1
Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 3 248 Le neurontin : un nouvel analgésique pour le postopératoire ? Analgesic effects of gabapentin after spinal surgery Turan A, Karamanlioglu B, Memis D, Hamancio- glu MK, Tükenmez B, Pamukçu Z, Kurt I. Anes- thesiology 2004;100:935-8. La douleur postopératoire, considérée pen- dant de nombreuses années comme une dou- leur par « excès de nociception », s’avère probablement plus complexe dans sa physio- pathogénie. Plusieurs études ont récemment mis en évidence d’une part des phénomènes de tolérance aiguë liées à l’utilisa- tion de certains morphiniques et d’autre part une composante hyperpathique faisant évoquer une intervention de différents systèmes de régulation (récepteurs NMDA). Selon une pre- mière étude, une prémédication par gabapentine, Neuron- tin ® (analogue structurel de l’acide γ amino-butyrique, antiépileptique utilisé dans le traitement des douleurs neuro- pathiques) permettait d’améliorer le contrôle de la douleur postopératoire, laissant envisager la possibilité de phéno- mènes neuropathiques (Dirks J, Fredensborg BB, Christensen D, Fomsgaard JS, Flyger H, Dahl JB. A randomized study if the effects of single dose gabapentin versus placebo on postope- rative pain and morphine consumption after mastectomy. Anesthesiology 2002;92:1126-31). Cette seconde étude confirme les données de la précédente. Dans le cas présent, 50 patients, ASA I-II, devant subir une discectomie lombaire ou une athrodèse lombaire ont été inclus dans l’étude et randomi- sés en deux groupes selon qu’ils recevaient en prémédication un placebo ou 1 200 mg de gabapentine. La technique d’anes- thésie générale associait propofol à l’induction et sévoflurane et rémifentanil pour l’entretien. La consommation de rémifen- tanil a été comparable dans les deux groupes. En revanche, les scores d’intensité douloureuse mesurés à l’aide d’une EVA, étaient plus faible dans le groupe gabapentine et la consomma- tion de morphine auto-administrée était réduite de 61 % (42,8 ± 10,9 vs 16,3 ± 8,9) sur la totalité du séjour hospitalier, la différence étant significative dès la première heure post- opératoire, confirmant ainsi les 50 % de réduction observés après mastectomie (cf. supra). Si l’on se réfère aux résultats très aléatoire du traitement par la gabapentine lors des syndromes douloureux chroniques d’origine neuropathique, on a presque envie de dire que les résultats postopératoires sont « trop beaux pour être vrais », d’autant que les doses utilisées en prémédication sont habi- tuellement insuffisantes dans le cadre du traitement des douleurs chroniques. Cependant, il est possible dans le cas présent que le rémifentanil, connu pour induire des états de tolérance aiguë, ait joué un rôle (la gabapentine empê- chant alors l’installation de la tolérance). De plus, la gaba- pentine est utilisée ici avant l’apparition des douleurs et pourrait donc s’avérer plus efficace pour empêcher la sur- venue d’une neurosensibilisation que pour la traiter. Par ailleurs, une réduction aussi impressionnante de la consom- mation de morphine doit s’accompagner d’une réduction de la prévalence des vomissements et des rétentions d’urines, ce qui n’est pas le moindre des bénéfices. Francis BONNET Hôpital Tenon, Paris. Les facteurs spécifiques à la décision d’arrêt de la ventilation Withdrawal of mechanical ventilation in anti- cipation of death in the intensive care unit Cook D, Rocker G, Marshall J et al. N Engl J Med 2003;349:1123-32. Les études prospectives et rétrospectives ont montré que, bien souvent, une décision de différer un traitement substitutif ou de faire quitter la réanimation précédait un décès. La décision de renoncer à un traite- ment tient compte de l’âge du patient, de la sévérité de la pathologie, du nombre de pathologies chroniques sous- jacentes, de l’évaluation du niveau de qualité de vie passée et future (1-3). L’objectif de cette étude était de cibler les facteurs qui pré- sident au retrait de la ventilation mécanique dans le cadre d’un décès anticipé. Cette étude s’est déroulée dans 15 uni- tés de soins intensifs. Les critères évalués étaient les sui- vants : caractéristiques cliniques à l’admission du patient — Multiple Organ Dysfunction Scores (MODS), allant de 0 à 24 en fonction du niveau de dysfonction — aptitude du patient à participer à la prise de décision thérapeutique — type de thérapeutique de soutien mise en œuvre — souhait du patient — évolution du patient — appréciation du médecin sur les préférences du patient en matière de support tech- nique permettant de pallier les défaillances d’organes. Parmi les 851 patients en ventilation mécanique inclus dans cette étude, 539 ont pu être sevrés (63,3 %), 146 n’ont pas survécu à la ventilation (17,2 %), 166 ont fait l’objet d’un arrêt du traitement (19,5 %). Les éléments associés avec l’arrêt de la ventilation étaient les suivants : – le sentiment que le patient était opposé ce type de traite- ment (risque relatif : 4,19 ; intervalle de confiance à 95 % 2,57-6,81) ; – la prédiction d’une détérioration potentielle sévère des fonctions cognitives (RR 2,51 ; IC 95 % 1,28-4,94) ;

Le neurontin : un nouvel analgésique pour le postopératoire ?

  • Upload
    francis

  • View
    213

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 3248

Le neurontin : un nouvel analgésique pour lepostopératoire ?

Analgesic effects of gabapentin after spinalsurgery

Turan A, Karamanlioglu B, Memis D, Hamancio-

glu MK, Tükenmez B, Pamukçu Z, Kurt I. Anes-

thesiology 2004;100:935-8.

La douleur postopératoire, considérée pen-dant de nombreuses années comme une dou-leur par « excès de nociception », s’avèreprobablement plus complexe dans sa physio-

pathogénie. Plusieurs études ont récemment mis en évidenced’une part des phénomènes de tolérance aiguë liées à l’utilisa-tion de certains morphiniques et d’autre part une composantehyperpathique faisant évoquer une intervention de différentssystèmes de régulation (récepteurs NMDA). Selon une pre-mière étude, une prémédication par gabapentine, Neuron-tin® (analogue structurel de l’acide

γ amino-butyrique,antiépileptique utilisé dans le traitement des douleurs neuro-pathiques) permettait d’améliorer le contrôle de la douleurpostopératoire, laissant envisager la possibilité de phéno-mènes neuropathiques (Dirks J, Fredensborg BB, ChristensenD, Fomsgaard JS, Flyger H, Dahl JB. A randomized study if theeffects of single dose gabapentin versus placebo on postope-rative pain and morphine consumption after mastectomy.Anesthesiology 2002;92:1126-31). Cette seconde étudeconfirme les données de la précédente. Dans le cas présent,50 patients, ASA I-II, devant subir une discectomie lombaire ouune athrodèse lombaire ont été inclus dans l’étude et randomi-sés en deux groupes selon qu’ils recevaient en prémédicationun placebo ou 1 200 mg de gabapentine. La technique d’anes-thésie générale associait propofol à l’induction et sévofluraneet rémifentanil pour l’entretien. La consommation de rémifen-tanil a été comparable dans les deux groupes. En revanche, lesscores d’intensité douloureuse mesurés à l’aide d’une EVA,étaient plus faible dans le groupe gabapentine et la consomma-tion de morphine auto-administrée était réduite de 61 %(42,8

± 10,9 vs 16,3

± 8,9) sur la totalité du séjour hospitalier,la différence étant significative dès la première heure post-opératoire, confirmant ainsi les 50 % de réduction observésaprès mastectomie (cf. supra).Si l’on se réfère aux résultats très aléatoire du traitement parla gabapentine lors des syndromes douloureux chroniquesd’origine neuropathique, on a presque envie de dire que lesrésultats postopératoires sont « trop beaux pour être vrais »,d’autant que les doses utilisées en prémédication sont habi-tuellement insuffisantes dans le cadre du traitement desdouleurs chroniques. Cependant, il est possible dans le casprésent que le rémifentanil, connu pour induire des états

de tolérance aiguë, ait joué un rôle (la gabapentine empê-chant alors l’installation de la tolérance). De plus, la gaba-pentine est utilisée ici avant l’apparition des douleurs etpourrait donc s’avérer plus efficace pour empêcher la sur-venue d’une neurosensibilisation que pour la traiter. Parailleurs, une réduction aussi impressionnante de la consom-mation de morphine doit s’accompagner d’une réductionde la prévalence des vomissements et des rétentionsd’urines, ce qui n’est pas le moindre des bénéfices.

Francis BONNET

Hôpital Tenon, Paris.

Les facteurs spécifiques à la décision d’arrêtde la ventilation

Withdrawal of mechanical ventilation in anti-cipation of death in the intensive care unit

Cook D, Rocker G, Marshall J et al. N Engl J Med

2003;349:1123-32.

Les études prospectives et rétrospectivesont montré que, bien souvent, une décisionde différer un traitement substitutif ou defaire quitter la réanimation précédait undécès. La décision de renoncer à un traite-

ment tient compte de l’âge du patient, de la sévérité de lapathologie, du nombre de pathologies chroniques sous-jacentes, de l’évaluation du niveau de qualité de vie passéeet future (1-3).L’objectif de cette étude était de cibler les facteurs qui pré-sident au retrait de la ventilation mécanique dans le cadred’un décès anticipé. Cette étude s’est déroulée dans 15 uni-tés de soins intensifs. Les critères évalués étaient les sui-vants : caractéristiques cliniques à l’admission du patient —Multiple Organ Dysfunction Scores (MODS), allant de 0 à 24en fonction du niveau de dysfonction — aptitude du patientà participer à la prise de décision thérapeutique — type dethérapeutique de soutien mise en œuvre — souhait dupatient — évolution du patient — appréciation du médecinsur les préférences du patient en matière de support tech-nique permettant de pallier les défaillances d’organes.Parmi les 851 patients en ventilation mécanique inclus danscette étude, 539 ont pu être sevrés (63,3 %), 146 n’ont passurvécu à la ventilation (17,2 %), 166 ont fait l’objet d’unarrêt du traitement (19,5 %). Les éléments associés avecl’arrêt de la ventilation étaient les suivants :– le sentiment que le patient était opposé ce type de traite-ment (risque relatif : 4,19 ; intervalle de confiance à 95 %2,57-6,81) ;– la prédiction d’une détérioration potentielle sévère desfonctions cognitives (RR 2,51 ; IC 95 % 1,28-4,94) ;