmotiv des Sud-Africains dansles annes 1980, en mmoire des gnrations quistaient battues en vain depuis la fondation delANC, en 1912. La dception de M. Dlamini vientnon seulement de la corruption des lites noires,mais aussi dun tat dinsurrection permanente, tellement banal quon ny prte plus attention.Selon les donnes de la police, le pays a connutrois meutes par jour en moyenne entre 2009et 2012. Une augmentation de 40 % par rapport la priode 2004-2009, relve le sociologue PeterAlexander (3).

    A Marikana, une injustice flagrante a toutdclench : laugmentation des salaires des contre-matres, mais pas de ceux des mineurs. Autre motifde colre : le recours gnralis des agencesprives pour recruter des intrimaires et limiter lepoids des syndicats. Une pratique que le Cosatucondamne, mais sur laquelle, dans la pratique, ilferme les yeux. La raison? Les intrts de ses amisde lANC parmi lesquels le fils du prsident,M. Duduzane Zuma, la tte de JIC MiningServices , trs prsents dans cette filire.

    Pour la premire fois, Marikana, le Syndicatnational des mineurs (National Union of Mine -workers, NUM), affili au Cosatu et parmi les plusimportants du pays, a t dbord par un conflitsocial. Une nouvelle structure indpendante, leSyndicat de lassociation des travailleurs des mineset de la construction (Association of Mineworkersand Construction Union, AMCU), a pris la tte dela contestation en promettant une augmentation de300 %. En face, lAnglo American Platinum (Amplats)a annonc le 15 janvier 2013 la suppression dequatorze mille emplois, soit 3% de la main-duvreminire.

    Facteur aggravant, le dialogue social se rvledfaillant. Mme aprs la tragdie, la direction deLonmin a continu de poser des ultimatums pourla reprise du travail et de brandir des menaces delicenciement. Cette brutalit nest pas seulementune squelle de lapartheid. La politisation desconflits sociaux, qui entranent la remise en causede lANC ou de ses dirigeants, fait peur aux grandsgroupes miniers, explique M. Thaven Govender,un jeune entrepreneur dorigine indienne, impor-tateur et revendeur dquipements miniers. Enralit, tout le monde sortira perdant de cetteaffaire, les grvistes comme les syndicats ou lANC.Les grandes entreprises emploient des mineursparce que la main-duvre est bon march enAfrique du Sud. Pour viter de nouveaux Marikana,ils vont mcaniser et licencier tour de bras.

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    * Journaliste.

    P A RN O T R E E N V O Y E S P C I A L E

    S A B I N E C E S S O U *

    LE RGIME ARC-EN-CIEL DISCRDIT

    Trois meutespar jour

    en Afrique du Sud

    On manifeste pourdes lendemains quonest las dattendre

    En dpit daccusations de corruption, le prsident Jacob Zuma a t rlu la direction du Congrs national africain (ANC) le 18 dcembre dernier. Mais les signes de fragilisation se multiplient, comme la cration du parti Agang ( Construisons ) par la clbre militante antiapartheid Mamphela Ramphele, en vuede llection prsidentielle de 2014. La sanglante rpression de lagrve des mineurs de Marikana, le 16 aot 2012, a rvl lampleur dela crise sociale et les dbats quelle suscite dans le pays.

    (1) Lire Greg Marinovich, Une tuerie comme au temps de lapar-theid, Le Monde diplomatique, octobre 2012.

    (2) Lire Achille Mbembe, Le lumpen-radicalisme du prsidentZuma , Manire de voir, no 108, Indispensable Afrique ,dcembre 2009 - janvier 2010.

    (3) Peter Alexander, A massive rebellion of the poor, Mail andGuardian, Johannesburg, 13 avril 2012.

    KIM LUDBROOK. Grve des mineurs sud-africains de Lonmin, 2012

    STRINGER. Grve des mineurs sud-africains, 2012

    Calendrier des ftes nationales 1er - 31 mars 2013

    3 BULGARIE Fte nationale6 GHANA Fte de lindpend.

    12 MAURICE Fte nationale17 IRLANDE Fte nationale20 TUNISIE Fte de lindpend.21 NAMIBIE Fte de lindpend.23 PAKISTAN Fte nationale25 GRCE Fte de lindpend.26 BANGLADESH Fte de lindpend.

    LAnglo American Platinumveut supprimerquatorze mille emplois

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  • LE MONDE diplomatique MARS 20135

    Le prsident Jacob Zuma ne sest dplac quequelques jours aprs les faits. Et il na pas rencontrles mineurs, mais la direction de Lonmin. Sonennemi politique, M. Julius Malema, 31 ans, ex-prsident de la Ligue des jeunes de lANC, exclude lANC en avril pour indiscipline , en a profitpour occuper le terrain. Se faisant le porte-parolede la base due, il a pris le parti des grvistes. Illes a accompagns au tribunal, o ils ont dans unpremier temps t eux-mmes accuss de meurtre,en vertu dune ancienne loi antimeute de lapar-theid. Cette loi permettait de retourner uneaccusation de meurtre contre de simples manifes-tants, en leur reprochant davoir provoqu lesforces de scurit. Au vu du toll, le chef dincul-pation visant deux cent soixante-dix mineurs afinalement t lev et une commission denqutenomme. M. Malema a saisi cette occasion pourappeler une nime fois la nationalisation desmines et pour dnoncer la collusion entre pouvoir,bourgeoisie noire, syndicats et grand capital (lire lencadr).

    Les observateurs se demandent qui, de lANCou du Cosatu, implosera le premier sous la pressionsociale. Or les dynamiques luvre, pluscomplexes quune simple opposition droite-gauche, empchent prcisment toute scission.

    Ces questions nintressent gure M. DumisaneGoge, un born free ( n libre) qui na pas connulapartheid. Ce jeune de 20 ans, crne ras, cicatricessur le visage et faux diamant loreille, na paslintention de faire usage de son droit de vote lorsdes prochaines lections gnrales en 2014. Notrelibert, ce nest que du papier, affirme-t-il. Le droitde vote, a ne veut rien dire, quand on a le choix

    Systme de corruption lgalise

    DEPUIS la prsidence de M. Thabo Mbeki (1999-2008), lacollusion entre le monde des affaires et la classe dirigeantenoire est patente. Ce mlange des genres trouve son incar-nation dans la personne de M. Cyril Ramaphosa, 60 ans, successeurdsign de M. Zuma, lu vice-prsident du Congrs nationalafricain (African National Congress, ANC) en dcembre 2012. A laveille du massacre de Marikana (lire larticle ci-dessus),M. Ramaphosa avait envoy un message lectronique la directionde Lonmin, lui conseillant de rsister la pression exerce par lesgrvistes, quil qualifiait de criminels.

    Propritaire de McDonalds Afrique du Sud et prsident, entreautres, de la socit de tlcommunications MTN, M. Ramaphosaest aussi lancien secrtaire gnral de lANC (1991-1997) et duSyndicat national des mineurs (National Union of Mineworkers[NUM], 1982-1991). Acteur central des ngociations de la transitiondmocratique, entre 1991 et 1993, il sera vinc par M. Mbeki dela course la succession de M. Nelson Mandela. En 1994, le voicirecycl dans les affaires, patron de New African Investment (NAIL),premire socit noire cote la Bourse de Johannesburg, puispremier milliardaire noir de la nouvelle Afrique du Sud. Il dirigeaujourdhui sa propre socit, Shanduka, active dans les mines,lagroalimentaire, les assurances et limmobilier.

    Parmi ses beaux-frres figurent M. Jeffrey Radebe, ministre de lajustice, et M. Patrice Motsepe, magnat des mines, patron dAfricanRainbow Minerals (ARM). Celui-ci a tir profit du Black EconomicEmpowerment (BEE) mis en uvre par lANC : cens profiter auxmasses historiquement dsavantages, selon la phrasologiede lANC, ce processus de monte en puissance conomiquedes Noirs a en fait favoris la consolidation dune bourgeoisieproche du pouvoir. M. Moeletsi Mbeki, le frre cadet de lancien

    chef dEtat, universitaire et patron de la socit de production audio-visuelle Endemol en Afrique du Sud, dnonce un systme de corruption lgalise . Il souligne les effets pervers du BEE :promotion cosmtique de directeurs noirs (fronting) dans lesgrands groupes blancs, salaires mirobolants pour des comptenceslimites, sentiment dinjustice chez les professionnels blancs dontcertains prfrent migrer.

    Si ladoption dune charte de BEE dans le secteur minier, en2002, en a fait passer 26 % entre des mains noires, elle a aussipromu nombre de barons de lANC des postes de directionimportants. M. Manne Dipico, ancien gouverneur de la provincedu Cap-Nord, occupe ainsi la vice-prsidence des oprationssud-africaines du groupe diamantaire De Beers. Le BEE a aussifavoris des anciens de la lutte contre lapartheid, qui ont renforcleur position dinfluence au sein du pouvoir. M. Mosima ( Tokyo )Sexwale, patron du groupe minier Mvelaphanda Holdings, a prisen 2009 la direction du ministre des human settlements(bidonvilles).

    Quant M. Patrice Motsepe, il se distingue dans le classementForbes 2012 au quatrime rang des fortunes dAfrique duSud (2,7 milliards de dollars). Il a rendu un grand service lANCen annonant le 30 janvier le don de la moiti de ses avoirsfamiliaux (100 millions deuros environ) une fondation qui porteson nom, pour aider les plus pauvres. Mme sil ne fait pasdmules, on ne pourra plus reprocher llite noire de ne paspartager son argent.

    S. C.

    (1) Carol Paton, Patrice Motsepes ARM is Cosatus biggest private donor ,Business Day, Rosebank, 19 septembre 2012.

    entre lANC et lANC. A 16 ans, M. Goge a purgune peine de quatre mois de prison pour avoirdvalis un magasin de meubles en compagniedamis, avec lesquels il formait un petit gang. Sejurant de ne plus jamais remettre les pieds dans unecellule, il a repris des tudes, pass son bac et intgrune cole de marketing du Cap, quil paie entravaillant temps partiel dans une station-service.Il nattend rien de ceux quil appelle les fat cats(pleins aux as), les hommes au pouvoir. Zuma sefait construire un palace de 240 millions de rands[23 millions deuros] Nkandla, son village duKwazulu-Natal, alors que dans les coles les lvesnont mme pas de manuels !, sindigne-t-il.

    La bourgeoisie noire vit loin des townships, oelle ne redistribue pas ou peu ses richesses.Ses gots de luxe et son opulence ont clat augrand jour sous la prsidence de M. Thabo Mbeki(1999-2008), la faveur de la croissance desannes 2000. Mais, depuis larrive au pouvoir deM. Zuma, en 2009, larchevque Desmond Tutu (4)et le Conseil des glises dAfrique du Sud necessent de dnoncer un dclin moral bien plusgrave que le prix mirobolant des lunettes de soleilde ceux que lon surnomme les Gucci revolutio-naries. Les relations peuvent se tisser de manireouvertement vnale, sourit un avocat daffairesnoir qui prfre garder lanonymat. On parle desexe table, et pas seulement propos de notreprsident polygame ! La corruption stale A tel point que, lorsquun ancien cadre de De Beersest accus de corruption par la presse, il lance :You get nothing for mahala ( On na rien sansrien. )

    Tout comme la rbellion des pauvres, lesmeurtres politiques ne font pas la une en Afriquedu Sud. Pourtant, on sentre-tue dans les provincesdu Kwazulu-Natal, du Limpopo ou du Mpumalangapour des positions de pouvoir qui favorisent pots-de-vin et commissions juteuses sur des marchspublics. Lydia Polgreen, journaliste au New YorkTimes, sest attir les foudres de lANC en relatantle phnomne (5).

    La monte de la violence inquite dans ce quireste un modle de dmocratie en Afrique. Avantleur dernier congrs, en dcembre 2012, les membresde lANC en sont venus aux mains pour faire passerlun ou lautre de leurs candidats. Des chaises ont voldans le Cap-Oriental, on sest battu coups de poingdans le nord-ouest du pays, et un gang arm a faitirruption lors dune runion de lANC dans lestownships de lEast Rand, prs de Johannesburg.Les pro-Zuma nont pas hsit menacer physi-quement les partisans du vice-prsident KgalemaMotlanthe, qui briguait la prsidence du parti. Leseffectifs de lANC ont beaucoup gonfl ces derniersmois, alimentant par ailleurs une polmique sur lexis-tence de membres fantmes qui auraient permis M. Zuma de lemporter face son rival, rput plusintgre et bien plac dans les sondages.

    LANC, parti hgmonique qui remporte les deuxtiers des suffrages depuis les premires lectionsdmocratiques de 1994, joue la fois le rle demajorit et dopposition, faute de partis denvergurecapables de simposer dans le dbat. SeulelAlliance dmocratique, dirige par Mme Helen Zille,une femme blanche de 61 ans, ancienne maire duCap et premire ministre de la province du Cap-Occidental, parvient se faire entendre. Cependant,elle attire llectorat blanc et mtis, mais peine convaincre les Noirs. Avec 16,6 % des voix en 2009,sa formation ne dispose que de soixante-sept sigesau Parlement, sur un total de quatre cents, dontdeux cent soixante-quatre lANC.

    Les annes de clandestinit, de suspicion et demanuvres dinfiltration par la branche spciale dela police de lapartheid ont produit une culturepolitique particulire au sein de lANC. Lessentielse passe dans les coulisses, et non sur la placepublique , constate le politologue sud-africainWilliam Gumede. La sacro-sainte unit demeure,mme si les ennemis dhier, les nats du Parti nationalafrikaner, ont disparu du paysage politique. Exposerau monde extrieur les dissensions internes relvetoujours du tabou. Do les relations tendues dupouvoir avec la presse.

    Quant aux accusations de trahison portes parles militants de laile gauche du parti, elles sontsouvent exprimes demi-mot. En revanche, lesecrtaire gnral du Cosatu, M. Zwelinzima Vavi,lun des plus critiques vis--vis de M. Zuma, neprend pas de gants : sur Twitter, il dnonce lacorruption, la mdiocrit, les mauvaises politiques,et, dans un jeu de mots, reproche lANC dtreun parti absolument inconsquent (AbsolutelyNo Consequences : ANC), quil sagisse de vols,de manuels scolaires ou de corruption. Il fait ainsiallusion limpunit qui rgne au sommet du

    pouvoir. Il a reu des menaces de mort, et on lesouponne de vouloir lancer une formation politiqueconcurrente.

    Les luttes de pouvoir au sein du parti hgmo-nique sont la fois sournoises et violentes. Ainsi,M. Mbeki, aprs avoir vinc son rival CyrilRamaphosa dans les annes 1990, avait ensuitelimog M. Zuma, son propre vice-prsident,poursuivi en justice la fois pour viol et pourcorruption. Celui-ci avait alors eu beau jeu de fairepasser ces procs pourtant fonds pour unnime complot invent par un chef dEtat connupour ses intrigues. Il avait ainsi pu mobiliser un vastefront en sa faveur.

    Alors que M. Mbeki, technocrate form auRoyaume-Uni, tait peru comme un ancien exilpeu charismatique, coup des masses et nesupportant pas la critique, M. Zuma campaitlauthentique Zoulou, polygame comme le sontquelques chefs de village du Kwazulu-Natal maistrs peu dhommes dans les grandes villes. Sesamis le prsentaient comme un vrai Africain, un titan politique sans diplmes, ayant gagn sesgalons au combat. Sa victoire laissa lANC profon-dment divise aprs son congrs de Polokwane,en dcembre 2007. Premier acte de dissidence :en octobre 2008, M. Mosiuoa ( Terror ) Lekota,ancien ministre loyal M. Mbeki, lanait le Congrsdu peuple (COPE). Aussitt accus de trahison parlANC, il ne devait rcolter que 7,42 % des voix lorsdes lgislatives de 2009.

    Il ny a pas de crise de leadership en Afriquedu Sud, rpte M. Zuma depuis le massacre deMarikana. Critiqu, le prsident est sur la dfensive,quand il ne se rfugie pas dans le dni. Il seretranche derrire des chants de lutte contre lapar-theid, Umshini Wam ( apportez-moi ma mitrail-lette ) ou Somlandela Luthuli ( nous suivronsLuthuli le nom du seul prsident de lANC avoirt zoulou comme lui). Et se dfend laide debilans chiffrs : nombre de maisons construites, deraccordements leau et llectricit mais jamaisdemplois crs ou de jeunes Noirs sortis des universits.

    Le chmage frappe officiellement 25,5 % desactifs. Les ingalits sociales, persistantes, nesestompent que trs progressivement. Les fameuxblack diamonds, la classe moyenne noire apparueau tournant des annes 2000, sur laquelle lesconomistes fondent bien des espoirs, ne sont quedes zircons (faux diamants industriels) aux yeuxdes plus critiques. Selon M. Solomon JohannesTerreblanche, conomiste afrikaner de gauche, lespolitiques de lANC ont cr une lite noire dequelque deux millions de personnes, et une classemoyenne de six millions de personnes. Le fossentre ces huit millions de riches Noirs et les vingt vingt-cinq millions de pauvres sest dangereu-sement largi .

    Vingt ans aprs la fin de lapartheid, les Blancsgagnent toujours plus que les Noirs. Six fois plus,selon le recensement de 2011, avec des revenusmoyens de 36500 euros par an, contre 6000 eurospour les mnages noirs. Il nexiste pas de salaireminimum national, mais des planchers variables,dans les mtiers identifis par le gouvernementcomme les plus vulnrables, ceux o les syndicatssont les moins actifs et les salaris la merci desemployeurs : domestiques, ouvriers agricoles,agents de nettoyage et de scurit prive, chauf-feurs de taxi et employs de la distribution. Ladernire augmentation des travailleurs domestiquesremonte dcembre 2011. Leur salaire minimumtait alors pass 1625,70 rands (environ 160 euros)par mois pour ceux travaillant plus de vingt-septheures par semaine, et 1152,32 rands mensuels(environ 115 euros) pour ceux travaillant moins devingt-sept heures.

    Les aides sociales, limites aux allocationspour les familles et les personnes ges, consti-tuent la seule source de revenu pour 54,7 % desmnages pauvres, selon des chiffres publis le27 novembre par les statistiques nationales. Selonla mme enqute, un Sud-Africain sur quatre nemange pas sa faim. Plusieurs ministres de lANCse sont opposs un Basic Income Grant (BIG),sorte de revenu minimum pour les adultes valides,chmeurs ou pas, y voyant une subvention lalcoolisme et au billet de loterie . En discussiondepuis plus de dix ans, le BIG est rest ltat deprojet.

    En attendant, le niveau de dsespoir se voit lil nu. A Khayelitsha, on noie son chagrin dans legospel, une musique en vogue qui retentit partout,mais aussi dans la dagga (cannabis), le Mandraxou le tik (mthamphtamine), une drogue qui ravagele township.

    SABINE CESSOU.

    (4) Premier archevque noir du Cap, M. Desmond Tutu a reu leprix Nobel de la paix pour son action contre lapartheid. En 1996,il a t nomm la tte de la Commission vrit et rconciliation,charge de faire la lumire sur les crimes du rgime dchu.

    (5) Lydia Polgreen, In South Africa, lethal battles for even smallestof political posts, The New York Times, 1er dcembre 2012.

    Luttes de pouvoir... coups de chaiseou de poing

    Une culture politiquemarquepar les annesde clandestinit

    KIM LUDBROOK. Grve des mineurs sud-africains de Lonmin, 2012

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  • (2) En 1966, la France annonce son retrait ducommandement intgr de lOTAN.

    (3) En droit romain, rduction de capacit civiquepouvant aller jusqu la perte de libert et de citoyennet.

    (4) Le Monde, 2 dcembre 2010.

    (5) LAllied Military Government of OccupiedTerritories (Amgot), ou gouvernement militaire desterritoires occups, pilot par des officiers amri-cains et britanniques, tait charg dadministrer lesterritoires librs au cours de la seconde guerremondiale.

    (6) Charg daffaires amricain auprs du rgimede Vichy (1940-1944).

    (7) Scurit europenne : OTAN, OSCE, pactede scurit , colloque de la fondation Res publica,30 mars 2009.

    6LETTRE OUVERTE

    La France doit

    ETATS-UNIS : une nation convaincue deson exceptionnalit o la bannire toileest hisse chaque matin dans les coles etse promne en pins au revers des vestons,et dont le prsident proclame haut et fortque son seul but est de rtablir le leadershipmondial de son pays. Boost par larvolution informatique qui porte sescouleurs et parle sa langue, au cur, grce ses entreprises, du nouvel cosystmenumrique, il nest pas prs den rabattre.Sans doute, avec ses Latinos et sesAsiatiques, peut-on parler dun pays post -europen dans un monde postoccidental,mais sil nest plus seul en piste, avec lamoiti des dpenses militaires du monde,

    rayonnement international et dindpen-dance dallure ( indpendance , leleitmotiv dhier, tant dsormais gommpar dmocratie ). Emploi, servicespublics, arme, industrie, francophonie,indice des traductions, grands projets : leschi!res sont connus, mais passons. Entaille et en volume, le rapport reste ce quiltait : de un cinq. En termes de tonus etde vitalit, il est devenu de un dix.

    capitis (3). Nous avons sauv notre cinma,par bonheur, mais le reste, le rgalien

    Le Franais de 1963, sil tait de gauche,esprait en des lendemains chanteurs ; etsil tait de droite, il avait quelque raisonde se croire le pivot de la constructioneuropenne, avec les maisons de la cultureet la bombe thermonuclaire en plus. Celuide 2013 ne croit en rien ni en personne,bat sa coulpe et a peur autant de son voisinque de lui-mme. Son avenir langoisse,son pass lui fait honte. Morose, leFranais moyen ? Cest sa rsilience quidevrait tonner. Pas de suicide collectif :un miracle.

    Garder une capacit propre de rflexionet de prvision ? Indispensable, en effet.Quand notre ministre de la dfense vientinvoquer, pour expliquer linterventionau Mali, la lutte contre le terrorismeinternational , absurdit qui na mmeplus cours outre-Atlantique, force est deconstater un tat de phagocytose avance,quoique retardataire. Loger dans le fourre-tout terrorisme (un mode dactionuniversel) les salafistes wahhabites quenous pourchassons au Mali, courtisonsen Arabie saoudite et secourons en Syrieconduit se demander si, force dtreinteroprable, on ne va pas devenirinterimbcile.

    Le dfi que tu lances agir de lint-rieur exige et des capacits et une volont.

    1. Pour montrer exigence, vigilance etinfluence, il faut des moyens financierset des think tanks comptitifs. Il faut surtoutdes esprits originaux, avec dautres sourcesdinspiration et lieux de rencontre que leCenter for Strategic and InternationalStudies (CSIS) de Washington ou lInter-national Institute for Strategic Studies(IISS) de Londres. O sont passs lesquivalents des matres duvre de lastratgie nuclaire franaise, les gnrauxCharles Ailleret, Andr Beaufre, PierreMarie Gallois ou Lucien Poirier ? Cesstratges indpendants, sils existent, ontapparemment du mal se faire connatre.

    2. Il faut une volont. Elle peut parfoistirer parti de linsouciance gnrale, quina pas que des mauvais cts. Elle apermis Pierre Mends France, ds 1954,et ses successeurs de lancer et depoursuivre en sous-main la fabricationdune force de frappe nuclaire. Orlactuelle dmocratie dopinion porte enpremire ligne, gauche ou droite, deshommes-baromtres plus sensibles quela moyenne aux pressions atmosphriques.On gouverne la godille, le derniersondage en boussole et cap sur les canto-nales. En dcoudre dans les sables avecdes gueux isols et dpourvus dEtat-

    sanctuaire, avec un bain de foule la cl,tous nos prsidents, aprs GeorgesPompidou, se sont offert une chevauchefantastique de ce genre (hausse de la cotegarantie). Heurter en revanche la premirepuissance conomique, financire, mili -taire et mdiatique du monde reviendrait prendre le taureau par les cornes, cenest pas dans les habitudes de la maison.La croyance dans le droit et dans la bontdes hommes nentrane pas la virtu,mais dbouche rgulirement sur lobis-sance la loi du plus fort. Le socialistede 2013 prend lattache du dpartementdEtat aussi spontanment quen 1936celui du Foreign Office. Le pli a la viedure. WikiLeaks nous a appris que, peuaprs la seconde guerre dIrak, lactuelministre de lconomie et des finances

    M. Pierre Moscovici, alors charg desrelations internationales au Parti socia-liste, sen est all rassurer les reprsen-tants de lOTAN sur les bons sentimentsde son parti envers les Etats-Unis, jurantque sil remportait les lections, il ne seconduirait pas comme un Jacques Chirac.M. Michel Rocard avait dj manifestauprs de lambassadeur amricain Paris, le 24 octobre 2005, sa colre contrele discours de M. Domi nique de Villepin lOrganisation des Nations unies (ONU)en 2003, en prcisant que, lui prsident,il serait rest silencieux (4). Demander lex- gauche amricaine de ruer dansles brancards est un pari hasardeux.Napolon en 1813 na pas demand ses Saxons de reprendre leur poste sousla mitraille.

    MARS 2013 LE MONDE diplomatique

    Une nation normalise et renfrogne

    Le systme pyramidal serait devenu unforum qui nengage plus grand-chose, unchamp de manuvre o chaque membre ases chances, pourvu quil sache parler fort.Bref, cette OTAN a!aiblie ne mriteraitplus lopprobre dantan. Je la jugeais, deloin, plus florissante que cela. Considra-blement tendue. Douze pays en 1949, vingt-huit en 2013 (avec neuf cent dix millionsdhabitants). Le pasteur a doubl sontroupeau. LAlliance tait atlantique, on laretrouve en Irak, dans le Golfe, au large dela Somalie, en Asie centrale, en Libye (oelle a pris en charge les frappes ariennes).Militaire au dpart, elle est devenue politico-militaire. Elle tait dfensive, la voil privedennemi mais lo!ensive. Cest lenouveau benign neglect des Etats-Unis quiaurait tes yeux chang la donne.Washington a vir de bord, vers le Pacifique,avec Pkin et non Moscou pour adversaire-partenaire. Changement de portage gnral.Do des jeux de scne la Marivaux :X aime Y, qui aime Z. LEurope namourefixe ses regards vers lAmricain, qui,fascin, tourne les siens vers lAsie.

    Le Vieux Continent a lair fin, mais lecocu ne sen fait pas trop. Il demandeseulement quelques gards. Nous, Franais,devrions nous satisfaire de quelques posteshonorifiques ou techniques dans les tats-majors, Norfolk (Etats-Unis), Mons(Belgique), de vagues espoirs de contratspour notre industrie, et de quelquescentaines do"ciers dans les bureaux,runions et raouts foison.

    La relation transatlantique a sadynamique. Evident est le dclin relatif dela puissance amricaine dans le systmeinternational, mais le ntre semble treall encore plus vite. LOTAN nest plus cequelle tait en 1966 (2)? Peut-tre, maisla France non plus.

    Nos compatriotes broient dj assez dunoir pour leur viter la cruaut dunavant/aprs en termes de puissance, de

    Lembteuse du monde

    DANS lADN de nos amis socialistes,il y a un gne colonial et un gne atlan-tiste. Personne nest parfait. On peutchapper la gntique, bien sr, mais sa gnration ? On a les valeurs de sespreuves. Franois Mitterrand et GastonDefferre, Pierre Joxe et Jean-Pierre Chevnement avaient lexprience de laguerre, de la Rsistance, de lAlgrie.LAmgot (5), Robert Murphy (6) Vichyet les crocs-en-jambe de Rooseveltflottaient encore dans les ttes, ct dudbarquement et des librateurs de 1944.La gnration actuelle a la mmoire courteet na jamais pris de coups sur la figure.Grandie dans une bulle, elle traverse dansles clous. Et subit lobligation dtresympa. Ceux qui cassent la baraque nesont jamais sympas. Chaque fois que laFrance fut l embteuse du monde , ellesest mis dos tout ce qui compte chezelle, grands patrons, grands corps etgrande presse (lire page 9 Les lobbyistesde Washington ).

    Le sursaut que tu prconises exigeraitune mise sous tension des appareils dEtatet des habitudes, avec sortie du placard,des mal-pensants, quon taxera soit defolie, soit de flonie (les nouveaux chiensde garde tant mieux introduits que lesanciens). Il jure avec le passer entre les gouttes qui fait loi dans un milieuo tout anamricain est baptis anti -amricain. Dautant que les Amricains,a leur fait leffet dune insulte ds quenous nacceptons pas dtre leurs satel-lites (de Gaulle, encore). Surtout quandle rapport de force se noie dans la dcon-traction, prnom, tutoiement et tapes dans le dos.

    Clarifier, dis-tu, notre conception delAlliance ? Oui, et ce qui se conoitbien snonce clairement. Tu parles clair,avec faits et chiffres. Mais cest la languede coton qui rgne, mlasse deuph-mismes o nous enlisent les techno struc-tures atlantique et bruxelloise, avec leursprtendus experts. Nous parlons parexemple de commandement intgr,quand cest le leader qui intgre les autres,mais garde, lui, sa libert pleine et entire.Lintgration na rien de rciproque. Aussiles Etats-Unis sont-ils en droit despionner(soudoyer, intercepter, couter, dsin-former) leurs allis qui, eux, se linter-disent ; leurs soldats et leurs officiers nesauraient avoir de comptes rendre devantla justice internationale, dont seuls leursallis seront passibles ; et nos compagniesariennes sont tenues de livrer toutes infor-mations sur leurs passagers des autoritsamricaines qui trouveraient la rciproqueinsupportable.

    Chaque strotype est ainsi traduire.Apporter sa contribution le!ortcommun : fournir les suppltifs requissur des thtres choisis par dautres.Supprimer les duplications inutiles dansles programmes dquipement : Euro -pens, achetez nos armes et nos quipe-ments, et ne dveloppez pas les vtres.Cest nous qui fixons les standards. Mieuxpartager le fardeau : financer des systmesde communication et de contrle conuset fabriqus par la mtropole. LUnioneuropenne, ce partenaire stratgique avecune place unique aux yeux de ladminis-tration amricaine alors que lhypo-puissance europenne nest pas un parte-

    naire, mais un client et un instrument delhyperpuissance. Il ny a quune et nondeux chanes de commandement danslOTAN. Le commandant suprme desforces allies en Europe (Saceur) estamricain ; et amricaine, la prsidente dugroupe de rflexion charg de la pros -pective (Mme Madeleine Albright, ancienneministre des a!aires trangres).

    Cette novlangue poisseuse est indignedune diplomatie franaise qui, de Chateau-briand Romain Gary, a eu le culte du motjuste et le got de la littrature, qui est lartdappeler un chat un chat. Le premier tempsdune action extrieure, cest la parole. Laformule qui rveille. Le mot cru. De Gaulleet Mitterrand les pratiquaient allgrement.Tu as connu le second de prs. Et lepremier, en priv et ds 1965 en public,qualifiait lOTAN de protectorat, hg -monie, tutelle, subordination. Alli, nonalign veut dire dabord : retrouver salangue, ses traces et ses valeurs. Scuritaccol dfense, ftichisme technolo-gique et aspiration dominer le monde(dorigine thologique) jurent avec notrepersonnalit laque et rpublicaine.Pourquoi donc la gauche au gouvernementdevrait-elle entriner ce quelle a condamndans lopposition ?

    Pour ma part, je men tiens lappr-ciation de M. Gabriel Robin, ambassadeurde France, notre reprsentant permanentauprs de lOTAN et du Conseil delAtlantique nord de 1987 1993. Je lecite : LOTAN pollue le paysage inter-national dans toutes les dimensions. Ellecomplique la construction de lEurope.Elle complique les rapports avec lOSCE[Organisation pour la scurit et la coop-ration en Europe] (mais ce nest pas leplus important). Elle complique lesrapports avec la Russie, ce qui nest pasngligeable. Elle complique mme lefonctionnement du systme internationalparce que, incapable de signer uneconvention renonant au droit dutiliserla force, lOTAN ne se conforme pas audroit international. Le non-recours la force est impossible lOTAN car elleest prcisment faite pour recourir la force quand bon lui semble. Elle nesen est dailleurs pas prive, sansconsulter le Conseil de scurit desNations unies. Par consquent, je ne voispas trs bien ce quun pays comme laFrance peut esprer de lOTAN, uneorganisation inutile et nuisible, sinonquelle disparaisse (7).

    Inutile, parce quanachronique. Alheure o chaque grand pays joue sonpropre jeu (comme on le voit dans lesconfrences sur le climat, par exemple),

    (Suite de la premire page.)

    MONSIEUR Hubert Vdrine, ancien ministre des a!aires trangres, a remis le14 novembre 2012 au prsident de la Rpublique Franois Hollande lesconclusions de son rapport sur Les consquences du retour de la Francedans le commandement militaire intgr de lOrganisation du trait de lAtlantiquenord [OTAN], lavenir de la relation transatlantique et les perspectives de lEuropede la dfense (1). Tout en approuvant la dcision du gnral de Gaulle de quitterle commandement intgr de lOTAN en 1966, M. Vdrine a"rme que lon ne peutrevenir sur le retour dcid par le prsident Nicolas Sarkozy et devenu e!ectif en2009. Il explique : Les inconvnients du retour de la France dans le commandement int-gr lemporteraient finalement si cela devait conduire une normalisation, voire une bana-lisation de la France dans lOTAN. La France doit donc saff irmer beaucoup plus danslAlliance, et y exercer une influence accrue, sy montrer vigilante, et exigeante. Labandonde la position franaise antrieure, politiquement confortable, et le retour une pleinepartici pation ne nous permettent plus de nous tenir en partie lcart, sur un mode pure-ment dfensif, critique et abstentionniste, du dbat et des dcisions sur lavenir de lAlliance.Si nous voulons retrouver une influence de premier plan dans lAlliance et nous le devonsabsolument , dautant que les circonstances sy prtent, nous devons donc clarifier notreconception de lAlliance long terme, dans la perspective des runions ministrielles rgu-lires et du prochain sommet.

    Au sujet de lEurope de la dfense, M. Vdrine crit : On peut penser que la Francedoit continuer plaider, malgr tout, en faveur dune Europe de la dfense dans le cadrede lUnion, et cela pour plusieurs raisons. Cela fait partie dun projet plus gnral dEuropepolitique au sens le plus fort du terme. () Nanmoins nous ne pouvons pas nous borner faire de la relance de lEurope de la dfense une priorit pour nous seuls, comme si derien ntait, et comme si les obstacles et les checs ntaient pas vidents. () Il faut cla-rifier la situation avec nos allis, en commenant par les plus grands, en les interrogeant surleurs intentions. Avec la Grande-Bretagne, cela signifie lui demander jusquo elle est prte aller avec nous. () Avec lAllemagne, cela signifie lui demander si le renforcement poli-tique de lEurope, quelle appelle de ses vux, ne devrait pas se traduire par plus de dci-sions concrtes en matire dindustrie de dfense, comme par plus dengagements enmatire doprations europennes extrieures, et par une concertation franco-allemandesur les questions traites au sein de lAlliance.

    (1) La Documentation franaise, www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics

    Rintgration

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    il peut garder la tte haute. Et mettre enuvre sa nouvelle doctrine : leading frombehind (diriger sans se montrer ).

    France : une nation normalise etrenfrogne, dont les beaux frontons Etat,Rpublique, justice, arme, universit,cole se sont vids de lintrieur commeces nobles difices dlabrs dont on negarde que la faade. O la drgulationlibrale a rong les bases de la puissancepublique qui faisait notre force. O leprsident doit drouler le tapis rouge devantle prsident-directeur gnral de Google,acteur priv qui jadis et t reu par unsecrtaire dEtat. Sidrante diminutio

    JJ

  • 7 LE MONDE diplomatique MARS 2013

    o saff irment et sexasprent f iertsreligieuses et identits culturelles, ce nestpas btir lavenir que de senrler. Sont lordre du jour des coalitions ad hoc,des cooprations bilatrales, des arran-gements pratiques, et non un mondebichrome et manichen. LOTAN est unesurvivance dune re rvolue. Les guerresclassiques entre Etats tendent dispa-ratre au bnfice de conflits non conven-tionnels, sans dclarations de guerre nilignes de front. Au moment o lespuissances du Sud saffranchissent delhgmonie intellectuelle et stratgiquedu Nord (Brsil, Afrique du Sud,Argentine, Chine, Inde), nous tournonsle dos lvolution du monde.

    Pourquoi nocive ? Parce que dres-ponsabilitante et anesthsiante. Trois foisnuisible. A lONU dabord, et au respectdu droit international, parce que lOTANsoit dtourne son profit, soit contourneet ignore les rsolutions du Conseil descurit. Nuisible la France, ensuite,dont elle tend annuler les avantagescomparatifs chrement acquis, enlincitant faire siens par toutes sortesdautomatismes des ennemis qui ne sontpas les ntres, en diminuant notre libertde parler directement avec tous, sans veto

    alli n 1 (et en Afghanistan, nous fmesbien, avec notre contingent, le quatrimepays contributeur). Evoquer, dans cesconditions, une influence de premierplan au sein de lAlliance revient fairecocorico sous la table.

    Nous glissions depuis longtemps le longdu toit, me diras-tu, et M. Sarkozy na faitque parachever un abandon commencsous ses prdcesseurs. Certes, mais il luia donn son point dorgue symboliqueavec cette phrase : Nous rejoignons notrefamille occidentale. Ce nest pasdaujourdhui quun champ clos derivalits ou un systme de domination sedguise en famille. Vieille mystificationquon croyait rserve la grande familledes Etats socialistes . Do lintrt denavoir plusieurs, des familles naturelles etdes lectives, pour compenser lune parlautre.

    Sentimentalement, jappartiens lafamille francophone, et me sens autantet plus daffinits avec un Algrien, unMarocain, un Vietnamien ou un Malgachequavec un Albanais, un Danois ou unTurc (tous trois membres de lOTAN).Culturellement, jappartiens la famillelatine (Mditerrane et Amrique du Sud).Philosophiquement, la famille humaine.Pourquoi devrais-je menfermer dans uneseule ? Pourquoi sortir de la naphtalinela notion chrie de la culture ultracon-servatrice (Oswald Spengler, HenriMassis, Maurice Bardche, les nervisdOccident [8]), qui ne figure pas, dail-leurs, dans le trait de lAtlantique nordde 1949, qui napparat presque jamaissous la plume de de Gaulle et que je neme souviens pas avoir entendue dans labouche de Mitterrand ?

    En ralit, si lOccident doit aux yeuxdu monde sidentif ier lEmpireamricain, il rcoltera plus de haines quedamour, et suscitera plus de rejet que derespect. Il revenait la France danimerun autre Occident, de lui donner un autrevisage que Guantnamo, le drone sur lesvillages, la peine de mort et larrogance.Y renoncer, cest fois compromettrelavenir de ce que lOccident a de meilleur,et djuger son propre pass. Bref, nousavons rat la marche.

    Mais au fond, pourquoi monter sur sesgrands chevaux ? Il se pourrait bien quela mtamorphose de lex-grande nationen belle province vers quoi on se dirige sans tourner les yeux vers le Qubec,

    hlas, o des stages de formation seraientles bienvenus serve finalement notrebonheur et notre prosprit. De quoi seplaint-on ? Intervenir manu militari danslancien Soudan [Mali], sans concourseuropen notable, avec une aide techniqueamricaine (dont les satellites dobser-vation militaires, contrairement aux ntres,ne sont pas reprables et traables sur laToile), nest-ce pas, pour un pays trsmoyen (1 % de la population et 3 % duproduit intrieur brut de la plante),

    amplement suffisant pour lamour proprenational ? Que demander de plus, au-deldun retrait rapide de nos troupes pourviter lensablement ?

    Je nignore pas quun disciple deRaymond Aron, lex-procureur de la force de frappe et chef de lcole euro-atlantique, puisse saluer comme un beaugeste envers notre vieil alli le fait derallier sa bannire au mauvais moment. Cejuste retour de gratitude, aprs 1917 et1944, a pu tourner la tte dun enfant dela tl et de John Wayne fier de pouvoirjogger dans les rues de Manhattan avec untee-shirt NYPD.

    Et si on prend un peu plus de hauteur,toujours derrire Hegel, il se pourrait bienque lamricanisation des modes de vieet de penser (rouleau compresseur qui napas besoin de lOTAN pour poursuivresa course) ne soit que lautre nom dunemarche en avant de lindividu commenceavec lavnement du christianisme. Etdonc une extension du domaine de ladouceur, une bonne nouvelle pour lesminorits et dissidences de toutes espces,sexuelles, religieuses, ethniques et cultu-relles. Une tape de plus dans le processusde civilisation, comme passage du brutau raffin, de la raret labondance, dugroupe la personne, qui vaut bien quonen rabatte localement sur la gloriole. Cequi peut nous rester dune vision piquede lhistoire, ne devrions-nous paslenterrer au plus vite si lon veut vivreheureux au XXIe sicle de notre re, etnon au XIXe ?

    Verdun, Stalingrad, Hiroshima Alger,Hano, Caracas Des millions de morts,des dluges de sou!rances indicibles, dansquel but, finalement? Il marrive de penserque notre indi!rence au destin collectif,le repli sur la sphre prive, notre lentesortie de scne ne sont pas quun lchesoulagement mais lpanouissement de laprophtie de Saint-Just, le bonheur estune ide neuve en Europe . En cons-quence de quoi il y a plus de sens et dedignit dans des luttes pour la qualit delair, lgalit des droits entre homos ethtros, la sauvegarde des espaces vertset les recherches sur le cancer que dans desottes et vaines querelles de tabouret surun thtre dombres.

    La famille occidentale , une mystification

    A!res et atouts mls de la virilit

    extrieur, en ruinant son capital desympathie auprs de nombreux pays duSud. Nous sommes fiers davoir obtenudobligeantes dclarations sur le maintiende la dissuasion nuclaire ct de ladfense antimissile balistique dont ledploiement, en ralit, ne peut que margi-naliser terme la dissuasion du faible aufort, dont nous avons les outils et lamatrise. Mais peut-tre va-t-on nousconvaincre que nous vivons, Paris,Londres et Berlin, sous la terrible menacede lIran et de la Core du Nord

    Nuisible, enfin, tout projet dEurope-puissance, dont lOTAN entrine ladieuaux armes, la baisse des budgets de dfenseet le rtrcissement des horizons. SilEurope veut avoir un destin, elle devraprendre une autre route que celle qui larive son statut de dominion (lEtatindpendant dont la politique extrieureet la dfense dpendent dune capitaletrangre). On comprend que cela soit unbien pour lEurope centrale et balkanique(notre Amrique de lEst), car de deuxgrands frres mieux vaut le plus lointain,et ne pas rester seul face la Russie.Pourquoi oublier que tout Etat a la politiquede sa gographie et que nous navons pasla mme que celle de nos amis?

    M. HUBERT VDRINE

    quitter lOTAN

    (8) Respectivement philosophe allemand, auteurde lessai Le Dclin de lOccident (1918), associ la rvolution conservatrice allemande ; essayisteet critique littraire franais ayant particip au rgimede Vichy ; crivain franais ayant soutenu la colla-boration et dnonc la Rsistance comme illgale ;et groupuscule franais dextrme droite (ayantcompt parmi ses membres MM. Patrick Devedjian,Grard Longuet et Alain Madelin).

    GILBERT GARCIN. Il faut penser aux consquences, 2012

    ambition et sans idal. Sous lgide dunenon-personnalit.

    Quant au langage de l influence, ilfleure bon la IVe Rpublique. Ceux quiacceptent de devenir pitaille dtestent direquils sont pitaille (de Gaulle encore, lpoque). Ils assurent quils ont delinfluence, ou quils en auront demain.Produire des effets sans disposer des causesrelve de la pense magique. Influer veutdire peser sur une dcision. Quand avons-nous pes sur une dcision amricaine? Jene sache pas que M. Barack Obama aitjamais consult nos influentes autoritsnationales avant de dcider dun changementde stratgie ou de tactique en Afghanistan,o nous navions rien faire. Il dcide, onamnage.

    La place du brillant second tant trslogiquement occupe par le Royaume-Uni, et lAllemagne, malgr labsencedun sige permanent au Conseil descurit, faisant dsormais le troisime,nous serons donc le souffleur n 4 de notre

    VNUs aprs Mars. Vnus suprieure Mars ? Aprs tout, si la femme estlavenir de lhomme, leffmination desvaleurs et des murs qui caractrisera lemieux lEurope daujourdhui aux yeuxdes historiens de demain est une bonnenouvelle. Se rangeront sous cette rubrique,au-del des belles victoires du fminismeet de la parit, le dprissement du nomdu pre dans la dvolution du nom defamille, le remplacement du militaire parlhumanitaire, du hros par la victime, dela conviction par la compassion, duchirurgien social par linfirmire, du curepar le care cher Mme Martine Aubry.Adieu faucille et marteau, bonjourpincettes et compresses.

    Ce nest pas avec lcole, ce nest pasavec le sport que nous avons un problme,cest avec lamour. Ainsi parlait nonZarathoustra mais M. Sarkozy, Mont -pellier, le 3 mai 2007. Nietzsche auraithurl, mais Ibn Khaldoun lui aurait tir lamanche. Tu sais que, dans son Discourssur lhistoire universelle, ce philosophearabe et perspicace (1332-1406) observeque les Etats voient le jour grce aux vertusviriles et disparaissent avec leur abandon.Puritanisme de Bdouin on ne peut plusincorrect, mais description intressante delentropie des civilisations. Comme lever file sa soie, puis trouve sa fin en semp-trant dans ses fils

    Un Ibn Khaldoun saluerait peut-tre letalent des Etats-Unis dAmrique pourfreiner le processus et retarder la fin. Touten poussant hors primtre, par leurstechnologies et leurs images, aux joies delhyperindividualisme et du quant--soifestif, ils conservent par-devers eux lesa!res et les atouts mls de la virilit :culte des armes, gaz de schiste, budgetmilitaire crasant, massacres dans les

    coles, patriotisme exacerb. Phallocrateset souverainistes pour ce qui les concerne,mais soutenant ailleurs ce quon pourraitappeler la fminisation des cadres et desvaleurs. Les derricks pour eux, lesoliennes pour nous. Do une Europe pluscologique et pacifique et paradoxalementmoins traditionaliste que lAmrique elle-mme. Pendant que notre littrature etnotre cinma cultivent lintime, les leurscultivent la fresque historique et sociale.Steven Spielberg lve une statue Lincoln,la Central Intelligence Agency (CIA) nousmet la larme lil avec ses agents voirArgo. OSS 117, avec Jean Dujardin, nousfait pleurer, mais de rire.

    Bref, si le problme cest Hegel, et lasolution Bouddha, mes objections tombent leau. Je ne lexclus pas a priori. Maiscest une autre discussion. En attendant,je me flicite de te savoir en rserve dela Rpublique et me rjouis pour ma part,spectateur dgag, de revenir mes chrestudes. Sans rapport avec lactualit, ellesme prservent de toute mauvaise humeur.Chacun ses dfenses.

    Bien amicalement toi.

    RGIS DEBRAY.

    GIL

    BERT

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    RIS

    RENTRER dans le rang pour viabiliserune dfense europenne, la grande pensedu rgne prcdent, tmoigne dun curieuxpenchant pour les cercles carrs. NeufEuropens sur dix ont pour stratgielabsence de stratgie. Il ny a plusdargent et on ne veut plus risquer sa peau(on a dj donn). Do la fumisterie dun pilier europen ou dun tat-majoreuropen au sein de lOTAN . Le seulEtat apte des accords de dfense cons-quents avec la France, le Royaume-Uni,con