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Le passeport en bandoulière

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LE PASSEPORT EN BANDOULIÈRE

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GILBERT ROZÈS

LE PASSEPORT EN BANDOULIÈRE

EDITIONS FRANCE-EMPIRE 68, Rue Jean-Jacques-Rousseau, 75001 Paris

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Par discrétion, j'ai modifié certains détails des anecdotes relatées dans ce livre, afin que leurs protagonistes ne puissent être identifiés.

Donc, si au hasard d'une page, vous croyez reconnaître votre meilleur(e) ami(e), votre épouse ou votre mari, il ne peut s'agir que d'un hasard !

Vous intéresse-t-il d'être tenu au courant des livres publiés par l' éditeur de cet ouvrage ?

Envoyez simplement votre carte de visite aux EDITIONS FRANCE-EMPIRE Service « Vient de paraître »

68, rue J.-J.-Rousseau, 75001 Paris, et vous recevrez, régulièrement et sans engagement de votre part, nos bulletins d'information qui présentent nos différentes collections, que vous trouverez chez votre libraire.

© Editions France-Empire, 1984 Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays.

IMPRIMÉ EN FRANCE

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A JACQUELINE RAYMOND, grande dame du tourisme.

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BRUXELLES-MIDI, PARIS-NORD

C'est bizarre, étant donné mes activités touristiques, mais c'est comme cela : j'ai une tête qui attire les douaniers, où que ce soit dans le monde.

Paris ne fait pas exception à la règle et je ne suis pas étonné de voir un uniforme se diriger vers moi lorsque je débarque du Trans Europ Express « Amsterdam-Bruxelles- Paris ».

— D'où venez-vous, monsieur ? — Bruxelles. — Vous avez quelque chose à déclarer ? — Non. Il lorgne l'énorme valise que je coltine. Il ne peut pas

deviner qu'elle est vide. J'ai achevé mon déménagement la semaine dernière, toutes mes affaires ont réintégré mon logis parisien. Ne restait plus que cette valise...

Et puis ma tenue n'évoque en rien celle des hommes d'af- faires, passagers habituels de ce train. Mal rasé, en blue jeans et tennis, j'ai l'air louche. Il m' « invite » à passer dans le local de contrôle où l'un de ses collègues s'occupe de moi.

— Rien à déclarer, monsieur ? — Rien. — Qu'avez-vous dans cette valise, monsieur?

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— Dans cette valise, je n'ai rien. — Et bien, ouvrez, s'il vous plaît ! Je ne parviens pas à ouvrir, car je l'ai fermée machinale-

ment à clé. Je fouille mes poches, trouve la clé. Le douanier se penche pour mieux voir lorsque j'ouvre la

valise. Je lui montre l'intérieur. — Vous voyez, dans cette valise, je n'ai rien. Il me regarde. Je suis de très bonne humeur. — Je fais du trafic de valises... — Circulez, monsieur ! On n'est pas ici pour plaisanter. Lui, peut-être, mais moi ? Cette valise, je vais la ranger chez moi. Définitivement.

Le tourisme, c'est terminé pour moi. A vingt-neuf ans, je viens de quitter le poste de « responsable animation » que j'occupais auprès d'un grand organisme belge de vacances.

En dînant avec ma petite amie antillaise, c'est sans regret que j'évoque la vie que j'ai menée dans le monde chatoyant du tourisme. Mais j'ai arrêté, c'est ainsi. J'ai tourné la page.

J'ai rencontré des milliers et des milliers de touristes. Si ils se tenaient tous devant moi, et que je passe seulement une minute avec chacun d'eux, en commençant un lundi à neuf heures du matin, à raison de huit heures par jour, cinq jours par semaine, au bout d'un mois, je n'aurais toujours pas parlé au dernier d'entre eux...

Mon passeport est une grande richesse pour moi. J'ai par- couru un nombre de kilomètres en avion, en bateau, qui représente je ne sais plus combien de fois le tour de la Terre.

Mais j'ai arrêté. Pour la première fois depuis des années, je vais prendre des vacances en France. Et je vais payer ma place d'avion, et mon hôtel. Et j'en suis heureux !

En quittant la gare, je sais qu'une autre vie va commen- cer pour moi. Je ne regrette rien. J'ai pris l'avion comme je vais prendre l'autobus, j'ai aimé à Dakar une femme rencon- trée à Zurich, je me suis enivré à Pointe-à-Pitre avec un col- lègue d'Istambul ; j'ai acheté des chaussures à Athènes, et

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pris le même jour un verre à Bucarest ; j'ai visité Casablanca en allant à Dubrovnik, j'ai vécu dans l'intimité des oiseaux argentés que certains appellent « avions » et considèrent uni- quement comme des moyens de transport.

Pour moi, l'odeur du gazole me fait toujours rêver (à Paris, je suis servi !), car c'est celle qui entoure un avion qui se prépare à décoller. Je rêve, mais je ne regrette rien. Je suis passé par tous les échelons, j'ai débuté comme ani- mateur de village de vacances, puis j'ai été accompagnateur, j'ai animé et accompagné des croisières, puis j'ai accueilli des vacanciers dans divers pays, avant de devenir respon- sable de tout un pays, puis d'un ensemble d'hôtels et villages clubs.

Et je ne regrette rien ? Allez, je l'avoue, j'ai un petit pin- cement au cœur, c'est vrai.

Mais la page est tournée lorsque je quitte la gare. Par l'une de ces coïncidences en forme de clin d'œil, dont la vie est coutumière, c'est aussi dans une gare que tout a commencé pour moi, il y a quelques années...

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SAINT-RAPHAEL VALESCURE

Je ne suis pas frais du tout ! Je viens de débarquer en gare de Saint-Raphaël. J'ai

mal dormi dans ma couchette. Les valises que je trimbale me semblent subitement horriblement lourdes. Personne ne m'at- tend. « Ils » me l'avaient promis, pourtant !

« Ils », c'est l'équipe d'animation que je viens rejoindre. Et diriger. Je débute dans le tourisme en tant que chef de l'animation d'un village qui peut accueillir quatre cent qua- rante personnes. J'ignore encore que, dans la profession, on dit simplement « un village de quatre cent quarante lits ». Pourquoi des lits ? Est-ce parce que la position horizontale joue un grand rôle dans les vacances ? A l'issue de ma pre- mière saison, je serai fixé, et comment ! sur la question...

Ma première réaction, c'est de consulter l'horaire des trains. Le prochain départ pour Paris, d'où je viens, est dans un quart d'heure. Le temps de boire un café, quoi !

Je reste, et prends un car qui me dépose à la porte du village. Je me présente au gardien.

— Laisse tes bagages ici. On t'attend là-haut, près du bar. Je viens d'arriver au village de vacances « Les Issam-

bres », commune de Roquebrune-sur-Argens. Il appartient au Touring Club de France.

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Vous trouvez que cela ne ressemble pas tellement à l'image traditionnelle de l'animateur de village de vacances, dynami- que, gai luron, encore plus bronzé que les créatures de rêve qui l'entourent ? C'est aussi mon avis.

Claude me salue. C'est l'un des responsables de l'anima- tion, au « siège » de Paris, avenue de la Grande-Armée. Une sorte de géant — je ne mesure que 1,68 m —, mince et barbu, dont les longs cheveux seront bientôt plus courts que les miens. Les touristes m'appelleront alors « Jésus », à cause de mes cheveux aux épaules. Mais pour l'heure, priorité au travail.

Il m'attendait impatiemment. Je souris — Va chercher le fer à souder. La sono vient de péter ! Je me rembrunis. La « sono » ! Je défie n'importe quel animateur de me dire le contraire :

la sonorisation « pète » neuf fois sur dix lorsque l'on doit s'en servir. Et alors, une fois sur deux, la panne est, soit indétectable, soit réfractaire à toute réparation immédiate. Une « sono » de secours est indispensable pour éviter les cheveux blancs précoces.

Alain, le maître nageur, me serre la main. Sous des dehors apathiques, c'est un marrant de première classe. J'apprendrai à le connaître, lorsqu'il mènera la danse durant certains bains de minuit non prévus au programme d'animation...

Il y a aussi « Bouchon », l'animatrice enfants. Un petit bout de femme toute en rondeurs, qui gratte la guitare. Tout le monde l'aimera.

Pour le moment, elle prépare des affiches qui nous servi- ront à annoncer les soirées de jeux. Elle est aidée par mon assistante provisoire. Marie-Luce, assistante « en titre » ne sera là que dans un mois. Nous travaillerons ensemble, nous nous disputerons souvent, nous nous détesterons parfois. Mais j'apprendrai à l'apprécier. C'est une chic fille, pleine d'idées et énergique.

— Et Michel, l'animateur sportif ?

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— On l'attend... Voilà. Je suis à pied d'œuvre. Pas rasé, juché sur une

échelle, le fer à souder à la main. Mais où sont donc les touristes ?

Il y en a très peu. Le village vient d'ouvrir pour la saison d'été. Une fille aux cheveux encore humides revient de la piscine. Elle discute avec Claude en me jettant un regard de temps à autre.

— Claude, tu m'offres l'apéro ? — Occupé ! Mais si tu veux, je peux passer dans ton

bungalow après déjeuner... — Faut voir... Elle s'éloigne. On m'explique qu'il s'agit d'une habituée

qui revient tous les ans. On la surnomme « Tut tut ». — Parce que quand tu lui demandes de coucher avec

toi, elle hausse les épaules et répond « tut tut ». Et puis elle t'attend.

« Tut tut » travaille dans une grosse boîte. Onze mois par an, elle navigue entre une machine à écrire, un télex, deux téléphones et son patron. Le douzième mois, elle se détend en se fabriquant des souvenirs pour les onze suivants.

Claude doit repartir demain. Son rôle consiste simplement à ouvrir les villages. Nous avons déjà préparé le programme d'animation à Paris, avant mon départ. Lors du déjeuner, je dois annoncer les activités de la journée.

« L'annonce » est un moment important dans la vie du village. Lors de chaque repas, il m'appartient, puisque tout le village est réuni, de faire monter l'ambiance.

— N'oublie pas ! L'annonce, tu la fais quand tu bouffes ta viande. Comme cela, tu ne risques pas d'oublier...

Il me tend le micro. — Bonjour ! Et bon appétit ! J'ai renoncé à compter combien de fois j'ai utilisé ce

« gimmick » pour faire mes annonces. Encore aujourd'hui, il me colle à la peau. Chaque animateur a le sien, fruit du

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hasard et de l'inspiration. Ce soir, j'en inventerai un autre : « ouabada ». Durant toute la saison, je saluerai les touristes d'un « ouabada ! », je débuterai les soirées par un « oua- bada ! » hurlé dans un micro...

Un animateur a, lui aussi, ses déformations profession- nelles. Il y a deux mois, au restaurant, lorsque j'ai vu arri- ver mon entrecôte, je me suis levé subitement. J'ai expliqué à mon amie que je croyais avoir une annonce à faire. Elle m'a pris pour un fou, et la serveuse m'a regardé d'un drôle d'air...

Enfin, j'ai pu m'installer dans « ma » chambre. Posséder une chambre à soi, ne pas la partager, c'est un luxe. Dans certains villages de vacances, il n'est pas rare d'être deux, et parfois de laisser la place durant la haute saison pour des touristes que l'on ne pourrait pas loger autrement. Certains animateurs exigent même de voir figurer sur leur contrat d'en- gagement la mention recherchée : « Votre logement sera assuré durant toute la saison en chambre individuelle. »

La chambre individuelle correspond à un réel besoin de repos et d'isolement. Et puis, certains soirs, elle est bien pratique.

Durant l'après-midi, un restaurateur de la région passe nous saluer.

— Vous venez d'ouvrir. Je voudrais inviter toute l'équipe à prendre l'apéritif...

C'est mon premier contact avec certaines personnes qui gravitent autour du tourisme. Ce restaurateur me propose de venir de temps à autre avec une dizaine de touristes pour déguster sa cuisine régionale.

— Bien entendu, vous serez toujours mes invités... Et il y aura aussi une petite commission à la clé. Je suis

allé dîner un soir chez lui avec quelques clients. Je n'ai pas réclamé ma commission. J'ai payé mon écot. Il m'en a tou- jours voulu... D'ailleurs je n'ai pas récidivé.

Le soir, lors de mon annonce, je crois faire un gag. Au

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lieu d'annoncer que la soirée commencera à neuf heures, je dis, en riant, que j'attends tout le monde « vers neuf heures sept ». Je vais prendre une leçon de tourisme. Je vais découvrir l'impact énorme du micro et sentir que, pour les touristes, nous ne sommes pas des gens comme les autres, puisqu'ils nous placent sur un piédestal.

A neuf heures, la salle est prête. Les éclairages sont réglés. La sono fonctionne. Nous avons répétés nos sketches et apporté le matériel pour les jeux. Mais il n'y a personne. Une petite foule fait les cent pas devant l'entrée. Je m'en étonne. Claude rigole dans sa barbe.

— Tu as annoncé neuf heures sept. Ils attendent ! C'était ma première journée d'animation... Devenir animateur de villages de vacances, c'est rarement

une vocation. C'est le hasard qui souvent... Quelques mois auparavant je m'étais inscrit à un stage

d'animation. J'imaginais une semaine de franche rigolade en compagnie de demi-dieux bronzés, du soleil, des vacances.

J'ai découvert une salle froide, des gens pâles et un tableau noir.

Pendant une semaine, j'ai appris comment fonctionne un village de vacances (« trois piliers : l'administration, l'inten- dance et l'animation. Trois lieux privilégiés : le bar, le res- taurant, le " théâtre " »).

J'ai appris à monter une sonorisation (« Attention à l'im- pédance : basse ou haute ? »). J'ai découvert les délices du fer à souder : (« Tu dois savoir dépanner ton matériel ! » Je me suis initié à la réalisation d'affiches : (« C'est par terre que tu fais le meilleur travail. Avant de te coucher, il faut ôter les affiches de la veille et agrafer celles du lende- main ! » J'ai appris à réaliser un montage de diapositives et à le sonoriser, à monter des bandes magnétiques, à parler au micro, à établir un budget. J'ai appris aussi en fin de stage que j'étais sélectionné pour participer à un prochain stage réservé aux futurs animateurs et que l'on comptait sur moi

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pour diriger une équipe cet été. J'étais d'autant plus content que « Marie la leucémique » en ferait partie elle aussi.

Elle s'appelle en fait Marie-Odile. Je lui ai donné ce surnom lorsque je l'ai revue bien longtemps après. C'était la reine de l'humour noir. Elle avait de grands yeux candides, une vague ressemblance avec Arletty, adorait Jérôme Savary et son « grand Magic Circus ». Elle m'a raconté comment elle a rencontré Jérôme Savary. Un soir, après la représen- tation, elle prend son courage à deux mains (après deux Martinis) et puis l'aborde en zézayant :

— Monçieu Çavary, ze çui pas plus bête qu'une autre, z'aité animatrice dans un villaze de vacances et z'aimerais bien travailler avec vous.

C'est ainsi qu'il l'a engagée pour tenir le rôle de « Marie la leucémique » dans son spectacle d'alors.

Dans son village de vacances, elle était animatrice pour enfants. Son humour n'était pas toujours compris.

Un jour, lors du verre de bienvenue offert aux nouveaux arrivants qui sert à présenter le village et l'équipe d'anima- tion, elle annonce :

— Moi, je m'occupe des enfants. Mais jusqu'à neuf ans seu- lement, parce que, après, ce ne sont plus des enfants... Mais je ne peux pas les prendre avant sept ans, parce que sinon ils sont trop jeunes.

Lorsque l'assistance se dissipe, une mère vient la voir, puis une autre :

— Le mien a six ans et demi, vous pouvez faire une exception ?

— Et pour la mienne ? Elle n'a eu ses neuf ans que la semaine dernière.

Elle a dû expliquer bien des choses, ce soir-là, durant le repas et a appris à tourner sa langue dans sa bouche avant de plaisanter .

Lors de notre second stage, Claude et Gérard nous ont appris à monter une soirée, un spectacle, à animer des jeux...

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Et puis aussi à tenir un inventaire. L'animation c'est aussi cela.

Au cours de ce stage j'ai fait la connaissance de Ghys- laine. Je l'ai revue quatre fois. Trois fois à Paris, la quatrième dans le palais de Topkapi à Istamboul. Elle accompagnait un groupe d'excursionnistes en provenance de Bulgarie ; j'en accompagnais un autre qui venait de Roumanie. Juste le temps de se faire une bise ; il fallait suivre le guide.

Ces rencontres de hasard sont à l'image des chemins qui mènent à l'animation. Eddie, l'un des meilleurs animateurs que je connaisse, était représentant en vins et spiritueux. Il faisait du porte-à-porte et savait glisser son pied à temps pour éviter qu'on la lui claque au nez. Des amis créaient une organisation de vacances. Il les a aidés car il pouvait assurer l'animation sportive. (Il a eu la surprise, il y a quelques années de se reconnaître dans un documentaire cinématogra- phique concernant le ski nautique !) Ensuite, il a démarré dans l'animation complète de village.

Freddo, lui, avait raté son bac. Il est entré dans une école de tourisme et a obtenu son Brevet de technicien supérieur, seul diplôme existant en tourisme. Il parlait bien quelques langues étrangères et passait souvent devant des agences de voyages. Il a donc accompagné des groupes pendant quelque temps avant de découvrir que l'animation l'intéressait beau- coup plus.

Le Club Méditerranée est peut-être la seule véritable école d'animation en Europe. Il forme à toutes les spécialités de l'animation, y compris les décorateurs et costumières. Beau- coup de celles et ceux qui pensent au tourisme viennent frap- per à sa porte. Mais le club forme aussi certains de ses « G O » qui désirent passer à l'animation. Un cuisinier, une hôtesse, peuvent devenir animateur.

Au Club ou ailleurs, les critères fondamentaux pour deve- nir un bon animateur sont les mêmes. Ce métier réclame un réel intérêt envers les autres, une disponibilité de tous les

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instants, un bon « flair » psychologique mêlé à une persistante jeunesse d'esprit et au sens des responsabilités.

Dans un village, les touristes oublient leurs soucis, retrou- vent leurs racines et peuvent agir comme bon leur semble. Nous sommes là pour les y aider.

Un jour, Marie-Luce me montre discrètement une femme arrivée la veille qui ne touche pas à son repas. Elle pleure. Marie-Luce et moi allons lui parler. Son mari vient de décé- der. Ses enfants lui ont suggéré ces vacances, « pour oublier ».

— Mais je ne peux pas. Je suis seule ici, et tout le monde semble si heureux. Moi je suis seule.

Bref conciliabule entre nous. Nous nous arrangeons pour qu'elle prenne le café avec nous et un touriste, seul aussi. Le soir, je les pousse l'un vers l'autre lors des jeux dansés. Plus tard, nous les voyons discuter ensemble au bar. Elle ne pleure plus, sourit parfois.

Nous sommes contents les jours suivants. Elle a repris goût à la vie. Avec André, le touriste que nous lui avons présenté, elle participe aux jeux que Alain organise dans la piscine. Ils mangent à la même table et elle a demandé à changer de bungalow, mieux orienté et situé, comme par hasard près de celui d'André... Tout va bien. Nous venons de réaliser un « mariage » dont nous sommes fiers et que nous célébrons dans ma chambre en buvant un verre. « Bou- chon » compose une mélodie sur ce thème.

André repart le dimanche suivant. Les adieux sont émou- vants. André est triste. Ils se reverront, c'est sûr...

Hélène — c'est le prénom de la dame —, est de nouveau triste, le lendemain. Nous avons un peu honte de ne plus nous occuper d'elle, mais nous avons beaucoup à faire.

Nicolas est un beau blond. Dans le civil (si l'on peut dire), il est gendarme. Il est enchanté de ses vacances et nous confie qu'il a trouvé l'âme sœur, Hélène.

— Tu te rends compte, sa vie, à cette femme ? — Bien sûr ! Etre veuve, à son âge, avec deux gosses ?

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— Quelle veuve ? Je te parle d'Hélène ! Un mari ivrogne et au chômage qui la bat et lui refuse le divorce !

Nicolas avait remarqué Hélène qui semblait triste, au bar, à une table proche de la sienne.

— Comment je pourrais faire pour changer de bungalow ? Nicolas est parti au bout d'une semaine. Une fois de

plus, les adieux ont été déchirants. Hélène est resté quatre semaines. Les deux lundis suivants elle a pleuré. Nous avons mené notre enquête : son mari était « aussi » capitaine au long cours, la laissant seule ce qui la rendait neurasthénique, mais le lundi suivant il était chef d'entreprise et la trompait avec ses secrétaires... Elle a encore demandé à changer de bungalow.

J'ai croisé Hélène deux ans après à Paris. Elle était tou- jours célibataire et songeait avec malice à ses prochaines vacances. Elle se portait très bien, merci.

Revoir un village de vacances lorsqu'on n'y travaille plus est toujours une expérience enrichissante, pleine d'une cer- taine mélancolie.

Je suis retourné aux Issambres. Le gardien m'a confié qu'il s'était passé de curieuses choses dans un bungalow isolé. Il me cligne de l'œil.

— J'ai retrouvé des fleurs séchées à la fenêtre, il y avait plusieurs lits côte à côte. Ils ont dû s'en payer ! Ils devaient être au moins quatre ou cinq, tu te rends compte ?

Cela s'était passé à la fin de la saison. Le village se pré- parait à fermer. Ils étaient six. Trois filles et trois garçons.

Je n'ai pas osé dire au gardien que j'étais l'un d'entre eux.

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OUABADA ! « TAPETOS », ET AMBIANCE

C'est au milieu de l'après-midi que j'annonce la nouvelle à ma copine « Marie la leucémique ».

— C'est pas possible ! — Mais si, c'est vrai, je t'assure ! — C'est la meilleure de la saison ! Marie travaille au village de Pramousquier, à une heure

de voiture du mien. J'ai pu la joindre au téléphone. Elle rit. Il y a de quoi.

Quelqu'un d'autre ne rit pas, c'est le responsable de la brigade de gendarmerie. Il comprend mal ce qui est survenu la veille. Que s'est-il donc passé, qui fait rire Marie et sour- ciller le gendarme ?

Un événement relaté dans le journal. Pas en première page, mais quand même d'une certaine importance : la veille, entre huit et neuf heures, il y a eu un embouteillage aux environs de La Croix Valmer. Près d'un milier de personnes se déplaçaient. Elles venaient de Pramousquier, des Issambres et du camping de Cogolin. Cela, le journal ne le précisait pas.

Nous organisons ce soir-là une grande rencontre inter- villages de vacances.

Tout a débuté un mois avant. Trois animateurs sont venus comploter dans le village du quatrième, Michel. Ils décident d'organiser une grande rencontre pseudo-sportive entre les

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quatre villages. Au programme, diverses épreuves, ainsi qu'un concours entre « objets flottants », qui aura lieu sur (puis dans) la piscine. Cet « objet flottant » amènera, dans les jours qui suivent cette rencontre secrète, tous mes vacan- ciers à boire de l'eau minérale.

De retour dans mon village, j'annonce que, bientôt, aura lieu une rencontre contre trois autres villages. Nous devons nous montrer « les meilleurs, les plus forts et les plus beaux ! ». C'est la folie dans le restaurant. Tout le monde hurle, chante, propose des idées pour l' « objet flottant ». Au « théâtre », ce soir-là puis les suivants, l'ambiance est extraordinaire.

L' « objet flottant » est peu à peu défini. Il se composera de trois poubelles en plastique, accolées et reliées par deux manches à balai. Notre « champion » sera dans la poubelle centrale et fera avancer l'objet à l'aide d'une pagaie. Pour assurer la flottabilité, je propose de fixer aux extrémités des manches à balai des groupes de bouteilles d'Evian ou de Vittel vides...

C'est pourquoi, le village pris soudain d'une frénésie de sobriété a bu à table, au bar, partout, de l'eau minérale.

L' « objet flottant » prend forme. Il reste exposé au « théâtre » et chacun, en se rendant à la piscine ou à la plage ne manque pas de venir constater l'avancement des travaux, ou de prêter main forte aux équipes qui bouchent les bouteilles vides et les groupent au moyen de ficelles.

Au jour prévu pour la rencontre, tout le monde se répartit dans les voitures, sauf un vacancier. Un seul. Il passera la soirée seul, dans un village déserté. Tout le monde est en route pour La Croix Valmer. L' « objet flottant » trône sur le toit d'une voiture, recouvert d'une couverture, car il est prévu de ne le dévoiler qu'au dernier moment.

Dans chacun des trois autres villages, des événements similaires se sont déroulés. Chacun de nous ignorait à quoi pourrait ressembler les autres « objets flottants ».

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Attachez vos ceintures, éteignez vos cigarettes ! Avec ce livre, vous allez voyager à travers le monde, au soleil, en com- pagnie d'un professionnel du tourisme. Au fil des pages, il vous dévoile les coulisses de vos vacances, passées ou futures.

Vous risquez d'être surpris...

Par exemple, en faisant la connaissance d'un passager clandestin hilare. Ou en voyant un charter atterrir dans un champ fraîchement labouré. Vous constaterez que l'on peut passer des vacances dans des hôtels inachevés. Vous comprendrez pourquoi on propose à un vacancier de lui réchauffer la mer...

Et, qui sait, vous reconnaîtrez peut-être certains de vos amis de vacances ?

Vous allez découvrir aussi la véritable vie des animateurs, des hôtesses et des guides d'excursion. Vous connaîtrez leur histoire, leurs joies, vous vivrez avec eux leurs aventures, drôles, émouvantes et « sentimentales ».

Mais au-delà du sourire et du bronzage, vous constaterez également qu'ils vivent avec bonheur et passion le « virus » touristique, aux quatre coins du monde, en conservant toujours « Le Passeport en bandoulière ».

Gilbert Rozès, entré par hasard dans le tourisme, y a passé sept ans, vivant entre deux valises et un passeport surchargé de tampons.

Bienvenue à bord !

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Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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