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Le Point Les Textes Fondateurs 2009-1

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  • LE POINT 74, avenue du Maine, 75682 Paris Cedex 14 Tl. : 01.44.10.10.10 Fax : 01.43.21.43.24

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    Prsident-directeur gnral, directeur de la publication :

    Franz-Olivier Giesbert Rdaction en chef et coordination :

    Catherine Golliau Assistante :

    Silvana Priouret Choix des textes et commentaires :

    ric Vinson. Repres :

    Sophie Coignard, Marie Dormoy, Victoria Gairin, |ean Guisnel.

    dition : Thomas Laurens Iconographie :

    Isabelle Eshraghi Rvision :

    Francys Gramet Conception et ralisation :

    Rampazzo & Associs Diffusion et dveloppement :

    lean-Franois Hattier, Tl. : 01 44 10 1 2 01 [email protected]

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    Le Point, fond en 1972, est dit par la Socit d'exploitation de l'hebdomadaire

    Le Point - Sebdo. Socit anonyme au capital de

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    R.C.S. Paris B 312 408 784 Associ principal : ARTEMIS S.A.

    Dpt lgat : parution - n ISSN 0242 - 6005 n de commission paritaire : 0610 C 79739

    Impression : Imprimerie Canale, Borgaro (Italie)

    LE POINT contrle les publicits commerciales avant insertion pour qu'elles

    soient parfaitement loyales. Il suit les recommandations du Bureau

    de vrification de la publicit. Si, malgr ces prcautions,

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    LES FRANCS-MAONS | Avant-propos

    LE POIDS DES TEXTES Par Catherine Golliau

    Franc-maon ? Le mot seul suscite les fantas-mes. Runions mystrieuses, rites, symboles et signes de reconnaissance tranges, collu-sions supposes, pouvoir occulte... La franc-maon-nerie fascine autant qu'elle rebute : trop de secrets, trop de scandales politico-financiers... Mais que se cache-t-il derrire cette mauvaise rputation ? Pourquoi ce mouvement qui sduisit Mozart, Goethe et Churchill est-il considr, au mieux, comme un club d'illumins ou d'opportunistes, au pire, comme un rassemblement de mafieux? Pourquoi se voit-il attribuer le dclenchement de la Rvolution franaise? Qui sont ces frres qui, au moins deux fois par mois, se retrou-vent, tablier sur le ventre, entre deux colonnes ? Que cherchent-ils? Fidle son habitude, Le Point est all aux sources pour comprendre. Se revendiquant d'une histoire qu'elle fait remonter au Moyen ge, la Maonnerie accorde en effet une grande place ses textes fondateurs. C'est en les lisant que l'on dcouvre l'origine de ses rites, le sens de ses symboles comme l'origine de ses nombreuses lgendes. Comments et expliqus comme toujours par les meilleurs experts, ce sont ces documents sans lesquels la Maonnerie n'exis-terait pas que Le Point vous propose ici. Pour essayer de comprendre, avant de juger.

    Que se cache-t-il derrire cette mauvaise rputation?

    Le Point Hors-srie n 24 | Les textes fondamentaux 3

  • Mthode | LES F R A N C S - M A O N S

    Lire et comprendre...

    Quels sont les grands textes

    de la franc-maonnerie ? Dif-

    ficile d'tre exhaustif tant

    donn la richesse et la com-

    plexit de cette littrature :

    nous avons retenu ls textes

    les plus dterminants par

    leur impact historique, leur

    reprsentativit, leur porte

    explicative et leur influence

    actuelle.

    Certes, certains lecteurs se

    sentiront frustrs. Pourquoi

    ne pas avoir ici de textes des

    g rands sp i r i t ua l i s t e s ,

    c o m m e j e a n - B a p t i s t e

    W i l l e rmoz ( 1 7 3 0 - 1 8 2 4 ) ou

    Oswald Wirth ( 1860-1943)?

    Parce qu ' i l fa l la i t faire un

    cho ix , que les tex tes du

    courant sp i r i tua l i s te sont

    lg ion et que nous avons

    dcid de retenir d'abord les

    plus inf luents. Ma i s alors,

    pourquo i avoir ici les M-

    moires... de l 'abb Barruel,

    un monument de l 'antima-

    onn isme ? Parce que des

    textes cr i ts par des non-

    maons ont parfois eu plus

    d ' impact sur le devenir des

    loges que des documents

    internes. Le brlot de Bar-

    Les textes les plus dterminants par leur impact historique, leur reprsentativit, et leur influence actuelle. '

    ruel a ainsi profondment

    marqu la maonner ie hu-

    manis te ou adogmat ique ,

    dont le Grand Orient est le

    p r inc ipa l reprsentant en

    France. Relativement rcent,

    ce courant a d'ai l leurs pro-

    duit trs peu de textes pro-

    prement maonniques ,

    ses in t r ts tan t mo ins

    tourns vers l ' intr ieur de

    la F ra tern i t que vers la

    soc it profane . Peut-

    tre certains nous reproche-

    ront-ils de ne pas avoir in-

    c lus dans ce f l o r i l ge les

    dc larat ions des droits de

    l ' H o m m e ou les g randes

    lois laques de Jules Ferry

    (1832-1893) qu'on dit (sou-

    vent sans preuve...) avoir t

    prpares en loge...

    Comment s'organise ce hors-srie ? D'abord les textes fonda-

    teurs , qui tmoignent des

    rfrences fondamentales de

    la Maonner ie; ensuite les

    textes fondamentaux du cou-

    rant spiritualiste , domi-

    nant l 'chel le mond ia le ;

    enfin, les textes pivots de la

    sensibilit humaniste ou

    adogmatique , la plus vi-

    sible dans l'Hexagone.

    C h a q u e t e x t e est assorti d ' u n c o m m e n t a i r e o u cl de lec-ture qui l'explique et le remet e n p e r s p e c t i v e . Le lecteur aura tout intrt lire tes

    textes et leurs commentaires

    dans l'ordre chronologique

    propos, qui retrace de faon

    cohrente et lisible l'histoire

    pleine de rebondissements

    de cette organisat ion hors

    norme. Le lecteur dcouvrira

    les diffrentes obdiences

    la fin de chaque chapitre. Le

    vocabulaire et les rfrences

    qui lui sont spcifiques sont

    expliqus soit dans les cls

    de lecture , soit dans l'index.

    Les principaux symboles sont p r s e n t s la f i n d u h o r s -srie. Une chronologie et une b ib l iograph ie comp l ten t

    l'ensemble.

    C a t h e r i n e G o l l i a u

    Responsable du choix des textes et de leurs commentaires, ric V i n s o n est journal iste, spcial iste des questions religieuses et spir ituel les, et professeur Sciences Po. Collabo-

    rateur rgulier des hors-srie du Point, i l a particip notamment, chez Tallandier/Le Point,

    Judasme, christianisme, islam (2005), Hindouisme, bouddhisme, taosme (2006) et

    L'sotrisme (2007). Il est l 'auteur chez Bayard d'Avec ou sans Dieu, le philosophe et le

    thologien, avec Rgis Debray et Claude Geffr (2006) et a contr ibu Un simple moine :

    Le Dala-Lama racont par ses proches (Presses du Chtelet, 2006) et Des cultures et des

    dieux : repres pour une transmission du fait religieux (Fayard, 2007).

    4 | Les tex tes f o n d a m e n t a u x Hors-srie n 24 L e Point

  • L IS FRANCS-MAONS | Sommaire

    Sommaire

    POURQUOI DEVENIR M A O N ? Par Michel Maffesoli

    A U X ORIGINES DE L A F R A N C - M A O N N E R I E Par Roger Dachez

    Textes et cls de lecture Repres : La vie du franc-maon, en toute discrtion... Entretien avec |ean-Luc Maxence : Analyse et Maonnerie sont des chemins parallles

    LES E N F A N T S D ' H E R M S ET DE S A L O M O N . Par Frdrick Tristan

    Textes et cls de lecture Repres : Les obdiences traditionnelles Entretien avec |rme Rousse-Lacordaire : L'glise s'est montre la plus constante dans sa condamnation

    LA F R A N C - M A O N N E R I E S A N S D I E U Par Pierre Mollier

    Textes et cls de lecture Repres : Les obdiences librales

    4.A CHASSE A L'INITI Par Sophie Coignard

    Entretien avec Alain Bauer : Sur le problme des fraternelles, la Maonnerie a m a n q u de courage

    Militaire et maon ? Par Jean Guisnel

    Les symboles de la franc-maonnerie

    Chronologie Lexique Bibliographie

    10

    14

    40

    46

    4 8

    52 76 82

    8 4

    88 98

    1 0 0

    102

    106

    108

    114 118 130

    L e P o i n t Hors-srie n 24 Les textes fondamentaux

  • LES FRANCS-MAONS | I n t r o d u c t i o n

    Si l'on voque le plus souvent ses pouvoirs politiques, conomiques ou sociaux, l'importance relle de la franc-maonnerie est en fait moins de l'ordre du pouvoir temporel que de la puissance spirituelle.

    POURQUOI DEVENIR MAON ? Par Michel Maffesoli

    Michel Maffesoli, membre de l'Institut universitaire de France, professeur ta Sorbonne, auteur, entre autres,

    d'Iconologies, nos idol@tries postmodernes (Albin Michel, 2008) et d'Apocalypse (CNRS ditions, 2009).

    U n franc-maon f o r m du mobilier de la loge, cole anglaise, gravure rehausse de 1 7 5 4 .

    onton, pourquoi tu tousses? On pourrait appliquer la franc-maonnerie dette clbre rpar-

    tie de l'humoriste Fernand Reynaud (1926-1973) dans le rle du niais qui raconte au tlphone son oncle com-ment la police a dcou-vert ses sachets de poudre. Si la franc-maonnerie n'a rien d'un trafic illicite, elle susc i te toujours un peu de gne quand on voque son nom en public, un toussote-ment subit... Fascina-t ion et r p u l s i o n demeurent les deux attitudes ambivalentes que cette socit de pense ne manque pas de susciter. Livres charge sur son suppos pouvoir politique ou social, dossiers rguliers dans la presse estivale en mal de copie, conversations de dners mondains et de caf du Commerce, buzz divers sur Internet : tout est bon pour parler des attraits et des dan-

    Si la franc-maonnerie n'a rien d'un trafic illicite, elle suscite toujours un peu de gne quand on voque son nom en public, un toussotement subit...

    gers de cette prtendue socit secrte, ne revendiquant, en fait, que d'tre discrte.

    Laissons encore filer la mtaphore. Si, comme le dit chez Jules Romains le brave docteur Knock, a vous grat-

    touille ou a vous cha-touille quand on vo-que la Maonnerie , n'est-ce pas parce que nous sommes l en prsence d'un phno-mne qui proccupe tout un chacun, et que l 'on peut formuler ainsi : qu 'est -ce qui meut, en profondeur, toute vie en socit?

    Puis-je mettre une hypothse ou proposer une distinction ? rencontre de ce que disent des esprits presss et souvent peu avertis, l'impor-tance relle de la franc-maonnerie est moins de l'ordre du pouvoir temporel que de la puissance spirituelle. Hegel*, qui en fut un connaisseur averti, montre que ce n'est pas l'glise de Pierre

    Le Point Hors-srie n 24 | Les textes fondamentaux | 7

  • I n t r o d u c t i o n | L E S F R A N C S - M A O N S

    (pierre) qui est importante, mais

    bien celle de Jean*, moins institution-

    nelle, plus spirituelle, qui informe dura-

    blement les esprits. Voil bien le cur

    battant de l'Ordre maonnique. Au-del

    des divergences et des organisations,

    il est le symbole d'une fraternit secrte

    parcourant le corps social. Et si, sous

    des noms divers, il a attir, et continue

    d'attirer, c'est qu'il exprime en majeur

    un ordre d'amour , celui de la Frater-

    nit, vritable ciment socital.

    Ainsi, au mythe du Progrs fleurant

    bon son xixe sicle, ce progressisme

    expliquant le monde en sa totalit

    partir d'un rationalisme quelque peu

    troit, peut-tre n'est-il pas inopportun

    d'opposer la traditionnelle pense pro-

    gressive qui sait impliquer tous les

    L'un des apports

    essentiels de l'Ordre

    maonnique

    a t de considrer

    que nous sommes

    tous des apprentis

    de la vie.

    aspects de la ralit humaine. Sachant,

    galement, s'impliquer dans une telle

    entiret : celle de la communaut

    humaine s'exprimant dans ces commu-

    nauts particulires que sont les loges,

    dont l'union fait un ensemble la fois

    mystrieux et cohrent.

    Une union allgorique C'est dans une telle perspective que

    l'on peut comprendre l'tonnant cho,

    en particulier chez les jeunes gnra-

    tions, que suscite la dmarche initiatique.

    Initiation comme manire de se relier

    aux autres que l'on retrouve dans le

    dveloppement des groupes d'affinits

    lectives ou mme dans les sites com-

    munautaires. Se relier au monde, se

    confier aux autres comme autant d'ex-

    pressions d'une chane d'union allgo-

    rique dcrivant bien que l'on n'est qu'un

    maillon d'un ensemble complexe.

    thique de la reliance qui, ren-

    contre du surplombant pouvoir politi-

    que ou social, met l'accent sur l'accom-

    pagnement fraternel , reliant chaque

    personne l'esprit global du groupe.

    C'est cela mme qui caractrise cette

    notion de puissance collective qui

    scrte ses propres codes ou rituels.

    Et le fait d'accompagner renvoie une

    autorit qui soit mme de le faire. Il

    est ncessaire de noter la diffrence de

    structure, de logique, entre le pouvoir

    et l'autorit. L encore, la tradition

    maonnique semble tre en congruence

    avec l'esprit du temps. En effet, la franc-

    maonnerie, en ses diverses compo-

    santes, propose l'exprience d'une autre

    forme de socialisation : l'autorit, au

    lieu de postuler chez l'autre un vide

    qu'il faut combler, reconnat

    qu'il y a en chacun quelque

    chose qu'il faut faire ressor-

    tir. Elle sert, en ce sens, de

    rvlateur de l'tre collectif.

    Au-del de la verticalit du

    pouvoir, elle met l'accent

    sur l'horizontalit de la puis-

    sance.

    Mais de nombreuses

    recherches font ressortir

    l'enracinement dynamique

    de cette nouvelle qute du

    Graal* initiatique. Souche sur des

    archtypes immmoriaux, elle s'illustre

    dans une production cinmatographique

    dont le succs ne peut que nous ques-

    tionner, commencer par celui de films

    comme les Harry Potter ou la saga du

    Seigneur des anneaux. Et il est certain

    que la culture contemporaine, en ses

    divers aspects, est de plus en plus

    contamine par cette qute, dmar-

    che existentielle o ce qui prime est

    l'exprience partage dans le cadre

    communautaire.

    Or, c'est un apport essentiel de l'Ordre

    maonnique que de considrer que

    nous sommes tous des apprentis de la

    vie. Et nos essais, nos erreurs, nos qua-

    lits et nos dfauts ne font qu'exprimer

    un tel apprentissage. N'est-ce pas cela,

    justement, le vritable humanisme :

    accepter l'humus dans l'humain ? C'est

    ce que l'anthropologue Gilbert Durand,

    8 Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 Le Point

  • LES FRANCS-MAONS | Introduction

    grand connaisseur de la franc-maon-

    nerie, nomme les mythmes , ces

    tapes initiatiques o chutes, chti-

    ments et tribulations sont comme autant

    d'preuves prcdant la rintgration

    et l'illumination . Le romantisme des

    Annes d'apprentissage de Wilhelm Meis-

    ter, tel que le franc-maon Goethe* le

    dcrit, retrouve une tonnante actualit

    dans les errantes tribus juvniles

    contemporaines. Au-del d'une simple

    ducation rationnelle, l'exprience les

    informe en profondeur. Elles suivent,

    ainsi, le langer Weg der Bildung , ce

    long chemin de la formation au sens

    d'ducation. Et quand Hegel montre

    que c'est cela qui permet d' entrer

    dans le jour spirituel du prsent , il fait

    cho une rminiscence de l'initiation

    franc-maonne.

    Le Point Hors-srie n 24 | Les textes fondamentaux | 9

    Sagesse, force et beaut D'o ce que l'on retrouve la fois dans

    le rituel maonnique et dans nombre

    de productions culturelles contempo-

    raines : la mort symbolique par laquelle

    on s'intgre un ensemble plus vaste,

    celui de la communaut. Meurs et

    deviens , ainsi que l'indique Goethe.

    Formule frappe au coin de la lucidit

    et de la modestie, en ce qu'elle relativise

    l'individu et le met en relation avec

    ce et ceux du pass, avec ce et

    ceux du lointain, en bref avec l'altrit

    dont on est ptri et qui assure, tout

    la fois, sur la longue dure, la dure de

    l'espce, et dans l'immdiat un surcrot

    d'tre pour la personne plurielle qu'est

    tout un chacun.

    Deviens donc qui tu es sans jamais

    cesser d'tre un apprenti. Cette for-

    mule que Nietzsche* a reprise, et que

    l'on retrouve sous des formes quelque

    peu diffrentes dans de nombreuses

    expressions quotidiennes, est une

    bonne illustration de la prgnance

    inconsciente de l'initiation maonni-

    que. Elle fait bien, aussi, ressortir la

    dynamique spcifique, celle de la cra-

    tivit l'uvre dans l'existence conue

    comme uvre d'art.

    On ne peut en effet rduire le temple

    sous la rubrique minralogie sous

    prtexte qu'il est construit de pierres.

    C'est bien ainsi qu'il faut comprendre

    le temple socital : union de la matire

    et de la forme spirituelle. C'est bien

    ainsi qu'il faut saisir, au-del de querel-

    les subalternes et des procs d'intention

    courte vue, l'actualit et la pertinence

    de l'apport maonnique dans nos soci-

    ts postmodernes : union de la force,

    de la sagesse et de la beaut. La con-

    cidence des opposs constituant ce

    chemin, toujours inachev, qu'est toute

    exprience humaine.

  • LES ORIGINES Introduction

    Apparue au xviiie sicle, la franc-maonnerie se veut l'hritire des maons du Moyen ge.

    Elle en revendique les symboles et les mythes.

    AUX ORIGINES DE LA FRANC-MAONNERIE Par Roger Dachez

    Roger Dachez, prsident de l'Institut maonnique de France, auteur d'Histoire de la franc-maonnerie franaise (PUF, 2003) et de L'Invention de la franc-maonnerie. Des Opratifs aux Spculatifs (Vga, 2008).

    Tailleurs de pierre, enluminure tire du trait d'arpentage d'Arnaud de Villeneuve (1355-1415).

    La franc-maonnerie qui, sous la forme que nous lui connaissons aujourd'hui, a merg du nant documentaire la fin du XVIIIe sicle, s'est trs tt proccupe, sinon de son his-

    toire - au sens o nous pourrions com-

    prendre ce mot de nos jours - du moins

    de son pass traditionnel. C'est princi-

    palement ce souci

    que rpondent les plus

    anciens de ses textes

    fondateurs.

    Il ne faut cependant

    pas se mprendre sur

    leur nature, leur ori-

    gine et leur propos.

    Avec les Anc i ens

    Devoirs (Old Charges),

    qui s'chelonnent de la fin du xiv sicle au premier tiers du xviiie, c'est en effet dans un monde trange et droutant

    que nous pntrons, un monde o se

    ctoient, au point de souvent se confon-

    dre, le mythe, la lgende et l'histoire.

    Il a exist au Moyen ge - nous pouvons

    du moins en savoir quelque chose de

    substantiel partir du xiiie sicle environ - une Maonnerie oprative , c'est--

    Avec les Anciens Devoirs , nous pntrons dans un monde o se ctoient la lgende et l'histoire.

    dire lie au Mtier de maon lui-mme,

    dont les clbres btisseurs de cath-

    drales sont les plus fameux hros. Sur

    ces chantiers, principalement ecclsias-

    tiques mais aussi consacrs aux grandes

    demeures seigneuriales ou royales, tout

    un peuple d'ouvriers vivait et s'admi-

    nistrait sous la houlette de leurs com-

    manditaires, abbs,

    vques ou grands

    dignitaires lacs.

    La vie professionnelle

    commenait alors trs

    tt : vers 8 ou 10 ans,

    parfois plus jeune. Le

    novice - qu'on nom-

    mait apprenti -, au

    sortir de l 'enfance,

    tait livr l'entire domination du

    matre qui l'employait sa guise pour

    lui inculquer les rudiments du mtier.

    Puis, au bout de quelques annes,

    peine aguerri mais dj familiaris avec

    les pratiques du mtier, venait pour lui

    le moment solennel o il allait enfin tre

    reu sur le chantier. En un temps o

    tout acte de la vie sociale devait tre

    ritualis et religieusement enca-

    L e P o i n t Hors-srie n 24 Les textes fondamentaux 11

  • Introduction L E S ORIGINES

    dr, sa rception suivait un pro-

    tocole strict dont les principaux points

    nous sont connus.

    Certains soirs, un jeune tait admis

    parmi les matres et les compagnons

    assembls tout autour de la pice. Dans

    l'espace central, on avait sans doute

    dispos quelques outils du Mtier.

    l'extrmit de la loge, un clerc tenait un

    parchemin et un livre des vangiles*.

    On donnait alors lecture des Anciens

    Devoirs, c'est--dire de toutes les obli-

    gations morales et professionnelles

    auxquelles l' apprenti entr devait se

    plier, commencer par une entire

    obissance son matre. Puis il jurait

    sur le livre saint, entre les mains de l'un

    des plus anciens parmi les prsents. Sa

    vie avait chang : dsormais il appar-

    En peu d'annes,

    le modle intellectuel

    des free-masons l'emporte sur le modle

    communautaire

    et corporatif des anciens

    artisans.

    tenait au Mtier . Dj, il pouvait rver

    au jour, distant de quelques annes, o

    il deviendrait un compagnon - c'est--

    dire un ouvrier accompli et reconnu - et

    celui, plus lointain encore et surtout

    plus incertain, o il pourrait peut-tre

    pouser la fille d'un matre pour deve-

    nir matre son tour...

    Naissance des maons libres Mais, surtout, au cur du Moyen ge,

    les Anciens Devoirs, des textes crits

    par des clercs - et non par les maons

    eux-mmes, illettrs pour la plupart -,

    assignaient dj l'art de btir des

    origines fabuleuses et mythiques. Ces

    manuscrits anglais, dont les plus vieux

    actuellement connus remontent la fin

    du XIVE sicle et au dbut du XVE - manus-

    crit Regius, v. 1390 (cf. p. 14) ; manuscrit

    Cooke,v. 1410 (cf. p. 16)-, rapportaient

    en effet une histoire du Mtier peu sou-

    cieuse de chronologie et de vraisem-

    blance, mais riche de sens, traant le

    dveloppement de la gomtrie et de

    l'art des maons depuis le Paradis ter-

    restre, voquant successivement et

    sans grand effort de cohrence la tour

    de Babel, le temple de Jrusalem, Pytha-

    gore* et Euclide*.

    Pour les artisans du Moyen ge, ces

    textes donnaient du sens leur travail

    de chaque jour : c'tait la preuve que,

    depuis des temps immmoriaux, ils

    collaboraient l'uvre de Dieu. Cette

    insertion de la Maonnerie oprative

    - c'est--dire celle des maons qui tra-

    vaillaient de leurs mains - dans un cadre

    fabuleux et mythique ne prenait vi-

    demment tout son sens que dans la

    mentalit mdivale. Cette

    tradition allait cependant lui

    survivre.

    Vers le xvi sicle, le dclin

    des chantiers religieux,

    notamment en Grande-

    Bretagne aprs la Rforme*,

    entrana de profondes modi-

    fications dans l'organisation

    du mtier de maon. Les

    grands chantiers se firent

    plus rares et les loges qui s'y

    tenaient disparurent. Mais

    dans le courant du xvii sicle,

    en Angleterre, des versions rcentes des

    Anciens Devoirs circulaient encore. Et

    mme s'il y a fort parier que les maons

    opratifs* n'en faisaient plus usage, elles

    continuaient transmettre la fabuleuse

    histoire des maons. Dans des circons-

    tances encore imparfaitement lucides,

    des hommes qui ne construisaient plus

    d'difices matriels et se nommaient les

    francs-maons - c'est--dire les

    maons libres - empruntrent ces

    rcits pour les appliquer de nouveaux

    desseins, fondant ainsi la franc-maon-

    nerie spculative* .

    Lorsque la premire Grande Loge ayant

    jamais exist fit son apparition, Lon-

    dres le 24 juin 1717, l'innovation est de

    taille. Jamais, en effet, les loges opra-

    tives mdivales, disperses, isoles,

    seulement unies par de vagues tradi-

    tions et quelques usages, n'avaient

    12 Les textes fondamentaux Hors-srie n 24 Le Point

  • reconnu d'autorit centrale unique,

    encore moins de Grand Matre et de

    Grands Officiers couverts d'honneurs.

    Et, du reste, elles n'existaient plus

    depuis longtemps ! Que s'tait-il produit

    au juste? Quatre loges et quelques

    frres anciens s'taient assembls

    dans une humble taverne de Londres,

    L'Oie et le Gril, dans le quartier Saint-

    Paul, et avaient dcid de se constituer

    en Grande Loge. L'un des plus anciens

    matres prsents, Anthony Sayer, fut

    lu Grand Matre et l'on dcida de se

    runir nouveau l'anne suivante. Ce

    fut presque un non-vnement...

    Une lgende de fondation En 1719, deux ans aprs la fondation

    bien modeste de la Grande Loge, un

    nouveau Grand Matre est lu, mais il

    n'a plus rien voir avec le trs discret

    Anthony Sayer : c'est Jean-Thophile

    Dsaguliers* (1683-1744), fils d'un pas-

    teur rochelais migr en Angleterre lors

    de la rvocation de l'dit de Nantes.

    lev Londres, duqu Oxford, brillant

    sujet devenu ministre de l'glise d'An-

    gleterre, le rvrend Dsaguliers s'im-

    pose aussi comme un spcialiste de la

    philosophie naturelle - c'est--dire de

    physique newtonienne. Il est mme l'un

    des collaborateurs les plus proches de

    Newton* la Royal Society, dont le grand

    savant est alors le prsident et Dsagu-

    liers le curateur aux expriences .

    sa suite, une dferlante d'aristocrates

    proches de la nouvelle dynastie hano-

    vrienne et de membres de la Royal

    Society envahit alors la Grande Loge,

    lui fournissant dsormais tous ses cadres

    et surtout ses Grands Matres. En peu

    d'annes, sa sociologie est transforme :

    le modle intellectuel des free-masons l'emporte dfinitivement sur le modle

    communautaire et corporatif des simples

    artisans. Un autre destin s'ouvre alors

    pour la franc-maonnerie.

    Il ne reste la jeune Grande Loge,

    soucieuse d'asseoir son autorit et de

    fonder sa lgitimit, qu' se doter d'une

    lgende de fondation. Ce sera chose

    faite en 1723, grce un autre eccl-

    siastique, un presbytrien cossais

    choisi par Dsaguliers : le pasteur James

    Anderson (1678-1739), qui rdigera le

    Livre des Constitutions, texte refonda-

    teur , si l'on peut dire, reprenant notam-

    ment les bases mythiques des Anciens

    Devoirs en les enrichissant de dvelop-

    pements nouveaux, au profit de la

    Grande Loge dsormais pourvue d'une

    histoire immmoriale . La Maonne-

    rie oprative a vcu, mais sa lgende

    demeure intacte. Et du reste, elle vit

    encore.

    Le Point Hors-srie n 24 | Les textes fondamentaux | 13

  • Cls de lecture LES ORIGINES

    Le manuscrit Regius et les Anciens Devoirs

    Datant d'environ 1390, le manuscrit Regius est le plus ancien crit connu qui prsente des donnes

    mythiques si ce n'est symboli-

    ques sur la Maonnerie opra-

    tive*, traditionnellement rat-

    tache aux btisseurs de

    cathdrales . Ainsi titr parce

    qu'il a appartenu la biblioth-

    que du roi d'Angleterre, cet

    ouvrage anonyme constitue en

    fait la charte fondatrice de la

    vieille confrrie des maons

    anglais. Initialement crit en

    latin et en vers, il en dtaille

    les principes thiques, de

    savoir-vivre et de fonctionne-

    ment, rassembls en quinze

    articles et quinze points cen-

    ss avoir t tablis depuis le

    roi saxon Athelstan (925-939).

    Le Regius appartient de ce fait

    aux Anciens Devoirs ou

    Anciennes Constitutions

    Vritable code

    professionnel et moral,

    le Regius rglemente le statut et les conditions

    de travail des tailleurs

    de pierre mdivaux.

    (Old Charges), terme gnrique

    sous lequel on rassemble toute

    une classe de textes compara-

    bles qui courent du xve au

    XVIII6 sicle.

    Vritable code professionnel

    et moral, le manuscrit Regius

    rglemente par exemple le sta-

    tut et les conditions de travail,

    d'embauche ou de rmunra-

    tion des tailleurs de pierre

    mdivaux; surtout, il tmoi-

    gne dj de certains usages et

    valeurs conservs par l'Ordre

    maonnique au cours des ges :

    la fraternit et l'entraide ( mon

    cher frre ), la comptence et

    l'litisme du mrite, la qute

    de la vertu et la transmission

    du savoir sur une base la fois

    galitaire et hirarchique orga-

    nise en trois n iveaux

    ( apprenti , compagnon et

    matre ). Comme le montre

    ici la prire au Dieu tout-puis-

    sant , sa mre la radieuse

    Marie et aux quatre mar-

    tyrs saints patrons du Mtier

    de maon, la religion catholi-

    que tient toute sa place dans

    cet univers. Rien d'tonnant

    cela, car elle imprgnait alors

    la vie quotidienne, a fortiori

    clle d'une corporation dont

    l'glise tait le principal don-

    neur d'ordre, les clercs des

    interlocuteurs quotidiens, et

    les formes religieuses, la

    matire premire au mme

    titre que la pierre.

    Un mythe fondateur Point capital, le Regius est le

    premier texte offrir une his-

    toire de la Maonnerie tisse

    de plusieurs rcits lgendaires,

    propres la vision du monde

    de ces ouvriers et de leurs

    aumniers. En insistant sur

    l'origine prestigieuse de leurs

    anctres, tous ns de nobles

    dames , il entend montrer l'il-

    lustre ascendance de la Frater-

    nit; n'est-elle pas cense

    anoblir ses membres, en les

    rendait frres et gaux par la

    qute partage de l'excellence

    professionnelle, intellectuelle,

    morale et spirituelle ? Vritable

    mythe fondateur, cette geste

    collective s'ouvre en outre sur

    une figure du plus haut intrt :

    Euclide* d'Alexandrie (me si-

    cle av. J.-C.), le codificateur

    grec de la gomtrie plane.

    Avec ce pre de la reine des

    sciences , c'est la rfrence

    au monde grec et surtout

    Les sept arts

    libraux contiennent

    un riche potentiel

    symbolique

    que dploieront

    certains courants

    de la Fraternit,

    l'Antiquit gyptienne - vue

    comme la mre de tous les

    mystres - qui s'impose. Par

    la suite, les versions de la

    Maonnerie renforceront leur

    revendication d'un tel hritage,

    gage d'une vnrable lgiti-

    mit. L'accent du Regius sur

    les sept sciences qui per-

    mettent de gagner le Ciel

    - grammaire, dialectique, rh-

    torique, musique, etc. - est de

    mme lourd de consquences.

    Car si les sept arts libraux

    forment la base de l'ducation

    et de la culture de l'homme

    libre au Moyen ge, ils contien-

    nent surtout un riche potentiel

    symbolique que dploieront

    certains courants de la Frater-

    nit. ct de cette fconde

    veine antique, le Regius se rat-

    tache enfin au patrimoine bibli-

    que (No*, la tour de Babel)

    et ouvre de ce fait la porte

    toutes les spculations sur

    l'criture sainte. Y compris,

    long terme, celles de l'sot-

    risme juif, la Kabbale*.

    ric Vinson

    14 | Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 Le Point

  • LES ORIGINES | Le manuscrit d'dimbourg

    Comment naquit le Mtier de la Maonnerie...

    Ici commencent les statuts de l'art de

    Gomtrie selon Euclide.

    1. Quiconque se donnera la peine de

    chercher et de lire trouvera dans un vieux livre

    l'histoire de grands seigneurs et dames qui

    avaient beaucoup d'enfants, et n'avaient pas

    de revenus pour les entretenir [...]. Ils tinrent

    ensemble conseil par amour pour eux afin de

    voir comment leur descendance pourrait mener

    sa vie confortablement, sans souci ni lutte. Ils

    envoyrent alors chercher de grands clercs

    pour leur enseigner de bons mtiers. [...]

    Grce la bonne gomtrie, c'est ainsi que

    cet honnte Mtier de bonne Maonnerie fut

    [...] cre par ces clercs assembls. [...] Celui

    qui tait le plus dou, honnte et appliqu

    avait droit plus d'gards que ses compagnons.

    Le nom de ce grand clerc tait Euclide, et sa

    renomme se rpandait fort loin. Il ordonna

    que celui qui tait plus avanc devait enseigner

    celui qui l'tait moins pour tre parfait en cet

    art honnte. Ainsi, ils devaient s'instruire l'un

    l'autre et s'aimer tous comme frres et soeurs.

    11 ordonna encore que le plus avanc soit appel

    Matre afin de l'honorer particulirement.

    Mais les maons ne doivent jamais s'appeler

    entre eux ni sujet ni serviteur, mais mon cher

    frre , mme si ce dernier est moins parfait

    qu'un autre. Chacun appellera les autres com-

    pagnons par amiti, car ils sont tous ns de

    nobles dames. Voil comment naquit le Mtier

    de la Maonnerie par la bonne science de

    gomtrie. Le clerc Euclide fonda ainsi ce

    Mtier de gomtrie au pays d'gypte, l'ensei-

    gna dans tout le pays et dans divers autres de

    tous cts.

    59. De nombreuses annes passrent je crois

    avant que ce Mtier n'arrive dans notre pays,

    en Angleterre, au temps du bon Roi Athelstan.

    [... ] Ce bon seigneur aimait beaucoup ce Mtier

    et voulut le consolider dans toutes ses parties

    cause de divers dfauts qu'il y avait trouvs.

    Par tout le pays, il convoqua tous les maons

    du Mtier venir vers lui sans dlai pour

    amender si possible tous ces dfauts par bon

    conseil. Il runit alors une assemble de sei-

    gneurs de divers rangs [...] avec les grands

    bourgeois de la ville. Ils taient tous l, chacun

    son rang, sigeant ensemble pour tablir le

    statut de ces maons. Ils s'ingnirent trou-

    ver comment ils pourraient gouverner le Mtier.

    Leurs recherches produisirent quinze articles

    et quinze points. [...] Prions maintenant Dieu

    Tout-Puissant et sa mre la radieuse Marie de

    nous aider garder ces articles et ces points

    tous ensemble, comme le firent ces quatre

    saints martyrs qui dans ce Mtier furent tou-

    jours tenus en grand honneur.

    503. Ils taient aussi bons maons qu'on puisse

    en voir sur la terre, et aussi sculpteurs et ima-

    giers : c'taient des ouvriers d'lite [...].

    535. coutez maintenant ce que j'ai lu. Bien

    aprs que le dluge de No eut dferl grand

    effroi, la tour de Babel fut commence : le plus

    gros ouvrage de chaux et de pierre que jamais

    homme ait pu voir. [...] Bien des annes plus

    tard, le bon clerc Euclide enseigna le Mtier de

    gomtrie par toute la terre, tout comme une

    multitude d'autres mtiers. Par la cleste grce

    du Christ, il fonda les sept sciences. Grammatica

    est, ma foi, la premire ; Dialectica, Dieu me

    bnisse, est la seconde ; Rhetorica sans conteste

    la troisime ; Musica, je vous le dis, la quatrime ;

    Astronomia, par ma barbe, est la cinquime;

    Arsmetica [arithmtique], la sixime, sans aucun

    doute ; Geometria, la septime, clt la liste, car

    elle est humble et courtoise. En vrit, Gram-

    maire est la racine, chacun s'instruit par le livre,

    mais la Science la dpasse comme le fruit de

    l'arbre vaut plus que la racine. La Rhtorique

    mesure un langage soign, et la Musique est un

    chant suave. L'Astronomie dnombre, mon cher

    frre. L'Arithmtique dmontre qu'une chose

    est gale une autre. La Gomtrie est la sep-

    time science, qui distingue le vrai du faux.

    576. Ce sont l les sept sciences : qui s'en sert

    bien peut gagner le Ciel.

    MANUSCRIT REGIUS (VERS 1390), TRAD. E. MAZET, EXTRAIT DU CAHIER LA FRANC-MAONNERIE :

    DOCUMENTS FONDATEURS, DITIONS DE l'HERNE, 1992, 2007.

    Le Point Hors-srie n 24 I Les textes fondamentaux I 15

  • C l s d e l e c t u r e les ORIGINES

    Le manuscrit Cooke

    A peine plus rcent que le Regius (cf. p. 14), voici le manuscrit Cooke, lui aussi relique irremplaable de

    la prhistoire de la franc-

    maonnerie. Portant le nom

    de son premier diteur au

    xixe sicle, il date des annes

    1400-1410 et offre avec son

    devancier le seul tmoignage

    consistant des us et coutumes

    des maons d'Angleterre au

    Moyen ge. Rdiges proba-

    blement par un clerc du Sud-

    Ouest de la Grande-Bretagne,

    ses 960 lignes de prose latine

    contiennent peu ou prou les

    mmes donnes rglementai-

    res, thiques et religieuses que

    le Regius, lies l encore une histoire mythique du Mtier.

    Agences selon une logique

    similaire, qui les rattache

    d'antiques personnages pres-

    Les figures bientt

    incontournables

    d'Herms, de

    Pythagore et d'Euclide.

    tigieux, et par eux la grande

    histoire du monde telle qu'on

    la concevait alors, ces dispo-

    sitions n'en prennent que plus

    de force. Dans sa partie orga-

    nisationnelle , le Cooke men-

    tionne dj la loge comme

    cadre spcifique de la vie

    maonnique, le secret* des

    dlibrations qui s'y droulent

    et l 'existence d 'un sur-

    veillant pour assister le ma-

    tre. Il n'voque pourtant pas

    le serment des membres,

    contrairement au quatorzime

    point du Regius, qui laissait

    L e m a n u s c r i t Cooke ( d b u t x v e ) .

    ainsi envisager dans la Frater-

    nit l'existence d'une crmo-

    nie de rception dont nous ne

    savons rien par ailleurs.

    La tradition antdiluvienne Pour autant, le Cooke complte significativement - non sans

    quelques aberrations histori-

    ques ou logiques propres

    l'esprit du temps - les apports

    symboliques et mythiques du

    Regius, en particulier son volet biblique. Il raconte en effet

    comment les descendants

    directs d'Adam, Jabel et Jubal

    (Yabal et Yubal pour la Bible

    de Jrusalem, Gn, IV, 17), furent

    les premiers maons et gom-

    tres, soit les fondateurs en

    quelque sorte de tous les

    savoirs humains. Prsent

    comme l'anctre des forgerons,

    Tubalcan est aussi cit, ce dont

    se souviendront des versions

    ultrieures de l'Ordre maon-

    nique. Plus parlante encore,

    l'vocation des deux colonnes,

    l'une en marbre, l'autre en lace-rus, c'est--dire en brique, sur lesquelles ces prcurseurs

    auraient not les sept sciences

    librales afin de les prserver

    du Dluge, qu'il soit de feu ou

    d'eau. Dj prsent chez l'his-

    torien juif romanis Flavius

    Josphe (v. 37-100 apr. J.-C.),

    ce motif antique sera repris par

    des courants de l'sotrisme*

    occidental, qui il permettait

    de se dire hritiers de la tra-

    dition antdiluvienne via des mdiations varies. En l'occur-

    rence, ce manuscrit voque

    celles - bientt incontourna-

    bles - d ' He rms * , figure

    humano-divine du philosophe

    et de l'alchimiste, et des grands

    mathmaticiens grecs Pytha-

    gore* et Euclide*, nots Pic-

    tagoras et Euclet par trans-

    cription hasardeuse d'une

    transmission orale. Plus, un

    lien analogique pourra dsor-

    mais tre tabli entre ces deux

    colonnes antdiluviennes

    et celles du temple de Salo-

    mon*, que la Bible attribue

    matre Hiram*, ici nomm le

    fils du roi de Tyr . Le Cooke est ainsi le premier document

    maonnique se rfrer cette

    scne, combien fondatrice,

    de l'dification d'une maison

    pour l'ternel Jrusalem par

    l'hritier du roi David et son

    matre ouvrier. De quoi lancer

    l'une des thmatiques-cls pour

    l'avenir de la confrrie. De quoi

    attester surtout l'articulation

    trs prcoce, en son sein, d'as-

    pects professionnels, moraux,

    symboliques et spirituels. La

    preuve que l'ancienne Maon-

    nerie oprative* et ce qui

    deviendra au XVIIIe sicle la franc-maonnerie spcula-

    tive* entretiennent un rap-

    port, au moins analogique,

    dfaut d'une claire continuit

    organisationnelle. .V.

    16 | Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 Le Point

  • LES ORIGINES | Le manuscrit Cooke

    Salomon lui-mme leur enseigna leurs coutumes

    [Bien des docteurs] disent que la

    Maonnerie est l'lment principal de

    la gomtrie, car elle fut la premire

    tre invente comme le dit la Bible au premier

    livre, celui de la Gense, chapitre 4. [...] La

    descendance directe d'Adam comprenait un

    homme appel Lamech, [...] qui eut deux fils,

    l'un appel Jabel et l'autre Jubal. L'an Jabel

    fut le premier inventer la gomtrie et la

    Maonnerie. Et il construisit des maisons et

    son nom se trouve dans la Bible [...]. Il fut le

    matre maon de Can et chef de tous ses travaux

    quand il construisit la cit de Hnoch, qui fut

    la premire cit tre jamais construite. [...]

    Et son frre Jubal ou Tubal fut l'inventeur de

    la musique, [...] qu'il inventa en coutant le

    rythme des marteaux de son frre, qui tait

    Tubal-Can. [...] Vous devez savoir que son fils

    Tubal-Can fut l'inventeur de l'art du forgeron

    et des autres arts des mtaux. [...] Or ces trois

    frres et surs apprirent que Dieu voulait se

    venger du pch par le feu ou par l'eau et ils

    s'efforcrent de sauver les sciences qu'ils avaient

    inventes. [...] Ainsi imaginrent-ils d'crire

    toutes les sciences qu'ils avaient inventes sur

    deux pierres : au cas o Dieu se vengerait par

    le feu, le marbre ne brlerait pas, et s'il choi-

    sissait l'eau, l'autre pierre ne coulerait pas. Ils

    demandrent leur frre an Jabel de faire

    deux piliers de ces deux pierres savoir de

    marbre et de lacerus et d'inscrire sur ces deux piliers toutes les sciences et techniques qu'ils

    avaient inventes. Il fit ainsi et acheva tout

    avant le Dluge. [...] Certains disent qu'ils

    gravrent les sept sciences sur les pierres,

    sachant qu'allait venir un chtiment. [...] Et

    bien des annes aprs ce Dluge, on trouva les

    deux piliers et [...] un grand clerc du nom de

    Pictagoras trouva l'un et Herms, le philosophe,

    trouva l'autre. Et ils se mirent enseigner les

    sciences qu'ils y trouvrent inscrites. [...] C'est

    de cette manire que l'art de la Maonnerie fut

    pour la premire fois prsent comme science,

    avec des instructions. Les ans qui nous pr-

    cdrent parmi les maons firent mettre ces

    instructions par crit : nous les possdons

    maintenant parmi nos propres instructions

    dans le rcit d'Euclide. [...]

    Tout le temps que les enfants d'Isral habitrent

    en gypte, ils apprirent l'art de la Maonnerie.

    Aprs qu'ils furent chasss d'gypte, ils arriv-

    rent en terre promise qui s'appelle maintenant

    Jrusalem. L'art y fut exerc et les instructions

    observes, ainsi que le prouve la construction

    du temple de Salomon, que commena le roi

    David. Le roi David aimait bien les maons et

    leur donna des instructions fort proches de ce

    qu'elles sont aujourd'hui. la construction du

    Temple au temps de Salomon, comme il est dit

    dans la Bible au premier livre des Rois chapitre

    cinq, Salomon avait quatre-vingt mille maons

    sur son chantier et le fils du roi de Tyr tait son

    matre maon. Il est dit chez d'autres chroni-

    queurs et en de vieux livres de Maonnerie que

    Salomon confirma les instructions que David

    son pre avait donnes aux maons. Et Salomon

    lui-mme leur enseigna leurs coutumes, peu

    diffrentes de celles en usage aujourd'hui. Et

    ds lors cette noble science fut porte en France

    et en bien d'autres rgions. [...]

    Aprs bien des annes, au temps du roi Athels-

    tan qui fut jadis roi d'Angleterre, [...] pour

    redresser de graves dfauts trouvs chez les

    maons, ils fixrent une certaine rgle entre

    eux. Chaque anne ou tous les trois ans, comme

    le jugeraient ncessaire le roi et les grands

    seigneurs du pays et toute la communaut, des

    assembles de matres maons et compagnons

    seraient convoques de province en province

    et de rgion en rgion par les matres. ces

    congrgations, les futurs matres seraient exa-

    mins sur les articles ci-aprs et mis l'preuve

    en ce qui concerne leurs capacits et connais-

    sances, pour le plus grand bien des seigneurs

    qu'ils servent et le plus grand renom de l'art en

    question. En outre, ils recevront comme ins-

    truction de disposer avec honntet et loyaut

    des biens de leurs seigneurs.

    MANUSCRIT COOKE (VERS 1400-1410), IN ROGER RICHARD, DICTIONNAIRE MAONNIQUE, DERVY, 1999.

    Le Point Hors-srie n 24 I Les textes fondamentaux I 17

  • Cls de lec ture | LES ORIGINES

    Le manuscrit Grand Lodge n 1

    Conserv par la Grande Loge unie d'Angleterre (cf. p. 52), ce manuscrit lui doit son nom. Dat de Nol 1583, il est le troisime plus ancien des Old Charges aprs les manuscrits Regius et Cooke ; et surtout le plus vieux de ceux postrieurs la R f o r m e * , priode des plus dcisives en Grande-Bretagne. Certains

    Le Grand Lodge est le premier manuscrit revendiquer sa propre rcitation durant la rception d'un nouveau frre.

    experts y voient donc un tour-nant dans l'histoire des Anciens Devoirs et de la Maonnerie. Jusque-l en effet, les Old Char-ges prsentaient la mme struc-ture en deux parties, prcdes d'une prire : une histoire mythique du Mtier et un volet prescriptif qui exposait les fameux Devoirs. Or si le Grand Lodge prsente lui aussi un rcit des origines issu d'un remaniement du texte mdival aujourd'hui perdu qui est l'origine galement du Cooke, il repense compltement la prsentation des obligations. Dsormais, ces dernires ne sont plus rparties en divers articles et points , mais en devoirs gnraux (plutt moraux) et particuliers (plu-tt professionnels), mme si ces crits mlent toujours un peu les deux plans. Pour l'es-sentiel, savoir les principes, la continuit est nanmoins de

    mise : professionnalisme, ga-lit, fraternit, moralit, confi-dentialit, pit... Sur fond de nomadisme propre un arti-sanat encore partiellement itinrant, un certain cosmopo-litisme s'affirme plus claire-ment. La confrrie n'existe-t-e l le pas partout , depuis toujours et jamais ? Surtout, ce texte est le premier reven-diquer sa propre lecture ou rcitation (vestige de la vieille oralit) durant la rception d'un nouveau frre. Avec lui se rvle ainsi une dimension non seulement solennelle, mais clairement rituelle, atteste par le latin de la phrase qui marque la prestation de ser-ment sur la Bible. Un aspect peut-tre dj prsent l'po-que du Regius et du Cooke, mais qui n'tait pas encore explicite...

    Le matre btisseur Quant au mythe fondateur, il reprend les mmes donnes que les manuscrits mdivaux ; on note simplement la dispa-rition de l'rudition monasti-que qui s 'y talait souvent maladroitement, et un effort pour liminer des rfrences obsoltes et autres invraisem-blances. Le Grand Lodge vo-que ainsi la redcouverte par Herms* d'une seule des deux colonnes de la connaissance prvues pour rsister au Dluge, puisque celle de brique a forcment t dtruite par l'inondation... Mais en dehors de la disparition de Pytha-gore* et de la moiti du corpus antdiluvien, tout est bien l : les arts libraux, l'loge de la

    gomtrie, la trame biblique et ce cher Euclide* ( Ewcled ), toujours disciple d'Abraham malgr les millnaires qui les sparent ! galement au rendez-vous, le bon roi Athelstan (cf. p. 14), mais cette fois avec la grande assemble fondatrice de la ville d'York, mentionne l pour la premire fois. Point troublant : si le matre btis-seur du temple de Jrusalem est nouveau signal ici comme le fils d'Iram, roi de Tyr , il est cette fois appel Aynone. Un nom trange, par-fois not Aynon, Aymon, Amon, voire Anyone ( Quelqu'un en anglais) ou A Man ( Un Homme ) dans les Old Charges postrieures, jusqu' ce que Hiram* s ' impose dans les annes 1720-1730. Ce nom-cl demeure une nigme, tout comme celui de Naymus Grae-cus, personnage cens avoir transmis la Maonnerie de Palestine vers l'Europe. Ces deux patronymes ont-ils un lien? Renvoient-ils au dieu

    Tout est bien l : les arts libraux, l'loge de la gomtrie, la trame biblique, et mme Euclide.

    suprme gyptien Amon* (litt. Le Cach ), au mot hbreu amon ( constructeur, arti-san ), la lgende mdivale des Quatre Fils Aymon* (dont les maons ne sont pas absents) ? Ou Amen, l'un des noms du Christ selon la tradi-tion? Mystre... .V.

    18 | Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 Le Point

  • LES ORIGINES | Le Grand Lodge n 1

    Que tout homme qui est maon prte bien attention ces devoirs

    Longtemps aprs, lorsque les enfants

    d'Isral furent arrivs dans la Terre pro-

    mise [...], le roi David commena [...]

    le temple de Jrusalem. Et il aimait bien les

    maons, [...] et leur donnait un bon salaire, et

    les devoirs et les coutumes qu'il avait appris en

    gypte, ceux qu'avait donns Ewcled, et d'autres

    devoirs encore, que vous entendrez plus loin.

    Aprs la mort du roi David, Salomon son fils

    acheva le temple [...]. Et il envoya chercher des

    maons dans divers pays, et il les runit tous

    ensemble, de sorte qu'il y eut quatre-vingt mille

    ouvriers [...]. Et il choisit trois mille d'entre eux,

    qui furent tablis matres et gouverneurs de son

    uvre. Or il y avait un roi d'un autre royaume,

    appel Iram, qui aimait bien Salomon et lui donna

    du bois de charpente pour son uvre ; et il avait

    un fils nomm Aynone, et celui-ci tait matre

    en Gomtrie. Et il fut matre en chef de tous ses

    maons [...].

    Des hommes du Mtier pleins de zle voyagrent

    au loin, en divers pays [...]. et ainsi il advint qu'il

    y eut un maon zl nomm Naymus Graecus,

    qui avait t la construction du temple de

    Salomon; et il vint en France [...]. C'est ainsi

    que le Mtier y vint. Pendant ce temps, l'Angle-

    terre resta prive de tout devoir de Maonnerie,

    jusqu'au temps de saint Albons [...] Aprs sa

    mort, il y eut diverses guerres en Angleterre,

    apportes par diverses nations, de sorte que le

    bon gouvernement de la Maonnerie fut dtruit

    jusqu'au temps du bon roi Athelstan [...], qui

    construisit beaucoup de grands ouvrages. Il

    avait un fils, Edwin, qui aimait les maons, [...]

    pratiqua beaucoup la gomtrie et fut par la

    suite fait maon. Il obtint du roi son pre une

    charte et un pouvoir, pour tenir chaque anne

    une assemble o ils voudraient dans le royaume

    d'Angleterre, et pour corriger entre eux les fau-

    tes ventuellement commises dans le Mtier. Et

    il tint lui-mme une assemble York; et l, il fit

    des maons, et leur donna des devoirs, il leur

    enseigna des coutumes, et il ordonna que la

    rgle en serait garde jamais. [...]

    Et quand l'assemble fut runie, il proclama que

    tous les maons en possession de quelque crit

    ou connaissant des devoirs ou coutumes tablis

    en ce pays ou tout autre les apportent. Et

    l'examen il s'en trouva qui taient en franais,

    en grec, en anglais, dans d'autres langues, et on

    trouva qu'ils concordaient tous. Et il en fit un

    livre sur la manire dont le Mtier fut fond. Et

    il commanda et ordonna en personne qu'on le

    lirait ou rciterait chaque fois qu'on ferait un

    maon, et pour lui faire prter son obligation ; et

    depuis ce jour jusqu' maintenant les coutumes

    des maons ont t conserves en cette forme.

    Alors l'un des Anciens tient le livre, et celui ou

    ceux qui sont faits maons pose(nt) les mains

    dessus, et l'on doit lire alors les devoirs [en latin

    dans le texte].

    Que tout homme qui est maon prte bien atten-

    tion ces devoirs : s'il se trouve coupable l'un

    d'entre eux, qu'il s'en corrige devant Dieu ; et

    vous en particulier, qui allez prter votre obliga-

    tion, prenez bien soin de les observer parfaite-

    ment, car c'est un grand pril pour un homme

    que de se parjurer sur un Livre.

    Le Premier devoir : vous devez tre des hommes

    fidles Dieu et la Sainte glise, et n'user ni

    d'erreur ni d'hrsie en votre entendement et

    jugement, mais tre des hommes sages en toute

    chose ; vous devez aussi tre de fidles hommes

    liges du roi d'Angleterre, en vous gardant de la

    trahison [...]. Et aussi vous devez tre loyaux

    les uns envers les autres, c'est--dire qu'envers

    tout vrai maon, vous devez agir comme vous

    voudriez qu'ils agissent envers vous. Et aussi

    que vous gardiez fidlement toutes les dlibra-

    tions de vos compagnons, que ce soit en loge ou

    en chambre, et toutes les autres dlibrations

    garder en fait de Maonnerie. Et aussi qu'aucun

    maon ne doit tre un voleur [...]. Et aussi que

    vous devez appeler maons vos compagnons ou

    frres, et ne leur donner aucun autre nom vil.

    MANUSCRIT CRAND LODGE N 1 (1583], TRAD. E. MAZET,

    EXTRAIT DU CAHIER LA FRANC-MAONNERIE :

    DOCUMENTS FONDATEURS, DITIONS DE L'HERNE, 1992, 2007.

    Le Point Hors-srie n 24 I Les textes fondamentaux 19

    LE T

    EXTE

  • Cls de lecture | LES ORIGINES

    Les Statuts de William Schaw

    D'origine cossaise et non plus anglaise, voici les Statuts Schaw - dont les vingt-deux premiers articles

    sont promulgus en 1598 et les

    quinze suivants en 1599 - ainsi

    que la Charte Sinclair (1601).

    Trois textes rglementaires, dus

    au mme William Schaw (1550-

    1603), qui codifient l'activit

    des maons opratifc* d'Ecosse

    en les soumettant cet unique

    Matre des travaux . Un

    homme influent car plac sous

    l'autorit directe du roi Jac-

    ques VI, situ au sommet de la

    pyramide forme par les res-

    ponsables du Mtier, com-

    mencer par les Surveillants

    dirigeant chaque loge . D'in-

    trt avant tout organisationnel,

    ces pices administratives res-

    tructurent l'ancienne Maon-

    nerie du royaume autour de

    cette nouvelle ralit territoriale

    et professionnelle. Mais ces

    documents offrent aussi trois

    Le nom et la

    marque de tout

    nouveau matre ou

    compagnon reu

    seront enregistrs.

    notations d'un autre ordre, limi-

    tes par la taille mais pas par

    la porte...

    Les Statuts de 1598 disposent

    d'abord que le nom et la mar-

    que de tout nouveau matre

    ou compagnon reu , c'est-

    -dire initi, seront enregistrs.

    Croix latine, anse ou gamme,

    cercle, toile cinq ou six bran-

    ches ( p en t ag r amme et

    sceau de Salomon* )... :cette

    signature inscrite par chaque

    ouvrier sur ses pierres est un

    trac gomtrique susceptible

    de dveloppements symboli-

    ques voire rituels, comme dans

    le Compagnonnage* , organi-sation cousine de la Maonne-

    rie, et dans certaines de ses

    ramifications futures, en l'oc-

    currence la Mark Masonry.

    L' art de la mmoire Quant aux Statuts de 1599, sur-

    tout consacrs aux privilges

    de la loge de la ville de Kilwin-

    ning (rivale de celle d'dim-

    bourg), ils mentionnent deux

    reprises l'obligation pour les

    responsables du Mtier d'exa-

    miner la comptence et valeur

    professionnelle mais aussi

    l 'art de la mmoi re des

    imptrants.

    De quoi s'agit-il ? D'une antique

    mthode mnmotechnique et

    rhtorique fonde sur la visua-

    lisation imaginaire de btiments

    (rels ou idaux) censs repro-

    duire l'agencement d'un dis-

    cours. Selon l'historien de la

    franc-maonnerie David Ste-

    venson, elle fut peu peu trans-

    forme en une m t hode

    occulte par laquelle l 'homme

    pouvait comprendre l'univers

    et exploiter ses pouvoirs .

    L'art de la mmoire des Opra-

    tifs pouvait ainsi servir au trac

    des pures prparant leurs tra-

    vaux, mais aussi la rcitation

    du rituel et la composition de

    diagrammes symboliques dont

    t m o i g n e n t p e u t - t r e

    aujourd'hui les tableaux de loge

    (cf. p. 108). Grand rorganisa-

    teur de la Confrrie sur des

    bases destines durer, Schaw

    y instille ou formalise ainsi

    l' art de la mmoire et son

    probable sotr i sme* . Raison pour laquelle on voit de plus

    en plus en cet humaniste renais-

    sant le pre lointain de la franc-

    maonnerie moderne.

    Dernier document, la Charte

    accorde William Sinclair par

    les maons d'cosse pourrait

    sembler peu significative n'tait

    justement son bnficiaire : le

    trs puissant seigneur de Ros-

    lin, confirm ici comme protec-

    teur et juge du Mtier selon un

    William Schaw,

    pre lointain de la

    franc-maonnerie

    moderne ?

    usage tabli depuis toujours .

    Or, ce bourg de Roslin possde

    un trange sanctuaire, construit

    entre 1440 et 1480 par des arti-

    sans venus de tout le pays, et

    m m e de l 'tranger, la

    demande de ce Grand Matre

    de la Maonnerie cossaise .

    Une chapelle dont les orne-

    ments rvlent un symbolisme

    la luxuriance hors du com-

    mun, notamment les piliers de

    l'Apprenti , de l'Artisan et

    du Matre ...

    Haut lieu du Da Vinci Code

    publi en 2003 par Dan Brown,

    elle est devenue depuis le suc-

    cs plantaire de ce roman l'un

    des sites-cl du tour isme

    sotrique de masse, avide

    de lgendes, notamment tem-

    plires. .V.

    20 Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 L e Point

  • LES ORIGINES I L e s Statuts Schaw

    Examiner les qualifications et l'ancien art de la mmoire...

    Edimbourg, le 28 dcembre de l'an de

    grce 1598.

    Les matres maons du royaume

    [d'cosse] devront observer ces statuts, ta-

    blis par William Schaw, Matre des Travaux de

    sa Majest et Surveillant gnral du Mtier,

    avec le consentement des matres ci-aprs

    dsigns.

    1. En premier lieu, ils doivent observer toutes

    les ordonnances relatives aux droits particuliers

    de leur Mtier, tablies pralablement par leurs

    prdcesseurs de glorieuse mmoire et, en

    particulier, ils doivent tre honntes les uns

    avec les autres et vivre dans la charit, parce

    qu'ils sont devenus, par serment, frres et

    compagnons dans le Mtier.

    2. Ils doivent obir leurs surveillants, doyens

    ou matres, en tout ce qui touche leur mtier.

    [...]

    7. Il faudra lire un surveillant, chaque anne,

    dans chaque loge [...], et il en aura la respon-

    sabilit. Cela se fera par le vote des matres de

    ces loges et avec l'accord de leur Surveillant

    gnral, s'il est prsent. Autrement, le Surveillant

    gnral sera averti qu'un surveillant a t lu

    pour une anne, pour qu'il puisse lui envoyer

    ses directives. [...]

    13. Aucun matre ou compagnon ne sera reu

    sans la prsence de six matres (dont le sur-

    veillant de la loge) et de deux apprentis. Le jour

    de sa rception sera dment enregistr, avec

    son nom et sa marque [...]. Tout cela condition

    que personne ne soit jamais reu sans qu'on

    ait procd un examen satisfaisant de sa

    comptence et de sa valeur professionnelle.

    [...]

    15. Aucun matre ou compagnon ne prendra

    de cowan [maon non initi] pour travailler

    avec lui.

    WILLIAM SCHAW, MATRE DES TRAVAUX (1601), IN i f S TEXTES FONDATEURS DE LA FRANC-MAONNERIE, TRAD. PHILIPPE LANGLET, DERVY, 2006.

    Le 28dcembre 1599. [...]

    6. Il est ordonn, par monseigneur le Surveillant

    gnral, que le surveillant de Kilwinning, en tant

    que seconde loge d'cosse, lise six maons

    parmi les plus parfaits et les plus dignes de

    rester dans nos mmoires [...] pour examiner

    les qualifications de tous les maons de leur

    juridiction, sur leur connaissance du Mtier et

    l'ancien art de la mmoire. [...]

    9. [...] On devra toujours recevoir un apprenti

    ou compagnon uniquement dans l'glise de Kilwin-

    ning, sa paroisse et la seconde loge. Tous les

    banquets de rception des apprentis ou compa-

    gnons s'y feront.

    10. Il est ordonn que le jour de sa rception,

    tout compagnon devra payer [... ] pour le banquet

    et le prix des gants. Il ne devra pas tre reu sans

    examen satisfaisant, pour savoir s'il possde

    bien l'art de la mmoire et l'art de son Mtier,

    par le surveillant, le doyen et les intendants de

    la loge, conformment aux anciens usages.

    [...]

    13. Il est ordonn par le Surveillant gnral que

    la loge de Kilwinning [... ] fasse l'examen de l'art

    de la mmoire de chaque compagnon et de cha-

    que apprenti, selon leur tat particulier [...].

    IBID.

    Qu'il soit port la connaissance de tous par la

    prsente :

    Nous, doyens, matres et maons libres du

    royaume d'cosse, avec le consentement exprs

    de William Schaw, Matre des Travaux de notre

    Souverain, que, depuis toujours, il a t tabli

    chez nous que les seigneurs de Roslin ont tou-

    jours t nos protecteurs et les dfenseurs de

    nos droits, de la mme manire que nos prd-

    cesseurs les ont reconnus comme leurs protec-

    teurs. Ces dernires annes cependant, par

    ngligence, ces droits sont tombs en dsutude,

    et par l mme, non seulement le seigneur de

    Roslin n'a pu exercer son bon droit mais la pro-

    fession dans son ensemble a t prive d'un

    protecteur et d'une personne exerant le pouvoir

    de contrle. Cela a engendr de nombreux dr-

    glements parmi nous. [...]

    Nous, en notre nom, et au nom de tous nos

    frres et compagnons, et avec leur consentement,

    acceptons que W. Sinclair, prsentement seigneur

    de Roslin, obtienne de notre Souverain, pour

    lui-mme et pour ses hritiers, le mandat de

    nous juger, l'avenir, nous et ceux qui nous

    succderont, comme protecteurs et juges.

    IBID.

    Le Point Hors-srie n 24 | Les textes fondamentaux | 2 1

  • Cls de lecture LES ORIGINES

    Tmoignages du XVIIe sicle : des Opratifs aux Spculatifs

    Tous dats du xvne sicle, voici quelques-uns des premiers documents sur la Maonnerie qui n'appartien-

    nent pas ses archives internes,

    ils manent soit des confiden-

    ces de frres, soit des rflexions

    de non-maons ( profanes )

    rapportant ce qu'on disait alors

    l'extrieur de la Fraternit.

    Surtout, ces textes permettent

    d'envisager le phnomne le

    plus complexe et le plus contro-

    vers de son histoire. savoir

    le passage de sa forme ancienne

    oprative* - artisanale -

    sa version moderne spcula-

    tive* , qui rassemblera par-

    tir du xviiie sicle, par un rituel

    au symbolisme plus ou moins

    riche, des non-professionnels

    en qute de convivialit, de

    bienfaisance et d'changes phi-

    losophico-spirituels.

    La phase de transition De la continuit complte la

    rupture totale entre ces deux

    formes, les thses les plus

    varies ont t mises pour

    expliquer cette phase de tran-

    sition . La moins contestable

    est celle d'un lien au moins

    mythique entre elles ; lien en

    quelque sorte fantasmatique,

    qui verrait les Spculatifs se

    rver les descendants directs

    des Opratifs et tout faire

    pour accrditer cette origine

    prestigieuse malgr sa fragilit

    historique.

    Que disent donc les partisans

    de cette filiation? Que les

    vieilles loges opratives, affai-

    blies par les volutions de la

    socit anglaise, ont peu peu

    accueilli des non-btisseurs

    socialement influents - les

    maons accepts - afin de

    bnficier de leur protection.

    Aristocrates, bourgeois et let-

    trs auraient ainsi rejoint les

    aumniers et notaires dj

    reus depuis longtemps

    (par ncessit pratique) au

    sein d'une confrrie obsoles-

    Les vieilles loges

    opratives, affaiblies

    par les volutions

    de la socit, auraient

    peu peu accueilli

    des non-btisseurs.

    cente. Jusqu' ce que ces nou-

    veaux francs-maons impo-

    sent leur hgmon ie et

    transforment peu peu l'Ordre

    pour profiter au maximum du

    rare espace de libert, de dis-

    tinction et d'entraide qu'il

    offrait dans une Grande-Bre-

    tagne aussi intolrante que

    divise.

    Le premier maon accept

    connu est ainsi le noble cos-

    sais John Boswell d'Auchin-

    leck, admis en 1600 dans la

    loge Mary's Chapel d'dim-

    bourg. Quant au plus fameux,

    c'est sans doute Elias Ashmole

    (1617-1692), rudit fru d'al-chimie* et d 'hermtisme*,

    initi en 1646 dans une loge

    forme de sept notabilits loca-

    les sans lien connu avec le

    monde du btiment. Or Ash-

    mole est aussi l'un des fonda-

    teurs de la Royal Society de

    Londres, un influent cnacle

    encyclopdique marqu par

    la figure de Newton*, et dont

    le rle se rvlera essentiel

    pour la modernisation d'un

    royaume dchir. Certains

    pensent qu'aprs des dcen-

    nies de troubles violents, cette

    lite aurait noyaut les loges

    opratives moribondes pour

    y dvelopper un nouveau pro-

    jet humaniste ouvert tous

    les hommes de bonne volont :

    la matrice de la Maonnerie

    spculative et de sa tolrance.

    Parmi les apports probables

    de cet entrisme intellectuel,

    un questionnement philoso-

    phique et sotrique* non

    sans rapport avec la Rose-

    Croix*. Lance en Allema-

    gne vers 1615, cette Fraternit

    lgendaire n'tait-elle pas vo-

    que ds 1638 par les vers

    troublants (texte T) d'un pote

    cossais, associe au pouvoir

    de seconde vue et un nig-

    matique mot du maon ?

    savoir un ensemble qui unit

    mots de passe, signes de recon-

    naissance et symboles -

    De quoi attirer

    les curieux assoiffs

    de mystres et de

    services, mais aussi

    les critiques...

    constructifs (texte 4) et bibli-

    ques (texte 5) - au sein d'un

    rituel certes archaque mais

    qui semble maonnique au

    sens actuel du terme. De quoi

    attirer bien vite les curieux

    assoiffs de mystres et de

    services, mais aussi les criti-

    ques, tel le savant Robert Plot

    (1640-1696), inquiet comme on

    le voit ici du succs de ces

    pratiques caches... et donc

    incontrlables. .V.

    22 | Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 Le Point

  • LES ORIGINES | La transit ion

    Nous avons le mot du maon et le don de seconde vue

    1. Or, nous ne faisons pas de prdictions

    en l'air

    Car nous sommes frres de la Rose-

    Croix

    Nous avons le mot du maon et le don de

    seconde vue

    Et nous pouvons prdire exactement les choses

    venir.

    HENRY ADAMSON, LA THRNODIE DES MUSES, 1638.

    2. 16 oct. 4 h 30 aprs-midi. J'ai t fait franc-

    maon Warrington, dans le Lancashire, avec

    le colonel Henry Mainwaring [...].

    jOURNAL D'ELIAS ASHMOLE, 1646.

    3. Des coutumes sont particulirement suivies

    dans le comt, notamment celle de se faire

    recevoir dans la socit des francs-maons, qui

    semble tre plus en faveur ici [...] que partout

    ailleurs, quoique je la voie rpandue un peu

    partout dans notre nation. Car je trouve ici des

    personnes du plus haut rang qui ne ddaignent

    pas d'tre de cette compagnie. Et, en vrit, on

    ne peut que les en approuver, s'il est vrai qu'elle

    est aussi ancienne et honorable que le prtend

    un grand rouleau de parchemin qu'ils ont, et

    qui contient l'histoire et les rglements du Mtier

    de Maonnerie. [...] Quand quelqu'un est reu

    dans cette socit, ils convoquent une tenue*

    (ou une loge comme on dit en quelques lieux)

    qui doit tre forme d'au moins cinq ou six des

    anciens de l'Ordre. Les candidats leur offrent

    des gants, pour eux et pour leurs femmes, ainsi

    qu'un banquet selon la coutume du lieu. Cela

    fait, ils procdent la rception, qui consiste

    principalement en la communication de certains

    signes secrets, par lesquels ils se reconnaissent

    entre eux dans toute la nation, ce qui leur per-

    met d'obtenir assistance partout o ils vont.

    Car s'il se prsente un homme, mme compl-

    tement inconnu, qui puisse montrer un de ces

    signes un membre de la socit ou, comme

    ils le disent, un maon accept, celui-ci est

    oblig, en quelque lieu ou compagnie qu'il puisse

    tre, de venir lui aussitt, fut-ce du haut d'un

    clocher (quelque danger ou incommodit que

    cela reprsente) pour savoir ce qu'il dsire et

    l'assister. C'est--dire qu'il doit lui trouver du

    travail s'il en a besoin ; ou s'il ne peut pas lui en

    trouver, il doit lui donner de l'argent ou l'aider

    d'une autre manire subsister [...]; ce qui est

    l'un de leurs articles. Un autre article dit qu'ils

    doivent conseiller les matres pour lesquels ils

    travaillent, au mieux de leur capacit, les infor-

    mant de la bonne ou de la mauvaise qualit de

    leurs matriaux; et s'il y a quelque erreur dans

    la conception de l'difice, les amener avec modes-

    tie la corriger, de crainte que la Maonnerie

    ne soit dshonore. Et il y en a beaucoup d'autres

    semblables, qui sont bien connus. Mais il y en

    a quelques autres (qu'ils jurent selon leur rite

    de garder secrets) que nul d'autres ne connat.

    Et j'ai des raisons de souponner qu'ils sont

    bien pires que les prcdents, aussi dtestables

    peut-tre que cette histoire du Mtier elle-mme.

    Car je n'ai jamais rien vu de plus faux et de plus

    incohrent que celle-ci. [...] Si bien qu'il serait

    peut-tre opportun, maintenant encore, de les

    surveiller.

    ROBERT PLOT, L'HISTOIRE NATURELLE DU STAFFORDSHIRE, 1686.

    4. Je ne puis que rendre hommage la Compa-

    gnie des maons pour son antiquit; et cela

    d'autant plus que je suis membre de cette socit,

    dite des francs-maons. En les frquentant, j'ai

    observ l'usage des divers outils qui suivent,

    et j'en ai vu quelques-uns dans les blasons.

    RANDLE HOLME, L'ACADMIE DU BLASON, 1688.

    TEXTES EXTRAITS DU CAHIER LA FRANC-MAONNERIE :

    DOCUMENTS FONDATEURS, DITIONS DE L'HERNE, 1992, 2007.

    5. J'ai rencontr en cosse cinq curiosits qu'on

    n'a gure remarqu se trouver ailleurs [...]. 2e :

    le mot de maon au sujet duquel on fait un

    mystre, je ne cacherai pas le peu que j'en sais.

    Il ressemble une tradition rabbinique, la

    manire d'un commentaire sur Jakhin * et Boaz *,

    les deux piliers dresss dans le temple de Salo-

    mon (I Rois 7, 21), avec en plus quelque signe

    secret dlivr de main main, grce auquel ils

    se reconnaissent l'un l'autre et deviennent fami-

    liers entre eux.

    ROBERT KIRK, LA COMMUNAUT SECRTE DS ELFES, DES FAUNES ET DES FES, 1691, IN PATRICK NGRIER, TEXTES FONDATEURS DE LA TRADITION MAONNIQUE,

    TRAD. G. PASQUIER, GRASSET, 1995.

    Le Point Hors-srie n 24 I Les textes fondamentaux | 23

  • Cls de lecture LES ORIGINES

    Le manuscrit des Archives d'dimbourg

    Ecrit en 1696 partir de donnes l'vidence plus anciennes, le manus-crit des Archives d'dimbourg

    est le plus vieux document

    rituel connu ce jour, hormis

    quelques formules de serment

    dans les Old Charges. Antrieure de vingt ans l'apparition de

    la Maonnerie moderne, cette

    pice exceptionnelle tmoigne

    ainsi des pratiques de la Fra-

    ternit durant l'obscure phase

    de transition qui spare ses

    versions oprative* et sp-

    culative* , supposer qu'il y

    ait une continuit effective

    entre celles-ci. Et si, comme on

    le pense aujourd'hui, la franc-

    maonnerie est bien ne de la

    conjonction - tout aussi pro-

    blmatique sur le plan histori-

    que - d'une tradition anglaise

    avec une autre, cossaise, c'est

    en tout cas cette dernire

    qu'appartient ce texte. On ne

    Pour ce qui est des

    formes, l'initiation

    maonnique archaque

    insiste avant

    tout sur un serment

    prt sur la Bible.

    sait rien en effet de son origine,

    sinon qu'il semble avoir t

    rdig par des profanes du

    Sud-Ouest de l'cosse assez

    perspicaces pour percer les

    mystres des initis ; plusieurs

    usages ne sont-ils pas ici qua-

    lifis de ridicules , adjectif

    incomprhensible dans la bou-

    che des frres ?

    Comme l'atteste la deuxime

    partie de cet extrait, cette tra-

    dition cossaise est centre

    sur la transmission du mot

    de maon , la manire de le

    donner ou encore l'entre

    dans la Confrrie, correspon-

    dant ce qu'on appelle

    aujourd'hui initiation . tre

    un parfait maon la fin du

    De terribles

    pnalits engagent

    les frres ne

    divulguer leurs secrets

    aucun profane .

    xvne sicle, c'est donc simple-ment avoir reu ce mot de

    maon de faon solennelle.

    Issus des donnes bibliques

    sur le temple de Jrusalem, ce

    ou plutt ces mots - puis-

    qu'il y en a deux, un pour l' ap-

    prenti , l'autre pour le com-

    pagnon ou le matre

    (termes alors en partie syno-

    nymes) - sont toujours en

    vigueur de nos jours. Pour ce

    qui est des formes mmes de

    cette initiation maonnique

    archaque, elles paraissent

    concises, dpouilles mme,

    insistant avant tout sur un ser-

    ment avec force crmonies

    destines effrayer . Prt

    sur la Bible, probablement

    ouverte l'vangile* de Jean*

    (cf. les paroles de l'entre qui voquent ce dernier), cet

    acte solennel implique de gar-

    der le secret* absolu sur l'en-

    semble du processus, sous

    peine de se faire tuer par

    les maons trahis et de se dam-

    ner (ce qui alors est pire

    encore). Terribles, ces pna-

    lits seront toujours repro-

    ches l'Ordre ; elles engagent

    en tout cas les frres ne divul-

    guer aucun profane leurs

    secrets, savoir certains

    signes [poigne de main par

    exemple], postures et paroles

    ainsi que symboles ( l'querre,

    le compas , cf. p. 108), qui demeurent pour la plupart en

    usage actuellement.

    Le tuilage Le dbut de cet extrait se com-

    pose quant lui de questions-

    rponses, selon une structure

    dialogue comparable au cat-

    chisme des glises chrtiennes

    et promise sous le nom d' ins-

    tructions une remarquable

    fortune dans les crits maon-

    niques. Ces dernires mobili-

    sent non seulement un riche

    matriel symbolique, qui

    constitue la base de la forma-

    tion des initis, mais offrent

    aussi une sorte de code verbal

    (appel tuilage* ) leur per-

    mettant de se reconnatre

    mutuellement et d'carter les

    non-maons. Non reprise ici,

    la suite de ce questionnaire

    se rfre au symbolisme

    constructif (pierres brutes ou

    tailles), au temple de Jrusa-

    lem - devenu le modle de la

    loge - et la direction de celle-

    ci par un matre et deux offi-

    ciers , usage lui aussi vou

    se perptuer. Avec son cat-

    chisme , sa description de

    l'entre et de divers sym-

    boles ou secrets, ainsi que son

    obligation (serment), il ne

    manque ce manuscrit que la

    lgende , le mythe fonda-

    teur, pour rvler l'essentiel

    des rituels d'initiation de la

    Maonnerie spculative sur le

    point de natre. .V.

    24 | Les textes fondamentaux | Hors-srie n 24 L e P o i n t

  • LES ORIGINES | Le manuscr i t d'dimbourg

    Tout ce qu'il y a faire pour faire un parfait maon

    Quelques questions que les maons ont

    coutume de poser ceux qui ont le mot,

    avant de les reconnatre.

    Question 1 : tes-vous maon? Rponse :

    Oui.

    Q. 2 : Comment le connatrai-je? R. : Vous le

    connatrez en temps et lieu convenables.

    Remarques : la dernire rponse ne doit tre

    faite qu'en prsence de gens qui ne sont pas

    maons. Mais en leur absence, vous devriez

    rpondre : par signes, conventions et autres

    points de mon entre.

    Q. 3 : Quel est le premier point? R. : Dites-moi

    le premier point, je vous dirai le second. Le

    premier est de celer et cacher ; le second : sous

    une peine qui ne saurait tre moindre...

    [...]

    Q. 4 : Oavez-vous t entr ? R. : l'honorable

    Loge.

    Q. 5 : Qu'est-ce qui fait une loge vritable et

    parfaite? R. : Sept matres, cinq apprentis entrs,

    un jour de marche d'un bourg, l o on n'en-

    tend ni un chien aboyer, ni un coq chanter.

    La manire de donner le mot du maon

    Tout d'abord vous devez faire agenouiller celui

    qui va recevoir le mot, et aprs force crmonies

    destines l'effrayer, vous lui faites mettre sa

    main droite sur la Bible et vous devez l'exhor-

    ter au secret, en le menaant de ce que, s'il

    vient violer son serment, le Soleil dans le ciel

    et toute la compagnie tmoigneront contre lui,

    ce qui sera cause de sa damnation, et qu'aussi

    bien les maons ne manqueront pas de le tuer.

    Puis, aprs qu'il a promis le secret, ils lui font

    prter serment ainsi :

    Par Dieu lui-mme - et vous aurez rpondre

    Dieu quand vous vous tiendrez nu devant lui

    au jour suprme -, vous ne rvlerez aucune

    partie de ce que vous allez entendre ou voir

    prsent, ni oralement, ni par crit ;[...] ni ne le

    tracerez avec la pointe d'une pe, ni avec aucun

    autre instrument, sur la neige ou le sable, et

    vous n'en parlerez pas, si ce n'est avec un maon

    entr ; ainsi que Dieu vous soit en aide.

    Aprs qu'il a prt le serment, on l'emmne

    hors de la compagnie, avec le plus jeune maon,

    et quand il est assez effray par mille postures

    et grimaces ridicules, il doit apprendre dudit

    maon la manire de se tenir l'ordre, ce qui

    est le signe, et les postures et paroles de son

    entre, qui sont ainsi :

    Quand il rentre dans la compagnie, il doit d'abord

    faire un salut ridicule, puis le signe, et dire :

    Dieu bnisse l'honorable compagnie. Puis, reti-

    rant son chapeau d'une manire trs extrava-

    gante qui ne doit tre excute que dans ces

    circonstances (comme le reste des signes), il

    dit les paroles de son entre, qui sont ainsi :

    Me voici, moi le plus jeune et le dernier apprenti

    entr, qui viens de jurer par Dieu et saint Jean,

    par l'querre, le compas et la jauge commune,

    d'tre au service de mon matre l'honorable

    loge, du lundi matin au samedi soir, et d'en garder

    les cls, sous une peine qui ne saurait tre moin-

    dre que d'avoir la langue coupe sous le menton,

    et d'tre enterr sous la limite des hautes mares,

    o nul ne saura [o est ma tombe], [...]

    Ensuite, tous les maons prsents se murmurent

    l'un l'autre le mot, en commenant par le plus

    jeune, jusqu' ce qu'il arrive au matre maon,

    qui donne le mot l'apprenti entr.

    Maintenant, [...] pour tre un matre maon ou

    compagnon du Mtier, il y a plus faire, et c'est

    ce qui suit.

    Tout d'abord, tous les apprentis doivent tre

    conduits dehors, et il ne doit rester que des

    matres. Alors, on fait de nouveau agenouiller

    celui qui doit tre reu dans le Compagnonnage *,

    et il prte le serment qui lui est prsent de

    nouveau. Ensuite, il doit sortir de la compagnie

    avec le plus jeune maon pour apprendre les

    postures et signes du compagnonnage, puis, en

    rentrant, il fait le signe des matres [...]. Alors,

    les maons se murmurent l'un l'autre le mot,

    en commenant par le plus jeune comme pr-

    cdemment, aprs quoi le nouveau maon doit

    avancer et prendre la posture dans laquelle il

    doit recevoir le mot [...]. Le matre le lui donne

    alors et il lui serre la main la manire des

    maons, et c'est tout ce qu'il y a faire pour

    faire un parfait maon.

    MANUSCRIT DES ARCHIVES D'EDIMBOURG, 1696, EXTRAIT DU CAHIER LA FRANC-

    MAONNERLE : DOCUMENTS FONDATEURS, DITIONS DE L'HERNE, 1992, 2007.

    Le Point Hors-srie n 24 I Les textes fondamentaux I 25

  • Cls de lecture | l ES ORIGINES

    Le manuscrit Graham et l'sotrisme chrtien

    Dcouvert en 1936 dans la rgion d'York, ce manuscrit se termine sur la mention Thofmas] Gra-

    ham tant Matre de loge [...]

    1726 , nom qu'il a conserv.

    Issu de la tradition anglaise,

    son contenu est certainement

    plus ancien bien qu'on n'en

    puisse prciser l'ge. Il com-

    prend trois parties : des ins-

    tructions par questions-rpon-

    ses, une histoire lgendaire du

    Les usages et symboles

    maonniques sont

    systmatiquement

    mis en rapport

    avec la Trinit, Jsus,

    les aptres...

    Mtier et une courte conclusion

    assez obscure. Ce qui est clair,

    c'est qu'elle met l'accent sur

    le Christ ( la tte et la pierre

    d'angle ) et sur les liens unis-

    sant le clerg et les premiers

    propritaires de ce manuscrit.

    Ce caractre chrtien est ga-

    lement trs net dans sa pre-

    mire partie dialogue, o les

    rponses expliquant usages et

    symboles maonniques (cf.

    p. 108) sont systmatiquement

    mises en rapport avec la Tri-

    nit, Jsus, les aptres. Un

    exemple ? - Je vous demande

    maintenant combien de Lumi-

    res appartiennent une loge?

    - Je rponds 12. - Quelles sont-

    elles? - Les trois premiers

    joyaux sont le Pre, le Fils et le

    Saint-Esprit ; puis le Soleil, la

    Lune, le matre maon, l'querre,

    la rgle, le plomb, le fil, le

    Les textes fondamentaux

    maillet et le ciseau. La plupart

    des traits de l'Ancien Testa-

    ment* rapports la pratique

    rituelle sont aussi rapprochs

    du Nouveau, selon un mode de

    lecture dit typologique fami-

    lier des glises.

    Une inspiration chrtienne l'uvre dans d'autres archives

    comparables de la Fraternit,

    cette grille de lecture se rvle

    particulirement dans le manus-

    crit cossais Dumfries, transcrit

    vers 1710. la question Quel

    est le mystre du Temple? , ce

    dernier rpond : Le Fils de Dieu

    et en partie l'glise, le Fils souf-

    frit et son corps fut dtruit et

    ressuscita le troisime jour, et

    il difia pour nous l'glise chr-

    tienne, vritable glise spiri-

    tuelle , avant d'interprter

    selon la mme logique tous les

    attributs du sanctuaire (ses

    ornements en marbre, en or, en

    bois de cdre, son voile, l'Arche

    d'Alliance et ses chrubins, etc.)

    comme des emblmes du Sau-

    veur. Et de conclure : Le Christ

    inscrira sur les colonnes [du

    Temple] de meilleurs noms que

    ceux de Jakhin* et de Boaz*

    (le nom de ces colonnes d'aprs

    la Bible), car avant tout, il y ins-

    crira le nom de Dieu. Une inter-

    prtation clairement chrtienne,

    donc, et au raffinement - sot-

    rique? - bien tonnant pour de

    simples fidles et de modestes

    travailleurs manuels...

    Dans le Graham, cet sot-

    risme* transparat plus nette-

    ment encore travers l'histoire

    de la Maonnerie, propos de

    Betsalel, le constructeur selon

    la Bible (Ex, XXXI) du sanctuaire

    portatif qui prcda le temple

    de Jrusalem. Cens tre le

    transmetteur du Mtier entre

    les fils de No*, d'une part, et

    Salomon* et Hiram*, d'autre

    part, Betsalel aurait en effet

    connu par inspiration que les

    titres secrets et les attributs

    principiels de Dieu taient pro-

    tecteurs , et aurait bti en

    s'appuyant dessus , d'o son

    incomparable matrise. Ce qui

    revient faire de la Kabbale*,

    l'sotrisme juif vou la mdi-

    tation de ces sacro-saints attri-

    buts clestes, une des sources

    des mystres maonniques...

    Dernier point capital : le rle

    attribu ici No et ses fils.

    Pre de l'humanit incarnant

    l'universalit sacre antrieure

    aux religions rvles et leurs

    dsaccords, le constructeur de

    l'arche salvatrice restera une

    rfrence de l'Ordre. Quant au

    rcit de sa mort et de son rel-

    vement par trois frres for-

    mant une triple voix , en lien

    No, pre de

    l'humanit

    et constructeur

    de l'arche salvatrice,

    restera une

    rfrence de l'Ordre.

    avec la perte d'un secret divin

    connu du seul dfunt auquel

    ses pieux hritiers substituent

    un secret conventionnel aussi

    efficace que le premier, il offre

    la trame symbolique et rituelle

    qui formera - cette fois autour

    d'Hiram - le mythe-cl du grade

    de matre et de toute la Maon-

    nerie venir. .V.

    Hors-srie n 24 Le Point

  • LES ORIGINES | Le manuscrit d'dimbourg

    Premirement le Christ, la tte et la pierre d'angle...

    Par tradition et aussi par rfrence

    l'criture, [nous savons] queSem, Cham

    et Japhet eurent se rendre sur la

    tombe de leur pre No pour tenter d'y dcou-

    vrir quelque chose son sujet, qui les guiderait

    jusqu'au puissant secret que dtenait ce fameux

    prdicateur. Ici, j'espre que chacun admettra

    que toutes les choses ncessaires au nouveau

    monde se trouvaient dans l'arche avec No.

    Ces trois hommes avaient dj convenu que,

    s'ils ne trouvaient pas le vritable secret lui-

    mme, la premire chose qu'ils dcouvriraient

    leur tiendrait lieu de secret. Ils n'avaient pas

    de doute, mais croyaient trs fermement que

    Dieu pouvait et aussi voudrait rvler sa

    volont, par la grce de leur foi, de leur prire

    et de leur soumission; de sorte que ce qu'ils

    dcouvriraient se montrerait aussi e