Le renvoi et la classification des infractions d’agression sexuelle

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  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    1/38

    rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.rudit offre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

    Pour communiquer avec les responsables d'rudit : [email protected]

    Article

    Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle Julian Roberts et Alvaro PiresCriminologie, vol. 25, n 1, 1992, p. 27-63.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/017314ar

    DOI: 10.7202/017314arNote : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.

    Ce document est protg par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'rudit (y compris la reproduction) est assujettie sa politique

    d'utilisation que vous pouvez consulter l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html

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  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

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    LE RENVOI ET LA CLA SSIFICAT ION DES INFRACT IONS

    D ' A G R E S S I O N S E X U E L L E

    1

    Julian R oberts

    2

    et Alvaro P. Pire s

    3

    This study is a theoretical and empirical analysis of the new

    tripartite structure of sexual offences created by the Criminal

    code reform of 1983 in Canada (Bill C-127). The authors

    analyze the reform proposals advanced by the Law Reform

    Com mission as well as the data on reports of sexual assault in

    Quebec and Canada as a whole. In addition, the authors ex-

    plore the actual classification practices of the criminal justice

    system and some of the new symbolic effects of the legisla-

    tion.

    Il y a un grand nombre de questions importantes pour les femmes

    concernant la rforme du systme pnal. Ces questions concernent aussi

    bien les femmes victimes que les femmes justiciables. Cependant, de-

    puis les annes 1970, on a particulirement vis les infractions d'agres-

    sion sexuelle en raison peut-tre de leur signification dans le cadre des

    rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes. Dans cette tude,

    nous ferons une analyse thorique et empirique de quelques aspects de

    la rforme lgislative de 1983 au Canada concernant les agressions

    sexuelles.

    Cette tude vise plus spcifiquement attirer l'attention sur deux

    aspects de cette norme question. D'une part, nous voulons prsenter et

    discuter quelques donnes rcentes sur le taux de renvoi en matire

    d'agression sexuelle et, d'autre part, nous voulons analyser la nouvelle

    structure tripartite d'infractions cre par la rforme de 1983. Du mme

    coup,

    no us voulons aussi rappeler quelques ambivalences qui ont carac-

    tris les divers discours et propositions de rforme. Ces ambivalences

    refltent les reprsentations divergentes que l'on se fait de la valeur

    symbolique et des effets pratiques du droit criminel dans la rsolution

    1.

    No us remercions le ministre du Solliciteur gnral du Canada pour le soutien

    financier apport ce projet. Nous remercions aussi la section de recherche du ministre d e

    la Justic e du Canada pour nous avoir facilit l'ac cs aux donnes et documen ts nces saires.

    Enfin, nous voulons aussi remercier les lecteurs anonymes pour leurs suggestions la

    prem ire version de cette tude.

    2. Professeur, dpartement de crimin olog ie, Un iversit d'Otta wa , Pavillon Tab aret,

    Ottawa (Ontario), K IN 6 N5 .

    3.

    Directeur, dpartement de crimin olog ie, Univ ersit d'Otta wa , Pavillon Tabaret,

    Ottawa (Ontario), K IN 6 N5.

    Criminologie, XXV, 1, 1992

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    3/38

    28 CRIMINOLOGIE

    des problmes sociaux. Elles relvent aussi d'un dilemme de fond

    concernant laplace que chaque personne ou groupe juge devoir accor-

    der au droit criminel dans le cadre d'une rponse ces problmes et

    concernant le type de droit (criminel) que l'on souhaite avoir (plus

    rpressif ou plus ax sur la modration, etc.).

    1.

    LES NOUVELLES INFRACTIONS D'AGRESSION SEXUELLE

    Nous ne pouvons pas donner ici une vue gnrale de la rforme de

    1983.Qu 'il suffise de dire, pour notre p ropos, que le projet de loi C-127

    a modifi, entre autres choses, diffrentes infractions sexuelles du

    Code

    criminel du Canada. Les principaux enjeux autour de cette rforme ont

    dj fait l'objet d'un nombre considrable d'tudes, grce notamment

    aux recherches fministes (Cohen et Backhouse, 1980 ; Pickard, 1980 ;

    Macdonald, 1982a ; 1982b ; Chase, 1983 ; Boyle, 1984 ; 1985 ; Hinch,

    1985 ; 1988 ; Snider, 1985 ; Boyd et Sheehy, 1986 ; Ren ne ret Sahjpaul,

    1986 ; Dawso n, 1987 ; M inch, Linden et John son, 1987 ; Sheehy, 1987 ;

    Los, 1990a ; 1990b). Rappelons que la rforme canadienne s'inscrit

    dans le cadre d'un mouvement de porte internationale qui a pris forme

    tant dans les pays du

    common law

    que dans les pays suivant la tradition

    du droit romain. Nous nous limiterons rappeler quelques grandes

    lignes de cette rforme en ce qui concerne spcifiquement quatre (an-

    ciennes) infractions: les deux variantes de l 'attentat la pudeur

    (art. 149 et 156), la tentative de viol (art. 145) et le viol (art. 143 et

    144).

    Les quatre infractions ci-haut mentionnes ont t remplaces par

    t rois nouvel les infract ions: ( i ) l 'agression sexuel le (ar t . 271);

    (ii) l'agression sexuelle arme, avec menaces une tierce personne ou

    avec infliction de lsions corporelles ; (iii) l'agression sexuelle grave.

    Le tableau 1 prsente un rsum des infractions avant et aprs la r-

    forme de 1983.

    Il faut garder l'esprit qu'il n'y a pas proprement parler de

    correspondance juridique directe entre les comportements incrimins

    par chacune des quatre infractions abolies et ceux incrimins par cha-

    cune des trois nouvelles infractions. En effet, les comportements sont

    distribus diffremment dans ces nouvelles infractions. Ainsi, un com-

    portement qui aurait t class comme viol avant la rforme de 1983

    peut tre class dans une des trois nouvelles infractions d'agression

    sexuelle selon les circonstances de l'vnement (et les pratiques judi-

    ciaires). Cela veut dire que l'on ne peut pas supposer, par exemple, que

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

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    LE RENV OI ET LA CLASSIFICATION DE S INFRACTION S

    29

    Tableau 1

    Com paraison entre quelques infractions sexuelles avant et aprs la rforme de 1983

    Degrs de

    gravit [du

    moins au

    plus grave]

    (I )

    (II)

    (III)

    Types d'infractions et peines Types d'infractions et peines

    maxim ales antrieures la rforme maxim ales postrieures la

    de

    ATTENTAT

    LA PUDEUR

    D'UNE

    PERSONNE DU

    SEXE FMININ

    [art. 149(1)]

    PEINE

    MAXIMALE :

    5 ans

    TENTATIVE DE

    VIOL

    [art. 145]

    PEINE

    MAXIMALE :

    10 ans

    VIOL [art. 143]

    PEINE

    MAXIMALE :

    perptuit

    1983 rforme de 1983

    ATTENTAT

    LA PUDEUR

    D'UNE

    PERSONNE DU

    SEXE

    MASCULIN

    [art. 156]

    ARTICLES ABROGS EN 1983

    PEINE

    MAXIMALE :

    10 ans

    (I)

    (II)

    III

    ARTICLES INEXISTANTS

    AVANT 1983

    AGRESSIONS SEXUELLE

    [art. 271 (1)]

    PEINE MAXIMALE :

    A) 2 000 dollars et/ou 6 mois ;

    B) 10 ans

    AGRESSION SEXUELLE

    (arme/menaces une tierce

    personne/lsions corporelles)

    [art. 272]

    PEINE MAXIMALE : 14 ans

    AGRESSION SEXUELLE

    GRAVE (blesse / mutile /

    dfigure / met la vie en danger)

    PEINE MAXIMALE : perptuit

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    5/38

    30 CRIMINOLOGIE

    l'infraction de viol (avant 1983) et l'infraction d'agression sexuelle

    grave (aprs 1983) comprennent,

    du point de vue juridique,

    un ensem-

    ble comparable de comportem ents. C ependant, il semble que les deux

    groupes d'infractions (les quatre infractions avant 1983 et les trois

    infractions aprs 1983) gardent une certaine homologie

    dans leur en-

    semble.

    Si les nouvelles infractions rorganisent autrement les diffrentes

    formes de contentieux, il est important cependant de noter qu'elles ont

    conserv, en la rendant encore plus visible, l'ancienne chelle de

    gravit en trois paliers. Pour l'instant, disons qu'avant la rforme

    l'image de l'chelle de gravit ressortait fondamentalement des peines

    maximales. Ainsi, l'infraction d'attentat la pudeur d'une personne du

    sexe fminin correspondait en termes de peine maximale (5 ans) au

    premier palier de l'chelle de gravit (le moins grave ). La tentative

    de viol correspondait au palier intermdiaire (10 ans) et le viol, au

    troisime palier (perptuit). La classification de l'ancienne infraction

    d'attentat la pudeur contre une personne du sexe masculin pose un

    problme particulier. En effet, en termes de dfinition des comporte-

    ments, elle est l'quivalent de l'attentat la pudeur d'une personne du

    sexe fminin et on l'associe au premier palier de gravit. Cependant, la

    peine maximale prvue ici est de 10 ans. Sous cet angle, cette infraction

    correspond plutt au palier in term diaire. En effet, elle cre une r-

    serve de pouvo ir quivalente celle cre par l'infraction de tentative

    de viol (10 ans), apparemment pour compenser le fait qu'elle est la

    seule infraction de ce groupe applicable une victime du sexe mascu-

    lin.

    Sur le plan formel et symbolique du Code criminel, nous pouvons

    donc constater que la rforme de 1983 a modifi et rorganis la struc-

    ture interne de chacun des trois paliers de l'chelle de gravit en fonc-

    tion de

    nouvelles dfinitions

    et de

    nouvelles peines maximales.

    La

    premire catgorie est devenue alors une infraction hybride

    4

    o la peine

    maximale pour l'acte criminel est passe de 5 10 ans ; la deuxime

    catgorie est passe d'un emprisonnement de 10 14 ans; puis on a

    retenu la peine maximale de perptuit pour la troisime. Il n'est pas

    facile de dcoder les raisons, les significations et les consquences

    actuelles et futures de cette modification dans le systme de classifica-

    tion et dans l'apparente lvation du seuil des peines maximales.

    4.

    L'infraction hybride prvo it deux mod es de poursu ite : elle peut tre poursuivie

    soit par voie d'une dclaration sommaire de culpabilit, soit comme un acte criminel.

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    6/38

    LE RENVO I ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 3 1

    2.

    LES PROPOSITIONS DE LA COM MISSION DE RFORME ET

    LE PROJET DE LOI C-127

    La Commission de rforme du droit du Canada, cre en 1971,

    constitue un point important de ce processus de rforme. Nous exami-

    nerons ici ses propositions parce qu'elles ont t, entre autres choses,

    moins discutes dans la littrature et parce qu'elles ont pris la forme

    d'un vritable projet en ce qui concerne la dfinition des infractions et

    le choix des peines maximales. Cependant, pour bien comprendre cer-

    tains aspects de ce projet, il faut le situer dans le sillage des mouve-

    ments fministes la fin des annes 1960 et au dbut des annes 1970

    (Snider, 1985 ; Los, 1990a ; 1990b). Ces m ouvements ont mis alors sur

    le tapis la question de la violence faite aux femmes et ont dnonc les

    biais sexistes que l'on trouvait dans les lois et dans les pratiques de la

    justice. En appliquant aux agressions sexuelles les remarques plus gn-

    rales de Smart (1989, p. 21), on peut dire qu'au dbut les auteures

    fministes se sont concentres sur trois questions majeures : on a criti-

    qu le droit criminel pour avoir exclu les femmes du champ de la

    protection juridique ; on a critiqu les biais sexistes dans la dfinition

    mme du viol et on a critiqu des pratiques spcifiques de la police et

    des tribunaux en cette matire.

    Le document de travail de la C.R.D.C. (1978a) fait tat aussi de

    trois proccupations majeures dont deux au moins ont t souleves par

    le mouvement fministe. Tout d'abord, il affirme que les statistiques

    pnales accusent une augmentation dans le nombre des contentieux

    soumis la justice. La commission remarque que l'on ne peut pas

    savoir s'il

    s'agit

    l d'une augmentation des actes d'agression, d'une

    propension plus grande porter plainte ou d'une conjugaison de ces

    deux facteurs. Quoi qu'il en soit, le message ici est le suivant : il faut

    absolument que le droit criminel s'occupe de ce problme de manire

    plus adquate et conforme nos valeurs ac tuelle s.

    Le deuxime point fut prsent sous une double facette. D'une part,

    on reconnat la ncessit de modifier la dfinition mme de viol et,

    d'autre part, on propose de le considrer comme une varit de voies de

    fait

    pour mettre l'accent sur la dimension de violence et d'atteinte

    l'intgrit de la personne (par voie d'attentat sexuel) plutt que sur

    l'aspect sexuel lui-mme (C.R.D.C, 1978a, pp. 15-18).

    Bref,

    on veut

    considrer le viol comme un acte d'agression avec une dimension

    sexuelle et non pas comme un acte sexuel illgal (p. 23). Ce faisant,

    la commission faisait cho aux revendications de la premire vague

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    7/38

    32 CRIMINOLOGIE

    d'tudes fministes qui voulait d-sexualiser le viol (Griffin, 1971 ;

    Russell , 1975; Clark et Lewis, 1977)

    5

    . Les anciennes infractions

    taient places alors dans la partie IV du

    Code

    intitule infractions

    d'ordre sexuel, actes contraires aux bonnes murs, inconduite. Il

    s'agissait donc de les placer dans la partie appele infractions contre

    la personne et la rputation .

    Enfin, eu gard au troisime point, la commission indiquait claire-

    ment que l'en qu te et le proc s sont devenus des sources grandis-

    santes de proccupation . Le document dplore ici la situation pnible

    de la femme victime de viol devant la justice criminelle.

    La dfinition du viol, quant elle, faisait principalement l'objet de

    deux m odifications. Afin de correspondre une conception plus gali-

    taire du droit, la distinction entre les femmes et les hommes devait

    tre limine (C.R.D.C, 1978a, pp. 16-17). L'agression sexuelle devait

    tre dfinie de manire dsigner tant les femmes que les homm es, sans

    faire la diffrence entre le sexe de la victime et celui de l'agresseur.

    Puis,

    afin d'largir la protection juridique l'gard des femmes, la

    dfinition devait aussi pouvoir s'appliquer la femme marie pour ne

    pas entriner le principe selon lequel le mari aurait des droits sexuels

    sur son pouse sans le consentement de celle-ci (pp. 17-18). Elle devait

    ensuite liminer l'exigence de la pntration du pnis dans le vagin

    com prise dans la dfinition en vigueur l'p oq ue . On voulait ici notam-

    ment inclure les cas de pntration orale ou anale.

    Dans ce document, la commission (1978a) a recommand qu'il y

    ait seulement

    une

    infraction d'agression sexuelle et n'a fait aucune

    recommandation concernant la peine maximale ou la cration d'une

    infraction hy brid e. Pour la com m ission , l ' infraction d 'agression

    sexuelle ne devait tre alors divise ni en fonction de comportements

    diffrents (viol, attentat la pudeur, etc.), ni en fonction d'une chelle

    lgale de gravit

    (agressions sexuelles

    plus ou moins

    graves). Elle a

    cependant propos que le tribunal tienne compte, au niveau de la sen-

    tence, de toutes les circonstances et consquences de la situation, y

    compris la pntration ou la violence.

    Un peu plus tard, dans son rapport au ministre de la Justice, la

    commission (1978b, p. 14) a modifi sa position, suite certaines criti-

    ques,

    et a propos que les infractions de viol, de tentative de viol.

    5.

    Pour une rvision d e ce dbat da ns les crits fministes et par rapport Foucault,

    voir l'excellent article de Bell (1991).

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    8/38

    LE RENVO I ET LA CLASSIFICATION DES INFRACT IONS

    Tableau 2

    Trois propositions de rforme des infractions sexuelles au C anada (1978-1983)

    Premire

    proposition de la

    Deuxime

    proposition de

    Version

    finale du projet

    Commission

    de rforme la

    Commission

    de rforme C-127

    Docum ent de travail

    Rapport

    au ministre de la Rforme de 1983

    (1978a) Justice (1978b)

    Infraction unique

    Attentat sexuel

    Toute personne qui a un

    contact sexuel avec autrui,

    sans son consentement, est

    coupable de l'infraction

    d'attentat sexuel.

    Peine m aximale : non

    propose

    Structure bipartite

    I) Attouchement

    sexuel

    Quiconque, dans un but

    sexuel, touche directement

    ou indirectement une autre

    personne sans le

    consentement de cette

    dernire est coupable :

    a) d'un acte criminel et

    passible d'un emprison-

    nement decinq ans,ou

    b)

    d'une

    infraction punis-

    sable sur dclaration

    sommaire de cu lpabilit.

    [Peine maximale :six mois

    et/ou 2 000 dollars

    d'amende].

    Structure tripartite

    I) Agression sexuelle

    Quiconque commet une

    agression sexuelle est

    coupable :

    a) soit d'un acte criminel

    et passible d'un emprison-

    nement maximal dedix

    ans

    ;b) soit

    d'une

    infraction

    punissable sur dclaration

    de culpabilit par proc-

    dure sommaire. [Peine

    maximale :six mois et/ou

    2 000 dollars d'amende.]

    (A) L'expression contact

    sexuel dans le prsent

    article comprend tout

    attouchement non acci-

    dentel des organes sexuels

    d'autrui ou le fait non

    accidentel pour une per-

    sonne d'en toucher une

    autre avec ses propres

    organes sexuels, etd'une

    faon qui porte atteinte

    la dignit sexuelle de

    cette personne.

    (B) En imposant une

    sentence une personne

    condamne en vertu du

    prsent article, le tribunal

    doit tenir compte de toutes

    les circonstances et cons-

    quences de l'attentat, y

    compris du fait qu'il y a eu

    pntration ou violence.

    II)Agression sexuelle

    Quiconque emploie ou

    menace d'employer la

    violence dans la

    perptration d'un

    attouchement sexuel est

    coupable d'un acte

    criminel et passible d'un

    emprisonnement dedix

    ans.

    II)Agression sexuelle

    arme, menace tierce

    personne ou infliction de

    lsions corporelles

    Est coupable d'un acte

    criminel et passible d'un

    emprisonnement maximal

    dequatorze ans

    quiconque, en commettant

    une agression sexuelle,

    selon le cas :

    a) porte, utilise ou menace

    d'utiliser une arme ou une

    imitation d'arme ;

    b) menace d'infliger des

    lsions corporelles une

    autre personne que le

    plaignant ;

    c) inflige des lsions au

    plaignant ;

    d) participe l'infraction

    avec une autre personne.

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    9/38

    34 CRIMINOLOGIE

    Premire proposition de la Deuxime proposition de Version finale du projet

    Com mission de rforme la Com mission de rforme C-127

    Docum ent de travail Rapport au ministre de la Rforme de 1983

    (1978a) Justice (1978b)

    III) Agression sexuelle

    grave

    Commet une agression

    sexuelle grave quiconque,

    en commettant une

    agression sexuelle, blesse,

    mutile ou dfigure le plai-

    gnant ou met sa vie en

    danger.

    d'attentat la pudeur et de grossire indcence (art. 157) soient abolies

    et remplaces par deux nouvelles infractions : l'infraction d' attouche-

    ment sexuel

    (sexual interference)

    et celle d' agression sexuelle . La

    commission voulait alors souligner, au plan mme de la dfinition de

    l'infrac tion (et non seu lement au plan de la sentence), le caractre

    aggravant du recours la violence (physique). En effet, la commission

    distinguait le simple attouchemen t sexuel non accompagn de vio-

    lence ou de menaces d'un ct ; d'un autre ct l'attentat sexuel accom-

    pagn de violence ou de menaces (p. 15). En outre, elle affirmait que

    cette distinction entre le simple attouchement sexuel et l'agression

    sexuelle

    n'est pas seulement une de degr, mais bien plus une d'es-

    pce

    (p. 15). C'est alors qu'elle a propos aussi pour la premire fois

    que l'infraction d' attouchement sexuel soit une infraction hybride.

    La peine maximale pour la procdure sommaire serait, bien sr, celle

    prvue dans le Code criminel pour ce mode de poursuite (six mois

    d'emp risonnem ent et/ou 2 000 dollars d'amen de) ; pour l'acte criminel,

    la peine maximale propose a t de 5 ans. La deuxime infraction,

    celle d' agression sexuelle, devait tre considre comme un acte

    criminel et tre passible d'un emprisonnement maximal de 10 ans.

    Cette peine maximale de 10 ans propose par la commission refl-

    tait sa proccupation avec le principe de modration mais, en termes

    pratiques, elle n'tait pas proprement parler trs avant-gardiste. En

    effet, comme la structure des peines de notre code date au moins du

    xixe sicle, les peines perptuit sont devenues anachroniques et

    trompeuses, puisqu'elles ne correspondent plus la pratique effective

    des tribunaux (voir C.C.D.P., 1987, pp. 68-70, 214-231). Ainsi, une

    recherche faite Montral nous indique que 96 pour cent des cas

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    10/38

    LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACT IONS 3 5

    d'agression sexuelle que sanctionne une peine d'emprisonnement ont

    une dure de moins de 10 ans, et ce autant avant la rforme (1981 et

    1982) qu'aprs (1984 et 1985) (Baril, Bettez et Viau, 1988, p . 184)

    6

    . On

    peut donc dire que la proposition de la commission actualisait tout

    simplement le code par rapport aux pratiques actuelles. Cependant,

    cette proposition impliquait un choix difficile pour certaines personnes.

    C'est qu'il existe un nombre norme de peines maximales anachroni-

    ques dans le code et l'acceptation de cette proposition provoquerait un

    contraste avec les autres peines. Par exemple, le vol qualifi et l'intro-

    duction par effraction dans une maison d'habitation sont aussi encore

    frapps d'une peine maximale d'emprisonnement perptuit. Si l'on

    modifie alors la peine maximale pour les agressions sexuelles, un

    moment o l'on veut exprimer une rprobation morale l'gard de ces

    situations,

    sans modifier en mme temps

    les autres peines maximales

    dsutes ou aberrantes, le message symbolique de la loi serait, de l'avis

    de certains, ambigu. Voil donc le dilemm e : si l'on tient la cohrence

    ou si l'on insiste sur les effets symboliques supposs de la peine, on

    sacrifie la modration ; si l'on privilgie la modration, on doit faire

    des concessions sur l'importance que nous attribuons la cohrence et

    aux effets symboliques supposs des peines.

    Comme nous pouvons le voir au tableau 1, le projet de loi C-127 a

    modifi considrablement les propositions de la commission. D'abord,

    les recommandations de celle-ci touchant les peines maximales n'ont

    pas survcu au processus de rforme. Les peines ont t clairement

    augmentes par rapport aux propositions qu'a faites la commission.

    Certes, il y a cependant un doute sur la manire d'interprter ces chan-

    gements par rapport aux anciennes peines maximales, particulirement

    celle de l'attentat la pudeur d'une personne du sexe fminin (5 ans).

    Deuximement, on a cr trois niveaux d'infractions au lieu de deux.

    Troisimement, on a dcid de donner la mme appellation d' agres-

    sion sexuelle aux trois infractions et de ne pas faire de dis tinction

    conceptuelle entre ces infractions. L'une des consquences de ce choix

    est que la distinction d'espce entre l'attouchement sexuel et l'agres-

    sion sexuelle disparat sur le plan de la classification et de la clarifica-

    tion juridique des situations. Quatrimement, on dcide de ne pas

    dfinir explicitement la premire infraction d'agression sexuelle (voir

    6. Selon les auteures, la dure des peines d'empriso nnem ent est demeure la mme

    avant et aprs la rforme pour les annes considres. Toutefois, le nombre de sentences

    d'emprisonnement a augment (p. 184).

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    11/38

    36 CRIMINOLOGIE

    tableau 2)

    7

    . L'appellation agression sexuelle au premier niveau

    semble prendre alors une acception plus large et plus vague que celle

    donne par la deuxime proposition de la Commission de rforme. Car,

    premire vue, ce premier niveau peut inclure certaines formes moin-

    dres de violence physique. Le deuxime niveau vaut pour les situations

    o l 'agresseur: ( i) porte, uti l ise ou menace d 'uti l iser une arme;

    (ii) menace d'infliger des lsions corporelles une tierce personne ;

    (iii) inflige des lsions corporelles sa v ictime ; (iv) ou participe

    l 'infraction avec une autre personne. Le troisime niveau, appel

    agression sexuelle grave , s'applique aux cas o l'agresseur

    blesse,

    mutile ou dfigure sa victime ou met sa vie en danger. On peroit alors

    d'emble trois difficults d'interprtation, tout particulirement pour le

    sens commun : celles relies au manque de dfinition du premier ni-

    veau, la notion de lsions corporelles au deuxime niveau (C.R.D.C,

    1984) et la notion de blessure au troisime niveau.

    Voyons sommairement l'exercice que les tribunaux sont appels

    faire. La notion de lsions corporelles est l'un des critres pour

    classifier certaines situations avec une composante de violence physi-

    que dans la deuxime catgorie. L'article 267 (2) du

    Code criminel

    dit

    que cette expression doit dsigner une blessure qui nuit la sant ou

    au bien-tre du plaignant et qui n'est pas de nature passagre ou sans

    importance . Les tribunaux doivent donc sparer la violence physique

    qui appartient au premier niveau des lsions corporelles qui appartien-

    nent au deuxime niveau et ces dernires de la blessure et de la mutila-

    tion qui font partie du troisime niveau. Tout se passe alors comme si

    on avait voulu diviser en trois la violence physique des agressions

    sexuelles, sans lucider les critres de ce partage. L'utilisation d'une

    arme apparat alors comme le seul critre de tout repos dans ce nouveau

    systme de classification. On peut dire que la rforme de 1983 a cr

    une certaine confusion d'interprtation autour de ces trois niveaux d'in-

    fractions.

    Enfin, remarquons aussi que dans l'ensemble on a mis encore plus

    en vidence l'image selon laquelle ces infractions dsignent fondamen-

    talemen t une chelle de gravit . U ne autre confusion s'est glisse

    alors.

    En effet, que mesure cette chelle exactement ? Est-elle une

    chelle de violence physique ou, au contraire, une chelle purement

    7. L'art icle 2 65 (1) et (2) donne une so rte de dfinition gnrale de voies de fait

    et d' agression qui sert de toile de fond, en tre autre s, aux articles 266 (premier niveau de

    voies de fait) et 271 (1 ) (premier niveau d 'agre ssio n sexue lle) o une dfinition explicite fait

    clairement dfaut.

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    12/38

    LE RENV OI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 3 7

    symbolique de rprobation morale ? Autrement dit, quelle est la fonc-

    tion premire de cette chelle ? Doit-elle servir avant tout de guide

    l'intention des juges pour punir plus svrement les situations les plus

    violentes, ou doit-elle servir plutt indiquer grossirement au grand

    public la gravit relative de ces infractions par rapport d'autres ?

    C'est la dernire hypothse qui parat la plus vraisemblable. Car il est

    difficile de supposer qu'en prvoyant une peine aussi leve (10 ans)

    pour le niveau le moins grave, le lgisla teur ait voulu pousser les

    tribunaux augmenter aussi dramatiquement leurs sentences. Il est plus

    ra isonnable de croire que le lgis la teur a i t tout s implement

    voulu exprimer par l l'imp ortan ce sym bolique relative de ces in-

    fractions dans le code actuel. Bien sr, ce choix risque, entre autres

    choses, de crer un quiproquo au niveau des attentes cres par la loi et

    des diffrentes perceptions que l'on peut avoir de ce changement. De

    plus,

    en prvoyant une peine maximale aussi leve pour le premier

    niveau, on donne aux tribunaux la possibilit d'y traiter confortable-

    ment (du point de vue de la dtermination des peines) de la quasi-

    totalit des cas d'agression sexuelle.

    3. QUESTIONS OUVERTES SUR LES AM BIVALENCES DANS

    L'ORIENTATION DE LA RFORME

    II convient maintenant d'indiquer, titre exploratoire, quelques

    tendances contradictoires et ambivalences qui existaient dans les orien-

    tations philosophiques et sociales de la rforme de 1983 par rapport au

    caractre plus ou m oins rpressif ou, au contra ire, plus ou moins

    modr que devrait prendre la nouvelle loi.

    Particulirement dans les documents publis au cours des annes

    1970,

    la Commission de rforme du droit demandait l'adoption d'une

    politique de rforme axe sur le

    principe de la modration

    dans le

    recours aux tribunaux, dans l'imposition des sanctions, voire dans le

    recours au droit criminel tout court comme mthode pour ragir aux

    problmes sociaux. L'orientation philosophiqu e gnrale de la comm is-

    sion tendait alors un droit criminel minimal qui, en principe, n'inter-

    viendrait dans la vie des gens que dans la mesure o cela s'avrerait

    absolument ncessaire. Elle recommandait de restreindre la porte de la

    notion d' infraction criminelle, de rduire le nombre d'infractions,

    de rduire l'chelle globale des peines maximales d'emprisonnement

    prvues par le Code criminel, etc. Elle demandait aussi de rnover le

    langage utilis et de dfinir de faon claire les infractions afin de rendre

    le droit comprhensible et accessible au public en gnral (C.R.D.C.,

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    13/38

    38 CRIMINOLOGIE

    1978a, p. 6), au lieu de donner l'impression que les rgles de droit

    s'adressent principalement au personnel de la justice. Comme nous

    l'avons vu, la peine maximale de 10 ans propose par la commission

    (1978b) pour l'infraction d'agression sexuelle reflte cette proccupa-

    tion avec modration, car elle rduit l'ancienne peine maximale pour

    viol (perptuit). En revanche, la peine de 5 ans pour l'infraction d'at-

    touchement sexuel (sans menace et sans violence physique) parat

    moins marque au coin de la modration. En effet, rappelons que l'an-

    cienne infraction hybride pour voies de fait

    avec lsions corporelles

    (art. 245 (2), C.cr. 1975) avait justement une peine maximale de cinq

    ans.

    Il

    s'agit

    donc d'une peine relativement svre.

    Dans son document de travail, la commission (1978a) a d'abord

    rappel que le droit pnal devrait favoriser au maximum la libert des

    personnes et rduire au minimum l'intervention de l'tat, cause de ses

    effets possibles sur la personne et sur l'tat, en cas d'usage abusif ou

    imm odr (p. 4). Ds lors le recours au dro it pnal comme moyen de

    contrle social est un recours de dernier ressort (p. 4). Elle a soutenu

    que le droit pnal a ses propres limites com me m thode de contrle

    social et qu'il ne doit pas tre envisag comme le seul moyen qu'a

    la socit pour ragir aux problmes sociaux (p. 7). Pour la commis-

    sion, qu'il ait t rigoureux ou clment, le droit pnal n'a jamais

    russi liminer le crime et l'important n'est pas ce que dit la loi,

    mais ce qu 'el le fait aux gens et ce q u'e lle fait pour eux (p. 7). En

    outre, aux yeux de la com mission , le fait de pun ir le dlinquant ne

    comporte aucun ou peu d'avantages pour la victime (p. 7). Ds lors, la

    commission souligne la ncessit de prendre en ligne de compte diff-

    rentes faons de rsoudre ce p roblme : ces solutions de rechange

    n'entre nt pas ncessairement en conflit avec le systme de justice crimi-

    nelle, et peuvent intervenir soit avant, soit en mme temps que le re-

    cours au pro cessus pnal (p. 8). Elle rappe lle que les buts des

    sanctions pnales sont la manifestation d'u ne dsapprobation sociale,

    la rparation du tort caus, la restauration de la paix, de l'ordre et de la

    confiance, et l'application d'un certain degr de contrle, puis elle

    remarque que les sanctions traditionnelles (amende et emprisonnement)

    ne sont pas ncessairement les plus appropries pour certaines infrac-

    tions sexuelles (p. 47). Elle indique ensuite plusieurs problmes qui

    dcoulent du recours l'incarcration .

    Par ailleurs, comme le rappelle Pitch (1985b, p. 257), la violence

    sexuelle venait d'accder au statut de problme social l'initiative

    du mouvement de femmes qui dnonait, juste titre, les biais sexistes

    de la loi et l'exclusion des femmes du champ de la protection juridique.

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    14/38

    LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 39

    II

    y

    avait donc

    des

    demandes

    spc i f iques

    des

    groupes soc iaux

    au sys-

    t me de just ice (Pi tch , 1985 b, p. 257).C o m m e il n ' t a i t pas ques t ion

    d 'une rforme globale du code, toute rforme par t ie l le se heur ta i t a lors

    au problme symbol ique de la compara i son en t re les n o u v e l l e s p e i n e s

    maximales p roposes et l ' anc ienne s t ruc tu re g loba le desp e i n e s .Si l'on

    veu t redonner auxfemmes lap lace quileur revient da nsla s t ruc tu re

    s y m b o l i q u e

    d'un

    vieux code cr iminel , c 'es t --di re

    fa ire l ' g al i t

    sans envisager ,

    cour t

    ou

    long terme,

    une

    mo dif ica t ion

    de

    l ' e n s e m b l e

    de

    la

    logique puni t ive ,

    on

    do it r enon cer

    en

    par t ie

    un

    p la idoyer pour

    la

    m o d r a t i o n , et ce, m m e si l'on ne veu t pas un d u r c i s s e m e n t de la

    r press ion .

    En prsentant le proje t de r f o r m e du m o u v e m e n t de f e m m e s en

    I tal ie , Pi tch (1985a, pp.42-43) r em arque que :

    the Women's Bill does not [...] take into consideration the earlier

    critiques ofthe criminal justice systemashighly selectiveand structural-

    ly unjust. Interviews with

    the

    promoters

    of the

    bill

    on

    this topic reveal

    the following types

    of

    responses

    : (a) we are not

    concerned with harsher

    penalties, that

    is not

    what

    we

    necessarily want

    : we

    want only

    the

    same

    kind of justice which hasbeen given to other victimsfor other crimes ;

    (b) thisisman's justice ,we are notresponsiblefor it : weonly ask for

    it to beapplied consistently, against othermen ; (c) we are not interested

    in thedetailsofthe Bill,wewanta fewprinciples to beestablished, e.g.

    wom en's dignity as people, therecognition of violence tothemas a major

    crime

    and (d) we

    know that

    a

    different

    law

    will

    not

    diminish crimes

    and

    that harsher penalties willnotalter thegeneral picture : theBill,how-

    ever,

    is an

    occasion

    for

    extensive

    and

    public debate

    on

    these topics

    and

    will increase cultural

    and

    political awareness about them.

    Pitch signale alors qu'il est la fois comprhensible et assez para-

    doxal que cette demande sociale de justice ait t formule travers les

    prsupposs du discours dominant traditionnel sur le

    Code criminel

    et

    que cette demande appears to privilege its retributive and symbolic

    aspects, in line with a discourse which tended to be de-emphasized in

    the 1960s and 1970s even within the agencies of social control them-

    selves (Pitch, 1985a, p. 43). Los (1990a ; 1990b) a, quant elle, fait

    une analyse trs fine des dilemmes auxquels les groupes de femmes au

    Canada ont d faire face dans le feu de l'action et compte tenu de l'tat

    prcdent des lois et surtout duprocs en matire de viol. Outre les

    piges poss par le discours juridique lui-mme, ces groupes taient

    confronts aux reprsentations sociales dominantes de la justice crimi-

    nelle. Or, en reprenant les termes de Pitch (1985b, p. 262), ces reprsen-

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    15/38

    40 CRIMINOLOGIE

    tations transforment le dsir de justice en dsir de punition , de

    rtribution . On pntre alors dans un terrain g lissant o l'quation

    crime-droit criminel signifie aussi peine-emprisonnement . Et ce

    terrain est d'autant plus glissant que la rforme du droit vers la fin des

    annes 1970 tendait abandonner l'ide de rducation

    8

    et faisait un

    tournant vers les vises symboliques de la justice criminelle (Pitch,

    1985b, pp. 262-265). Certains voulaient que le droit criminel prenne la

    forme d'une dnonciation caractrise fondamentalement par un mes-

    sage thique de modration ; d'autres voulaient un droit criminel mus-

    cl et marqu par un message clairement rtributiviste ; d'autres encore

    voulaient surtout un droit pnal symboliquement galitaire, dans une

    direction ou dans l'autre. Los constate alors que certains groupes d'int-

    rt des femm es, par rappo rt certaines revendications, ont t

    trapped

    in the same myopie perspective which m ost victim's groups seem to

    adopt : the victimizers were perceived as an enemy to be crushed

    .

    Comme elle le souligne, the desire to put rapists behind bars is more

    than understandable. It does not make it less myopic, however

    (Los,

    1990a, pp. 167-168).Bref, the thinking about crime and punishment

    that permea tes dom inant (man-m ade) images of justice was thus accep-

    ted by these wom en w ho were caught between the escalating fear of

    rape and the paucity of alternative, non-legal avenues for action

    (Los,

    1990a, p. 168).

    Dans ce contexte gnral, il n'est pas tonnant de constater que la

    commission n'a pas chapp non plus certaines ambivalences et ambi-

    guts. Nous allons nous interroger ici sur les raisons pour recomman-

    der la fois la cration d'une infraction bipartite et une infraction

    hybride.

    En apparence, ces recommandations semblent particulirement

    lies au principe de modration, mais en ralit cela n'est pas aussi

    vident. En effet, la commission affirme explicitement, en renvoyant

    l'une de ses recommandations, qu'elle a t dicte par un point de vue

    pratique. Ces recommandations n'taient pas comprises dans le docu-

    ment de travail (1978a) et semblent avoir t ajoutes suite quelques

    critiques faites ce document. Ces critiques visaient, selon toute vrai-

    semblance, faciliter l'intervention du droit criminel (et non le limi-

    ter).

    En effet, l'objectif aurait t d'adapter le systme pnal la

    rception d'un plus grand nombre de situations et d'augmenter le nom-

    8. Le docum ent de travail de la Com mission de rforme du droit a pressenti par

    ailleurs la ncess it d'affirmer la valeur des thrapies externes la prison et mme des

    ordonnances d'hospitalisation pour certains cas relevant de ces infractions.

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    16/38

    LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 4 1

    bre de condamnations en gnral. On redoutait que

    si

    on avait une seule

    infraction et que si la peine pour cette infraction tait trs leve, on

    aurait de la difficult obtenir une condamnation dans les situations

    d'agression juges physiquem ent moins g raves par les reprsenta-

    tions sociales dominantes

    9

    . L'enjeu ici est de savoir jusqu' quel point

    on veut faire jouer le systme pna l pour affirmer les valeurs auxquelles

    nous tenons dans le cadre d'un projet de socit. Il s'agissait alors de

    prendre position face la question (brlante) de l'inclusion ou non de

    certaines formes d'agression dans le registre de la loi criminelle, d'une

    loi criminelle encore axe sur la rtribution et la prison, etc.

    La commission semble avoir choisi, et par rapport aux agressions

    sexuelles, et par rapport aux voies de fait, une politique d'inclusion

    maximale tout en comptant sur le bon sens des gens e t des opra-

    teurs du systme pour filtrer les cas les p lus triviaux . Cette option

    est plus claire dans le document plus tardif sur les voies de fait

    (C.R.D.C., 1984) que dans celui sur l'agression sexuelle. Selon la com-

    mission, cette option correspond en fait la situation qui tait dj en

    vigueur. Le dilemme philosophique (et politique) est alors le suivant.

    Afin de justifier cette position d'inclusion maximale, la commission

    (1984, p. 49) soutient que si le droit criminel ne considrait pas comme

    un crime l'acte de toucher intentionnellement une autre personne sans

    son consentement [...] ceci signifierait abandonner la notion selon la-

    quelle les atteintes la personne sont une valeur fondamentale . Le

    dilemme est donc le suivant. Les docu ments de la commission affir-

    ment, d'une part, que la libert et l'intgrit de la personne sont des

    valeurs si importantes que l'on doit tablir clairement les limites de

    l'intervention tatique et particulirement celle du droit criminel. Mais,

    d'autre part, ces documents soutiennent aussi que ces mmes valeurs

    sont tellement importantes que, pour les dfendre convenablement, il

    faut faire appel au droit criminel pour ragir contre toutes les formes de

    torts susceptibles de leur porter atteinte.

    notre avis, il est important de bien comprendre ces positions

    contradictoires et ambivalentes pour saisir la porte et les limites des

    aspects de la rforme de 1983 qui sont lis aux peines maximales et au

    systme de classification des infractions.

    9. La recherche de Los (1990 a) sur le projet de loi C-127 sem ble confirmer cette

    hypothse.

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    17/38

    42 CRIMINOLOGIE

    4.

    LES VISEES DE LA REFORM E

    II est trs difficile de prciser, de manire non quivoque, les ob-

    jectifs d'un projet de rforme. En effet, ce projet fut investi par diff-

    rents acteurs sociaux avec des intentionnalits et des projets diffrents,

    voire opposs (groupes fministes, Commission de rforme, reprsen-

    tants des procureurs, de la police, du barreau, des avocats de la dfense,

    gouvernement lui-mme, etc.) (Los, 1990, p. 163). Mme les groupes

    de femmes ont prsent des ides et des propositions diffrentes (Los,

    1990,

    p. 163). Compte tenu de cette diversit, il serait plus juste de

    s'interroger sparment sur les objectifs de chacun de ces acteurs.

    Selon Los (1990a, pp. 163-164), une des raisons principales qui ont

    pouss le gouvernement instaurer au plus tt une rforme a t l'inclu-

    sion, en 1982, de la

    Charte canadienne des droits et liberts

    dans la

    Constitution. On voulait ainsi viter un long contentieux constitutionnel

    l'gard de certains articles du

    Code criminel

    qui auraient de la diffi-

    cult passer le test de l'galit des droits. Cependant, ceci n'empche

    pas qu'on ait aussi cr certaines attentes par rapport la nouvelle loi.

    Un point, au moins, a fait l'objet d'un consensus parmi les groupes

    uvrant directement dans le processus de rforme : la rforme devait

    entraner une augmentation du nombre de plaintes et de condamnations

    dans le cadre des infractions sexuelles. Ce consensus tait, certes, fra-

    gile,

    car il a t bti, selon toute vraisemblance, sur des motivations fort

    diffrentes. Pour les groupes de femmes, par exemple, cet objectif de-

    vait s'accompagner fondamentalement d'un traitement moins pnible et

    stigmatisant pour les femmes pendant l'enqute et le jugement (Snider,

    1985, pp. 343, 352; Los, 1990a). Nous allons examiner maintenant

    cette question du nom bre de renvo is au systme de justice criminelle.

    5. LES EFFETS DE LA RFORM E SUR LE NOMBRE DE

    RENVOIS

    La figure 1 prsente un graphique de la frquence des plaintes ou

    des situations d'agression sexuelle qui ont t renvoyes la justice

    criminelle (au Qubec et au Canada comme un tout) pendant les

    13 annes entourant le passage de la rforme de la loi. Il s'agit de

    situations dont la police a t saisie, la suite de plaintes ou autre-

    ment

    10

    . Ces chiffres correspondent ce que Statistique Canada appelle

    10.

    Ces chiffres sont tirs du DUC (systme de la dclaration uniforme de la crimina-

    lit) du Centre canadien de la statistique juridique.

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    18/38

    LE REN VO I ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 4

    les infractions dclares , par opposition ce que Statistique Canada

    appelle les infractions relles , c'est--dire les infractions dclares

    moins celles considres par la police comm e non fondes . Nous

    avons choisi de prsenter ici le nombre (plus lev) de situations qui ont

    t renvoyes, mais la tendance l'augmentation est la mme dans les

    deux sries de donnes. Aussi est-il vrai que cette tendance ne se modi-

    fie pas si l'on considre plutt le taux par cent mille habitants. Comme

    nous pouvons l'observer, il y a une augmentation norme et soutenue

    depuis 1983. Les chiffres servant de base la construc tion de ce graphi-

    que se trouvent dans le tableau 3.

    Tableau 3

    Nombre des renvois en matire d'agressions sexuelles au Qubec et au Canada et

    taux de changement (en pourcentage), 1977-1989

    Annes

    1977

    1978

    1979

    1980

    1981

    1982

    1977-1982

    1983

    (Rforme)

    1984

    1985

    1986

    1987

    1988

    1989

    1983-1989

    Qubec

    (nombre)

    2 161

    1 982

    2 320

    2 3 1 3

    2 248

    2 130

    2 090

    2 495

    2 810

    3 267

    3 476

    3 778

    3 976

    Qubec

    (% )

    Avant la

    rforme

    - 8

    + 17

    0

    - 3

    - 5

    (- 3 )

    Aprs la

    rforme

    + 19 %

    + 13 %

    + 1 6 %

    + 6 %

    + 9 %

    + 5 %

    (+ 90 % )

    Canada

    (nombre)

    10 285

    10 687

    11 557

    12 077

    12 376

    12 848

    13 851

    17 323

    2 1 2 6 4

    24 114

    26 443

    29 111

    3 1 7 5 6

    Canada

    (% )

    Avant la

    rforme

    + 4

    + 8

    + 4

    + 2

    + 4

    (+ 25 )

    Aprs la

    rforme

    + 25 %

    + 23 %

    + 13 %

    + 1 0 %

    + 1 0 %

    + 9 %

    (+ 129 % )

    N.B. : Les donnes avant 1983 comprennent l 'en sem ble des infractions de viol, de

    tentative de viol et d'attentat la pudeur d'une personne du sexe fminin et mascu-

    lin ; les donnes partir de 1983 comprennent les trois niveaux d' infractions pour

    les agressions sexuelles.

    Examinons d'abord la situation du Qubec telle que prsente dans

    le tableau 3. Nous constatons qu'entre 1977 et 1983, il y a eu une

    certaine fluctuation dans le nombre de renvo is d'ag ression sexuelle. Les

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    19/38

    44 CRIMINOLOGIE

    colonnes avec les pourcentages indiquent les variations par rapport

    l'anne prcdente. Ainsi, au Qubec, le nombre de renvois a diminu

    de 8 pour cent en 1978 par rapport 1977 et a augment de 17 pour cent

    en 1979 par rapport 1978 pour diminuer encore un peu par la suite.

    Cependant, non seulement la fluctuation disparat-elle aprs 1984 mais

    les augmentations deviennent beaucoup plus marques. Si l'on compare

    l'ensemble des deux priodes, il y a eu une baisse de 3 pour cent entre

    1977 et 1982 et une augmentation de 90 pour cent entre 1983 et 1989.

    Ce dernier rsultat a t sans doute exacerb par le fait que l'anne

    1983 constitue la deuxime anne o le nombre de renvois tait son

    plus bas niveau pendant toute la priode observe. Mais si l'on refait les

    calculs en fonction de l'anne 1979 (celle o le chiffre de renvoi tait

    son plus haut niveau avant la rforme), nous constatons quand mme

    une augmentation de 71 pour cent entre les annes 1979 et 1989. Quoi

    qu'il en soit, l'augmentation demeure frappante. Ces rsultats conci-

    dent d'ailleurs avec ceux de Baril, B ette ze t Viau (1988, p. 58)

    11

    qui ont

    trouv, pour la rgion de Montral, une augmentation de 23 pour cent

    entre 1981 et 1985 (nos donnes pour cette priode sont les mmes:

    25 pour cent).

    L'augmentation au Canada comme un tout est encore plus mar-

    que. Il y a eu 25 pour cent d'augmentation entre 1977 et 1982, mais

    cette augmentation a t dramatique entre 1983 et 1989 : 129 pour cent

    (voir tableau 3). Il n'y a eu aucune diminution dans les taux avant la

    rforme par rapport l'anne 1977, mais les augmentations ont t,

    toutes proportions gardes, plutt modestes. En effet, on peut observer

    que le taux le plus lev avant la rforme a t de 8 pour cent et ce

    pendant une seule anne (1979). En revanche, le taux

    le plus bas

    aprs

    la rforme a t de 9 pour cent dans la dernire annes (1989) et aprs

    une trs forte augmentation immdiatement aprs la rforme.

    Certes, il n'est pas facile d'interprter et d'expliquer les change-

    ments observs dans une distribution d'vnements dans le temps

    (Campbell, 1969). Cependant, lorsque ces changements dbutent au

    moment attendu et sont marqus et soutenus, nous avons de bonnes

    raisons pour conserver l'hypothse selon laquelle on peut les attribuer

    dans une certaine mesure la rforme comme telle. Par contre, il est

    particulirement hasardeux de vouloir attribuer ces changements une

    11 .

    Il

    s'agit,

    notre av is, de Tu ne des me illeures recherches empiriques faites dans le

    cadre du program me d 'valu ation mis sur pied par le ministre de la Justice du Canada.

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    20/38

    LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 4 5

    dimension isole et spcifique de la rforme (par exemple l'abolition de

    l'infraction de viol et son remplacem ent par une autre infraction).

    En fait, le caractre soutenu de ces augmentations semble difficile-

    ment dissociable d'un ensemble d'autres facteurs entourant et accompa-

    gnant la rforme. Pensons, par exemple, au rle jou par les directives

    adresses la police et aux procureurs, par l'action ventuelle des

    groupes de femmes et des centres d'aide, par les tables de concertation

    entre les diffrents intervenants sociaux pour faire face la violence

    faite aux femmes (Laplante, 1991, p. 8), ou encore par les mdias et par

    la campagne provinciale d'information et de sensibilisation sur la vio-

    lence (plus tardive). En effet, au Qubec, par exem ple, le gouvernem ent

    a mis sur pied des tables de concertation travers toutes les rgions

    administratives de la province. Dans la rgion de l'Outaouais, cette

    table se composait de 22 membres recruts dans diffrents milieux,

    depuis les salles d'urgence des centres hospitaliers jusqu'aux services

    d'action communautaire et aux directrices de maison d'hbergement en

    passant par la Sret provinciale, les polices municipales, la Couronne,

    les C.S.S., les C.L.S.C, le service de probation, etc. (Laplante, 1991,

    pp.

    20-21). Les renseignements disponibles pour le Qubec semblent

    suggrer que la rforme a t appuye par la mise en place d'un ensem-

    ble de dispositifs. Il faut aussi se rappeler que la mmoire collective

    des rformes est relativement courte. Il y a donc peu de chances qu'une

    simple modification lgislative provoque de tels effets soutenus s'il n'y

    a pas de mcanismes visant l'actualiser.

    Par contre, il nous parat peu vraisemblable de croire que ces ap-

    puis auraient t mis en place et que cette mme augmentation aurait

    t obtenue sans la rforme de 1983. Car, elle a

    au moins

    donn, en

    surface, un visage modifi du droit criminel en matire d'infractions

    sexuelles. Lorsque nous parlons ici d'effets ou de consquences de la

    rforme, nous ne faisons donc pas exclusivement allusion aux modifica-

    tions lgislatives de 1983. Nous considrons plutt l'ensemble des di-

    mensions et des actions entreprises pour soutenir la rforme. Notre

    pari est cependant que la rforme fait partie intgrante de ce processus

    global. Or, ces rsultats sont en quelque sorte surprenants compte tenu

    du fait que l'on a sous-estim jusqu' prsent les effets de la rforme

    sur le nombre de condamnations et de renvois la justice criminelle

    (voir Los, 1990a, p. 171 ; 1990b, pp. 33-34).

    Il faut noter aussi, mme si nous ne pouvons pas prsenter ici les

    donnes pertinentes (voir Roberts, 1990), que cette augmentation dans

    le nombre de renvois d'agression sexuelle est beaucoup plus accentue

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    21/38

    46 CRIMINOLOGIE

    que celle qu'on observe pour les autres infractions contre la personne

    pour la mme priode pour le Canada

    12

    .

    Le contexte et les particularits de cette augmentation nous permet-

    tent donc d'carter l'hypothse selon laquelle cette augmentation statis-

    t ique serait due une augmentation dans l ' incidence mme des

    agressions sexuelles. En effet, nous savons aujourd'hui que les statisti-

    ques pnales ne constituent pas, en rgle gnrale, un bon indicateur

    empirique de la frquence des comportements. Elles illustrent plutt la

    forme de prise en charge des problmes sociaux. Or, si cette hypothse

    est dj trop forte concernant d'autres infractions, elle nous parat parti-

    culirement abusive en ce qui regarde les agressions sexuelles. Car le

    procs judiciaire est connu ici pour tre particulirement dissuasif pour

    les victimes. Plus important encore : l'extension, l'intensit et le mo-

    ment de cette augmentation indiquent ju sq u'o il est possible d'indi-

    quer en l 'absence d 'autres raisons galement plausibles en sens

    contraire que l'on aurait tort de sous-estimer les effets de la rforme

    dans son ensemble sur le nombre des renvois.

    6. AUTRES QUESTIONS RELATIVES L'IM PAC T DE LA

    RFORME

    II y a deux types de statistiques globales relatives aux cas connus

    par la police : celles relatives aux contentieux considrs comme fon-

    ds ou non fonds et celles concernant le taux d'lucidation par

    mise en accusation (Cen tre canad ien de la statistique juridiqu e,

    1988).

    Les plaintes dclares par la police comme non fondes sont

    celles dont la validit est m ise en cause (avant ou aprs une en-

    qute). L'infraction est suppose ne pas avoir exist. Le taux d'lucida-

    tion par mise en accusation dsigne, par dfinition, le pourcentage de

    cas pour lesque ls une personne a t officiellement inculpe mme si la

    police n'a pas apprhend l'accus.

    D'aprs les statistiques globales, la rforme n'a pas eu premire

    vue vraiment d'impact sur aucun de ces deux indicateurs statistiques.

    Le pourcentage moyen des cas classs comme non fonds pour le Qu-

    bec dans la priode en amont de la rforme est de 6 pour cent et de

    7 pour cent pour celle en aval. Pour des raisons que nous ignorons, le

    12 .Notons, par ailleurs, qu'au Qubec l'augmentation des plaintes pour l'ensemble

    des voies de fait a surpass (121 % entre 1983 et 1989) celle pour les agressions sexuelles

    (90 %). Rappelons que les voies de fait ont bnfici, en ce qui concerne la violence faite

    aux femmes, de certains dispositifs mis en place pour les agressions sexuelles.

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    22/38

    LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 4 7

    pourcentage de cas classs comme non fonds est significativement

    plus bas au Qubec qu'ailleurs au Canada, et cela est vrai ds 1977,

    alors que ce pourcentage tait de 6 pour cent en comparaison de 17 pour

    cent pour le reste du Canada

    13

    .

    En ce qui concerne le taux de mises en accusation pour le Qubec

    dans la priode antrieure la rforme, un tiers des infractions retenues

    comme fondes sont classes par mises en accusation. Ce pourcen-

    tage monte 49 pour cent dans la post-rforme. Ces deux types de

    donnes sont plus leves que celles trouves par Baril, Bettez et Viau

    (1988,

    p. 96), mais il n'y a pas ncessairement de contradiction, puis-

    que nos donnes sont pour l'ensemble de la province et pour une p-

    riode plus longue

    14

    . Quoi qu'il en soit, il nous semble prsent que

    cette augmentation ne peut pas tre attribue la rforme, car il y a eu

    une augmentation similaire dans le taux d'lucidation de toutes les

    infractions de violence (Roberts, 1990).

    Par rapport aux condamnations, il n'existe pas de banque de don-

    nes pour le Canada. Les estimations reposent donc uniquement sur les

    donnes des recherches sur le terrain. Baril, Bettez et Viau (1988,

    p.174) constatent pour Montral (1982-1985) qu'en gnral 67 % des

    causes se rendant procs donnent lieu une condamnation et qu'en

    20 % des cas l'accus est acquitt. Dans 7 pour cent des cas, un

    accus a t libr, pour diffrentes raisons, sans avoir t pour autant

    acquitt

    15

    . Les auteurs ont par ailleurs trouv une diffrence dans le

    taux de condamnations selon la priode : il y a eu 74 pour cent de

    condamnations (plaidoyers et verdicts de culpabilit) pour la priode

    antrieure la rforme et 58 pour cent pour la priode post rieure. T ant

    les plaidoyers que les verdicts de culpabilit ont diminu. En outre, les

    acquittements

    16

    et les retraits de plaintes ont augment. Selon leurs

    donnes, il n'est pas possible d'attribuer cette dcroissance dans le taux

    des condamnations une moindre gravit des contentieux, car ceux-ci

    13 .

    En ralit, cette statistique n'est pas la seule par laquelle les donnes du Qubec

    se distinguent d'autres juridictions au Canada. Le taux de renvoi au Qubec est aussi plus

    bas qu'ailleurs. Par exemple, en 1988, le taux de renvoi ( infractions relles ) pour les

    agressions sexuelles au Qubec par cent mille habitants tait de 57 contre 206 en C olo m bie -

    Britannique. Les raisons de ces diffrences n'o nt p as encore t lucide s.

    14.La recherche de Bariltal, porte sur les annes 1981 et 1982 (avant la rforme ) et

    sur les annes 1984 et 1985 (aprs la rforme).

    15.

    Ajoutons qu e la plainte est retire dans env iron 5 po ur cent des ca s.

    16 .

    Montral, les acquittements sont passs d e 18 2 4 pour cent pour la priode

    tudie (B aril, Bettez et Viau, 1989, p. 176).

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    23/38

    48 CRIMINOLOGIE

    prsentent peu de changements d'une priode l'autre (p. 176). La

    question reste donc ouverte.

    Malgr l'absence explicite d'une dclaration d'objectifs de la r-

    forme, il est clair qu'un d'eux rsidait dans l'augmentation du taux de

    condamnations (Begin, 1989 ; Chappell, 1984, pp. 73-75 ; Ministre de

    la Justice, 1990, p. 52). En effet, comme la rforme avait modifi aussi

    les critres de la preuve, cette augmentation tait attendue. Les

    recherches valuatives ont prsent des rsultats diffrents pour chaque

    ville tudie, mais on ne trouve, dans l'ensemble, aucune diffrence

    importante dans le taux global de condamnations (Ministre de la Jus-

    tice,

    1991, p. 53).

    Quoi qu'il en soit, il est important de ne pas confondre ici la

    rduction ou l'augmentation du taux de condamnations (plaidoyers et

    verdicts de culpabilit) parmi les causes traduites en procs avec l'aug-

    mentation ou la rduction du nombre absolu des condamnations. En

    effet, l'norme augmentation dans le nombre de renvois au Canada et

    au Qubec nous permet de penser que le nombre absolu de condamna-

    tions a aussi augment. En outre, nous savons par les tudes sur le

    terrain que les taux d'acquittements n'ont pas augment partout (Minis-

    tre de la Justice, 1990) et que lorsqu'ils ont augment, ils n'arrivent

    pas neutraliser l'augmentation dans le nombre des renvois.

    Une dernire remarque concernant

    Veffet de slection

    de la justice

    criminelle. Baril, Bettez et Viau (1988, pp. 82-83) constatent partir

    des renseignements disponibles dans les dossiers de police que plus de

    85 pour cent des accuss sont sans emploi (46 pour cent) ou sont des

    ouvriers non spcialiss (39 pour cent). Les auteures soulignent soi-

    gneusement que les valeurs manquantes sont de l'ordre de 60 pour cent,

    mais leur constat comme tel n'est pas par ailleurs tonnant. En ralit,

    elles veulent empcher que l'on pense que les agressions sexuelles sont

    pratiques surtout par les hommes des couches sociales dfavorises.

    Enfin, elles ne trouvent pas de diffrence statistiquement significative

    d'une priode l'autre. Le systme pnal continue donc toucher

    fondamentalement les gens des couches dfavorises.

    7. LA DISTRIBUTION DES AGRESSIONS SEXUELLES DANS

    LES TROIS NIVEAUX DE GRAVIT

    Nous avons constat ci-dessus que le nombre de renvois la justice

    criminelle a augment normment depuis 1983. Nous allons examiner

    maintenant comment cette augmentation a t ventile parmi les trois

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    24/38

    LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 4 9

    niveaux de gravit au fil des sept annes qui ont suivi la mise en place

    de la rforme.

    Tableau 4

    La classification des plaintes d'agression sexuelle a u Qubec (1983-1989)

    Annes

    1983

    1984

    1985

    1986

    1987

    1988

    1989

    Niveau I

    (moins grave)

    1 692

    2 105

    2 4 1 6

    2 907

    3 125

    3 473

    3 632

    (81 %)

    (84 %)

    (86 %)

    (89 %)

    (90 %)

    (92 %)

    (91 %)

    Niveaux de gravit

    Niveau II

    227

    204

    216

    215

    209

    194

    209

    (11%)

    (8%)

    (8%)

    (7%)

    (6%)

    (5%)

    (5%)

    Niveau III

    (plus grave)

    171

    18 6

    17 8

    145

    142

    111

    135

    (8%)

    (7%)

    (6%)

    (4%)

    (4%)

    (3%)

    (3%)

    Total

    2 090

    2 495

    2 810

    3 267

    3 476

    3 778

    3 976

    (100 %)

    (100 %)

    (100 %)

    (100 %)

    (100 %)

    (100 %)

    (100 %)

    Source : Donnes de Statistique Canada.

    Un total de 2 090 plaintes d'agression sexuelle a t enregistr au

    Qubec en 1983. On constate que 81 pour cent de ce total a t classifi

    au premier niveau de gravit, 11 pour cent au deuxime niveau et

    8 pour cent au troisime niveau. Cependant, cette distribution se modi-

    fie progressivement : le premier niveau augmente tellement qu'il repr-

    sente 90 pour cent (ou plus) de tous les dossiers de leur anne

    respective depuis 1987. On voit aussi que pour le Qubec l'augmenta-

    tion des plaintes a t entirement absorbe par le premier niveau. En

    effet, ces contentieux ont augment de 115 pour cent entre 1983 et 1989

    (soit de 1 692 3 632), tandis qu'on accuse une dcroissance de 8 pour

    cent pour le deuxime (soit de 227 209) et de 21 pour cent pour le

    troisime (soit de 171 135) niveaux.

    Les donnes pour le Canada sont encore plus loquentes : en 1983,

    88 pour cent des contentieux sont classs au prem ier niveau , 7 pour cent

    au deuxime et 5 pour cent au troisime ; en 1989, 96 pour cent sont au

    premier, 3 pour cent au deuxime et 1 pour cent seulement au troisime

    niveau. L'augmentation a t absorbe entirement par le premier ni-

    veau. En effet, il y a eu 12 241 plaintes enregistres en 1983 et 30 340

    en 1989, soit une augmentation de 148 pour cent. On observe aussi une

    dcroissance progressive du nombre et du taux des contentieux au troi-

    sime niveau : on compte 685 cas en 1983 et 445 en 1989, soit 35 pour

    cent de mo ins. La seule diffrence apparente avec le Qubec rside dans

    le deuxime niveau : les chiffres accusent une lgre augmentation de

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    25/38

    5

    CRIMINOLOGIE

    5 pour cent pour

    le

    Canada entre

    1983 et 1989

    (soit

    de 925 971).

    Cependant, cette augm entation

    est

    compense

    par la

    chute

    du

    troisime

    niveau.

    On

    accuse alors

    une

    dcroissance dans l'ensemble

    des

    niveaux

    II

    et III.

    Tableau 5

    La classification des plaintes d agression sexuelle au Canada (1983-1989)

    Annes

    1983

    1984

    1985

    1986

    1987

    1988

    1989

    Niveau I

    (moins grave)

    12 241

    15 805

    19 756

    22 623

    24 949

    27 655

    30 340

    (88 )

    (91 )

    (93 )

    (93 )

    (94 )

    (95 )

    (96 )

    Niveaux de gravit

    Niveau 11

    92 5

    878

    9 1 8

    1 001

    1 034

    1 041

    971

    (7%)

    (5%)

    (4%)

    (4%)

    (4%)

    (4%)

    (3%)

    Niveau III

    (plus grave)

    685

    640

    590

    490

    46 0

    415

    445

    (5%)

    (4%)

    (3%)

    (3%)

    (2%)

    (1%)

    (1%)

    Total

    13 851

    17 323

    21 264

    24 114

    26 443

    29 111

    31 756

    (100 )

    (100 )

    (100 )

    (100 )

    (100 )

    (100 )

    (100 )

    Source : Donnes de Statistique Canada.

    Comment peut-on expliquer cette augmentation dans

    le

    nombre

    de

    classifications

    au

    premier niveau

    de

    gravit

    ? Le

    lecteur doit garder

    l'esprit

    que les

    explications proposes

    ici ont le

    statut d'interprtations

    post factum. C'est dire qu'il s'agit d'interprtations

    qui

    s'ajustent bien

    aux donnes mais

    qui ne

    dcoulent

    pas

    proprement parler directement

    d'elles (Merton, 1949). Elles

    ne

    nous permettent donc

    pas de

    trancher,

    de manire claire

    et

    avec

    un

    argument empirique supplmentaire, entre

    diverses autres interprtations rivales pouvant aussi

    se

    conformer

    ces

    rsultats.Lesinterpr tations sont donc, pour ainsi dire, exploratoires.

    premire

    vue, on

    pourrait penser qu'il

    y a eu

    tout simplement

    une augmentation dans

    le

    nombre

    de cas

    moins graves

    qui ont t

    rapports

    la

    police. Ceci serait d'ailleurs l'une

    des

    consquences

    possibles

    de la

    rforme lgislative

    : l'un des

    objectifs attribus

    au

    projet

    de

    loi C-127

    tait celui

    de

    stimuler

    le

    renvoi

    la

    police

    d'un

    plus grand

    nombre

    de cas, et il est

    raisonnable d'assumer

    que,

    dans

    le

    pass,

    la

    gravit

    de

    l'agression tait positivement corrle

    aux

    chances

    que la

    victime porte plainte

    la

    police.

    Il

    faut

    se

    rappeler

    que les

    procs pour

    viol

    ont

    toujours

    t

    hautement

    dissuasifs

    pour

    les

    victimes.

    On

    peut

    aussi supposer

    que les

    situations d'agression les plus violentes

    soient aussi les moins rpandues et qu'une augmentation importante

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    26/38

    LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRAC TIONS 5 1

    dans le nombre des plaintes va chercher ncessairement dans le bassin

    des cas m oins graves.

    M ais il y a au moins deux problmes avec cette h ypothse. P remi-

    rement, elle est insuffisante puisqu'elle n'explique pas le dclin dans le

    nombre de cas classifies au troisime niveau de gravit au Qubec et au

    Canada. Deuximement, cette hypothse est au moins en partie mise en

    cause par les donnes (plus restreintes mais plus dtailles) de la re-

    cherche de Baril, Bettez et Viau (1988, pp. 61-69). En comparant deux

    annes avant la rforme (1981 et 1983) avec deux annes aprs la

    rforme (1984 et 1985) Montral, ces auteures n'ont trouv aucune

    diffrence remarquable dans la nature des agressions dnonces la

    police.

    On peut aussi vouloir expliquer l'augmentation des classifications

    au premier niveau par une tendance du personnel de la justice faire

    une classification la baisse des agressions sex ue lles. En effet, on a

    dit que, par rapport* aux agressions sexuelles, la po lice a tendance

    dlaisser les plaintes, les classer comme non-fondes ou encore

    rendre dissuasif pour les victimes le recours une enqute. Il est donc

    possible que la police soit en train d'enregistrer et de donner suite un

    plus grand nombre de contentieux mais qu'elle soit en train de privil-

    gier le premier niveau de gravit alors qu'elle aurait d utiliser les

    autres. Cette pratique aurait pu d'ailleurs tre renforce par le fait que

    la peine maximale ici est dj tellement leve que l'utilisation de cette

    catgorie laisse quand mme une marge de manuvre assez confortable

    pour les peines et donc pour la ngociation des plaidoyers. Cependant,

    cette hypothse ne trouve pas non plus de support dans la recherche de

    Baril, Bettez et Viau (1988, p. 69). Selon les auteures, la classifica-

    tion de la police correspond d'assez prs aux descriptions contenues

    dans les rapports . Certes, elles ont pu constater certains carts la

    baisse. En effet, certaines agressions armes ont t classifies au pre-

    mier niveau (p. 69) plutt qu'au deuxime. Mais ces carts sont trop

    petits pour expliquer l'augmentation observe dans les tableaux 4 et 5.

    En outre, les renseignements statistiques sur les infractions de

    voies de fait ne semblent pas non plus appuyer facilement cette hypo-

    thse d'une classification la baisse par la police. Il faut se rappeler ici

    que la rforme des infractions de voies de fait a accompagn celle des

    agressions sexuelles et que l'on a cr aussi trois niveaux de voies de

    fait: le premier niveau n'a pas non plus de dfinition explicite

    1 7

    ; le

    17.Voir note 7 ci-dessus.

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    27/38

    52 CRIMINOLOGIE

    deuxime ( agression arme ou infliction de lsions corporelles ) est

    dfini quasiment de la mme faon que le deuxime niveau d'agression

    sexuelle et le troisime niveau, appel ainsi par analogie aux voies de

    fait graves , reprend mot mot la mme dfinition du troisime niveau

    d'agression sexuelle. La seule diffrence notable entre ces deux

    groupes d'infractions rside dans les pein es m aximales. En effet, celles-

    ci sont systmatiquement infrieures pour chaque niveau des voies de

    fait (5 ans ; 10 ans ; 14 ans). Nous attirons particulirement l'attention

    sur le fait que la peine maximale du premier niveau est de 5 et non de

    10 ans comme pour l'agression sexuelle. Cette peine de cinq ans peut

    stimuler la classification de certains cas au deuxime niveau afin de

    favoriser la ngociation des plaidoyers ou de justifier la demande pour

    une peine plus leve. Le tableau 6 prsente les donnes pour le

    Qubec.

    Tableau 6

    La classification des plaintes de voies de fait au Q ubec (1983-1989)

    Annes

    1983

    1984

    1985

    1986

    1987

    1988

    1989

    Niveau I

    (moins grave)

    9 883

    11 854

    13 616

    15 836

    19 392

    21 837

    23 688

    (75 %)

    (76 %)

    (78 %)

    (78 %)

    (80

    %)

    (80 %)

    (81%)

    Niveaux de gravit

    Niveau II

    2 624

    3 056

    3 289

    3 867

    4 323

    4 842

    4 859

    (20 %)

    (20 %)

    (19%)

    (19 %)

    (18%)

    (18%)

    (17%)

    Niveau

    (plus grave)

    707

    617

    483

    512

    499

    606

    681

    (5%)

    (4%)

    (3%)

    (3%)

    (2%)

    (2%)

    (2%)

    13

    15

    17

    20

    24

    27

    29

    Total

    214

    527

    388

    215

    214

    285

    228

    (100 %)

    (100 %)

    (100 %)

    (100%)

    (100%)

    (100%)

    (100 %)

    Source : Donnes de Statistique Canada.

    Si l'on compare les tableaux 4 et 6, on remarque qu'ils se ressem-

    blent sur au moins deux points importants. Tout d'abord, le nombre de

    plaintes classes au troisime niveau est, toutes proportions gardes,

    trs rduit dans les deux cas. Ensuite, on observe aussi dans les deux

    tableaux une dcroissance dans le nombre absolu de cas classifies au

    troisime niveau, bien que cette dcroissance commence plus tard

    (1986) pour les agressions sexuelles. On constate aussi une lgre re-

    monte vers la fin de la priode. Ceci semble suggrer que ce qui arrive

    certains gards aux agressions sexuelles sur le plan de la classification

    arrive aussi en partie aux voies de fait. Cette question reste cependant

    ouverte.

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    28/38

    LE RENVOI ET LA CLASSIFICATION DES INFRA CTION S 5 3

    On voit que les voies de fait sont aussi, dans la majorit des cas,

    classes au premier niveau de gravit. En 1983, seulement 5 pour cent

    de toutes les plaintes pour voies de fait ont t classes au troisime

    niveau, contre 8 pour cent pour les agressions sexuelles. En 1989,

    seulement 2 pour cent de toutes ces plaintes sont au troisime niveau,

    contre 3 pour cent pour les agressions sexuelles. Et les voies de fait

    classes au troisime niveau sont passes de 707 en 1983 681 en

    1989, soit une dcroissance de 4 pour cent. La diffrence la plus remar-

    quable est que les voies de fait ont t classes ds 1983 dans une

    proportion plus rduite au troisime niveau. Tout se passe comme si les

    voies de fait avaient t amnages d'em ble plu s facilement la

    nouvelle structure tripartite.

    Nous observons d'ailleurs, grosso modo, cette mme tendance

    l'chelle du Canada. En 1983, seulement 3 pour cent de tous les dos-

    siers de voies de fait sont classs au troisime niveau, contre 5 pour

    cent pour les agressions sexuelles. En 1989, les voies de fait du troi-

    sime niveau comptent seulement pour 2 pour cent de l'ensemble des

    contentieux contre 1 pour cent pour les agr essio ns sexu elles

    18

    . De

    mme, les voies de fait classes au troisime niveau sont passes de

    3 641 3 383, soit une dcroissance de l'ordre de 7 pour cent entre

    1983 et 1989 (par opposition 35 % pour les agressions sexuelles). Ces

    donnes ne nous semblent donc pas appuyer l'hypothse selon laquelle

    l'augmentation du premier niveau des agressions sexuelles et l'utilisa-

    tion limite du troisime niveau s'expliquerait surtout par une tendance

    de la police (ou de la justice) classifier la baisse ces infractions.

    Ceci nous amne envisager une dernire hypothse qui vise

    expliquer surtout la dcroissance dans le taux et dans le nombre absolu

    de cas d'agressions sexuelles classifies au troisime niveau entre 1983

    et 1989. Selon cette hypothse, les agences de contrle auraient pris un

    certain temps pour rorganiser leurs pratiques en fonction des nouvelles

    infractions sexuelles. Rappelons que le projet de loi C-127 a modifi les

    critres de classification des infractions sexuelles, car auparavant elle

    se faisait particulirement en fonction du critre de la pntration. Les

    nouveaux critres de classification ne portent maintenant que sur le

    degr de violence, la menace, l'utilisation d'armes, etc. On peut donc

    s'attendre une certaine priode d'ajustement ces critres et d'inter-

    action entre les diffrents paliers de la justice criminelle. Il faut se

    18.

    En ralit, si l'on n'arrond it pas les chiffres, cette diffrence est encore plus

    ngligeable en 1989 : 1, 8 pour cent pour les voies de fait et 1,4 p our c ent po ur les agressions

    sexuelles. Notons que le groupe des voies de fait est bea uco up volu min eux .

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    29/38

    54 CRIMINOLOGIE

    rappeler cet gard que les dfinitions des deux derniers niveaux ne

    sont pas des plus limpides

    19

    .

    Les donnes de la recherche de Baril, Bettez et Viau (1988) ne

    semblent pas mettre en doute cette dernire hypothse. Les auteures

    notent que la plupart (70 p our cent) des agressions rapportes la

    police sont de peu de gravit si l'on considre objectivement la nature

    des actes subis par la victime et dcrits au prcis de police (p. 68).

    L'utilisation d'armes est aussi peu frquente (10 pour cent) et ce, mme

    si les auteures constatent diffrentes formes de violence physique

    comme moyen de contrainte dans environ la moiti des cas (p. 69). Il est

    donc possible que la grande partie de cette violence visible puisse

    entrer adquatement dans les deux premires catgories d'agression

    selon la nouvelle logique du systme. C'est dire que les oprateurs ont

    peut-tre de bonnes raisons (selon les rgles du jeu) pour faire une

    telle classification. Quoi qu'il en soit, la comprhension plus approfon-

    die de cette question rclam e d'au tres types de recherches.

    8. UNE VALUATION PRLIMINAIRE DES EFFETS

    PRATIQUES DE LA STRU CTUR E TRIPARTITE

    Nous pouvons maintenant nous interroger, dans un autre ordre

    d'ides, sur la valeur pratique de cette structure tripartite. En effet,

    peut-on dire que cette structure a t

    utile

    ou a contribu cette aug-

    mentation observe dans le nombre de renvois et, indirectement, dans le

    nombre absolu de condamnations ?

    Nos donnes ne nous pe rm ettent pas d'apporter une rponse directe

    cette question. Cep endant, nou s inclinons penser que cette augmen-

    tation doit tre plutt attribue la rforme dans son ensemble qu' la

    structure tripartite elle-mme. Rappelons cet gard que le

    taux

    des

    condamnations par rapport au nombre de mises en accusation est de-

    meur, en gnral, sensiblement le mme (Ministre de la Justice,

    1990). Au Qubec, ce taux a mme accus une dcroissance (Baril,

    Bettez et Viau, 1988). Certes, il y a fort probablement eu une augmenta-

    tion du nombre absolu de condamnations, mais cela dcoule de l'aug-

    mentation marque dans le nombre de renvois au systme. En outre, les

    autres statistiques disponibles sur les plaintes fondes et non fon-

    des , sur les taux de mise en accusation, etc., n'ont pas subi non plus

    19.

    Dans le pass , la classification des infractions pour voies de fait se faisait dj en

    fonction du degr de violence. La modification dans les critres est donc un peu moins

    marque dans ces cas-ci.

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    30/38

    LE RENVOIETLA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS 5 5

    de modifications significatives aprs la rforme. De plus, il est fort

    probable que les trois nouvelles infractions, avec leurs dfinitions

    confuses (ou leur absence de dfinition), aient plutt contribu crer

    un imbroglio pour les tribunaux. Il est donc fort probable que mme la

    premire proposition de la Commission de rforme visant crer une

    seule infraction aurait pratiquement eu le mme rsultat.

    9. L'AMB IGUT SYMBOLIQUE DE LA NOUV ELLE

    STRUCTURE TRIPARTITE

    Que cette nouvelle structure ait eu ou non des effets pratiques sur

    le nombre de renvois et de condamnations, une chose est certaine : elle

    a cr une norme ambigut symbolique autour de ces infractions, et

    cette ambigut peut, son tour, avoir des consquences sociales nga-

    tives. Pour comprendre cette ambigut et ses consquences pratiques

    possibles, il faut rcapituler le cheminement conceptuel de la rforme.

    Comme nous l'avons soulign, les trois ou quatre anciennes infrac-

    tions de viol, tentative de viol et attentat la pudeur ne vhiculaient que

    discrtement l'ide d'une chelle de gravit. La raison en est que cette

    image ne pouvait tre saisie que par les peines maximales, car chaque

    infraction tait conue comme relevant d'un type diffrent (voir sec-

    tions 1 et 2). Une autre cara ctristique de l'ancien ne structure est

    qu'elle dsignait, toutes proportions gardes, d'une manire moins

    confuse ce qui devait entrer dans chaque catgorie. Bien sr, on pou-

    vait, par exemple, critiquer la notion de viol parce qu'elle ne protgeait

    pas les femmes maries contre leurs conjoints ou parce qu'elle se limi-

    tait la pntration vaginale (C.R.D.C., 1978b, p. 14). Mais on pouvait

    au moins savoir grosso modo ce que la loi considrait comme un viol,

    une tentative de viol et (moins clairement) un attentat la pudeur.

    Illustrons le problme l'aide d'un autre exemple. Supposons qu'il

    y ait dans le code une infraction de vol et une autre de vol main

    arme . On peut sans doute mettre en doute la pertinence de l'une ou

    l'autre de ces catgories et soutenir qu'elles devraient tre fusionnes

    dans une seule infraction ou que le vol main arme devrait avoir

    une dfinition plus restrictive pour exclure, par exemple, le cas des

    armes simules. On peut aussi dnoncer les cas de vols main ar-

    me qui sont classs comm e vol et vice versa. Mais l'n onc ou la

    demande suivante ne ferait aucun sens : il faut classer plus de cas de

    vol dans la catgorie des vols main arme pour montrer que nous

    rprouvons moralement le vol .

  • 7/24/2019 Le renvoi et la classification des infractions dagression sexuelle

    31/38

    56 CRIMINOLOGIE

    De mm e, avant la rforme de 1983 , trs peu de chercheurs seraient

    tents de comparer le nombre de contentieux classifies dans chacune

    des trois anciennes ca tgories et dire ceci : il y a trs peu de cas

    classifies comme viols ; il serait souhaitable que l'on classifie comme

    viols un certain nombre d'attentats la pudeur pour montrer symboli-

    quement que nous dsapprouvons fortement cet ensemble de comporte-

    ments . Bien sr, on pouvait dire, mais cela est un nonc diffrent,

    que la notion de viol a t dfinie de faon excessivement troite ,

    puisqu'elle mettait l'accent sur la pntration vaginale et excluait les

    femmes maries. Le chercheur pouvait aussi dnoncer une classifica-

    tion injustifie : par exem ple, un ca s de viol qui aurait t class comm e

    attentat la pudeur, etc. Mais la com munication symbolique entre

    ces diverses catgories n'tait pas aussi ouverte qu'elle l'est mainte-

    nant. Aujourd'hui, les critres de classification ne sont plus aussi vi-

    dents et nous pouvons dsormais tenir un discours qui regrette le fait

    qu'il y ait trs peu de cas classifies aux niveaux II et III .

    Bien sr, la premire proposition de la Commission de rforme

    pour crer une infraction unique aurait eu pour rsultat d'liminer radi-

    calement ce problme de classification, puisqu'il n'y aurait qu'une

    seule catgorie d'agression sexuelle. La gravit ne serait prise en ligne

    de compte qu'au moment de la dtermination de la peine.

    La deuxime proposition de la Commission de rforme rintroduit

    explicitement la reprsentation d'u ne chelle de gravit, mais elle le fait

    la manire ancienne, c'est--dire sous la forme de deux es-

    pces de comportem ents diffrents : une infraction d'attouchemen t

    sexuel (sans menace et sans violence physique) et l'autre d'agression

    sexuelle (avec menace et violence physique). Ces deux catgories sem-

    blent alors moins ouvertes symboliquement, et peut-tre aussi plus clai-

    rement dfinies, que celles en vigueur.

    Mais qu'est-ce qui se passe dans le cas de la nouvelle structure

    tripartite retenue par la loi ? Cette structure projette la pleine image

    d'une chelle de gravit o les critres d'inclusion et d'exclusion dans

    chaque niveau ne sont pas tout fait clairs. La caractristique principale

    de cette structure est qu'elle a

    sap

    fondamentalement la

    reprsentation

    d'un cloisonnement

    entre les trois (niveaux d')infractions, maximali-

    sant la communication symbolique et, ventuellement, la possibilit

    d'un flux de dossiers entre celles-ci. Elle a transform alors, du point de

    vue des reprsentations, les trois anciennes infractions en une seule

    infractiondivise en trois niveaux de gravit tous trs mal dfinis. C'est

    seulement dans un sens strictement technique qu