le poulpe Séverin Le Gasparreux et les êtres marchants

8/14/2019 le poulpe Sverin Le Gasparreux et les tres marchants

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Le poulpe Sverin Le Gasparreux et les tres marchants

Jeunesse et intrpidit vont souvent de pair.

Est-ce un dfaut ? Une qualit ? Notre conte veut essayer d' apporter une rponse cette

difficile question.

Le poulpe Sverin Le Gasparreux nageait le long de la plage des Marinires. Il s'tait rveill

tt ce matin-l, dsireux de perdre un surplus de quelques grammes, rsultat d'un festin de crustacs

et de mduses, la veille, ainsi que de chasser les brumes qui obscurcissaient son cerveau du fait

d'une surconsommation d'absinthe de taxifolia avec ses amis, pour fter son anniversaire.

Cet alcool est particulirement nocif et interdit la vente, c'est ce qui fait son attrait, avec sa

belle couleur verte, aux yeux de la jeunesse un peu turbulente de la rade de Villefranche.

Sverin tait un jeune poulpe intrpide. Il n'avait peur de rien. Sa poche emplie d'encre noire

lui assurait, pensait-il une scurit totale.

Ses amis taient le bar Zphyrin Pasodoble et la daurade Annabelle Pictoire, eux aussi adeptes

du non respect des interdictions imposes par le conseil des podestats de ladite rade, pour rendre la

vie des jeunes aussi morne que la leur.

La mer tait calme, chaude d'un soleil endimanch plein de lui-mme.

Dj quelques baigneurs et baigneuses s'y aventuraient. Un peu plus tard dans la journe ils

seraient beaucoup plus nombreux.

C'tait pour Sverin Le Gasparreux un spectacle rjouissant qu'il ne se lassait pas de

contempler. Il s' amusait de les voir emptrs dans l'eau; certains moulinant de leurs raides

tentacules pour se maintenir difficilement la surface; on aurait dit des corps blafards de poulets

auxquels on venait de couper la tte et qui tentaient par leur agitation de la retrouver. D'autres munis


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d'un hublot et d'un siphon un bout de leur corps et de palmes de caoutchouc l'autre jouaient les

poissons de manire risible. Il semblait que parmi cette espce le ridicule ft devenu inoffensif.

Un autre spectacle tout aussi rjouissant mais pour Sverin plus difficile contempler tait de

les observer aplatis sur la plage griller au soleil. Quelle crabe les avait piqus pour s'exposer ainsi

ces rayons dangereux ?

On aura compris : Sverin Le Gaspareux tait curieux de cette humanit bizarre. Il mourait d'

envie d'en savoir plus sur elle.

Il avait consult ce sujet Thomasus Ralphinesius, un savant dauphin de rputation

mditerranenne. Les dauphins ayant li avec les hommes des liens durables, lui avait-on certifi.

Thomasus Ralphinesieus avait tent d'expliquer Sverin toute la complexit de ces tres

non aquatiques. Notre poulpe se souvenait de quelques unes de ses affirmations:

Les hommes vivent hors de la mer. Quel caprice de l'volution a abouti ce non-sens ? La

question trs dbattue par les scientifiques et les philosophes maritimes n' a pas trouv de rponse

satisfaisante. Comme toujours les religieux en ont fournie une; ils affirment que les hommes ont t

punis par les dieux pour avoir voulu les dfier, qu'ils les ont condamns s'touffer dans un air

nausabond. Explication un peu courte me semble-t-il.

Quant ils s'aventurent sur la mer ils se livrent trs souvent au rapt systmatique de certaines

espces, les thons, les sardines par exemple, au moyen de grandes chaussettes ou de grandes

barrires grillages. Qu'en font-ils par la suite ? Mystre. Certains indices laissent penser,

horreur ! qu'ils les mangent ! J'ai du mal le croire....Au Pourquoi de Sverin, Thomasus Ralphinesius avait rpondu:

Lorsque l'un d'entre nous, dauphin, se trouve pris dans ces chaussettes ou ces barrires

mtalliques ils le librent, et s'il s'est noy ils le rendent la mer pour qu'il ait une spulture

dcente. On connat mmes des occasions o ils nous soignent, lorsque nous sommes malades ou

blesss. Je ne peux croire que des tres qui font preuve d'une telle compassion soient pisciphages.

A la demande de Sverin concernant les poulpes, Thomasus avait t vasif ce qui avait accru


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la curiosit de notre intrpide ami.

A la demande de Sverin concernant les bars et les daurades, Thomasus avait t oblig de

rvler les tmoignages qui indiquaient de source sre que des prisons existaient o ils taient

maintenus en captivit. Il y taient nourris gratuitement, semblait-il, et une fois bien gras, ils

disparaissaient. De plus en plus d'indices dmontraient que comme les thons, les sardines, ils taient

ensuite dvors. Un de ses parents en difficult parce que trop aventur au bord de la plage, avait

t aid par quelques baigneurs qui l'avaient tir de sa mauvaise brasse, il avait eu le temps de

sentir une horrible odeur de bars grills qui s'chappait des rochers prfabriqus qui longeaient le

littoral o ces tres bizarres s'installaient pour manger.

Et les tortues ? s'tait cri Sverin Le Gaspareux de plus en plus intrigu et rsolu

dcouvrir la vrit. Thomasus Ralphinesius avait rpondu qu'il ignorait quel traitement leur

rservaient les hommes, tout ce qu'il savait c'est que leur nombre diminuait au grand plaisir des

mduses, leur mets prfr comme il n'tait pas sans l'ignorer.

Adoncques, comme tous les savants Thomasus Ralphinesius avait t plus conjectural qu'

affirmatif, augmentant s'il se pouvait la volont de Sverin d'en avoir le coeur net.

Ce matin semblait notre poulpe l'occasion rve pour entrer en contact avec ces humains. Il

avisa un petit groupe de baigneurs qui pataugeaient dans l'herbier de posidonies non loin du rivage

et se profilant comme un bar il s'approcha. Soudain il se trouva bec hublot face un de ceux-ci.

Surpris il s' apprtait lcher un nuage d'encre pour couvrir son repli, mais sa curiosit et la

certitude d' chapper en cas de besoin cet tre marchant si maladroit dans l'eau l'en dissuadrent.Derrire le hublot du malheureux, il dcouvrit deux yeux ronds d' un peu de frayeur et aussi,

devina-t-il, d'intrt. Sverin s'enhardit et allongea un de ses tentacules vers le membre rigide du

baigneur qui se terminait par cinq petits appendices. Celui-ci laissa Sverin enlacer son bras gauche

tandis qu'avec le droit il lui caressa la tte. Sverin trouva que ces appendices avaient une texture

particulire et une chaleur inattendue. Ainsi, ces tres avaient une temprature corporelle leve,

premire indication intressante. A la rflexion pensa Sverin, rien d' tonnant cela, puisqu'ils


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vivaient dans ce milieu bizarre et trs inconfortable qui flotte au-dessus de la mer. Les

prsentations ainsi faites et comme aucune hostilit n'tait perceptible de la part du baigneur, au

contraire, Sverin Le Gasparreux saisit l'opportunit de lier parole avec lui. Notre octopode ami, en

plus de ses dons de transformation, nous avons vu que pour approcher les humains il avait adopt la

forme profile d' un bar, tait bien que jeune, octolingue : il parlait le poulpe, l'esprantomer qui

permet tous les habitants aquatiques de se comprendre, le niois, le russe, l'espagnol, l'anglais, le

corse, le franais. Les probabilits pour qu'il ait affaire un anglais, un russe ou un espagnol tait

les plus grandes. Il espra n'tre point en prsence d' un allemand ou d' un japonais parce qu'il ne

connaissait pas ces langues plus exotiques. Il commena par l'anglais :

- Good morning sir, fit-il en laissant chapper quelques bulles de son bec.

L'habitant des confins ariens, de surprise, avala une grande goule de mer. Sa tte disparut.

Sverin resta perplexe. Ce n'tait donc point un touriste anglais ? Pourtant en cette saison, ils taient

nombreux. Un peu dpit, il s'apprtait s'loigner lorsqu'il vit reparatre la tte munie de son

hublot accompagne de deux autres ttes, elles aussi pourvues de hublot, mais ceux-ci plus petits et

doubles.

- Buongiorno, mit une de ces ttes, celle qui avait un hublot double et les membres couverts

de toutes sortes de bracelets et au bout, ses petits appendices, de bagues qui scintillaient sous

l'eau. Sverin poussa un soupir de soulagement ; il avait donc affaire des italiens. Le contact en

serait facilit; il connaissait de notorit la bonhommie parfois exubrante de ces humains.

Buongiorno, rpliqua-t-il, en essayant de laisser chapper le moins de bulles possibles de son bec pour ne pas effrayer ces interlocuteurs. Peine perdue ! Les trois ttes s'envolrent abandonnant

leurs malheureux corps blmes dans l'eau.

Notre dialogue va se rvler plus difficile que je le croyais se dit Sverin Le Gasparreux, ces

tres sont ou trs craintifs ou trs pointilleux sur le savoir vivre, puisqu'ils ne semblent pas

supporter la rgurgitation de quelques bulles. Chez les habitants des immensits maritimes, la

rgurgitation de bulles d'air n'est pas le symbole de la meilleure des ducations, quand on cause.


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Tout le monde le sait, il faut, ou bien se retenir ou bien mettre une nageoire ou autre devant ses

oues ou son bec ou sa bouche. Si par chance les humains italiens replongeaient leur tte sous l'eau,

il se promit de s'en souvenir. Il n'eut pas attendre longtemps pour voir rapparatre cette fois-ci

non plus trois mais cinq ttes, les nouvelles sans hublot, mais elles repartirent presque aussitt.

Sverin se prsenta:

- Mi chiamo Sverino Il Gasparrino, dit-il en plaant deux de ses tentacules devant sa bouche

et en italianisant son nom comme l'exigeait la politesse maritime.

- Incantato, rpondirent les humains italiens dans de grandes gerbes de bulles. Sverin

connaissait leur sans gne et ne s' en formalisa pas.

Leur difficult s'exprimer correctement sous l'eau, rendit la conversation chaotique.

Elle fut de simple politesse aprs leur tonnement d'entendre un poulpe s'exprimer en italien,

d'apprendre qu'il parlait d'autres langues, et que tous les tres aquatiques disposaient de

l'esprantomer pour communiquer entre eux dans toutes les mers et ocans du monde.

Sverin reporta au lendemain, les questions qui lui brulaient le bec. On se souhaita l'au revoir

et chacun courut rendre compte de cette exceptionnelle rencontre, les humains italiens aux autres

humains sur la plage et Sverin ses amis Zphyrin Pasodoble et Annabelle Pictoire qui se

montrrent trs dubitatifs, sa grande dception.

- Vous ne me croyez pas ?

- C'est--dire...

- Quoi ? Je mens ?- Non, mais...

- Il n'y a pas de non-mais ! Vous ne me croyez pas ! C'est tout !

- Ne te fche pas...

- Je ne me fche pas ! Je constate que mes soi-disant meilleurs amis mettent ma parole en

doute, comme, comme, si j'avais un petit vlo dans la tte! Piqus des vers que vous tes ! Faux

comme des jetons de casino que vous tes! Mauvais coucheurs que vous tes ! Ignorants crasseux


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autre ton ! Allez ! Obtemprez !

Nos plus grands ennemis rcents de la Mditerrane ne se le firent pas dire deux fois. Ils

obirent tte basse. Puis chacun alla bouder dans son coin.

C'est une de ses qualits, cette fois je n'ai pas peur d'tre considr comme un grincheux

cacochyme, que d'affirmer que la jeunesse n'est pas rancunire., Ce qui explique qu'au bout de

quelques flux et reflux de vague nos protagonistes se retrouvrent les meilleurs amis de la

Mditerrane.

Ma tentation est grande, parvenu cette conclusion plutt rjouissante d' arrter ici et de

remettre plus tard la rsolution du problme que j' avais envisag au dbut, savoir si l'intrpidit

de la jeunesse est dfaut ou qualit.

Je crois percevoir comme une lgre dception parmi mes honorables lecteurs et me rsous

poursuivre, en consquence, mon bonhomme de conte.

Le lendemain, Notre Sverin se hta avec ses amis de se rendre au rendez-vous fix d' un

commun accord avec les humains italiens. Il les retrouva impatients de reprendre langue avec lui.

Ils lui souhaitrent la bienvenue avec force gestes et rejets de bulles. Ils poursuivirent leur

conversation de manire aussi chaotique mais suffisamment efficace pour que Sverin finissent par

poser les questions qui lui brlaient le bec : Etait-il vrai que thons, sardines taient capturs par

ces grands murs grillags et ces grands chaussettes voqus par le savant de notorit mondiale

Thomasus Ralphinesius ?. Etait-il vrai que des bars, des daurades et d'autres taient

emprisonnes dans de grandes cages, engraisses avant d' tre manges par les humainsmarchants ?.

Les humains italiens avaient sembl redoubler de difficult rpondre; Sverin avait constat

qu'ils s'taient encore plus touffs en avalant de grandes goules d'eau et que certains avaient fuit

comme s'il tait non plus un simple poulpe mais une pieuvre aussi terrible que celle invente par le

grand Victor Hugo, paix son me! Qu'il lui soit pardonn d'avoir invent ce mot effrayant de

pieuvre qui complique tant la vie des poulpes dans leurs rapports avec les tres marchants.


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La rponse lui fut apporte par un humain russe de manire laconique :

- Da !

Elle fut confirme par un humain anglais :

- Yes ! But... Il ne put poursuivre car son but lui fit avaler une grande rasade de mer qui le

contraignit sortir la tte de l'eau.

C'est une humaine franaise qui prcisa ces da, yes, but par un oui, par un faut

-comprendre, par un ncessit-de, par un nourrir, par un l'humanit, par un mais-il-y-a-des

-quotas, par un la-pche-commence, par un -tre-remplace-par-l'levage. Sur ce, elle

s'touffa et fut oblige d' aller respirer son air terrestre.

Sverin et ses amis taient consterns. Ils devaient fuir au plus tt cette espce piscivore. Il

fallait prvenir Thomasus Ralphinesius afin qu'il donne l'alarme et que les podestats prennent les

mesures adquates. Un rapide conciliabule mit nos amis d'accord. Tandis que Annabelle Pictoire et

Zphyrin Pasodoble voleraient auprs de Thomasus Ralphinesius pour prciser de quoi il

retournait avec ces tres marchants, Sverin resterait sur place pour leur donner le change. Aussitt

dit, aussitt fait.

Heureusement, les humains ne se formalisrent point du dpart des deux amis de Sverin. Le

dialogue continua dans un grand concert de bulles. Sverin eut besoin de tout son sang froid pour

faire bonne figure. Mais il n'avait plus le coeur discuter et, de manire un peu abrupte, il prit

cong de ses interlocuteurs, peut-tre cphalopodophages.

Chemin faisant, il croisa un autre humain marchant entirement revtu de caoutchouc, avec un bout, hublot et siphon et l'autre palmes. Il s'approcha, intrigu et le salua. Il ne prit pas garde

l'instrument qu'il tenait entre ses appendices l'extrmit d'un de ses tentacules rigides. Il crut

saisir dans son regard une tincelle de satisfaction. Au mme moment une douleur insoutenable

parcourut son corps. Il comprit qu'il avait t atteint par un objet tranchant. Il lcha toute l'encre

qu'il avait dans sa poche et dans cette obscurit, il tenta de s'enfuir. Il se rendit compte qu'il tait

entrav par l'objet acr qui avait transperc un de ses tentacules. Il essaya de se dgager. Il ne le


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put. Il se rsolut trancher son bras avec son bec. Malgr la douleur il ne cessa de cisailler son

membre pour se librer. Ainsi amput il gagna tant bien que mal le rocher Martin Blockhaus o il

se rfugia dans son nid.

Le docteur Pierre Rouget de l'isle fut mand. Il administra notre amput poulpe une

prparation de sa faon base d'algue et de plancton qui calmerait ses souffrances en attendant que

son tentacule repousse, ce qui n'est pas le moindre des exploits de ces sympathiques octopodes,

comme vous n'tes pas sans l'ignorer.

A ce point de notre conte il est possible de rpondre notre question sur l'intrpidit de la

jeunesse dfaut ou qualit. L'aventure de Sverin Le Gasparrreux nous fait pencher pour l'intrpidit

comme qualit, mme si elle est parfois cher paye.

Cette histoire une suite dont les humains terrestres font la dure exprience. En effet, d'autres

tmoignages recueillis auprs d'autres jeunes tres marins intrpides par les chercheurs aquatiques

permirent d'arriver des rsultats scientifiques incontestables.

Puisque l'humanit avait tendance considrer cette plante et tous ses membres comme tant

sa disposition, il fallait lui montrer le contraire.

Adoncques, ordre fut mand aux ocans et plus particulirement Atantique Charlie et

Pacifique Tango de drgler pour le premier les va-et-vient du fameux anticyclone des Aores et

pour le second le fameux phnomne d' El Nio, afin de rendre moins confortable aux humains

l'utilisation de la plante. L'espoir tait qu'ils comprendraient et reviendraient de meilleurs

dispositions, c'est--dire plus respectueuses d'autrui.Thomasus Ralphinesius s'tait oppos ces mesures qu'il avait jug trop dangereuses et

insuffisantes pour amener de meilleurs sentiments un tre aussi peu rflchi que l'homme.

Quant Sverin Le Gasparreux une fois son pied repouss, il continua les promenades dans sa

rade sans vouloir viter tout prix de lier parole avec les humains, mais en prenant garde qu'ils ne

fussent tout de caoutchouc vtu.

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