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a question de pouvoir, bien que dérangeante par nature, paraît désuète. Elle semble relative- ment dépassée à un bon nombre de personnes que nous avons pu interviewer dans le cadre d’un travail de prospective sur le sujet « Leadership et nouvelles expressions de pouvoir à l’ère numérique » conduit pour la Fondation Télécom. Pourquoi et surtout comment le numérique remet-il en cause le pouvoir traditionnel ? Pour la plupart des dirigeants interviewés, qu’ils soient de grandes entreprises (Accenture, BNP Paribas, Google, SFR, Voyages-SNCF, etc.) ou de PME et de start-ups (Groupe Poult, FabelNovel, Linagora, Placemeter, KissKissBankBank, etc.) dans l’univers numérique, on préfère parler de légiti- mité et d’autorité. La légitimité s’acquiert par le statut, mais aussi par les compé- tences. C’est une question qui lie savoir-faire technique, savoir-faire faire managérial et savoir-être avec l’ensemble des collaborateurs (n+ comme n-). L’autorité est également préférée à la notion de pouvoir. Dans ce domaine comme dans l’autre, on n’est pas dans la rupture, mais plus dans une évolution. L’autorité s’exerce non pas uniquement par la voie hiérarchique, mais par la capacité d’influence que l’on peut déployer. On est dans le soft power, plus que dans le hard power où la dimension informa- tionnelle devient clé. Le numérique amplifie le concept de soft power issu de la science politique. C’est particulière- ment le cas des leaders qui travaillent au contact des jeunes générations ou qui les représentent. On remarque là encore deux formes de représentation. D’une part, ceux qui pensent que l’information est un flux et qu’elle doit être partagée. Ce qui compte, c’est d’avoir l’information en temps voulu, de savoir où la trouver, de rester toujours bien informé au-delà de la désinformation et de la surinforma- tion. De l’autre, il y a ceux qui conçoivent l’information comme un stock, un capital que l’on détient jalousement et que l’on partage le moins possible. Si la notion de leadership garde en elle des éléments intemporels, comme les qualités d’écoute, de vision, d’anticipa- tion et d’inspiration, la notion de pouvoir est mise à mal et ne semble plus adaptée à notre monde. Ce qui compte, c’est la légitimité d’un leader, ce qu’il fait autant que ce qu’il dit, la cohérence et le soin qu’il donne aux moyens de son action. On n’est plus dans le cas du Prince Machiavel où la fin justifie les moyens. L’écosystème fait partie intrinsèque de la prise de décision. Notre étude prospective a confirmé le caractère inquiétant de l’ambiance morti- fère dans nombre d’organisations. Le dernier baromètre des français de janvier 2014 du CEVIPOF montre à nouveau le manque de confiance, en particulier dans les institutions publiques et les grandes entreprises. Il y a un rejet des grandes organisations, qui sont perçues comme n’étant pas à l’écoute de leurs collabora- teurs. Les petites structures, les institutions publiques comme les communes ou les départements, plus proches des citoyens, ont de bien meilleurs résultats en termes de confiance. Il ressort de là, la nécessité de revenir à des attributs essentiels du management tels que la proximité. Dans cette dimen- sion, il n’y a pas uniquement la confiance dans ce qui est plus proche géographi- quement de soi ou de sa communauté numérique. Il y aussi la dimension affec- tive, émotionnelle. Celle qui fait que l’on a envie de tisser des liens. De nouveaux liens peuvent se créer grâce au numérique. Une nouvelle manière de tisser les liens autrement est à l’œuvre. Le leadership de demain s’inscrit aussi dans cette tendance, celle de liens plus respec- tueux, plus affectifs, qui (re)mettent le plaisir et le désir au cœur de la relation. Toutes les nouvelles initiatives créatrices de valeurs, telles que les FabLab, les tiers lieux, les laboratoires de toutes sortes, témoignent de cette nouvelle énergie. Cette nouvelle énergie s’exprime égale- ment autour de la déclinaison de l’économie de la contribution et du partage avec l’économie collaborative, les consommations émergentes et les nouveaux modes de vie durables. La notion de leadership porte une dimen- sion sociétale et politique. Au niveau macro-économique, elle renvoie à la question de la compétitivité. Cette dernière pose la question de notre capacité, française et européenne, à établir un contrepoids à la domination américaine. Dans le domaine du numérique, nous avons des atouts en matière de talents, Le pouvoir à l’ère numérique La fin d’un tabou RECHERCHES ACADÉMIQUES P.38 | JUILLET 2014 | LA REVUE RH&M N°54 L Carine DARTIGUEPEYROU Prospectiviste, Présidente du Comité scientifique du Cercle de Prospective RH. Elle a récemment dirigé le Cahier de prospective Leadership et nouvelles expressions de pouvoir à l’ère numérique (2014) pour la Fondation Télécom/Institut Mines Télécom.

Le pouvoir à l’ère numérique La fin d’un tabou L · prospective sur le sujet « Leadership et nouvelles expressions de pouvoir à l’ère numérique » conduit pour la Fondation

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a question de pouvoir, bien quedérangeante par nature, paraîtdésuète. Elle semble relative-ment dépassée à un bon nombrede personnes que nous avons pu

interviewer dans le cadre d’un travail deprospective sur le sujet « Leadership etnouvelles expressions de pouvoir à l’èrenumérique » conduit pour la FondationTélécom. Pourquoi et surtout commentle numérique remet-il en cause le pouvoirtraditionnel ?

Pour la plupart des dirigeants interviewés,qu’ils soient de grandes entreprises(Accenture, BNP Paribas, Google, SFR,Voyages-SNCF, etc.) ou de PME et de start-ups (Groupe Poult,FabelNovel, Linagora, Placemeter,KissKissBankBank, etc.) dans l’universnumérique, on préfère parler de légiti-mité et d’autorité. La légitimité s’acquiertpar le statut, mais aussi par les compé-tences. C’est une question qui liesavoir-faire technique, savoir-faire fairemanagérial et savoir-être avec l’ensembledes collaborateurs (n+ comme n-).L’autorité est également préférée à lanotion de pouvoir. Dans ce domainecomme dans l’autre, on n’est pas dans larupture, mais plus dans une évolution.L’autorité s’exerce non pas uniquementpar la voie hiérarchique, mais par lacapacité d’influence que l’on peutdéployer.

On est dans le soft power, plus que dans

le hard power où la dimension informa-tionnelle devient clé. Le numériqueamplifie le concept de soft power issu dela science politique. C’est particulière-ment le cas des leaders qui travaillent aucontact des jeunes générations ou qui lesreprésentent. On remarque là encoredeux formes de représentation. D’unepart, ceux qui pensent que l’informationest un flux et qu’elle doit être partagée.Ce qui compte, c’est d’avoir l’informationen temps voulu, de savoir où la trouver,de rester toujours bien informé au-delàde la désinformation et de la surinforma-tion. De l’autre, il y a ceux qui conçoiventl’information comme un stock, un capitalque l’on détient jalousement et que l’onpartage le moins possible.

Si la notion de leadership garde en elledes éléments intemporels, comme lesqualités d’écoute, de vision, d’anticipa-tion et d’inspiration, la notion de pouvoirest mise à mal et ne semble plus adaptéeà notre monde. Ce qui compte, c’est lalégitimité d’un leader, ce qu’il fait autantque ce qu’il dit, la cohérence et le soinqu’il donne aux moyens de son action.On n’est plus dans le cas du PrinceMachiavel où la fin justifie les moyens.L’écosystème fait partie intrinsèque de laprise de décision.

Notre étude prospective a confirmé lecaractère inquiétant de l’ambiance morti-fère dans nombre d’organisations. Ledernier baromètre des français de janvier

2014 du CEVIPOF montre à nouveau lemanque de confiance, en particulier dansles institutions publiques et les grandesentreprises. Il y a un rejet des grandesorganisations, qui sont perçues commen’étant pas à l’écoute de leurs collabora-teurs. Les petites structures, les institutionspubliques comme les communes ou lesdépartements, plus proches des citoyens,ont de bien meilleurs résultats en termesde confiance.

Il ressort de là, la nécessité de revenir àdes attributs essentiels du managementtels que la proximité. Dans cette dimen-sion, il n’y a pas uniquement la confiancedans ce qui est plus proche géographi-quement de soi ou de sa communauténumérique. Il y aussi la dimension affec-tive, émotionnelle. Celle qui fait que l’ona envie de tisser des liens. De nouveauxliens peuvent se créer grâce aunumérique. Une nouvelle manière detisser les liens autrement est à l’œuvre. Leleadership de demain s’inscrit aussi danscette tendance, celle de liens plus respec-tueux, plus affectifs, qui (re)mettent leplaisir et le désir au cœur de la relation.Toutes les nouvelles initiatives créatricesde valeurs, telles que les FabLab, les tierslieux, les laboratoires de toutes sortes,témoignent de cette nouvelle énergie.Cette nouvelle énergie s’exprime égale-ment autour de la déclinaison del’économie de la contribution et dupartage avec l’économie collaborative,les consommations émergentes et lesnouveaux modes de vie durables.

La notion de leadership porte une dimen-sion sociétale et politique. Au niveaumacro-économique, elle renvoie à laquestion de la compétitivité. Cette dernièrepose la question de notre capacité,française et européenne, à établir uncontrepoids à la domination américaine.Dans le domaine du numérique, nousavons des atouts en matière de talents,

Le pouvoir à l’ère numériqueLa fin d’un tabou

RECHERCHES ACADÉMIQUES

P.38 | JUILLET 2014 | LA REVUE RH&M N°54

L

Carine DARTIGUEPEYROU

Prospectiviste, Présidente du Comité scientifique duCercle de Prospective RH. Elle a récemment dirigé leCahier de prospective Leadership et nouvellesexpressions de pouvoir à l’ère numérique (2014) pourla Fondation Télécom/Institut Mines Télécom.

d’inventivité et d’innovation que, pourbeaucoup de personnes interviewées,nous ne parvenons pas à valoriser faute de politique européenne communeambitieuse. Nous n’avons pas l’air deprendre au sérieux les risques de dépen-dance face à un marché très fortementdominé par quelques acteurs américains.En l’absence de gouvernance d’Internet, lerisque de voir se cristalliser la dominationd’intérêts oligarchiques est sérieux. Etpourtant, la concentration massive desdonnées personnelles au-delà del’Atlantique, la création de valeur par lesplateformes numériques au détriment desentreprises industrielles et de services,constituent des enjeux majeurs en termesde rapport de pouvoir qui ne sont pasassez anticipés.

Lorsque le pouvoir apparaît comme unenjeu, c’est plutôt pour mettre l’accentsur le rigidité d’un système qui a du malà évoluer. La notion de pouvoir estfinalement perçue négativement. Elle secaractérise par un conservatisme quientraîne certains à défendre coûte quecoûte leurs acquis. Le monde change etentraîne avec lui des mutations quiobligent à une remise en questionpermanente. Ce qui est nouveau c’estque la critique, n’est plus larvée, maisbien exprimée, des élites qui manquentparfois de compétences et ne prennentpas suffisamment en compte les évolu-tions sociétales. Nombreux sont lesdirigeants qui notent la nécessité pour laFrance de sortir de sa zone de confortpour jouer un rôle au niveau internatio-nal. La question du pouvoir n’est plus.Elle montre que le système des années1980 manifeste de nombreux signesd’épuisement, voire d’auto-destruction.Quant au leadership, il n’est pas en trainde mourir. Au contraire, il est bien vivantet trouve de nouvelles expressions quicontrastent fortement avec les modesplus traditionnels !

LA REVUE RH&M N°54 | JUILLET 2014 | P.39

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