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1 DOSSIER PÉDAGOGIQUE

DOSSIER PÉDAGOGIQUE · 2017-03-18 · Paraphrasant l’incipit de Marcel Proust dans La Recherche du temps perdu, ... ainsi le batteur à œufs qui devient hélicoptère, la boite

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D O S S I E R P É D A G O G I Q U E

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Présentation du programme de courts métragespour jeune public

LES PETITS GÉANTSPar Carole Wrona

7 films d’animation54 minutesà partir de 6 ans

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A HAUTEUR DE REGARD

« Parce que j’ai la taille de ce que je vois / Et non, la taille de ma stature. » Fernando Pessoa

Paraphrasant l’incipit de Marcel Proust dans La Recherche du temps perdu, « Longtemps, je me

suis couché de bonne heure », un « Longtemps, je me suis réveillé(e) petit(e) » pourrait servir à

exprimer ce qui tracasse les enfants (ou les renards, ainsi Le Renard minuscule) à travers leur

rapport au monde : la taille. La comparaison d’un objet avec un autre objet, d’un être avec un autre

être, parle de l’échelle, des échelles, de la dimension, parle ainsi de la place que nous occupons

certes (petite ou grande, discrète ou encombrante) mais aussi de celle que nous devons conquérir.

Car les histoires de taille sont également des histoires de conquête (se surpasser) et des histoires

de tolérance (accepter l’autre avec sa différence).

Du terrifiant (le château immense dans Le Château des Autres) au mignon, ainsi se jouent les

sensations qui entourent ce qui est grand, ce qui est petit. Mais ce qui est immense n’est peut-

être pas aussi rusé que ce qui est jugé fragile (les œufs dans Freilandeier), innocent (Petite Neige

dans Nain Géant) ou ridicule (la souris dans La Queue de la souris, le petit singe dans La Loi du plus fort). La taille ne dit jamais à qui on a réellement affaire - la preuve avec cet éléphant

qui pense que l’immense affiche respecte scrupuleusement la taille du vélo représenté (Le Vélo de l’éléphant) ou avec ce lion qui est intimement persuadé qu’il aura le fin mot de l’histoire (La Queue de la souris). Alice chez Lewis Carroll, Gulliver chez Jonathan Swift l’avaient bel et bien saisi.

L’homme qui rétrécit (Jack Arnold, 1957) l’avait lui aussi méchamment compris. Mais les humains

associent sans vergogne et facilement le grand à la force et à la puissance, le petit à la fragilité et

à l’incapacité. Ainsi mythes, contes et fables ont avec les Titans, les Géants, les ogres, les dragons,

les Petits Poucets, les Poucettes, les rats, les lions, travaillé la taille dans ce monde aux dimensions

impressionnantes et minuscules, ils ont comblé la petitesse par une intelligence affutée et retirer

à la force physique, la force morale.

Le cinéma, et d’animation qui plus est, lieu des métamorphoses par excellence, s’est plu à

interpréter les Alice et les Gulliver de notre patrimoine littéraire pour proposer un univers taillé

à la mesure de l’image. Il découpe le corps, le rétrécit, l’agrandit, fait de lui un monstre sacré où

illusions, anamorphoses, jeux sur le proche et le lointain, changements d’échelles, tromperies,

émerveillent et terrifient tour à tour.

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FREILANDEIER DE DANIEL FAIGLE

ALLEMAGNE - 2007 -COULEUR - 10’20

Sur la table du petit déjeuner, un œuf tombe sous le charme d’un autre œuf mais doit de suite faire face à des éléments perturbateurs qui empêchent leur amour de s’accomplir.

DES ŒUFS EN LIBERTÉ

Freilandeier, que nous pourrions traduire par « des œufs de poule en liberté », est un film réalisé

par Daniel Faigle dans le cadre d’une thèse à la Hochschule der Medien (Stuttgart). Ce film à

budget minimal et avec une équipe fort réduite (Daniel Faigle est tour à tour scénariste, réalisateur,

cadreur, compositeur…) met en scène des aliments et des objets issus de notre quotidien, œufs,

sucre, salière, couteaux, etc., dans une histoire romantique et loufoque. L’animation en volume

dite encore stop-motion permet ainsi de souffler la vie à des ustensiles, d’animer (du latin anima,

âme) des choses qui à première vue n’ont de sens, de fonction que par rapport à l’activité humaine.

Daniel Faigle a réalisé d’autres petits films en stop-motion dont Obst im Kino où une tomate, un

oignon mais aussi un œuf (l’héroïne de Freilandeier) assistent à une séance de cinéma. Il reprend

d’ailleurs souvent le même lieu : l’appartement avec son canapé vert reconnaissable d’emblée.

Aucune parole n’est prononcée dans Freilandeier, seuls la musique, des effets sonores et du

bruitage viennent soutenir et ponctuer le récit. Ils permettent de jouer la gamme des sentiments,

de faire comprendre ce qu’il se passe exactement, de rendre audible les mouvements (bonnet qui

se soulève par exemple) ou de matérialiser les pas de l’œuf au féminin lorsqu’il quitte la table et part

chercher du secours. Ils assurent au spectateur la croyance en cette histoire drôle et inattendue.

PERSONNALISER UN ŒUF Que se passe-t-il donc sur la table du petit déjeuner quand l’homme et la femme ne sont pas là ? Une

aventure rocambolesque où les aliments et autres ustensiles se comportent finalement comme

des êtres humains avec passion, inquiétude, angoisse, stress, et où les choses sont détournées

de leur fonction initiale : ainsi le batteur à œufs qui devient hélicoptère, la boite alvéolée convertie

en voiture ou la salière qui se transforme en gardien de l’ordre grâce à l’ajout d’un cure-dent… La

rêverie fonctionne et offre une autre modalité et une autre personnalité aux objets du quotidien.

L’œuf a déjà inspiré de par sa fragilité et ses possibles devenirs (œuf dur, œuf mollet, omelette,

œuf mimosa,…) les alchimistes (l’œuf représente à la fois la création de l’univers et la transmutation

des métaux, il est la totalité du macrocosme mais à l’échelle du microcosme…), des sujets de

comptines (Humpty Dumpty que reprendra Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles)

ou des cinéastes en animation  : Paul Driessen dans le très noir Assassinat d’un œuf (1974) ou

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Ub Iwerks dans le génial Faces d’œuf (1935). Sa forme, un ovale délicat, sa coquille qui peut se

briser à tout moment, font de l’œuf le partenaire privilégié d’histoires où la ténacité, la patience, la

débrouillardise, l’emportent. Le spectateur projette sur les œufs ses appréhensions, la fêlure puis

la cassure pouvant survenir n’importe quand et le récit être susceptible de s’interrompre net avec

l’œuf brisé. Daniel Faigle réussit le tour de force de personnaliser ses œufs  : l’héroïne avec son

bonnet péruvien dont les deux cache-oreilles en forme de tresses lui donnent une allure féminine

(un bonnet qui possède des pouvoirs dont celui de faire parachute et grelot), le héros avec son

bonnet en forme de poule, l’œuf de Pâques, l’œuf découpé,… Notre héroïne a également une

particularité essentielle pour assurer l’identification : sa coquille n’est pas blanche mais constellée

de taches de rousseur, celles-ci placées de telle sorte que le spectateur a l’impression de voir des

yeux. Le réalisateur s’amuse aussi du cinématographique, de la surimpression, pour donner de

la mémoire aux œufs, ainsi ce plan où l’héroïne qui fuit se souvient de son œuf amoureux ou cet

autre plan où elle découvre la boite d’œufs vide lui rappelant alors un temps béni où ils étaient six

et bien en forme, et pas encore omelette, ni œufs durs. Daniel Faigle conte alors l’évasion vers la

liberté d’une bande d’œufs menés par « une » œuf intrépide et amoureuse. Il s’amuse des genres

cinématographiques pour mettre en scène ce road-movie palpitant.

DES GENRESSur la table d’un petit-déjeuner, des œufs posés sur leur coquetier tombent amoureux. Cette

rencontre filmée à hauteur d’œufs se fait par le prisme d’une cafetière qui se vide soudainement

et laisse apparaître l’héroïne du récit. L’œuf au masculin découvre son pendant de l’autre côté

du café. Cette délicate apparition digne d’une comédie romantique est sublimée par l’utilisation

d’un flou qui dit l’émotion de trouver l’autre et rendue craquante par le comportement de l’œuf

au féminin (il se cache timidement sous ses tresses). Le champ contre champ avec amorce des

œufs dans chaque plan dit alors que ces deux-là sont faits l’un pour l’autre. Coup de foudre. Mais

c’est sans compter sur les objets (couteau, salière, sucre) qui vont s’opposer à cet amour naissant.

De comédie romantique, le film chute littéralement dans la course-poursuite et l’héroïne digne

d’une Sandra Bullock dans Speed va tout faire pour sauver son aimé. Elle part à la recherche des

quatre compagnons de sa boite d’œufs et forme ainsi une équipe, comme dans un film de guerre.

L’œuf de Pâques apporte sa part américaine, lasso, lapin pris pour un cheval, et Freilandeier joue

des codes du western (avec le duel) puis de ceux de la comédie musicale style Broadway pour

joyeusement finir.

LA MARGUERITELa fleur offerte qui ouvre et clôt le récit est une marguerite : image autrement plus poétique de

l’intérieur d’un œuf, son cœur ; jaune et blanc.

PRIX- Prix du public Contravision- Festival 2006 à Berlin (Allemagne)

- Prix du public Festival de film de court métrage de la grande école des médias Stuttgart (Allemagne)

- Prix du public Independent Days 2007 in Karlsruhe (Allemagne)

- Prix du jury à FiSH Rostock en 2007 (Allemagne)

- Moineau d’or dans la catégorie l’animation en 2007 à Erfurt (Allemagne).

BIOGRAPHIEDaniel Faigle est né 1979 à Stuttgart. Il a étudié à l’Université des Médias de Stuttgart de 2001-2006.

Il travaille maintenant en tant que cameraman indépendant et comme animateur à Cologne.

Ici les films de Daniel Faigle : https://vimeo.com/user21315771/videos

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LE CHÂTEAU DES AUTRES DE PIERRE-LUC GRANJON

FRANCE - 2004 - COULEUR - 5’55

Une visite scolaire a lieu dans un château. Un des élèves perd sa classe et redessine les lieux à la mesure de sa peur grandissante.

HAUTEMENT HANTÉ

Dans ses courts métrages, Pierre-Luc Granjon présente la peur avec finesse en insistant bien sur

l’aspect passager de cette émotion  : quelques instants suffisent, une vision éphémère ou une

rêverie soudaine, pour déclencher ce sentiment. Le réalisateur aime à utiliser des figures mythiques

comme le loup ou le sorcier mais également des lieux, la forêt, le château, qu’il faut traverser. Il

aime aussi regarder ce monde tour à tour terrifiant, fantastique et merveilleux, par les yeux d’un

enfant, toujours un peu perdu, rêveur et forcément curieux.

Animé en pâte à modeler, Le Château des Autres met en scène un petit garçon plutôt discret (il

ne participe pas au chahut dans le car, semble différent de ses copains turbulents) et vraiment

distrait (il perd très vite ses camarades dans la première salle du château). Sa bonne tête toute

ronde apparait dès le deuxième plan, il regarde le paysage dans ce car qui prend joyeusement

les virages. Aucune parole ne sera prononcée. Des rires, des murmures, des éclats, du bruitage

et une musique, servent à saisir les émotions (joie, excitation, étonnement, peur,…) qui filent tout

au long du film. La première apparition du château, un plan d’ensemble avec arrivée du car sur le

parking et l’immense monument désespérément seul derrière, révèle un bâtiment haut, très haut,

et aussi haut que les montagnes en fond. L’association château-montagne est évidente pour qui

voit les crêtes et les pics ressembler aux tours. Mais ce plan joue de la taille car il faut un autre plan,

une plongée du car se stationnant devant le château à côté de la maison minuscule du gardien

pour saisir la grandeur du monument, l’immensité. Le spectateur ne saura rien de ce lieu : famille,

histoire, bataille, construction. Avant de descendre faire la visite, la maitresse doit certainement

expliquer à sa classe ce qu’elle va découvrir mais le réalisateur fait le choix de nous taire ses

explications. Le plus important n’est pas le savoir mais le voir.

PÉNÉTRER DANS SA PEURLa classe pénètre d’abord dans un noir. La haute porte, déjà ouverte, ne révèle rien de l’intérieur. Il

faut être dedans pour voir. Pris en plongée, les élèves s’avancent silencieux dans ce noir qui leur

fait quitter la lumière du jour pour une autre lumière. L’avancée dans la première salle ronde révèle

des statues posées dans des niches. Sur fond rouge, intense, l’une d’entre elles attire le héros et

un face à face (champ/contre-champ) laisse l’enfant surpris : la statue a fait un geste. Comme un

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reflet, elle a pris la pose de l’enfant, une main sur le menton. Le garçonnet est bien le seul à voir

ce mouvement car il est seul dans la salle, ses camarades ont filé. Cette visite est ainsi un appel

à la rêverie. A l’instar du train fantôme ou du château hanté des fêtes foraines, chaque pièce de

couleur différente va donc être de plus en plus impressionnante. La tension monte. Et elle monte

littéralement par l’emploi des escaliers qui vont d’une salle à l’autre.

Le château semble être comme taillé dans la pierre, sorti de terre. Il y a quelque chose de troglodyte

dans l’aspect des pièces qui renforce l’idée que le garçonnet n’a pas simplement pénétré dans un

lieu mais aussi dans un espace mouvant, changeant. Les ombres projetées par moment animent

l’immobilité des statuettes. Un espace qui respire et qui finalement est soutenu par des regards,

toutes ces statues, humaines, animales, qui parsèment le parcours. Un peu comme le château

inquiétant et merveilleux, celui rêvé par Jean Cocteau dans La Belle et la Bête. L’enfant n’est pas

seul. Il y a toujours une présence, quelque chose qui est là. Le garçon est soutenu par des têtes,

des corps, des yeux. Et les rires de ses camarades le poussent à continuer sa route, ou plutôt à

poursuivre ces éclats de rires qui s’emmêlent très vite avec la musique. L’enfant, impressionné,

projette sur le décor environnant des images effrayantes, et ces quelques images rappellent sans

équivoque le style visuel de Tim Burton (Vincent, 1982). Ses copains se métamorphosent car le

rire déforme les visages, agrandit la bouche qui devient blessure ironique. Cheveux, oreilles, coins

des lèvres, dents, tout devient pointe, pique moqueuse. L’enfant est agressé, tant au niveau visuel

qu’au niveau sonore. Il semble au spectateur que le château est vorace, qu’il dévore, transforme,

bouleverse et que le traverser, c’est bien traverser toutes ses peurs et ses angoisses. Il faut au

héros chuter alors pour calmer sa peur mais les têtes qui défilent sont à la fois celles de ses

camarades et celles entraperçues dans le château. C’est la maitresse qui le remet sur pied. Mais

très vite et encore, il la perd, volontairement cette fois, dans un couloir étrange, organique, un

boyau, un intérieur. Il sort en passant par un péristyle où des colonnes antiques paraissent bien

déplacées dans ce lieu façonné avec la terre même.

Cette sortie n’est qu’une halte et l’insistance du gardien, la confiance que l’enfant met alors en lui,

lui donne la force de repartir affronter le château des autres.

PRIX- Prix SACD et CST au concours de projet du Festival International d’Annecy 2002

- En sélection officielle dans les festivals suivants : Travelling Rennes, Festival international du

film d’animation d’Annecy, Anima Mundi (Brésil), Sicaf (Corée du Sud), Hiroshima (Japon), Krok

Kiev (Ukraine), Cinanima Espinho (Portugal), HAFF (Pays-Bas), Casteli (Italie), Berlinale Berlin

(Allemagne)... (entre 2004 et 2006)

BIOGRAPHIENé en 1973, Pierre-Luc Granjon est diplômé de l’École d’art appliqué de la ville de Lyon et

d’emblée se tourne vers la décoration, la sculpture et le modelage. Il signe ensuite à Folimage

plusieurs courts métrages avec de la pâte à modeler, du papier découpé, des courts remarqués

et appréciés : Petite escapade, L’Enfant sans bouche, Le Loup blanc, L’Hiver de Léon, Le Printemps de

Mélie ou L’Eté de Boniface.

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LE VÉLO DE L’ÉLÉPHANT D’OLESYA SHCHUKINA

FRANCE - 2014 - COULEUR - 9’

Après sa journée de travail, un éléphant voit un grand vélo représenté sur une grande affiche. Il rêve de l’acquérir et de faire de longues balades. Mais la réalité est toute autre.

UN ÉLÉPHANT, ÇA SE TROMPE AUSSI…

Olesya Shchukina a réalisé d’autres courts métrages en papier découpé avant Le Vélo de l’éléphant en 2014. Des courts inspirés par l’enfance et le problème de la taille : dans Les Talons rouges, le monde est vu par les yeux d’une fillette qui aimerait justement voir autre chose que les

jambes des adultes et celles de sa mère, dans Mon petit hamster, une fillette espère que son

minuscule rongeur va grandir (deux mètres au moins) à son prochain anniversaire. L’utilisation du

papier découpé permet de jouer avec les à-plats, de faire des anamorphoses. Le dessin de la

réalisatrice, naïf, simple, coloré, jouant avec la perspective, assure alors de mieux rentrer dans ce

monde enfantin, hésitant et maladroit, tout en finesse.

UN ÉLÉPHANT DANS UNE VITRINE DE PORCELAINEAucune parole dans Le Vélo de l’éléphant : la musique seule introduit, emporte, ponctue le récit

sans jamais rendre fastidieuse la compréhension de l’histoire. Dès les premières images, une rue,

des façades d’immeubles et de maisons, un arrêt de bus, un trottoir, deux lampadaires, posent

le décor. Le jour se lève, les lampadaires s’éteignent, et un promeneur passe avec son chien qui

se soulage, un autre personnage jette sur le trottoir un papier, un autre sort une poubelle. La rue

se remplit : voitures, êtres humains, mais aussi conséquence de leur passage : résidus, déchets,

excréments. La musique sonne un petit gong et la plus grande maison (jaune) au centre s’ouvre

comme un livre d’images. Un bout d’éléphant apparaît. L’étonnement est entier. La façade se

referme brusquement, une voiture passe qui éclabousse la maison jaune. Hallucination  ? Non,

l’éléphant se montre alors. Le plan d’ensemble plante le décor (la rue) et s’amuse de l’intrusion

d’un éléphant dans un monde humain et civilisé. Il permet de saisir la taille de l’éléphant dans cette

rue qui, par la présence même du pachyderme, est miniaturisée. Les dimensions changent dès

lors qu’un être immense ou minuscule entre dans l’image. La taille de l’image, la taille des choses,

la taille du plan, assurent de jouer des illusions. Ce plan d’ensemble est suivi d’un plan rapproché

qui va d’emblée permettre au spectateur de s’identifier, de suivre les émotions de l’animal, bref de

s’intéresser à l’éléphant et non aux êtres humains qui fourmillent autour de lui. Le héros du film ?

C’est l’animal qui survit dans une ville en ayant une fonction bien précise : il nettoie tout, du sol aux

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toits. Et personne n’est étonné par sa présence, une présence unique. Les hommes courent dans

tous les sens, pressés, et lui, il les domine. La musique à ce moment-là est emphatique et sublime

des gestes d’une grossière banalité : ramasser les poubelles, laver à jets d’eau la rue,… L’éléphant

acquiert par la musique et sa position dans l’image une fonction supplémentaire : il est un héros,

le héros de la propreté. Il lave, essuie, range, ramasse, sa trompe sert d’arrosoir et sa hauteur lui

permet d’atteindre les toits, sa force lui assure de soulever une voiture pour balayer dessous. En fin

de journée, il reçoit sa paie et file s’acheter des bananes qu’il mange la nuit venue.

Sa grandeur, sa grosseur, sa lourdeur, s’opposent à la frénésie de mouvements des êtres humains,

leur petitesse. L’éléphant est réputé lent et maladroit, il est ici efficace et habile. Il n’abime rien,

n’écrase rien.

FORMAT, DIMENSION, ÉCHELLE : ILLUSIONL’autre personnage du film est petit : la fillette. Elle apparait près de l’échoppe à fruits et légumes.

Elle regarde l’éléphant et elle seule semble étonnée. Un second plan écrase l’enfant et confronte

la taille des deux protagonistes : la vue en plongée, depuis la tête de l’éléphant, permet de voir

simplement des ronds à terre, la robe de la mère et la tête qui dépasse, la tête minuscule de la

fillette, les yeux très grands ouverts. C’est alors que dans ce monde trop petit pour l’animal (le

banc public s’affaisse sous son poids, il est aussi grand que les arbres autour de lui) un immense

panneau publicitaire va jeter de la poudre aux yeux de l’éléphant. Ce dernier va littéralement

tomber dans le panneau, c’est-à-dire se tromper en se projetant dans la taille immense du vélo

affiché. Pour d’emblée bien faire saisir ce leurre, la réalisatrice use de plans très rapprochés, des

inserts, sur les roues, le guidon, l’éléphant ne le voit donc pas en entier. Le vélo est vraiment grand.

Suit une rêverie délicieuse où le pachyderme sort de la ville pour « bicycletiser » sur des routes de

campagne, la trompe au vent, heureux, libre. La réalité cependant le cogne violemment : le vélo

a un prix, 9999. Il lui faudra grandement économiser pour ainsi pouvoir s’acheter l’objet désiré. La

deuxième confrontation à la réalité se fait plus tard par la révélation de la taille de l’objet : un jouet

d’enfants. La publicité est bien mensongère. L’éléphant qui, après une énorme dépression mise

en scène (la ville est plongée dans les détritus et les humains vont devoir pousser l’éléphant à

reprendre ses activités) finit par offrir le petit vélo à la petite fille. Juste retour de taille.

PRIXLe Vélo de l’éléphant a été récompensé dans plusieurs pays à travers le monde…

- Prix du meilleur film d’animation, Festival du Premier Court Métrage de Pontault-Combault 2014 (France)

- Best international short film, Animation Film Festival of Dublin 2014 (Irlande)

- Meilleur court métrage jeune public, Festival Anima de Bruxelles 2015 (Belgique)

- Prix du public, Monstra Festival (Monstrinha - cat. 7 à 12 ans), Lisboa 2015 (Portugal)

BIOGRAPHIEOlesya Shchukina est née à Saint-Pétersbourg, elle a fait ses études à l’Université d’état en animation

(toujours à Saint-Pétersbourg) avant de poursuivre en France à l’école de la Poudrière. Elle travaille

au studio Folimage où elle a réalisé plusieurs courts métrages voire très courts métrages, toujours

en papier découpé, Mal de terre (2012), Les Talons rouges (2011) ou Mon Petit hamster (2011).

Ici les films d’Olesya Shchukina : https://vimeo.com/user493193

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LE RENARD MINUSCULE DE SYLWIA SZKILADZ ET ALINE QUERTAIN

FRANCE, SUISSE, BELGIQUE - 2016 - COULEUR - 8’

Une petite fille capricieuse s’amuse avec des graines magiques et découvre une nature aux dimensions décalées.

ANNETTE ET LES HARICOTS MAGIQUES

Le spectateur ne peut s’empêcher de penser au conte anglais, Jacques et le Haricot magique, en voyant Le Renard minuscule, réalisé en papier découpé. D’une petite graine sort un arbre

démesuré qui apporte la richesse mais aussi les ennuis. Il en va de même ici où le jeu (planter des

graines et voir pousser la nature autrement) se transforme en cauchemar.

GRANDIR IMPÉRATIVEMENTLe titre du film pointe du doigt un animal rusé qui avec cet adjectif accolé, «  minuscule  », va

nous apparaître pendant une partie du film comme bien ridicule, voire mignon. Le premier plan

dit d’emblée le problème majeur de l’animal, son complexe  : il est trop petit. Un papillon posé

sur une feuille regarde des pierres s’amonceler toutes seules. Un renard entre dans le champ,

grimpe tant bien que mal sur ce rocher de fortune et il est réellement minuscule : le papillon a la

même taille que lui, les feuilles sont gigantesques à son côté. Lorsque le papillon part à tire d’aile

et que l’animal saute pour tenter de l’attraper, la chute est ridicule. Si ridicule que pour accentuer

cette humiliation, un air siffloté (que reprendra la petite fille quelques instants plus tard) très léger,

moqueur, retentit. Et le titre tombe en même temps que le renard finit de chuter (le bruit nous

le fait comprendre). Ce traitement de l’apparition du renard comparé à un insecte et finalement

incapable de rester dans l’image (trop petit pour entrer dedans) accuse vraiment la petitesse. La

suite s’amuse de la taille de l’animal en le comparant encore à un insecte, une coccinelle, mais

joue aussi sur la vitesse : le renard parait encore plus petit à cause de son agitation, de sa nervosité,

alors que les insectes se déplacent très lentement. Comme les échelles de plan sont trompeuses

(« un cafard en gros plan paraitra toujours plus monstrueux qu’un troupeau d’éléphants » aimait à

dire le cinéaste russe Eisenstein), les réalisatrices vont jouer du gros plan, du plan d’ensemble et

mettre au même niveau grâce à un mouvement ascendant (le renard suit des yeux une coccinelle

qui monte et dévoile une vue sur une minuscule maison) le renard, la coccinelle et la maison d’où

sort une minuscule fillette. L’animal et l’humain sont de taille identique grâce au jeu du proche

et du lointain. Cette idée fait penser à un court animé, Les Singes qui voulaient attraper la lune

(Zhou Qekin, 1981), qui rappelle ce conte fort célèbre, La Petite princesse qui voulait la lune  :

l’enfant tombe malade car elle veut posséder la lune qu’elle voit, si belle, la nuit. L’Astronome et le

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Roi ont beau lui expliquer qu’elle ne peut pas posséder la lune car elle est immense, la Princesse

continue à désirer. Il faudra le Fou pour éclairer ce capricieux désespoir : la princesse voit la lune

comme elle est, de là où elle est ; petite, tenant dans le creux de sa main.

Annette sort de la maison et ses cheveux sont roux (mis en valeur par le bleu). Elle s’associe par le

port de cette couleur au roux du renard. Ils sont destinés à se rencontrer. La première confrontation

de taille entre la fille et le renard se fait par l’intermédiaire du potager : des poireaux plantés, le

renard planté là aussi et les jambes d’Annette. Le renard est écrasé. Il sera vite humilié lorsque

l’enfant va le découvrir : il a la taille d’un jouet, il tient dans une poche, dans le creux de la main.

L’idée de laisser le renard s’enterrer est fort amusante, seule sa queue dépasse. Dans ce potager,

cette queue orange fait penser bien sûr à une carotte. Annette cueille son renard. Amoureuse de

son renard, elle lui offre sa barrette bleue en forme de papillon, elle fait même son portrait, des

dessins tapissent sa chambre de fillette. Il est une peluche, un être ridiculement petit, que l’enfant

peut dominer, s’approprier, malmener, dorloter. Il suscite le caprice. Mais le renard n’est pas si bête

que cela, il est rusé. Il a saisi le pouvoir des haricots magiques : faire grandir.

De la lampe d’Aladin sort un Génie, d’un insignifiant haricot sort un arbre gigantesque, le petit,

souvent, cache des forces imprévisibles et immenses. Il recèle un trésor. Lorsqu’Annette découvre

les fourmis portant des haricots brillants, elle s’extasie et les vole comme une pie. Les haricots

seuls ne sont rien, il faut arroser et la surprise, alors, est de taille. Forcément l’enfant après avoir

découvert que même un objet (sa barrette) peut pousser, jette ses bottes et tous ses jouets

pour voir jusqu’où cela peut aller, jusqu’à quelle hauteur. C’est la pluie, torrentielle, qui arrose le

monticule de terre et de choses. En trois mouvements, le spectateur a saisi que ce petit tas de

rien est devenu grandiose. L’orage annonce ainsi la menace à venir et il faut toujours une nuit

pour nous surprendre au matin. Annette crée ainsi sans le vouloir un monstre, ou bien plutôt un

ventre démesuré qui digère. Le renard, lui, obsédé toujours par sa petite taille a volé un haricot

magique et il se fait grandir. La métamorphose est sublimée  : l’animal est gigantesque dans ce

plan où les arbres ne sont même plus à la hauteur. Un papillon passe, et passe entre ses pattes.

Le renard a trouvé sa splendeur. Annette, inquiète, part à sa recherche, finit dans la gueule de

son méchant caprice comme Jonas dans la baleine. Elle est secourue par le grand renard et ils

renaissent chacun à leur tour, à leur taille, à leur dimension.

PRIXEn sélection officielle dans divers festivals dont : Festival Anima Bruxelles 2016 (Belgique), Berlinale

2016, Festival du film de Berlin (Allemagne), Festival Regard sur le court métrage au Saguenay,

Chicoutimi 2016 (Canada), TIFF Kids international Film Festival of Toronto 2016 (Canada), Festival Plein

la bobine 2016, La Bourboule (France), Mar del Plata International Film Festival 2016 (Argentine)…

BIOGRAPHIELa Belge Aline Quertain (née en 1989) a fait l’école des arts visuels option animation. Elle utilise le

papier découpé et aime à intégrer ses inventions visuelles avec le réel dans ses courts métrages.

Elle co-réalise avec la Polonaise Sylwia Szkiladz (qui a également réalisé des petits courts en

papier animé comme La Soupe aux fraises) Le Renard minuscule dans le cadre de la résidence

Jeune Public au Studio Folimage à Valence (France).

Ici les films d’Aline Quertain : http://www.alinequertain.com/films_animated.html

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NAIN GÉANT DE FABIENNE GIEZENDANNER

SUISSE, FRANCE - 2014 - COULEUR - 11’27

Petite Neige, une jeune inuit, cherche à capturer un oiseau des profondeurs pour, selon la tradition, passer dans le monde des grands.

IL SUFFIRA D’UNE PLUME…

Nain Géant est le premier film de Fabienne Giezendanner réalisé en animation 2D par ordinateur.

La scénariste de séries animées spécifie que « C’est un conte initiatique inventé, mais pétri de

culture Inuit, qui traditionnellement accorde beaucoup d’importance aux rites de passage. Dans

les graphismes et la musique aussi, on s’est inspirés de la culture Inuit. »

CULTURE INUITLe rite de passage est le sujet même du récit. Se confronter et soutenir ses peurs ou traverser

un espace entre ciel et banquise pour mieux s’ancrer dans le monde. L’audacieuse Petite Neige

déjoue les épreuves  : attraper un oiseau des profondeurs (posséder ainsi la légèreté et saisir

l’étonnant passage qui va de l’eau au ciel, du poisson à la lune, diraient les Chinois), contrecarrer la

férocité du Nain Géant (faire face à la terreur), ne pas tomber dans la gueule du cachalot. Elle se

relève toujours, et toujours plus forte. Les Inuits sont persuadés que tout être possède une âme

et que cette âme perdure au-delà de la mort. Cet esprit revient hanter les vivants pour soutenir

ou se venger. Ainsi les oiseaux massacrés par le Nain Géant qui hantent l’image et aident Petite

Neige. Il n’y a en revanche pas de dieux chez les Inuits mais des êtres foncièrement méchants,

vengeurs, capricieux. Ainsi le Nain Géant, invention de la réalisatrice, est-il inspiré de ces monstres

antipathiques et violents. Le titre du film est écrit en Inuktitut, un syllabaire (et non un alphabet), un

des quatre ensembles dialectaux de la langue inuit.

L’univers visuel est d’une illustratrice suisse, Albertine Zullo. Fabienne Giezendanner de préciser

alors  : « J’ai voulu que les dessins rappellent l’art inuit, qui traditionnellement utilise beaucoup

de pochoirs et d’aplats. Ainsi, il n’y a pas de perspective marquée, pas de champ/contrechamp,

on a utilisé très peu de couleurs, seulement quatre, et peu d’effets de matière. La réalisation est

très artisanale, tout est fait à la main. » Une épure maximale pour resserrer le récit sur cette fille

minuscule aux longues tresses courant sur une gigantesque banquise. La neige, le ciel cotonneux

légèrement rosé, mettent en évidence les couleurs automnales de l’enfant (marron, jaune, rouge)

qui rappellent le plumage de l’oiseau des profondeurs ou oiseau marin, marron, rouge (et du vert

pour souligner le long cou). Le Nain Géant, lui, tranche par le choix de couleurs vives, rouge, vert,

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une bouche carnassière, et deux plumes au-dessus de sa tête qui disent sa seule obsession  :

dévorer des oiseaux. Beaucoup de plans d’ensemble permettent aussi de saisir la place de la

petite fille et des oiseaux sur la banquise. Le lieu n’est jamais oublié, il est un personnage à part

entière et pas seulement un décor, il participe, cache, dévoile, soutient, se brise. Il s’exprime.

HORS DU TEMPSCette histoire initiatique débute par le « je » du souvenir mais ce souvenir et ce « je » ne seront

jamais explicités : le « Il était une fois, il était nulle fois, il n’était pas » des contes européens est

le seul temps possible. Quelque part sur la banquise et depuis des temps immémoriaux. Petite

Neige, le flocon turbulent de la banquise, est seule et armée d’un lance-pierre. Sa première

apparition, en plongée, plan moyen, de face, les yeux levés vers le ciel et avec sur son visage des

ombres mouvantes (le passage des oiseaux marins) affirme le lien magique qui va unir l’enfant et

les volatiles. Un autre plan, plus loin dans le film, révèle grâce à une ombre portée le lien très fort

qui unit les deux êtres : la tête de la petite s’efface pour laisser place au long cou de l’oiseau, corps

humain /tête d’oiseau, un nouveau dieu en quelque sorte. L’humain est d’abord présenté comme

un être peu amène, capable de blesser un oiseau mais la suite du récit révèle la bonté de Petite

Neige qui protège coûte que coûte son volatile, c’est-à-dire sa vie et son avenir.

DU VENT, DU SOUFFLE, UN ÉTERNUEMENTDans cette immensité, un vent très violent et assassin se lève. L’apparition alors du Nain Géant,

menaçant, toute bouche dehors explicite la raison de cette mini tornade : le monstre de la banquise

éternue. Et à chaque fois qu’il éternue, il diminue ou grandit. Il faudra donc que Petite Neige

saisisse cette faiblesse (tout géant à combattre possède une faiblesse, un « talon d’Achille ») pour

lui envoyer une plume qui le fera éternuer au bon moment, au moment où redevenu géant, il va,

de par son poids, briser la glace et être englouti par plus géant encore, le cachalot, le monstre

des mers. Dans les mythes indo-européens, les nains géants sont légion : des nains qui peuvent

ainsi se métamorphoser en géant et vice versa (comme Loki ou Harthgrepa). Il est de bon ton de

comprendre que le nain avant était un géant et qu’il s’est ratatiné pour cacher sa grande force et

sa ruse aux nouveaux venus, les hommes. Mais quand le nain est encore un géant, qu’il oscille

entre ces deux états, incertain, il manque d’une force unitaire. Ainsi se comprend le Nain Géant, un

vestige de croyances fort anciennes, un être pulsionnel, lourd, archaïque qui ne peut que perdre

face au couple aérien que forment l’enfant et l’oiseau.

PRIX- Best Animated Film, Oregon Independent Film Festival, Eugene 2015 (Etats-Unis)

- Children’s Film Special Mention, World Festival of Animated Film Varna, Sofia 2015 (Bulgarie)

- Best Animation Short (Second Place), Palm Springs International ShortFest, Palm Springs 2014 (Etats-Unis)

BIOGRAPHIENée en 1967 en Suisse, Fabienne Giezendanner enseigne à la Haute École d’Ingénierie et de

Gestion du Canton de Vaud, section communication. Elle est scénariste de séries d’animation.

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LA LOI DU PLUS FORT DE PASCALE HECQUET

FRANCE, BELGIQUE - 2014 - COULEUR - 6’

Un petit singe fait de très gros efforts pour décrocher une énorme banane mais un singe plus grand que lui débarque.

LA LOI DU PLUS FUTÉ (OU DU PLUS GOURMAND ?)

Les singes sont légion dans le cinéma d’animation (des Singes qui voulaient attraper la lune de

Zhou Qekin au Château des singes de J.F. Laguionie). Ouistitis, singes, chimpanzés ou gorilles, ils

sont intrépides, têtus, parfois méchants, dotés d’un penchant à l’imitation et dans leur caractère

contradictoire se joue souvent celui des hommes. Considérés aussi comme animal sacré en Inde,

symbole de force, de fidélité, de dévouement et de sagesse en Chine, le singe, caricature de

l’humain selon les Européens, n’en finit pas de laisser sa dextérité, sa curiosité, sa gourmandise

dans des récits hautement illustrés. Il plait aux enfants aussi par ce pelage si doux qui en fait une

adorable mais peu redoutable peluche.

JAMAIS DEUX SANS TROISLa Loi du plus fort (animation 2D sur ordinateur) met en scène trois primates de tailles

différentes, sans doute un ouistiti, un chimpanzé et un gorille. Aucune parole ne sera échangée, la

communication ne passe que par les grognements. Le premier singe, tout petit, rouge, apparaît sur

le titre aux lettres vertes rappelant des lianes ou des branches. Il sort du O et grimpe dessus puis

se place au-dessus du U. Il montre ses muscles, sourit et rend ainsi complice le spectateur du récit

qui va suivre. Il lance même ce récit en sautant au-delà du cadre et en tirant une ficelle pour placer

un écran noir sur lequel va être dessinée l’histoire, son histoire. La Loi du plus fort s’ouvre alors

sur un paquet de bananes attaché à une branche. Puis un plan rapproché du petit singe le montre

la tête levée, une main posée au-dessus des yeux pour dire un lointain à percevoir. Le fait d’avoir

ainsi coupé le paquet de bananes du singe assure que les fruits sont placés hors de sa vue (donc

de celle aussi du spectateur) mais non de sa gourmandise (un troisième plan, un très gros plan,

dévoile le museau du singe et une langue qui se lèche les babines d’envie). Le spectateur reste

à la hauteur du primate, c’est-à-dire au pied de l’arbre. Il n’en voit pas davantage et ne comprend

donc pas la distance qui sépare le petit des bananes. Mais il perçoit bien les efforts de l’animal.

Une première minuscule banane tombe de l’arbre mais le singe, loin d’être satisfait, découvre

(raccord sur le regard) une gigantesque banane qui scintille en plein jour, qui l’appelle en quelque

sorte. A partir de là, il va gratter régulièrement son menton, il réfléchit. Tous les moyens sont bons

pour tenter d’arracher ces bananes de leur branche : liane qui devient lasso, fin tronc d’arbre qui

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devient perche. Le singe finit par se jeter sur une bascule de fortune, ce qui va lui permettre de se

cramponner sur la branche bénie. Même s’il touche la banane, le but n’est pas atteint : elle ne se

détache pas, elle résiste. 

Le deuxième singe fait ainsi son apparition, d’abord sur le plan sonore (le petit singe se demande

alors quel est ce bruit) puis il est à son tour visible de la tête au pied : il est bleu et lui aussi se lèche

les babines à l’idée de dévorer le fruit. Un coup de tête suffit, la banane et le petit singe tombent

en même temps. Le chimpanzé a vite fait de retirer le petit singe de sa banane et s’apprête à

la dévorer quand un gros doigt violet vient taper sur l’épaule du deuxième primate. Le gorille

est à son tour pris en gros plan, il ressemble à King Kong – le cri qu’il pousse juste après pour

impressionner le chimpanzé nous le rappelle aussi. La taille est d’emblée donnée, le spectateur

ne doit pas se tromper  : le gorille est plus grand que le chimpanzé qui est plus grand que le

petit singe. Plus grand et plus fort. La dentition, idem, est de plus en plus impressionnante, les

gueules s’ouvrent de plus en plus grandes. La bataille est très inégale. Le ouistiti s’est littéralement

cassé la tête pour trouver une solution à la hauteur de sa gourmandise et les deux autres viennent

récupérer tranquillement, juste avec leur carrure et le son de leur voix (basse, baryton), le fruit de

tous ses efforts.

ETRE L’ARBITREC’est alors que le petit singe a l’idée (encore une) d’arbitrer un match dont il connait déjà l’issue :

son ventre à lui. Il pose la banane convoitée sur la bascule et va tenter de départager le gorille et

le chimpanzé en coupant une tranche de banane, une tranche et encore une. Finalement sans

en avoir l’air, il dépouille ses concurrents. Si les deux autres ne réfléchissent pas à l’utilité de cette

petite taille, le petit singe, lui, connait ses limites mais tente à chaque fois de les dépasser. Les

deux autres sont assurés de faire peur – leur physique suffisent – mais le gagnant de l’histoire

est bien celui qui sait anticiper. A tous problèmes, il y a forcément une solution et la fin l’exprime

clairement  : le petit singe utilise la hauteur du gorille pour atteindre les bananes et lance à ses

deux nouveaux amis les fruits de sa patience, de sa ténacité et de sa générosité.

PRIXLa Loi du plus fort a été sélectionné dans de nombreux festivals à travers le monde : Anima mundi

(Brésil), Festival international du court-métrage de Hambourg (Allemagne), Anima (Belgique),…

BIOGRAPHIENée en 1978 en Belgique, Pascale Hecquet est graphiste, illustratrice et réalisatrice de films

d’animation destinés aux enfants, Une Girafe sous la pluie (2007), La Légende du chou (2009), Duo

de volailles, sauce chasseur (2011) et la Carotte géante (2013).

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LA QUEUE DE LA SOURIS DE BENJAMIN RENNER

FRANCE - 2007 - COULEUR - 4’

Un lion menace de dévorer une souris mais celle-ci, pour sauver sa peau, lui propose un marché.

TEL EST PRIS QUI CROYAIT PRENDRE

La Queue de la souris, réalisé en papier découpé sur ordinateur 3D, est un film de fin d’études

(l’école de la Poudrière) scénarisé et animé par Benjamin Renner. Une épure maximale dans le choix

des couleurs (rouge, noir et blanc), dans le décor conçu en ombre chinoise (mais rendu vivant grâce

aux bruitages), dans le nombre de protagonistes (ce film est un duel entre deux animaux de force

inégale force, les autres animaux ne sont que figurants) permet de mettre en évidence l’enjeu (« je

deviens ton esclave et tu ne me manges pas ») et surtout de mettre en avant, la parole. Car ce film

est assurément bavard, du moins cette souris qui d’emblée argumente, tente de convaincre, face à

ce lion qui grogne, vocifère, rugit mais ne dit mot. Les désirs du lion se comprennent aisément : une

gueule carnassière qui s’ouvre suffit à saisir le danger couru par la minuscule souris, le lion se résume

à son obsession de la faim. La souris qui ne peut se mesurer en taille se mesure ironiquement en

gueule, en grande gueule, elle parle, parle, accumule les proies comme les mots pour retarder

l’échéance fatale, telle Shéhérazade (Les Mille et une nuits). Il s’agit d’un combat entre la force et

l’intuition, la puissance et la ruse. Le gagnant n’est pas celui auquel on pense dès le départ et le récit

est conçu à l’instar d’une fable avec morale.

PROVERBE ET FABLES« Tel est pris qui croyait prendre » (être pris à son propre piège à cause de l’ignorance et du manque

d’expérience) sont les derniers mots d’une fable de La Fontaine, une fable qui met en scène un

rat qui trouve appétissante une huître qui se referme alors brutalement sur le cou de la bestiole

ignorante des armes implacables et secrètes du mollusque (Le Rat et l’huître, livre huitième). Il en

va de même du lion de Benjamin Renner qui ignore la malignité de la souris, sa force mentale et

se retrouve pris à son propre piège, capturé dans les filets de la minuscule bête, épinglé, attaché,

coincé littéralement dans une toile d’araignée. Une autre fable de La Fontaine, Le Lion et le rat (livre deuxième), offre ce proverbe célèbre « On a toujours besoin d’un plus petit que soi » mais

chez le fabuliste, le lion entravé dans un filet est aidé par un rat qui ronge les mailles. Notons que

le réalisateur use d’une souris (et non d’un rat, souvent malmené par La Fontaine). Outre les fables,

les contes de fées mettent aussi en scène des êtres en apparence petits mais très débrouillards

et capables de sauver leur peau, de modifier l’implacable destin. L’ogre ne sort pas forcément

vainqueur. Ogre, dragon, lion incarnent la force de la nature, la pulsion, le sauvage face à des nains,

des poucets, des souris qui doivent combler leur petitesse en force morale, active, pensante. La

ruse est donc le domaine du tout petit dans les récits destinés aux enfants.

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L’ÉCHELLE DE L’IMAGELe film commence par l’intrusion de la souris dans le noir de l’image (en même temps que « L’école

de la poudrière présente » s’inscrit), une souris blanche avec deux trous noirs pour dire les yeux.

Elle sent, fouine et révèle sa vélocité dans un travelling latéral qui la suit courant droit devant

elle. Elle disparait derrière un gigantesque tronc d’arbre et réapparait encore plus petite, cette

fois sur fond rouge. Il y a bien quelque chose de sanglant à l’arrière-plan et qui va dominer ces

quatre intenses minutes. Un cut et un plan rapproché de la souris font perdre le lien entre la taille

de l’animal et le très grand décor. Un mouvement vertical suit cette habile souris qui après une

embardée horizontale démontre qu’elle sait aussi grimper. Cependant le rocher sur lequel elle

évolue est un lion. La forme du museau, le crâne, tout induit en erreur (le choix de l’ombre chinoise

explique cette illusion) et cette erreur, prendre une forme pour une autre, est courante dans les

récits fabuleux  : des grottes, des montagnes deviennent, sous le regard averti, des géants (voir

entre autres, Dunderklumpen de Per Ahlin, Bandits-Bandits de Terry Gilliam, ou tout simplement,

les aventures de Gulliver). La souris se retrouve alors face à l’œil blanc du lion noir, un œil qui fait

la taille de la tête du rongeur. Souffle, grognement, la bête féroce se lève, tend sa tête, la souris

trébuche, tombe. L’un est cadré en plan rapproché (son corps n’apparait jamais intégralement, il

est coupé, trop grand pour entrer dans le cadre) tandis que l’autre est une petite chose à l’intérieur

du plan. La souris, prise de panique, se met à hurler : « Je pourrais vous être utile ». Comme dans

King Kong, le lion tient dans le creux de sa patte l’irrésistible mammifère. L’autre entend et se

laisse convaincre, non sans avoir attachée la queue de la souris avec un fil blanc qui va ainsi bien

se voir dans le noir de l’image. La musique extra-diégétique vient mettre en évidence ce lien qui

unit souris et lion, cette dépendance. Dans un unique plan, frénétique, désespéré, la souris après

avoir offert une cerise, ramène divers animaux et c’est seulement au moment où elle chute sur

un serpent (autre prédateur) que la musique s’interrompt, un nouveau danger menace l’intrépide

rongeur. Le lion n’est cependant pas satisfait et la colère de la petite bestiole exaspérée entraine

un redoublement d’insatisfaction côté lion. Il faut un plan d’ensemble, lion pris en intégralité, souris

au centre, et amas de proies à droite pour saisir la teneur de cet unique plan où la souris courait à

droite à gauche en haut en bas : ces mouvements ne servaient qu’à emmêler le lion, à l’entraver.

La cerise sur le gâteau est le point final : la souris part avec son fruit sous le bras laissant le lion

vraiment tout bête.

PRIX (les principaux)La Queue de la souris a été récompensé dans plusieurs pays à travers le monde…

- Prix Jeune Public au festival d’animation Les Nuits Magiques 2007, à Bègles

- Prix du public au festival Anima 2008 à Bruxelles (Belgique)

- Mention Animation 2D au festival Animex 2008 de Teeside (Grande-Bretagne)

- Prix de la Compétition Internationale au festival 2ANNAS 2008 de Riga (Lettonie)

- Prix du Public et Prix Spécial du Réalisateur au festival Anima Mundi 2008 de Rio de Janeiro (Brésil)

- Prix du Public et Prix du meilleur Film étudiant au festival Anima Mundi 2008 de Sao Paulo (Brésil)

- Cartoon d’Or 2008

Nominé au César 2012 du meilleur Film d’animation.

BIOGRAPHIEAprès avoir obtenu un Diplôme National des Arts Plastiques de bande dessinée aux Beaux-arts

d’Angoulême, Benjamin Renner entre dans l’école d’animation La Poudrière où il réalise en 2007

La Queue de la souris. Animateur (Les Malheurs de Sophie ou Avril ou le monde truqué), auteur de

bandes dessinées sous le pseudonyme de Reineke (Un Bébé à livrer, Le Grand méchant renard), il a

également signé (avec Stéphane Aubier et Vincent Patar) ce film d’animation fort remarqué en 2012

sur un scénario de Daniel Pennac : Ernest et Célestine.

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