Le Monde Fracture à gauche

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/17/2019 Le Monde Fracture à gauche

    1/172

    SAMEDI 7 MAI 201672E  ANNÉE - NO 22180

    4,20 €  - FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR ―

    FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

     Algérie200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 4,20 €, Cameroun 2 000 F CFA,  Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €,  Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA,   Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 4,20 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €,  Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €,  Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF,  Tunisie 2,80 DT,  Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA

    LA LA CIT ,FRACTURE

    DE LA GAUCHE

    W E E K • E N D

        U    N    I    Q    U    E    M    E    N    T    E    N     F

        R    A    N    C    E    M     É    T    R    O    P    O    L    I    T    A    I    N    E ,

        E    N     B

        E    L    G    I    Q    U    E    E    T    A    U

        L    U    X    E    M    B    O    U    R    G

    LE MAGAZINE

    SPORTS – Ce que sont devenusles gamins de la promo 98,trois ans après Clairefontaine

    IDÉES – 50 nuances Debray,portrait inattendu

    d’un intellectuel turbulent

    KRISTEN STEWART sera l’unedes actrices les plus remarquéesdu Festival de Cannes 

     Kris ten S te wa

    r t  fai t co up do u b le

    + Secre t de j urés+  Br uno  D um

    on t o u  le  b ur lesq ue socia l

    Spécia l Cannes

    g SAMEDI 7 MAI 201 6 f

    3EUROPE

    France,Allemagne:stratégiesd’accueil   6

    PHIL OSOPHIE

    RégisDebray,portraitd’unintellectuelturbulent   7

    ARTS

    Faut-ilmoderniserlesmusées privés?

    SCHISMEÀ GAUCHE

    LA ÏCIT É  v Quelle attitude

    adopter face àl’islam ?

    Intellectuelset dirigeants

    se déchirent autour de cette

    question.Leurspositions,

    irréconciliables,mettent

    àmal lacohésion de

    leur famille politique

    ONARETROUVÉ…

    JEAN-CLAUDE DARMON,L’EX-ARGENTIERDU FOOT

    →PAGE 7

    LIGUE1

    LE GRANDTOURBILLONDES ENTRAÎNEURS

    →PAGE 6

    LEICESTER

    NE L’APPELEZ PLUS« CLOWNIO» RANIERI

    →PAGE 3

    GÉNÉRATION 98Lorsdela saison2011-2012,«Le Monde»avait suivi

    lesapprentisfootballeurs delapromo 1998

    del’INFClai refontaine.Depuis,certains ontrenoncé

    àunecarrièreprofessionnelle,tandis

    queKylianMbappébrilleenLigue1avecMonaco,

    quiaffronteLyonle 7mai.

    P A G ES 4- 5

    Brésil L’ennemi de Dilma Rousseffsuspendu pour corruption

    sao paulo - correspondante

    Q uelques heures avant deperdre son mandat de

    président de la Cham-bre des députés,

    Eduardo Cunha a, comme à sonhabitude, publié un de ses tweetstirés des Evangiles : « Que le Dieude paix soit toujours avec vous.

     Amen. Epître aux Romains 15:33. »Mais, cette fois-ci, point de misé-ricorde pour le député évangéli-que ultraconservateur membredu Parti du mouvement démo-cratique brésilien (PMDB, cen-tre). Jeudi 5 mai, la Cour suprêmedu Brésil a décidé à l’unanimitéde suspendre le mandat de par-

    lementaire et de président de laChambre basse de M. Cunha, ac-cusé de corruption et de blanchi-ment d’argent, détenteur d’un

    compte en Suisse où seraient lo-gés au moins 5 millions de dol-lars (4,38 millions d’euros) auxorigines douteuses, et cité dansle scandale Petrobras et dans les« Panama papers ». Remplacépar son allié le député WaldirMaranhao, du Parti progressiste(PP, droite), Eduardo Cunha, chefd’orchestre de la procédure dedestitution lancée contre la pré-sidente Dilma Rousseff, a décidéde faire appel.

    claire gatinois

    →L I RE L A S UI T E PA G E 6

    ▶ La gauche se déchiresur la religion et lalaïcité, avec la montéede l’islam radicalen toile de fond

    ▶ D’un côté, les « ultra-laïques », « républicainsidentitaires », autourde Manuel Valls, AlainFinkielkraut, ElisabethBadinter

    ▶ De l’autre, les « multi-culturalistes démocra-tes », partisans d’une

    « laïcité ouverte »,autour d’Edwy Plenel,Christiane Taubiraou Eric Fassin

    SUPPLÉMENT

    UN CONGRÈSPOUR ADOUBERKIM JONG-UNC O R É E D U N O R D

    A Pyongyang,lors d’un spectacle,le 5 mai, à la veille

    du congrès. REUTERS/DAMIR SAGOLJ

    Le 7e congrès du Partidu travail s’est ouvert,le 6 mai, à Pyongyang.Une consécration

    pour le jeune dictateurnord-coréen, aprèsquatre ans de purgeset d’exécutionsINTERNATIONAL – LIRE PAGE 4

    OTAN : « La menace à l’est est la plus importante »Le commandant militaire de l’Alliance atlantique, le général tchèque Petr Pavel, s’inquiète de lamultiplication des provocations russes et prépare un plan de défense pour l’est de l’Europe

    Le général Petr Pavel, présidentdu comité militaire de l’Alliance

    atlantique, engage les Euro-péens à investir 2 % de leur PIBdans la défense, pour se dégagerdu poids des Etats-Unis, qui as-

    sument à eux seuls 75 % descoûts de l’OTAN.

    Le général identifie deux me-naces : l’une, au sud, venue d’ac-teurs non étatiques et du terro-risme. L’autre, à l’est, est plus in-

    quiétante d’un point de vuemilitaire. Pour la doctrine russe,

    « nous sommes en guerre cons-tante », estime le général,d’autant que Moscou multiplieles provocations, jusqu’à en-

    voyer des bombardiers stratégi-ques au-dessus de la Manche.

    « Nous devons nous tenir prêts àtoute éventualité », estime le pa-tron militaire de l’OTAN.

    L I RE PA G E 2

    Le dessinateur est décédé le5 mai, à 87 ans. De « France

    Soir » à « Siné Mensuel »,il aura publié dansquasiment toute la presseL I RE PA G E 10

    Disparition

    Siné : « La chienlit,c’est moi »

    ERDOGAN,SEUL MAÎTREEN TURQUIE

    LIRE P AGE 16 ET NOS

    INFORMAT IONS P AGE 3

    1 É D I T O R I A L

    Au premier trimestre, lesmises ont bondi de 47 %,une croissance inéditeL I RE L E CA HI ER ÉCO PA G E 3

    La folie des parissportifs en ligne

    « Renaud Girard s’attache à expliquer le chaos de l’époque. »

    Alain Frachon, Le Monde

    « Le réalisme à l’épreuve des faits. »

    François d’Orcival, Le Figaro Magazine

  • 8/17/2019 Le Monde Fracture à gauche

    2/172

    2 | INTERNATIONAL SAMEDI 7 MAI 20160123

    ENTRETIEN

    Elu par ses pairs, les chefsd’état-major des 28 Etatsde l’Alliance atlantique, leprésident du comité mi-

    litaire, le général tchèque PetrPavel, 54 ans, a pris son poste enjuin 2015. Le Monde l’a rencontréàParis mercredi 4 mai.

    L’OTAN prépare un sommet dif-ficile à Varsovie en juillet, cer-tains alliés voulant insister surla menace posée sur la Russie,d’autres sur celle du terrorismeau sud. Laquelle est prioritaire ?

    Des deux menaces principalespour l’Alliance, la première relèved’une compétition d’Etat à Etat

    avec la Russie, de son attitude par-fois agressive. Nous devonsd’abord formuler, au plus haut ni-veau politique, une stratégie vis--vis de la Russie. Cette approchesera déclinée en effets militairesselon nos lignes d’action :d’abord dissuader, et si la dissua-sion ne marche pas, défendre. Ladeuxième menace, au sud, vientd’acteurs non étatiques, du terro-risme, des migrations, et requiertune approche complètement dif-férente. Nous avons dessiné un ca-dre, mais pas encore en détail la fa-çon d’y répondre.

    Du point de vue militaire, la me-nace l’est est bien plus impor-tante, car les capacités russes, in-cluant un vaste arsenal nucléaire,posent potentiellement un pro-blème existentiel. Mais l’intentionn’est pas claire. Je ne crois pas que la

    Russie veuille entrer dans une con-frontation conventionnelle et nu-cléaire avec l’OTAN. La menace ausud n’est pas aussi vitale, mais elleest imminente, elle est là. Nous nepouvons pas la contenir unique-ment avec des moyens militaires,ni bâtir un mur en pensant ainsi vi-vre tranquilles en Europe. Nous de-vons stabiliser les régions en crise,et cela sera un long processus.

    Quel bilan tirer de l’activitémilitaire russe aux frontièresde l’OTAN ?

    Il n’y a pas d’incursion sur le ter-ritoire de l’OTAN, mais l’activité

    russe se développe dans les espa-ces internationaux aériens et ma-ritimes proches. Ces incursionssont nombreuses, leur nombreest en augmentation constante.Cela correspond l’activité mili-taire russe en général, et concernenotamment l’aviation longrayon d’action – nous avons vudes bombardiers stratégiquesrusses jusqu’en Manche. Ces actesservent démontrer la puissancede la Russie. Pour elle, il s’agit dedire : « Nous pouvons, donc nous

     faisons. »

    Les provocations ne sont-ellespas à mettre sur le même plan ?

    Certaines des violations aérien-nes sont mineures et ne mena-

    cent personne. Le plus grave estque les avions russes volent sou-vent sans transpondeur, c’est undanger pour le trafic civil. Mais il ya aussi des provocations délibé-rées, comme nous l’avons vu enBaltique et en mer Noire, où deschasseurs russes ont survolé très basse altitude des bateaux, si-mulant des manœuvres d’atta-que. Elles sont potentiellementtrès dangereuses, car le comman-dant d’un de ces navires pourraitmettre en œuvre ses munitionsd’autodéfense, et les effets do-mino de l’incident pourraientêtre très difficilesà arrêter.

    Avez-vous le contactavec votre homologue russe ?

    Le langage diplomatique vousdira que les canaux de communi-cation sont ouverts, même si la

    coopération a été suspendue de-puis l’annexion de la Crimée. Enpratique, je n’ai pas eu une seuleconversation avec le généralValéri Guerassimov, bien que j’aieessayé au moins quatre fois. LaRussie préf ère les contactsà un ni-veau bilatéral, elle parle avec lesAméricains, les Britanniques, lesFrançais, les Allemands. Le face--face lui permet de traiter posi-tion égale. Il n’est pas dans son in-térêt stratégique de dialogueravec l’OTAN. Son objectif étant dediscréditer l’OTAN, pourquoi pro-mouvoir une discussion avec elleen tant qu’institution ?

    L’OTAN prépare-t-elledes scénarios d’escalade ?

    En 2014, la Russie a utilisé enUkraine ce qu’elle appelle le« continuum » militaire, que nousnommons « guerre hybride ». Se-lon la doctrine russe, nous som-mes en guerre constante, avec desmoyens qui vont de la propa-gande l’emploi de soldats nonidentifiés, du cyber aux armesnucléaires. Nous pouvons nousattendre ce que les Russes utili-sent des scénarios semblablesdans des pays où ils possèdent defortes minorités. Si cela sert desobjectifs politiques, ils n’hésite-ront pas à utiliser des moyensmilitaires. Nous devons doncnous tenir prêts toutes les éven-

    tualités. Nous préparons nostroupes des scénarios commecelui de l’est de l’Ukraine, et lesEtats baltes sont en première li-gne. Nous finalisons un plan dedéfense de cette région, qui seraadopté à Varsovie. D’autres planssuivront, pour d’autres régionsbordant la Russie.

    Le danger vient du fait que laRussie maintient délibérémentses activités sous le seuil de dé-

    clenchement de l’article 5  [uneattaque contre un membre del’OTAN déclenche la solidarité detous]. La Russie sait que ces ac-tions créent de la confusion et del’incertitude dans nos discussions Bruxelles. Nous sommes cons-

    cients de ce danger. Voil pour-quoi nous montrons clairementnotre détermination défendreces alliés, même dans les cas d’in-cursion les moins importants.

    Faut-il satisfaire les Polonaiset des Baltes qui veulentdes forces permanentes à l’est ?

    C’est un des sujets sensibles. Lamenace augmente pour ces pays,et travers eux pour l’OTAN, qui

    doit faire plus. Ces alliés sontaussi très préoccupés par les capa-cités russes antiaériennes. Ceséquipements fournissent un pa-rapluie aux forces russes, maispourraient entraver notre libertéde mouvement car ils couvrentnotre territoire. Ce fait ne signifiepas nécessairement que cesmoyens sont offensifs.

    Nous affrontons une guerreflexible, nous ne sommes plusdans une guerre de position surun front linéaire. Nous devonséquilibrer notre présence à l’estavec nos autres moyens de dé-fense, notre réponse doit être pro-portionnée. Masser nos forcesaux frontières ne servira pas nosobjectifs. Il ne faut pas entrer dans

    une course aux armements avecla Russie. Elle doit être conscienteque l’OTAN ne permettra aucuneaction agressive contre cette par-tie de l’Alliance, mais dans lemême temps, nous gardons ledialogue ouvert.

    La nouvelle force de réactiontrès rapide est-elle crédible ?

    Cette force n’a pas été conçuepour être un outil dissuasif en soi.

    Le généralPetr Pavel,sur la baseaérienne del’OTAN, à Trapani(Italie), enoctobre 2015.TONY GENTILE/REUTERS

    « Les capacités

    russes, incluant

    un vaste arsenal

    nucléaire, posent

    potentiellement

    un problème

    existentiel »

    Elle n’est qu’un des outils de notreboîte. La dissuasion repose sur lesforces militaires principales desAlliés, un bon entraînement, unbon processus de décision, desstocks d’équipements et desmoyens de transporter les trou-pes. Elle repose aussi sur l’écono-mie, la politique.

    L’OTAN a-t-elle les moyensde ses ambitions ?

    Les alliés se sont engagés dé-penser 2 % de leur PIB pour leurdéfense. Les Etats-Unis assumentprès de 75 % des coûts del’Alliance, ce n’est plus soutenable.Il faut tendre vers un équilibre à50-50 avec les Européens.Aujourd’hui, tous les moyens

    stratégiques sont américains :transport, renseignement, com-munications, logistique. Noussommes tellement dépendantsdes Américains que, s’ils décidentde retirer leurs équipements, celasignifie, de fait, la fin de la mis-sion. En Europe, nous ne prenonspas encore la nouvelle situationsécuritaire assez au sérieux. p

    propos recueillis par

    nathalie guibert

    contre la menace djihadiste qui sévitsur son flanc sud, l’OTAN doit s’insérer dansun « plan de campagne global » sous peined’échec, assure le président du comité mili-taire de l’OTAN, le général Petr Pavel. Pourlui, « nous ne pourrons résoudre les problè-

    mes du Sud avec la force militaire ».Quand l’OTAN est intervenue en Libye

    en 2011, rappelle-t-il, « le plan militaire étaitintelligent, il a atteint ses objectifs en untemps très court ». « Mais il n’a pas été suivid’un plan politique. Il n’y avait pas d’alter-native à Kadhafi, personne pour prendre le

     pays en main, et le résultat fut le chaos poli-tique. » Pour cet officiel, l’OTAN a une res-ponsabilité, mais « si nous décidons d’inter-venir avec une grande force otanienne, nous

     ferons plus de mal que de bien ».Selon le général Pavel, outre qu’une éven-

    tuelle intervention devra « d’abord fairel’objet d’un mandat clair », elle ne pourrapas se conduire sans l’Union européenne, même de fournir les missions de sécurité

    et de développement. Si, en Libye, « nousn’avons que le plan militaire, il serait mieuxde renoncer », va-t-il jusqu’ dire. 

    « Il faut une perspective régionale »

    Dans ce cadre, « l’OTAN pourra apporter ce

    qu’elle sait faire : la sécurité des frontièresmaritimes et terrestres, l’assistance à la sé-curité et la stabilité ». Deux options sontpossibles : « Si l’environnement le permet, lamission sera concentrée sur l’entraînementet la reconstruction des forces militaireslibyennes ; sinon, elle visera la protectiond’autres forces, celles de l’UE notamment. »

    Le général insiste sur un autre point :« Même si nous parlons principalement del’Irak, de la Syrie et de la Libye, il faut une

     perspective régionale. » L’OTAN, précise-t-il,ne limite pas la menace djihadiste un seulpays. De fait, « plus nous mettons la pressionen Syrie, plus les gens que nous combattonsétendent leur action en Libye, au travers dela Tunisie, ailleurs ». Ainsi, « nous nous trou-

    verons peut-être dans la situation d’interve-nir en Libye seulement, mais nous devons

     garder à l’esprit que toute action affecteraimmanquablement l’Egypte et la Tunisie » .

    A Bruxelles, les réflexions tournentautour d’un « paquet individuel » d’assis-

    tance pour chaque pays de la région.« Moyens militaires ici, outils de sécurité in-térieure là, développement économiqueailleurs. Selon les pays, nous mettrons enavant l’OTAN, l’UE, ou même un seul pays,allié ou partenaire. »  Par exemple, « si le

     Royaume-Uni prend la responsabilité d’être“nation cadre”  d’une mission d’assistanceen Jordanie, plusieurs alliés rejoindront lamission ». En Libye,  « l’Italie et la France

     peuvent se coordonner, l’une avec l’UE,l’autre avec l’OTAN ». En Tunisie, il fauttrouver une coordination : « Quatre pays

     fournissent de l’assistance dans les mêmesdomaines, l’OTAN et l’UE sont présentes, cen’est pas assez efficace. » p

    n. g.

    En Libye, les leçons des ratés de l’intervention de 2011

    OTAN : « A l’est, la menace la plus importante »Pour Petr Pavel, président du comité militaire, l’Alliance doit se tenir prête à « toutes les éventualités »

  • 8/17/2019 Le Monde Fracture à gauche

    3/172

    0123SAMEDI 7 MAI 2016 international | 3

    En Turquie,la disgrâce du

    premier ministreRecep Tayyip Erdogan tisse la toilede son « hyperprésidence »

    istanbul - correspondante

    Le premier ministre turc,Ahmet Davutoglu, a an-noncé sa démission, jeudi5 mai, précisant qu’il ne

    briguerait pas un nouveau man-dat à la tête du Parti de la justice etdu développement (AKP, islamo-conservateur, au pouvoir depuis2002) dont le congrès extraordi-naire se tiendra le 22 mai.

    Traditionnellement en Turquie,le premier ministre est issu du

    parti majoritaire au Parlement. Lesuccès de l’AKP aux élections légis-latives du 1er novembre 2015 devaitassurer à M. Davutoglu, 57 ans, an-cien professeur d’université poly-glotte, un mandat de quatre ans àla tête du gouvernement, mais leprésident Recep Tayyip Erdoganen a décidé autrement.

    « Cette décision de réduire monmandat n’est pas le fruit d’un choixmais d’une nécessité », a rappeléM. Davutoglu devant les cadres del’AKP réunis jeudi au siège duparti, à Ankara. Evoquant une« absence de consensus », il a indi-qué « ne pas pouvoir être candidat

    dans les circonstances actuelles »,une allusion à la suppression ré-cente de ses prérogatives, quand,le 29 avril, le comité exécutif del’AKP, dominé par les fidèles deM. Erdogan, a retiré à M. Davuto-glu, alors en visite au Qatar, lepouvoir de nommer les cadresrégionaux du parti.

    Divergences persistantes

    « Je n’ai pas de reproches à faire, jen’ éprouve ni colère ni rancœur », ainsisté le premier ministre, préci-

    sant qu’il ne dirait jamais riencontre le président, son « frère ».Ce remaniement est pourtant lerésultat de divergences persistan-tes au sein du tandem. Tout s’estjoué, mercredi, lors de l’entretienhebdomadaire entre le présidentet son premier ministre. Arrivé aupalais présidentiel en soirée,M. Davutoglu a tenté, pendantune heure et quarante minutes,d’arrondir les angles avec sonmentor. Au sortir de leur réunion,les deux hommes, visages crispés,n’ont fait aucune déclaration.

    M. Davutoglu n’aura guère eu letemps de jouir des fruits de son

    succès. Sa disgrâce est intervenuequelques heures après le feu vertde la Commission européenne enfaveur d’une exemption de visapour les ressortissants turcs dési-reux de voyager à travers l’espaceSchengen. En réalité, l’accord surles migrants signé à Bruxelles, le18 mars, avec l’UE a été la goutte detrop pour le président Erdogan,mécontent que son premier mi-nistre prenne des initiatives sansle consulter. Selon la presse, la pro-position faite à Bruxelles parM. Davutoglu – le renvoi en Tur-quie des migrants arrivés en Grèceaprès le 20 mars – a été mise sur latable sans discussion préalableavec le « grand homme », commeon dit désormais à Ankara.

    Vieux compagnon de route deM. Erdogan, dont il fut longtemps

    le conseiller, puis le ministre desaffaires étrangères, « le profes-seur » Davutoglu a été nommé à latête du gouvernement et du partien août 2014, au moment oùl’homme fort de la Turquie a étéélu président, après trois man-dats successifs au poste de pre-mier ministre.

    Réputé docile, dépourvu d’unebase solide au sein de l’AKP, M. Da-vutoglu a vu d’emblée ses initiati-ves écartées. Ce fut notamment lecas du paquet de lois anticorrup-tion qu’il proposa à l’automne2014, et que le chef de l’Etat re-poussa d’un revers de main au dé-but de 2015, décrivant l’initiativecomme « prématurée ».

    Bien que d’une loyauté sansfaille envers M. Erdogan, AhmetDavutoglu se permettait parfoisde le contredire, comme le jour oùil affirma qu’il n’était pas néces-saire de mettre sous les verrousles journalistes Can Dündar etErdem Gül, du quotidien Cumhu-riyet, accusés d’avoir cherché à

    renverser le pouvoir en place àtravers leurs écrits.

    Il s’érigea également contre lesarrestations et le harcèlement ad-ministratif de plus d’une centained’universitaires signataires d’unepétition pour la fin des hostilitéscontre les rebelles du Parti destravailleurs du Kurdistan (PKK,interdit en Turquie).

    Mais la vraie raison de l’évictionde M. Davutoglu est ailleurs. Ellevient de son manque de zèle à ap-prouver le projet d’hyperprési-dence caressé par Recep TayyipErdogan. Devenu le premier pré-sident turc élu au suffrage univer-sel en août 2014, « Tayyip bey »,comme le surnomment ses parti-

    sans, brûle de passer à la vitessesupérieure. Il ne veut plus être unprésident « protocolaire »  tel quele suppose l’actuelle Constitution,mais un chef de l’Etat doté delarges pouvoirs.

    Et qu’importe si l’AKP n’a pas lenombre de sièges suffisants auParlement (367 sur 550 sont né-cessaires) pour mener à bien la ré-forme constitutionnelle, de facto,M. Erdogan a déjà imposé sonprojet. Fort de l’influence énormequ’il conserve sur l’AKP, c’est luiqui choisira le nouveau chef duparti, voué à devenir premier mi-nistre. L’Etat c’est lui, le parti et legouvernement aussi.p

    marie jégo

    Le premierministre turc,AhmetDavutoglu,lors d’uneconférencede presse,jeudi 5 mai,à Ankara.UMIT

    BEKTAS/REUTERS

    Le Parti travailliste subitune défaite historique en EcosseLes indépendantistes du SNP ont supplanté la formation de JeremyCorbyn comme première force d’opposition au Parlement régional

    londres - correspondant

    M ême s’il ne semble pasavoir l’ampleur quecertains sondages an-nonçaient, le revers subi par leParti travailliste, jeudi 5 mai, auRoyaume-Uni lors des électionslocales et régionales, devraitconduire le parti d’opposition di-rigé par le très à gauche JeremyCorbyn à un sérieux travaild’introspection. S’il paraît avoir li-mité les dégâts en Angleterre selonles résultats partiels connus ven-dredi 6 mai au matin, le Labour en-registre en Ecosse une nouvelle dé-faite qui confirme que le Parti na-tional écossais (SNP, indépendan-tiste) l’a supplanté en tantqu’opposant dominant à la politi-

    que conservatrice de Westminster.« Le tableau est certainement mi-

    tigé », a admis Tom Watson, le nu-méro deux du parti à la BBC. Leparti « aurait dû progresser biendavantage. Ce n’est pas ainsi qu’ilva regagner le pouvoir en 2020[date des prochaines législati-ves] », a raillé la députée tra-vailliste Jo Cox, pourtant favorableà M. Corbyn. Habituellement, leparti d’opposition réalise un trèsbon score aux élections locales,comme cela avait été le cas en 2012sous la direction d’Ed Miliband.Cette année, les multiples reverssubis par le gouvernement de Da-

    vid Cameron – division des toriessur l’Europe, budget d’austéritécontesté, grève des médecins, dé-mission du ministre des affairessociales – auraient dû lui assurerun tel succès. Or le Labour, loin detriompher, se contente défendreses acquis en Angleterre. «  Je penseque Jeremy [Corbyn]et sa directiondoivent endosser la responsabilitéde cette mauvaise nuit [électorale]  pour nous » et « rechercher la ma-nière d’amener les électeurs écou-ter de nouveau ce que dit le La-bour », a ajouté Mme Cox.

    Le Labour en troisième place

    Les Britanniques étaient appelésjeudi à renouveler 2 743 sièges deconseillers municipaux dans124 assemblées locales, les dépu-

    tés des assemblées d’Ecosse, duPays de Galles et d’Irlande duNord, ainsi que les maires de Lon-dres, Bristol, Liverpool et Salford.

    Extrêmement symbolique, laprobable relégation du Labour à latroisième place en Ecosse, derrièrele SNP mais aussi, pour la pre-mière fois, les conservateurs, estun coup dur pour la gauche dansce bastion de toujours. Les toriesdevraient ainsi remplacer désor-mais le Labour comme premièreforce d’opposition en Ecosse.

    Le triomphalisme domine en re-vanche au SNP dont la dirigeante,Nicola Sturgeon, premier minis-

    tre du Parlement d’Edimbourg, arevendiqué une «victoire histori-que». Pour la troisième fois, lesindépendantistes remportent lesélections dans cette assembléecréée en 1998. Leur victoire pour-rait les placer en position de forcepour réclamer un nouveau réfé-rendum sur l’indépendance, sur-tout si le Royaume-Uni vote pourquitter l’Union européenne le23 juin en contradiction avec levote des Ecossais. Mais il ne s’agitpas d’un triomphe pour le SNPpuisqu’il ne devrait pas être enmesure, contrairement à la situa-tion qui prévaut depuis 2011, decontrôler seul la majorité.

    Au Pays de Galles, le Labour con-tinuera de diriger le gouverne-ment local mais dans ce bastion

    historique de la gauche, le Partipour l’indépendance du Royau-me-Uni (UKIP, antieuropéen et xé-nophobe) se hisse à la troisièmeplace, avec près de 13 % des voix. Leparti de Nigel Farage fait son en-trée au Parlement gallois avec aumoins quatre sièges.

    Pourtant, le 5 mai ne restera pasnécessairement dans les mémoi-res comme la date d’une défaitetravailliste. Le dépouillement duvote pour la mairie de Londrespourrait contrebalancer l’impres-sion d’échec si le candidat du La-bour, Sadiq Khan, l’emporte.p

    philippe bernard

    Raid aérien contre un camp de déplacés

    Au moins vingt-huit civils ont péri, selon l’Observatoire syrien desdroits de l’homme (OSDH), lors de frappes aériennes contre un

    camp de déplacés en Syrie. Le camp d’Al-Kammouna, situé dansla province d’Idlib, près de la Turquie, où avaient trouvé refugedes familles ayant fui les combats dans la région voisine d’Alep, aété frappé, jeudi 5 mai, par des raids aériens, ont annoncé l’OSDHet des militants. Mamoun Al-Khatib, le directeur de l’agence depresse Shahba, basée à Alep et favorable aux rebelles, a accusé lerégime d’être responsable de ces frappes. Le chef des opérationshumanitaires de l’ONU, Stephen O’Brien, s’est dit « horrifié etécœuré » et a réclamé une enquête.

    Claudine Nougaret présente

    Les Habitantsun film deRaymond Depardon

    RÉALISATION ET IMAGE :  RAYMOND DEPARDON, PRODUCTION ET SON :  CLAUDINE NOUGARET, MONTAGE :  PAULINE GAILLARD, MIXAGE :  EMMANUEL CROSETUNE COPRODUCTION :  PALMERAIE ET DÉSERT – FRANCE 2 CINÉMA  AVEC LA PARTICIPATION DE  FRANCE TÉLÉVISIONS , DE CINÉ+ ET AVEC LE SOUTIEN DE LA RÉGION ILE-DE-FRANCE. ©PALMERAIE ET DÉSERT ET FRANCE 2 CINÉMA VISA N° 141760

    Musique originale Alexandre Desplat

     ACTUELLEMENT AU CINÉMA 

    “UN PORTRAIT MALICIEUX DE LA FRANCE”OUEST-FRANCE

    ★★★LE MONDE

    “UN REPORTER SUR LE FRONT DE LA GUERRE DES SEXES”

    “UN FILM RÉJOUISSANT”LIBÉRATION

    ★★★★STUDIO CINÉ LIVE

    ★★★L’OBS

    “AUSSI RARE QUE PRÉCIEUX”TÉLÉRAMA

  • 8/17/2019 Le Monde Fracture à gauche

    4/172

  • 8/17/2019 Le Monde Fracture à gauche

    5/172

    Si cette phrase vous semble complète,

    alors vous ne savez peut-être pas tout ce quenous pouvons faire pour vous.

    Au Crédit Agricole, nous mobilisons tous nos métiers pour 

    vous proposer les meilleures solutions. En agence comme

    en ligne, votre conseiller vous donne accès à tous les

    experts. Ainsi ce n’est pas seulement un conseiller qui

    vous accompagne mais toute une banque qui coopère

    pour vous, tous.

             0         4          /         2         0         1         6

         –

             É       d       i       t       é     p     a     r       C     r       é       d       i       t       A     g     r       i     c     o       l     e       S .       A . ,

         a     g     r       é       é     e     n       t     a     n       t     q     u       ’       é       t     a       b       l       i     s     s     e     m     e     n       t       d     e     c     r       é       d       i       t   –

           S       i       è     g     e     s     o     c       i     a       l    :       1       2 ,

         p       l     a     c     e       d     e     s

             É       t     a       t     s   -

           U     n       i     s ,       9

           2       1       2       7       M     o     n       t     r     o     u     g     e       C     e       d     e     x   –

           C     a     p       i       t     a       l     s     o     c       i     a       l    :       7       9       1       7       9       8       0       8       7       1       €   –

           7       8       4       6       0       8       4       1       6       R       C       S       N     a     n       t     e     r     r     e .

  • 8/17/2019 Le Monde Fracture à gauche

    6/172

    6 | international SAMEDI 7 MAI 20160123

    Au Brésil, l’ennemi de Rousseff touchéEduardo Cunha, président de la Chambre des députés à l’origine de la procédurede destitution de la présidente, a été suspendu pour corruption

    suite de la première page

    Teori Zavascki, le juge de la Coursuprême chargé de l’enquête« Lava Jato » (« lavage express »)sur le réseau de pots-de-vin liés àl’octroi frauduleux de marchéspublics lancés par le groupe pu-blic Petrobras, a répondu à une de-mande transmise en décem-bre 2015 par le procureur de la Ré-publique, Rodrigo Janot. Dans sonrapport, celui-ci qualifie M. Cunhade « délinquant »,  jugeant qu’il a « dépassé toutes les limites accep-tables » de l’Etat de droit. Le main-

    tien du président de la Chambrebasse à ses fonctions, écrit-il, « estune atteinte à l’honneur de l’insti-tution qu’il dirige. Rien, absolu-ment rien dans la Constitution ne peut justifier son maintien ».

    Il aura donc fallu plus de cinqmois pour que la Cour suprêmeagisse contre un homme que lemagazine Veja, dans son éditiondu 27 avril, qualifiait de« mal » ab-solu. Les critiques rappellentqu’Eduardo Cunha a lancé la pro-cédure d’impeachment (destitu-tion) contre Dilma Rousseff… endécembre. « Cunha n’était sansdoute pas la priorité à l’époque »,souffle le politologue MarcoAntonio Carvalho Teixeira.

    Une demande  déposée mardipar le parti écologiste Rede a sansdoute poussé la justice à agir. Ven-

    dredi, la commission du Sénatdoit se prononcer sur la recevabi-lité de la demande de destitutionde la présidente, membre du Partides travailleurs (PT, gauche),avant un vote en plénière, le11 mai. En cas de vote favorabled’une majorité des sénateursmercredi, Dilma Rousseff seraéloignée du pouvoir pendant centquatre-vingts jours, remplacéepar son vice-président, MichelTemer (PMDB). Le suivant dans laligne de succession étant EduardoCunha. Inadmissible, selon leparti de l’écologiste Marina Silva.

    La Cour suprême soigne aussison image. Elle doit examiner lescas de l’ancien président LuizInacio Lula da Silva (2003-2010) et

    de Dilma Rousseff, suspectésd’avoir fait obstruction à la justicedans l’affaire « Lava Jato ». Les jugespouvaient difficilement s’attaquerà l’un des mythes du PT en laissantde côté un homme indéfendableaux yeux de l’opinion publique.Selon un sondage Datafolha, 77 %des Brésiliens sont en faveur de lafin du mandat d’Eduardo Cunha.

    « Cleptomane pathologique »

    Sur tout l’échiquier politique, ducôté des pro comme des anti-im-peachment, la décision de la Coursuprême a été applaudie.  « Unebonne nouvelle pour le Brésil. La loivaut pour tout le monde », s’est ré-joui Duarte Nogueira, député duParti social-démocrate brésilien(PSDB, opposition). « Brasilia, 5 mai 2016. Une chaise vide, la pos-sibilité pour le Parlement de re-trouver son honneur », a tweetéLuiza Erundina, députée du Partisocialisme et liberté (PSOL, gau-che). Membre du PT, GivaldoVieira regrettait toutefois ces cinqmois d’attente : « Une humiliation pour les Brésiliens et les députés »,a-t-il dit, tandis que la blogos-

    phère se déchaînait autour dumot-clé « Tchau querido » (« ciao,chéri »), détournant le slogan« Tchau querida ! » (« ciao, chérie »)que les manifestants en faveur del’impeachment avaient brandi àl’adresse de Dilma Rousseff.

    Economiste entré en politiqueen 1989 travaillant pour le tréso-rier de la campagne du futur pré-sident Fernando Collor (poussé àla démission après un processusd’impeachment en 1992 pour cor-ruption), Eduardo Cunha, 57 ans, alaissé derrière chacune de sesfonctions des soupçons de mal-versations, à commencer par uneaffaire de surfacturations lors desa présidence de la société de télé-communication de Rio de JaneiroTelerj (1991-1993). C’est dans cettesociété qu’il croisera sa seconde

    épouse, la journaliste ClaudiaCruz, soupçonnée d’avoir utiliséles sommes détournées par sonmari pour s’offrir des cours de ten-nis à 59 700 dollars en Floride avecNick Bollettieri, l’ex-entraîneurd’Andre Agassi. Joueur de batterie,fan de rock, Eduardo Cunha se dé-couvre tardivement une foi évan-gélique « sur les conseils d’un allié politique », raconte le magazineVeja, se mettant à prier contrel’avortement et l’homosexualité.

    Décrit comme un « cleptomane pathologique », Eduardo Cunha a,selon les analystes, le profil d’unecrapule ordinaire de la politiquebrésilienne destinée à grenouillerdans le « bas clergé ». L’arrivée aupouvoir de Dilma Rousseff,

    en 2010, aurait paradoxalementpermis son ascension. La prési-dente, qui a toujours répugné àparlementer et marchander avecles députés, a contribué à faire naî-tre un groupe de frondeurs dontEduardo Cunha aurait pris la tête.Sa ruse et sa connaissance parfaitedes règlements de la Chambrebasse lui permettront d’en pren-dre la présidence le 1er février 2015.

    Sa disgrâce pourrait être uneaubaine pour le clan de DilmaRousseff. Le PT estime possible decontester la légitimité des déci-sions prises par un hommeaujourd’hui unanimement quali-fié de bandit. Y compris le lance-ment de l’impeachment. « Au re- gard de la Constitution, c’est peu probable », admet toutefois unesource à Brasilia.

    Aux portes du pouvoir, MichelTemer peut, lui, être soulagé d’êtredébarrassé d’un allié gênant. MaisEduardo Cunha pourrait déciderde ne pas tomber seul. Avec vingtans d’expérience en manigancesparlementaires et de financementde diverses campagnes, il aurait,dit-on, accumulé des dossiers surune centaine de députés.« Il a une grande partie du PMDB entre sesmains », s’inquiète aussi unesource proche du vice-président. Ala manœuvre pour former sonéquipe gouvernementale quipourrait prendre ses fonctions dèsle 12 mai, Michel Temer peut seméfier du pouvoir de nuisance deM. Cunha.p

    claire gatinois

    « Une bonnenouvelle. La loi

    vaut pour tout

    le monde »

    DUARTE NOGUEIRA 

    député de l’opposition

    LES DATES

    2015Février. Election d’EduardoCunha, du Parti du mouvementdémocratique brésilien (centre),à la présidence de la Chambredes députés.Décembre. Accusé de corrup-tion, M. Cunha lance la procédured’impeachment contrela présidente Dilma Rousseff.

    2016Avril. Les députés votent àune large majorité la recevabilitéde la procédure de destitution.Mai. M. Cunha est démisde son mandat de présidentde la Chambre et de député.

    L’étau se resserre autour de l’ancienneprésidente argentine Cristina KirchnerLa justice multiplie les enquêtes contre l’ancienne chef de l’Etat,ainsi que contre son successeur, Mauricio Macri

    buenos aires - correspondante

    L a justice a éclipsé la poli-tique à Buenos Aires. Jugeset procureurs sont les nou-velles stars des médias, révélant,quotidiennement, des affaires dedétournement de fonds publics,de blanchiment d’argent et de so-

    ciétés offshore qui impliquent desresponsables politiques, alors queles citoyens pâtissent d’une infla-tion galopante, de hausses miro-bolantes – jusqu’à 700 % – des ta-rifs des services publics et d’unevague sans précédent de licencie-ments. « Avec tout cet argent qu’onnous a volé, on aurait pu cons-truire des écoles, des hôpitaux, deslogements et des routes »,  s’indi-gne une ancienne institutrice, quifait la queue pour toucher sa mai-gre retraite. Elle exprime une co-lère et un désabusement générali-sés vis-à-vis des politiciens.

    L’ancienne présidente péro-niste Cristina Fernandez de Kirch-ner (2007-2015), mise en causedans plusieurs affaires de corrup-tion, se dit victime « d’une persé-cution juridico-politique »  et ac-cuse un groupe de magistrats

    d’avoir formé « un parti judi-ciaire » pour l’attaquer, elle et sonentourage. Elle est visée person-nellement avec son fils, MaximoKirchner, par une enquêteouverte, mardi 3 mai, à la de-mande de la députée de centregauche Margarita Stolbizer, quiles accuse d’enrichissement illi-cite et de falsification de docu-ments publics.

    Elle soupçonne des irrégularitésdans la comptabilité d’une agenceimmobilière familiale, Los Sau-ces, dans la province de SantaCruz, fief de la famille Kirchner enPatagonie. Le procureur Carlos

    Rivolo a confié l’enquête au jugeClaudio Bonadio, qui enquêtedéjà sur un blanchiment d’argentprésumé à travers des hôtels deluxe en Patagonie. Lazaro Baez,un homme d’affaires million-naire de la construction, intime-ment lié au clan Kirchner, a étéemprisonné le 5 avril, dans le ca-dre de ce volumineux dossier re-baptisé « la route de l’argent K »(pour Kirchner). Une partie du bu-tin aurait été caché dans la loin-taine Patagonie, où la justice a or-donné des fouilles et des perquisi-tions, mais également à l’étran-ger, en Uruguay et dans desparadis fiscaux.

    Retour fracassantDans le scandale des « Panamapapers » sont d’ailleurs apparusles noms de proches de CristinaKirchner et de son époux et pré-décesseur, Nestor Kirchner (2003-2007), décédé en octobre 2010,mais également celui, directe-ment cité, de l’actuel président decentre droit Mauricio Macri. Il fi-gure dans le directoire de plu-sieurs sociétés offshore apparte-nant à son père, Franco Macri, l’undes plus riches capitaines d’in-dustrie du pays. Le juge SebastianCasanello, en charge du dossier,a envoyé une commission roga-

    Cristina Kirchner

    accuse un groupe

    de magistrats

    d’avoir formé

    « un parti

     judiciaire »

    pour l’attaquer

    toire au Panama afin de détermi-ner si, effectivement, le chef del’Etat a des parts dans ces sociétés.S’il était reconnu coupabled’omission illicite, il pourrait êtrepassible de plusieurs annéesd’emprisonnement. Au pouvoirdepuis le 10 décembre 2015,M. Macri s’est déclaré « tran-

    quilo »,  assurant n’avoir aucuneparticipation financière dans cessociétés familiales.

    Rien d’étonnant à ce que ce soitaux portes du tribunal fédéral deComodoro Py, dans le centre deBuenos Aires, que Cristina Kirch-ner ait fait son retour fracassantsur la scène politique le 13 avril,après quatre mois d’absence. Cejour-là, elle a transformé sa pre-mière convocation devant la jus-tice, pour une malversation pré-sumée de la banque centrale, enun meeting réunissant des mil-liers de partisans. Mme Kirchner,qui n’occupe plus aucune chargepublique depuis son départ de laCasa Rosada, le palais présiden-tiel, ne bénéficie pas de l’immu-nité parlementaire, contraire-ment à son fils, député du Frontpour la victoire, pro-kirchnériste.

    L’avenir de l’ancienne prési-dente est incertain. Les quelquesfidèles qui lui restent ont étéécartés de la nouvelle directiondu Parti justicialiste (péroniste),qui a été confiée, le 27 avril, à JoséLuis Gioja, ancien gouverneur dela province de San Juan, et àDaniel Scioli, le grand perdant dela présidentielle face à M. Macrien novembre 2015. Présenté àl’époque comme le poulain deMme Kirchner, il a pris ses distan-ces avec les kirchnéristes.M. Scioli a annoncé « une nouvelleétape du péronisme ».p

    christine legrand

    TATS-UNISPrésident de la Chambre,Paul Ryan n’est « pasprêt » à soutenir TrumpLe dirigeant républicainPaul Ryan, président de laChambre des représentants,a déclaré, jeudi 5 mai, ne pasêtre encore prêt à soutenirDonald Trump comme candi-dat du Parti républicain à

    l’élection présidentielle. « J’es- père soutenir notre candidat, a dit M. Ryan sur CNN. Pour lemoment, je n’en suis pas là. »  « Si nous n’unifions pas latotalité des courants du parti,nous ne remporterons pasl’élection », a averti M. Ryan, àpropos de la présidentielle du8 novembre. Le Comité natio-nal républicain a indiqué quePaul Ryan et Donald Trumpdevraient se rencontrer rapi-dement. « Seul un Parti répu-blicain unifié sera en mesurede battre Hillary Clinton »,a déclaré une porte-parolede la direction du Grand OldParty. – (Reuters.)

    CANAD AUn pont aérien pour fuirles incendiesUn pont aérien de grandeampleur, concernant25 000 personnes, se mettaiten place, jeudi 5 mai, à FortMcMurray, pour évacuer despopulations coincées par desfeux de forêt progressantdans leur direction. Les in-cendies ont encore ravagé,jeudi, des secteurs entiers dela ville canadienne, évacuéepar ses 100 000 habitants.Certains quartiers ne sontplus que cendres et carcassescalcinées. Quelque 49 foyerssont actifs dans la provincede l’Alberta (ouest), dont septsont actuellement hors detout contrôle. – (AFP.)

    ENTRÉE GRATUITE : inscription obligatoire sur   leforumexpat.comLes Docks,Cité de la mode et du design,34 quai d’Austerlitz Paris 13e

    VENEZ CONSTRUIRE VOTRE PROJET À L’INTERNATIONAL

    31 MAI & 1er JUIN 2016

    TRAVAILLER,ENTREPRENDRE,VIVRE À L’ÉTRANGER

     D e s m i l l i

     e r s d e p o

     s t e s à p o

     u r v o i r

     P l u s d e 1

     5 p a y s r e

     p r é s e n t é s

  • 8/17/2019 Le Monde Fracture à gauche

    7/172

    0123SAMEDI 7 MAI 2016 FRANCE   | 7

    L’inquiétant turnover des magistratsEn 2015, 31 % d’entre eux ont été nommés à un nouveau poste. Un phénomène qui nuit au travail des juridictions

    Une entreprise ou uneadministration pour-rait-elle fonctionner siprès du tiers de ses ef-

    fectifs changeait de poste chaqueannée ? La justice le peut ! Ou dumoins le pense-t-elle. Selon leschiffres qui devraientêtre officiali-sés fin juin par le Conseil supérieurde la magistrature (CSM), 2 251 ma-gistrats ont été nommés à de nou-velles fonctions ou dans une autrejuridiction en 2015. Avec les audi-teurs de justice (les magistrats sor-tis d’école) nommés à un premierposte, cela représente 2 576 mou-vements dans l’année pour uncorps qui comptait 8 215 profes-sionnels en activité.

    Ce taux de rotation de 31,4 % deseffectifs constitue un record his-torique, mais pas un accident.

    « Ces chiffres sont en augmenta-tion constante depuis une décen-nie », affirme Daniel Barlow, le se-crétaire général du CSM, l’organeconstitutionnel chargé de choisirles plus hauts magistrats du siège(ceux qui jugent), et de donner unavis engageant au gouvernementsur ses propositions de nomina-tion des autres magistrats dusiège et des hauts gradés du par-quet (ceux qui dirigent l’enquêteet engagent les poursuites).

    Le nombre de postes vacantsdans la justice n’arrange pas leschoses. « Le ministère utilise cettemobilité pour déplacer la pénuried’une juridiction à l’autre », expli-que Virginie Duval, présidente del’Union syndicale des magistrats(majoritaire). Alors qu’il criait fa-mine cet hiver, le tribunal de Bo-bigny, en Seine-Saint-Denis, de-

    vrait se faire plus discret en sep-tembre avec un nombre de jugeset de parquetiers plus conformeàsa taille. La rentrée sera plus diffi-cile ailleurs.

    Eviter les conflits d’intérêts

    Les garanties statutaires des ma-gistrats sont élémentaires pour as-surer l’indépendance des juges,mais elles compliquent la gestiondes ressources humaines. On nepeut pas déplacer un juge qui n’apas demandé à changer de fonc-tion ou de tribunal, ni le nommerà un autre poste que celui qu’il sol-licite. Ainsi, certains peuvent res-ter longtemps vacants tandis quede nombreux candidats se pres-sent à des postes qui ne le sont pas.« A peine quelques mois après sonarrivée dans une nouvelle fonction,

    un magistrat a le droit de manifes-

    ter sa candidature pour un ou plu-sieurs autres postes », explique leprofesseur de droit Jean Danet,

    une des personnalités extérieuresmembres du CSM.

    Le législateur encourage la mobi-lité, notamment pour éviter les ris-ques de conflit d’intérêts avec lesmilieux sociaux-économiques lo-caux. Depuis 2001, les juges spécia-lisés (instruction, affaires familia-les, etc.) doivent changer d’affecta-tion au bout de dix ans et les chefsde cour au bout de sept ans. C’estce qui est arrivé à Marc Trévidic,qui a dû quitter l’instruction aupôle antiterroriste en août. Cetteculture de la mobilité a été promuependant des décennies par le mi-nistère, l’Ecole nationale de la ma-gistrature (ENM) et le CSM.

    La mobilité est un des facteurspris en compte dans l’avancementet le passage aux grades supé-rieurs : plus on bouge, plus on ga-

    gne ! Un tourbillon intégré comme

    un état de fait. Ni les syndicats ni lachancellerie ne s’en plaignent.Pourtant, à ce rythme, le turnoverdésorganise les juridictions.

    A la cour d’appel de Besançon,60 % des magistrats sont en postedepuis moins de deux ans. Diffi-cile dans ces conditions de mettreen place des actions pluriannuel-les. « Ce turnover pose un problèmede qualité », reconnaît ClarisseTaron, présidente du Syndicat dela magistrature. Sans compter ladéperdition d’informations alors

    que le recul de la collégialité, avecles audiences à juge unique et lesmagistrats qui fonctionnent en ca-binet, complique le « tuilage » en-tre le sortant et son successeur.

    Favoriser la stabilité

    A Saint-Etienne ou à Bourg-en-Bresse, il n’y a pas de candidatspour être substitut du procureur.Les jeunes magistrats qui sortentde l’école servent de variabled’ajustement. Ils sont les seuls àne pas pouvoir choisir librementleur affectation puisqu’elle dé-pend du classement de sortie.

    gion de la mobilité serait donc àgéométrie variable.

    Comble de la situation, ni la

    direction des services judiciairesdu ministère ni le CSM n’ontd’éléments statistiques précis surla mobilité.  « Nous n’avons pasd’explication au phénomène,

     juste des hypothèses », regretteEvelyne Serverin, directrice de re-cherche au CNRS, membre duCSM qui a plaidé pour le lance-ment d’une étude.

    Au ministère de la justice, on re-connaît aujourd’hui que les chif-

    ADRIA FRUITOS

    Les magistrats

    qui sortent

    de l’école sontles seuls à ne pas

    choisir leur

    affectation

    fres de la mobilité « sont impor-tants et nécessitent que des ré-

     flexions soient menées ». « L’impor-

    tance donnée au critère de mobilitédans l’évolution de la carrière » etdes mesures « pour favoriser la sta-bilité » font partie de ces réflexions« en lien avec le CSM ».

    Une chose est sûre, pour freinerle tourbillon, il suffirait que legarde des sceaux décide de propo-ser moins de noms sur les listesde mobilité qu’il soumet deuxfois par an au CSM.p

    jean-baptiste jacquin

    Isabelle Prévost-Desprez nommée à Paris

    Parmi les 865 propositions de nomination de magistrats du minis-tère de la justice qui devraient être confirmées avant la fin mai pourdes entrées en fonction en septembre, figure la prochaine arrivée autribunal de grande instance de Paris d’Isabelle Prévost-Desprez, aurang de première vice-présidente adjointe. C’est l’épilogue de l’af-faire qui a valu à cette magistrate, actuellement vice-présidente àNanterre, d’être poursuivie pour « violation du secret professionnel »,au profit d’un journaliste du Monde, durant l’enquête Bettencourt.Elle a été relaxée en juillet 2015 par le tribunal correctionnel deBordeaux, dans cet épisode du long conflit avec Philippe Courroye,aujourd’hui avocat général à la cour d’appel de Paris.

    tous les magistrats  sont nommés par dé-cret. Pour certains postes, comme les jugesd’instruction ou les juges des enfants, la fonc-tion y est précisée. Tel n’est pas le cas des jugesdes libertés et de la détention (JLD). C’est le pré-

    sident du tribunal qui nomme ceux de sa juri-diction, dans les rangs de ses vice-présidents.Une absence de statut spécifique qui permet àla hiérarchie de décharger un JLD de ses fonc-tions, même si celui-ci reste vice-président, ina-movible comme tous les magistrats.

    Créé il y a seize ans, notamment pour retirer aujuge d’instruction le pouvoir de décider seul dela mise en détention des personnes mises enexamen, le JLD a vu ses prérogatives sans cesseétendues depuis. Outre les mises en détentionavant jugement ou les demandes de remise en li-berté, c’est à lui qu’il revient d’autoriser les actesattentatoires aux libertés au cours d’une en-quête : mise sur écoutes, perquisition, prolonga-tion d’une garde à vue, etc. C’est également le JLD

    qui autorise les hospitalisations psychiatriquessans consentement de la personne.

    Sans statut, ce magistrat désormais centraldans le dispositif judiciaire est fragilisé. A Nîmes,Jean-Louis Galland est ainsi déstabilisé pour

    avoir pris des décisions concernant des migrantsen rétention qui ont déplu au parquet et au gou-vernement ( Le Monde daté du 25 avril). Accuséd’avoir ordonné trop de remises en liberté,Xavier Lameyre, JLD à Créteil, avait, lui, tout bon-nement été déchargé de ses fonctions en 2010.

    C’est pourquoi Jean-Jacques Urvoas, le gardedes sceaux, a réintroduit la nomination pardécret des JLD par un amendement dans le pro-jet de loi organique sur la justice voté mercredi4 mai par la commission des lois de l’Assembléenationale. Ce statut protecteur qui figurait dansle projet élaboré par Christiane Taubira avait étésupprimé en novembre 2015 par le Sénat enpremière lecture.p

    j.-b. j.

    Vers un statut pour le juge des libertés

    Crise du parquet oblige, plus de50 % des postes offerts à la sortiede l’ENM cette année sont pour le

    parquet, alors qu’il ne représentequ’un quart du corps. Très rapide-ment, et parfois même avant lestrois ans minimum imposéspour le premier poste, un grandnombre de jeunes juges deman-deront une mutation, souventpour se rapprocher de la régionde leur famille. A l’inverse, si unmagistrat choisit de rester vingtans au même poste, personne nelui demandera de bouger. La reli-

  • 8/17/2019 Le Monde Fracture à gauche

    8/172

    8 | france SAMEDI 7 MAI 20160123

    Sarkozy, un non-candidat déjà en campagneLe président des Républicains et ses proches multiplient les initiatives en vue de la primaire de la droite

    A ceux qui en doutaientencore, le doute n’est

    désormais plus per-mis : Nicolas Sarkozy

    est bien candidat à la primaire àdroite pour la présidentielle de2017. Sans avoir officiellement dé-claré sa candidature, le présidentdu parti Les Républicains (LR) estdéjà en campagne.

    En témoigne son coup de forcepour modifier les rgles du scru-tin des 20 et 27 novembre. Mardi3 mai, il a fait approuver par lebureau politique de son parti – enl’absence de ses principaux ri-vaux Alain Juppé, François Fillonet Bruno Le Maire – une disposi-tion visant à interdire aux quel-que 1,2 million de Français établishors de France de voter par voieélectronique. Cette offensive sur-prise a montré que M. Sarkozyétait déterminé à profiter de sa

    position de chef de parti pour li-miter la participation à la pri-maire. Et ainsi pénaliser son prin-cipal rival, Alain Juppé, qui sou-haite un corps électoral le pluslarge possible, afin de conforterses chances de victoire.

    Vivier courtisé

    Le président de LR, largement dis-tancé dans les sondages par lemaire de Bordeaux, n’a pas intérêtà ce qu’il y ait un maximum de vo-tants car il mise sur le noyau durdes militants. Lâché par plusieursde ses anciens fidèles, rejeté parune majorité de Français et unebonne part des sympathisants dedroite, l’ancien chef de l’Etat cour-tise méthodiquement ce vivier,qui reste son principal atout.

    Sa tournée de deux jours dans leSud-Est (Nice, Toulon, Marseille et

    Aix-en-Provence), les 26 et 27 avril,l’a illustré. Sur ces terres où sa po-pularité reste forte – en particulierchez les retraités –, il a enchaînétrois séances de dédicaces de sonlivre La France pour la vie, publiéfin janvier chez Plon, pour mon-trer que sa capacité à mobiliser lesfoules restait intacte.

    A un peu plus de six mois de laprimaire, M. Sarkozy s’efforce deresserrer les liens avec sa clientèleélectorale. Ses positions anti-éco-logistes, formulées dans  Le Jour-nal du dimanche du 1er mai, visentà séduire les agriculteurs, ainsi

    que les chasseurs et les pêcheursavec lesquels il s’est entretenu lelendemain, lors d’un déplace-ment dans la Somme. Mardi3 mai, il a mené son opération sé-duction. « Les quotas annuels » depêche, «ça peut plus durer ! », a-t-illancé. Ses récents appels à une res-tauration de « l’autorité de l’Etat »face aux zadistes de Notre-Dame-

    des-Landes, au mouvement Nuitdebout ou aux lycéens mobiliséscontre la « loi travail », sont desti-nés à l’électorat conservateurdans son ensemble.

    Outre ses déplacements régu-liers, M. Sarkozy collecte déjà desfonds pour sa future campagne.Son microparti, l’Association desoutien à l’action de NicolasSarkozy (Asans), s’est doté fin fé-vrier d’une association de finan-cement pour permettre de re-cueillir des dons par Internet. Dé-but avril, un appel a été lancé parcourriel aux près de 4 000 dona-teurs habituels du président deLR. Un salarié a été recruté pours’occuper de la collecte d’argent àplein temps.

    Alors que beaucoup – y comprisdans son propre camp – doutentde ses capacités à renouer avec la

    victoire, l’ex-président de la Répu-blique s’efforce de rassurer sestroupes. Et s’investit personnel-lement pour tenter d’élargir lecercle de ses partisans. Le 31 mars,il s’est invité à la quatrième réu-nion de ses soutiens parlemen-taires au restaurant Le Toucan, àdeux pas du siège du parti, pourleur demander de tenir les élustentés de donner leur parrainageà ses rivaux.

    « Dites à vos collègues de ne pass’engager et d’attendre », a-t-illancé à la quarantaine de person-nes présentes, alors que la chasse

    naux, visait à mobiliser les trou-pes. Avec l’objectif de rassembler lemaximum de parrainages en fa-veur du président de LR. Le 27 mai,Guillaume Larrivé, porte-parolede LR, a lancé un appel en ce senssur les réseaux sociaux.

    Autre initiative visant à fairemonter la pression autour deM. Sarkozy, avant son entrée encampagne off icielle : des appelsd’élus locaux et des comités desoutien à sa candidature vont semultiplier dans les semaines à ve-nir. Le 3 mai, un comité de soutiena notamment vu le jour à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Le len-demain, Valérie Debord, vice-pré-sidente de la région Grand-Est(Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine) et porte-parole de LR, avanté les mérites de son championdans la presse locale. Le 10 mai, le

    maire de Châteauroux, Gil Avé-rous, tiendra un meeting dans saville pour en faire autant.

    « Laisser la maison propre »

    Le seul suspense réside finale-ment dans la date de l’annonce de

    candidature. Elle pourrait interve-nir peu avant la date limite,autour du 20 août, selon plusieursproches, avec l’idée de lancer« une campagne éclair », commeen 2012. La charte de la primaireest formelle : s’il veut être candi-dat à la primaire, le président duparti doit quitter la tête de l’appa-reil au moins quinze jours avantla date limite de dépôt des parrai-nages, fixée au 9 septembre.

    M. Sarkozy ne compte pas se dé-clarer avant d’avoir bouclé leschantiers qu’il a lancés à la tête duparti. « Il veut laisser la maison

     propre, avec des finances redres-sées, des investitures finalisées et doter le parti d’un projet prési-dentiel », dixit un proche. L’attri-bution des investitures pour leslégislatives sera bouclée le14 juillet, et le projet pour 2017

    adopté lors d’un conseil national,12 jours plus tôt.

    Si beaucoup doutent de seschances de l’emporter, M. Sarkozy,lui, croit toujours en sa bonneétoile. Il espère que ses qualités decombattant lui permettront d’êtrele dernier survivant de la compéti-tion interne de la droite. Récem-ment, il a confié à l’un de ses pro-ches : « Ce n’est pas le meilleur qui gagne mais celui qui reste sur la pa-roi à la fin, une fois que les autresont tous décroché… » p

    matthieu goar et

    alexandre lemarié

    Visite de Nicolas Sarkozy à Nice, avec Christian Estrosi et Eric Ciotti, le 26 avril. LAURENT CARRE POUR « LE MONDE »

    Facs de médecine : le ministère fera toutpouréviter un tirage au sort cette annéeLe dispositif, prévu en Ile-de-France pour limiter le nombre d’étudiants, ne sera pas activé

    L’ incendie aura été preste-ment circonscrit : le recto-rat de Paris a indiqué jeudi5 mai qu’il « n’y aura pas de tirageau sort » pour choisir les étudiantsen médecine franciliens à la ren-trée prochaine, en réaction à un ar-ticle publié mercredi soir parLemonde.fr ( Le Monde du 6 mai).Thierry Mandon, le ministre del’enseignement supérieur et de larecherche, l’a confirmé à  Libéra-tion : « Je ferai tout pour que le ti-rage au sort pour accéder en pre-

    mière année de médecine n’existe jamais », s’est-il engagé.

    La décision avait pourtant étéprise et annoncée aux principauxintéressés.« Le rectorat nous a clai-rement indiqué mercredi matin lamise en place d’un tirage au sort en Ile-de-France », rapporte Rémi Pa-trice, vice-président de l’Associa-tion nationale des étudiants enmédecine de France (Anemf), quise réjouit du démenti de ThierryMandon.

    Jusque-là, tous les candidatsfranciliens en première annéecommune aux études de santé(Paces) étaient admis. Ils furent

    ainsi 8 143 en 2015, soit près de 500de plus qu’en 2014, et 1 100 de plusqu’en 2010. Cette croissance met-tait sous pression les facultés demédecine franciliennes, notam-ment Paris-Descartes (Paris-V),Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI) etParis-Diderot (Paris-VII).

    Une simple précaution juridique

    D’où la décision d’endiguer le flux.« La hausse continue du nombredes admis au cours de ces dernièresannées a conduit à instaurer, en ac-

    cord avec le ministère, une capacitéd’accueil globale au niveau régio-nal en Paces Ile-de-France pour larentrée 2016 », avait ainsi expliquéau Mondedès mars la division desétablissements et de la vie univer-sitaire du rectorat. Précisant que« la capacité d’accueil 2016 [avaitété] fixée à 7 500 candidats », elleprévenait  : « Il est probable quetous les candidats ne pourront pasêtre admis. » En pareil cas, un ti-rage au sort désigne les heureuxélus, comme prévu par la loi etcouramment pratiqué en scienceset techniques des activités physi-ques et sportives (Staps). C’est l’ap-

    plication de cette mécanique à laPaces francilienne qui a été confir-mée mercredi matin à l’Anemf.

    Sitôt connue, son existence dé-

    clenche l’ire des organisations ly-céennes et étudiantes. L’UNEFqualifie la décision d’« intoléra-ble », l’UNI  d’« arbitraire »  et de« profondément injuste »  ; les ly-céens de la FIDL disent leur « co-lère ».

    La réaction politique estd’autant plus immédiate que leministère redoute de voir s’ouvrirun front sur la question de la li-berté d’accès à l’université, alorsque le conflit sur la sélection enmaster n’est pas soldé et que lesorganisations lycéennes et étu-diantes sont toujours engagéescontre la « loi travail ».

    Le ministère confirme doncqu’une capacité d’accueil limitéeà 7 500 étudiants a bien été fixéeen Ile-de-France, mais assurequ’il s’agit d’une simple précau-tion juridique. Confronté au picd’inscriptions de 2015, le rectorats’est doté d’un instrument légalpour, le cas échéant, pouvoir pro-céder à un tirage au sort. L’arme,promet-on, n’aurait été dégainéequ’en cas d’explosion du nombrede candidatures, « comme ellel’est régulièrement en Staps ou

    dans d’autres filières lorsqu’ellessont soumises à une pression ex-cessive ».

    Perspective qui semble éloignéeà ce jour : le nombre d’élèves determinale ayant placé médecineen premier vœu sur Admissionpost-bac serait légèrement infé-rieur à 2015 (7 700 contre plus de8 100). « Sur un plan théorique, untirage au sort aurait pu avoir lieu ,explique l’entourage de la minis-tre de l’éducation nationale et del’enseignement supérieur, mais lathéorie ne se vérifiera pas sur le ter-rain cette année. » p

    emmanuel davidenkoff

    JUSTICELéon Bertrandcondamné à 18 moisde prison fermeLa cour d’appel de Cayenne acondamné, mercredi 4 mai,Léon Bertrand, maire de Saint-Laurent-du-Maroni et ex-mi-nistre délégué au tourisme(2002-2007) de Jacques Chirac,à 18 mois de prison ferme et à100 000 euros d’amende, pour« complicité d’abus de biens so-ciaux ». Il était accusé d’avoirencouragé, en tant que prési-dent du conseil d’administra-tion de la Senog, une sociétéd’économie mixte, l’octroid’indemnités de départ de887 000 euros au directeurgénéral de cette société, GuyLe Navennec. – (AFP.)

    RÉFUGI ÉSCalais : manifestations

    interdites les 7 et 8 maiLa préfecture du Pas-de-Calaisa interdit toute manifestation« ayant trait à la situation mi-

     gratoire » à Calais, Coquelleset Fréthun , samedi 7 etdimanche 8 mai. Cette déci-sion fait suite à des appelsà rassemblement lancés pardes collectifs de proches de« l’ultragauche » et de « l’ultra-droite », a-t-il été précisé.« La

     proximité de ces deux groupesantagonistes est de nature àentraîner des tensions, voiredes risques de troubles gravesà l’ordre public ».

    FAIT DIVERSCourse-poursuitemeurtrière sur l’A16Une course-poursuite entre lapolice belge et une voiture dequatre passeurs présumés demigrants a suscité, jeudi 5 mai,le chaos sur l’A16 Paris-Os-tende, avec trois carambola-ges, causant un mort. Les qua-tre fuyards ont été arrêtés,deux ont été blessés par ballesau cours d’un échange de tirsnourris, près de Dunkerque(Nord), tandis que les véhicu-les roulaient à 200 km/h. Celaa eu pour conséquence indi-recte le décès d’un motardqui a percuté un camion surl’autoroute embouteillée, àune dizaine de kilomètres.

    MAYOTTEUn ancien élu décèdeà son domicile après

    une agressionFrédéric d’Achery, 84 ans, an-cien maire de Koungou (1983-1995) et ancien conseiller gé-néral, a succombé à unmalaise, mercredi 4 mai ausoir, trois jours après avoirété agressé au marteau, lorsd’un cambriolage à son do-micile. Ce décès, qui a soulevéune vive émotion dans l’îleen proie à une montée de laviolence, survient deux se-maines après le meurtre d’unrestaurateur de 38 ans, poi-gnardé au cours d’un vol enréunion par trois mineurs.

    aux signatures est officiellementouverte depuis le 22 avril. Une fa-çon de les rassurer sur son envied’y aller. Et de les motiver pour re-cruter de nouveaux élus. Un défipas si aisé. « En 2007, il y avait uneévidence. Là, c’est plus difficile de

    convaincre », reconnaît un lieute-nant de l’ex-chef de l’Etat.

    Mobiliser les troupes

    En coulisses, ses fidèles s’activent.Mercredi 4 mai, la quarantaine deparlementaires sarkozystes sesont de nouveau réunis au Toucanpour affiner le plan de bataille. Laveille, une réunion des soutiensparisiens a eu lieu dans un café du17e arrondissement autour de lamaire, Brigitte Kuster. Ce « pot »,qui a rassemblé des parlementai-res d’Ile-de-France, des conseillersde Paris et des conseillers régio-

    A un peu plus

    de six moisde l’échéance,

    Nicolas Sarkozy

    s’efforce de

    resserrer les liens

    avec sa clientèle

    électorale

    La croissance

    du nombre de

    candidats mettait

    les facultés

    sous pression

  • 8/17/2019 Le Monde Fracture à gauche

    9/172

    0123SAMEDI 7 MAI 2016 enquête | 9

    Contrats en

    eaux troublesDeux hauts dirigeants de l’industried’armement française mis en examen, l’actuelpremier ministre malaisien soupçonné decorruption… L’affaire des sous-marins Scorpènevendus à la Malaisie en 2002 refait surface

    jacques follorou

    C’était un marché deun milliard d’euros. Lepremier grand contratd’armement conclu aprèsla ratification par laFrance, fin juillet 2000,

    de la convention de l’Organisation de coopé-ration et de développement économiques(OCDE) bannissant la corruption dans le com-merce international. La Direction des chan-tiers navals (DCN, devenue DCNS en 2007) etle groupe Thomson, rebaptisé Thales en 2000,s’étaient engagés, le 5 juin 2002, à fournir à la

    Malaisie deux sous-marins Scorpène et unsubmersible Agosta d’occasion, destiné à for-mer les sous-mariniers malaisiens.

    Face à une rude concurrence, la Francel’avait emporté en s’engageant, entre autres,à acheter une quantité importante de mar-chandises en provenance de Malaisie (unpourcentage du contrat), comme de l’huile depalme. Le contrat a été finalisé en 2005, et lessous-marins ont été livrés en 2009 et 2010.Entre-temps, 150 sous-mariniers malaisiensont été formés en France pendant plusieursannées. Un beau succès, qui a sa face cachée.

    Car depuis 2012, la justice française doute dela légalité du contrat et suspecte ses signatai-res de l’avoir obtenu grâce à la corruption.Mi-décembre 2015 et début mars 2016, le juged’instruction parisien Roger Le Loire a pro-cédé aux premières mises en examen dans cedossier, dont les conséquences diploma-tiques avec la Malaisie inquiètent le Quaid’Orsay. Il lève aussi le voile sur le rôle troublejoué par Hongkong, en passe de devenir, sous

    la houlette de la Chine, le nouveau trou noirde la finance occulte mondiale.

    Responsable de la région Asie pour Thales àl’époque des faits, Bernard Baiocco est pour-suivi pour « corruption active d’agents pu-blics étrangers » – dont l’actuel premier mi-nistre malaisien, Najib Razak – et pour « com-plicité d’abus de biens sociaux ». DominiqueCastellan, alors président de la DCNI, filialeinternationale de la DCN, est mis en examenpour « corruption a ctive d’agents publicsétrangers » et « abus de biens sociaux ».

    Cette longue bataille commerciale de ventede sous-marins à la Malaisie commenceen 1995. La négociation, suspendue en 1998en raison de la crise asiatique, reprenden 2000, lors de la visite en France de NajibRazak, qui est à l’époque ministre de la dé-fense. Jacques Chirac, alors chef de l’Etat, con-naît personnellement Mahathir Mohamad,premier ministre malaisien de l’époque, etMichèle Alliot-Marie, la ministre de la dé-

    fense, entend faciliter les discussions en ac-cordant la garantie de l’Etat français.

    LA CORRUPTION, UN « IMPONDÉRABLE »Selon la justice, les entreprises françaises onttrès tôt considéré qu’il faudrait en passer pardes pratiques frauduleuses. La Malaisien’était pas signataire de la fameuse conven-tion de l’OCDE et, pour rester dans la course, ilfallait gérer un « impondérable » : « la corrup-tion locale », comme l’a expliqué un cadre deThales au juge. Des sociétés ont été créées detoutes pièces pour gérer sur place la questiondes commissions, sous la forme d’« assis-tance technique ». Mais, pour assurer unlien étanche entre le constructeur (DCNI) etl’acheteur (la Malaisie), il aurait été décidé, se-lon les éléments de l’enquête, de faire porterpar Thales le risque juridique et de lui confierl’ingénierie commerciale. Interrogé par

     Le Monde, le conseil de l’ancien président dela DCNI, Dominique Castellan, Me  AlexisGublin, s’est refusé à tout commentaire.

    Les sociétés françaises ont soigneusementanalysé le contexte politique local. En fé-vrier 2001, une note de la DCNI à Kuala Lum-pur rappelle que le parti au pouvoir depuisl’indépendance de 1957, l’Organisation natio-nale unifiée malaise (UMNO), a largementremporté les dernières élections. Vice-prési-dent du parti depuis 1993 et au gouvernementdepuis 1978, Najib Razak fait partie du « triodécideur » malaisien dans le dossier des sous-marins, avec le premier ministre et le ministredes finances. Disposant d’un réseau efficace, ils’appuie en particulier sur le Centre de recher-che stratégique malaisien dirigé par RazakBaginda, entièrement dévoué à ses intérêts.

    La DCN et Thales ont vite perçu l’impor-tance de cet homme pour espérer décrocher

    le contrat. Najib Razak est le f ils d’Abdul RazakHussein, qui fut premier ministre de Malaisiedans les années 1970. Occupant les mêmesfonctions que son père depuis le 3 avril 2009,

    il affiche l’un des plus brillants parcours poli-tiques de sa génération, en dépit d’une imageet d’une politique de plus en plus autoritaires.

    Le contrat tient en cinq ou six pages,comme c’est de coutume dans ce pays. Lesdeux sous-marins Scorpène sont construitspar la DCN pour 920 millions d’euros. Desprestations de soutien logistique, dont la for-mation et le logement des sous-mariniersmalaisiens en France, sont fournies par lemalaisien Perimekar pour 115 millionsd’euros. Et un contrat dit « C5 », d’ingénieriecommerciale, confie les services commer-ciaux à Thint Asia (Thales international Asie),dirigé par Bernard Baiocco. En 2003, le con-trat est finalement transféré à la sociétéArmaris, commune à DCNI et Thales.

    Les desiderata de Kuala Lumpur sont immé-diatement pris en compte par les Français. Enseptembre 2000, lors de la présentation duScorpène au ministère de la défense en Malai-

    sie, l’idée est déjà de constituer une offre avecun partenaire industriel malaisien, Perime-kar. La DCN devait vendre ses sous-marins àPerimekar, qui devait les revendre au gouver-nement malaisien avec des prestations an-nexes. L’enquête montre que Perimekar,créée en 1999, appartient au groupe BousteadHoldings, détenu à 58,91 % par le gouverne-ment malaisien. La rémunération de Perime-kar est validée par Gérard-Philippe Menayas,directeur financier de Thales. Devant les ju-ges, il conviendra que les 115 millions d’eurosversés à Perimekar ont été « surévalués » parrapport aux prestations fournies.

    Baginda, l’homme de confiance de NajibRazak, va jouer le rôle d’intermédiaire avec legouvernement malaisien. Comme l’explique

    aux enquêteurs Didier Arnaud, qui fut délé-gué DCNI en Malaisie, « la question est alors desavoir qui allait contracter avec Perimekar :la DCNI ou le gouvernement malaisien ? » Il fal-lait, ajoute-t-il, « que Perimekar soit payée, afinde permettre une rétrocession au profit de

     Najib Razak par l’intermédiaire de Baginda ». Diplômé et respecté sur les questions interna-tionales, admirateur de Napoléon, Baginda estprésenté comme enseignant à Oxford.

    UN PREMIER MONTAGE ANNULÉ PAR BERCYLe premier montage financier imaginé avecPerimekar est annulé par Bercy, qui perçoitrapidement le risque de la proximité entreBaginda et Najib Razak au regard de la conven-

    tion de l’OCDE. Une note manuscrite du cabi-net d’avocats parisiens Gide Loyrette Nouelretrouvée lors d’une perquisition le confirme :« Quid de Perimekar sur le contrat Support ser-vices, attention risque OCDE », met-elle engarde. Se chargeant du lobbying, Thales inter-national parvient à convaincre le gouverne-ment français qu’elle réussira à être en phaseavec la convention OCDE. Son statut de sociétéprivée lui permettra, dit-elle, de ne pas impli-quer l’Etat en cas de difficultés.

    La solution apparaît donc sous la forme ducontrat « C5 », qui traite des « frais commer-ciaux à l’exportation ». Une première mou-ture est signée avec un prix fixe de 2,25 mil-lions d’euros dès le 1er août 2000 par BernardBaiocco pour Thint Asia et Dominique Castel-lan pour la DCNI – ce qui leur vaut, en partie,leur mise en examen. Ce contrat sera révisé àla hausse jusqu’en 2002, pour satisfaire les de-mandes successives de la partie malaisienne,et atteindra finalement 30 millions d’euros,un montant qualifié, dans une note de la

    DNCI, de « raisonnable ».Selon la justice, l’essentiel de cet argent est

    destiné à la société Terasasi, contrôlée parBaginda et créée, le 26 août 2000, sur les con-seils de Thales. Fonctionnant par l’intermé-diaire de coquilles vides telles que Pakar Log-ten ou Vital Intact, Terasasi sert, d’après l’en-quête, à rémunérer « des agents du réseau

     DCNI/Thales » en Malaisie. La structure PakarLogten est dirigée par le commandant RamliSamjis, beau-frère de l’ancien chef de la ma-rine. Des pièces trouvées dans une armoireforte de Thales, datées du 14 février 2001, mon-trent que Pakar Logistik est une petite société bien introduite dans la marine et auprès duprécédent ministre de la défense. Ces docu-ments attestent que Terasasi traite égalementavec Mafira (qui deviendra Vital Intact) et Ex-tromax, qui est, lit-on, «chaudement recom-mandée par l’ambassade de France ». Mafira,créée en avril 2000 à Kuala Lumpur, est déte-nue par trois anciens chefs d’état-major, dont

    Dato Jaafar Bin Mohamed pour 65 % du capi-tal. L’un des actionnaires, Dato Mat Rabi BinAbu Samah (10 %), ne quittera ses fonctionsqu’en 2006, ce qui fait de lui un agent public –qui ne peut donc pas recevoir de versementsdans le cadre d’une transaction commerciale.

    Terasasi aurait ainsi servi à blanchir les com-missions versées à des agents publics étran-gers. Une version contestée par l’avocat de Ber-nard Baiocco, Me Jean-Yves Le Borgne, pour quicette thèse relève de « la construction intellec-tuelle, car il n’y a dans ce dossier que des agentscommerciaux et aucun agent public ». Le con-trat C4, signé le 1er novembre 2000 par Terasasiet Bernard Baiocco, garantissait qu’aucun desmembres de cette structure n’exerçait, directe-ment ou indirectement, une fonction publi-que en Malaisie et se conforme à la conventionOCDE. Or, Razak Baginda, qui détenait 90 % deTerasasi, était conseiller du ministre de la dé-fense, Najib Razak, et directeur de Perimekar,contrôlée majoritairement par le gouverne-ment malaisien. La qualité de ministre de la

    défense de Najib Razak, lors de la signature descontrats Scorpène, constitue bien, selon la jus-tice, une entorse à la convention OCDE.

    Si des soupçons existent aujourd’hui surl’existence de rétrocessions au profit de NajibRazak, il reste encore à obtenir les noms desayants droit des comptes de Terasasi domici-liés à Hongkong. L’ex-colonie britanniques’oppose, pour l’instant, à toute coopération,empêchant de franchir la dernière marched’une enquête déjà longue. « Pékin a mis lamain sur l’exécution des commissions rogatoi-res internationales à Hongkong, afin de blo-quer l’identification de ses protégés en Asie ouailleurs, en Afrique, touchés par la corrup-tion », regrette Me William Bourdon, l’avocatde la partie civile dans ce dossier.p

    ISABEL ESPANOL

    HONGKONG

    S’OPPOSE POURL’INSTANT À TOUTE

    COOPÉRATION,EMPÊCHANT DE

    FRANCHIR LADERNIÈRE MARCHE

    D’UNE ENQUÊTEDÉJÀ LONGUE

  • 8/17/2019 Le Monde Fracture à gauche

    10/172

    10 |disparitions SAMEDI 7 MAI 20160123

    31 DÉCEMBRE 1928 Naissanceà Paris1942 Entre à l’école Estienne1957 Reçoit le Grand Prixde l’humour noir pour son recueil« Complaintes sans paroles »1958 Dessinateur à « L’Express »1962 Lance « Siné Massacre »,après son départ de « L’Express »1968 Fonde « L’Enragé »1980 Rejoint l’équipe de « CharlieHebdo »1992 Retour dans « Charlie Hebdo »nouvelle formule2008 Lance « Siné Hebdo » enseptembre après son licenciementde « Charlie Hebdo » en juillet(le journal sera condamné pour

    rupture abusive de contrat en 2010)2011 « Siné Hebdo » devient« Siné Mensuel »5 MAI 2016 Mort à Paris

    Siné Dessinateur de presse

    Dessins « coups depoing », trait d’une ef-ficacité redoutable,anarchiste anti-flics,

    anti-armée, anti-corrida, anti-cu-rés de toutes les religions sans dis-tinction de genre, grand ami deschats, Maurice Albert Sinet, ditBob Siné, est mort le 5 mai à l’hô-pital Bichat à Paris, des suitesd’une opération du poumon. Ilétait né le 31 décembre 1928, dansle 20e arrondissement et n’en fi-nissait pas de ne pas mourir de-puis au moins trois ans, d’urgen-ces en interventions, depuis dixans sous oxygène, increvable.

    D’une puissance d’invention etde mise en forme sans bornes, ilaura publié – que ce soit par pas-sion politique, pour la publicité, lejazz ou la java – absolument par-

    tout, dans toute la presse, de France Dimanche  à  Rouge.  Saufdans la presse d’extrême droite ouquelques feuilles antisémites. Ilaimait l’amour, la bagarre, le dé-saccord, le vin pur et le dessin.

    Régulièrement, dans ses « Mini Zones », brefs messages hilarantsou toniques, il donnait de ses nou-velles. Les toutes dernières n’ontpour la première fois ni fait rire niétonné. Changement de ton. Sénè-que réécrit par Céline :« Je ne pense,depuis quelque temps, qu’ à ma dis- parition prochaine, sinon immi-nente, et sens la mort qui r ôde et

     fouine sans arrêt autour de moicomme un cochon truffier . (…) C’esthorriblement chiant de ne penserobsessionnellement qu’à sa mortqui approche, à ses futures obsè-ques et au chagrin de ses proches. »

    Plus que sa mort à 87 ans, ce qui

    frappe, c’est son énergie intactejusqu’au bout, la qualité de sa rageet celle de son invention. Depuisune soixantaine d’années, il auradéniaisé le dessin de presse, et sus-cité des légions de dessinateurs.

    La découverte de Saul Steinberg

    Quelques heures avant de passer,il compose la dernière couverturedu journal qu’il a fondé en 2008,Siné Mensuel, n° 53, mai 2016. Con-texte : depuis un mois, place de laRépublique à Paris, Nuit deboutrassemble toutes sortes de gens enassemblées générales ou pour desconcerts. Avant heurts avec les for-ces de l’ordre. Une fois de plus,Siné s’emballe d’allégresse. Fondrouge incendie, titraille impecca-ble : « Plus jamais couchés ! »  Enombres chinoises, joyeux, un gar-

    çon et une fille brandissent deuxpanneaux au pochoir :« Grève », àquoi répond « Générale ». Plusloin, une petite foule accourt, pe-tite foule joyeuse dont les piedsdétourés en vermillon sur fondnoir animent cinétiquement lessilhouettes. Tout est dit en uneimage.

    En bas du dessin, à droite, la si-gnature : ce nom qu’il s’est forgé àl’école Estienne (dessin, gra-phisme, maquette), deux syllabesd’une graphie dansante et stricte.Cette graphie rieuse qu’il répand,entre dessins, images et coupuresde presse, dans ses chroniques, ses« zones », ses « revues de presse »,ses « apophtegmes », ses albumsautobiographiques (Ma vie, monœuvre, mon cul !). La chance desdessinateurs, c’est qu’on ne lesprenne ni pour des artistes, ni

    pour des éditorialistes. Ceux qui seprennent pour, s’y perdent. On lesait à quoi ? A la graphie de leur si-gnature, justement.

    Siné est né un 31 décembre d’unemère, « Fafa la Fouine », qui tientune épicerie-buvette à Belleville, etd’un père problématique. Le père,enfin, le géniteur, est un des bonsclients de Fafa. L’autre, Albert Si-net, le mari, reconnaît le lardonpour éviter les embrouilles. Unpeu dépassée par les événements,Fafa laisse le choix du prénom àl’obstétricien qui, s’appelant lui-même Maurice, l’intitule Maurice.Elle, elle l’appellera Bobby.

    Aujourd’hui, il serait bon pourquinze ans de psychanalyse. Ce quisimplifie et complique la chose,avec Siné, c’est qu’il dit tout, et cequ’il dit, il le dessine. Le reste, onl’apprend dans Siné, 60 ans de des-sins (Hoëbeke, 2009). Ou par l’in-calculable nombre de ses autopor-traits, visage ovale, coiffé à la raie,rire marrant ou colère sensible.

    L’enfance à Belleville ? Voir lesphotos de Doisneau. La guerre ?Masque à gaz et abris anti-bombes.La nuit, Bob organise des cours dedanse dans l’épicerie. Ce qu’onoublie : le petit Maurice, Albert,Bob, est toujours premier à l’école.A 14 ans, il intègre la prestigieuse

    école Estienne. Laurent Versy, songéniteur finalement marié à Fafa,dur à cuire (cinq ans de travaux for-cés pour avoir tabassé son adju-dant), est son héros.

    D’un coup, il découvre l’histoirede l’art et le dessinateur Saul Stein-berg. Choc. Des nuits à se forger unstyle tout en écoutant du jazz grâceaux V-Discs des soldats améri-cains. Paroles, de Jacques Prévert,dont il deviendra l’ami, est son li-vre de chevet. Il chante dans ungroupe, Les Garçons de la rue,« comme un chaudron, mais je fai-

    En 2008.RICHARD DUMAS/

    AGENCE VU

    sais rire », pendant deux ans. Etpasse, dans la foulée, l’essentiel deson service militaire au mitard.

    Ce sont les chats qui le tirent d’af-faire. Après en avoir adressé un àson amie Leonor Fini, mélange dedrôlerie et de mot-valise, il enpond à la douzaine. Tous publiésdans France-Soir . Sa popularité estimmense, il déménage et connaîtavec sa première femme – quivient de disparaître, quelques heu-res avant lui – un rien d’aisance. Lapublicité lui réussit. Les gauchistesle lui reprocheront. Il s’en fiche.Première exposition en 1956, prixde l’humour noir dans la foulée.

    Neuf numéros, neuf procèsEn 1958, il entre à L’Express pour dé-cliner les « paras » comme il a dé-cliné ses chats. Contre sa direction,

    il prend fait et cause pour la révolu-tion algérienne. Fabrique de fauxpapiers de même qu’il avait fabri-qué de faux tickets de rationne-ment pendant la guerre. Trans-forme le bloc-notes de FrançoisMauriac en « débloque-notes »  etquitte avec fracas le journal,comme il quittera plus tard la re-vue Jazz Hot, qui l’avait censuré.

    Siné Massacre  est créé fin 1962,avec l’appui de l’éditeur Jean-Jac-ques Pauvert. Son radicalisme po-litique s’accentue. Neuf numéros,neuf procès, une solide haine deDe Gaulle. Il multiplie les couver-tures pour Le Livre de poche, avecde purs chefs-d’œuvre (Zazie dansle métro) et jamais rien de faible.Membre du Collège de pataphysi-que, comme Raymond Queneauet Boris Vian, ses amis. Il n’y avaitpas de livres à l’épicerie. Il se lie

    d’amitié avec Genet, a la littératuredans la peau, tous ceux qui ne« goncourtisent pas » – Céline, maiscale devant ses écrits antisémites.

    Deuxième engouement après laLibération de Paris, son premiervoyage à Cuba – révolution, rhumet salsa. Il voyage pour Lui, le trèsmasculin magazine de charme,comme on dit. Malcolm X, qu’ilrencontre au passage, est parrainde sa fille. De Cuba aussi, il finirapar se faire virer, pour avoir dé-claré en symposium que« le rôle del’artiste, c’est de foutre la merde ».

    Mai 68, c’est comme s’il l’atten-dait : « Une fête aussi formidableque brève. Comme la Libération.»

     L’Enragé,  lancé par Jean-JacquesPauvert, fait suite à Action, de JeanSchalit, où Siné rejoint Wolinskiavant de claquer la porte pour un

    dessin (contre la CGT) refusé. Il fré-quente Choron et Cavanna, lescréateurs d’ Hara-Kiri, « journalbête et méchant », et politise leurstroupes : Wolinski, Topor, Gébé,Reiser, Cabu. A Catherine, qui serasa seconde é pouse, il éc rit : « Lachienlit, c’est moi ! »  Formidableépoque. L’épopée avec  Hara-Kiri puisCharlie mériterait une étude.

    Ses relations étroites avec la mu-sique noire, le free, les musiciens,les affiches de festival et les revuesspécialisées mériteraient aussiquelque thèse ou foutaise. Outrede superbes pochettes illustrées, ilaura réalisé pour Frémeaux & As-sociés deux anthologies person-nelles sur le jazz – « bordéliques àsouhait », dira-t-il.

    Reposera-t-il en paix ? Siné nelaisse pas tranquille, c’est sa force.Il communique une allégresse

    sans nom, c’est son geste. Curieu-sement entouré d’amitié etd’amour, lui qu’on voudrait furi-bard. Lors d’u