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Université de Rouen U.F.R Sciences de l’homme et de la société Département des sciences de l’éducation Le phénomène d’acculturation du jeune migrant dans son processus de construction identitaire Mémoire de Master 1 de sciences de l’éducation Anne ROUSSEAU Directeur de mémoire : Sylvain BIHAN Année 2011

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Université de Rouen

U.F.R Sciences de l’homme et de la société

Département des sciences de l’éducation

Le phénomène d’acculturation

du jeune migrant

dans son processus

de construction identitaire

Mémoire de Master 1 de sciences de l’éducation

Anne ROUSSEAU

Directeur de mémoire : Sylvain BIHAN

Année 2011

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION p 4

1. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESE p 8

1.1 Problématique p 8

1.2 Hypothèse p 9

2. CADRE THEORIQUE p 13

2.1 La migration, les migrations p 13

2.1.1 Une typologie des migrations p 13

2.1.2 L’expérience migratoire p 15

2.1.3 La politique d’immigration en France p 17

2.2 La socialisation p 20

2.2.1 Le processus de socialisation p 20

2.2.2 École et socialisation p 22

2.3 Le concept de culture et ses déclinaisons p 24

2.3.1 La notion de culture p 24

2.3.2 Le phénomène d’acculturation p 25

2.3.3 Implications p 26

2.3.4 De la richesse de l’acculturation p 27

2.4 De la notion d’identité à la construction identitaire p 28

2.4.1 La question de l’identité p 28

2.4.2 Les stratégies identitaires p 29

3. METHODOLOGIE DE RECHERCHE p 31

3.1 Protocole de recherche p 31

3.2 Procédure p 32

3.3 Présentation des récits de vie p 33

3.4 Résultats p 35

3.4.1 L’expérience migratoire p 35

3.4.2 L’expérience d’acculturation p 37

3.4.3 L’expérience scolaire p 40

3.4.4 La sphère socio-affective p 43

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3.4.5 Les stratégies identitaires p 47

3.5 Limites de la recherche p 47

4. INTERPRETATIONS – CONCLUSION - PERSPECTIVES p 48

4.1 Interprétations p 48

4.1.1 L’importance de l’expérience scolaire p 48

4.1.2 La notion de « stratégies identitaires » p 49

4.1.3 La sphère socio-affective p 51

4.2 Conclusion p 52

4.3 Perspectives p 54

REFERENCES p 56

ANNEXES p 59

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INTRODUCTION

Le fait de partager notre vie avec une personne issue d’une culture différente de la nôtre nous

fait nous positionner vis-à-vis de notre propre culture, de notre éducation. Notre regard sur

l’autre éclaire le regard que nous avons sur nous-mêmes. Mais notre culture est en partie

inconsciente et ne nous est révélée que par la rencontre avec d’autres groupes, d’autres

sociétés. Cette rencontre nous fait pointer du doigt des mécanismes inconscients établis par

des normes de références et mettre en exergue l’importance de l’implicite et des

représentations.

Le contact de cultures nous permet ainsi de nous comparer, nous situer par rapport à l’autre,

aux autres, mais il peut également être source de mésententes et d’incompréhensions dans tout

ce qu’il a d’inconscient. Chaque mot, concept ou expression véhicule des symboles, des

valeurs, des codes différents selon les personnes, selon les groupes. Comprendre l’autre, c’est

se comprendre soi-même. Aussi, face à un contexte de contact de cultures généralisé, nous

pensons important voire indispensable d’aller au-delà des représentations et vérifier leur

légitimité.

Aujourd’hui, face à la construction de l’union européenne, l’effacement des frontières ou

encore face au phénomène de mondialisation, les flux migratoires tendent à s’intensifier. La

France, terre d’accueil depuis les années 18501, a connu plusieurs vagues d’immigrations et

est actuellement confrontée à la réalité du métissage et du multiculturalisme ; entendons ici

métissage culturel comme production culturelle résultant de l’influence mutuelle de

civilisations en contact et multiculturalisme comme terme désignant la coexistence de

différentes cultures au sein d’un même ensemble, d’un même pays.2 Chacun de nous

aujourd’hui vit ou est en relation de près ou de loin avec un enfant, un adulte vivant ou ayant

vécu la migration, ou l’appartenance à deux cultures différentes.

La France, en 2006, compte près de 5 millions d’immigrés, les moins de 15 ans représentant

près de 5% de ce total (cf. annexe 1). Les discours des politiques en matière d’immigration

plaident pour un meilleur accueil et une meilleure intégration des étrangers autorisés à

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s’installer en France. Cependant, persistent des décalages entre les discours et la réalité. Ce

qui semble être véhiculé sur le territoire sont les difficultés d’adaptation que rencontrent les

populations nouvellement arrivées, le « choc culturel » auquel elles sont confrontées et donc

leurs probables difficultés d’intégration et l’amalgame avec certains maux de notre société.

Les politiques éducatives s’efforcent aujourd’hui de tenir compte de cette réalité, de favoriser

l’égalité des chances et la réussite pour tous et de notamment proposer des dispositifs

d’accueil spécifiques. La « loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École de

2005 » permet à la fois une reconnaissance légale de l’ensemble des dispositifs réalisés et une

obligation de mise en place d’actions particulières pour l’accueil et la scolarisation des élèves

non francophones nouvellement arrivés en France. Le CASNAV, Centre Académique pour la

Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des Gens du Voyage, gère ainsi l’accueil des enfants

mais aussi des familles, évalue le niveau de l’élève et l’intègre à un cursus adapté à son

niveau. Les données nationales de l’année 2008 recensent ainsi 35 406 Élèves Nouvellement

Arrivés en France (ENA), et 39 100 avec les DOM, ainsi répartis : 45 % à l’école primaire, 43

% au collège, 8 % au lycée La région Rhône-Alpes, quant à elle comptabilise 1729 ENA

pour la même année.4

Ces chiffres, bien que minimes en comparaison du nombre total d’élèves, ne doivent pas être

laissés pour compte. En effet, au fil des années ces enfants grandissent en France, travaillent

en France, font des enfants en France et rassemblent la population étrangère ainsi que la

population immigrée. Faire abstraction de leurs origines, de leur histoire serait nier l’existence

de toute une partie de la société.

Le haut conseil à l’intégration définit la population étrangère en fonction du seul critère de

nationalité : un étranger est une « personne qui ne possède pas, sur le territoire français, la

nationalité française, soit qu’elle possède (à titre exclusif) une autre nationalité, soit qu’elle

n’en possède aucune (apatride) ».5

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Parallèlement, la population immigrée est définie en fonction du double critère de nationalité

et de lieu de naissance. Un immigré est une « personne née étrangère à l’étranger et entrée en

France en cette qualité en vue de s’établir sur le territoire français de façon durable - Un

immigré a pu, au cours de son séjour en France, acquérir la nationalité française ».6

Les conditions d’arrivée des étrangers en France peuvent revêtir une multitude de formes. Il

s’agira donc de relever les différentes migrations existantes et d’en spécifier les contextes et

enjeux. La migration qui nous intéresse ici est celle d’un enfant non francophone, qui arrive

en France en âge d’être scolarisé (6/12 ans), et qui a déjà intégré des normes de références et

des valeurs d’une culture différente de celle du pays d’accueil. Le choix de 6 ans s’est porté

dans l’intérêt de voir comment évolue une personne avec une identité déjà en cours de

construction. Henri Wallon considère que le développement de la personnalité de l’enfant

s’opère en une succession de stades, où se conjuguent affectivité et intelligence. Le stade du

personnalisme, qu’il situe entre 3 et 6 ans, est marqué par une prise de conscience de soi, à

travers l’opposition aux autres mais aussi l’intégration avec les autres. L’enfant se reconnait

lui-même et reconnait l’adulte en tant que modèle, se réalisant ainsi entre opposition et

imitation7. Á 6 ans, l’enfant a déjà des repères culturels, sociaux, familiaux, des normes et

des valeurs de référence. Selon Freud, la période de 3 à 5 ans est « celle de l’enfance où la

libido a sa plus grande activité, celle où s’élaborent des complexes qui pourront perpétuer,

par transfert à travers des situations toujours nouvelles de l’enfance, les attitudes morales,

des fixations affectives de l’enfance, restées inavouées »8. L’enfant intègre alors des systèmes

de pensées et des repères affectifs qui resteront gravés dans sa mémoire et dans sa manière de

réagir face aux situations. La limite de 12 ans correspond quant à elle à une certaine limite

d’entrée dans la préadolescence et où les mécanismes identitaires et sociaux deviennent

différents. Il s’agit donc d’une migration contemporaine, d’enfants qui seraient arrivés en

France entre 1970 et 1996 et ayant aujourd’hui entre 25 et 45 ans et habitant dans le région

Rhône-Alpes.

Indépendamment du contexte historique dans lequel l’enfant migrant arrive en France, selon

qu’il immigre en 1970 ou en 1990, ce dernier vit une situation qui lui est imposée, doit

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s’adapter le mieux possible et le plus vite possible pour ne pas se sentir rejeté. Il est confronté

à une nouvelle culture, de nouvelles normes et des valeurs qui peuvent être différentes de

celles qu’on lui a inculquées dans son pays d’origine. Mais qu’il soit sédentaire ou nomade,

l’homme est un être éminemment social. En effet, « L’être humain n’a pratiquement pas de

programme génétique qui guide son comportement. Les biologistes disent eux-mêmes que le

seul programme (génétique) de l’homme est celui d’imiter et d’apprendre ».9 Qu’il s’agisse

ici de migrants ou de natifs, l’homme a ce point commun entre tous les autres qui est celui

d’évoluer au sein de groupes, de sociétés, d’être au contact des autres et ainsi d’être confronté

à des valeurs, des règles, différentes d’un groupe à l’autre, d’une sphère à l’autre. Le

processus de socialisation permet ainsi à chaque individu de s’intégrer dans la société et

permet également à la société de se doter d’une relative cohésion. Quelles sont alors les

spécificités de ce processus pour les migrants ? Quelle rencontre font-ils avec une nouvelle

culture ? Quelle rencontre font-ils avec eux-mêmes ?

Peut être est-il plus pertinent d’aller vérifier du côté des migrants eux-mêmes, de confronter

nos représentations avec leur vécu, faire se recouper les données et favoriser ainsi l’évolution

des mentalités pour une meilleure prise en compte de l’existant. C’est par une approche

psychosociologique que nous nous intéresserons à leur parcours, à leur regard distancié

d’adulte ayant pris du recul et étant plus à même de pointer les manquements et les richesses

de ce par quoi ils sont passés.

L’objet de ce mémoire portera donc sur la présentation de notre réflexion, notre interrogation

ainsi que l’intérêt du regard que portent les migrants quant à leur parcours et leur intégration.

Après avoir présenté l’hypothèse retenue concernant la perception qu’ont les migrants de leur

vécu, nous cadrerons le sujet en définissant certains concepts.

La présentation de notre méthodologie de recherche et les données exploratoires des récits de

vie nous aideront ensuite à aller au plus près de notre réflexion.

Enfin, l’analyse et l’interprétation des données permettront soit de confirmer soit d’infirmer

notre hypothèse de départ, et d’envisager quelques propositions.

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1. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES

1.1 Problématique

Toute rencontre entre individus provoque des réactions quelles qu’elles soient. La rencontre

peut alors soit faire concorder les modèles rencontrés soit remettre en cause des modèles de

voir et de penser dans l’une et/ou l’autre des parties en présence. Ainsi, tout enfant qui intègre

l’école vit un premier bouleversement en termes de socialisation. L’enfant est face à de

nouvelles sphères, de nouveaux univers qu’il confronte avec ses propres références. En ce

sens, chacun de nous vit un phénomène d’acculturation, plus ou moins violent selon les cas,

c'est-à-dire un ensemble de phénomènes qui résulte de contacts durables et directs entre des

groupes d’individus de culture différente entrainant des changements dans les valeurs et les

normes initiales10.

Ce que nous allons ici aborder est le phénomène d’acculturation de personnes nées à

l’étranger, avec leur culture, leurs valeurs, voire avec un premier vécu de scolarisation.

L’objet est de voir comment un enfant migrant se construit et s’intègre dans une société dans

laquelle il n’est pas né et dans laquelle il n’a pas encore assimilé les représentations locales.

Il s’agit d’observer ce qui se joue socialement pour lui tout au long de sa vie, à quel

bouleversement identitaire il est confronté et en quoi cette épreuve, ce vécu peut représenter

une richesse dans le sens où elle est constitutive de la construction de son identité, de son

intégration et de son adaptation dans le pays d’accueil.

Cet intérêt vient du fait de vivre dans un environnement où les flux migratoires s’intensifient,

et où il parait vain de demander à un migrant ou à quelconque individu d’oublier d’où il vient

et de ne pas lui permettre de savoir où il va. Face à un pays en pleine mutations sociales, nous

voyons apparaitre ces dernières années un intérêt croissant pour les questions relatives à

l’identité. Que ce soit dans le champ des sciences sociales ou dans la vie politique, la

problématique de l’identité interroge, intéresse ; et cet intérêt nous rappelle combien la quête

identificatoire est primordiale pour tout individu. La communauté de chercheurs, toutes

disciplines confondues, établit aujourd’hui un consensus selon lequel chaque individu n’a pas

une identité figée mais une identité en constante évolution, voire plusieurs identités. Aussi, la

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question relative à l’identité des migrants est d’autant plus importante qu’elle multiplie les

paramètres rentrant en compte dans sa définition. En effet, l’expérience migratoire et

l’expérience d’acculturation sont deux expériences marquantes qui vont transformer le

migrant dans sa manière d’être, de vivre et de penser, qui vont le construire d’une manière ou

d’une autre et qui vont par conséquent agir sur son identité. Mais en quoi les conflits relatifs

au phénomène d’acculturation sont-ils constitutifs d’une construction identitaire « positive »

du migrant ? Qu’est-ce qui fait qu’un « traumatisme » vécu par la rencontre d’une autre

culture contribue positivement à la construction identitaire d’un migrant ? L’acculturation est

un processus qui peut s’avérer long et douloureux, mais nous considérons qu’il participe

positivement à la définition identitaire de tout individu. Et, comprendre les mécanismes et les

stratégies mises en place pour s’adapter à vivre ensemble ainsi que pour se définir ou se

redéfinir soi-même, nous permet de mieux appréhender la réalité, nous permet de pouvoir

mettre en place des dispositifs adéquats pour le bien-être de tous et de viser une meilleure

compréhension des phénomènes de contact de cultures et de construction identitaire.

1.2 Hypothèse

Il existe d’ores et déjà des travaux sur le phénomène d’acculturation ne serait-ce que les

travaux de Roger Bastide11. Il en ressort un travail de recherche délicat où les paramètres

rentrant en compte dans l’étude des situations acculturatives sont nombreux. Nous pouvons

tout d’abord évoquer l’existence de plusieurs types d’acculturation relevés par Roger Bastide :

- « une acculturation spontanée quand les cultures sont en contact libre,

- une acculturation forcée, organisée, imposée par un groupe comme lors de la

colonisation ou de l'esclavage par exemple

- une acculturation planifiée, contrôlée, dans le but de construire à long terme une

culture prolétarienne par exemple dans les ex pays socialistes ou une culture

nationale. » 12

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Nous préciserons également les différentes formes d’acculturation existantes et nous nous

efforcerons d’éclairer les nuances et les confusions possibles avec des termes tels que

l’assimilation.

L’observation du phénomène d’acculturation est un travail qui touche au long terme puisque

nous ne pouvons évaluer et qualifier l’apport culturel des groupes immigrés qu’au terme de

plusieurs décennies. L’appréhension du phénomène acculturatif n’est pas immédiate, les

transformations dans les valeurs et les normes initiales nécessitent des contacts durables

s’inscrivant dans le temps. Ainsi, préférerons-nous un entretien avec un immigré installé en

France depuis 20 ans qu’avec un primo-arrivant13 pour davantage apprécier les changements

liés au phénomène d’acculturation.

Par ailleurs, la difficulté pour le chercheur dans ses travaux sur l’acculturation réside dans le

fait d’accéder au plus intime d’une personne, d’accéder à sa rencontre avec elle-même. Les

données recueillies le sont en général par le biais de migrants interrogés et touchent alors aux

domaines du qualitatif et du subjectif. Apprécier justement les changements dans les valeurs,

dans les structures de pensée d’un individu n’est pas chose aisée ; l’individu interviewé, aussi

objectif soit-il, ne peut parler en toute neutralité et pleine conscience des mécanismes

conscients comme inconscients relevant de situations acculturatives. Ainsi, le recueil

d’éléments nouveaux permettraient soit d’avoir accès à des invariants du phénomène

d’acculturation soit d’explorer de nouvelles pistes.

Á la question : « En quoi les conflits relatifs au phénomène d’acculturation sont-ils

constitutifs d’une construction identitaire « positive » du migrant ? », nous avançons

l’hypothèse selon laquelle la rencontre de l’inconnu et en l’occurrence d’une nouvelle culture

favorise la capacité d’adaptation ainsi que l’ouverture d’esprit et par là-même la construction

« positive » de l’identité du migrant.

Nous sommes conscients qu’une expérience acculturative provoque un chamboulement qui

touche à tous les pans de la vie d’un migrant, que ce soit du domaine social, culturel, affectif,

scolaire, et que cette situation provoque des conflits internes comme externes, voire des

traumatismes ; mais qu’en dépit de toutes ces expériences, aussi négatives soient-elles, il en

ressort une force, une richesse, une ouverture à l’autre et à soi-même qui participe

positivement à sa construction identitaire.

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L’expérience acculturative la plus significative pour un enfant migrant est bel et bien

l’expérience scolaire. Il se retrouve en « tête-à-tête » avec un nouvel univers auquel il doit

faire face, seul et pendant un laps de temps considérable (si l’on prend en compte le volume

horaire quotidien et le nombre d’années d’études obligatoire). Si l’on applique notre

problématique et notre hypothèse à cette situation acculturative spécifique, nous considérons

finalement qu’au-delà de la réussite scolaire, l’expérience scolaire en elle-même (qui inclut

alors l’échec scolaire) représente une richesse constitutive de la construction identitaire de

l’enfant migrant.

Par construction identitaire nous entendons le « processus hautement dynamique au cours

duquel la personne se définit et se reconnaît par sa façon de réfléchir, d’agir et de vouloir

dans les contextes sociaux et l’environnement naturel où elle évolue. » 14 Processus dans ce

que l’identité n’est pas un donné et se construit au fil des expériences vécues, et dynamique

dans ce qu’un individu se construit et se reconnait au sein de groupes et à travers l’autre dans

des interactions. Depuis 2006, cette définition, proposée par l’association canadienne pour la

langue française (ACELF), fait consensus dans le milieu de l’éducation. Elle se base sur

quatre éléments fondamentaux pour définir le concept de construction identitaire :

• « La personne en démarche identitaire. La construction identitaire est un processus

personnel, chaque personne est au centre de sa propre démarche. Cette dernière recourt à deux

directions : l’une qui tente d’intérioriser les influences du monde extérieur, des contextes

sociaux, et l’autre qui tente d’extérioriser les élans intérieurs et naturels de la personne.

• Les passerelles d’interaction : réfléchir, agir, vouloir. En constante interaction, ces facultés

humaines permettent à tout un chacun de penser sa vie et d’agir dessus.

• Les contextes sociaux dans lesquels la personne évolue. L’individu se définit et se redéfinit

sans cesse en fonction de sa place dans les groupes, de son rôle et son statut au sein de

contextes sociaux multiples et variés.

• L’environnement naturel où interagissent les contextes sociaux et la personne »15

.

L’individu est conditionné et marqué tout au long de sa vie par le milieu dans lequel il naît et

grandit : le climat, la situation géographique, l’organisation de la communauté, les croyances

et pratiques de ses aïeux. Cela concerne ainsi le milieu naturel et culturel de l’individu.

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Afin de déterminer les concepts théoriques sur lesquels axer nos recherches, nous avons tout

d’abord décliné l’hypothèse de départ en quatre variables, et ce à partir des éléments cités ci-

dessus :

- Variable subjective : se réfère à l’ensemble des processus par lesquels l’individu

réorganise ses structures affectives et mentales en intériorisant certains éléments du

monde extérieur en les intégrant à son fonctionnement mental. Cela concerne

également la quête identificatoire de tout individu et plus particulièrement du migrant.

- Variable cognitive : concerne le travail scolaire, les apprentissages, tout ce qui a trait

au discernement, à la logique et au raisonnement.

- Variable sociale : à savoir l’inscription du migrant dans les groupes et dans les

milieux.

- Variable culturelle : comprend l’ensemble des pratiques, des croyances, des valeurs

partagées par les membres d’une même communauté.

Sur cette base, nous avons donc choisi de développer les étapes suivantes qui nous

permettront par la suite d’élaborer la grille destinée aux entretiens :

- Le phénomène migratoire : contexte et enjeux

- Le processus de socialisation

- La notion de culture et l’expérience d’acculturation

- De l’identité à la construction identitaire

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2. CADRE THEORIQUE

2.1 La migration, les migrations

Le phénomène de migration est un évènement naturel de déplacements des populations.

Jacques Attali souligne que « l’homme nait du voyage : son corps comme son esprit sont

façonnés par le nomadisme » . L’histoire de l’humanité dans son ensemble semble ainsi

marquée par les migrations.

L’usage contemporain du terme de migration désigne le mouvement ou déplacement d’un

individu d’un pays à un autre pour des raisons économiques et sociales en vue de s’y établir

durablement. Mais l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) souligne que « le

terme « migration » a été utilisé pour décrire le mouvement de populations dans des

situations et des contextes fort divers, dont l’invasion, la conquête, le déplacement sous la

contrainte des armes, la fuite devant une catastrophe naturelle, le déplacement à des fins

commerciales, l’établissement de colonies, voire même l’esclavage ».

2.1.1 Une typologie des migrations

La typologie des migrations s’est ainsi considérablement complexifiée au fil du temps. Les

causes de migrations autrefois sommaires prennent aujourd’hui des formes multiples.

• La migration « forcée »

Elle correspond à un mouvement involontaire d’une personne qui se voit obligée de quitter

son pays, sa région. La personne peut alors fuir un pays en guerre ou des situations violentes

et conflictuelles, abandonner une région dévastée par une catastrophe naturelle ou produite

par l’homme, ou encore ne pas souhaiter se laisser abuser par une violation de ses droits.

Cette personne devient alors un réfugié, et ses conditions d’arrivée dans le pays d’accueil ne

sont pas forcément très confortables. Il faut préciser que le statut de réfugié tel que définit par

16

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la « convention relative au statut des réfugiés et des apatrides » s’acquière avec acceptation

du pays d’accueil (cf. annexes 2 et 3)18. Sans cet accord, le migrant est considéré comme en

« situation irrégulière » au regard de la loi. Les motifs et critères pour les demandeurs d’asile

concernés par le statut de réfugié sont en général davantage liés à des questions politiques ou

religieuses.

Nous supposons qu’un individu arrivant dans ces circonstances mettrait un certain temps pour

prendre des repères, s’acclimater et se sentir en réel contact avec la culture d’accueil et non

dans un monde « transitoire ».

• Le regroupement familial

Le regroupement familial est une procédure soumise à conditions qui consiste à réunir une

famille dont un représentant est installé régulièrement en France et qui peut être rejoint par le

reste de sa famille afin de pouvoir vivre une vie familiale en France (cf. annexe 4).

Le regroupement familial est à la fois une situation et une procédure. La procédure vise à

garantir une migration « ordonnée », c'est-à-dire en règle avec les lois en vigueur, tandis que

la situation peut être le fruit d’une situation « irrégulière ».

• La migration économique

La migration économique concerne les individus quittant leur pays en quête d’une meilleure

qualité de vie. Comme le souligne Sélim Abou, l’individu émigre lorsqu’il « perçoit la

nécessité de s’arracher à son milieu immédiat pour réaliser en d’autres « lieux » sociaux ce

qui lui parait irréalisable dans son milieu »19. Ce type de migration a surtout été le fruit

d’hommes venant travailler seuls, dans l’histoire de l’immigration française, pour ensuite

laisser place au regroupement familial. Il est également le fait d’étudiants venant intégrer des

cursus universitaires ou des grandes écoles dans l’espoir d’un meilleur avenir.

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2.1.2 L’expérience migratoire

Il est à noter que pour toute migration, l’expérience migratoire représente un processus

inévitable au sein duquel on distingue la période « pré-migratoire » et la période « post-

migratoire ».

• La période pré-migratoire

On attribue souvent aux circonstances de départ du migrant une grande importance quant aux

répercussions sur son intégration future. La période pré-migratoire peut ainsi être plus ou

moins bien vécue, selon que le départ est choisi ou subi, soudain ou préparé, selon les

circonstances familiales, économiques, sociales ou politiques. Les raisons de la migration

peuvent alors être déterminantes sur l’intégration future d’un migrant, suivant qu’il s’agisse

d’un regroupement familial ou d’une demande d’asile.

Dans le cas d’un choix délibéré, d’une démarche active de migration de l’individu, ce dernier

se projette, s’imagine, se conditionne une existence qu’il ne connait pas encore et envers

laquelle il peut soit projeter ses rêves, ses espérances, soit véhiculer ses peurs, ses

appréhensions. C’est ce que Robert K. Merton a appelé la « socialisation anticipatrice : pour

désigner le processus par lequel un individu s’approprie et intériorise, par avance, les

normes et les valeurs d’un groupe de référence auquel il n’appartient pas encore et souhaite

s’intégrer ».20

Mais il existe souvent un décalage entre l’idéalisation, le rêve et la réalité effective. La

fragilité restera la même dans le cas d’appréhensions, de craintes et de peurs associées à la

migration mais sera vécue avec davantage de réalisme.

Pour un migrant ayant comme objectif de s’établir durablement en France, les efforts de mise

en concordance des deux cultures seront présents. Mais, le cas reste plus délicat pour les

« passants », qui ne voient pas l’intérêt de rentrer dans un système de normes et de valeurs qui

ne leur appartient pas. Qu’en est-il alors de leur intégration ? Qu’en est-il de ceux qui

subissent totalement la migration et qui sont amenés à s’établir durablement en France

malgré eux ?

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L’expérience de migration semble, dans tous les cas, être une expérience douloureuse

associée à des sentiments socio-affectifs forts.

• La période post-migratoire

Quant à la période post-migratoire, elle tend à fragiliser l’individu dans la mesure où celui-ci

est partagé entre la volonté de se reconnaître au sein du nouveau groupe et celle de se

différencier et s’identifier dans sa singularité. Il est partagé entre inclusion (l’identification au

groupe) et exclusion (la différenciation). Cette situation peut alors favoriser des conflits

intérieurs d’autant que comme le souligne Amin Maalouf, « le premier réflexe n’est pas

d’afficher sa différence mais de passer inaperçu ».21 Le migrant se trouve alors tiraillé entre

ce qui le rattache à ses origines et le nouveau cadre offert par le pays d’accueil.

Ainsi, les paramètres rentrant en compte pour la « santé mentale » du migrant, à savoir « un

état d'équilibre psychique et social relatif qui intègre épanouissement et autonomie socio-

affectifs »22, sont nombreux : contexte familial et affectif, contexte économique, contexte

politique et administratif.

Les contextes pré-migratoires et post-migratoires des migrants sont intimement liés aux

contextes politique et historique du pays d’accueil. Nous pensons donc intéressant de situer

l’immigration en France dans ce cadre afin de mieux en cerner les enjeux.

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2.1.3 La politique d’immigration en France

• Contexte historique23

Andrea Semprini évoque le fait que « La France, de par sa position géographique, son

histoire coloniale, son développement économique et sa tradition de terre d’asile est depuis

longtemps un pays d’immigration »24. Les contrastes de la courbe de l’immigration en France

coïncident en effet avec les grands tournants de l’histoire économique française.

Avant 1851, on parle avant tout d’immigration de voisinage. Il s’agit essentiellement de

mouvements de populations des pays limitrophes ; les immigrés sont alors les Suisses, les

Belges, les Espagnols et les Italiens. De la fin du XIXème siècle jusqu’à la fin de la deuxième

guerre mondiale, le pays observe une progression constante du nombre d’immigrés. On

assiste alors aux premières tentatives d’organisation de l’immigration avec notamment

l’apparition de la carte de séjour pour les étrangers, d’un décret du 1er avril 1917.

Mais ce n’est qu’en 1945 qu’une réelle politique de l’immigration s’amorce avec

l’ordonnance du 2 novembre de cette même année. Elle définit les conditions d’entrée et de

séjour en France des étrangers et créé l’Office National de l’Immigration (ONI). L’Etat lui

confie le monopole des opérations de recrutement des travailleurs et de l’organisation du

regroupement familial, qui est encouragé. Mais, la lourdeur administrative, les problèmes de

logement, l’apparition de main d’œuvre clandestine font naître une mauvaise image des

étrangers en France.

Le besoin de main d’œuvre d’après-guerre et les effets de la décolonisation assurent une

progression constante de l’immigration, avant tout issue du Portugal, des pays du Maghreb et

des anciennes colonies africaines. Les conditions de logement difficiles font alors apparaitre

des zones d’habitat précaire où se concentrent les migrants.

La fin des « 30 Glorieuses » en 1974 et la montée du chômage laissent place à une politique

de contrôle des flux migratoires qui sévit jusqu’alors. Il s’agit de lutter contre l’immigration

irrégulière et de favoriser l’intégration de la population immigrée en France. Cela se

concrétise d’une part, par des expulsions et des périodes de régularisations de sans-papiers ;

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et d’autre part, par la création d’un titre unique de séjour et de travail de 10 ans en 1984 (cf.

annexe 5) et par la mise en place des mesures d’aide en faveur des enfants de l’immigration.

Les années 2000 sont quant à elles dominées par la volonté annoncée d’une immigration

choisie plutôt que subie en 2005. En mai 2007, la création d’un Ministère de l’Immigration,

de l’Intégration, de l’Identité Nationale et du Co-développement marque un tournant dans la

manière dont la France envisage l’intégration de ses migrants.

• Le système d’intégration français

Le système d’intégration français s’inspire en réalité du modèle de l’espace public national.

Les deux piliers de ce modèle sont d’une part la « neutralisation » de la sphère publique qui

permet de fonder la notion de citoyenneté et d’autre part « la soumission des citoyens à une

nationalité universelle, à une volonté générale, incarnées par l’Etat, cristallisées dans la loi

et appliquées au quotidien par la norme administrative »25.

Ce modèle d’intégration doit bien entendu être replacé dans un contexte historique où les

premières générations d’immigrées étaient soucieuses de s’intégrer et d’atteindre une

« situation sociale » équivalente aux membres du pays d’accueil, quitte à en passer par des

sacrifices culturel, humain et identitaire.

Le Haut Conseil à l’Intégration définit comme suit le processus d’intégration : « Le processus,

inscrit dans la durée, est celui d’une participation effective de l’ensemble des personnes

appelées à vivre en France à la construction d’une société rassemblée dans le respect de

principes partagés (liberté de conscience et de pensée, égalité entre homme et femme par

exemple) telles qu’elles s’expriment dans des droits égaux et des devoirs communs »26.

Il le distingue de la politique d’intégration qui a pour vocation de «

définir et développer des actions tendant à maintenir la cohésion sociale au niveau local

comme au plan national, de sorte que chacun puisse vivre paisiblement et normalement dans

le respect des lois et l’exercice de ses droits et de ses devoirs »27.

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L’intégration diffère ainsi de l’assimilation et de l’insertion puisqu’elle ne vise ni à réduire

toutes les différences ni à limiter son aide à atteindre des standards socio-économiques. Ainsi

pensée, l’intégration est donc un phénomène réciproque, un entrecroisement des cultures, un

effort collectif pour assurer le bien-être de tout un chacun et de la société, dans le respect des

valeurs et principes nationaux.

Mais qu’en est-il des migrants eux-mêmes ? Comment perçoivent-ils leur parcours

d’intégration ? Comment s’opère leur adaptation dans le pays d’accueil ? Comment se

socialisent-ils ?

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2.2 La socialisation

2.2.1 Le processus de socialisation

L’Homme en tant qu’être éminemment social, vit un processus dynamique de socialisation.

Processus dans ce que la socialisation renvoie à une construction tout au long de sa vie et non

à une construction figée, et dynamique dans ce qu’elle renvoie à des relations

d’interdépendances entre les individus.

Selon le modèle déterministe Durkheimien, la socialisation fait référence au processus par

lequel la société agit sur l’homme pour faire de lui un être social, une personne normalisée et

inscrite dans le groupe. Elle a pour fonctions d’une part, de permettre à chacun de s’adapter,

de s’intégrer dans la société et d’autre part, de permettre à la société de présenter une relative

cohésion ; la société dicte à l’homme ses manières de penser et d’agir, ce dernier intériorise

les normes établies par la société via son éducation et c’est de cette manière que l’individu se

socialise et devient un être social.

Alors que l’homogénéité sociale et l’existence d’une culture unique prévalent dans la

conception durkheimienne, nous préférons présenter une définition plus actuelle du processus

de socialisation, à savoir un « processus d’interaction sociale qui implique que la culture

n’est pas figée dans une sorte d’unicité mais suppose la coexistence de cultures différentes,

voire de subcultures dans une même société ».28 La socialisation est donc à la fois un

processus d’homogénéisation et de différenciation. D’homogénéisation dans ce que chaque

individu incorpore les valeurs, intériorise la culture que la société lui inculque. De

différenciation dans ce que les échanges entre des groupes d’individus de culture différente

entraine des changements dans les valeurs et les normes initiales.

Peter Berger et Thomas Luckmann, dès 1966, distinguent alors la socialisation primaire de la

socialisation secondaire, distinction communément répandue et reconnue aujourd’hui dans la

communauté scientifique29.

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• La socialisation primaire

La socialisation primaire concerne celle vécue dans la petite enfance. Chronologiquement, la

famille est l’instance de socialisation la plus déterminante. Berger et Luckmann considèrent

que la socialisation primaire est plus « solidement incrustée dans la conscience »30 que la

socialisation secondaire parce que l’enfant intériorise le seul et unique monde qu’il connait,

qu’on lui offre ; il intériorise les valeurs de base présentes dans la cellule familiale, des

modèles de faire, de penser, d’agir et de réagir, d’être en société, d’être par rapport à soi-

même.

L’intervention des pairs étant de plus en plus précoce, nous pouvons nous interroger sur la

solidité et l’unicité de cette socialisation primaire qui tend à multiplier ses instances de

socialisation et à présenter un monde hétérogène et pluriel dès le plus jeune âge de l’enfant.

Les médias, tels que la télévision et l’Internet, prennent aujourd’hui une place prépondérante

dans la vie d’un enfant et ouvrent des horizons qui dépassent largement la sphère familiale.

Le fait d’être un enfant migrant facilite-t-il le processus de socialisation et la rencontre avec

l’autre ou cela perturbe-t-il davantage sa construction identitaire ? Par la suite, comment le

migrant devenu adulte reste-t-il marqué par cette socialisation primaire, quelles traces restent-

ils de sa culture d’origine dans sa manière de vivre et de penser sa vie d’adulte en France ?

Nous pensons qu’un migrant, bien qu’ayant vécu plus de 30 ans en France, garde des traces

indélébiles de sa socialisation primaire et reste marqué à jamais par ce qui fut sa « culture

d’origine ».

• La socialisation secondaire

La socialisation secondaire constitue une rupture par rapport à la socialisation primaire. Au

contact de nouveaux groupes, l’enfant ou le migrant va vivre de déstructurations et de

restructurations d’identités. Il est détaché de ses particularismes familiaux et se retrouve

confronté à de nouveaux groupes et donc à de nouvelles normes, de nouvelles références.

Cependant, l’identité globale acquise dans la socialisation primaire ne s’efface jamais

totalement. Même si la socialisation primaire présente des normes intériorisées que nous

pourrions qualifier d’irréversibles, les enfants migrants peuvent plus facilement remettre en

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cause certains pans de leur socialisation primaire d’autant que la socialisation secondaire

arrive tôt. L’individu est alors partagé entre son groupe d’appartenance et son groupe de

référence. Nous l’avons vu précédemment, chaque groupe possède ses normes, ses valeurs,

son organisation. En intégrant un nouveau groupe, le migrant incarne un nouveau rôle, adopte

de nouvelles attitudes qui peuvent être contradictoires avec ce qu’on lui demande d’être dans

la sphère familiale ou dans le rôle qu’on lui assignait dans son pays d’origine. Quelles

stratégies met-il alors en place ? Comment s’opère l’adaptation ou non-adaptation au groupe ?

2.2.2 Ecole et socialisation

Chaque enfant, dans le cadre de sa scolarisation vit un premier bouleversement. L’enfant est

arraché à son particularisme familial et est face à une nouvelle configuration : la forme

scolaire. Aujourd’hui, on reconnaît à la forme scolaire son omniprésence dans la société. On

reconnaît également à l’école d’être un vecteur de socialisation, d’être une caisse de

résonance des représentations sociales et des positions sociales. Pour Emile Durkheim, l’école

est un générateur d’intégration sociale. François Dubet affinera plus tard que l’école est non

seulement un lieu d’inculcation mais aussi un lieu de construction de soi, un lieu d’auto-

formation qui permet à chaque individu de se construire comme sujet.31 C’est ainsi qu’au-delà

d’évoquer la réussite scolaire, nous pouvons considérer l’expérience scolaire comme

essentielle à l’intégration du migrant mais aussi à tout un chacun. L’école, pour l’enfant

migrant, est un agent de socialisation et d’intégration qui va lui permettre d’acquérir des

valeurs, des normes, des rôles et le langage.

Parallèlement, il peut se produire ce que l’on appelle la « socialisation conflictuelle ».32 Elle

intervient lorsque qu’un trop grand décalage existe entre la socialisation familiale et la

socialisation scolaire, entre ce qui est demandé à l’enfant dans la sphère privée et ce qu’on lui

demande d’être ou de faire à l’école. Cette socialisation conflictuelle est plus généralement

reconnue quand intervient la notion de classes sociales. Dans l’expérience migratoire de

l’enfant migrant, on peut supposer que le risque de socialisation conflictuelle est d’autant plus

important qu’il conjugue nouvelles normes scolaires et différences culturelles.

Cependant, Talcott Parsons souligne que « plus la conformité aux normes et aux valeurs de la

société intervient tôt dans l’existence de l’individu, plus elle conduit à une adaptation

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adéquate au système social »33 Ainsi, un enfant migrant aurait plus de facilités à s’intégrer et

s’adapter que ses parents. Comment se manifeste alors la situation des individus éprouvant

des difficultés dans leur processus de socialisation ? Car c’est de ce processus que dépend

l’intégration d’un individu au sein du groupe, au sein de la société et que se joue sa

construction identitaire. L’individu compose donc entre sa culture d’appartenance et celles

des autres, ajustant son degré de conformisme au groupe. La notion de conformité et

d’uniformité dans une société est toute relative. En effet, le système social comporte en son

sein une multitude de groupes avec des normes communes et des normes propres. Un individu

peut dès lors être facilement considéré comme déviant par un groupe alors qu’il ne transgresse

en rien les règles de son propre groupe. Nous pouvons donc nous interroger sur la pertinence

de considérer un individu comme déviant sachant que la notion de déviance est relative aux

cultures, aux normes et aux contextes. La dimension culturelle apparait alors comme

indissociable du processus de socialisation et suppose la prise en compte de la question de la

différence et de l’altérité.

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2.3 Le concept de culture et ses déclinaisons

2.3.1 La notion de culture

Le lien entre l’histoire du mot « culture » et l’histoire des idées est indéniable, mais il est

aujourd’hui assez répandu que la notion de culture renvoie à l’ensemble des modes de vie et

de pensée d’une communauté, d’un peuple. Edward Burnett Taylor, en 1871, donne une

définition du concept qui est de dire que la « culture, pris dans son sens ethnologique le plus

étendu, est tout ce complexe qui comprend la connaissance, les croyances, l’art, la morale, le

droit, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l’homme en tant que

membre de la société »34. L’homme acquiert ainsi une culture, une dimension sociale et

collective en grande partie inconsciente.

Dire que « Chaque homme est semblable à tous les autres, semblable à quelques autres,

semblable à nul autre »35 nous rappelle ainsi que nous sommes tous génétiquement

semblables, que nous nous reconnaissons et nous identifions au sein de groupes et que nous

n’en restons pas pour le moins unique dans notre histoire et notre identité propre. Pour Franz

Boas, « la différence fondamentale entre les groupes humains est d’ordre culturel et non

racial »36. C’est ainsi qu’il devient acquis que tous les hommes sont génétiquement

semblables, sans discrimination de race, et qu’il n’existe pas de processus de socialisation

généralisée. Le processus de socialisation dépend donc de la culture d’un peuple, tout en

sachant que cette culture est évolutive et se construit au fil du temps.

Comment pouvons-nous dans ce cas parler de « culture d’origine » ? Quelle légitimité

accorder à cette expression ? En France, la tendance à la stigmatisation est de mise, les

immigrés restant cantonnés à la culture nationale de leur pays d’origine. Or, la culture n’est

pas un système stable, les contacts de culture occasionnés par la migration font évoluer et

s’adapter les individus, produisant de nouvelles « organisations culturelles ». Il nous semble

donc erroné de penser l’identité et la personnalité du migrant à travers sa seule culture

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d’origine en occultant ce qu’il est entièrement, en omettant ses diverses expériences

notamment celle d’acculturation.

2.3.2 Le phénomène d’acculturation

C’est en 1936 qu’une définition du terme acculturation est donnée, faisant autorité jusqu’à ce

jour. Un comité de recherche sur les faits d’acculturation publie le Mémorandum pour l’étude

de l’acculturation et la définit comme « l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un

contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui

entraînent des changements dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes ». 37 Dans un sens plus restreint, l'acculturation peut concerner un individu confronté à une

culture différente de la sienne. L’acculturation ne fait absolument pas référence à une

déculturation, le préfixe « a » ne doit pas être compris comme privatif, il provient du latin ad

et fait davantage référence à un mouvement de rapprochement.38 De la même manière, il ne

faut pas confondre acculturation et assimilation, cette dernière faisant référence à une

disparition totale de la culture d’origine d’un groupe ou d’un individu et ayant intériorisé la

culture du groupe dominant.39 C’est peut être ce que les politiques d’immigration ont essayé

de mettre en place dans les années 70 avec une politique assimilationniste qui consistait à

inviter les immigrés à balayer leur culture, à mettre de côté, à renier leurs origines.

Aujourd’hui, la politique d’immigration, même si elle tend à réguler les flux, est davantage

tournée vers l’interculturel et la prise en compte de la culture de chaque individu.

Connaître les mécanismes liés à l’acculturation permet de mieux y faire face. C’est un

phénomène permanent, continu et non pas occasionnel. C'est un phénomène universel et

constitutif des cultures qui « transforme les sociétés fermées en sociétés ouvertes ».40

L’acculturation entraine des implications tant au niveau de l’individu qu’au niveau du groupe.

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2.3.3 Implications

• Au niveau de l’individu

Pour un migrant arrivant dans un pays d’accueil, la première barrière est avant tout

linguistique. Dès lors, la communication avec autrui devient problématique. Le migrant peut

ainsi éprouver des difficultés pour comprendre les informations orales comme écrites

présentes dans la vie de tous les jours. Les formalités administratives, les panneaux de

signalisation, les prescriptions médicamenteuses, le courrier peuvent alors devenir un obstacle

à la socialisation du migrant. L’accompagnement des primo-arrivants par des personnes

ressources représente dans ces circonstances un élément clé de la réussite d’intégration.

Parallèlement, l’école étant l’instance de socialisation par excellence pour un enfant migrant,

les difficultés rencontrées peuvent alors être de s’adapter au langage scolaire, à la forme

scolaire. En effet, les problèmes linguistiques sont porteurs de nombreuses répercussions, les

problèmes de compréhension des consignes influent sur la capacité à effectuer les travaux

demandés et peuvent amener à une situation d’échec scolaire. De même, pour un migrant

ayant déjà vécue une scolarisation dans son pays d’origine, certaines attitudes sont perçues

comme déplacées et impolies alors que l’enfant croit bien faire.

• Au niveau du groupe

Le contact de cultures provoque des changements dans les deux groupes.

Face à une nouvelle culture, l’individu découvre dans un premier temps des éléments

méconnus, des façons de faire, de voir de penser, qui diffèrent de ce qu’il connait. Il peut

également trouver des points communs. Dans tous les cas, ce nouveau contact permet à

l’individu de se positionner de se comparer et de réfléchir sur sa propre culture.

Dans le cadre scolaire, l’arrivée d’un primo-arrivant va occasionner une redistribution des

rôles, une nouvelle organisation de classe, une reconsidération de ses propres points de vue et

représentations. L’organisation de la classe et du groupe en général se modifie avec l’arrivée

d’un nouvel élément. Les attitudes changent, l’enseignant s’adapte à cette nouvelle donne.

Emprunts de curiosité de part et d’autre, chacun va reconsidérer l’autre et se reconsidérer soi-

même et établir des changements durables.

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2.3.4 De la richesse de l’acculturation

Pour Roger Bastide, l’individu n’est pas nécessairement aux prises avec les deux cultures en

présence dans son processus d’acculturation. Pour expliquer comment un migrant peut

« réaliser des opérations sans manifester d’incohérences et sans souffrir de déchirantes

contradictions »41, il évoque le « principe de coupure » où l’individu participe à plusieurs

univers distincts sans ressentir de discordance. Pour Bastide, il s’agit davantage de

comprendre les aptitudes et habiletés déployées par l’individu au contact de deux cultures que

de déplorer les possibles conflits des acteurs en présence. La marginalité culturelle est alors,

pour l’auteur, génératrice de « créativité et de ressources en faveur de l’adaptabilité et du

changement social et culturel »42. Ainsi pensé, le phénomène d’acculturation apparait comme

une richesse susceptible de développer de nouvelles formes d’adaptation chez l’individu et de

modifier sa personnalité.

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2.4 De la notion d’identité à la construction identitaire

2.4.1 La question de l’identité

Le dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation considère que « la notion

d’identité désigne l’ensemble des caractéristiques qui constituent un sujet dans sa singularité

et sa permanence. Elle présente un versant objectif (qui renvoie aux attributs personnels et

socioculturels qui définissent ce sujet) et un versant subjectif (la conscience que le sujet a de

son identité et de sa continuité temporelle) ».43 Nous distinguons « l’identité personnelle »

d’un individu, celle qui renvoie à ce qu’un individu a d’unique (caractère, qualité, défaut), et

« l’identité sociale », qui renvoie, elle, à un statut au sein de la société (nationalité, sexe,

religion). La notion d’identité n’a alors de sens que par rapport à l’autre, à l’étranger.

L’identité d’un individu se définit à travers autrui, se reconnaissant ou se distinguant d’un

groupe.

Par ailleurs, la construction de l’identité est une construction permanente, et l’enfant migrant

n’arrive pas dans le pays d’accueil avec une identité figée sur laquelle il superpose une

deuxième identité. C’est à la fois un processus interne et externe à chaque sujet. Denys Cuche

explique ainsi que « l’identité se construit et se reconstruit constamment au sein des échanges

sociaux ».44 Amin Maalouf pense lui que « l’identité ne se compartimente pas », qu’elle est

« faite de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un dosage particulier qui n’est jamais le

même d’une personne à l’autre ».45 L’identité du migrant sera donc le reflet de toutes les

expériences vécues et non seulement le reflet d’une appartenance culturelle liée à son origine.

Claude Dubar ajoute que « l’identité n’est autre que le résultat des divers processus de

socialisation »46

.

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De nombreux chercheurs ont ainsi travaillé sur l’approche dynamique des phénomènes

identitaires et ont évoqué « les stratégies identitaires » pour désigner les mécanismes mis en

place par l’individu pour survivre dans sa différence ou sa similitude.

2.4.2 Les stratégies identitaires

L’aspect stratégique de ce mécanisme identitaire amène à penser en un choix de l’individu,

une liberté d’action quant à la définition de soi. Il en ressort « une part importante de choix et

donc d’indétermination quant aux formes et issues des processus stratégiques »47. L’identité

d’un individu n’est donc nullement déterminée mais conditionnée par les situations et les

enjeux que les stratégies suscitent, ainsi que par les ressources et les finalités dont les

individus disposent.

Les recherches effectuées sur les finalités identitaires font ressortir que la reconnaissance de

soi au sein de la société apparait comme une finalité stratégique essentielle.48 Les processus

d’accommodation et de différenciation évoqués plus haut dans la définition du processus de

socialisation nous rappellent ainsi l’importance des notions d’appartenance et de singularité.

L’individu ressent à la fois le besoin d’appartenir à un groupe, de s’y reconnaitre et le besoin

de mettre en avant ses spécificités qui font de lui un être unique. L’individu peut dès lors

développer des attitudes tournées vers des objectifs de conformisation, d’anonymat,

d’assimilation, qui tentent de résoudre les conflits identitaires au profit du système social

dominant, ou encore de différenciation lorsque ces finalités ne sont pas atteintes.

La conformisation consiste pour un individu « à mettre en place des comportements

conformes aux attentes »49, et ainsi diminuer l’écart qui existe entre l’individu et son

environnement. Notons cependant que les comportements externes ne se trouvent pas toujours

être en corrélation avec les comportements internes de l’individu, ses opinions. La

conformisation externe peut alors laisser place à des tensions psychologiques chez l’individu.

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L’anonymat permet lui de passer inaperçu. « Ne pas se faire remarquer, c’est montrer qu’on

respecte les règles établies, c’est avoir le sentiment d’être considéré comme les autres »50 et

c’est aussi contribuer au maintien de la cohésion sociale.

L’assimilation, évoquée ci-dessus, correspond à une recherche extrême de similitude avec la

société d’accueil et se manifeste par l’oubli volontaire de l’acteur social de ces

caractéristiques historiques et culturelles.

La différenciation survient lorsque l’individu ressent le besoin de se démarquer du groupe,

elle lui permet ainsi d’avoir une place, un statut spécifique. C’est en se démarquant qu’il a le

sentiment d’exister, d’être quelqu’un avec une identité propre. Mais cette stratégie est

énergiquement coûteuse dans le sens où « l’acteur doit sans cesse veiller à ne pas se

dissoudre dans son environnement, créer de la différence (…) et simultanément veiller à ne

pas aller trop loin, ne pas se faire exclure »51.

L’enquête de terrain ci-après nous donnera l’occasion de mettre en avant certaines de ces

stratégies identitaires que les individus mettent en place, consciemment ou non.

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3. METHODOLOGIE DE RECHERCHE

3.1 Protocole de recherche

L’enquête de terrain aura pour cadre le récit de vie. L’intérêt de ce choix réside dans le regard

de la personne. Il apparaissait plus pertinent d’avoir le recul et la distance de l’adulte vis-à-vis

de son vécu. Un enfant en situation de primo-arrivant n’est pas forcément en mesure d’avoir

un regard objectif et distancié sur ce qu’il est en train de vivre en termes de construction

identitaire, d’adaptation et d’intégration. Rappelons que les effets de l’acculturation ne sont

repérables qu’au terme d’un certain laps de temps.

Nous avons ainsi construit notre guide d’entretien sous forme de tableau à double entrée (cf.

annexe 6). Sur un premier axe nous avons pris en compte la dimension temporelle en

distinguant la période pré-migratoire et la période post-migratoire elle-même composée de

trois phases : la première phase d’adaptation, la phase intermédiaire et la situation actuelle de

la personne interviewée. Sur un second axe, apparaissent les différentes dimensions relevées

interagissant dans la construction d’un individu et décrites en première partie :

- La dimension subjective : se réfère à l’ensemble des processus par lesquels l’individu

réorganise ses structures affectives et mentales en intériorisant certains éléments du monde

extérieur en les intégrant à son fonctionnement mental. Cela concerne également la quête

identificatoire de tout individu et plus particulièrement du migrant.

- La dimension cognitive : concerne les facultés de penser, d’agir, le travail scolaire, les

apprentissages, tout ce qui a trait au discernement, à la logique et au raisonnement.

- La dimension sociale : à savoir l’inscription du migrant dans les groupes et dans les

milieux.

- La dimension culturelle : comprend l’ensemble des pratiques, des croyances, des valeurs

partagées par les membres d’une même communauté ainsi que l’environnement naturel.

Le croisement de ces données ont mis en avant des indices, reformulés en questions, qui nous

serviront de trame à la menée de nos entretiens et nous permettront soit de confirmer soit

d’infirmer notre hypothèse de départ (annexe 7).

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3.2 Procédure

Concernant le recueil des données exploratoires, il s’agit de personnes de notre entourage

direct ou indirect. Pour une enquête plus approfondie nous envisageons le démarchage auprès

d’associations, structures, maisons de quartier en Drôme Ardèche. Cette approche peut

nécessiter plus de temps mais nous garantit un contact direct et une relation de confiance avec

les participants. Le pays d’origine est indifférent et nous rappelons que nous recherchons des

adultes arrivés en France à un âge se situant approximativement entre 6 et 12 ans.

En ce qui concerne la présentation de notre sujet d’étude aux participants, nous leur

expliquons ce qui suit :

« Je suis étudiante en master 1 dans le domaine des sciences de l’éducation et je réalise

actuellement un travail de recherche intitulé : le phénomène d’acculturation du migrant dans

son processus de construction identitaire. L’objectif de cet entretien est de recueillir des

informations sur la manière dont vous vous êtes construit dans un pays dans lequel vous

n’êtes pas né, sur ce que vous avez vécu et comment vous l’avez vécu. Nous aborderons des

thèmes en lien avec la famille, la culture, l’école, la vie sociale, l’identité en lien avec votre

propre histoire, de votre enfance jusqu’à aujourd’hui. Pour faciliter l’analyse de l’entretien,

je vous demande l’autorisation d’enregistrer notre conversation et vous garantit l’anonymat

dans la restitution de mon travail. Avez-vous des questions avant de commencer?»

Les interviews sont enregistrées avec l’accord des personnes afin de faciliter la retranscription

et le traitement des données. Ces entretiens se sont tenus et se tiendront soit au domicile des

participants soit à mon domicile. Un lieu calme et privé est dans tous les cas préférable. Nous

limitons la durée des entretiens à une heure. Le questionnaire des entretiens semi-directifs

apparait en annexe 8. A l’issu de l’entretien, les participants sont remerciés de leur

participation et conviés à participer à l’interprétation du traitement des données. Une

présentation globale de ce travail est prévue pour chacun d’eux. Ci-dessous, un tableau

récapitulatif des caractéristiques des personnes interrogées :

Lettre Sexe Pays d’origine Âge lors de

l’arrivée en France Âge actuel nationalité

A Masculin Maroc 11 45 Marocaine

B Masculin Algérie 13 28 Algérienne

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C Masculin Laos 7 38 Française

3.3 Présentation des récits de vie

Pour le traitement des données, nous avons distingué les quatre variables afin de mieux faire

ressortir les éléments importants en fonction des différentes approches. Après plusieurs

écoutes et relectures des notes, nous avons ainsi croisé les informations, dégagé des

invariants, relevé les grandes tendances que nous allons évoquer ci-après. Une retranscription

d’entretien figure en annexe 9. Auparavant, nous tenons à présenter chacun des récits obtenus

afin de mieux visualiser le parcours des différentes personnes interviewées.

L’histoire de A

A, issu de famille modeste, très bon élève, responsable et autonome dans son travail, part du

Maroc à 11 ans avec un niveau de cinquième, en 1976.

Emprunt de discipline et de respect il intègre d’abord une classe de CE2, sans évaluation de

son niveau scolaire et avec comme seule référence son niveau de français, niveau en

l’occurrence débutant. Il poursuit par un début de CM1 pour ensuite intégrer la 6ème en cours

d’année. Il est bon élève, parle couramment le français au bout de quelques mois et n’a pas de

difficultés particulières pour suivre les cours.

Une mauvaise orientation scolaire écourte la poursuite de ses études. Placé dans une

formation professionnelle en électrotechnique contre son gré, il arrête en cours d’année et

entame une période un peu hors normes. Après quelques années chaotiques, il se forme aux

métiers de la cuisine, y travaille pendant plus de dix ans et se tourne ensuite vers la musique et

le spectacle, milieu dans lequel il travaille aujourd’hui depuis une dizaine d’années.

Ce qui ressort de ce récit est une grande lucidité identitaire, une intégration vécu avec

positivisme, mais aussi la souffrance du regard de l’autre, l’incompréhension de ne pas avoir

pareil que les autres.

La notion de « choc culturel » n’est pas présente mais il parle davantage de longue période

d’observation, d’atterrissage face à cette nouvelle société.

Il a aujourd’hui 45 ans et est père de deux enfants et 15 et 10 ans. Il vit et travaille en Drôme.

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L’histoire de B

B, part d’Algérie à treize ans en 1996 avec un niveau troisième et deux ans d’avance. Il rejoint

sa mère, en France depuis trois ans, avec le reste de sa famille et quitte un pays en pleine

guerre civile.

Il intègre une classe de 6ème sans dispositif d’évaluation ni de classe de rattrapage spécifique.

Du fait de ses deux ans d’avance, la différence d’âge est absente, mais l’apprentissage du

français (scolaire) pose quelques difficultés : grammaire, conjugaison.

Après l’obtention du brevet des collèges, il poursuit avec un BEP électronique, s’oriente vers

un bac professionnel qu’il ne finalise pas et opte pour une formation musicale dont il fait son

métier.

Les éléments les plus marquants sont une longue période de rêve face à ce confort que

représente la France, une absence de conflit identitaire, la présence de libertés nouvelles.

Il se sent intégré et le définit comme suit : « Pour moi être intégré c’est déjà prendre

connaissance de la culture qui est déjà là et la respecter. ».

Il a aujourd’hui 28 ans. Il vit et travaille en Drôme. Il est père de deux enfants de 5 et 2 ans.

L’histoire de C

C, issu d’un milieu bourgeois, quitte le Laos en 1980 à l’âge de sept ans avec sa famille dans

des conditions de voyage un peu délicates. Accueilli en France par « les enfants du Mékong »,

il intègre une classe de CP, parle couramment le français en un an et fait preuve d’une volonté

d’adaptation particulière. Il reconnaît avoir mis sa culture d’origine de côté jusqu’à la fin du

collège, et ne pas vivre avec le sentiment d’être étranger. Il poursuit sa scolarité sans heurts,

obtient son brevet des collèges, mais son arrivée au lycée le plonge dans un sentiment de

déracinement. Il valide cependant un bac G et travaille aujourd’hui dans les services d’aide à

la personne. Ce qui ressort encore une fois de cette longue phase est l’impression d’être

comme dans un rêve, dans une bulle. L’élément marquant est aussi le reniement de sa culture

d’origine jusqu’à son adolescence pour ensuite comprendre son histoire et l’accepter.

Il a aujourd’hui 38 ans, vit et travaille en Drôme, et est célibataire sans enfant.

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3.4 Résultats

3.4.1 L’expérience migratoire

L’expérience migratoire est un premier déracinement. Les trois cas dont il est fait référence ici

sont révélateurs de contextes sociaux, politiques et scolaires différents non conscientisés par

les enfants. Deux d’entre eux viennent du continent africain et plus particulièrement du

Maghreb et le troisième du continent asiatique, du Laos.

• Les contextes de départ

Concernant la migration vécue, notons que les trois types évoqués dans la partie théorique

sont représentés. En effet, A, bien que rejoignant son père installé en France, se retrouve dans

un cas de migration forcée puisque séparée de sa mère contre sa volonté. B, quant à lui s’est

retrouvé dans une situation de regroupement familial et C est arrivé en France dans un

contexte de migration économique (voire de migration forcée).

Au-delà de l’aspect théorique des types de migration, il ressort que les enfants sont davantage

portés par la sphère affective, le contexte familial semble primer sur l’expérience migratoire.

Lorsque nous évoquons leur sentiment lors de leur arrivée en France, l’important pour eux et

le fait le plus marquant est soit le fait d’être séparé d’un membre de sa famille, soit de

rejoindre un membre de sa famille et plus particulièrement les parents, et que le pays de

destination et les conditions d’accueil arrivent au second plan.

Cependant, le contexte historique et politique du pays d’origine et du pays d’accueil

conditionne considérablement l’intégration et l’acculturation du migrant. A arrive en France

en 1976 à une époque où la politique assimilationniste semble primer. Les premières

générations d’immigrés, dont celle de son père, sont représentatives de cette période et se

manifestent par un oubli volontaire de la culture d’origine voire un reniement des pratiques et

croyances initiales. En 1994, la politique assimilationniste n’a plus sa place, l’accueil des

immigrés et notamment des enfants dans le cadre scolaire a sensiblement changé et permet

une meilleure prise en charge de leur scolarité et de leur socialisation dans le respect de leur

culture d’origine.

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• La socialisation anticipatrice

Il ressort que les enfants migrants n’ont pas accès à la socialisation anticipatrice citée

précédemment. Les contextes de départ du pays ne leur permettent ni d’être associer au projet

de départ de leurs parents, de leur famille ni de s’approprier et d’intérioriser par avance les

normes et valeurs du pays d’accueil. L’enfant suit, il ne choisit pas délibérément de migrer.

Cependant, notons que pour les récits relatifs à la culture maghrébine, il ressort une certaine

connaissance de la culture du pays d’accueil surtout pour B qui évoque les chaines de

télévision française, les écoles françaises, la prégnance de la langue française. Les

représentations de la France sont toutefois peu nombreuses mais sont volontiers associées au

confort matériel :

A : « La France c’était un super pays avec plein de choses (…), c’était l’image de la réussite

et de la liberté »

Bien qu’ils n’aient pas eu le temps de s’approprier et d’intérioriser les normes et les valeurs

de la culture française, A et B projettent quand même une sorte d’idéalisation de ce que

représente pour eux la vie en France. Elle rime alors avec réussite et liberté. Remarquons

cependant que la réalité effective est tout autre puisque A et B souffrent de ce décalage social.

Il existe bel et bien un décalage entre la réalité effective et l’idéalisation qui peut alors

occasionner des déceptions.

Quant à C, la découverte est totale. Son départ du Laos est relativement précoce puisqu’il n’a

que sept ans, sa connaissance de la France est inexistante. Il ne peut anticiper son intégration

dans le pays d’accueil et reste à la merci d’un monde inconnu. Malgré des conditions de

départ difficiles, il est accueilli en France dans un village avec toute sa famille par « Les

enfants du Mékong », une Organisation Non Gouvernementale (O.N.G.) qui lui permet d’être

correctement pris en charge et d’être en lien direct avec des personnes à même de comprendre

ses conditions de vie et de voyage.

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3.4.2 L’expérience d’acculturation

Nous entendons souvent parler de « choc culturel » dans les médias pour évoquer ce que

rencontre les migrants en arrivant dans un pays d’accueil et notamment en France. Nous

pouvons relever ici l’absence de « choc culturel » mais davantage une longue phase

d’adaptation. L’arrivée en France est davantage décrite comme un long atterrissage :

C : «Ce n’était pas choquant, c’était juste différent. »

A : « T’es juste ébahi, scotché par tout ce qui se passe. »

Le fait d’être un enfant et non un adulte permet peut-être une malléabilité de la rencontre avec

une nouvelle culture.

• L’aspect linguistique

Á leur arrivée en France, aucun ne parle français. Pourtant, l’apprentissage – tout du moins

l’oral – est rapide et tous parlent couramment français au bout d’un an, ce qui ne semble pas

aussi évident pour les parents.

Au domicile, la langue parlée est la langue d’origine, au moins au début. Puis, au fil des

années, le français s’installe et devient la langue première de communication, même dans la

sphère familiale. Ce changement linguistique notoire qui s’inscrit dans le temps semble être

un bon indicateur d’intégration et d’adaptation du migrant dans le pays d’accueil. Faire de la

langue française la langue du quotidien est largement révélateur de l’intériorisation d’un

ensemble de normes et de valeurs, d’une manière de penser qui correspond à la culture

française. Car la langue est représentative d’une culture, et tant que le migrant n’a pas

assimilé de nouveaux repères, intégré de nouvelles normes, il s’attache aux symboles qui

représentent ce qu’il est et d’où il vient. Continuer à parler sa langue d’origine constitue pour

lui un repère identificatoire dans sa quête de construction identitaire. Le migrant se rattache à

des éléments connus de son identité, des symboles faciles à identifier.

A : « J’ai jamais pu parler à mon père en français (…) dans la rue, il ne fallait pas parler

arabe, quand il y avait des gens, c’était vraiment un traumatisme pour moi, quand il fallait

parler à mon père en français, je ne me sentais pas bien, j’avais l’impression de perdre tout

ce que j’étais »

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• La socialisation primaire

Il apparaît qu’en vieillissant, le migrant sent ressurgir ses racines, ses origines, mais en les

redécouvrant avec un autre regard. Les traces de la socialisation primaire refont surface et

rejoignent ainsi les propos de Berger et Luckmann qui considèrent que la socialisation

primaire est « solidement incrustée dans la conscience ». Bien que résidant en France depuis

vingt voire trente ans, le migrant devenu adulte reste façonné par les valeurs et les normes

inculquées dans la prime enfance, et sa manière d’agir et de penser reste marquée par cette

socialisation primaire.

A : « En vieillissant, j’ai l’impression de retrouver certains tics, certains tocs, par exemple la

musique. »

• Le relativisme culturel

Les personnes interrogées ne croient pas forcément avoir quelque chose de plus que les autres

parce qu’ils sont malgré tout passés par des moments difficiles, mais reconnaissent tout de

même faire preuve d’un certain relativisme culturel, être enclin à la compréhension du

contexte culturel :

B : « Les algériens ils connaissent bien les français, mais c’est les français qui ne connaissent

pas bien les algériens »

B : « J’ai encore quatre frères et sœurs en Algérie et je sais que j’ai développé une ouverture

qu’ils n’ont pas »

A : « J’ai très vite découvert d’autres lieux, d’autres horizons, d’autres choses qui se

faisaient, ça m’a vachement ouvert malgré tout »

A : « Je pense que le voyage, le fait de découvrir d’autres cultures et d’autres gens, la

sécurité sociale devrait l’imposer à tout le monde plutôt que de payer des médicaments (…) le

voyage ouvre l’esprit et forge la jeunesse »

Forts de leur expérience, ils souhaitent un effort d’éducation à la différence :

A : « C’est une mentalité à changer, un autre regard à avoir sur l’enfant qui vient : ne pas le

blâmer, pas lui faire sentir qu’il est immigré parce qu’il y est pour rien. »

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Un souhait d’éducation à la différence mais aussi une réflexion sur les politiques

d’immigration :

A : « Le jour où tu rentres en France, où on t’accepte, on devrait en même temps t’éduquer à

être français sinon tu grandis avec l’amertume et presque tu la refuses l’identité française. »

A : « Je ne me suis jamais senti « français français », c’est parce qu’on ne m’a jamais ouvert

la porte à me dire : t’es français. »

C’est en ce sens que la compréhension des phénomènes d’acculturation est importante :

connaître les parcours, les comprendre pour mieux affronter la réalité.

• La socialisation secondaire

Dans l’expérience d’acculturation, la notion de durée à une valeur extrêmement importante,

l’appropriation d’une culture n’est pas innée mais vient du contact que l’on a avec elle.

D’abord aux prises avec sa culture initiale et la culture du pays d’accueil, le migrant trouve

alors peu à peu son indépendance morale. Il ajuste son degré d’appartenance à tel ou tel

groupe de référence. Tous les trois pratiquent et ont pratiqué une activité sportive en

association ou en club leur permettant la rencontre et un suivi de relations avec des pairs.

Suite à la phase de découverte, le migrant s’inscrit peu à peu dans les groupes et intègre les

manières de faire et de penser dans de multiples contextes de la vie courante.

C : « Ça fait tellement longtemps que je suis en France que je me suis accaparé la culture

française. »

Les mécanismes mis en place pour s’intégrer dans les groupes ne correspondent pas

forcément à ceux rencontrés lors de la socialisation primaire. Á une pluralité de contextes

d’interaction se conjugue une pluralité de comportement d’un même individu. Cette diversité,

bien que pouvant paraitre comme une multitude d’éléments contradictoires, n’évoque pas

forcément de contradiction pour l’individu lui-même.

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3.4.3 L’expérience scolaire

L’expérience scolaire constitue un moment fort d’acculturation et de socialisation pour le

migrant. Si nous reprenons le point de vue de Durkheim en ce que la société agit sur les

individus pour en faire des êtres sociaux et adaptés, nous pouvons évoquer le curriculum

scolaire, c'est-à-dire « l’ensemble de ce qui est censé être appris, selon un ordre de

progression déterminé, dans le cadre d’un cycle d’études donné »52 et insister sur

l’importance du rôle socialisant de l’école. Au-delà des savoirs enseignés, l’école transmet

des manières de faire et de penser représentatives d’une partie de la culture française, c’est le

curriculum caché. L’élève va alors apprendre le langage, le rôle qu’il a à jouer dans la société,

les normes et les valeurs en présence. L’enfant, de par sa scolarisation, se retrouve en contact

direct et quasi permanent avec la culture du pays d’accueil. Les parents quant à eux peuvent,

selon leur situation, être en réelle distance par rapport aux normes et valeurs citées ci-dessus.

Dans la mesure où l’adulte se retrouve par exemple sans emploi, il peut mettre beaucoup de

temps avant de pouvoir intérioriser la culture locale. L’expérience scolaire est alors vecteur de

socialisation.

Concernant les contenus scolaires, le premier fait marquant est l’absence de grandes

difficultés. Même si aucun des trois n’a bénéficié de dispositif spécifique d’évaluation ou de

remise à niveau, ils ont très vite parlé français, ont très vite eu une « attitude d’élève »

correspondant à la forme scolaire française. Ce constat rejoint alors l’idée de Talcott Parsons

lorsqu’il déclare qu’un individu est d’autant mieux adapté au système en place qu’il se trouve

être très tôt en conformité avec les normes et les valeurs de cette même société.

Chronologiquement, nous pouvons faire état de trois phases distinctes :

1. La phase d’adaptation, de découverte

Cette phase se manifeste par une grande motivation quant aux apprentissages et une volonté

particulière de comprendre. Le premier reflexe est de passer inaperçu comme l’explique Amin

Maalouf.53

A : « Moi, c’était à moi de m’adapter de toutes manières »

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C : « C’est à nous de nous intégrer et de prendre le train en route »

Pour les deux personnes de culture maghrébine, à cette période s’associe la découverte d’une

nouvelle ambiance de classe. L’attitude des élèves et des enseignants est très différente.

L’enfant découvre de nouvelles valeurs : les enfants ont leur mot à dire, ont le droit de ne pas

être d’accord et de le manifester. C’est une nouvelle forme de discipline et de respect à

laquelle ils ne participent pas. Ils restent spectateurs et adoptent l’anonymat.

B : « Ce qui était choquant c’était surtout le respect qu’il n’y avait pas entre les élèves et les

profs »

Pour C, les souvenirs relatifs à cette période sont minces. Il ne se souvient pas en tout cas

d’une scolarisation traumatisante mais plutôt d’une intégration au groupe classe équivalente à

n’importe quel autre élève de son âge.

2. Une phase transitoire

Les difficultés scolaires apparaissent au collège au moment de l’adolescence avec comme

première cause le vécu social.

Concernant les contenus scolaires, les difficultés se situent essentiellement en histoire pour C,

qui est face à une histoire qu’il ne connaît pas et qui n’est pas la sienne. Pour B, le français

pose problème : la grammaire, la conjugaison diffèrent énormément de l’arabe, et son âge

avancé ne facilite peut-être pas l’assimilation de ces nouvelles données. Mais l’adaptation à la

norme scolaire est telle qu’elle leur permet de détourner les manques en développant des

stratégies de compensation. Ainsi, même si l’élève ne comprend pas les consignes données, il

apprend à observer ce qui se passe autour de lui, à deviner les attentes des enseignants et à

produire un travail en fonction du contexte. Ainsi pensée, la non-compréhension des

consignes de départ permet au migrant de développer des aptitudes et des potentiels qui vont

intervenir sur sa manière d’appréhender les choses, de réfléchir, de penser et donc d’agir.

L’accompagnement ou la présence de personnes-ressources constituent un aspect

apparemment plus problématique que l’adaptation aux diverses formes d’apprentissage.

Chacun des migrants interviewé a, au cours de sa scolarité, eu la chance de rencontrer une

personne bienveillante qui était là pour le soutenir, l’aider, l’appuyer et a ainsi facilité leur

intégration ou soulevé des manquements. Malgré ces rencontres chanceuses, A et B déplorent

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leur orientation dans des filières techniques et professionnelles. Elle n’a pas été très bien

vécue et s’apparente à de l’injustice :

A : « Mes cours je les fais mieux, le respect aux profs je l’ai mieux et en même temps j’ai

toujours l’impression d’être en dessous, ne pas pouvoir atteindre le niveau de vie qu’ils ont »

A et B ont en effet vécu cette orientation comme une stigmatisation de ce qu’un immigré

magrébin peut aspirer vivre professionnellement. Pouvons-nous ici parler de stigmatisation de

la part du pays d’accueil ou d’un degré de conformisation non atteint par les migrants ? Dans

tous les cas, le sentiment d’injustice est clairement exprimé et l’incompréhension est de mise.

Si nous creusons la discussion, nous nous apercevons que le point de vue des parents était en

totale adéquation avec les propos des enseignants ou du directeur de l’établissement

fréquenté. L’éducation et l‘avenir professionnel sont entièrement confiés au corps enseignant,

en dépit des aptitudes et potentiels de l’enfant.

C quant à lui poursuit ses études et obtient un baccalauréat mais éprouve un dilemme vis-à-vis

de son identité et de sa place dans le ou les groupes. Son interrogation est moins scolaire

qu’identitaire. S’ensuit une période davantage marquée par des conflits identitaires internes et

un mal-être social que par un échec scolaire.

3. La situation actuelle

Aujourd’hui, ces trois personnes parlent couramment français, sont autonomes dans leurs

démarches administratives, et n’ont aucun souci de communication de quelques formes que ce

soit. A et B sont musiciens professionnels et C travaille dans une association de services à la

personne. Ils reconnaissent volontiers que leur parcours professionnel n’est pas anodin et que

les expériences vécues les ont orientées dans un sens qui résonne avec leur histoire.

A : « Ça forge un caractère tout ça, et le caractère participe ensuite à ton intégration ou à ta

désintégration »

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3.4.4 La sphère socio-affective

• Inscription dans les groupes

Nous l’avons vu dans la partie théorique, la notion d’identité n’a de sens que par rapport à

l’autre. L’individu prend conscience de ce que représente « je » au cours du processus de

socialisation. Il négocie entre les influences du monde extérieur et les élans intérieurs et

naturels de sa propre personne. Pendant la phase « d’atterrissage » décrite précédemment, les

migrants n’ont ressenti aucun sentiment d’exclusion ou de racisme. Malgré tout, le sentiment

d’être montré du doigt subsiste. Est-ce alors une réalité objective ou un sentiment de

persécution vécu par les migrants ?

A : « Il y avait un truc bizarre c’était toujours le sentiment d’infériorité que te faisait ressentir

les autres et que tu finissais par accepter à un moment donné par rapport au matériel, par

rapport au confort, à tout un tas de trucs »

Parallèlement, chacun des trois enfants reconnait avoir des camarades de classe « comme les

autres », avoir des amis – français ou non – « comme les autres » et s’intègre dans la classe

sans heurts. Mais les notions de racisme ou d’exclusion interviennent à l’adolescence lors de

la prise de conscience de leur identité. L’émergence de leur indépendance morale leur fait

prendre conscience de leur différence, du regard de l’autre et de leurs efforts pour ne pas se

sentir différent. Ils ajustent leur identité en fonction de l’identité qu’on leur assigne pour

mieux s’inscrire dans les groupes.

A : « Tu cherches toujours à paraître en fait, pour qu’on t’accepte »

• La sphère familiale

Associées à l’expérience migratoire, les modifications matérielles et sociales peuvent

facilement perturber les rôles assignés dans la sphère familiale. L’illustration la plus évidente

est celle de la langue française. De par leur scolarisation, les enfants parlent rapidement

français et se retrouvent à gérer les papiers administratifs de la famille, à servir de traducteur

pour la vie quotidienne et prennent ainsi le rôle de gestionnaire ou de chef de famille malgré

eux. Suivant la culture d’origine et les rôles respectifs de chacun dans la famille, la

redistribution des rôles peut être plus ou moins bien vécue et occasionne des tensions au sein

de la famille.

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Ils reconnaissent ainsi que les enfants sont moteurs de l’intégration de la famille, de

l’adaptation des parents. L’accompagnement des parents, selon leurs dires, est un impératif

pour une meilleure intégration et une meilleure participation de l’enfant.

• La socialisation conflictuelle

Le fait d’être aux prises avec deux cultures, d’être dans une situation de double socialisation

multiplie les influences du monde extérieur et peut s’avérer dense en termes de conflits. Des

divergences trop importantes entre la culture initiale et la culture du pays d’accueil peut

amener à une socialisation conflictuelle. C’est en l’occurrence ce que nous révèle A lorsqu’il

évoque les exigences de son père dans les lieux publics quant à la nécessité de parler français.

La socialisation conflictuelle et la santé mentale de l’individu sont étroitement liées dans le

sens où la santé mentale est conditionnée par la sphère affective d’un individu. Si l’enfant se

trouve tiraillé entre deux situations contradictoires, à savoir les exigences de sa famille et les

normes de la société d’accueil, il est par conséquent dans une situation conflictuelle dans

laquelle il doit choisir et en quelque sorte rendre partie. La difficulté est alors de doser le

partage entre l’inclusion et l’exclusion au sein de chaque groupe.

3.4.5 Les stratégies identitaires

Le contact de deux cultures différentes amène le migrant à une situation de double

socialisation : les repères, les normes et les valeurs se multiplient. Cette diversité occasionne

des conflits que l’individu traite en ayant recours aux stratégies identitaires. Les stratégies

prennent des formes multiples. Le caractère de chacun, indépendamment de sa culture, met en

avant certains aspects d’adaptation : introverti, fragile ou fier et battant, et ce pour la santé

mentale.

La première prise de conscience des différences est sans conteste l’identité personnelle de

l’individu à travers des symboles tels que la couleur de peau, leurs noms, les traits physiques.

Pour la culture maghrébine, il n’y a pas de reniement de culture : ils ont toujours su d’où ils

venaient, ne l’ont jamais oublié, ont toujours su faire la différence entre ce qui leur vient de

leur pays d’origine et ce qui leur vient de la France. Il n’y a pas de conflit identitaire :

B : « Moi je me suis construit en m’imprégnant de la culture française que ce soit à la maison

ou dans la rue »

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Ils précisent se conformer à ce que l’on attend d’eux sans oublier qui ils sont au plus profond

d’eux-mêmes et d’où ils viennent.

Quant à C, l’éloignement de son pays peut-être, son caractère introverti, ont mis à jour une

période de reniement de sa culture d’origine : un rejet total jusqu’à qu’après l’adolescence.

Puis, après une période de bouleversement identitaire, la redécouverte de sa culture d’origine

le fait évoluer, lui permet de mieux savoir qui il est.

Il semble que le premier reflexe des enfants soit sans conteste la conformisation, c'est-à-dire

faire comme tout le monde pour « prendre le train en marche ». Par la suite, l’environnement

familial, la prise en charge éducative ainsi que le caractère de l’enfant vont faire se

développer des trajectoires différentes et donc des stratégies différentes. Tout comme la

construction identitaire, les stratégies identitaires ne sont pas figées et évoluent en fonction

des situations. D’une période de déni peut s’ensuivre une phase de conformisation.

• Le principe de coupure :

La créativité générée par l’expérience d’acculturation se manifeste dans le cadre scolaire mais

également dans toutes les situations de la vie. Ils reconnaissent ainsi volontiers se conduire

différemment suivant les contextes :

B : « T’es pas forcément la même personne ici en France, dans la famille ou dans la rue et

pas la même personne au Bled »

L’individu s’adapte au contexte, aux situations, aux individus et aux cultures présentes sans

pour autant ressentir de malaise ou de gêne. Par habitude et presque de manière instinctive, ils

vont savoir quelle attitude adopter, quel parler avoir, quelle tenue porter suivant s’ils sont

dans un repas de famille ou avec un groupe d’amis.

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• Le sentiment d’appartenance

Tous trois se sentent aujourd’hui biculturel et perçoivent cette bi culturalité comme une

richesse dans la mesure où c’est ce qui a déterminé ce qu’ils sont aujourd’hui :

A : « Quand je voyage, j’ai l’impression de plus représenter la France que le Maroc et même

si quand on me demande je dis je suis marocain, je vais plus parler de la France que du

Maroc »

B : « Je suis originaire d’Algérie, mais maintenant j’ai les deux cultures »

Pour ce qui est des papiers officiels, il est à noter que C est français, et que A et B possèdent

une carte de séjour. Même s’ils reconnaissent le côté « pratique » de la naturalisation, elle

pose tout de même question. En effet, le fait d’être un étranger dans son propre pays d’origine

provoque un sentiment de malaise sans forcément pouvoir y mettre les mots justes et de

parfois mettre en lumière le non-sens des frontières :

B : « Moi, ce qui m’énerve le plus ce sont les frontières. »

Tous les trois acceptent ainsi le terme de « biculturel » pour exprimer le mélange de cultures

qui les a façonnées.

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3.5 Limites de la recherche

Le fait de parler du migrant en général et non du migrant venant spécifiquement d’un pays

inclut de nombreux paramètres. Chaque cas est unique, chaque histoire aussi, et le fait de

venir soit du Maroc soit du Laos obéit à des contextes géographiques, historiques, politiques

et culturels différents.

De même, le fait de ne procéder qu’à un type d’enquête possède ses limites. Le seul récit de

vie peut se révéler insuffisant. L’observation pourrait être un moyen de corroborer les propos

des participants, mais leur attitude s’en trouverait parasitée.

Par ailleurs, le biais le plus répandu dans le récit de vie est l’amplification des propos tenus

par la personne interviewée. La rencontre entre deux individus produit un échange unique et

les interactions sont nombreuses. La neutralité et l’objectivité du narrateur peuvent s’en

trouver biaisées.

Le second biais récurrent dans le récit de vie qui puisse faire défaut est la subjectivité du

chercheur dans l’interprétation des données. Pour pallier à ce biais, il peut être opportun de

solliciter l’intervention des participants dans l’analyse et le traitement des données.

Nous tenons à nuancer un dernier point quant aux propos tenus par les participants. Outre le

souci d’extrapolation, se pose le problème du souvenir. Nous sollicitons les participants sur

des faits lointains et sommes donc à la merci du souvenir. Que reste-t-il de nos souvenirs si ce

n’est des images subjectives conditionnées par notre affectif ?

Enfin, les limites se trouvent également dans l’échantillon des données exploratoires.

L’échantillon concerne seulement trois personnes et se porte exclusivement sur une

population masculine alors qu’il aurait été intéressant, en plus de rencontrer des personnes de

pays et d’âge différents, de comparer des personnes de sexe différent.

Cependant, comme le souligne Karl Jaspers, « la compréhension approfondie d’un seul cas

nous permet souvent, phénoménologiquement, une application générale à des cas

innombrables. Souvent ce qu’on a saisi une fois se retrouve bientôt. Ce qui importe en

phénoménologie, c’est moins l’étude de cas innombrables que la compréhension intuitive et

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profonde de quelques cas particuliers ».54

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4. INTERPRETATIONS, CONCLUSION, PERSPECTIVES

4.1 Interprétations

4.1.1 L’importance de l’expérience scolaire

Il est clair que pour un immigré (au moins dans l’esprit d’un enfant), l’intégration est de son

seul ressort, c’est à lui de s’intégrer, de prendre le train en marche. Il ne fait aucun doute que

pour le migrant, l’effort doit venir de lui, de celui qui intègre le groupe. Et l’enfant parait très

disposé à s’adapter aux nouvelles normes en présence. En pleine construction, il se présente

ouvert, curieux. La sphère éducative permet au migrant de positiver son intégration et son

adaptation car elle est imposée et fatale. L’enfant migrant est peut être davantage sollicité

dans l’appropriation des normes et des valeurs du pays d’accueil que ses parents : l’école est

un microcosme sociétal. L’enfant est ainsi face à des obligations langagières, à des contacts

avec le groupe classe, avec les enseignants.

Comme nous l’ont montré ces trois récits de vie, l’expérience scolaire participe à l’intégration

du migrant sans forcément qu’il y ait réussite scolaire. C’est la socialisation scolaire du

migrant qui facilite son intégration, qui favorise une acculturation réussie. Nous l’avons vu,

certains parcours peuvent avoir des passages chaotiques, mais c’est malgré tout cela qui fait

ce que nous sommes. L’individu se construit de par ses expériences, c'est-à-dire des réussites

et des échecs. « Une culture n’est pas un donné mais un construit »55

. La scolarisation du

migrant redéfinit ses repères culturels et sociaux et par là même restructure ses modes de

pensée et son identité. Le migrant perçoit ainsi, au travers de ces trois récits de vie et non au

nom d’une généralité, son acculturation comme une richesse constitutive de son intégration

qui fait ce qu’il est aujourd’hui. Les épreuves affrontées dans le cadre scolaire, les obstacles

rencontrés sont ainsi considérés comme des moteurs de construction identitaire.

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4.1.2 La notion de stratégie identitaire

A mesure que le temps passe, le migrant découvre, observe, imite, s’approprie et s’adapte aux

situations, « confronté à une culture étrangère à laquelle il s’agit de s’adapter, l’acteur social

développe diverses stratégies identitaires »56, qui peuvent être soit de l’ordre de l’ouverture

soi de l’ordre du repli. Dans tous les cas, il s’agit d’un dosage unique selon les personnes, ce

qui inclut donc autant de situations et de modèles d’intégration que d’individus. Dans

l’individu, est ancrée l’adaptation de l’homme à son milieu, et le migrant reconnaît volontiers

mettre en avant tel ou tel pan de sa personnalité et de sa manière d’être en fonction du groupe

en présence, de la culture représentée ; « en fonction de son appréciation de la situation, il

utilise de façon stratégique ses ressources identitaires »57.

Dans la partie théorique, nous avons relevés des attitudes tournées vers des objectifs de

conformisation, d’anonymat, d’assimilation et de différenciation. Au regard des entretiens

effectués, nous souhaitons faire état d’une typologie plus précise de réponses stratégiques

proposée par I. TABOADA-LEONETTI58 :

- L’intériorisation. « L’identité ethnique, et les attributs qui la définissent, sont, non

seulement acceptés mais intériorisés par les sujets qui ne mettent pas en cause la légitimité du

discours qui les désigne par telle ou telle identité ».

- La surenchère. « L’identité prescrite est non seulement acceptée et intériorisée par le sujet,

mais l’aspect stigmatisant de celle-ci est mis en avant ».

- Le contournement. « Cette stratégie est possible lorsque les contraintes sont relativement

faibles, c’est-à-dire lorsque les assignations identitaires sont molles et par contre, les

ressources du groupe fortes ».

- Le retournement sémantique. « L’identité minoritaire prescrite est acceptée, avec tous les

traits stigmatisés qui lui sont liés, mais ceux-ci font l’objet d’un renversement sémantique qui

transforme la négativité en positivité ».

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- L’instrumentalisation de l’identité assignée. « Les acteurs ont une conscience très claire

de la nature sociale, et assignée, de leur identité ; s’ils l’acceptent c’est parce qu’ils sont

conscients aussi de l’inégalité du rapport de forces dans lequel ils se trouvent ».

- La recomposition identitaire. « Cette stratégie est souvent liée à la production d’une

nouvelle identité collective, née de la communauté de traitement opéré par le majoritaire,

ainsi que d’une certaine communauté de destin ».

- L’assimilation au majoritaire. «Stratégie par essence individuelle qui consiste, pour nier,

ou pour se débarrasser, d’une identité minoritaire infériorisée, à se désolidariser de son

groupe d’appartenance pour chercher à pénétrer dans le groupe majoritaire ».

- Le déni. « Ils ne se reconnaissent pas dans l’identité qu’on leur tend. D’une certaine

manière, ils refusent à l’autre le pouvoir de décider qui ils sont ».

- L’action collective. « Certaines identités sont définies par des statuts sociaux trop

contraignants pour qu’on puisse résoudre les contradictions ou les tensions au niveau

individuel. Les stratégies identitaires se confondent alors avec des mouvements sociaux (…)

qui ont tous en commun la nécessité d’une conscience de groupe, d’une existence identitaire,

à laquelle chacun des membres s’identifie, et qui soit capable de mobiliser les ressources de

l’ensemble ».

La notion de stratégie identitaire nous est d’abord apparue comme une démarche personnelle

de l’homme. Bien que les stratégies soient du ressort de l’individu lui-même, nous réalisons

combien cette démarche stratégique est conditionnée non seulement par son identité

individuelle mais aussi et surtout par l’identité collective.

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4.1.3 La sphère socio-affective

La sphère affective et l’environnement familial sont primordiaux dans le vécu de l’enfant.

Pour le migrant, l’accompagnement des parents est indispensable pour permettre une bonne

intégration de la famille, et pour éviter une socialisation conflictuelle. Si l’enfant est entouré,

accompagné, soutenu, il sera probablement moins confronté aux tiraillements culturels, aux

conflits des instances en présence. Denys Cuche nous rappelle d’ailleurs que « plutôt que la

culture d’origine, ce sont les structures sociales et familiales du groupe d’origine auquel

appartiennent les migrants qui permettent d’expliquer les différences dans les modes

d’intégration et d’acculturation, au sein de la société d’accueil, d’immigrés issus d’un même

pays ».59

Les facteurs sont donc affectifs mais aussi sociaux. Une enquête menée par l’INED60 entre

1962 et 1972 et interprétée par Alain Girard et Henri Bastide, avait montré que l’inégalité des

trajectoires scolaires s’expliquait davantage par l’origine sociale que par les résultats

scolaires61. Ainsi, A et B, issus de milieux modestes, des classes moyennes, ont été très tôt

orientés vers des filières professionnelles. A l’inverse, C, issu d’un milieu bourgeois, a lui

suivi un enseignement général, au moins jusqu’au baccalauréat. Ces trois exemples, même

s’ils ne sont que des exemples, illustrent parfaitement les résultats de l’enquête dont il est fait

référence ci-dessus.

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4.2 Conclusion

Dans un premier temps, nous réalisons combien les questions identitaires ne sont

envisageables qu’à travers une approche pluridisciplinaire. Evoquer la notion d’identité ou de

construction identitaire requiert des relations étroites avec les approches sociales et

culturelles. L’identité est à la fois le fruit d’une réalité personnelle et d’une réalité sociale et

culturelle.

Le phénomène d’acculturation, tout comme la construction identitaire, sont inhérents aux

phénomènes migratoires. L’expérience scolaire, expérience acculturative par excellence,

constitue ainsi un moment fort et déterminant dans la vie du migrant. L’individu est confronté

à de nouvelles normes auxquelles il semble s’adapter volontiers et redéfinit ainsi ses

structures de pensée et par là même son identité. Le curriculum scolaire, associé à son

curriculum caché, permet au migrant d’une part de découvrir la culture du pays d’accueil en

termes de contenus scolaires, de littérature, d’histoire et de géographie, et d’autre part

d’intérioriser des normes, des valeurs et de plus facilement s’accaparer la culture du pays

d’accueil dans sa globalité. Le fait de s’inscrire dans des groupes, tel que le groupe classe,

facilite sa socialisation et l’aide à trouver un rôle ou un statut différent selon les contextes.

Nous tenons cependant à rappeler que nous ne disposons là que de données exploratoires. Ce

qui ressort dans les résultats ne constituent en aucun cas une généralité de ce que l’on peut

observer dans les situations acculturatives. Il apparait que l’expérience scolaire du migrant

participe indéniablement à sa construction identitaire. Dans les récits de vie présentés, malgré

les difficultés endurées dans le cadre de leur scolarisation, les migrants reconnaissent cette

expérience comme ayant participée positivement à leur construction identitaire. L’immersion

dans le cadre scolaire leur permet d’être en lien avec un microcosme sociétal. Il serait

maintenant intéressant de vérifier s’il existe des cas dans lesquels les individus considèrent

leur expérience scolaire comme bénéfique mais non positive dans leur construction identitaire

ou des cas d’expérience scolaire non formatrice et non positive dans leur construction

identitaire.

Par ailleurs, il serait également intéressant de comparer les représentations que les français ont

sur ce que vivent les migrants en arrivant en France, à quels bouleversements ils sont

confrontés et où se situent les conflits et les obstacles. Les entretiens ont en effet fait surgir

des sentiments de surprise sur ce que nous nous imaginions entendre. Comment dans ce cas

penser un dispositif d’intégration adéquat s’il existe un décalage entre les représentations et la

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réalité ? Et de quoi parlons-nous quand nous parlons d’intégration ? Pour Sélim Abou,

l’intégration fait référence à « l’insertion des immigrés dans les structures sociales,

économiques et politiques du pays »62

. Il la différencie de l’adaptation qui relève davantage

d’une « accommodation au milieu physique du pays d’accueil »63, tant au niveau des

conditions climatiques que de l’aménagement de l’espace. Quant au concept d’acculturation,

il « désigne les interactions culturelles que les immigrants et leurs enfants subissent, à tous

les niveaux de l’adaptation et de l’intégration, par suite de la confrontation constante de leur

culture d’origine avec celle de la société réceptrice »64

.

De quoi faut-il donc parler en matière de politique d’intégration ? Ne nous attachons-nous

qu’à l’insertion économique et sociale des migrants ou ne prenons-nous pas assez de temps

pour définir ce dont nous parlons ? Si l’on tient compte de ces nuances, ce n’est pas en termes

d’intégration réussie qu’il faut réfléchir mais en termes d’acculturation réussie, et influer sur

l’ensemble des critères, des indicateurs qui permettent à quiconque d’être intégré, inséré et en

bonne santé mentale.

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4.3 Perspectives

Le phénomène d’acculturation est un phénomène constitutif des cultures : l’intensification des

flux migratoires nous amène à réfléchir l’intégration des migrants autrement et à percevoir la

nécessité d’éduquer et d’enseigner autrement. Eduquer par rapport à des individualités

singulières et non pas par rapport à des représentants arbitraires de telle ou telle culture. La

pédagogie interculturelle ne nécessite pas la mise en place de nouveaux champs disciplinaires

mais une nouvelle approche de ses contenus. La mise en œuvre d’une pédagogie

interculturelle n’est pas une pédagogie spécifique au public migrant mais consiste à prendre

en compte les nouvelles donnes éducatives et les mutations sociales dans leur ensemble. Ce ne

sont pas les contenus qu’il faut rénover mais les modes d’appropriation. Geneviève

Vinsonneau déclare que « c’est en sensibilisant les individus au relativisme culturel qu’on

peut développer leurs capacités à s’ouvrir à ce qui est différent, dans un sens positif et non

dans le sens restrictif de la tolérance ; à éviter les jugements de valeur, à appréhender sans

répugnance les codes culturels étrangers, en acceptant leur légitimité sans nécessairement

avoir à les adopter pour soi ».65

C’est ce qui permet de considérer les choses comme différentes et non choquantes, avec une

histoire particulière, un contexte propre, contexte qui n’est pas forcément le nôtre mais qui a

tout son sens et sa légitimité. En cela, Martine Abdallah-Pretceille précise que « la question

fondamentale qui est posée aujourd’hui à l’école n’est donc plus celle d’une pédagogie

adaptée aux enfants issus de l’immigration, mais celle d’une éducation qui permet de gérer le

pluralisme qu’impose la composition actuelle du tissu social et scolaire »66. C’est d’ailleurs

ce que les politiques éducatives mettent en place en 1981 avec la création des ZEP, les Zones

Prioritaires d’Education. Il ne s’agit plus de concevoir des mesures spécifiques pour les

migrants mais de penser les modalités en termes de lutte contre les inégalités sociales et

culturelles dans leur ensemble. Cependant, il est à noter qu’il existe un décalage quasi

ineffaçable entre les mesures politiques énoncées et les mentalités. Nous ne pouvons, en un

trait de plume, abolir des générations de représentations. Cela ne veut pas non plus dire que

rien n’est à faire. Au contraire, c’est peut être dans l’éducation que tout se joue.

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L’école en tant que reflet des représentations sociales a son rôle à jouer en matière de

processus de différenciations culturelles. Il s’agirait donc de repenser les programmes

d’enseignement de manière à mieux prendre en compte l’hétérogénéité des personnalités et

des potentialités. Afin de mener à bien ce remaniement, il apparaît nécessaire de former les

enseignants, les former peut être à une pédagogie coopérative, une pédagogie tournée vers

l’ouverture, le mieux vivre ensemble et pas uniquement à des champs disciplinaires.

C’est en réalité une formation qui concerne tout le monde : non seulement les enfants qui

feront les adultes de demain, les enseignants mais aussi les parents. Nous estimons que la

sphère éducative et scolaire et la sphère familiale ne sont pas deux entités séparées mais

interagissant entre elles. L’école et la famille sont ainsi complémentaires, se conjuguent. Et

c’est peut être là qu’il faut agir : comprendre les continuités et discontinuités entre les deux

instances pour comprendre les différents échecs scolaires. C’est en l’occurrence les travaux de

Cléopâtre Montandon, cette dernière tentant de mettre le doigt sur des contradictions entre les

différentes formes de socialisation. L’interculturel nous parait être à même de permettre à tout

un chacun de mieux vivre ensemble, de participer à l’enrichissement des groupes sociaux.

L’interculturel ne touche pas seulement l’enseignement mais tous les pans de la vie : la

socialisation par l’école semble essentielle, mais peut soit être une intégration scolaire réussie

soit être une intégration scolaire non réussie. Durkheim dit que « par l’éducation, chaque

société transmet aux individus qui la composent l’ensemble des normes sociales et culturelles

qui assurent la solidarité entre tous les membres de cette même société et qu’ils sont plus ou

moins contraints de faire leurs »67.

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REFERENCES

Ouvrages

• ABDALLAH-PRETCEILLE Martine, « Interculturelle (pédagogie) », in CHAMPY Philippe et

ETEVE Christiane (S.d.), Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation,

Editions Retz, 3ème édition, 2005

• ABOU Sélim, L’identité culturelle, Paris, Anthropos, 1995

• ATTALI Jacques, L’homme nomade, Paris, Fayard, 2004

• CUCHE Denys, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris, La Découverte, 3ème

édition, 2004

• FORQUIN Jean-Claude, in CHAMPY Philippe et ETEVE Christiane, (S.d.), Dictionnaire

encyclopédique de l’éducation et de la formation, Retz, 2005

• KASTERSZTEIN Joseph, « Les stratégies identitaires des acteurs sociaux : approche

dynamique des finalités » in FRAISSE Paul (s.d.), Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990

• KHELLIL Mohand, Sociologie de l’intégration, Paris, PUF, 2ème édition, 2005

• MAALOUF Amin, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998

• MARC Edmond, « Identité », in CHAMPY Philippe et ETEVE Christiane (S.d.), Dictionnaire

encyclopédique de l’éducation et de la formation, Retz, 2005, p.475

• MERLET Philippe (S.d.), Le petit Larousse illustré 2006, Paris, Larousse, 2005

• SEMPRINI Andrea, Le multiculturalisme, Paris, Que sais-je ?, 1997

• TABOADA-LEONETTI isabelle, « stratégies identitaires et minorités » in FRAISSE Paul (s.d.), Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990

• VINSONNEAU Geneviève, Culture et comportement, Paris, Armand Colin, 3ème édition, 2003

• VINSONNEAU Geneviève, L’identité culturelle, Paris, Armand Colin, 2002

• WALLON Henri, L’évolution psychologique de l’enfant, Paris, Armand Colin, 2002

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Sites internet

• Site de l’ACELF (Association Canadienne d’Éducation de Langue Française),

http://www.acelf.ca/c/fichiers/ACELF_Cadre-orientation.pdf

• Site de la BRISES (Banque de Ressources Interactives en Sciences Economiques et Sociales),

http://brises.org/notion.php/acculturation/culture/socialisation/ethnocide/reinterpretation/syncr

etisme/deculturation/notId/109/notBranch/109/

• Site du CASNAV de l’académie de Paris, http://casnav.scola.ac-paris.fr/

• Site du CASNAV de l’académie de Grenoble, http://www.ac-

grenoble.fr/casnav/pages/casnav.htm

• Site du CASNAV de l’académie de Poitiers, http://ww2.ac-poitiers.fr/casnav/

• COMPERE Lejacques et DUVAL Jacques, « Santé mentale et communautés ethnoculturelles :

de la marginalisation sociale à la précarité existentielle », in Santé mentale au Québec, vol.17.

Site de l’Erudit, consortium universitaire pour la promotion et la valorisation de la recherche,

http://id.erudit.org/iderudit/502082ar

• Site du Haut Conseil à l’Intégration, http://www.hci.gouv.fr/

• Site du ministère sur l’histoire de l’immigration en France, http://www.vie-

publique.fr/politiques-publiques/politique-immigration/chronologie-immigration/

• Site de l’Organisation Internationale pour les Migrations,

http://www.iom.int/jahia/Jahia/about-migration/migration-management-

foundations/terminology/commonly-used-migration-terms/lang/fr

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Consultations

Revues

• ADRI (Agence pour le développement des relations interculturelles), « Guide pratique de

l’intégration » in La documentation française, Edition 2002

• « Contacts de cultures : Processus identitaires - appartenances – Intégrations – Exclusions »,

in Bulletin de psychologie n°419, janvier-avril 1995

Sites

• NOIRIEL Gérard, « La République et ses immigrés – Petite histoire de l’intégration à la

française », in Le Monde diplomatique, janvier 2002, http://www.monde-

diplomatique.fr/2002/01/NOIRIEL/15983, consulté le 14/07/2010

• VEI : ville, école, intégration, www.cndp.fr/Vei/, consulté entre 10/2009 et 04/2010

• Site de l’UNESCO SHS http://portal.unesco.org consulté entre 10/2009 et 06/2010

Cours

• PLASSE-BOUTEYRE Christine, cours de sociologie de licence de sciences de l’éducation,

CEPEC de Craponne (69), 2008-2009

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ANNEXES

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Sexe : Ensemble - Age regroupé : Ensemble

Population totale par sexe, âge, type d'activité et situation quant à l'immigration - Sexe : Ensemble - Age regroupé : Ensemble

Immigrés Non immigrés Ensemble

Actifs ayant un emploi 2 196 769 23 385 352 25 582 122

Chômeurs

535 750 2 643 426 3 179 176

Retraités ou préretraités

959 117 11 693 800 12 652 917

Elèves, étudiants, stagiaires

507 662 12 843 956 13 351 617

Femmes ou hommes au foyer

475 331 1 859 206 2 334 537

Autres inactifs

365 738 3 933 611 4 299 349

Ensemble

5 040 367 56 359 351 61 399 719

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Sexe : Ensemble - Age regroupé : Moins de 15 ans

Population totale par sexe, âge, type d'activité et situation quant à l'immigration - Sexe : Ensemble - Age regroupé : Moins de 15 ans

Immigrés Non immigrés Ensemble

Actifs ayant un emploi 469 7 790 8 259

Chômeurs

41 320 361

Retraités ou préretraités

9 35 43

Elèves, étudiants, stagiaires

216 566 8 736 370 8 952 936

Femmes ou hommes au foyer

64 484 547

Autres inactifs

28 535 2 259 302 2 287 837

Ensemble

245 684 11 004 300 11 249 984

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Convention relative au statut des réfugiés

Entrée en vigueur : le 22 avril 1954, conformément aux dispositions de l'article 43

Adoptée le 28 juillet 1951 par une conférence de plénipotentiaires sur le statut des réfugiés et des apatrides convoquée par l'Organisation des Nations Unies en application de la résolution 429 (V) de l'Assemblée générale en date du 14 décembre 1950

Chapitre premier -- Dispositions générales

Article premier. -- Définition du terme "réfugié"

A. Aux fins de la présente Convention, le terme "réfugié" s'appliquera à toute personne :

1 ) Qui a été considérée comme réfugiée en application des Arrangements du 12 mai 1926 et du 30 juin 1928, ou en application des Conventions du 28 octobre 1933 et du 10 février 1938 et du Protocole du 14 septembre 1939 ou encore en application de la Constitution de l'Organisation internationale pour les réfugiés.

Les décisions de non-éligibilité prise par l'Organisation internationale pour les réfugiés pendant la durée de son mandat ne font pas obstacle à ce que la qualité de réfugié soit accordée à des personnes qui remplissent les conditions prévues au paragraphe 2 de la présente section.

2 ) Qui, par suite d'événements survenus avant le premier janvier 1951 et craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

Dans le cas d'une personne qui a plus d'une nationalité, l'expression "du pays dont elle a la nationalité" vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s'est pas réclamée de la protection de l'un des pays dont elle a la nationalité.

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Les États parties au présent Protocole, Considérant que la Convention relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951 (ci-après dénommée la Convention) ne s’applique qu’aux personnes qui sont devenues réfugiés par suite d’événements survenus avant le 1er janvier 1951, Considérant que de nouvelles catégories de réfugiés sont apparues depuis que la Convention a été adoptée et que, de ce fait, lesdits réfugiés peuvent ne pas être admis au bénéfice de la Convention. Considérant qu’il est souhaitable que le même statut s’applique à tous les réfugiés couverts par la définition donnée dans la Convention sans qu’il soit tenu compte de la date limite du 1er janvier 1951, Sont convenus de ce qui suit : Article premier. - Disposition générale. 1. Les États parties au présent Protocole s’engageant à appliquer aux réfugiés, tels qu’ils sont définis ci-après, les articles 2 à 34 inclus de la Convention. 2. Aux fins du présent Protocole, le terme « réfugié », sauf en ce qui concerne l’application du § 3 du présent article, s’entend de toute personne répondant à la définition donnée à l’article F de la Convention comme si les mots « par suite d’événements survenus avant le 1”janvier 1951 et... » et les mots « ... à la suite de tels événements » ne figuraient pas au § 2 de la section A de l’article 1”. 3. Le présent Protocole sera appliqué par les Etats qui y sont parties sans aucune limitation géographique toutefois, les déclarations déjà faites, en vertu de l’alinéa a) du § 1 de la section B de l’article 1er de la Convention par des Etats déjà parties à celle-ci, s’appliqueront aussi sous le régime du présent Protocole, à moins que les obligations de l’Etat déclarant n’aient été étendues conformément au § 2 de la section B de l’article 1 de la Convention.

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o

Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans.

Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants :

1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 351-9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième. Ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la personne qui demande le regroupement familial est titulaire de l'allocation aux adultes handicapés mentionnée à l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale ou de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 du même code ;

2° Le demandeur ne dispose pas ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ;

3° Le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil.

Peut être exclu du regroupement familial :

1° Un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ;

2° Un membre de la famille atteint d'une maladie inscrite au règlement sanitaire international ;

3° Un membre de la famille résidant en France.

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Pour lui permettre de préparer son intégration républicaine dans la société française, le ressortissant étranger âgé de plus de seize ans et de moins de soixante-cinq ans pour lequel le regroupement familial est sollicité bénéficie, dans son pays de résidence, d'une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République. Si cette évaluation en établit le besoin, l'autorité administrative organise à l'intention de l'étranger, dans son pays de résidence, une formation dont la durée ne peut excéder deux mois, au terme de laquelle il fait l'objet d'une nouvelle évaluation de sa connaissance de la langue et des valeurs de la République. La délivrance du visa est subordonnée à la production d'une attestation de suivi de cette formation. Cette attestation est délivrée immédiatement à l'issue de la formation. Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application de ces dispositions, notamment le délai maximum dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées à compter du dépôt du dossier complet de la demande de regroupement familial, le contenu de l'évaluation et de la formation, le nombre d'heures minimum que la formation doit compter ainsi que les motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut en être dispensé.

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Loi sur le titre unique de séjour et de travail [Loi 84-622 du 17 Juillet 1984 portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 et du code du travail et relative aux étrangers séjournant en France et aux titre uniques de séjour et de travail ]

Entrée en vigueur le 19 Juillet 1984

Article 2

Les étrangers qui, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, sont titulaires d'une carte de résident ordinaire ou d'une carte de résident privilégié ou détiennent l'une de ces cartes et un titre de travail dont l'échéance est antérieure à celle de l'un ou l'autre de ces titres de séjour reçoivent de plein droit une carte de résident à la première échéance de l'un de ces titres de séjour ou de travail. Dans l'attente de cette échéance, ils bénéficient des droits attachés à la possession de la carte de résident. Les étrangers qui, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, sont titulaires d'une carte de séjour temporaire et d'un titre de travail d'une durée de validité initiale supérieure à un an reçoivent une carte de résident à la première échéance de l'un de ces titres de séjour ou de travail, sous réserve de l'appréciation de la condition fixée au troisième alinéa de l'article 14 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 précitée. Lorsque le titre de séjour à renouveler a été délivré dans un département d'outre-mer, les dispositions du présent article ne s'appliquent qu'à l'étranger qui en demande le renouvellement dans ce même département.

Article 6

Les étrangers qui quittent la France pour s'établir dans leur pays d'origine et qui bénéficient à ce titre, sur leur demande, d'une aide publique à la réinsertion perdent les droits attachés aux titres de séjour et de travail qu'ils détiennent. Les intéressés restituent leurs titres et reçoivent une autorisation de séjour provisoire suivant des modalités fixées par décret.

Le Président de la République : FRANCOIS MITTERRAND. Le Premier ministre, PIERRE MAUROY. Le ministre des affaires sociales et de la solidarité nationale, PIERRE BEREGOVOY. Le ministre de l'intérieur et de la décentralisation, GASTON DEFFERRE. Le garde des sceaux, ministre de la justice, ROBERT BADINTER. Le ministre des relations extérieures, CLAUDE CHEYSSON. Le secrétaire d'Etat auprès du ministre des affaires sociales et de la solidarité nationale, chargé de la famille, de la population et des travailleurs immigrés, GEORGINA DUFOIX.

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Rappel de la problématique : En quoi les conflits relatifs au phénomène d’acculturation

sont-ils constitutifs de la construction identitaire du migrant ?

Rappel de l’hypothèse : l’expérience scolaire du migrant participe à sa construction identitaire.

Nous avons donc les variables suivantes :

Variable 1

Variable 2

L’expérience scolaire du migrant

La construction identitaire du migrant

Tableau à double entrée prenant en compte les variables à étudier

Période pré-

migratoire Période post-migratoire

Dimensions

Contexte

d’arrivée en

France

1ère phase

d’adaptation

Période

intermédiaire Aujourd’hui

Registre culturel

Registre cognitif

Registre social

Registre subjectif

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1. L’enfant et sa culture d’origine – contexte d’arrivée en France

Dimensions Indices

Statut - Pays d’origine - Age + année d’arrivée - Situation administrative - Situation familiale - Situation financière, économique - Contexte politique du pays d’origine

Environnement social et éducatif

- Vécu scolaire - Système éducatif local - Habitudes de vie - Niveau de français - Réseau et contacts avec des personnes vivant en

France Intériorisation et subjectivation - Représentations de la France

- Attentes envers le pays accueillant - Socialisation anticipatrice

2. L’expérience scolaire de l’enfant

Dimensions Indices

Accueil du migrant

(L’école et son mode de fonctionnement)

- Evaluation du niveau de l’enfant - Dispositif d’accueil spécifique - Cours de rattrapage de français - Parle et apprend sa culture d’origine - Entretient sa culture d’origine - Arrive à concilier sa culture d’origine avec celle

du pays d’accueil Registre cognitif

(Travail scolaire, apprentissage)

- Comprend les énoncés et les consignes écrites - Comprend le professeur quand il parle - S’exprime à l’oral dans différentes situations - Effectue les travaux et exercices demandés - A un enseignement adapté à son niveau - Demande de l’aide si besoin et sait formuler son

besoin Registre social

(Inscription dans les groupes et dans les milieux)

- Entretient des relations avec le professeur - Entretient des relations avec les autres enfants - S’implique dans les séances collectives - Se sent accepté dans sa classe - A un rôle à jouer dans le groupe classe - A une attitude d’élève dans la classe

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Registre subjectif

(Modes d’individuation et de subjectivation)

- Sentiment d’appartenance - Difficulté à concilier les deux cultures - Reniement d’une des deux cultures - Sentiment d’injustice, d’exclusion

3. Situation actuelle

Dimensions Indices

Statut – état civil - Nationalité française ? Carte de séjour ? - Situation familiale - A le permis de conduire - Gère de façon autonome ses papiers administratifs

Registre social - Est inscrit dans un club sportif, une association ? - Participe aux réunions et conseils de l’école - Participe aux animations locales - Niveau de français

Registre culturel - Sentiment de choc culturel - Sentiment d’être biculturel - Education donnée aux enfants - Lien avec le pays d’origine

Registre subjectif - Sentiment de nationalité ? - Sentiment de richesse - Sentiment d’appartenance culturelle conflictuelle

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1. Contexte d’arrivée en France

- A quel âge êtes-vous arrivé ? - De quel pays êtes-vous originaire ? - Dans quel contexte familial êtes-vous arrivé ? - Quelle était votre situation administrative ? - De quel milieu social êtes-vous issu ? Ville/campagne ? - Etiez-vous bon élève et quel niveau aviez-vous (classe) ? - Comment viviez-vous l’école dans votre pays d’origine et dans votre famille ?

Travailliez-vous tout seul, aviez-vous de l’aide ? - Quel était votre sentiment à votre arrivée en France ? Nostalgique ? Impatient ?

Perdu ? Aucune attente ? - Vous attendiez-vous à un passage ou à rester en France pour longtemps ?

2. Première phase d’adaptation, d’intégration

Prise en charge

- Votre scolarisation a-t-elle été bien organisée par votre famille? - Comment avez-vous été pris en charge ? Avez-vous bénéficié d’un dispositif

spécifique ? (remise à niveau ou classe d’adaptation) - Avez-vous rencontré des personnes ressources ? - Vous a-t-on expliqué le fonctionnement de l’école en France ? - Quelle classe avez-vous intégré ?

En classe

- Quel était votre niveau de français ? - Comment avez-vous été présenté devant la classe ? - Aviez-vous des difficultés de compréhension dans la classe ? - Aviez-vous des difficultés d’expression en classe ? - Quelle était votre attitude d’élève ? Faisiez-vous vos devoirs ? Participiez-vous aux

travaux collectifs ? - Quelles étaient les principales lacunes pour s’adapter ? - Aviez-vous un enseignement adapté à votre niveau ?

Hors l’école, en famille

- Hors l’école, quelle langue était parlée à la maison ? Dehors ? - Faisiez-vous vos devoirs et si oui avec quelqu’un ou tout seul ? - Vous sentiez-vous soutenu dans ce que vous deviez faire à l’école ?

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- Etiez-vous en contact avec des personnes de même culture ? De culture française ? D’autres cultures ?

- Quel contact aviez-vous avec votre pays d’origine ?

Registre social

- Quelles relations aviez-vous avec les enseignants ? - Quelles relations aviez-vous avec les élèves ? Dans la cour de récréation ? A la

cantine ? - Quels sentiments au niveau des modes de vie ? Tenues vestimentaires, habitudes

alimentaires… - Vous sentiez-vous accepté ?

3. deuxième phase d’adaptation

A l’école

- Quelle a été l’évolution de votre scolarité ? Résultats scolaires, filières. - Quelles difficultés ? Quelles réactions ? - Quel rapport avec les autres de votre âge ? - La notion de racisme

Registre identitaire

- Quel sentiment d’appartenance aviez-vous ? Français ? Pays d’origine ? - Eprouviez-vous des difficultés à concilier les deux cultures ? - Avez-vous renié votre culture d’origine à un moment ou à un autre ? - Quelles représentations de la France aviez-vous ? Quelles attentes ? Quelles

contradictions ? - Quel lien aviez-vous avec votre culture d’origine ? avec la famille ?

4. Situation actuelle

- Quel âge avez-vous aujourd’hui ? - Vous sentez-vous intégré ? Que veut dire pour vous être intégré ? - Considérez-vous cette rencontre culturelle comme une richesse ? - Vous sentez-vous français ? De votre pays d’origine ? Biculturel ? - Quelle est votre situation administrative ? - Avez-vous des regrets ? - Avez-vous l’impression d’avoir réussi scolairement ? - Quelles représentations de la France avez-vous aujourd’hui ? - Quelles représentations avez-vous de votre pays d’origine ? Quel regard avez-vous par

rapport à votre regard d’enfant ?

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Pour commencer, nous allons parler de votre contexte d’arrivée en France. De quel pays êtes-vous originaire ?

D’Algérie

A quel âge êtes-vous arrivé en France ?

A…13 ans

A 13 ans. Et vous êtes arrivé dans quel contexte familial ?

Euh…

C'est-à-dire si vous aviez déjà de la famille.

Ouais, y’avait déjà toute la famille à ma mère qui était là, et euh ma mère aussi elle était là. Voilà.

Donc elle était déjà en France avant que vous arriviez ?

Ouais, elle est arrivée en 93, et nous on l’a rejoint ici en 96.

D’accord. Et vous étiez issu de quel milieu social en Algérie?

On était du milieu social « classes moyennes » hein, de père prof de français et de mère…elle avait un poste de chargé de mission au niveau du département. A peu près le même délire que le GRETA quoi.

D’accord. Et vous habitiez en ville ou à la campagne ?

Nous on était de la campagne. On était à 3 kilomètres d’un petit village. Et la ville c’était Alger, c’était à 30 kilomètres.

Et au niveau scolaire, avant d’arriver en France, vous vous situez comment ? Vous étiez bon élève ?

Oui, j’étais surdoué.

Surdoué ?

J’étais trop malin avant, j’suis devenu bête (Rires).

Et vous aviez quel niveau de classe quand vous êtes parti ?

En neuvième.

L’équivalent en France ?

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Troisième.

En dehors du travail à fournir à l’école, au niveau des devoirs à faire à la maison, vous étiez accompagné ou vous vous gériez tout seul ?

Euh… pour les devoirs à faire à la maison, oui j’étais bien accompagné parce que j’étais un peu paresseux.

Donc il fallait vous pousser à faire vos devoirs ?

Mmhh

Est-ce que vous aviez d’autres contacts en France, avant de partir en France, autre que votre famille ?

Un autre contact…que ma famille…Je comprends pas la question ?

Avant d’arriver en France, en dehors de votre famille, est-ce que vous connaissiez d’autres personnes déjà ?

Euh…ouais, ben les amis de ma famille maternelle qui habitaient à Givors, des français qui venaient en vacances en Algérie ici chez nous. Et nous on est venu 2 fois aussi en vacances quand on habitait en Algérie. On est venu à Givors en vacances. Du coup ouais on a rencontré un p’tit peu des potes au tonton.

Votre père était prof de français, est-ce que vous saviez déjà parler français avant de venir ?

Non. J’connaissais quelques mots quoi, la base, mais après non, je comprenais pas tout en français.

Avant de partir, c’était quoi les représentations que vous vous faisiez de la France ?

C’était euh….

Comment vous voyiez la France ? Le mode de vie…

La France, comment je la voyais avec ma basse enfance, enfin quand j’avais 13 ans vous voulez dire ? Comment je voyais la France quand j’habitais là-bas ?

Oui.

C’est difficile à dire. Ça fait super longtemps maintenant. Euh…comment je voyais la France ? Ils avaient des Nintendo, nous on n’en avait pas, ils avaient de l’eau chaude, nous on n’en avait pas enfin on n’avait même pas l’eau froide fallait aller la chercher, non c’était…Ouais c’était le confort quoi ! J’avais l’impression que c’était des gens qui manquait de rien quoi.

Et après quand vous êtes arrivé en France, est-ce que étiez préparé, est-ce qu’on vous avait expliqué que vous alliez venir en France, dans quelles conditions ?

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Non. Je m’en doutais un p’tit peu déjà quand ma mère elle est partie. Elle est partie parce qu’elle a reçu des lettres de menace. C’était à l’époque de la montée de l’intégrisme. Ma mère elle est partie, elle l’a dit à personne en fait parce que voilà elle était en danger et son départ en 93 elle l’a annoncé à personne. Nous on l’a su le lendemain quand elle était déjà en France. Et après, notre départ c’était pareil quoi. On m’a pas averti jusqu’au moment où on a eu les visas et 3 jours après mon père il avait déjà réservé les billets. Et on est parti. Après moi dans ma tête c’était pour voir ma mère. On était déjà venu en vacances, à chaque fois c’était 1 mois, 1 mois , donc je prenais ça un peu pour des vacances. Et non, on nous a pas trop averti. Aussi, quand on est arrivé ici, on est arrivé chez les grands-parents, les parents de ma mère, après un petit peu chez mon oncle, et jusqu’au moment où ils ont pris la décision avec mon père de rester. Donc non, j’étais pas au courant.

Et du coup, quand vous avez su que vous partiez, vous étiez plutôt impatient…euh ?

Ben ouais, j’allais retrouver ma mère, alors… Après 2 ans d’absence.

Donc une fois arrivé en France, vous avez eu une grosse première période d’adaptation j’imagine ?

Ben ouais.

Je ne sais pas si vous pouvez évaluer mais ça a duré combien de temps ?

L’adaptation ?

Oui.

Ben j’essaye encore maintenant de m’adapter (Rires). C’est pas encore fait. On fait c’qu’on peut.

Et votre situation sociale en France par rapport à ce que vous vivez en Algérie ? Avez-vous senti une différence, est-ce que c’était le même niveau de vie ?

Euh…Différences sociales ouais. On était plus pauvre ici en France qu’en Algérie parce qu’en Algérie y’avait mes 2 parents qui travaillaient et quand on est arrivé, ma mère elle avait déjà trouvé un travail donc elle était avec ses titres de séjour de 6 mois après elle a eu une carte de résidence de 10 ans. Au début elle avait pas forcément de…comment on appelle ça déjà…de permis de travail quoi. Donc, c’est à peu près quand on est arrivé, ça faisait 6 mois ou 8 mois qu’elle a commencé à bosser. Donc voilà, elle recommençait tout à zéro et mon père, bah…il avait pas de boulot quoi.

Et au niveau des papiers, vous aviez un visa ?

Non. Euh.. .pour venir en France ?

Oui

Euh ouais.

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Et après vous étiez en situation régulière ou… ?

Euh…ouais quand t’es avec tes parents t’es en situation régulière. T’es pas obligé d’avoir une carte quand t’es mineur. Et à partir de 18 ans, ils m’ont collé une carte de résident. De 10 ans. J’ai signé pour 10 ans déjà. Et c’est l’année prochaine qu’elle expire ma carte. Autant je vais retourner dans mon enfance. (Rires)

Et par rapport à l’école, comment ça s’est passé ? Vous avez eu un dispositif particulier ?

Non

Est-ce que vous avez eu une évaluation de votre niveau scolaire ?

Non, même pas. On est rentré à l’école…Enfin, on a réussi à rentrer à l’école parque mon oncle connaissait bien le directeur de l’école du collège devant là…à Givors là où on était, et ils estimaient qu’on avait assez de bagages pour attaquer directement au collège donc moi la sixième. Ma sœur elle était rentrée directement en troisième alors qu’elle était au lycée quand on était en Algérie.

D’accord. Donc vous vous êtes passé de la troisième en Algérie à la sixième en France.

Oui. Mais bon j’étais en Algérie en troisième j’avais 13 ans, j’allais sur mes 14 ans donc j’avais 2 ans d’avance en fait. Quand je suis arrivé, la différence d’âge était peut-être pas si marquée que ça quoi. Y’avait genre 2 ans de différence avec les sixièmes.

Et après, comment ça s’est passé au niveau scolaire ? Vous compreniez ce qu’il se passait ?

Ben ouais, petit à petit. Au début tu dis oui, parce que je comprenais pas tout et des fois je comprenais pas je disais oui aussi. J’essayais de comprendre après, une fois qu’on m’avait dit les choses. Et après oui, je me suis tapé du dictionnaire. Tu tapes une lettre, tu prends le dico, tu lis la définition tu tombes sur un mot que tu connais pas alors tu vas voir la définition et voilà. J’y ai passé des heures et des heures.

Est-ce que vous avez eu une personne ressource dans votre scolarité ?

Une personne ressource, c'est-à-dire ? Une personne qui m’aidait plus que les autres ?

Non. Les profs, je crois qu’il y’en avait même certains ils savaient pas que j’arrivais d’Algérie. Du coup, j’suis vite passer à travers. Mais c’est au bout de la quatrième, y’a ma prof d’histoire-géo que j’ai eu depuis la sixième qui a découvert que j’venais du bled parce que sur certaines questions elle se posait la question si je comprenais, jusqu’au jour où je lui ai dit là non ce mot là je le comprends pas. Ah tu connais pas ce mot là, et tout. Après elle a discuté avec le proviseur machin qui connaissait mon oncle et voilà l’information elle a tourné au bout de deux trois ans. Et après elle me retenait en fin de journée pour me réexpliquer les cours, des cours de français aussi. Elle m’a vachement aidé.

Et malgré ça, le fait que vous ne compreniez pas tout, vous arriviez à suivre ?

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Non, pas tout. En français, j’avais vachement du mal, la conjugaison, la grammaire, ça n’a rien avoir avec l’arabe. Même sur les rédactions, machin…ouais, j’avais beaucoup de lacunes en français. Par contre en mathématiques, j’avais pas de soucis, enfin si au début c’était que … c’était que les maths on l’écrit de droite à gauche et les français de gauche à droite. Et donc tous les signes sur les équations les machins, il fallait les changer de place. Et là, j’arrivais à faire.

Donc vous avez vite capté ?

Ouais. Les matières scientifiques euh les mathématiques, j’arrivais bien. Après l’histoire aussi j’aimais bien, la géo, et après c’est surtout le français.

Tout à l’heure, vous avez dit que personne ne savait que vous veniez d’arriver d’Algérie.

Oui. Certains profs.

Vous n’avez pas été considéré comme un nouvel arrivant ?

Non.

Pensez-vous que cela ait changé le regard des autres, le fait qu’ils ne sachent pas que vous veniez d’arriver ?

Ben ouais. Parce qu’il y en a aussi qui arrive et qui se présente en tant que migrant et ouais les gens ils changent de comportement avec toi. Même au niveau des discussions, de la parole, ils essayent de parler doucement comme ça. Ça énerve. (Rires)

Et au niveau de la relation que vous aviez avec les autres élèves, avec les copains comme ça se passait ?

Vous aviez l’impression d’avoir une vie normale entre guillemets ou… ?

Non, pas bien. J’étais un peu dans une espèce de rêve quoi, une espèce de longue hallucination où tout le monde parle en français. C’est un autre humour euh… Après, voilà. Mais bon, sur le moment tu réalises pas bien, t’es dans le truc, tu commences à parler en français.

Par rapport à ça, est-ce que ça n’a pas fait tomber les illusions que vous aviez avant d’arriver en France, comme une sorte de désenchantement ?

Par rapport au mythe que j’avais sur la France ?

Oui.

Euh…non, pas bien. Non, ça n’a pas changé grand-chose. Y’a ma cousine, la fille à mon oncle, elle était déjà venue en Algérie, et je connaissais déjà le comportement des jeunes, leurs centres d’intérêts, leurs machins, j’avais déjà capté ça.

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Mais vous trouviez ça bizarre ou juste différent de ce que vous connaissiez ?

Bah, non c’était pas bizarre c’était différent. Même sur certains points, quand t’es gamin au bled, le rapport avec les parents il est plus strict qu’en France. Ici, les enfants ils font un peu ce qu’ils veulent.

Et justement par rapport à ces nouvelles libertés, ça a changé des choses de votre comportement en classe ou vous êtes resté aussi respectueux que vous l’étiez en Algérie ?

Au début oui. Après, petit à petit, il faut bien s’intégrer (Rires). Mais le premier jour, parce que je m’appelle A…….. , j’étais toujours en premier, en tête de liste et quand on a fait l’appel le premier jour, je me suis levé, j’ai levé la main et j’ai dit présent. Et du coup, je me suis fait remarquer d’entrée de jeu. Parce que derrière ils disaient B………. et ils disaient ouais j’suis là euh… Et j’avais un peu honte, ouais j’étais pas encore intégré. Mais j’ai vite appris hein, au deuxième cours j’étais là ! (Rires)

Du coup d’abord tout ce qu’il se passait c’était plutôt de l’ordre de l’observation ?

Ouais.

Et vous n’étiez pas choqué par certaines choses, les tenues vestimentaires, des habitudes alimentaires… ?

Non. C’était pas choquant. Enfin, les habitudes alimentaires, voilà c’est la différence c’est qu’ici en France on fait la bouffe vite fait quoi. En Algérie, les femmes elles sont à la maison, elles mettent beaucoup plus de temps pour faire à manger, ça fait partie de leur vie donc elles le font bien. Mais après euh c’était pas non plus choquant aussi. C’était surtout le respect qu’il n’y avait pas entre les élèves et les profs. C’était ça le plus choquant. Et petit à petit je me suis adapté aussi quoi. Parce que c’est vrai qu’en Algérie il y a le bâton, et à un moment donné que t’es tort ou que t’es raison, il y a le bâton de toute façon. T’as rien à dire, t’es pas adulte, quand le prof te dit un truc c’est sa parole. Après ici en France t’as pas le droit de toucher les élèves et ils peuvent te dire ce qu’ils veulent et t’as pas le droit de les toucher quoi. Il y a quand même un juste milieu. Ouais quand le prof il a tort et qu’il a vraiment tort, qu’on ait le droit de contester qu’on ait le droit de dire non j’suis pas d’accord. Et pour ça la France c’était bien quoi, mais il manquait un peu de discipline.

Vous avez parlé du moment où vous étiez bien sage et ensuite du moment où vous vous êtes adapté. Qu’est-ce que ça a donné dans votre scolarité ? Quel a été votre parcours ?

Et ben, je suis allé…j’ai passé le brevet et après j’suis allé, comment on appelle ça, en BEP électronique. Donc là, j’ai fait 2 ans au lycée.

C’est vous qui avez choisi ?

Ben c’était par rapport à la moyenne du brevet. Après c’est la conseillère qui me dirigeait et qui me conseillait vers où on pouvait aller avec un niveau comme ça. Donc voilà. Mais le choix par rapport à la moyenne il se refermait vite. Donc de toutes manières c’était une voie

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professionnelle où me diriger. Parce qu’au début je me suis acharné et puis petit à petit j’ai commencé à jeter l’éponge.

Sur quoi ?

Ben sur l’école. Sur les devoirs, sur les machins. Petit à petit ça commençait à me saouler de faire un collège en arabe et de tout refaire dans une autre langue. Et ça, ça c’était trop long.

Et si vous étiez resté en Algérie, vous en auriez eu marre de la même manière ?

Ben déjà en Algérie, on avait déjà la déprime. Avec la guerre civile, le matin on… avec les autres classes on s’était organisé pour faire des repér… des repérages. On faisait une tournante de repérage le matin, à 5 heures du matin avant que tout le monde aille au collège pour vérifier si les voitures elles étaient pas piégées ou je ne sais pas quoi enfin. Donc ouais, même à l’époque o commençait à déprimer un peu de la situation. Et les échecs scolaires ils étaient bien… Ouais après, je peux pas dire jusqu’où je serais allé parce que ça c’est encore aggravé jusqu’en 98. Moi, je suis arrivé en 96.

Et après le BEP, vous avez fini votre BEP ?

Non, je ne l’ai pas fini. Si si, j’ai fini mon BEP et je suis allé à Branly pour faire un bac pro réseaux et maintenance informatique. Et puis, j’ai fait un jour et je me suis cassé. Une matinée, non même pas, j’ai fait de 9 heures à 10 heures, 1 heure.

Pourquoi ça a été si bref ?

Parce que d’une c’était chiant, de deux c’était loin, de Givors à Lyon, il fallait … et en plus j’avais déjà commencé la musique et on m’avait branché pour venir faire de la musique dans un groupe dans la Drôme et c’est pour ça que je suis venu. J’avais le choix entre ses deux options.

Et après, une fois que vous vous êtes lancé dans la musique ?

Oui. Je me suis lancé dans la musique, j’ai fait de la guitare jazz, après je suis rentré dans un conservatoire à Givors et j’ai eu cette opportunité là. On avait le droit de faire de la musique pour 350 francs à l’année. C’est une ville communiste et avec le quotient familial donc je pouvais avoir des sacrés tarifs. Donc voilà, j’ai vu qu’on avait le droit de faire de la musique, donc je me suis inscrit à la musique. J’ai commencé par la guitare, après j’ai vu que je pouvais faire autre chose, j’ai fait de la composition musicale, du solfège, du solfège rythmique, après j’ai commencé à faire de la batterie, après des percussions. Jusqu’où moment où j’ai fait un stage de percussions avec Jérôme, c’était pour la biennale de Lyon, et j’ai fait le stage avec lui et plusieurs élèves du conservatoire et ensuite voilà, il m’a rebranché pour monter une fanfare sur Givors et après il a fait une audition avec une compagnie dans la Drôme et il m’a dit c’est bon, qu’ils aimeraient me rencontrer. Du coup, j’avais ça en tête quand j’ai fait ma première journée de bac pro. Et j’ai fait mon choix. J’ai préféré m’aventurer dans la musique plutôt que de gérer des câbles. Parce qu’on nous avait dit que c’était maintenance des réseaux informatiques et que ça avait rapport avec l’électronique et le matin ils nous on dit ben voilà

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on a une nouvelle technologie et c’est la TNT, ça va sortir et voilà il va falloir tirer des câbles. (rires). J’ai dit non ça va merci.

Maintenant, on va revenir un peu en arrière, au moment de l’adolescence.

Ah oui la parenthèse !

Oui. Savoir si vous avez vécu le racisme ou une sorte d’exclusion ?

Euh non. Non, j’ai pas vécu de forme de racisme. Après, dans tous les milieux, les rapports humains ils sont compliqués d’une personne à l’autre. Forcément, moi à l’adolescence j’étais confronté à Givors à la racaille. Après je ne m’identifiais vraiment pas à eux mais voilà, c’était des jeunes, on avait le même âge et puis c’est des jeunes issus de parents immigrés et même de grands-parents immigrés et c’est la deuxième génération qui sont nés ici en France. Du coup, on a pas la même mentalité, on a pas la même vision des choses quand on vient d’Algérie et quand on est fils d’immigré ici en France.

Est-ce qu’à un moment donné on vous a imposé la culture française en vous demandant d’oublier votre culture d’origine ?

Non. Non, on m’a pas imposé la culture française. Parce que je la connaissais un petit déjà. Et ma mère c’est une immigré qui est née en 54 en Algérie, qui a immigré en France à l’âge de 2 ans en 56 et qui est revenue en Algérie en 76. Elle est revenue en 76, elle avait 21 ans et quand elle est revenue en Algérie, c’était une immigrée et elle parlait pas arabe. C’est des berbères donc elle parlait chaoui, chaoui et français. Elle est arrivée en Algérie pour faire ses études et voilà elle faisait des études de commerce donc elle était obligée de connaitre des mots techniques, donc elle a reprit des cours mais elle a gardé son accent français quand elle parle arabe. Donc je connais un petit le français à travers ma mère.

Vous ne vous êtes jamais senti « le cul entre 2 chaises » ? Vous avez toujours su quoi prendre dans l’une ou l’autre des cultures ?

Ben ouais. L’intérêt c’était ça, c’était d’y arriver. Après ouais, au début, au bout de 3, 4 mois ici en France j’avais envie de retourner au bled. Pour se retrouver.

Au bout de 3, 4 mois ?

Ouais. Au bout de 3, 4 mois ça commençait à devenir long.

Et vous êtes resté combien de temps sans y retourner ?

De 96 jusqu’en 2002. Et c’est long.

Et depuis vous y aller régulièrement ?

Non, après j’y suis retourné en 2006 avec ma femme et mon fils.

Du coup, vous êtes toujours en contact avec… ?

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Oui oui oui. J’arrive là-bas, je suis chez moi. Quand j’arrive au village, tout le monde sait que j’arrive, tout le monde est au courant.

Et est-ce que vous vous dîtes « de toute manière je suis là pour l’instant et je retournerai dans mon pays » ?

Non. Je me suis pas dit ça parce que d’une je suis arrivé jeune, à 13, après il y a l’adolescence et forcément c’est des âges où tu te construis donc …Je suis originaire d’Algérie, mais maintenant j’ai les deux cultures. Donc ouais, je ne pense pas y retourner mais je suis toujours dans ce rêve en France, ça parle tout le temps en français, et que je me suis pas posé la question d’y retourner.

On va faire une dernière partie sur aujourd’hui, la situation actuelle. Que âge avez-vous aujourd’hui ?

J’ai 28 ans.

28 ans et vous êtes musicien. Et vous avez dit tout à l’heure que vous aviez un titre de séjour qui arrive à expiration.

Oui.

Et est-ce que vous envisager un jour d’avoir la nationalité française ?

Ben avec le travail que j’ai on est tout le temps en vadrouille et c’est vrai qu’à chaque fois que je me retrouve à une frontière, une frontière qui connait pas l’Algérie, il me faut des visas à tout va. Donc pour le côté pratique, je devrais le faire, mais voilà, comme j’ai dit, toutes les périodes où il y a eu des caps à franchir, j’ai toujours été euh… enfin, quand je suis venu en France, j’étais pas au courant, quand on nous a dit de rester, j’étais pas au courant, quand on m’a filé ma carte de séjour entre les mains je ne savais même pas ce que c’était à 18 ans. Et 10 ans derrière, je me suis plus intéressé au problème d’intégration qu’au problème des paperasses. Je suis bordélique. Donc voilà, la question se pose : est-ce que je demande ma naturalisation ou pas. Ouais, pour le côté pratique, je devrais. Après, c’est vrai que des fois ça ramène un peu les pieds sur terre ce petit passeport vert là.

C'est-à-dire ?

C'est-à-dire que voilà maintenant ça fait tellement longtemps que je suis ici en France que je me suis accaparé la culture française.

Vous vous sentez intégré ?

Je me sens intégré. Et du coup il ne me reste pas grand-chose de l’Algérie. Si, comme je suis construit, comme je réfléchis, je sais que je suis de là-bas, mais les papiers, ça fait quand même un truc, ça fait une espèce de pincement au cœur.

Oui. Vous avez l’impression de perdre un petit peu de qui vous êtes si vous vous naturalisez français ?

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Oui, voilà. Peut être que je vais grandir mais même quand tu retournes en Algérie, t’arrives au transit, quand tut te présentes…ça me ferait bizarre de me pointer en Algérie avec un passeport vert, demander un visa pour aller chez moi. Enfin, ce qui m’énerve le plus, c’est les frontières.

Et, est-ce que vous pouvez préciser ce que veut dire pour vous « être intégré » ?

Pour moi, être intégré ?

Oui

Pour moi, être intégré ça veut dire, déjà ça veut dire… prendre connaissance de la culture qu’il y a déjà, qu’il y a là, et la respecter. Après, à partir de là, je pense que tu peux garder ta culture et tu peux rester toi-même tout en étant dans un pays étranger. T’as le droit de garder tes coutumes.

De garder votre culture et de rester vous-même ?

Oui.

Mais vous n’avez pas l’impression de vous être construit sur la base de 2 cultures plutôt ?

Moi, oui. Vous parlez de moi ?

Oui.

Oui, oui. Ben moi je me suis construit comme ça en tout cas, je me suis imprégné de la culture française, que ce soit à la maison ou dehors ou dans la rue.

Et avant, dans les premières années, quand vous étiez chez vous, vous parliez arabe ou français ?

Ben au début c’était en arabe, puis petit à petit en français parce que y’avait toujours des gens autour et il fallait qu’ils comprennent. C’était mal élevé de parler dans une autre langue quand il y avait des gens qui ne comprenaient pas.

D’accord. Donc vous vous sentez d’une double culture ?

Oui.

Vous ne vous sentez pas dire « je ne suis qu’algérien » ?

Non. Non, ça je ne pourrais pas. Retourner en Algérie et dire que je ne suis qu’algérien, non, en Algérie, je suis français.

Et les représentations que vous avez de la France aujourd’hui par rapport à celles que vous aviez avant ?

Les représentations que j’avais de la France ?

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Oui, par rapport aux attentes que vous aviez, est-ce que c’est en décalage par rapport à ce que vous vivez aujourd’hui ?

Ben non. Parce qu’avec le temps en France si tu te démerdes bien, tu peux y arriver. Après, mes attentes…il y en a ils sont morts comme ça en attendant ! (rires). J’attends pas grand-chose. Non, les attentes, c’est toujours la même chose, c’est que quand on parle de misère, c’est pas la même qu’au bled c’est tout. La misère au bled, c’est la pauvreté, il y en a ils se retrouvent sans toit, ils n’ont pas à manger. Ici, en France, t’as à manger, tu crèveras jamais la dalle sauf si t’es vraiment…comment on appelle ça…si t’es psychologiquement atteint et que le SAMU vient te chercher et que tu les envoies chier. Même dans les périodes de froid, il y a toujours des services qui viennent te ramasser dans la rue pour t’envoyer dans des foyers. Et ça, c’est des choses qu’on a pas forcément en Algérie. On a un autre niveau de pauvreté.

Et l’idée que vous vous faites de l’Algérie aujourd’hui, ça a changé par rapport à l’idée que vous vous en faisiez gamin ?

Hein ?

Est-ce que vous avez un autre regard sur votre pays ?

Mon pays, il est super compliqué. Déjà, on a trois langues différentes de berbère. Un arabe qui est modifié d’est en ouest : si t’habites à la frontière tunisienne tu vas pas forcément comprendre un gars qui habite à la frontière marocaine. Dans le désert, ça parle touareg. Donc l’image que j’avais de l’Algérie avant c’était vraiment local, dans mon village. Et puis voilà, quand tu vis la guerre civile, en direct, tu vois toujours les choses moins pire qu’à a télé. On vivait dedans et on s’en rendait pas forcément compte, de la gravité de la situation. Après, en grandissant c’est clair, je comprend mieux certaines réactions de mon père où il a speedé pendant un moment où il y avait les terroristes qui sont arrivés. Mais c’est clair, quand t’es gamin tu vois pas les mêmes choses.

Et est-ce que vous avez eu l’impression de vivre un choc culturel ici en arrivant en France ?

Enfin, le fait d’avoir à vous construire entre deux cultures ?

Bah, les algériens ils connaissent bien les français, mais c’est les français qui ne connaissent pas bien les algériens. Enfin, le comportement français, j’ai vu ça dans tous les voyages, ils n’ont pas de problème de frontière. Ils peuvent aller en Europe, ils peuvent au Brésil, ils n’ont pas besoin de visa. Pour eux c’est super facile de voyager. Nous, chaque fois qu’on bouge quelque part, on nous rappelle qu’on est pas chez nous, on est là pour un laps de temps, on revient. Donc on a pas construit la même vision de l’étranger en France et en Algérie. En Algérie, on connait les français depuis 1830, et jusqu’à maintenant. Les français, il y a des pieds noirs qui y retournent, des français qui sont restés là-bas. Avec la guerre civile, il y en a beaucoup qui ont été tué mais…

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En gros, vous avez senti qu’il a plus fallu que vous, vous vous adaptiez que de voir les français s’adapter ?

Ici en France ?

Oui

Ici en France, c’est clair que c’est à moi de m’adapter. Mais le truc c’est que quand les français, ils viennent en Algérie, c’est à nous de nous adapter aussi. Donc ça, je trouve pas ça… enfin ça, je parle pas de tout le monde. Je trouve ça dommage de pas vouloir comprendre l’autre, ce qu’il pense et comment il réfléchit au lieu de dire, j’sais pas moi, « ces arabes c’est vraiment des cons ! », leur femme elle est à la maison, il y a tout un système qui a été construit et qui est différent du leur. Moi, j’arrive à comprendre. Forcément, la première fois, quand j’ai vu une femme fumer, ça m’est fait tilt. « oh, une femme qui fume ». Mais en Algérie ça, on est prêt à comprendre. Ca prend du temps, on l’intègre : c’est normal, les femmes elles fument, après elles travaillent.

Et quelle a été la position de votre famille ? Vous a-t-on poussé à faire des efforts pour vous intégrer ?

Non. Je suis déjà de nature intègre. Ils avaient pas à…jusqu’au moment où…, au bout de quatre mois j’ai pété un plomb.

Et dans ce que vous viviez, aviez-vous l’impression d’être soutenu, accompagné ou tout seul ?

Et ben, après c’est pareil. T’arrives à la maison c’est la maison et la rue c’est la rue. Quand t’arrives dans la rue c’est la jungle, à Givors. Donc fallait trouver d’autres repères pour pouvoir s’intégrer. Après à la maison, ouais, y’avait les fêtes, les potes de ma mère, de mon oncle. On savait tous qu’on arrivait d’Algérie, qu’on était bien accueilli. Mais dans la rue c’est pas pareil, faut se faire une place avec les potes, avec tout le onde, à l’école tout ça. Donc t’es pas forcément la même personne ici en France, la rue et dans la maison du bled, la rue du bled.

Est-ce que vous avez l’impression que tout ça a participé à forger votre caractère, si ça vous a endurci, si vous affronter mieux les choses de la vie ?

Ouais. Ici en France, c’est clair, y’a pas beaucoup de choses qui…, à part le moral qui est vachement présent ici en France. Mais c’est sûr que ce sera pas pire que ce qu’on a vécu en Algérie.

Est-ce que ce que vous avez vécu entre l’Algérie et la France, vous percevez ça comme une richesse aujourd’hui ?

Ouais ouais. Parce que j’ai encore 4 frères et 2 sœurs en Algérie et j’ai développé une ouverture qu’ils n’ont pas. Des choses sur des tabous aussi que j’ai plus. La sexualité en Algérie, à l’âge de 13 ans, personne t’en a parlé. Et j’ai dû découvrir ça ici en France et j’ai vu que les gamins ils savaient déjà tout. Leurs parents leur en on parlé, les problèmes de sida, c’est l’éducation nationale. Nous, on disséquait des lapins et on démontait des tortues

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mais…C’est quand même une priorité de l’être humain, le sexe, et le fait de mettre un tabou dessus, je pense que ça, ça modifie pas mal le comportement des gens. Mais petit à petit ça s’ouvre aussi en Algérie, avec le temps.

Que pensez-vous qu’il pourrait être modifié ou mis en place pour améliorer l’intégration des migrants ?

Moi, je pense….après j’ai plusieurs avis parce que justement j’ai le cul entre 2 chaises, j’ai 2 cultures donc tu pars d’Algérie et que t’arrives ici en France c’est clair que c’est du coton. C’est à nous de nous intégrer et de prendre le train en route, et de l’autre côté c’est vrai que je ne suis pas une généralité non plus, y’a des gens qui galèrent, ils n’ont pas de domicile, pas de famille, et puis ils ne parlent pas bien français. Et ouais, je pense surtout au niveau de l’éducation, pas forcément le christianisme, pas forcément dans la religion mais je parle des coutumes des français, les valeurs humaines que défendent les français. Après les coutumes françaises, ben y’a de moins en moins de religieux, et les gens ils sont plus populaires.

Pensez-vous que ça améliorerait l’intégration des enfants de d’abord passer par l’éducation des parents ?

Ben, je pense que ça créée une bonne dynamique de groupe familial, c’est clair parce que quand tu vas à l’école, même moi avec mon père prof de français, ma mère elle travaillait à Saint-Raphaël, donc t’arrives à un certain âge et tu te démerdes quoi, tes parents ils sont pas toujours au courant de tout, même s’il y a les carnets de correspondance et tout, mais ça résume pas la vie que t’as à l’école, tes fréquentations. Donc ouais, je pense que ça peut être une bonne idée de mettre les parents dans le jus, enfin faudrait pas les mettre dans la même classe que leurs enfants parce que ce serait la honte (rires), mais ouais, d’intéresser les parents à…ça peut être une bonne chose ouais.

Dans la vision de ce que peut être une famille et dans l’éducation que vous voulez donner à vos enfants, est-ce que vous sentez bien l’influence des 2 cultures ?

Ben là, c’est justement là où il pourrait y avoir un choc, entre l’homme algérien et la femme française. Du coup, là c’est une autre histoire, c’est que je suis mariée à une française et sur le plan éducation y’a des chocs culturels par moments, où j’ai beaucoup plus de valeurs…pas de valeurs mais d’éducation, enfin on est très pudique en Algérie. Donc y’a des choses des fois je demande à mon fils d’être pudique dessus et où ma femme elle est pas d’accord, voilà ce genre de truc. Après voilà, il faut trouver le compromis pour que le gamin sache qui sont ses parents. Je pense que c’est à partir de là que lui aussi il pourra se faire sa place et savoir d’où il vient.

Dans l’éducation que vous donnez, vous avez l’impression d’être le représentant de la culture algérienne ?

Non. Non, je suis un représentant des 2 cultures. Après, ça va sur chaque détail, mais tous les détails font que j’ai 50/50 d’éducation et sa mère elle a 100% d’éducation française.

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Une dernière question avant de terminer. Avez-vous déjà entendu parler du mot acculturation ?

Comment ?

Acculturation

C’est des analphabètes ?

Non

C’est une déculturation ?

Non. Alors ça se dit d’une culture, enfin d’un groupe ou d’un individu quand il rencontre un autre groupe d’individus, il y a des changements dans les comportements. Par exemple, vous avez des normes, un fonctionnement et quand vous allez arriver au contact d’un nouveau groupe avec son propre fonctionnement et ses propres normes, vous allez changer de comportement, l’ajuster en fonction du nouveau groupe.

Ah. Et vous voulez que je vous dise ce que j’en pense ?

Oui.

L’acculturation c’est le fait que le groupe change de comportement avec l’arrivée de cet étranger ?

Oui. Et aussi que l’étranger va changer son comportement au contact du groupe.

Ah, c’est les deux ? L’acculturation ça peut être les deux ?

Normalement oui, c’est les deux. Après, quand un algérien arrive en France, on a plus tendance à parler d’acculturation juste pour l’algérien qui arrive en France.

D’accord. Mais du coup, l’acculturation c’est quand même négatif ? C’est que…tu perds la culture.

Non. Non, c’est pas un préfixe français pour dire qu’il n’y a pas ou moins ou plus, ça a d’autres racines qui n’ont pas du tout de notion péjorative à la base.

Ça dépend des personnes. T’as des personnes avec plus de prestance et des personnes plus charismatique que d’autres, et qui peuvent influencer…après ça dépend…ça change d’une situation à l’autre. Mais suivant le caractère d’une personne, elle peut tirer le groupe vers son fonctionnement et vice-versa.

Voilà, j’ai appris un nouveau mot.

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Dimensions Questions Réponses

participant A Notes

Statut Ex. : Quelle est votre nationalité ?

Sociale Ex. : Quelles relations aviez-vous avec vos camarades de classe ?

Culturelle Ex. : quelle langue était parlée au domicile familial ?

Cognitive Ex. : avez-vous bénéficié d’un dispositif d’accueil spécifique ?

Subjective Ex. : Vous sentez-vous biculturel ?