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Le peuple Ekang : ou comment être Bëti ? Par Vincent Sosthène FOUDA Septembre 2007

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Le peuple Ekang : ou comment être Bëti ? Par Vincent Sosthène FOUDA Septembre 2007

Le titre de cette brochure, Comment être Beti ? Fait allusion, bien sûr à l’interrogation de Désiré Danga, il revoie aussi et surtout au Comment peut-on être Persan de Montesquieu. Mais surtout et j’aime ceci ; Qui sommes-nous ? Inspirateur de la négritude. C’est en 1996 que j’ai pris connaissance de cette question de Césaire écrite dans les années trente du siècle dernier. Je suis surpris par la convergence de mes remarques en regard des observations, de l’analyse et de la prospective de Aimé Césaire. Comme quoi « le long chemin des hommes » met du temps à rejoindre les bonds de la technique. Vincent Sosthène FOUDA

I contexte et limites de ces remarques En septembre 2006, sur proposition de Joseph Ntsogo de Québec, Adalbert Otou Nguini de Montréal m’a proposé de répondre à la question que beaucoup d’entre vous, vous posez. Simon David Yana, à mes yeux l’un des plus grands démographes qu’ait pu produire le monde universitaire africain m’a été adjoint. Le travail ne manque donc pas. Notre travail a consisté à vous suivre, à vous écouter, à nous nourrir de vos doutes et de vos interrogations qui peuvent à certain moment être les nôtres bien qu’il ne me soit jamais venu à l’esprit et en paraphrasant Réné Despestre, Bonjour peuple Ekang, Adieux peuple Ekang, d’avoir des doutes sur qui je suis. J’ai attiré l’attention de certains d’entre vous pour dire que je ne suis pas un spécialiste de nos origines, il m’a été répondu qu’on n’est pas à la recherche d’un expert encore moins d’un universitaire, vous voulez donc un regard neuf sur nous, désintéressé, innocent, si l’on veut. Voilà donc la genèse et le cadre de mon initiation aux affaires Ekang, je reviendrai plus tard sur cette dénomination.

Origine du peuple Ekang J’ai choisi délibérément de parler du peuple Ekang, appellation qui rassemble et qui est susceptible de mettre d’accord sociologues, anthropologues, ethnologues et même linguistes et pour ce, je m’inspire simplement du chant traditionnel de rassemblement : Ekang bësë, biso élan alan ééé ! Eé éé éé Ekang bësë bisö elan élan Beti benanga m’asug ekang éé ée Eé ée ée ée Melö maba’ah Meba yifo’o Ekang mbolo Esagom Madjo ne Ekang mbolo Esagom Esagom mbo betö’ Yaah ! Dans ce chant de rassemblement je retrouve des mots et des sons, des mots et des noms, Ekang, Beti, mbolo et Esagom que l’on va retrouver dans toutes les langues dites pahouins suivant les travaux d’un des grands amoureux de ce peuple Philippe Laburthe-Tolra.

Le peuple Ekang est un peuple négro-africain que l’on retrouve aujourd’hui en Afrique centrale. On le rencontre au Cameroun, au Congo, au Gabon, en Guinée-équatoriale, en Angola et même en République du Sao Tomé où les 9, 5°/° d’une population estimée à 175.883 sont Ekang et parlent encore cette langue malgré la forte pression du portugais (la langue officielle de cet archipel) et de tous les créoles parmi lesquels le créole santoméen ou forro (usité par 81, 7 °/° de personnes), le créole angolare (parlé par 3,7°/° de santoméens) et le créole monco (utilisé par 2,9°/° de personnes).

La structure interne Ekang se présente de cette manière : au sommet de la pyramide se situe l’ethnie ( Ekang ) , ensuite celle-ci se divise en principaux sous-groupes (Mvaie, Mékê, Ntoumou, Betsi, Beti, Nzaman, Boulou, Okak, Eton, Ewondo,

Etenga, Mvele…), qui à leur tour se divisent en d’autres sous-groupes ( ayong ), en des tribus, (agonavèign, essabock, nkodjeign, efak, yendzok, ntsugui Mbala, Atangana Mbala, Fuda Mbala, Enoa…), qui se scindent encore en clans (ndat bot), en familles (au sens de famille élargie). Le clan est le noyau de cette structure.

De nombreuses thèses ont été avancées par des chercheurs pour situer leur origine. Lagneau, Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga, pour ne citer qu’eux, ont situé l’origine des Ekang dans la vallée du Nil et plus précisément en Egypte. Les chercheurs occidentaux ont ainsi parfois construit autour de cette ethnie de véritables mythes qui malheureusement, pour certains, sont encore dans l’inconscient collectif des Ekang et des peuples avec lesquels ils cohabitent au quotidien. Le mythe de l’Ekang barbare, anthropophage est à cet effet encore bien tenace. Il suffit encore, de nos jours, d’entendre, telle une rengaine, dans la bouche de certains qui assistant par exemple à une bagarre d’ivrognes opposant deux Ekang, ou même un Ekang et quelqu’un d’autre, s’exclamer : « Ah ! Encore les Ewondo et la violence ! ». Aujourd’hui encore, au Gabon et en Guinée Equatoriale par exemple, nombreuses sont ces jeunes filles qui se refusent à entretenir une relation amoureuse avec un Ekang au prétexte que ce dernier serait naturellement trop violent. C’est donc dire que des survivances demeurent dans l’inconscient collectif même si l’on ne le dit pas.

Mais il est bien vrai que, volontairement ou pas, certains Ekang se plaisent eux-mêmes à entretenir ces images des lignées anthropophages, violentes…Il suffit de les entendre menacer de vous manger ! Cependant, ces mythes construits et maintenus au fil des années, ne reflètent en rien la réalité. Les villages Ekang ne sont pas des champs de batailles dans lesquels la violence est quotidienne et les hommes Ekang, appelons les Ewondo, Eton, Manguissa et que sais-je encore, Bulu, Ntumu fang ne sont pas des bourreaux qui oppriment leurs épouses à coups de poings. Certes il y a des rixes, qui se règlent d’ailleurs rapidement, comme dans toutes les communautés humaines, mais ce n’est pas une habitude fang précisément. La société fang est normée, les règles, les rapports humains,…font l’objet d’un code oral, la coutume ou la tradition. Et transgresser une règle est toujours mal perçu. Au prorata de la transgression, un châtiment ou une peine est infligé non seulement pour que cela ne se répète, mais

également pour que ceux qui seraient tentés d’imiter se ravisent très rapidement. L’inceste est à cet effet le péché le plus grave. Deux jeunes convaincus d’inceste sont le plus souvent châtiés nus au corps de garde devant tout le village. Mais en retour, le respect de ce code oral, ce qui est le cas le plus souvent, est signe de stabilité et de tranquillité. Au sujet de l’anthropophagie, elle n’est pas une institution culturelle chez les fang. Peut être (et certainement comme partout ailleurs) qu’il y a certains individus qui, à titre individuel, ont usé de cette pratique, pour des desseins personnels, mais cela n’est et n’était nullement un fait culturel. Au contraire, chez les Ekang, comme chez tous les peuples négro africains, la personne humaine est sacrée.

Pour revenir à la question des origines des Ekang proprement dite, nous ne voulions plus suivre les sentiers battus par Cheikh Anta Diop et les autres. Nous voulions interroger les Ekang eux-mêmes, c’est-à-dire vous mais aussi certains anciens, pour qu’ils nous situent par rapport à l’origine de ce peuple.

Nous avons manqué de moyen financier et de temps. Nous voulions également mener une réflexion sur leur langue, car la langue, même si nous ne nous en rendons pas compte, cache souvent bien des surprises. Les anciens avec lesquels nous avons discuté, tels les vieux Ayo, Akoba, Bitegue…nous ont tous répondu invariablement que les fang reviennent d’ « Akoë ». « Akoë » est un mot qui s’oppose à « Ankiè ». Il signifie à la fois « le Nord » et « l’amont (quant il s’agit de parler d’une rivière ou d’un fleuve) » tandis que « Ankiè » signifie « le Sud » et « l’aval (quant il s’agit de parler d’une rivière ou d’un fleuve) ». Dans la phrase « Bot ya osu’koë », la traduction française donnera « Les gens du Nord ». Tandis que dans celle-ci : « Bot ya osu’kiè », elle donnera : « Les gens du Sud ». D’après ces anciens, l’Afrique centrale ne serait donc pas le foyer originel des Ekang, ceux-ci viendraient du Nord (le Nord de l’Afrique). D’après eux toujours, ce n’est qu’au terme d’une grande et longue migration appelée « Obane » que les Ekang sont arrivés dans leur foyer géographique actuel : au Cameroun, au Congo, au Gabon, en Guinée Equatoriale et au Sao Tomé. Les documents historiques le soutiennent car ils affirment que la présence Ekang a été signalée pour la première fois en Afrique centrale, et notamment dans la région de l’Estuaire au Gabon, vers le début du 19e siècle. Xavier CADET dans ses travaux de recherches sur les fang parle plus exactement de 1819. Nous le

citons : « L’intérêt de “ l’esquisse ” de Bowdich réside dans le fait qu’elle révèle dès 1819 l’existence des Fang, connus alors sous le nom de “ Paamouay ” (qui se lit Pamoué, correspondant à “ Pamue ”, l’appellation hispanisante des Fang) ». Mais il est plus que probable et logique qu’avant que cette « présence fang» ne soit signalée dès 1819, les fang se trouvaient déjà dans cette région d’Afrique centrale. Si nous suivons leurs migrations, il est logique qu’elle se signalait déjà dans d’autres régions d’Afrique centrale avant cette date et surtout si l’on considère que cette région de l’Estuaire se situe presque à l’extrémité sud du pays fang et qu’ils y sont arrivés par le Nord, c’est à dire par le Cameroun.

Rappelons à ce niveau que ce que nous entendons par pays Ekang n’est rien d’autre que l’espace géographique occupé par les Ekang en Afrique centrale, et cet espace est sensiblement supérieur/inférieur ou égal aux 267.667 km2 du Gabon car il prend en compte toute la Guinée Equatoriale, la moitié nord du Gabon, la moitié sud du Cameroun, une faible partie du nord-ouest du Congo et une très faible partie de Sao Tomé. Ce que je voudrais dire c’est que le peuple Ekang mis au Cameroun occuperait l’ensemble du territoire jusqu’à l’Adamaoua.

Figure 1, le pays Ekang moins le Sao-tomé et Principe

L’étude dans la langue Ekang, (je l’ai signalé dès le départ) vient à la rescousse des affirmations de ces anciens que nous avons rencontrés, des discussions que nous avons entre nous ici au Québec. En effet, les linguistes savent qu’une langue (et les mots qu’elle utilise) n’est jamais fortuite. Les mots qu’elle utilise et qu’elle crée sont souvent en relation avec l’environnement immédiat du locuteur. Ils parlent souvent de signifié et de signifiant pour poser la différence et le rapport

qu’il y a entre le mot que nous prononçons (le signifiant) et l’objet ou la chose que nous désignons (le signifié). On ne peut avoir un signifiant, un mot, sans référent, sans signifié. Or, la langue fang foisonne aujourd’hui de mots dont on ne retrouve pas les référents en Afrique centrale. Ce qui soutient que leur environnement originel ne soit pas cette partie de l’Afrique. Ils ont par exemple un mot pour désigner la girafe. Ils disent « Nkoak ». La girafe est un animal que l’on rencontre sur la façade indienne de l’Afrique dans la savane : de l’Egypte, à la corne de l’Afrique, en passant par le Soudan, le kénya…jusqu’en Afrique du Sud. Nous ne pourrions pas rechercher l’origine des fang en Afrique du Sud car eux-mêmes affirment revenir du Nord. Il conviendrait donc de la rechercher, par rapport à l’actuelle situation géographique du pays fang vers le Nord, c’est-à-dire vers l’Egypte, le Soudan,…Si nous nous permettons une digression utile, nous affirmerions qu’elle se trouverait plutôt du côté de l’Egypte et du Soudan (Royaumes de Kousch, Méroé, Axoum) ; la relation entre le symbolisme de l’Egypte antique et celui des fang est frappante. Nous ne décortiquerons pas toute cette question. Nous pourrions tout simplement, pour terminer, rappeler que comme en Egypte antique, chez les fang, le bâton est le symbole de l’autorité, du pouvoir. C’est celui qui détient le pouvoir qui détient le bâton. Chez les Ekang et entendez par là, tous les groupes humains désignés plus haut, on dit « ntoum édjoé», littéralement le « bâton du pouvoir »1. Nous rappellerons également cette habitude funéraire des Ekang qui consiste à tondre ou à raser les cheveux (Akous) de celui ou de celle qui a perdu (dont le conjoint est décédé) son conjoint (époux ou épouse). C’est une pratique ancienne dont les origines sont à rechercher dans l’Egypte antique. Merci.

1 Dernier opus musical du parolier camerounais Bisso solo « Bisogo abele ntoum nnam wa ken ».

Figure 2: Guerrier Ntumu Schweinfurth, 1875, p. 213

Figure 3 : Guerriers fang (Fleuriot, 1876, p. 272).

Figure 5 : Migrations Ekang d’après Avelot (Avelot, 1905, planche II).

Figure 6 : ’Femmes Ekang revenant de la plantation’ (Cureau, 1912, pl. VIII, p. 152).

Hier nomade aujourd’hui sédentaire voire semi sédentaire

Toutes ces cartes ont pour but d’éveiller en nous, en vous quelque chose de profondément Ekang, peuple guerrier, peuple accueillant, peuple nomade et travailleur, peuple aujourd’hui sédentaire ou sémi-sédentaire, le peuple Ekang est tout ceci à la fois. Le “ nomadisme ” des Ekang n’est pas celui des chasseurs - cueilleurs, ni celui des pasteurs, il ne repose pas sur l’épuisement des richesses naturelles d’une région car, contrairement à ce que certains auteurs ont pu écrire, Balandier entre autres, les Ekang sont incontestablement agriculteurs. Comme la plupart des ethnies du Cameroun,du Gabon, du Congo, de Guinée Equatoriale, ils pratiquent la technique du brûlis. A proximité du village les hommes défrichent une parcelle de forêt. Ce travail dure environ un mois. Les arbres les

plus gros sont épargnés. La surface dégagée dépend à la fois des besoins et des capacités des cultivateurs. Au besoin, il est fait appel à des aides extérieures, dans la famille et auprès des voisins. La parcelle est ensuite brûlée, ce qui fertilise le sol.

Puis les femmes ensemencent, entretiennent et récoltent. La technique permet de bonnes récoltes pendant environ trois ans, selon la culture. Quand une parcelle devient trop pauvre, elle est mise en jachère pour une période indéterminée. Avant son abandon, une nouvelle parcelle de forêt est préparée. Au fur et à mesure de leur remplacement, les plantations s’éloignent des villages. La sécurité des femmes qui s’y rendent et des enfants qui les accompagnent vient alors à se poser. Pour Martrou, ces problèmes encouragent les hommes qui défrichent loin du village à construire de nouvelles habitations, d’abord temporaires (Mvan), puis, quand la plantation est exploitée, un nouveau village. Par comparaison avec les plantations actuelles, la surface moyenne des parcelles n’excède pas un hectare. En supposant, avec une grande marge d’erreur, qu’une quinzaine de plantations alimentent un village de près de deux cents habitants, deux ou trois renouvellements de chacune des parcelles permettent au village de rester en place pendant environ dix ans. Quoique l’estimation reste très basse, elle représente une période trop longue pour les auteurs qui ont fait des Ekang des nomades invétérés. Elle réduit en tout cas la cause première de nomadisme évoqué par Martrou, le nomadisme de culture.

D’autres habitudes purement matérielles retiennent encore les Ekang dans leurs villages. Selon Tessmann, dès qu’un village est construit, les habitants y plantent des figuiers à proximité des maisons pour la production d’écorce à battre destinée à la fabrication des habits. L’arbre est coupé quand son tronc atteint 8 à 10 cm de diamètre. La croissance demande au moins cinq ans pour obtenir des bandes assez grandes. La culture de certaines plantes, l’iboga ou essingan par exemple, dans la cour même du village stabilise également son implantation.

La construction du village fait également apparaître quelques éléments contraires au nomadisme. Elle nécessite d’abord de réduire la force d’un village en envoyant les hommes préparer les parcelles à défricher pour le futur village et pour les plantations à venir. Les habitants viennent ensuite s’y installer

dans des cases provisoires. Les cases définitives ne sont construites que lorsqu’une activité normale a démarré au village, au terme de plusieurs mois. Ainsi, entre le moment où le déplacement d’un village est envisagé, de nouvelles plantations sont entreprises, et le moment où le nouveau village est achevé, on peut considérer qu’une période supérieure à six mois s’est écoulée.

La qualité des matériaux engage aussi le village dans la durée. Les structures sont en bois lourd, les pièces maîtresses sont en bois de fer (ewume), rare mais imputrescible et résistant aux termites ( 1310 ). Les parties les plus fragiles sont les parois d’écorce (nzel) ( 1311 ), et la couverture en feuilles de palmier tressées. Elles demande un renouvellement régulier, environ tous les ans pour la couverture, encore que la fumigation des habitations allongent leur durée de vie en réduisant considérablement l’action des insectes xylophages ( 1312 ).

Les rites appellent aussi les habitants à demeurer quelque temps dans un village, en particulier le culte des ancêtres. Il repose sur la conservation de certaines parties du squelette, en particulier du crâne. Or, les corps sont inhumés et la récupération des os n’est pas immédiate. Elle peut intervenir plusieurs mois après la mort. Le plus souvent elle a lieu à un moment critique pour le village, où les vivants ne parviennent plus à assurer seuls leur protection. Il faut donc à tout moment accéder à la tombe du défunt pour chercher le crâne. La présence de tombes dans les villages serait donc le fait d’une vie sédentaire.

Si on porte quelque crédit à la littérature orale, on trouve aussi dans les mvett des éléments incontestables de sédentarité, en commençant par la position immuable des deux tribus, Engong et d’Okü. Un épisode, écrit par Daniel Assoumou Ndoutoume en 1986, relate d’ailleurs une histoire de sépulture :

“ Un jour, Evini Ekang se surprit à effectuer une tâche qui ne lui plaisait pas du tout, une tâche plutôt macabre : assurer l’entretien de la sépulture de son père Ekang Nna. Pourquoi assurait-il la propreté de ce lieu? Etait-il devenu fou? se demandait Evini Ekang. Son méchant père est mort après avoir

commis la pire des injustices en confiant à Ngame Ekang (le frère de Evini Ekang), le benjamin d’une multitude d’enfants, tout ce qui aurait dû être réparti entre tous. Et Ngame Ekang qui avait pourtant tout reçu et avait enterré leur père avait déserté le village, probablement pour ne pas avoir à s’occuper de cette macabre besogne ” ( 1313 ).

Quoiqu’il en soit de la période coloniale, l’époque contemporaine consacre la sédentarité voulue par l’autorité française. Abel Nguéma, notre principal informateur, né en 1939, originaire de Meyo Nkodjeign, à l’est de Bitam, manifeste l’attachement des Fang à leur terre, bien qu’ils n’aient pas de “ mère patrie ” ni de terre ancestrale. Ils ont une parfaite connaissance des lieux importants, des lieux qu’ils ont habités et qu’ils connaissent parfaitement l’endroit où sont enterrés leurs ancêtres. Une enquête réalisée en 1996 auprès d’étudiants fang en résidence à Lille, donne une idée assez étonnante de leur attachement au village ( 1314 ). D’après eux, le culte melan l’explique à lui seul. Leur deuxième argument est peut-être une extrapolation du culte melan : un homme ne peut mourir s’il n’a pas vu son fils une dernière fois pour lui demander d’habiter sa case. Le fils mettra un point d’honneur à respecter cette dernière volonté. Enfin, pour l’homme fang, une seule chose compte, son village. Les étudiants donnent comme preuve le nombre de cases d’habitations en dur, construites en ciment et parpaings : tout Fang qui commence à s’enrichir à la ville ne conçoit pas d’investir son argent autre part qu’au village, pour améliorer son propre confort mais aussi celui de ses parents qui y vivent continuellement, car la vraie richesse de l’homme fang, matérielle comme spirituelle, se trouve au village.

Sur cette base, les étudiants démontent quelques-uns des motifs envisagés par Martrou. Les cas de morts soudaines ou d’épidémie ravageuse, le village ne devait pas être abandonné sans tenter des remèdes. Les sages se devaient d’en appeler aux ancêtres, et pour cela devaient recueillir un maximum de crânes pour combattre cet esprit maléfique manipulé par des sorciers, d’où l’importance d’habiter près des tombes. Quitter le village aurait constitué d’abord comme un désaveu aux ancêtres, et une victoire des esprits malins qui, d’après les étudiants, auraient de toutes les façons poursuivi leur entreprise dévastatrice au-delà

du village, car les esprits s’attaquent aux hommes et non au village.

Outre la question agricole évacué avec la technique de jachère (ekoro), les informateurs ont récusé les cas de guerre. En premier lieu, les combats auxquels se livrent habituellement les Fang sont peu meurtriers. Dès qu’un camp déplore la mort d’un homme, la bataille est arrêtée et les négociations aussitôt entamées. Il est peu probable qu’un village soit perdu et donc que les villageois aient à s’implanter plus loin. De plus, selon nos informateurs, les guerres remontent aux temps immémoriaux, à l’époque où les Fangs habitaient l’Egypte. A l’exemple de cette invariable référence antique, il ne faut certainement pas prendre ces témoignages au premier degré car la notion de village est intimement liée à celle de famille, et de clan.

Au-delà de ces informations récentes, la taille de certains villages réduit encore le nomadisme des Ekang La présence de villages très importants dans l’arrière-pays, loin des zones de commerce, demeure assez peu compatible avec l’idée de populations en déplacements constants. En 1856, le village que visite Du Chaillu aurait huit cents mètres de long, nous sommes ici au Gabon. Les guides de Compiègne, Brazza puis Crampel évoquent la présence, au nord de l’Ogooué, (toujours au Gabon) de véritables agglomérations. En août 1889, Fourneau visite le village de Zouameyong, “ long de près de 1500 mètres, avec, en certains endroits, 3 à 4 rangées de cases parallèles. […] La région était très peuplée et couverte d’immenses plantations ”. Nous sommes ici au Sud du Cameroun. D’autres villages comportant plusieurs corps de garde sont également visités, dans le Woleu Ntem, le haut-Komo, l’Abanga, Yewondo, Milaaba. L’importance de ces villages laisse plutôt croire à des établissements durables ainsi qu’à l’existence de foyers de concentration humaine, sans doute liés à une activité de commerce traditionnel avec l’ouverture vers la mer (Kribi pour le Cameroun), rives de l’Ogooué et la Côte Nord pour le Gabon et le Congo, Kyosi pour la Guinée Equatoriale.

Loin de conclure à la sédentarité des Ekang, ces différents éléments viennent nuancer le point de vue largement défendu

sur leur nomadisme. Ils proposent, en toute prudence, d’allonger à au moins dix ans la durée moyenne d’un village. Mais avant tout, ils veulent montrer que les conditions de déplacements des groupes fang dans les années 1840 ne peuvent pas être prises comme modèle théorique pour l’histoire ancienne des Ekang et qu’il faut appréhender cette période avec d’autres schémas. Nous ne disposons d’assez de temps pour creuser plus ce sujet mais nous devons admettre que les Ekang sont restés très mobiles.

Je voudrais à présent aborder une autre facette de notre identité qui est la dote car responsable à plus d’un titre de famille, père et mère de filles et fils à marier dans un monde en pleine mutation, nous pouvons nous poser la question du bien fondé de cette pratique. Pour ce je laisse la parole ou les écrits aux brillantes recherches de mon collègue de l’université de Lille III en France, on pourrait aussi interroger la thèse de Henri Ngoa ou de celle de Mgr Jean-Baptiste Ama, Ngoa en sociologie et Ama

La dot

Sans revenir dans le détail sur le principe de la dot maintes fois décrit par les Occidentaux, il faut rappeler qu’un de ses aspects est, en quelque sorte, une indemnisation de la belle-famille pour la perte d’une femme, par sa qualité d’être humain et sa “ contribution ” à la vie, par ses qualités de “ maîtresse de maison ”, d’ouvrière agricole, et surtout de génitrice. Le montant d’une dot est difficile à estimer. Il est fixé suivant plusieurs facteurs qui dépendent des deux parties en relations. Toutefois l’aisance du prétendant, sa richesse, sa place dans la société augmenteront les prétentions de la belle-famille. Traditionnellement, les dots comprennent des objets courants d’équipement : vêtements, bijoux, outils, armes, animaux destinés à la consommation, et des barrettes de fer, les biki, dans lesquels quelques auteurs ont cru voir une monnaie. Balandier s’arrête sur ces biki pour ne retenir que l’aspect symbolique des dots. Certes le fer symbolise l’efficacité (outils) et la sécurité (armes), mais l’aspect matériel ne doit pas en être écarté. Très tôt, les produits occidentaux sont introduits dans la constitution des dots, soulignant la détermination des groupes à se mettre en relation avec les villages courtiers. De son voyage en 1856 dans le Haut-Mitemboni, Du Chaillu note le lien entre le commerce, notamment de l’ivoire, et les dots :

“ Il se passe souvent des années avant qu’un homme puisse acheter et épouser sa femme. Si le commerce avec le littoral allait mieux, l’affaire serait moins difficile à conclure ; mais le commerce “ étant pour eux ce qu’il y a de plus précieux au monde ”, ce sont toujours les denrées commerciales que l’on attend pour acheter les femmes. De là vient la bravoure des chasseurs ; car l’ivoire est un des principaux articles que l’on expédie à la côte ; […] il appartient à ceux qui ont tué [l’éléphant], sauf à donner une part du produit à leurs parents les plus proches. Les anneaux de cuivre, les perles blanches, et les plats de cuivre appelés neptunes, sont les meilleures valeurs qui aient cours chez les Fans pour l’achat d’une femme ”.

Inclus dans les dots, les verroteries, pacotilles, neptunes et fusils revêtent un caractère ambivalent dans la culture fang. D’un côté, ils permettent aux Fang, en mariant leurs filles à des courtiers, d’obtenir rapidement des richesses et de stabiliser par ces unions les groupes descendus à la côte. D’un autre côté, ils permettent à ces hommes d’aller chercher des femmes dans l’intérieur où l’accès à ces produits est moindre et favorisent leur introduction dans la culture matérielle des villages éloignés.

A mesure que ces produits pénètrent dans les groupes Ekang, ils alourdissent la composition des dots, les beaux-parents devenant de plus en plus avides de ces nouvelles richesses. Une comparaison chronologique donne un aperçu de l’évolution ( 1344 ). Léon Mba donne quelques exemples :

“ Nous savons que le taux de la dot pahouine n’est pas le même partout et que, depuis l’origine, celle-ci a subi d’importantes modifications. Les bioum (marchandises diverses ou autres biens) ci-après rentraient dans sa composition :

“ 1- Vers 1875 et auparavant : une ou deux pointes d’ivoire, deux ou trois cabris ou chèvres, trois ou quatre paniers de mikel (sagaies), aking-mindzoughe (petits couteaux pahouins), biki (petites barres de fer), et du sel indigène ;

“ 2- Vers 1900 jusqu’en 1918 : 30 fusils, 800 biki, 100 pagnes de traite, 300 aking-mindzoughe, 100 machettes, 20 barils de poudre, 10 boîtes de capsules, 10 sacs de sel, 60 coffres, 1 chapeau, 2 cabris ou chèvres, 30 touques, 100 mikel, 30 marmites et 30 assiettes ;

“ 3- Vers 1918 à 1922 à peu près comme ci-dessus, mais le biki et mikel étant embarrassants, et la poudre, les capsules et fusils introuvables, il y eut des dots, moitié en marchandises, moitié en argent ;

“ 4- A partir réellement de 1922, le numéraire a été offert en dot. Les taux adoptés ont été successivement de 500 francs, puis de 2500 francs et ensuite de 1500 francs. Des cadeaux en marchandises, telles que chemises, chapeaux, pantalons destinés au beau-père, pagnes, marmites, cruches (touques) destinés à la belle-mère et la chèvre traditionnelle, furent ajoutés à ces taux ”.

En poste à Libreville entre 1884 et 1885, Cornut-Gentille donne la composition d’une dot avec sa traduction numéraire :

“ Le prix des femmes est relativement plus élevé chez les Pahouins que dans les autres tribus gabonnaises. Voici la valeur d’une femme adulte, dans de bonnes conditions, ayant déjà eu un enfant, preuve qu’elle ne doit pas être stérile :

20 caisses ou coffres à 5 francs l’un 100 fr.

9 touques vides, de 10 à 15 francs 100

12 marmites, de 10 à 15 francs 150

10 sabres, de 2fr. 20

10 gros coutelas pahouins, à 5 fr. 50

20 coutelas moyens, à 2fr. 50 50

150 sagaies, à 0fr 50 70

6000 pièces de leur monnaie (bikir) 600

1 pilon en fer 20

40 assiettes 20

10 pots à eau 50

1 carafe 3

10 cuvettes 30

3 couvertures 40

20 pagnes 100

3 chemises 15

6 fusils 150

1 chapeau de feutre 5

6 moutons 150

2 barils de poudre 20

3 ceintures rouges 6

1 paletot 10

Total 1759 francs.

En 1907, Fourneau donne un autre exemple :

“ Combien coûte en moyenne une femme ? La dot se compose d’un grand nombre d’objets divers. Nous avons vu

payer : quinze fusils, cinquante coffres de trait, vingt-cinq barils de poudre, vingt-cinq marmites de fonte, vingt touques de grès, cent assiettes, cent matchettes, cinquante pagnes, deux moutons, deux cents couteaux pahouins, mille bikkis […] Le tout représentant bien une valeur de près de 1000 francs. Nous ne parlerons que pour mémoire des manilles, des bracelets de cuivre, des neptunes, des verroteries diverses qui viennent compléter le premier apport obligatoire. Constamment en outre, dans la suite, le mari devra venir en aide à ses beaux-parents ”. C’est en effet un autre aspect de la dot. Chaque événement est l’occasion pour la belle-famille de réclamer à son gendre le versement de marchandises, au titre de la dot. Ce qui donne les proverbes suivants : “ quand le panier se décroche de la tête, il tombe sur les épaules ”, et “ on ne finit jamais de doter une femme ”. D’autres listes confirment cette tendance inflationniste, qui s’accentue à partir des années 1940 avec les revenus du cacao.

Pour en savoir plus : Dulu bon be Afiri-Kari

De son côté, Ndong Nguéma affirme que les Nkodjeign descendent, non pas de Nke Nzame, mais de Ntoum Betsi “ car c’est lui qui est le père de celui par qui nous portons le nom dont tu parles. C’est Betsi Be Zoa qui a eu neuf enfants dont les noms suivent : Tono Besti qui forme le groupe des Eton ; Kola, celui des Ewondo ; Nna, celui des Bena ; Fon, celui des Fon ; Zame, celui des Zaman ; Fan, celui des Fan ; Mbulu, celui des Bulu ; Akak, celui des Okak ; Ntoum, celui des Ntoum [ou Ntumu]. Tous ces enfants ont eu une nombreuse progéniture. Toutefois, c’est Ntoum Betsi le dernier qui nous intéresse ici car c’est lui qui est à l’origine de notre nom ” ( 1386 ).

La valeur de ce dernier récit est loin de satisfaire l’histoire. La généalogie qu’il décline est celle qui a été avancée dans une légende, Dulu Bon Be Afiri Kara, écrite par Ondua Engute ( 1387 ). D’après Alexandre, qui qualifie la légende de “ Pseudo-tradition ” ( 1388 ), Ondua Engute n’aurait fait que transcrire une légende formée après la première guerre mondiale et diffusée par l’action des missionnaires au Sud-Cameroun, débordant vers le Nord-Gabon ( 1389 ). Sa publication aurait amplifié son inscription dans la mémoire collective. Deschamps la rencontre lors de son enquête sur les traditions orales du Gabon. Selon lui, Ondua Engute l’aurait écrite dès 1948, soit dans le contexte très particulier de rapprochement des clans fang “ Alar Ayong ”, évoqué plus haut. Il note combien “ cette légende paraît des plus suspecte : elle décèle un esprit de système consistant à rattacher tous les Pahouins, ceux du Cameroun comme les Fang, à un ancêtre et à expliquer la formation des différents groupes par l’existence d’un nombre de fils correspondant ; le rapprochement entre Afiri-Kara et Afrika indique évidemment une origine scolaire récente ; on pourrait presque en déduire que le nom d’Afiri-Kara a été forgé exprès ” ( 1390 ).

Selon la légende, Afiri Kara serait le descendant de Noé. Il apparaît dans l’ “ histoire ” des “ Pahouins ” au moment où ceux-ci fuyant le nord, décident de traverser la Sanaga pour pénétrer dans la forêt. Il serait le père de toutes les composantes du groupe Pahouin, les Ntumu, les Ewondo, les Bulu, etc. La volonté explicite de réunir en un ancêtre unique les “ Pahouins ” confirme les ambitions politiques de ce texte.

Malheureusement, légende d’Afiri Kara est aujourd’hui considérée comme une source historique incontestable pour beaucoup de Fang qui, par ailleurs, en oublient les véritables généalogies ( 1391 ). Ainsi, interrogé sur l’histoire des Fang telle qu’il l’avait apprise, Abel Nguéma, notre informateur, s’est tourné vers la légende d’Afiri Kara. Quant à son histoire “ traditionnelle ”, très vite coupé de ses racines, il n’est pas capable de formuler une longue généalogie. Seulement six noms lui sont connus : Nguéma (lui-même, né en 1939) ; Menye, son père, dont l’âge reste inconnu. Il retient toutefois que Menye, pendant la première guerre mondiale, allait puiser de l’eau pour les Allemands. Puis vient Zue, son grand-père, qui a vécu dans un très grand village, qu’il a lui-même fondé, d’environ un kilomètre de long. Son arrière-grand-père s’appelait Nguéma ; puis viennent Azeme, Ebozo’o et Zue. Il semble qu’Azeme soit le fondateur du lignage, puisque celui-ci s’appelle Mvog Azeme Mba.

Peut-être est-ce de cette époque que date la scission avec les Nkodjeign d’Oyem. En effet, à la suite de disputes internes graves, puisqu’elles ont entraîné la mort d’hommes, la branche Azeme Mba a migré vers le nord, dans la région de Bitam. Menye a longtemps vécu dans un village situé en brousse à l’est de Bitam avant de s’installer à Meyo, sur la route de Minvoul ( 1392 ). Il est impossible d’avoir plus de précisions sur l’origine de la scission, ni sur une éventuelle date d’installation à Meyo.

On retrouve la légende d’Afiri Kara dans le récit donné en 1982 par Adèle Mbeng Allogo, née vers 1925, du lignage Nkodjeign, du village d’Ewot-Mekoa, près d’Oyem ( 1393 ). Pour l’informatrice, l’origine des Fang remonte à la Mer Rouge. La descendance d’Afiri Kara a donné les Bulu au Cameroun. Au Gabon, les clans se sont dispersés comme suit : les Ntumu à Bitam, les Mveign à Minvoul, les Nzaman à Minkebe, les Okak à Oyem et en Guinée équatoriale, les Betsi à Ndjolé et Lambaréné, et les Meke me Nkona dans l’Estuaire.

Le corps de garde ou abá reproduit en milieu urbain (Source : Bingono Meba E.-N., Libreville 2004).