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_______________________________________ _______________________________________ Le recours pour excès de pouvoir : cas d'ouverture et degrés de contrôle du juge (cours)

Le recours pour excès de pouvoir : cas d'ouverture et

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Le recours pour excès de pouvoir : cas

d'ouverture et degrés de contrôle du juge

(cours)

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Table des matières

Table des matières .................................................................................................................................. 2

Introduction ............................................................................................................................................. 3

I – Les moyens de légalité externe .......................................................................................................... 4

Le vice de compétence ........................................................................................................................ 4

Le vice de procédure ........................................................................................................................... 5

Le vice de forme .................................................................................................................................. 7

II – Les moyens de légalité interne communs au pouvoir discrétionnaire et à la compétence liée ....... 8

Le détournement de pouvoir .............................................................................................................. 8

La violation directe de la loi ................................................................................................................ 9

Les motifs de droit : l’erreur de droit ................................................................................................ 10

Un motif de fait : l’inexactitude matérielle des faits ......................................................................... 11

III – Les degrés de contrôle du juge administratif : la distinction compétence liée / pouvoir discrétionnaire....................................................................................................................................... 12

Les deux types de pouvoirs de l’Administration ............................................................................... 12

Le contrôle de la qualification juridique des faits : un contrôle uniquement possible en compétence liée ..................................................................................................................................................... 14

Le contrôle minimum : l’erreur manifeste d’appréciation ................................................................ 15

Le contrôle maximum ou contrôle de proportionnalité : la théorie du bilan couts-avantages ........ 16

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Introduction

Les cas d’ouverture de recours pour excès de pouvoir correspondent aux différentes irrégularités pouvant affecter un acte administratif. Ils constituent donc autant de moyens d’annulation pouvant être invoqués devant le juge. La classification traditionnelle distingue les moyens de légalité externe et les moyens de légalité interne. Parmi les premiers, l’on trouve, le vice de compétence, le vice de procédure et le vice de forme. Quant aux moyens de légalité interne, ils peuvent concerner le but de la décision, c’est le détournement de pouvoir, son objet, c’est l’hypothèse de la violation directe de la loi, ou ses motifs de droit et de fait. S’agissant des motifs de fait, l’on distingue le contrôle de l’exactitude matérielle des faits et le celui de la qualification juridiques des faits. Le premier est contrôlé quelle que soit la nature du pouvoir détenu par l’Administration, alors que le second ne fait l’objet d’un contrôle que dans l’hypothèse d’une compétence liée. En revanche, face au pouvoir discrétionnaire, le juge administratif ne contrôle pas la qualification juridique des faits, mais opère à la place un contrôle minimum limité à l’erreur manifeste d’appréciation, ainsi qu’un contrôle maximum dit du bilan couts-avantages.

Avant de commencer, quelques remarques doivent être faites. D’abord, la distinction entre légalité externe et légalité interne revêt une certaine importance du point de vue de la possibilité de soulever de nouveaux moyens une fois le délai de recours contentieux expiré. En effet, passé ce délai, le requérant ne pourra invoquer des moyens se rattachant à une cause juridique qu’il n’aurait pas défendu avant l’expiration du délai : par exemple, s’il ne soulève aucun moyen de légalité externe, il ne pourra invoquer aucun moyen de cette nature une fois le délai de recours contentieux expiré. En revanche, si le justiciable soulève un moyen de légalité externe à l’appui de son recours, il pourra invoquer, hors délais, tous les autres. Il en va de même en matière de légalité interne. D’où l’intérêt de soulever dans son mémoire introductif au moins un moyen de légalité externe et un de légalité interne.

Doit, pour terminer sur ces remarques préalables, être abordé le cas des moyens d’ordre public. Ces derniers correspondent aux moyens que le requérant peut soulever même après l’expiration du délai de recours contentieux ou, pour la première fois, en appel. Par ailleurs, ces moyens doivent être soulevés d’office par le juge. Au titre des moyens d’ordre public, l’on trouve : l’incompétence, la méconnaissance du champ d’application de la loi, la rétroactivité d’une disposition règlementaire, et la violation de l’autorité absolue de la chose jugée. Depuis 1992, lorsque le juge relève d’office un tel moyen, il doit respecter une procédure contradictoire en communiquant aux parties, avant la séance de jugement, les moyens qu’il entend relever d’office et en leur fixant un délai pour présenter des observations.

Ces précisions étant faites, il est possible d’étudier les moyens de légalité externe (I), les moyens de légalité interne communs aux pouvoirs discrétionnaire et à la compétence liée (II), et, enfin, la variabilité du contrôle du juge administratif en fonction des pouvoirs exercés par l’Administration lorsqu’il s’agit de la question de la qualification juridique des faits (III).

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I – Les moyens de légalité

externe

Lorsqu’il est question de la légalité externe d’un acte, trois moyens peuvent être soulevés : le vice de compétence, le vice de procédure et le vice forme.

Le vice de compétence

Ce moyen, le premier à être apparu, est un moyen d’ordre public qui peut être soulevé par les parties à toute étape de la procédure et doit être relevé d’office par la juge administratif. Il signifie que l’autorité qui a pris la décision n’était pas habilitée pour la prendre : aucune régularisation n’étant possible, si l’Administration veut maintenir sa position, il faut qu’une nouvelle décision soit prise, cette fois-ci, par l’autorité compétente. Ce vice de compétence est la plupart du temps positif, c’est-à-dire qu’une autorité prend une décision sans en avoir la compétence. Mais, il peut être négatif : c’est l’hypothèse ou l’Administration refuse de prendre une décision, alors qu’elle en a pourtant la compétence.

Trois types de vice de compétence peuvent être distingués. Le premier est le plus fréquent, il s’agit de l’incompétence matérielle (ratione materiae) : une autorité décide pour des affaires étrangères à ses attributions ; en d’autres termes, la question relevait de la compétence d’une autre autorité. Deuxième type de vice de compétence, l’incompétence temporelle (ratione temporis) : une autorité prend une décision à un moment ou elle n’en avait plus ou pas encore le pouvoir ; c’est par exemple le cas d’un maire qui prend un arrêté municipal après l’expiration de son mandat électif. Enfin, peut se rencontrer l’incompétence territoriale (ratione loci) : ici, une autorité administrative intervient en dehors de sa circonscription géographique de compétence.

Deux remarques doivent être faites avant de terminer. D’abord, il faut noter que le Conseil d’Etat considère que le défaut de consultation lorsque l’avis conforme est obligatoire relève non du vice de procédure, mais du vice de compétence : ainsi, en va-t-il du défaut de consultation du juge administratif suprême en cas de décrets en Conseil d’Etat. Enfin, il faut aussi savoir que des incompétences peuvent naitre de la violation du principe du parallélisme des compétences, principe qui signifie que, dans le silence des textes, l’autorité qui a édicté la décision est aussi celle qui est compétente pour sa modification, son abrogation ou son retrait : par exemple, seul le ministre est compétent pour abroger l’arrêté ministériel qu’il a pris.

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Le vice de procédure

Le vice de procédure est l’un des plus anciens cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir et concerne le processus d’élaboration de la décision. Il vise à sanctionner l’Administration lorsqu’elle ne respecte pas une formalité préalable à l’adoption d’un acte administratif, formalité destinée soit à éclairer l’auteur de l’acte, soit à apporter des garanties aux administrés : à titre d’exemple, peuvent être citées les consultations préalables, les enquêtes ou encore les formalités de publicité. Mais, ce qu’il faut bien comprendre est que tous les vices de procédures n’entrainent pas automatiquement l’annulation d’un acte. En effet, le juge administratif veut éviter un excès de formalisme nuisible à l’action administrative : il utilise donc une grille d’analyse qui lui permet de distinguer au sein de l’ensemble des formalités celles dont l’omission entrainera l’annulation de l’acte. Par le passé, ce choix se faisait au travers de la distinction formalité substantielle / formalité non substantielle. Bien que simple en apparence, cette grille de lecture était d’une application assez complexe. Par ailleurs, les solutions retenues par le juge administratif était empreintes d’une certaine sévérité. C’est pour changer cette situation que le législateur est intervenu, mais le Conseil d’Etat a préféré renouveler la question en posant sa propre méthode d’analyse avec l’arrêt Danthony. Dès lors, il convient de distinguer l’état du droit antérieur à ce dernier arrêt et l’état du droit qui en résulte.

1 / Par le passé, le vice de procédure n’entrainait l’annulation d’un acte que dans l’hypothèse ou la formalité était substantielle. Cette condition était remplie lorsque la règle de procédure était soit de nature à influencer le contenu même de la décision, soit destinée à garantir les droits et intérêts des administrés. Dans tous les autres cas, la formalité était dite accessoire et son non-respect n’avait pas de conséquences sur la légalité de la mesure. Le but de cette distinction était de ne pas faire peser sur l’Administration un formalisme excessif de nature à nuire à l’efficacité de son action. Bien que simple en apparence, cette jurisprudence était insatisfaisante tant par sa complexité d’application que par l’excessive sévérité qui se dégageait des solutions du juge administratif.

2 / Il faut d’abord noter que le renouveau de l’appréciation du vice de procédure devrait normalement résulter de la loi : en effet, le législateur a tenté de rationnaliser cette question avec l’article 70 de la loi du 17 Mai 2011, l’objectif étant aussi de remédier à la sévérité des solutions du juge administratif. Pourtant, le Conseil d’Etat a préféré poser ses propres principes en considérant que ledit article ne faisait que reprendre des principes jurisprudentiels. C’est donc dans l’arrêt d’assemblée du 23 Décembre 2011Danthony qu’il faut rechercher la nouvelle grille de lecture en la matière. Avec cette décision, le juge administratif suprême s’éloigne des solutions posées par le législateur en maintenant une certaine sévérité dans l’appréciation des vices de procédure. Deux vices de procédure sont, ainsi, consacrés.

Le premier est le vice de procédure du fait d’une consultation irrégulièrement réalisée, que la consultation soit obligatoire ou facultative. L’irrégularité dans l’accomplissement de la procédure ne conduira à l’annulation que dans deux cas. Il en ira, d’abord, ainsi dans l’hypothèse ou cette irrégularité a pu avoir une influence sur le sens de la décision prise : c’est une position stricte qui est retenue, puisque ce n’est que s’il est certain que la formalité n’a eu aucune incidence sur l’acte adopté que la demande d’annulation sera rejetée. A l’inverse, en cas de doute, l’acte sera annulé. La seconde hypothèse est celle ou l’irrégularité a privé les administrés d’une garantie. L’on retrouve là les exigences tenant au principe général des droits de la défense dont bénéficient les administrés avant la prise de certaines décisions. Concrètement, ce vice de procédure ne pourra être invoqué qu’en cas de privation réelle des administrés d’une garantie. Ces deux critères sont indépendants, mais, dans son analyse, le juge commencera par rechercher l’influence du vice de procédure sur le sens de la décision prise, et, dans la négative, recherchera l’éventuelle privation d’une garantie.

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Le second est le vice de procédure du fait de l’omission d’une consultation obligatoire. Il faut ici distinguer selon que l’omission a ou non privé les intéressés d’une garantie. Dans la première hypothèse, le vice de procédure entraine l’annulation de l’acte final. Il n’y a pas lieu de rechercher l’influence concrète de la méconnaissance de la garantie procédurale sur le sens des décisions prises. En effet, la seule privation d’une garantie résultant de l’omission d’une consultation obligatoire suffit à annuler l’acte final. Dans le cas ou l’omission d’une consultation obligatoire n’a pas privé les intéressés d’une garantie, il y a présomption d’illégalité. Mais, à la différence du passé, cette présomption peut être renversée. Il peut en être ainsi lorsqu’il était matériellement impossible de procéder à la consultation requise. Mais, cela sera plus fréquemment le cas lorsque l’omission n’a pas été susceptible, en l’espèce, d’avoir une influence sur le contenu de l’acte pris. L’on peut noter que ce type de contrôle est marqué par une grande subjectivité du fait qu’il oblige le juge administratif à dégager virtuellement le sentiment de l’autorité administrative si la consultation avait eu lieu.

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Le vice de forme

Le vice de forme concerne la présentation extérieure de l’acte. Il peut s’agir d’irrégularités concernant la signature, le contreseing ou encore la motivation. Il y aura, alors, vice en cas d’omission d’une forme obligatoire ou en cas de dénaturation d’une forme bien présente mais irrégulière. Cette dernière hypothèse correspond, par exemple, à la situation ou la décision, bien que motivée en apparence, ne l’est effectivement pas si l’on analyse concrètement le contenu de celle-ci.

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II – Les moyens de légalité

interne communs au pouvoir

discrétionnaire et à la

compétence liée

Ces moyens peuvent concerner le but de la décision, c’est l’hypothèse du détournement de pouvoir, son objet, c’est ce que l’on appelle la violation directe de la loi, ou encore ses motifs de droit ou de fait.

Le détournement de pouvoir

Ici, le juge administratif s’intéresse au but que l’autorité administrative a réellement poursuivi en prenant la décision litigieuse. Il y aura, alors, détournement de pouvoir lorsque l’Administration a usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui avaient été confiés. Ce moyen, consacré à la fin du XIX° siècle (CE, 26/11/1875, Pariset et Laumonnier-Carriol), est d’un maniement délicat pour le juge administratif dans la mesure où il implique d’apprécier les intentions de l’auteur de l’acte, c’est-à-dire des données subjectives.

Deux types de détournement de pouvoir existent. Le premier est l’accomplissement d’un acte an raison de préoccupations d’ordre privé, qu’il s’agisse de favoriser un intérêt personnel ou celui de personnes proches : c’est le cas, par exemple, de la décision d’un maire de licencier un agent communal pour avoir dressé un procès-verbal à l’un de ses proches. La seconde hypothèse est celle la mesure prise l’a été en vue d’un intérêt public, mais qui n’est pas celui pour lequel les pouvoirs ont été confiés à l’autorité administrative : tel est le cas par exemple des pouvoirs de police administrative utilisés dans un but autre que la sauvegarde de l’ordre public. Quant à la poursuite d’un but caractérisé par l’intérêt financier, la jurisprudence administrative se montre plus souple que par le passé, celui-ci pouvant être complémentaire d’autres intérêts publics.

Doit enfin être noté une variante du détournement de pouvoir consistant dans le détournement de procédure : ici, l’Administration utilise une procédure autre que celle qu’elle aurait du utiliser afin de parvenir plus aisément à ses fins : tel est le cas de la décision de supprimer un emploi pour pouvoir licencier un agent public au lieu d’engager un contentieux disciplinaire de révocation.

Au final, l’on peut noter que ce moyen est fréquemment invoqué par les requérants, ces derniers créditant facilement l’Administration de mauvaises intentions. Pour autant, le juge n’accueille ce type d’arguments que peu fréquemment. En effet, il préfère, en matière de légalité interne, se baser sur des données objectives que révèlent tant le contrôle du contenu de l’acte que celui de ses motifs, plutôt que d’appuyer son raisonnement sur une démarche qui est forcément subjective.

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La violation directe de la loi

La violation directe de la loi concerne l’hypothèse ou le contenu de la norme édictée n’est pas conforme aux normes supérieures. Il y a donc méconnaissance par l’acte litigieux des normes qui s’imposent à lui, qu’il s’agisse de la Constitution, des normes internationales, de la loi ou encore de la jurisprudence. Pour être caractérisée, le juge doit comparer le contenu de l’acte administratif contesté avec l’ensemble des normes supérieures.

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Les motifs de droit : l’erreur de droit

Ici, ce ne sont pas l’objet de la mesure litigieuse, ni son but qui sont en cause ; ce sont des motifs, à savoir ses fondements, et plus précisément ses motifs de droit. Il existe trois variantes de l’erreur de droit. Le premier est celui ou l’acte manque de base légale : cela signifie que le texte sur lequel se base l’acte en cause est inexistant, parce que non entré en vigueur par exemple, ou inapplicable, parce qu’il a, par exemple, été abrogé. La seconde hypothèse d’erreur de droit est celle ou l’acte se fonde sur une norme qui est elle-même irrégulière : par exemple, un décret qui prend pour base légale une loi contraire à un traité international. Il s’agit là de la mise en œuvre de ce que l’on appelle l’exception d’illégalité. Dernière hypothèse, l’acte édicté se rattache à une norme inexactement interprétée.

En présence d’un manque de base légale, le juge administratif peut annuler la décision, mais il peut aussi, si la décision est légale par ailleurs, procéder à une substitution de base légale : en d’autres termes, le juge remplace la mauvaise base légale par celle qui est de nature à fonder la décision prise. Mais, cette substitution n’est possible que si l’intéressé a disposé des garanties dont est assortie l’application du texte servant au final de base légale par substitution. Par ailleurs, les parties doivent, au préalable, être mises à même de présenter des observations.

Enfin, il faut noter la jurisprudence Hallal du 6 Février 2004 du Conseil d’Etat reconnaissant à l’Administration qui s’est fondée sur un motif erroné le pouvoir d’invoquer, en première instance comme en appel, un autre motif devant le juge afin de justifier sa décision. Cette jurisprudence concerne tout autant les motifs de droit que les motifs de fait. Il faut que le nouveau motif soit de nature à justifier la décision. Par ailleurs, il faut, là encore, que la substitution ne prive pas l’intéressé d’une garantie essentielle. Et, le juge recherche si l’Administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce nouveau motif.

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Un motif de fait : l’inexactitude matérielle des faits

Ici encore, ce sont les fondements de la décision qui sont en cause, et plus précisément les fondements factuels. En la matière, deux moyens peuvent être invoqués : l’erreur dans la qualification juridique des faits et l’inexactitude matérielle des faits. Si le contrôle du premier moyen n’est possible qu’en cas de compétence liée, celui de l’exactitude matérielle des faits est, en revanche, opéré quelle que soit la nature du pouvoir exercé par l’Administration. Ce dernier moyen a été reconnu par le Conseil d’Etat dans son arrêt Camino du 14 Janvier 1916 : dans cette affaire, un maire avait été révoqué par décret au motif qu’il n’avait pas veillé à la décence d’un convoi funèbre ; après examen des pièces versées au dossier, le juge constate l’inexactitude matérielle de ces faits. Rappelons, enfin, qu’en cassation, si le Conseil d’Etat peut contrôler l’exactitude matérielle des faits, il ne peut, sauf dénaturation, contrôler l’appréciation des faits opérée par le juge du fond.

Tous les moyens de légalité externe et interne précédemment examinés sont contrôlés par le juge quel que soit la nature du pouvoir de l’Administration. En revanche, lorsque l’on aborde la question de la qualification juridique des faits, le contrôle opéré par le juge administratif varie selon que l’Administration use d’une compétence liée ou d’un pouvoir discrétionnaire, allant d’un contrôle normal à un contrôle restreint ou maximum.

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III – Les degrés de contrôle du

juge administratif : la distinction

compétence liée / pouvoir

discrétionnaire

C’est à propos du moyen tenant à la question de la qualification juridique des faits que le contrôle du juge administratif varie selon la nature du pouvoir exercé par l’Administration. En effet, dans le cadre d’une compétence liée, le juge contrôle ce type de moyen dans la mesure où les textes sont suffisamment précis pour pouvoir vérifier si l’Administration a correctement qualifié les faits. En revanche, face au pouvoir discrétionnaire, les textes laissent une marge d’appréciation trop importante à l’Administration pour qu’un contrôle de la qualification juridique des faits soit intellectuellement possible. Mais, pour éviter de laisser trop de liberté à l’Administration en pareille hypothèse, le juge administratif a progressivement élaboré deux types de contrôle, qui se substituent, ainsi, au contrôle de la qualification juridique des faits : il s’agit du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, dit contrôle restreint, et du contrôle du bilan couts-avantages de la décision, dit contrôle maximum.

Les deux types de pouvoirs de l’Administration

L’Administration agit tantôt en compétence liée, tantôt dans le cadre d’un pouvoir discrétionnaire. Cette distinction renvoie aux possibilités d’action offerte par le droit à l’Administration.

1 / Dans l’hypothèse d’une compétence liée, le droit impose deux obligations à l’Administration : d’une part agir ou ne pas agir, d’autre part, si elle doit agir, d’agir d’une certaine façon. Ainsi face à une situation de fait déterminée, le droit impose à l’Administration d’avoir un certain comportement. Elle n’a aucune possibilité de choix dans la mesure où le texte encadrant son action est précis. Par exemple, la loi énumère les conditions auxquelles les permis de chasse doivent être délivrés. Si le postulant réunit les conditions posées par la loi, l’Administration ne peut que lui donner satisfaction. Les choses sont toutes autres dans le cadre d’un pouvoir discrétionnaire.

2 / En matière de pouvoir discrétionnaire, le droit laisse à l’Administration un libre pouvoir d’appréciation pour décider si elle doit agir ou ne pas agir, et, si elle agit, pour déterminer elle-même le sens de sa décision. Sa conduite n’est donc pas dictée à l’avance par le droit, celui-ci ne fixant que des règles d’un haut degré de généralité. C’est l’Administration qui fixe ici librement, face à une situation de fait déterminée, son attitude. Alors qu’en compétence liée, c’est le droit qui détermine son attitude. Par exemple, l’Administration détient un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou refuser, lorsqu’un particulier en fait la demande, l’autorisation d’occuper à titre privatif une portion du domaine public, pour y installer une terrasse de café par exemple. Dans ce cas, c’est elle seule qui choisit la décision à prendre. Ce pouvoir se justifie par l’impossibilité pour le législateur et le juge de déterminer à l’avance le sens des décisions à prendre dans de multiples hypothèses. Il est nécessaire

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de laisser à l’Administration une certaine marge de manœuvre afin qu’elle prenne les décisions les plus opportunes possibles.

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Le contrôle de la qualification juridique des faits : un

contrôle uniquement possible en compétence liée

Ce contrôle est apparu avec l’arrêt Gomel du Conseil d’Etat du 4 Avril 1914 et se manifeste dans les arrêts par la formule « ces faits sont de nature à justifier juridiquement la décision ». Cette formule n’étant pas explicite, il faut aller plus loin. L’on peut, alors, définir la qualification juridique des faits comme l’opération intellectuelle qui consiste à ranger des faits existant dans une catégorie juridique préétablie, pour leur appliquer des conséquences de droit. L’on est donc en présence de trois éléments : des faits, une catégorie juridique (ou condition) et des conséquences juridiques c’est-à-dire une décision juridique déterminée. Il faut donc se demander si les faits rentrent dans la catégorie juridique en cause pour savoir s’il faut appliquer les conséquences juridiques prévues par les textes. Par conséquent, pour que le juge administratif puisse contrôler si la qualification juridique des faits a été correctement opérée, encore faut-il que le droit précise la catégorie ou qu’il énonce les conditions d’exercice du pouvoir pour qu’il puisse ainsi s’y référer.

Or, le juge ne dispose de ces outils qu’en compétence liée. En effet, en pareille hypothèse, le droit détermine les conditions dans lesquelles l’Administration peut et doit agir, à charge pour l’Administration de se demander si la situation à laquelle elle est confrontée y correspond et ainsi prendre ou pas la décision prévue. Au juge, ensuite, de contrôler si l’Administration n’a pas commise d’erreur dans cette opération, c’est-à-dire n’a pas mal qualifié les faits. Par exemple, l’Administration ne peut prendre à l’encontre d’un fonctionnaire une sanction qu’en cas de faute de ce dernier. Le juge devra donc vérifier si les faits invoqués peuvent être qualifiés de faute, autrement dit rentrent dans la catégorie juridique « faute ». Ici, le contrôle de la qualification juridique des faits est donc possible parce que le droit détermine, à l’avance, des normes juridiques de référence suffisamment précises auxquelles comparer les faits.

En revanche, face au pouvoir discrétionnaire, le juge administratif ne peut pas opérer ce contrôle dans la mesure ou le droit ne détermine aucune catégorie ou conditions pour l’exercice du pouvoir de l’Administration. Elle est libre de décider en opportunité. Par conséquent, il n’existe aucune norme de référence, ou aucune catégorie, à laquelle il puisse comparer les faits. Autrement dit, il ne peut pas vérifier si les conditions posées à la prise de la décision étaient ben remplies, puisque ces conditions n’existent pas. Le contrôle de la qualification juridique des faits est donc logiquement, intrinsèquement impossible.

Dès lors, pour éviter que le pouvoir discrétionnaire se transforme en pouvoir arbitraire, le juge administratif a élaboré deux techniques de contrôle : l’erreur manifeste d’appréciation (EMA) et le contrôle de proportionnalité, dit contrôle du bilan.

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Le contrôle minimum : l’erreur manifeste d’appréciation

Il s’agit pour le juge administratif d’apprécier les faits à la base de la décision. L’EMA peut se définir comme une erreur grossière, flagrante, repérable par le simple bon sens, qui « saute aux yeux », et qui entraîne une solution choquante dans l’appréciation des faits par l’autorité administrative. Autrement dit, il ne doit pas y avoir une disproportion manifeste entre la décision et les faits qui l’ont provoquée. Le juge administratif impose par là un minimum de logique et de bon sens à l’Administration. Cette technique a l’avantage de préserver le pouvoir discrétionnaire dans la mesure où une simple erreur ne suffit pas, et de garantir les droits des individus, puisque l’Administration sera sanctionnée si elle commet une erreur grossière.

L’EMA est apparue dans les années soixante avec des arrêts anodins comme l’arrêt Lagrange en matière d’équivalence d’emplois publics (CE, sect., 15/02/1961), ou encore l’arrêt Ministre de l’agriculture contre consorts Bruand (CE, 19/04/1961). Il n’y a pas d’arrêt de principe en la matière. Il n’est pas possible de dresser un tableau complet des différentes solutions jurisprudentielles. Mais, l’on peut délimiter quelques grands domaines où intervient l’erreur manifeste d’appréciation. Ainsi, le juge contrôle l’EMA en matière d’urbanisme, d’interventionnisme économique, ou encore s’agissant de la notation des fonctionnaires, de la nomination au tour extérieur, et de l’appréciation du choix d’une sanction disciplinaire par rapport à la gravité de la faute du fonctionnaire (CE, sect., 9/06/1978, Lebon). Notons, enfin, que le contrôle du juge peut évoluer, passant d’un contrôle restreint à un contrôle normal, notamment parce que les textes deviennent plus précis : ainsi, en va-t-il du contrôle des mesures d’interdiction concernant les publications étrangères.

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Le contrôle maximum ou contrôle de proportionnalité : la

théorie du bilan couts-avantages

Ici, le juge administratif compare les avantages et les inconvénients d’une décision administrative. Si le bilan est positif, c’est-à-dire si les avantages l’emportent sur les inconvénients, la décision est légale. Et si le bilan est négatif, la décision est illégale. Ce contrôle est né en matière de déclaration d’utilité publique c’est-à-dire de décision affirmant que l’expropriation d’un immeuble est d’utilité publique : CE, ass., 28/05/1971, Fédération des personnes concernées par le projet « Ville nouvelle Est ». Puis, il a été étendu à d’autres domaines : dérogation aux règles d’urbanisme, décision d’expulsion et de reconduite à la frontière des étrangers (CE, ass., 19/04/1991, Belgacem et Babas). Le contrôle de proportionnalité des mesures de police administrative mis en place par l’arrêt Benjamin en est aussi une autre illustration.

Concrètement, ce contrôle se fait en trois étapes. Le juge administratif vérifie d’abord que l’opération en cause est justifiée par un intérêt public. Si elle ne l’est pas, le contrôle s’arrête là, et la mesure est annulée. Ensuite, il vérifie que l’opération est bien nécessaire, qu’on ne peut pas faire autrement. Et, pour terminer, il se demande si cette décision ne va pas entraîner des inconvénients excessifs par rapport à l’intérêt qu’elle présente. Pour cela, il dispose d’une grille de lecture de quatre types d’inconvénients : atteinte à la propriété privée, coût financier, coût social de l’opération, atteinte à d’autres intérêts publics.

Le juge administratif fait un usage modéré de cette théorie. En effet, il censure des projets de faible ou moyenne importance et non des opérations de grandes envergures. Par ailleurs, il répugne à appliquer ce contrôle à des opérations sensibles, telles que le tracé des autoroutes ou celui des lignes SNCF.

Au final, le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation et celui du bilan couts-avantages conduisent le juge administratif « aux confins de l’opportunité », ce qui aurait pu provoquer de la part de l’Administration une réaction de défense. Mais, il n’en fut rien, le juge sachant très bien les limites à ne pas dépasser. On observe la même attitude du coté des autorités administratives : en effet, ces deux techniques de contrôle ont un effet préventif qui les conduit, par crainte des risques de censure, à présenter une décision équilibrée.