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LE POINT DE VUE D'ELLÉNORE

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LE POINT DE VUE D'ELLÉNORE

UNE RÉÉCRITURE D'ADOLPHE

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LE PRÉSENT OUVRAGE, SORTI DES PRESSES DE L'IMPRIMERIE A. BONTEMPS, À LIMOGES, FRANCE, A ÉTÉ ACHEVÉ EN SEPTEMBRE 1981.

@ Librairie José Corti, Paris, 1981 Tous droits de traduction réservés pour tous les pays

Tous droits de reproduction, même partielle, sous quelque forme que ce soit, y compris la photographie, photocopie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre, réservés pour tous pays. Toute reproduction, même fragmentaire, non expressément autorisée, constitue une contrefaçon passible de sanctions prévues par la loi sur les droits d'auteurs (11 mars 1957).

No d'édition : 668. Dépôt légal : septembre 1981 — No d'impression : 1531

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EVE GONIN

LE POINT DE VUE d/ELLENORE

UNE RÉ ÉCRITURE D'ADOLPHE

Préface de Judith ROBINSON

LIBRAIRIE JOSÉ CORTI 11, RUE DE MÉDICIS

75006 PARIS 1981

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Puisse Madame Judith Robinson trouver dans ces lignes l'expres- sion de ma profonde gratitude et voir dans cet ouvrage l'effet de son rayonnement. Je la remercie d'avoir été, pour moi, le maître qui éveille et donne confiance, qui inspire et guide.

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PRÉFACE

L'œuvre littéraire n'est pas un objet existant en soi et qui présenterait en tout temps à tout observateur la même apparence, un monument qui révélerait à l'observateur passif son essence intemporelle. Elle est bien plutôt faite, comme une partition, pour éveiller à chaque lecture une résonance nouvelle...

JAUSS 1

L'œuvre durable « est toujours susceptible d'une ambiguïté, d'une plasticité infinies... elle est un miroir qui fait connaître les traits du lecteur », et cette participation du lecteur fait toute la vie de l'objet littéraire. « La littérature est chose iné- puisable, pour la raison suffisante qu'un seul livre l'est. Le livre n'est pas une entité close : c'est une relation, c'est un centre d'innombrables relations. » Chaque livre renaît à chaque lecture, et l'histoire littéraire est au moins autant l'histoire des façons ou des raisons de lire, que celle des manières d'écrire ou des objets d'écriture...

GENEITE/BORGES 2

Peu de romans français posent au lecteur plus de questions qu'Adolphe. D'abord par son extrême concision, qui fait qu'on se demande avec étonnement en le refermant comment, en une centaine de pages décrivant en principe une période de quelques années seulement, l'auteur a pu nous donner l'im- pression d'avoir partagé avec ses deux personnages centraux une telle éternité de drames et de souffrances. Ensuite par la qualité mystérieuse de son écriture, toute en ellipses, en rac- courcis et en transitions abruptes, dont on sent cependant obscurément la logique cachée, entre les actes et les états

1. Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Gallimard, « Biblio- thèque des Idées », 1978, p. 47.

2. Gérard Genette, Figures, Éd. du Seuil, Coll. « Tel Quel », 1966, p. 130, citant des extraits des Enquêtes de Borges, Gallimard, Coll. « La Croix du Sud », 1957, pp. 119, 244.

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d'âme en apparence les plus contradictoires. Et encore par la structure même du roman, qui paraît au premier abord si transparente et si « classique », avec son exposition des don- nées, ses péripéties et son dénouement se succédant selon les traditions familières, de sorte que nous ne remarquons que dans un deuxième temps tout ce qu'elle a d'équivoque et de troublant pour l'esprit. La critique elle-même a mis longtemps à s'apercevoir que le récit principal n'est pas tout le roman, et qu'il est précédé et suivi d'un étrange amalgame de cinq textes de type très différent, au statut extrêmement ambigu : dans l'ordre de la lecture, les deux préfaces dans lesquelles l'auteur porte sur son récit, et sur la tragédie qu'il incarne, un jugement moral rétrospectif, à la fois relativement sévère dans sa condamnation d'Adolphe et très nuancé dans l'analyse des causes psychologiques profondes qui ont créé entre lui et Ellénore une situation dont ni l'un ni l'autre n'est le maître ; puis un « avis » fictif de l'éditeur, racontant sa rencontre avec Adolphe après la mort d'Ellénore dans l'auberge de Cerenza et sa découverte fortuite, par l'intermédiaire de l'aubergiste, d'une cassette (de pure convention, bien entendu) contenant, entre autres choses, le manuscrit du récit; ensuite, en épilo- gue, une lettre adressée à l'éditeur par un correspondant ano- nyme, qui est censé avoir connu Ellénore et Adolphe et avoir même essayé d'intervenir dans leurs rapports, et qui, ayant eu par hasard l'occasion de lire le manuscrit après un laps de temps considérable, le commente en essayant d'excuser la conduite d'Adolphe et pousse l'éditeur à le publier ; enfin, la réponse, évidemment tout aussi fictive, de l'éditeur à cette lettre, dans laquelle il accepte de publier le récit que nous venons de lire, et le commente à son tour, avec nettement moins d'indulgence à l'égard d'Adolphe.

Comme l'ont très bien montré récemment plusieurs criti- ques, notamment Michel Charles et Alison Fairlie 1, les rapports extrêmement complexes entre ces différents textes et le récit lui-même, par la multiplicité et la diversité des points de vue qu'ils présupposent, et par leur présentation et leurs analyses tantôt concordantes, tantôt discordantes du même ensemble de faits, engagent directement le lecteur dans le travail de « décryptage » du roman. Non seulement ils lui posent toutes sortes de questions nouvelles, venant s'ajouter à celles qui sont partout implicites et parfois explicites dans le récit, sur le

1. Michel Charles, Rhétorique de la lecture, Coll. « Poétique », Éd. du Seuil, 1977, chap. Adolphe, ou l'inconstance, et Alison Fairlie, « Framework as a suggestive art in Constant's Adolphe (with remarks on its relation to Chateaubriand's René) », Australian Journal of French Studies, Vol. XVI, no 1-2, janvier-avril 1979.

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degré de responsabilité de chacun dans le drame (et sur le bien-fondé de la notion même de responsabilité), sur les liens paradoxaux entre l'égoïsme et l'altruisme, entre ce qu'on est convenu d'appeler les « qualités » et les « défauts » d'un être, et sur le problème de « la douleur que l'on cause » (A, 83) 1, tant aux autres qu'à soi-même, mais ils l'obligent aussi, sur un tout autre plan, à réfléchir en profondeur à ce qui peut être considéré comme constituant un récit « vrai ». Car, ainsi que le fait fort justement remarquer Michel Charles, l' « édi- teur », qui est en l'occurrence Constant, malgré la fiction trans- parente employée, se permet d'exercer une censure assez sur- prenante en nous livrant ce que nous pourrions naïvement prendre à première vue pour la totalité de la « vérité » telle qu'il la connaît. Dans la cassette que lui envoie l'aubergiste, en plus du manuscrit qu'il finit par publier et d'un « portrait de femme » (on devine qu'il s'agit d'Ellénore, mais ce n'est là qu'une supposition), il trouve « beaucoup de lettres fort anciennes, sans adresses ou dont les adresses et les signatures étaient effacées » (A, 12). Lesquelles? Des lettres d'Ellénore, comme celle, également « sans adresse » (A, 79), qu'elle avait défendu à Adolphe de lire après sa mort, mais qu'il lit quand même, sans pour autant nous en transcrire autre chose que des fragments ? Quoi qu'il en soit, Constant ne les verse pas, pour ainsi dire, au dossier, pas plus qu'il ne nous révèle le contenu de ces mystérieux papiers (lesquels ?) qu'elle confie au contraire à Adolphe, après en voir fait brûler « plusieurs » (A, 77) devant lui (en quoi au juste différaient-ils des autres ?). Nous apprenons cependant qu'en lisant ces papiers (écrits à quel moment exactement ? ensemble ou séparément ?), Adolphe y a découvert « de nouvelles preuves de son amour », « de nouveaux sacrifices » qu'elle lui avait faits et qu'elle lui avait cachés (A, 79). Là encore, sur un sujet aussi capital, on aime- rait en savoir plus, mais le récit se tait, de même qu'il se tait sur un autre ensemble de lettres (adressées à qui?) envoyées par le correspondant à l'éditeur, lettres qui, elles aussi, auraient été pleines d'éclaircissements pour le lecteur, étant donné qu'elles sont censées contenir des renseignements très détaillés sur la suite de la destinée d'Adolphe après la disparition d'EUénore, le montrant, « dans bien des circonstances diver- ses » (lesquelles ?), tout aussi digne de « pitié » que de « blâme », et « toujours la victime de ce mélange d'égoïsme et de sensi-

1. Les chiffres précédés d'un A figurant dans notre texte renvoient à la pagination d'Adolphe dans l'édition des Œuvres par A. Roulin, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1957 (réimpression de 1964) ; les chiffres précédés d'un C renvoient à celle des Confidences d'Ellénore dans le présent ouvrage.

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bilité qui se combinait en lui pour son malheur et celui des autres » (A, 82). L'épisode d'Ellénore, se demande le lecteur, ne serait-il donc qu'un exemple parmi d'autres dans la destinée d'Adolphe d'un comportement cyclique et quasi obsessionnel, comme le laisse entendre le mot « toujours », répété une deuxième fois dans la même phrase : « tour à tour le plus dévoué et le plus dur des hommes, mais ayant toujours fini par la dureté, après avoir commencé par le dévouement » (A, 82) ?

Toutes ces suppressions, tous ces silences, tous ces docu- ments à demi livrés et à demi cachés nous font imaginer ce qu'aurait pu être un récit de l'histoire d'Adolphe et d'Ellénore qui aurait tout dit, qui aurait inclus, en style direct, toutes les conversations clés entre eux — l'expression du premier élan si fugitif de leur exaltation commune, et ensuite, dans toute sa cruauté, la précision douloureuse de leurs « mots irréparables » (A, 37) —, qui aurait mis aussi à notre disposition toutes ces lettres dont la teneur n'est que superficiellement résumée dans le texte, soit par ignorance supposée de leur contenu exact (par exemple la lettre du comte de P. offrant à Ellénore la moitié de sa fortune si elle accepte de rompre avec Adolphe), soit par pudeur ou même par honte (par exemple celle d'Adol- phe promettant au baron de T. d'abandonner Ellénore, qui, lue par elle, la plonge dans un véritable abîme de désespoir). Mais un tel récit, malgré son grand intérêt intrinsèque, serait très différent de celui, en fin de compte beaucoup plus suggestif, que Constant a réellement écrit, et dans lequel personne n'est capable de « tout dire ». Car toute la richesse et toute l'ambi- guïté du roman résident justement dans le fait que chacun des personnages croit comprendre la totalité de la situation dans laquelle Adolphe et Ellénore se sont peu à peu enfermés. Le comte de P., le père d'Adolphe, le baron de T., l'amie d'Ellénore, et tous les membres des différents milieux sociaux qu'ils fréquentent (dont le correspondant anonyme) croient sincèrement savoir « de quoi il s'agit ». Comme dans les dîners de province ou les soirées parisiennes de la Comédie humaine, ils font des commentaires, offrent des conseils, interviennent, jugent et tranchent — Ellénore est une femme « légère » et une « mère dénaturée », Adolphe est un « séducteur » et un « ingrat », etc. (A, 40) —, s'exprimant toujours avec une netteté et une assurance que seule permet leur optique forcément partielle

- et le plus souvent partiale aussi sur ce réseau infiniment complexe de sentiments passés, présents et projetés vers l'ave- nir, positifs et négatifs, réels et imaginaires, conscients, incons- cients et demi-conscients, toujours en état d'équilibre instable,

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que constitue pour Constant un rapport amoureux entre un homme et une femme.

Adolphe lui-même, en dépit de la hauteur de laquelle il semble dominer son passé affectif et de sa remarquable capa- cité de distinguer entre ce qui dans ses sentiments antérieurs avait été vrai, faux ou un mélange des deux (« L'amour, qu'une heure auparavant je m'applaudissais de feindre, je crus tout à coup l'éprouver avec fureur » (A, 23)), doit en réalité une bonne partie de sa maîtrise intellectuelle au recul du temps. Ainsi que le dit très pertinemment Alison Fairlie1, la lucidité qu'on a si souvent louée chez Adolphe est celle non pas du jeune homme en train de vivre les événements du roman, mais celle du narrateur qui analyse après coup, avec tous les avantages que confèrent l'éloignement et la maturité, sa propre expérience, y compris, et peut-être surtout, toutes les erreurs d'interpréta- tion de, soi non moins que de l'autre qu'elle avait compor- tées. La distinction classique entre l' « erziihltes Ich » (le « Je raconté ») et 1'« erziihlendes Ich» (le « Je racontant ») dont parle Spitzer est ici capitale, comme chez Proust2. Mais il s'y ajoute un autre facteur encore : la philosophie du lan- gage exprimée partout dans le roman, et qui fait que malgré le caractère apparemment définitif de tant d'analyses figurant dans le récit d'Adolphe, comme la terrible phrase « Ellénore était sans doute un vif plaisir dans mon existence, mais elle n'était plus un but : elle était devenue un lien » (A, 34), le lecteur ne peut s'empêcher de se demander si ces formulations magistrales ne constituent pas paradoxalement, elles aussi, une simplification excessive. Puisque selon le narrateur lui-même la parole, « toujours trop grossière et trop générale », peut bien servir à « désigner » les sentiments mais jamais à les « définir » (A, 18), c'est au lecteur qu'il appartient d'imaginer, dans toutes ses contradictions internes, et avec toute la marge de flou qui l'a probablement entouré, ce qu'Adolphe a pu ressentir à tel ou tel stade de ses rapports avec Ellénore bien avant de pouvoir le formuler dans des phrases nettes et claires.

Ce qui est vrai d'Adolphe l'est évidemment encore plus d'Ellénore, qui n'est vue dans le récit que par réfraction, à travers le prisme du regard d'Adolphe — qu'il s'agisse de celui de l'Adolphe-protagoniste, brouillé de mille façons diffé- rentes par ses émotions confuses et mélangées, par ses désirs, ses craintes, ses élans, ses regrets, ses sentiments de compas- sion, d'embarras, de culpabilité, d'exaspération, de frustration

1. Art. cité, p. 9. 2. Voir à ce sujet le chapitre très suggestif Voix du Discours du récit dans

Figures III de Gérard Genette, Coll. « Poétique P, Éd. du Seuil, 1972.

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et de profonde impuissance, ou de celui de l'Adolphe-narrateur, dont le récit rétrospectif « voit » autrement encore ce qui a déjà été « vu », et veut le voir autrement, soit pour prendre le recul nécessaire pour essayer de rétablir tant bien que mal la vérité et l'objectivité, soit pour entreprendre la tâche d'avance impos- sible, et impliquant par définition une double optique, de rendre justice à Ellénore tout en se justifiant lui-même. A tra- vers ce jeu de miroirs infiniment complexe, l'image d'Ellénore ne peut qu'être déformée, d'autant plus que si, comme l'affirme le narrateur, « presque jamais personne n'est tout à fait sin- cère ni tout à fait de mauvaise foi » (A, 23), il faut se dire qu'il ne peut espérer échapper plus que les autres à cette règle en nous faisant son propre portrait d'Ellénore. Le texte du roman lui-même nous appelle donc, ici encore, à jouer pleinement notre rôle de lecteurs en complétant et, au besoin, en corri- geant ce portrait, ce qui n'est possible que si nous changeons totalement d'optique, d'angle de vision, de manière à braquer notre caméra imaginaire non plus sur Adolphe mais sur Ellé- nore, et en revivant le drame du roman d'un tout autre point de vue, le sien.

C'est là ce qu'a voulu faire Ève Gonin dans le remarquable tour de force des Confidences d'Ellénore, qui constituent une réécriture du roman tout entier du point de vue de l'héroïne — réécriture qui, malgré sa grande liberté d'invention, suit de très près le texte de Constant, cherchant tout simplement à insérer, en quelque sorte, dans les vides et les interstices que laisse le récit d'Adolphe un récit parallèle et complémentaire d'Ellénore. Ce nouveau roman, faisant écho au premier que nous croyions si bien connaître, met en lumière d'une façon saisissante ses innombrables ambiguïtés, et troue d'innombra- bles zones d'ombre sa surface en apparence si lisse et si claire.

Pour réussir une entreprise aussi hardie, Mme Gonin a dû faire un effort soutenu pour se projeter par l'imagination dans l'univers intérieur d'Ellénore, pour entrer aussi profondément que possible dans sa peau, dans les replis les plus cachés de son esprit et de sa sensibilité tels que permet de les deviner le texte du roman. Elle a dû aller jusqu'à s'imaginer en train de vivre jour par jour, dans le plus infime détail, sa situation tragique et ses tentatives désespérées pour éviter de s'y laisser engloutir. Ce qui ressort de ce travail proprement créateur, que prolonge une analyse minutieuse de la personnalité de l'hé- roïne ainsi reconstituée, c'est d'abord, par contraste, le carac- tère extrêmement sommaire et souvent étonnamment faux de l'idée que tant de critiques se sont faite d'Ellénore depuis la parution du roman, trompés tantôt par les préjugés propres à leur époque ou à leur conception personnelle de « la » femme,

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tantôt par leur incapacité de sentir dans Adolphe l'immense part de non-dit. C'est ensuite le petit nombre de renseignements précis que le récit d'Adolphe nous fournit sur certains aspects de la personne et de la vie d'Ellénore. Nous ne savons presque rien, par exemple, sur son apparence physique, toujours pré- sentée d'une façon très abstraite et uniquement en fonction de l'impression qu'elle produit, selon les circonstances, sur les émotions d'Adolphe ; de même, nous ignorons presque tout de sa vie passée, de la nature exacte de ses rapports avec le comte de P., et surtout de la période, celle de ses mystérieuses « erreurs » (A, 63, 65), qui a précédé sa rencontre avec lui ; quant à ses enfants, que nous n'apercevons rapidement qu'une seule fois, « au fond de la chambre, ne jouant pas, et portant sur leurs visages cet étonnement de l'enfance lorsqu'elle remarque une agitation dont elle ne soupçonne pas la cause » (A, 36), nous n'en connaissons même pas le sexe. Ce flou n'est pas l'effet du hasard : il traduit tout simplement, comme le montre fort bien le récit de Mme Gonin, la nature très sélective du « regard » d'Adolphe, qui ne voit que ce qui l'intéresse directement, et qui censure, sans doute inconsciemment, non seulement des lettres et des documents, mais tout ce qu'il ne veut pas consta- ter ou savoir. C'est vraisemblablement parce qu'ils se sont laissé influencer à leur insu par la sélectivité de ce regard que de si nombreux critiques ont présenté Ellénore comme un personnage insaisissable et inconsistant, sinon carrément « inco- hérent ».

Un troisième aspect de la réécriture du roman qui frappe particulièrement le lecteur, c'est la façon dont elle met en lumière le décalage fondamental entre la sensibilité d'Adolphe et celle d'Ellénore. Ce décalage, rendu encore plus tangible par la juxtaposition sur la même page, dans les Confidences, du récit d'Ellénore et des éléments correspondants de celui d'Adolphe, est souligné par le fait symbolique qu'à tout un long développement sur telle ou telle émotion puissante ou douloureuse ressentie par Ellénore correspond souvent dans le texte de Constant une petite phrase très courte évoquant la réaction beaucoup plus neutre et plus prosaïque d'Adolphe devant la même situation, ou — ce qui est encore plus saisis- sant — un blanc, un vide total, qui représente sous une forme figurée l'absence de toute communication véritable entre les deux amants. Dans d'autres cas, la réaction d'Ellénore est pré- sentée dans les Confidences comme entièrement différente de celle d'Adolphe, ou de celle que, tout à fait à tort, il lui attri- bue, soulignant ainsi la discordance profonde de leurs senti- ments. Dans d'autres cas encore, il s'agit plutôt d'une désyn- chronisation : ce qu'Ellénore éprouve est comme déplacé dans

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le temps par rapport à ce qu'Adolphe a éprouvé mais n'éprouve plus, ou par rapport à ce qu'il ne finira par éprouver que plus tard, que trop tard.

Parmi les très nombreux exemples de ces différents types de décalage qu'offre le récit d'Ellénore, citons le contraste frappant entre le tumulte intérieur, allant jusqu'au « boulever- sement » (C, 64), que Mme Gonin attribue à Ellénore après sa lecture de la première lettre d'amour d'Adolphe et la calme assurance avec laquelle il décrit (d'une façon sans doute complè- tement erronée) sa réponse volontairement modérée : « Ellé- nore vit dans ma lettre ce qu'il était naturel d'y voir, le transport passager d'un homme qui avait dix ans de moins qu'elle, dont le cœur s'ouvrait à des sentiments qui lui étaient encore incon- nus, et qui méritait plus de pitié que de colère » (A, 23).

Ce fossé qui commence à se creuser entre les deux amants dès le début ira très vite en s'élargissant, comme le suggèrent d'autres détails des Confidences tels que le contraste entre les sentiments déjà attiédis d'Adolphe pendant l'absence du comte ( « je me croyais sûr des années, je ne disputais pas les jours » (A, 35)) et l'intensité des émotions que Mme Gonin imagine chez Ellénore pendant cette même période : « L'absence de Monsieur de P. nous offrit six semaines de paradis. Je savourais ce bonheur avec une furieuse avidité... » (C, 73). Ou encore tels que la juxta- position éloquente de la gêne extrême éprouvée par Adolphe après le duel devant l'empressement et le dévouement si ten- dres de sa maîtresse (« Cette vie que je venais d'exposer pour Ellénore, je l'aurais mille fois donnée pour qu'elle fût heureuse sans moi » (A, 43)) et l' « allégresse de l'âme » évoquée dans le récit d'Ellénore : « Pendant ces quelques jours où il m'était livré à merci, ma passion se reput d'Adolphe. Je vécus une ivresse permanente. Il m'appartenait vraiment, complètement » (C, 86).

Mais nulle part l'abîme qui sépare l'univers intérieur d'Adol- phe de celui d'Ellénore n'est représenté avec plus de force que dans les deux admirables développements parallèles des Confidences sur les façons diamétralement opposées dont Adol- phe et Ellénore peuvent être conçus comme vivant les deux mois de leur séparation. Voici donc, entremêlé au récit d'Adol- phe lui-même, un contrepoint encore plus riche que d'habitude, puisque c'est Ellénore qui émet de son côté des hypothèses sur les sentiments qu'il a pu éprouver : « Adolphe, en retrou- vant la maison familiale, regagna la terre ferme. Il réendossa du même coup la pelisse confortable et protectrice de son milieu. Il se glissa à nouveau dans la facilité des habitudes. Hors du chaos hostile où notre amour l'avait précipité, il repre- nait sa place taillée sur mesures dans son monde familier »

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(C, 88-89). Et pendant ce temps-là, que se passe-t-il dans le cœur d'Ellénore ? Le lecteur ne s'était peut-être jamais posé la ques- tion, tellement le texte du roman l'habitue à la concevoir avant tout comme l'objet des émotions d'Adolphe plutôt que comme le sujet de ses émotions propres. Cependant chaque être, même romanesque, qui est un objet de perception, de pensée et de sensibilité pour autrui est un sujet pour lui-même, et c'est ce que les Confidences ne cessent de nous rappeler — peut-être jamais plus que dans la peinture de V « enfer » de solitude et de désolation dans lequel le récit d'Ellénore la montre plongée. La longueur de cette peinture, qui s'étale sur cinq pages (C, 90- 95), est significative : elle met en évidence le fait qu'en deux mois d'isolement et d'inactivité complets, en l'absence de l'homme auquel elle tient par toutes les fibres de son être, Ellénore a dû traverser une véritable tempête intérieure. C'est effectivement ce qui lui arrive, à en croire son récit, qui la montre secouée alternativement par des vagues d'émotions contradictoires, allant du désarroi, du désespoir et du sentiment d'abandon les plus profonds à la colère violente, de la nostal- gie à la frustration, de la révolte à la haine, et pour finir, à une espérance aussi ténue qu'opiniâtre. Quant aux lettres arti- ficellement réchauffées d'Adolphe, qui déclare que « de la sorte, sans en dire jamais assez pour la satisfaire, j'en disais toujours assez pour l'abuser » (A,. 44), le récit d'Ellénore nous dépeint tout autrement la manière dont elles sont interprétées : « Quelles vannes de déceptions et d'insatisfactions ouvraient en moi ces pages froides, neutres et artificielles comme le devoir d'un écolier qui supplée à la richesse des idées par leur volume! [...] J'explosais de fureur, de rancune, de désir de vengeance... et d'amour » (C, 92).

Un autre exemple saisissant de ces divergences fondamen- tales entre le « point de vue » d'Ellénore et celui d'Adolphe sur les situations qu'ils vivent ensemble ressort de la tentative de réponse qu'on trouve au début des Confidences à la question toute simple : Pourquoi au juste peut-on supposer qu'Ellénore est tombée amoureuse d'Adolphe ? Question cruciale pour toute la suite du drame, et tout à fait différente de la question inverse, la seule qui, en raison de l'optique propre au. héros, soit posée directement par le roman : Pourquoi Adolphe est-il tombé amoureux, ou a-t-il eu l'impression de tomber amou- reux, d'Ellénore ? L'analyse faite après coup dans les Confiden- ces par Ellénore elle-même de tout ce qui la prédisposait inconsciemment à éprouver un sentiment nouveau et puissant au stade précis de sa vie où le hasard lui a fait rencontrer Adolphe est extrêmement suggestive, et montre tout ce qui dis- tinguait sans doute dès ce moment-là, sans qu'il ait pu le deviner, son attente et sa disposition d'esprit à elle des siennes.

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Les Confidences mettent en lumière d'une façon tout aussi frappante plusieurs autres aspects du point de vue particulier d'Ellénore, tels que celui, tout à fait capital mais dont les cri- tiques du roman ont très peu parlé : Ellénore en tant que mère, et de plus en tant que mère d'enfants nés illégitimes que leur père a légitimés par la suite sans la « légitimer » en même temps, elle, en l'épousant. (« En leur donnant un nom qu'il ne m'accordait pas leur père leur assurait un avenir, mais il m'exilait d'eux impitoyablement. Il me rabaissait à devenir moi- même la bâtarde... » (C, 59)). L'analyse très fine que propose le récit d'Ellénore de cette situation humaine si déchirante et si humiliante pour elle, et de son influence sur ses sentiments à l'égard de ses enfants avant et après le moment où elle quitte leur père, constitue un exemple particulièrement subtil du tra- vail de l'imagination de Mme Gonin autour d'un réseau de rapports qui est tout juste esquissé dans le roman — et cela parce que d'une part, pour des raisons qui tiennent à la fois à son tempérament et à son peu d'expérience, Adolphe n'arrive pas à concevoir le type de réaction que peut avoir une mère, que d'autre part il a la plus grande difficulté à se représenter Ellénore en dehors des relations qu'elle a avec lui (comme on le voit ailleurs à propos de ses retrouvailles manquées avec son père), et que d'autre part encore les sentiments qu'il éprouve pour elle le poussent vraisemblablement à refouler toutes les pensées susceptibles de lui rappeler ses rapports intimes avec le comte.

En ce qui concerne le comte, justement, le récit d'Ellénore attire aussi notre attention sur un aspect du roman que la plupart des lecteurs et des critiques ont tendance à oublier : le fait qu'Ellénore nous y est présentée comme ayant passé dix années de sa vie avec cet homme, et qu'on n'annule pas d'un seul coup et sans aucun dégât intérieur une telle liaison. C'est ce qu'illustrent avec force les passages des Confidences qui évoquent la gêne de la double vie qu'Ellénore est obligée de mener, après s'être donnée à Adolphe, entre le comte et son nouvel amant : « Le comte, lui, ne me disait mot, mais ses regards m'accablaient de reproches et d'une sorte de dédain étonné » (C, 73). Il est intéressant et significatif de remarquer que, comme si souvent dans le roman, cette même situation est présentée par Adolphe uniquement de son point de vue à lui ; ce sont les yeux du comte braqués sur lui qui le frappent : « Il ne tarda pas à soupçonner mes relations avec Ellénore ; il me reçut chaque jour d'un air plus froid et plus sombre » (A, 35). Quant à ce qui a pu se passer entre ce moment et celui où Ellénore convoque Adolphe à l'appartement qu'elle vient de louer après avoir quitté le comte, le roman ne nous offre

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que le strict minimum de détails ; les Confidences, par contre, s'ingénient à dépeindre minutieusement les circonstances de ce tournant dramatique dans la vie d'Ellénore qu'a dû être sa rupture subite avec tout un passé imparfait, certes, mais stable, structuré et familier. Elles nous font très bien sentir, d'ailleurs, que ce passé d'Ellénore n'est pas seulement derrière elle : il continue, sans qu'Adolphe en soit réellement conscient, à pro- duire ses effets dans le présent et à projeter son ombre sur l'avenir, comme le suggère très finement l'analyse du profond trouble intérieur qui s'empare d'Ellénore après la lecture de la lettre du comte lui rappelant « avec reconnaissance les ser- vices qu'elle lui avait rendus » (A, 49) et offrant de partager sa fortune retrouvée avec elle à condition qu'elle lui sacrifie Adolphe. Pour des raisons qu'on comprend facilement, le récit d'Adolphe à ce sujet est extrêmement sec : « " J'ai répondu, me dit-elle, et vous devinez bien que j'ai refusé. " Je ne le devinais que trop » (A, 49). Mais les Confidences nous convainquent sans peine que dans de telles circonstances les choses sont toujours loin d'être aussi simples que le croit une tierce personne.

C'est à travers mille détails de ce genre que le récit des Confidences force l'imagination du lecteur à travailler de son côté pour créer son propre portrait d'Ellénore. Peu importent, du reste, les différences, éventuellement très grandes, entre l'Ellénore à la fois ferme, passionnée, lucide et toute tendue vers l'absolu qu'a imaginée Mme Gonin, et qui n'est, comme elle est la première à le reconnaître, qu'une hypothèse possible, une Ellénore virtuelle parmi d'autres, et celle que tel ou tel lecteur, frappé par d'autres aspects du climat psychologique du roman, pourrait imaginer à son tour. Car l'intérêt principal de ce genre d'approche critique, c'est de mettre en valeur avec autant de précision que possible tous les aspects d'un personnage, de sa nature, de sa conduite et de sa place dans un réseau global de rapports humains, tels que nous les présente le romancier, qui nous posent des questions, qui offrent à notre réflexion comme des zones d'obscurité ou d'incertitude, nous appelant ainsi à participer d'une façon active à l'interprétation du roman et à la résolution de l'énigme qu'il renferme.

Mais si cette manière d'interpréter un roman laisse au lecteur individuel le rôle éminemment créateur que lui attri- buent la plupart des théoriciens contemporains, elle ne lui per- met pas pour autant de donner libre cours à une fantaisie arbitraire. Comme le dit très bien Michel Charles : « Pour fonder une théorie de la lecture, il ne faut ni chercher naïve- ment la « bonne lecture », ni valoriser systématiquement l'in- décidable; il faut examiner, analyser, décrire les lieux où le texte permet la dérive, les lieux où il contraint, les lectures

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qu'il propose, celles qu'il refuse, celles qu'il laisse indétermi- nées ou incertaines » 1 — ce qui n'est possible que si le critique accepte de serrer le texte de très près, y cherchant les passa- ges précis, et jusqu'aux mots précis, qui laissent percer une ambiguïté, une contradiction interne, apparente ou réelle, une interrogation implicite, une possibilité d'interpréter de plus d'une façon ce qu'on nous dit (ou ce qu'on tait), et qui, par là même, nous appellent à essayer de pénétrer ce mystère.

Il existe dans le texte d'Adolphe, comme nous l'avons vu, d'innombrables indices de ce genre qui nous mettent en garde contre une lecture trop rapide et trop simpliste d'un récit dont la clarté, on le sent dès le début, est trompeuse. Les incompa- tibilités entre les commentaires et les jugements qui figurent dans les textes encadrant le récit principal sont un pre- mier avertissement, et attirent immédiatement notre attention sur la possibilité, et même la nécessité, d'envisager le drame qui est au cœur du roman d'un double point de vue : non seulement celui d'Adolphe, mais aussi celui d'Ellénore. C'est ce qui ressort très clairement de la phrase bien connue de la préface de la seconde édition, et de tout le développement qui la suit, qui est comme une invitation directe au lecteur à se mettre à la place d'Ellénore et à imaginer le drame vécu à travers sa sensibilité à elle : « Je parle de ces souffrances du cœur, de cet étonnement douloureux d'une âme trompée, de cette surprise avec laquelle elle apprend que l'abandon devient un tort, et les sacrifices des crimes aux yeux mêmes de celui qui les reçut » (A, 7). Cette phrase trouvera un écho pathé- tique à la fin du récit d'Adolphe, qui, après s'être ouvert sur une série d'affirmations très neutres le concernant, lui (« Je venais de finir à vingt-deux ans mes études à l'université de Gottingue », etc. (A, 13)), se clôt sur une longue accumulation d'interrogations désespérées lancées par Ellénore : « Adolphe, me disait-elle, pourquoi vous acharnez-vous sur moi ? Quel est mon crime ? [...] Qu'exigez-vous ? Que je vous quitte ? Ne voyez-vous pas que je n'en ai pas la force ? [...] Faut-il donc que je meure, Adolphe ? » (A, 79-80). Les douze points d'inter- rogation successifs qui donnent à ces extraits de la lettre posthume d'Ellénore leur accent si tragique traduisent avec une extraordinaire immédiateté sur le plan stylistique l'immense question que pose au lecteur le roman tout entier, d'autant

1. Op. cit., p. 247. La délicatesse de cet équilibre à maintenir, dans le cas d'Adolphe, entre ce que le texte laisse ou ne laisse pas « indéterminé » est bien exprimée par Paul Delbouille quand il écrit qu'Adolphe est « un livre qui exige, pour qu'on le goûte pleinement, à la fois une discipline qui permette d'échapper aux tentatives d'évasions qu'il offre vers la rêverie paratextuelle, et une sensibilité qui permette d'appréhender les richesses des suggestions diverses dont il est tissé » (Genèse, structure et destin d'« Adolphe », « Les Belles Lettres », 1971, p. 352).

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plus qu'Adolphe, en terminant son récit, laisse à Ellénore le dernier mot sans y ajouter aucun commentaire.

On voit donc que la réécriture du roman entreprise par Mme Gonin dans les Confidences peut être considérée comme proposée en quelque sorte par sa structure même, ce qui sou- lève la question intéressante de savoir combien d'autres romans célèbres, et de quel type, se prêteraient à des exercices de réécriture du même genre permettant, par un renversement des rôles, la transformation d'un objet de la narration en nar- rateur. Des exemples aux virtualités multiples, tels que Le Lys dans la vallée réécrit du point de vue de Mme de Mortsauf, ou encore de celui, tout à fait différent, de lady Dudley, viennent spontanément à l'esprit. Mais ils posent tout de suite la question supplémentaire de savoir- si ce genre de technique n'est théori- quement applicable qu'à des romans comme Adolphe ou Le Lys, où le récit est raconté à la première personne et où le narra- teur joue en même temps le rôle d'un personnage, ou si au contraire il peut être appliqué aussi à des romans racontés à la troisième personne comme La Princesse de Clèves, où, bien que le narrateur soit extérieur au récit et en principe omniscient, sa manière de nous présenter l'histoire suggère, par l'élément de mystère et d'incertitude qu'elle laisse intact, la possibilité d'un ou de plusieurs autres récits, c'est-à-dire d'un ou de plu- sieurs autres points de vue (tels que celui de M. de Nemours ou celui de M. de Clèves). Quoi qu'il en soit, les réponses à ces questions auraient un intérêt méthodologique certain, et seraient probablement susceptibles de faire un nouvel apport aux réflexions des spécialistes de la narratologie sur le statut si richement ambigu de tout récit, qui ne raconte jamais, fût-ce avec la meilleure volonté du monde, qu'une partie de ce qui pourrait être raconté, par quelqu'un d'autre ou même par la même personne. C'est pourquoi, à partir de n'importe quel noyau d'événements réels ou imaginaires, on peut concevoir un nombre quasi illimité de récits virtuels : un récit d'Adolphe, par exemple, beaucoup plus proche dans le temps du drame qu'il évoque et par conséquent beaucoup plus tourmenté, ou encore un récit d'Ellénore fait non pas à la veille de sa mort, dans un esprit de relative résignation, mais à un des moments où elle est encore plongée dans son combat intérieur, et où la colère, l'amertume, l'amour blessé et le désir de rabaisser ou de punir l'autre auraient très bien pu l'emporter sur toute volonté et toute capacité d'analyse équilibrée. Ce n'est pas un des moindres mérites de l'ouvrage de Mme Gonin que d'avoir livré à notre méditation ces prolongements infinis que contient en creux le roman de Constant.

Judith ROBINSON.

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