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Le Mystère Waldheim...Waldheim. L'Autriche,faut-ille dire, ne porte pas seule le fardeau de l'amnésie. Avec la polémique suscitée par la biogra-phie truquée de Kurt Waldheim,

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© Éditions Gallimard, 1986

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REMERCIEMENTS

Réalisée au cours du printemps et de l'été 1986, cette enquête surle « mystère Waldheimaa bénéficié du concours amical et efficace denombreuses personnes qui, en toute confiance, nous ont apporté uneaide précieuse.

Que soient donc remerciés ici Mme Ruth Valentini, du NouvelObservateur grâce à qui nous avons pu nous procurer la thèse dedoctorat de Kurt Waldheim; Mlle Hella Moritz et M. Eli Rosenbaum,

du Congrès juif mondial à New York, qui ont mis à notre dispositionl'ensemble de la documentation réunie par le CJM; M. David Kahn,historien de la Wehrmacht, dont les conseils nous ont été précieuxpour cerner le rôle du lieutenant Waldheim au sein de l'état-majordu Heeresgruppe E.

Les indications de MM. Alain Navarro, journaliste de l'AgenceFrance-Presse à Jérusalem, et Denis Scribe, correspondant deLibération à Athènes, nous ont aussi facilité la tâche. Et à Vienne,

où plusieurs amis autrichiens nous ont aidés à comprendre lacomplexité de ce vieux pays, il nous faut rendre particulièrementgrâce à MM. Georg Hoffman-Ostenhof, éditorialiste de l'Arbeiter-zeitung, et Michel Cullin, ancien directeur de l'Institut français deVienne.

Il en est encore beaucoup d'autres, anonymes selon leur souhait,qui ont bien voulu nous accorder des entretiens exclusifs alors qu'ilsexercent des charges officielles de par le monde.

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INTRODUCTION

Le devoir de mémoire

L'histoire qui va être ici contée ne campe pas unhomme hors du commun, une figure exceptionnelle. Toutau contraire, celui qu'elle met en scène peut être consi-déré comme l'archétype de ce que Robert Musil appelait« la philosophie nationale autrichienne le train-train ».Kurt Waldheim aurait pu passer à travers le siècle avec sadémarche un peu empruntée de fonctionnaire modèle,peaufinant avec un soin très « vieille Europe » unecarrière qui l'a conduit jusqu'au fauteuil présidentiel del'Alte Hofburg à Vienne. Son caractère le vouait à ladiplomatie, non à la grande, la périlleuse, l'acrobatique,mais à cet effort besogneux d'arrondir les angles qui peutoccuper toute une vie de rond-de-cuir.

Rien n'aurait dû attirer une durable attention sur Kurt

Waldheim, pas même ses dix années passées à la tête desNations unies lorsque le poste de secrétaire général del'ONU lui échut en 1972, les grandes puissances avaientdécidé de le confier à une personnalité sans personnalité,qui gérerait la communauté internationale comme undépartement de ministère, sachant allier la froideur à lasouplesse, une apparence distante à un opportunismeinné. Revenu aux affaires autrichiennes, Kurt Waldheim

ne prétendait pas à descendre dans l'arène politique, àdevenir chancelier fédéral; on ne le lui a d'ailleurs pas

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demandé. Non, à cet homme friand d'honneurs il fallait

une charge où se refléteraient encore les ors pourtantbien ternis de l'Empire austro-hongrois, et ce fut, en1986, la course victorieuse à la présidence. Alors éclata lescandale, d'autant plus spectaculaire qu'il frappait undiplomate zélé, accommodant, couleur passe-muraille.Paradoxalement, un homme nouveau accédait aux plushautes fonctions de l'État autrichien.

Le Waldheim de 1986 est un personnage totalementdifférent de celui que le public a connu durant lestrois décennies précédentes, notamment durant cellepassée au poste de secrétaire général de l'ONU, institu-tion créée en théorie pour éviter au monde la répéti-tion des crimes d'État et autres génocides. D'unWaldheim à l'autre, l'espace d'une campagne, parallèleà celle, électorale, du candidat à la présidence autri-chienne celle pour la vérité menée, depuis New York,par le Congrès juif mondial, principal animateur de larecherche sur le passé nazi dudit Waldheim. Soudaine-ment l'ancien porte-voix de la communauté internatio-nale, futur chef d'État, est convaincu de mensongepersistant, assumé et redoublé par une opiniâtre capa-cité à nier l'évidence.

Le terme de scandale, a posteriori, paraît pourtantinapproprié le retour du passé waldheimien fit du bruit,de l'agitation médiatique, mais ne troubla pas les cons-ciences, sinon celles de quelques Autrichiens et decertains amants de la vérité historique de par le monde.Certes, beaucoup de questions sont venues aux lèvreslorsque, par la conjonction de divers révélateurs dont ona tenté ici d'établir l'alchimie, une dissimulation vieille

de quarante ans est remontée à la surface au printemps1986, comme un vieux cliché oublié dans un bain

photographique. Qu'a-t-il vraiment commis, cet homme?2Mais à propos, comment l'Autriche a-t-elle vécu letriomphe du nazisme? Et puis, Kurt Waldheim aurait-il

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été après-guerre un agent double ou triple, se glissantentre les ombres nostalgiques de Vienne?

Mais surtout, l'interrogation première, pétrie de suspi-cions, de sous-entendus, d'un malaise très palpablepourquoi l'a-t-on retrouvé en 1986, ni avant ni aprèsmais à cette date trop fortuite pour être honnête,pourquois'être rappelé justement à ce moment que KurtWaldheim n'avait pas traversé la Seconde Guerre mon-diale de manière anodine, que son personnage falotcachait un destin fort intrigant? On n'éludera pas cettequestion, mais il faut d'emblée constater qu'elle a servid'alibi, de paravent expert à protéger de tous les ensei-gnements politiques, historiques et éthiques que le casWaldheim aurait dû permettre de tirer. A vrai dire, à samanière elle a participé au mensonge waldheimien. Car àtrop se demander pourquoi on s'était souvenu du passé deKurt Waldheim dans l'armée du Troisième Reich, il était

facile de se désintéresser des raisons pour lesquelles on nes'en était pas auparavant souvenu. Comme si, en cette finde siècle, la mémoire était devenue suspecte et comme s'ilfallait la soumettre à une enquête de moralité (à laquelleKurt Waldheim, honorable diplomate autrichien, ne futjamais astreint quand il prit la tête de l'ONU) lorsqu'ellese présentait pour témoigner à la barre du Tribunal del'histoire. D'ailleurs, le Vietnam, le Cambodge, ou d'au-tres traumatismes encore ont fermé pour longtemps cettesalle de justice que les intellectuels, il y a vingt ans,fréquentaient avec une grave délectation.

L'affaire Kurt Waldheim peut donc être lue ainsi unehistoire viennoise, avec ses jeux du souvenir et desdéguisements. Otto Preminger, juif mais aussi Viennois, aillustré, toute sa vie durant, ce goût de la dissimulationbiographique, ce plaisir masochiste à se perdre en sessuccessives apparences. Des existences éclatées, sansjamais le recours proustien à cet « appareil optique»qu'est la mémoire pour prendre la mesure de sa conti-

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nuité, des aventures personnelles baignant dans l'inno-cence dangereuse de la mauvaise foi comment en effetrendre des comptes si celui qui agissait hier s'est effacéavec son époque, et si cette même époque, transfiguréepar l'oubli et le mensonge, semble maintenant avoir putout justifier?

Waldheim est finalement apparu moins suspect queceux qui l'avaient accusé car lui au moins avait unmobile, et dans l'exaspération du réalisme politique queconnaît l'Occident un mauvais mobile vaut mieux querien du tout. La carrière sans gloire de Kurt Waldheimn'aurait jamais attiré les regards du monde si elle n'avaitpas fini par interpeller chacun et, retranchée dans sonculte de l'efficacité, lancé à la cantonade « Oui, à quoibon vraiment se souvenir? »

Au Kunsthistorisches Museum de Vienne, les petitescuillers en argent de l'impératrice Marie-Thérèse ont étépieusement conservées. Et en cet été 1986, un diplomatede l'ambassade d'Autriche à Berne sort discrètement de la

morgue de Genève avec un paquet sous le bras, qu'ilexpédie aussitôt dans son pays par la voie officielle; ils'agit d'un bocal de formol dans lequel est conservée latête de l'anarchiste italien Luigi Lucheni, qui avaitpoignardé le 10 septembre 1898 l'impératrice Elisabethd'Autriche, dite Sissi (l'homonyme de l'épouse de KurtWaldheim). Cet attachement maniaque au passé nesoulève en général aucune objection. Mais que d'aucunsaient jugé intolérable qu'un homme brigue la présidencede l'Autriche après avoir camouflé ses responsabilités en1939-1945, et les voici taxés de radoteurs accrochés à ce

qui n'est plus. Peut-être certains officiels autrichiensrêvent-ils encore, un siècle après, de découvrir dans lecervelet de Lucheni ce « chromosome du crime» quipassionna si longtemps les scientifiques les plus crédules.Mais ils n'ont rien voulu apprendre d'un vestige autre-ment plus moderne, de cette hantise à maquiller l'his-

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toire de la Seconde Guerre mondiale qui caractérise le casWaldheim.

L'Autriche, faut-il le dire, ne porte pas seule le fardeaude l'amnésie. Avec la polémique suscitée par la biogra-phie truquée de Kurt Waldheim, l'Europe disposait sansdoute de la dernière occasion à saisir pour tenter unretour critique, dégagé des passions de la Libération, surcette période où les valeurs occidentales basculèrent dansla barbarie. Elle l'a dédaignée, un peu par ignorance,beaucoup par honte et, en ce qui concerne au moins lesgrands de ce monde, par lâcheté. Robert Paxton ouMichael Marrus, en étudiant les ressorts de la Collabora-tion en France1 avaient soulevé le voile et suggéré quele silence, s'il envahissait jusqu'aux derniers recoins de laconscience nationale, risquait de l'étouffer. Mais cetteexigence inquiète plus les vieilles nations que la fuitedans un oubli sclérosé, voire la réécriture fantasmatiquedu passé.

En quelques mois, l'Europe a donné de multiplessymptômes de cette amnésie délirante, pareille à lasomnolence agitée qui suit un repas mal digéré. Tandisque Klaus Barbie, le « boucher de Lyon », était maintenuen prison sans jugement par une procédure judiciairedont la lenteur semblait vouloir ridiculiser l'idée même

d'une punition à retardement, on se rappelait en Espagneque certains nazis (comme le Belge Léon Degrelle) yavaient toujours pignon sur rue alors que leur ancienhôte, le pouvoir franquiste, avait disparu depuis bellelurette. Au même moment, les responsables est-alle-mands envisageaient tranquillement de construire àBerlin-Est une autoroute qui aurait entraîné la destruc-tion du cimetière juif, le plus grand d'Europe. L'ancienPremier ministre britannique Harold MacMillan (devenuLord Stockton) faisait saisir la revue des jeunesses de son

Les notes sont rassemblées à la fin du livre, p. 187.

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propre parti, New Agenda, qui avait réitéré les accusa-tions selon lesquelles il aurait fait livrer durant la guerrequarante mille Cosaques et Russes blancs à la répressionstalinienne.

Sur la lancée des mises en scène faurissoniennes, unethèse niant l'existence des chambres à gaz était solennel-lement approuvée par un jury universitaire françaisavant que le ministre de tutelle n'invalide les élucubra-tions de Henri Roques, tandis que le dessinateur Konkglissait le même message dans un recueil de satires publiésans la moindre difficulté. Une autorité médicale ouest-

allemande proposait, quant à elle, de tatouer un numérosur l'avant-bras des porteurs du virus du SIDA, par unmimétisme effrayant avec ceux qui traquèrent jadis la« contamination idéologique » des juifs ou des homo-sexuels.

Oui, l'amnésie a gagné du champ, sans doute parce queles générations épargnées par la guerre se sont laisségagner par un scepticisme général à l'encontre de l'his-toire contemporaine, à l'écriture trop travaillée par lesarrière-pensées politiciennes et les autojustifications.Comment un jeune Européen pourrait-il accorder créditaux récits qui accablent les uns pour mieux disculper lesautres et qui finissent par laisser planer, tel un malaiseindéfinissable, l'idée que tout le monde fut mauvais parcequ'il n'était pas opportun d'être bon? Le maire d'unepetite ville française, dont le passé de résistant est denotoriété publique, s'apprête à recevoir en grande pompela Légion d'honneur lorsque ses adversaires politiquestonitruent soudainement qu'il fut, à la Libération, l'exé-cuteur sans scrupule de prétendus collaborateurs. Ce fut,en juillet 1986, la triste aventure de Maurice Giboulet,premier édile de Saint-Barthélemy en Haute-Savoie,dénoncé par ses anciens compagnons d'armes. QuandMarguerite Duras interrogeait jadis cette ambiguïté de laviolence avec Hiroshima mon amour, les souvenirs, plus

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vivaces qu'aujourd'hui, permettaient encore de ne passombrer dans un dégoût désabusé. Mais le temps a passé,ajoutant ses aléas aux dissimulations délibérées de ceuxqui savaient et ne veulent plus savoir.

Voici par exemple l'ancien chef des services de rensei-gnements français, Alexandre de Marenches, racontantcomment il serait tombé un jour, en visitant les caves duSDECE, sur un tas de dix tonnes d'archives, «ficelé, envrac, en pagaille ». C'était en 1970; on lui apprend alorsqu'il s'agit des documents de la Gestapo et de l'Abwehrsaisis à la Libération. Il tente d'abord de les faire mettre

en ordre, puis renonce « J'ai fait faire au hasardquelques sondages. Le résultat fut désagréable, voirepénible. On a trouvé des personnalités ayant pignon surrue qui avaient été, ou le prétendaient, des résistants ou debons patriotes. En réalité, ils émargeaient aux servicesallemands. J'ai pensé à l'époque, et je le pense encoremaintenant, que l'un des vices fiançais les plus néfastesétant la division, nous n'avions pas besoin ces gens-làétant encore en vie d'aller fouiller les poubelles et deremuer la vase, pour ne pas dire autre chose 2. » Et voilàpourquoi votre fille est muette.

Parce qu'il a appris à se voiler la face devant sonpropre passé, l'Occident a bien sûr contribué à semer laconfusion parmi les nations qui, arrivées à l'indépen-dance après la Seconde Guerre mondiale, n'ont sponta-nément aucun désir de réaliser le retour critique surl'histoire que les premiers concernés se refusent eux-mêmes d'accomplir. Le monde arabe, dans sa plus grandepart, avait cru que l'affrontement entre les puissances del'Axe et les Alliés allait sonner le glas de la dominationoccidentale et restaurer la gloire perdue des grandesépopées musulmanes. Pour nombre d'intellectuels arabes,il ne s'agissait pas de prendre le parti du droit contrecelui de l'arbitraire, mais de se rallier au plus fort enattendant la convulsion finale. Les enjeux éthiques de la

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lutte contre le nazisme ne leur apparaissaient pas claire-ment ils furent vite perdus de vue lorsque de nouvellesépreuves les suites de la décolonisation, les guerresisraélo-arabes se présentèrent à eux.

L'exemple est évidemment extrême, mais il reste trèsparlant Moammar Kadhafi a expliqué un jour à desjournalistes américaines comment Ronald Reagan enétait arrivé à travailler pour le Mossad, le service secretisraélien. « Il est devenu agent israélien parce qu'il avaitfait partie de la Gestapo et voulait couvrir son passé »,prétend le colonel libyen dans un syllogisme aussiimparable qu'inquiétant 3. Désormais, le flirt du martyret du bourreau ne s'arrête plus à la complaisancesulfureuse d'une Liliana Cavani (dont le film mettant enscène un Dirk Bogarde nazi et une Charlotte Ramplingsuppliciée avait fait scandale en son temps), il débouchesur une complète inversion des rôles, sur un cheminhistorique où tout le monde s'avance masqué. Et c'estainsi que depuis son accession à la Présidence autri-chienne Kurt Waldheim a été bombardé de messages decongratulations et de chaleureuses invitations par lecolonel Kadhafi, par les dignitaires de l'Iran khomeinisteou par le chef d'État syrien Hafez el Assad. Où va senicher le pseudo-anticolonialisme grâce auquel des lea-ders en mal de popularité veulent faire oublier qu'ilsn'ont jamais rendu compte à leurs peuples de leuromnipotence?

Alors que la fin de ce siècle semble basculer dans unaffrontement inédit entre un Occident vieillissant et un

Tiers Monde radicalisé jusqu'à se perdre lui-même, ilsera trop facile d'incriminer la seule logomachie dessympathisants arabes de Kurt Waldheim. Tous les Étatsoccidentaux, sans excepter Israël qui se place délibéré-ment dans cette catégorie, ont manifesté à l'égard de cethomme, dont l'on tentera ici de retracer la carrière sous

le Troisième Reich, une complaisance pour le moins sus-

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pecte. Qu'aucun d'eux n'ait eu l'intention de relancerl'aspect purement juridique de l'affaire Kurt Waldheimest toujours formellement sous le coup d'une demanded'extradition formulée par la Yougoslavie en 1947 pourcrimes de guerre cela peut se comprendre la prescrip-tion s'applique toujours avec largesse aux grands de cemonde. Mais aucune démocratie, si convaincue soit-ellede la transparence de ses institutions, n'a osé réprouverl'élection au suffrage universel d'un candidat qui présen-tait, quelques jours seulement avant son triomphe, unebiographie indiscutablement truquée.

Le respect de la souveraineté autrichienne a étéinvoquée pour justifier ce silence gêné mais la souverai-neté de la conscience démocratique ne serait-elle pasaussi respectable? Après chaque détournement d'avion,après chaque attentat, tous les éditorialistes de Paris, deLondres ou de New York s'indignent de constater que lesrègles de vie commune choisies par le plus grand nombrepuissent être traînées dans le sang par une poignée declandestins. Mais à qui donner des leçons si les démocra-ties ne croient plus elles-mêmes à leurs principes les plusélémentaires?

Les Autrichiens ont élu Kurt Waldheim par pur réflexenationaliste (et accessoirement pour donner un avertisse-ment aux socialistes au pouvoir). « Nous choisissonsnous-mêmes qui nous voulons », a proclamé Kurt Wald-heim en guise de programme électoral, ce qui lui apermis d'esquiver toute argumentation sérieuse sur sonpassé mis en cause. Cela l'inscrit dans une vieilletradition politicienne, celle de l'autoproclamation arro-gante, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'aguère aidé à l'épanouissement de la démocratie. Vieilletradition? Archaïque, même il y a près d'un siècle, undémagogue espagnol, Antonio Maura, n'avait-il pas menétoute sa campagne électorale avec pour unique motd'ordre « Nosotros somos nosotros », nous sommes qui

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nous sommes? Le Dieu biblique peut s'annoncer ainsi,pas un professionnel de la politique. Kurt Waldheim s'estcependant autorisé ce luxe parce qu'il se savait placé sousla protection d'un double silence celui du peuple autri-chien, et celui des États occidentaux.

S'il existe un « mystère Waldheim », c'est d'abord danscette conjuration tacite. Refaire pas à pas le chemin desgrands criminels de guerre nazis n'est pas une tâche tropardue pour un historien consciencieux; mais suivresemaine après semaine la trace d'un officier de rensei-gnement allemand dans le maelstrôm des Balkansdemande une autre énergie, et même une autre approchede l'histoire contemporaine il ne s'agit plus, commetrop souvent ce fut le cas dans l'après-guerre, de choisirquelques figures monstrueuses pour exorciser le trauma-tisme nazi, mais de comprendre, quarante ans après,comment des citoyens anonymes ont permis, par excès dezèle et par défaut de conscience, à la machine defonctionner.

Nier que Kurt Waldheim aurait pu durant ces heures

dramatiques choisir une autre voie, ainsi que n'a pashésité à le suggérer Ronald Reagan lui-même (« commedes milliers de soldats allemands, il a fait son devoir »,avait déclaré le président au quotidien USA Today),revient en dernier lieu à interdire toute initiative au libre

arbitre, à tourner en dérision ce moment capital où lebesoin de liberté s'exalte dans l'homme à terre. Liberté de

refuser hier la barbarie, aujourd'hui liberté de savoir lerespect de ces deux exigences voulait que le cas Waldheimne reste pas une simple « affaire », et ne vienne pasgrossir le contingent de ces informations accablantes quifait dire au lecteur de journaux « Bah, ils sont touspareils. »

Chaleureusement salué par le terroriste Abou Nidal,soumis à enquête (bien tardive) par le département de laJustice américain, contesté en Yougoslavie mais absous

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en Grèce, Kurt Waldheim aura finalement acquis ladimension internationale dont il rêvait après avoir quittéla tête de l'ONU, lorsque les projecteurs de la pressemondiale se braquèrent sur lui. Et c'est pourquoi il a éténécessaire, dans la recherche de ses vérités cachées et des

dissimulations lénifiantes qui l'entouraient, d'allerenquêter à New York comme à Belgrade, à Helsinkicomme à Jérusalem, à Athènes comme à Vienne.

Certains pays, aujourd'hui encore, n'ont pas voulu oun'ont pas pu apporter d'autres précisions sur cetteintrigue planétaire l'Italie par exemple, dont les diri-geants ont été sollicités par divers enquêteurs mais qui sesont avoués impuissants à surmonter l'obstacle de laconfusion dans laquelle se trouvent toujours ses archivesde guerre. Quant à l'intéressé lui-même, si prompt àaccorder des interviews-plaidoyers durant sa campagneélectorale, il a rejeté l'offre du Tribunal internationalBertrand Russell d'organiser à Vienne une rencontred'experts consacrée à son passé.

Ce mutisme a reçu une large approbation, non seule-ment des États mais aussi de simples particuliers entémoigne l'abondant courrier que les deux auteurs ontreçu tandis qu'ils traitaient ce dossier pour leurs jour-naux respectifs (Libération et Le Monde). Menaces, insul-tes, allusions plus ou moins brutales à la consonancejudaïque de leurs patronymes. Comme si le besoin demémoire ne pouvait procéder que d'un complot, ou d'onne sait quelle essence juive.

Mystérieux, Waldheim? Certes, la reconstitution d'unpassé aussi troublé et autant occulté prend souventl'apparence d'un roman policier. Mais il n'y a là rien deromanesque, et les polices agissent sur ordre. En tentantde dissiper les silences et les dissimulations, il a surtoutété question ici de regarder le monde qui change et quin'aime pas se souvenir. Dans sa bavarde autobiographie 4,@Kurt Waldheim avait matière, s'il l'avait voulu et s'il

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l'avait pu, à raconter une histoire de ce siècle la fin desvieux Empires, le triomphe trompeur de la brutaliténazie, les compromis de la reconstruction européenneaprès-guerre, la manipulation des aspirations indépen-dantistes du Tiers Monde, le déclin inexorable desinstitutions de concertation internationale, le retour

sénile des nations européennes au credo chauviniste.Tout cela se réfracte dans cette vie peu exceptionnelle.

Et l'histoire, malgré les trucages et les oublis, saitmontrer son entêtement lorsqu'elle a commencé à inves-tir un destin personnel. Sitôt après son élection, alors quela principale épreuve qui se présentait à lui était depouvoir se rendre en visite officielle à l'étranger sansrelancer la polémique sur son compte, Kurt Waldheim adécouvert qu'il pouvait bénéficier d'une invitation de laRépublique d'Irlande, qui avait déjà été adressée à sonprédécesseur à la présidence. Durant la Seconde Guerremondiale, l'Irlande choisit la neutralité; et le chantre duneutralisme, Eamon de Valera, ne vit aucune objection àrendre hommage à Hitler lorsque la mort du Führer futannoncée. Pétrie de hasards et de surprises, la carrière deKurt Waldheim reste sous le sceau d'une remarquablecohérence, celle du renoncement.

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