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LE RESPECT DES DROITS DEAU LORS DE LA REHABILITATION DES PERIMETRES TRADITIONNELS AU MAROC ,HERVE PLUSQUELLEC 1 * ET MOHAMMED BACHRI 2 1 Millennium Challenge Corporation, Washington, U.S.A 2 Ministere de lAgriculture et de laPeche Maritime, Rabat, Morocco ABSTRACT Traditional irrigation sector covering about 300,000 hectares accounts for about 20 percent of the total irrigated area in Morocco. Traditional irrigation schemes developed since immemorial times, although of rustic appearance, are managed according to sophisticated rules of water allocation and distribution. This paper discusses these rules which depend on the nature of water resources (springs, perennial ows and oods), crops and traditional water rights. The paper then presents the actions taken to improve performance of about 80 schemes including physical improvements and intensive training of user associations, while conserving traditional water rights. These works were carried out under the Irrigated Fruit-tree (PAF) Project nanced by the Millenium Challenge Corporation (MCC), of which the original approach is the improvement of the value-chains of olive trees and palm-trees from the productivity of the trees to marketing. The project covers a total irrigated area of 53,000 ha of which 20,000 ha in oasis areas and 33,000 ha in areas of small and medium-scale irrigation. Studies and works were carried out in very diverse area where each scheme has its own characteristics and the social environment responds to specic traditional rules. Copyright © 2013 John Wiley & Sons, Ltd. key words: farmer-managed irrigation systems; traditional irrigation; water rights; olive-trees; rehabilitation Received 8 March 2013; Revised 1 August 2013; Accepted 2 August 2013 RESUME Le secteur de lirrigation traditionnelle couvrant plus de 330 000 hectares représente environ vingt pour cent de la supercie irriguée au Maroc. Les périmètres irrigués traditionnels développés depuis des temps immémoriaux, bien que dapparence rustique, sont en fait gérés suivant des règles dallocation et de distribution de leau très sophistiquées, auxquelles les communautés locales restent très attachées. Cet article décrit ces règles qui varient suivant la nature des ressources en eau (sources, eaux pérennes ou dépandage de crues), les cultures et les droits deau traditionnels. Il présentera ensuite les actions entreprises pour améliorer la performance denviron 80 périmètres comportant des réaménagements physiques des réseaux dirrigation et des cycles intensifs de formation des associations dusagers, tout en maintenant les droits deau traditionnels. Ces actions rentrent dans le cadre du Projet dArboriculture Fruitière (PAF) nancé par le Millennium Challenge Corporation (MCC), dont lapproche originale est lamélioration globale des lières (chaînes de valeur) des oliviers et du palmier-dattier, depuis la productivité des arbres jusquà la valorisation et la commercialisation des produits. Le projet intervient en zones irriguées sur une supercie totale de 53 000 ha, dont 20 000 ha sont situés en zones oasiennes et 33 000 ha en zones de petite et moyenne hydraulique (PMH). Les études et les travaux daménagement hydro-agricole ont été menés dans des zones très diversiées, où chaque périmètre a ses propres caractéristiques et où les structures sociales obéissent à des règles traditionnelles spéciques. La ressource en eau dans ces zones constitue le facteur déterminant pour tout développement. Autour delle est édiée lorganisation de la vie sociale des populations. Leau étant une source de richesse et dont la propriété est dénie suivant des règles et des coutumes acquises selon le parcours historique de chaque communauté. Lévolution de ces règles, nécessaire *Correspondence to: Mr Hervé Plusquellec, 3257 A Sutton Place, N.W. Washington D.C. 20016 U.S.A. E-mail: [email protected] Compliance with water rights in the rehabilitation of a traditional irrigation scheme in Morocco. This article is based on work funded in part by the Millennium Challenge Corporation (MCC), a United States Government (USG) agency dedicated to reducing poverty through economic growth (see www.mcc.gov for more information). The views of the authors expressed in this publication do not necessarily reect the views of MCC or the USG. IRRIGATION AND DRAINAGE Irrig. and Drain. 62: 695707 (2013) Published online 30 September 2013 in Wiley Online Library (wileyonlinelibrary.com) DOI: 10.1002/ird.1812 Copyright © 2013 John Wiley & Sons, Ltd.

LE RESPECT DES DROITS D'EAU LORS DE LA REHABILITATION DES PERIMETRES TRADITIONNELS AU MAROC

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IRRIGATION AND DRAINAGE

Irrig. and Drain. 62: 695–707 (2013)

Published online 30 September 2013 in Wiley Online Library (wileyonlinelibrary.com) DOI: 10.1002/ird.1812

LE RESPECT DES DROITS D’EAU LORS DE LA REHABILITATION DES PERIMETRESTRADITIONNELS AU MAROC†,‡

HERVE PLUSQUELLEC1* ET MOHAMMED BACHRI2

1Millennium Challenge Corporation, Washington, U.S.A2Ministere de l’Agriculture et de laPeche Maritime, Rabat, Morocco

ABSTRACT

Traditional irrigation sector covering about 300,000 hectares accounts for about 20 percent of the total irrigated area inMorocco. Traditional irrigation schemes developed since immemorial times, although of rustic appearance, are managedaccording to sophisticated rules of water allocation and distribution. This paper discusses these rules which depend on thenature of water resources (springs, perennial flows and floods), crops and traditional water rights. The paper then presentsthe actions taken to improve performance of about 80 schemes including physical improvements and intensive training of userassociations, while conserving traditional water rights. These works were carried out under the Irrigated Fruit-tree (PAF)Project financed by the Millenium Challenge Corporation (MCC), of which the original approach is the improvement of thevalue-chains of olive trees and palm-trees from the productivity of the trees to marketing. The project covers a total irrigatedarea of 53,000 ha of which 20,000 ha in oasis areas and 33,000 ha in areas of small and medium-scale irrigation. Studies andworks were carried out in very diverse area where each scheme has its own characteristics and the social environment respondsto specific traditional rules. Copyright © 2013 John Wiley & Sons, Ltd.

key words: farmer-managed irrigation systems; traditional irrigation; water rights; olive-trees; rehabilitation

Received 8 March 2013; Revised 1 August 2013; Accepted 2 August 2013

RESUME

Le secteur de l’irrigation traditionnelle couvrant plus de 330 000 hectares représente environ vingt pour cent de la superficieirriguée au Maroc. Les périmètres irrigués traditionnels développés depuis des temps immémoriaux, bien que d’apparencerustique, sont en fait gérés suivant des règles d’allocation et de distribution de l’eau très sophistiquées, auxquelles lescommunautés locales restent très attachées. Cet article décrit ces règles qui varient suivant la nature des ressources en eau(sources, eaux pérennes ou d’épandage de crues), les cultures et les droits d’eau traditionnels. Il présentera ensuite les actionsentreprises pour améliorer la performance d’environ 80 périmètres comportant des réaménagements physiques des réseauxd’irrigation et des cycles intensifs de formation des associations d’usagers, tout en maintenant les droits d’eau traditionnels.Ces actions rentrent dans le cadre du Projet d’Arboriculture Fruitière (PAF) financé par le Millennium Challenge Corporation(MCC), dont l’approche originale est l’amélioration globale des filières (chaînes de valeur) des oliviers et du palmier-dattier,depuis la productivité des arbres jusqu’à la valorisation et la commercialisation des produits. Le projet intervient en zonesirriguées sur une superficie totale de 53 000 ha, dont 20 000 ha sont situés en zones oasiennes et 33 000 ha en zones de petiteet moyenne hydraulique (PMH). Les études et les travaux d’aménagement hydro-agricole ont été menés dans des zones trèsdiversifiées, où chaque périmètre a ses propres caractéristiques et où les structures sociales obéissent à des règles traditionnellesspécifiques. La ressource en eau dans ces zones constitue le facteur déterminant pour tout développement. Autour d’elle estédifiée l’organisation de la vie sociale des populations. L’eau étant une source de richesse et dont la propriété est définie suivantdes règles et des coutumes acquises selon le parcours historique de chaque communauté. L’évolution de ces règles, nécessaire

*Correspondence to: Mr Hervé Plusquellec, 3257 A Sutton Place, N.W. Washington D.C. 20016 U.S.A. E-mail: [email protected]†Compliance with water rights in the rehabilitation of a traditional irrigation scheme in Morocco.‡This article is based on work funded in part by the Millennium Challenge Corporation (MCC), a United States Government (USG) agency dedicated toreducing poverty through economic growth (see www.mcc.gov for more information). The views of the authors expressed in this publication do not necessarilyreflect the views of MCC or the USG.

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pour des raisons techniques, n’est pas une chose aisée. Mais sa concrétisation sur le terrain n’est pas impossible, compte tenude certains exemples limités à ce sujet et de la souplesse des règles en fonction de la disponibilité de la ressource en eau. Lamaîtrise de la gestion et de la répartition de l’eau est déterminante dans l’orientation et le choix des variantes d’aménagementet de développement des communautés d’irrigants. Copyright © 2013 John Wiley & Sons, Ltd.

mots clés: systèmes irrigués communautaires; irrigation traditionnelle; droits d’eau; oliviers; réhabilitation

INTRODUCTION

La superficie irriguée pérenne au Maroc est estimée à 1,46millions d’hectares, dont 682 000 ha en grande hydraulique(GH), gérés par neuf Offices Régionaux de Mise en ValeurAgricole (ORMVA), 334 000 ha en Petite et MoyenneHydraulique (PMH), y compris les oasis, et 441 430 ha enIrrigation Privée (IP) selon les données du Ministère encharge de l’agriculture. L’irrigation gravitaire concerneenviron 76% de la surface irriguée. Le reste revient augoutte à goutte (15%) et à l’aspersion (9%). L’irrigationdans les zones de PMH est répartie en irrigation pérenne(334 130 ha), irrigation saisonnière (120 000 ha) et irrigationpar épandage des eaux de crue (180 000 ha). L’irrigation auMaroc a permis l’intensification et l’accroissement dessurfaces de plusieurs cultures, notamment les culturesindustrielles, fourragères, maraîchères et les plantations.Aussi, plus de 89% de la production arboricole provient-elledes périmètres irrigués.

L’irrigation localisée se développe beaucoup depuisquelques années aux dépens du gravitaire et del’aspersion grâce à l’initiative privée et aux effortsconsentis par le gouvernement marocain pour asseoir unepolitique d’économie d’eau récemment renforcés par le PlanMaroc Vert.

Les périmètres de PMH traditionnels se distinguent deceux de la Grande Hydraulique non seulement par leur taillemais aussi par certaines caractéristiques physiques etsociales, qui ont une influence déterminante sur les règlesde gestion de l’eau et les actions possibles pourl’amélioration de leur performance. Ainsi, ces périmètresprésentent les spécifications suivantes:

• les périmètres irrigués de la PMH sont caractérisés parleur petite taille: 5% uniquement des périmètres ontune superficie supérieure à 1 000 ha, 29% ont unesuperficie comprise entre 100 et 1000 ha et 66% ontune surface inférieure à 100 ha;

• a l’exception de ceux dont les ressources en eau sontd’origine souterraine, telles que les sources ou leskhettaras,1 les périmètres de PMH dépendent desressources en eau non régularisées. Les périmètresd’oasis, situés dans les vallées du Draa et du Tafilaletfont exception depuis que des barrages de régulationont été construits sur les oueds Ziz et Draa à l’amontde leurs vallées respectives;

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• le morcellement des propriétés est très fréquent dansles périmètres de PMH, contrairement à ceux dela GH où un remembrement a été entreprissystématiquement avant la mise en place d’un réseaud’irrigation moderne. Le morcellement, la densitédes arbres fruitiers, les pentes des terrains et lesterrasses sont des facteurs rendant impossible leremembrement dans les périmètres de PMH et doncla mise en place d’une irrigation plus rationnelle. Desurcroît, les droits d’eau ne sont pas liés à ceux de laterre dans tous les périmètres. Par ailleurs, dans lesoasis, les palmiers-dattiers peuvent appartenir à unetierce personne;

• les réseaux d’irrigation des périmètres de PMHconstruits par les populations locales ont été gérés dansle passé par des assemblées, les « Jemaa », responsablesdes affaires locales, parmi lesquelles l’irrigationoccupe une position majeure. La loi 02–84 faitobligation aux agriculteurs de créer des Associationsd’Usagers d’Eau Agricole (AUEA) formellementenregistrées pour pouvoir bénéficier du soutien del’Etat. Ces associations, plus ou moins actives,dépendent de la cohésion sociale des usagers, del’intérêt que leur portent les usagers, et du niveaude pénurie d’eau (Bekkari et Yepes, 2011). Parcontre, les associations dans les périmètres de GH(grande hydraulique) créées sous la pression desagences de financement sont pour la plupart des casinactives et ne jouent aucun rôle dans la distributionde l’eau.

Cet article présente d’abord le déclin des ressources eneau qui affecte l’ensemble du secteur irrigué, puis décritles règles d’allocation et de distribution de l’eau dansles périmètres traditionnels au Maroc qui doivent êtreprises en considération pour toute entreprise visant al’amélioration de l’irrigation dans ces périmètres. Cet articleest basé sur une revue monographique et sur des discussionsavec les usagers des périmètres du Projet PAF sur les règlescoutumières d’allocation en eau, comprenant: les membresdes J’maa, les assemblées des notables, les proposés à ladistribution de l’eau désignés par les J’maa pour leursconnaissances hydrauliques et leur intégrité, et les membresdes conseils d’administration des associations d’usagersrécemment créées.

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LE DECLIN DES RESSOURCES EN EAU AUMAROC

Les potentialités en eau mobilisables sont estimées à20 milliards de m3 par an, dont 4 milliards à partir desressources souterraines. Le volume mobilisé actuellement estde 13,7 milliards de m3/an, dont 2,7 milliards de m3/an à partirdes ressources souterraines.

Le secteur de l’irrigation au Maroc fait face à un problèmestructurel lié aux conditions climatiques de typeméditerranéen avec des étages bioclimatiques arides etsemi-arides dans la partie moyenne du pays. Il s’ensuit desdéficits pluviométriques, qui augmentent depuis plus detrois décennies, dont les dernières ont même connu denombreux épisodes de sécheresse. Les apports hydriquesplus faibles durant cette période ont affecté les ressourcesen eau superficielles mobilisables qui ont diminue de prèsde 20 pour cent de 15,7 a 13,1 milliard m3 en moyenne enles calculant sur les périodes 1940–1986 et 1940–2006.Dans certains basins, la variation sur ces deux mêmespériodes atteint des valeurs très élevées, par exemple de37% dans le basin de L’Oum Er Rbia, qui comporte denombreux périmètres traditionnels (Figure 1).

Depuis les années 1970, les apports en eau ont connu unediminution très importante comme le montre le graphiqueci-dessous concernant les apports au niveau du barrage BineEl Ouidane (rapport de la Banque Mondiale).

Les ressources en eau au Maroc se trouvent, d’une partface à une croissance accrue de la demande, et d’autre partà une raréfaction des disponibilités caractérisées par (i) dessécheresses de plus en plus fréquentes, (ii) une diminutiondes volumes régularisables par les barrages par suite de leurenvasement, (ii) une surexploitation des eaux souterraines et(iii) la dégradation de la qualité de l’eau. Les ressources eneau sont menacées et se trouvent donc dans une situationchronique de pénurie d’eau. L’agriculture irriguée est le

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Figure 1. Evolution des apports annuels de L’OumEr Rbia au barrage Bin El Ouidane

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secteur le plus touché par la raréfaction des ressourcesen eau et les déficits en eau d’irrigation deviennentstructurels. C’est pour ces raisons que les pouvoirspublics, avec les agriculteurs irrigants, sont trèsconscients de l’importance des investissements en matièred’aménagement hydro-agricole pour faire face à ces pénuriesmoyennant une amélioration des conditions de mobilisation etd’augmentation de l’efficience des réseaux d’irrigationexistants. Ces raisons expliquent le rythme très élevéd’adoption de l’irrigation localisée au Maroc et la politiquedu gouvernement de conversion au goutte à goutte d’environ550 000 ha dans les périmètres de GH et dans les zonesd’irrigation privée d’ici 2020.

LE SOUTIEN DE L’ETAT A LA PETITE ETMOYENNE HYDRAULIQUE

Les périmètres de la PMH et des Oasis ont été considérésdans le passé comme des périmètres « traditionnels », oùl’Etat intervenait rarement et ce surtout pour la mobilisationet le transport de l’eau. Une modernisation technique etinstitutionnelle de ces périmètres est devenue de plus en plusun impératif pour assurer leur durabilité (Abdellaoui, 1986).Par exemple les usagers ne sont plus en mesure de mobiliserla main d’œuvre nécessaire pour la reconstruction des diguestemporaires après chaque crue. Les pertes d’eau dans lesseguias en terre sont devenues excessives dans les périmètresalimentés par des eaux souterraines affectées par la plus faiblepluviométrie. Or, toute approche de modernisation au niveaudes périmètres de PMH traditionnelles ne pourra assurer derésultats viables sans tenir compte des règles et des pratiqueslocales accumulées avec le temps par les bénéficiaires. C’estun véritable enchevêtrement d’aspects sociaux, techniques etculturels qu’il est nécessaire de comprendre pour assurer lamise en place d’un ensemble de mesures permettant un

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progrès économique et social des communautés visées(Lecestre-Rollier, 2004; Riaux, 2011). Le développementautour de la ressource en eau, dans les périmètrestraditionnels, constitue donc un véritable défi pour l’ensembledes intervenants et en particulier pour les ingénieurs chargésde concevoir et mettre enœuvre des projets de développementde l’irrigation dans ces périmètres.

Depuis les années 1980, le gouvernement du Maroc, avecle soutien financier des bailleurs de fonds, a améliorél’infrastructure hydraulique d’un certain nombre depérimètres de PMH, mais sans avoir toujours apporté uneaugmentation substantielle de la production agricole. Uneapproche originale à été adoptée pour le Projet d’AgricultureFruitière (PAF), financé par un don du Millenium ChallengeCorporation (MCC) en 2007, consistant en l’amélioration dela chaîne de valeur de quatre arbres fruitiers, principalementdes oliviers et palmiers-dattiers (Photos 1 et 2). Le projetPAF en zones irriguées intervient depuis la réhabilitationdes réseaux traditionnels d’irrigation, l’amélioration de laproductivité des arbres (tels que la taille des oliviers,l’enlèvement des touffes des palmiers-dattiers, la fourniture

Photo 1. Périmètre d’olivier en PMH (Chichoua Amont). This figure i

Photo 2. Périmètre de palmier dattier de Tinghir (Toudgha). This figure

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de vitro-plants, la formation des agriculteurs) jusqu’àl’installation d’unités de stockage des dattes et de triturationdes olives, avec un appui à la commercialisation desproduits (huile d’olive, olives de table et dattes). Le facteurprédominant pour la sélection des périmètres proposes pourle projet PAF a donc été la superficie plantée en oliviers oupalmier-dattiers.

LA GESTION DE L’EAU DANS LES PERIMETRESTRADITIONNELS

Les périmètres d’irrigation traditionnelle au Maroc ont uneinfrastructure d’apparence rustique mais sont en fait géréspar des règles coutumières très sophistiquées, développéespar les usagers, et des pratiques, qui ont évolué au fil dessiècles. Ces règles d’allocation et de distribution de l’eaus’appliquent toujours aux périmètres qui ont été améliorésdans le cadre de projets sur le budget général de l’Etat ouavec un financement extérieur dans les dernières décades.Un principe, adopté par tous ces projets de réhabilitation

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de périmètres de PMH, a été de ne pas modifier les règles encours régissant l’allocation des ressources en eau et doncde ne pas modifier les ouvrages de distribution existants.

Les règles acceptées par tous les ayant-droits d’unpérimètre traditionnel ne sont pas arbitraires et reflètentlargement les conditions imposées par l’environnentphysique et social. Plusieurs facteurs ont joué un rôle dansla détermination de la gestion de l’eau dans les périmètrestraditionnels.

Le paramètre déterminant est évidemment la ressource eneau et son origine, qui peut provenir d’oueds à caractèrepérenne, saisonnier, ou même limitée à quelques cruesannuelles ou biannuelles. L’eau peut être égalementd’origine souterraine sous forme de sources, ou extraitespar des khéttaras ou par pompage. Certains périmètresbénéficient de résurgences dans le lit des oueds, là où unseuil imperméable force le sous-écoulement à réapparaîtreen surface. La variabilité interannuelle, saisonnière et aucours d’épisodes pluvieux, de la ressource est un paramètreessentiel pris en compte dans la gestion des eaux.

La gestion des eaux dépend également de la structure despérimètres irrigués. Certains périmètres du Projet ArboricultureFruitière (PAF) sont alimentés par une seule source d’eau etsont ensuite ramifiés en un grand nombre de seguias(Ouaoumana, Outat El Haj, Azzaba et Louata par exemple).D’autres consistent en un grand nombre de seguias, chacuneavec une prise indépendante sur un oued ou plusieurs oueds.Le périmètre de Rich par exemple consiste en une série de12 seguias le long de l’Oued Ziz et ses affluents Sidi Hamzaet Nzala. De même les périmètres d’Aoufous, Gourrama etBéni Tadjit sont constitués de séries de seguias avec des prisesindépendantes.

D’autres facteurs importants sont pris en compte dansl’établissement des règles de gestion des périmètrestraditionnels:

• la contribution des ascendants des ayant-droits dans laconstruction des réseaux d’irrigation;

• la structure foncière et en particulier le morcellement desparcelles des ayant-droits, qui peuvent être dispersés surl’ensemble d’un périmètre;

• les lignages (fractions) à l’intérieur des périmètres etleur répartition géographique entre douars et ksars.

« La fluctuation des ressources en eau contraint les agriculteurs àpratiquer ce que l’on appelle l’irrigation en accordéon: lorsquel’eau est abondante, on irrigue la totalité du territoire; lorsquel’eau est rare, ce territoire irrigué est réduit à une petite surfaceen tête du périmètre. Chaque propriétaire tentera de détenir desparcelles le long du gradient d’irrigation amont-aval »(Bouderbala et al., 1984).

Même si le tour d’eau évite l’irrigation en accordéonmentionnée ci-dessus, il est certain que sont favorisés les

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usagers des parcelles amont, qui souffrent moins du tempsnécessaire à l’eau pour arriver à ces parcelles et des pertesen cours de route.

PRINCIPES DE GESTION DE L’EAU

Droits d’eau et droits de la terre. La relation entre lesdroits d’eau et les droits de la terre est un élément essentieldans la détermination des règles d’allocation de l’eau. Lesdroits de l’eau et ceux de la terre peuvent être liés ouindépendants. Dans ce dernier cas, l’eau est dite célibataire.Les droits d’eau peuvent être vendus séparément de la terreet réciproquement. Ils peuvent aussi être loués pour unepériode déterminée. Certains usagers peuvent avoir desdroits d’eau et pas de terre et réciproquement.

Lorsque les droits d’eau sont célibataires, en général cesdroits peuvent être vendus soit pour une saison soitdéfinitivement.

La propriété de l’eau est acquise à celui qui par son travailou ses deniers a contribué à la faire couler. Ce principefondamental en zone aride semble être à l’origine duconcept de propriété de l’eau dans les zones présahariennes.La propriété des eaux individuelles ou collective et les droitsd’eau peuvent être aliénés dans le temps. Dans les zonesarides ou semi-arides, la terre ne constitue pas le vrai capital.Elle n’a de valeur que par les droits d’eau qui lui sontattachés (Salem et El Hebil, 1988).

Des seize périmètres visités par une mission MCC enmars et octobre 2012, l’eau est célibataire dans troispérimètres situés au Nord-Ouest du Moyen Atlas et dans lehaut bassin de la Moulouya (Outat El Haj et Tassa) et liéeà la terre dans les périmètres du bassin de l’oued Ziz. Parcontre, dans la vallée du Draa, les droits d’eau sontgénéralement séparés des droits de la terre. Il ne semblepas qu’il existe un facteur clé pour déterminer si les droitsd’eau sont liés ou pas au droit de la terre. Par exemple l’eauest célibataire dans le périmètre d’Azzaba et liée à la terredans le périmètre voisin de Louata, tous les deux alimentéspar une source.

DROITS D’EAU LE LONG DES OUEDS

Les droits d’eau entre périmètres ou seguias le long d’unoued sont toujours régis par la règle de priorité de l’amontsur l’aval. Souvent, la seule règle tacite entre les ayant droitsde ces seguia est de laisser un débit raisonnable pour l’aval.Pour éviter des conflits entre l’amont et l’aval, il est souventconvenu qu’aucun seuil traversant fixe en béton ne pourraêtre construit sur les oueds, en vue de maintenir un certaindébit pour les irrigants à l’aval.

Pour éviter des conflits entre ethnies servies par différentesseguias ou pour garantir les droits des colons durant le

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Protectorat, des décrets (Dahir) ont exceptionnellement fixésles droits de chaque seguia. Par exemple les droits de chaqueseguia dans la vallée de l’Ourika (région du Haouz) sont régispar un Dahir émis en 1935 en fonction du débit de l’oued àl’amont. Pour des faibles débits, seules les seguias amontpeuvent dériver l’eau de l’oued. Lorsque le débit de l’ouedaugmente, les droits de ces seguias augmentent et les seguiassituées plus à l’aval peuvent commencer à dériver de l’eaude l’oued.

REPARTITION DE L’EAU DANS UN PERIMETRETRADITIONNEL

Deux seules méthodes de répartition des ressources en eau etleur combinaison peuvent être adoptées pour la gestion despérimètres d’irrigation, dont les ressources en eau ne sontpas régularisées: la division du débit disponible ou larépartition du débit dans le temps entre les usagers. Dansles projets d’irrigation alimentés par des réservoirs derégulation, il est possible d’allouer un volume annuel ousaisonnier à chaque usager, à lui de repartir ce volume aucours de la saison.

Division des apports en eau. Les apports en eaupeuvent être partagés entre deux ou plusieurs associationssuivant un ratio fixe indépendant du débit entrant à l’aide

Photo 3. Ouvrage partiteur entre deux seguias (Outat El haj). This figure

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d’un partiteur statique consistant en un déversoir muni depasses de séparation. La largeur relative de chaque passedétermine le ratio de distribution (par exemple 1/2 -1/2 ou1/3-2/3 ou 1/3-1/3 -1/3). Cette méthode de partage existe àOutat El Haj pour répartir le débit en tête entre les troissous-périmètres. Il est utilisé également à Azzaba ainsiqu’à Chichaoua et Louata (photo 3). Un partiteur a étéconstruit à la fin du canal principal du périmètre nouveaude Khorbat pour diviser les débits de crue entre les deuxcanaux secondaires.

Un concept très important dans les périmètrestraditionnels est la notion de part du débit entrant en têtedu périmètre, qui est variable dans le temps en l’absenced’ouvrages de régulation. Ce n’est pas un débit exprimé enlitres/seconde ni un volume. Le terme Fi-lah, d’originearabe, utilisé dans le périmètre de Valence en Espagne pourdésigner ce droit, n’a pas été trouvé dans les périmètresvisités, mais le concept de part du débit entrant est bienconnu au Maroc. Il s’agit d’une part fixe d’une valeurvariable, comme une part d’une valeur financière variable.

Répartition du temps. Le deuxième mode de répartitionde l’eau est la répartition en temps. Ce mode demandel’établissement d’un tour d’eau avec une durée bien définieou non pour chaque ayant-droit, qui peut être déterminée parla superficie de la parcelle ou par un droit. Le terme utilise

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au Maroc est la Nouba. Le tour d’eau varie d’un périmètre àun autre et aussi entre les seguias à l’intérieur d’un périmètre.Sur l’une des seguias du périmètre de Rich, la durée del’irrigation est de 8minutes pendant le jour et de 10 pendantla nuit pour une superficie de 324m2. A Gourrama, la duréeest calculée sur la base de 72minutes pour 900m2.

Dans certains périmètres, le tour d’eau, c’est à dire l’ordredans lequel les ayant droits reçoivent leur tour, est bienétabli mais le temps accordé à chaque ayant droit n’est paslimité. Chaque ayant-droit peut donc irriguer aussilongtemps qu’il n’y a pas de gaspillage d’eau. Par exempledans le périmètre de Rich, le tour d’eau de la seguia Guersiaest de 7 jours et est divisé entre cinq douars. En période defaible débit, chaque douar disposant d’un temps précisrecrute un aiguadier pour l’irrigation des terres suivant unordre déterminé. S’il n’a pas pu terminer l’irrigation del’ensemble des terres irrigables appartenant à ce douar dansle temps imparti, au tour suivant il reprendra là où il s’estarrêté. Cette méthode est utilisée dans certaines seguias lelong du Draa, mais celle qui est la plus fréquente dans cettevallée est le tour d’eau à durée fixe.

Ces deux modes de distribution de l’eau sont souventretenus à l’intérieur d’un même périmètre. La partition dudébit se fait à l’amont du périmètre entre fractions et ladistribution au temps est pratiquée plus à l’aval pour larépartition entre irrigants sur une même seguia. Lorsquel’eau est abondante, la demande est libre mais est souventorganisée de l’amont vers l’aval.

Le mode de gestion où l’eau est célibataire peut être renduplus complexe dans certains périmètres lorsque les usagerspossèdent plusieurs parcelles dispersées et alimentées pardifférentes seguias. Dans ce cas, cet usager doit pouvoirfaire transiter son droit d’une seguia à une autre. Unesolution technique à ce problème existe dans les périmètres

Photo 4. Aiguadier vérifiant la répartition du débit par sa propre expérience. Thi

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de Grande Hydraulique équipés de modules à masque. Cesappareils ne sont pas utilisés dans les périmètres de PMH.Une solution à ce problème dans les périmètres de PMHconsiste en l’installation de partiteurs multi passes équipésde vannettes modulables permettant de distribuer le débitsuivant un grand nombre de parts (c’est le cas d’Outat ElHaj et Louata par exemple) (Photo 3). Une solution plusrustique est utilisée dans certains périmètres de la régiondes Béni Mellal, où le partage variable en parts est fait àl’aide de pierres régulièrement espacées. L’aiguadier vérifieempiriquement que la vitesse de l’eau dans les différentespasses entre les pierres est à peu près la même (cas dupérimètre de Tanogha) (Photo 4).

Répartition en volume. A la différence des périmètresqui utilisent soit une répartition du débit soit une répartitionau tour d’eau, l’eau est repartie au volume dans certaines oa-sis alimentées par des khéttaras dont le débit est trop faiblepour irriguer en continu. L’eau est stockée dans un réservoirpendant la nuit ou pendant une certaine période dépendantdu volume du réservoir. Un certain volume dans le réservoirest alloué a chaque ayant droit et mesuré à l’aide d’unbâton étalonné. Cette méthode est utilisée dans l’oasisd’Akka-Ighran dans le sud de l’Anti-Atlas.

Une autre complication existant dans la plupart despérimètres alimentés par des oueds réside dans la variabilitédu débit en tête du réseau. Dans certains cas, le périmètrepeut disposer d’un débit assez faible en période d’étiage etd’un débit élevé à la fonte de neiges, pendant les pluies etéventuellement pendant les crues majeures. Dans les casextrêmes, les périmètres ne bénéficient que des eaux de crueà une fréquence de 2 ou 3 fois par an voire parfois moins.Dans ces deux cas le réseau d’irrigation est surdimensionné

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pour pouvoir bénéficier des eaux de crues. Par exemple lesseguias dans le périmètre de Tadighouste servant 40 et 60hectares sont dimensionnées pour un débit de 260 et 340 l/srespectivement. Le réseau de distribution doit permettrede répartir les eaux d’étiage suivant les règles définiesci-dessus et également de répartir les eaux de crue à lademande. Ce problème est résolu à l’aide d’ouvrages deprise avec multi-vannes sur la seguia principale, dontune seule est utilisée en périodes d’étiage, pendantlesquelles ces ouvrages fonctionnent alors en Tout OuRien (photo 5).

Les crues sont généralement d’une durée bieninférieure au tour d’eau. Dans ce cas, pendant les crues,

Photo 5. Ouvrage de prise sur canaux véhiculant des eaux de crues et débits d’étiage

Photo 6. Ouvrage multi-passes à débit ajustable (Outat El Haj). This figur

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le tour d’eau reprend là où il s’est arrêté pendant la crueprécédente.

A l’opposé, certains périmètres disposant d’eau pérenne,telles que les résurgences dans les lits d’oueds, ne souhaitentpas dériver les eaux de crues trop chargées entraînantensuite des travaux de curage considérables et nuisibles àcertaines cultures (Gouramma).

En résumé, les ouvrages de répartition de l’eau dans lespérimètres traditionnels sont donc limités à des:

• partiteurs sans vannes à ratio fixe généralementutilisés en tête des périmètres pour partager l’eau entresous-périmètres ou fractions (Photo 6);

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Pho

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Co

• partiteurs multi-passes avec vannes à répartition variableentre parts de débit. Ces deux types d’ouvrages existent àOutat El Haj et Azzaba;

• prises simples dites Tout Ou Rien (TOR).

CAS DES OASIS DOMINEES PAR DESRESERVOIRS DE REGULATION

La coexistence de réseaux modernes et de réseauxtraditionnels dans les oasis au sud Maroc constitue un casparticulier et unique. Les eaux régularisées par la constructionde barrages de retenues sur les oueds Ziz et Draa, sont lâchéespendant 20 jours environ deux à cinq fois par an. Dans laVallée du Draa, ces eaux sont distribuées aux seguiastraditionnelles à travers un réseau moderne comprenant lesouvrages de grande hydraulique (vannes automatiques,modules à masque et limiteurs de débit). Dans la vallée duZiz, les deux systèmes moderne et traditionnel fonctionnentde manière simultanée.

Ajustements des irrigations en période de sécheresse

Les agriculteurs dans les périmètres de PMH et les oasiss’adaptent à la diminution des ressources en eau dans lespériodes de sécheresse. Ils appliquent intuitivement lesprincipes d’irrigation déficitaire en donnant priorité auxcultures saisonnières, telles que la luzerne et les culturesmaraîchères, durant la saison sèche et en cherchant àdévelopper les ressources en eau souterraine. En cas desécheresses très sévères, ils diminuent la superficie cultivée.Dans les périmètres de PMH ils utilisent la capacité desoliviers de s’adapter au stress hydrique, en modifiant latranspiration foliaire par le degré d’ouverture des stomates(Wheeler et al., 2008). Les agriculteurs sont bien conscientsque les besoins eau dépendent de l’âge des oliviers et de leurdensité. Dans les oasis, ils savent bien que les palmier-dattiers

to 7. Dans le cadre du projet arboriculture fruitière-composante irrigation finansection rectangulaire. This figure is available in colo

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ont la capacité de puiser dans la nappe phréatique, même àgrande profondeur.

Travaux d’infrastructure hydraulique dans le cadre duprojet PAF

Dans le cadre du projet PAF-ZI, il était prévu de réhabiliterl’infrastructure hydraulique de 77 périmètres traditionnelsdont 12 dans les oasis et 65 dans les zones de PMH. Au totalplus de 53.000 hectares ont bénéficié de ce projet. Environ60 seuils de dérivation et prises latérales de dérivation deseaux d’irrigation ont été construits. Plus de 700 kilomètresde canaux en terre ont été convertis en canaux en bétonsouvent de section rectangulaire (Photo 7). Ce choix a étéfait pour diverses raisons, dont une plus faible occupationdu sol et une meilleure garantie de la qualité des travaux etdonc de la durabilité des canaux. Ces derniers ont étéconstruits par la méthode classique utilisant des coffragesfixes en raison des difficultés d’accès dus à la végétationparfois très dense. Sur terrain en zones nues, il aurait étéjudicieux d’utiliser la méthode moderne de construction decanaux avec coffrages glissants à coulage continu mais cen’est pas la situation prédominante.

Les ouvrages de prise, d’une conception classique,comprennent soit un petit barrage de dérivation, soit unesimple prise latérale, associée à un dégraveur et à undispositif pour réguler le débit entrant dans les seguias encombinant un déversoir latéral et un orifice muni d’unevanne (Photo 8).

Les ouvrages de régulation sur les réseaux de distributionsont limités à des partiteurs ou de simples vannes glissantes.Sur les canaux de faible débit ne dépassant pas 60 l/s, lesouvrages sont équipés de vannettes Tout ou Rien (TOR)de 40 cm de largeur environ. Pour les canaux de plus grandesection, les vannes doivent pouvoir accommoder à la fois lesdébits faibles et les débits de crues. Il est donc prévu un jeude deux ou plusieurs vannes à travers le canal primaire, dont

cé par MCC, plus de 700 kilomètres de canaux en terre ont été bétonnés enur online at wileyonlinelibrary.com/journal/ird

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Photo 8. Dans le cadre du projet arboriculture fruitière-composante irrigation financé par MCC, 62 ouvrages de prise de conception classique ont été réhabilitésou réalisés. This figure is available in colour online at wileyonlinelibrary.com/journal/ird

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une largeur de 40 cm pouvant être utilisée comme unevannette TOR sur la prise latérale (photo 9). Le nombre deprises exécutées a largement dépassé les prévisions poursatisfaire les demandes des agriculteurs en prisesindividuelles.

Dans les deux oasis de Fezouata et du M’hamid situées leplus à l’aval de la vallée du Draa, les canaux modernestraversant les zones désertiques à l’extérieur des oasis sontfréquemment remplis par du sable, obligeant lescommunautés locales à mobiliser des centaines de personnesavant chaque irrigation. Le projet MCA-Maroc a doncdécidé de construire des seuils fixes dans le lit de l’ouedDraa pour l’alimentation directe des seguias traditionnellestraversant les palmeraies.

Tous ces travaux ont eu pour effet d’améliorer lesinfrastructures d’irrigation existantes dans le respect desrègles coutumières d’allocation et de distribution de l’eau.Les usagers ont exprimé leur satisfaction sur les aspects

Photo 9. Un jeu de deux ou plusieurs vannes à travers le canal primaire, dont une pois available in colour online at wile

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suivants: i) la diminution du temps de transmission de l’eau,ii) la réduction des pertes d’eau et donc un accroissementdes surfaces irriguées et iii) plus particulièrement de ne plusavoir à mobiliser l’ensemble des usagers après chaque cruepour la reconstruction des digues fusibles. Toutefois cestravaux ne peuvent être assimilés à une modernisation del’irrigation au sens défini par la FAO consistant en une plusgrande souplesse dans la distribution en eau permettantl’adoption des techniques modernes d’économie en eau.Aucun périmètre dépendant des eaux de surface n’aété converti à l’irrigation localisée. Cette conversiondemanderait une profonde révision des droits d’eau et unaccord entre les usagers sur la mise a disposition de terrainspour la construction de petits réservoirs. Les améliorationsapportées par le projet devraient toutefois encourager lesassociations à raccourcir les tours d’eau, comme cela a étéadopté par le périmètre de Ain Bittit qui a réduit le tourd’eau de 14 à 7 jours.

uvant être utilisée comme une vannette TOR sur la prise latérale. This figureyonlinelibrary.com/journal/ird

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LE TRANSFERT DE LA GESTION A DESASSOCIATIONS DES USAGERS DE L’EAU

AGRICOLE (AUEA)

La gestion de la ressource en eau requiert un savoir faireen matière de règles hydrauliques et surtout une bonneorganisation, que les communautés d’irrigants ontdéveloppée avec le temps. La gestion des périmètrestraditionnels au Maroc a fait partie des nombreusesresponsabilités des assemblées de notables, les J’maa.Toutefois, pour permettre leur contribution dans les choixtechniques lors des aménagements, les communautésd’irrigants devraient être organisées dans des structuresformelles et disposer des outils nécessaires à une participationeffective dans la prise de décision entre pouvoirs publicspourvoyeurs de projets et communautés d’irrigants.

Dans ce sens, le Gouvernement Marocain a établi et a faitpromulguer la loi n° 02/84 du 21 Décembre 1990 relative àla constitution d’Associations d’Usagers des Eaux Agricoles(AUEA). Cette loi et son décret d’application réglemententles accords entre l’Etat et les AUEA pour les investissementsdans un « programme de travaux » sur un périmètre de PMHet déterminent les fonctions légales et statutaires des AUEAvis-à-vis de la gestion et de l’entretien des réseaux d’irrigation.Les AUEAs contrairement aux J’maa sont donc desassociations dont les fonctions sont limitées a l’irrigation.Des coopératives de producteurs d’olives ou de dattes pouvantcouvrir plusieurs périmètres ont été crées séparément.

Toutefois, il n’a pas été question de contourner lesanciennes structures, qui sont à l’origine de la conduited’un réseau depuis plusieurs décennies. Il a été toujoursquestion de valoriser un savoir faire local et d’assurer sapréservation. Les instances concernées pour la mise en placedes AUEA, ont veillé normalement à ce qu’elle soit uneévolution naturelle des formes ancestrales d’organisationafin qu’elle soit un moyen de sauvegarde des patrimoinessouvent très riche. Dans plusieurs cas, les Conseils

Photo 10. Renforcement des compétences des AUEA, séance de formation des en sall

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d’Administration des AUEA comprennent aussi bien despersonnages clés des J’maa avec des jeunes plus aptes àprendre la relève de la gestion administrative et financièrede ces affaires. La création des AUEA est une évolutionqui s’inscrit dans une dynamique saine pour la recherched’un réel développement durable autour d’une ressourceaussi rare que l’eau. Au contraire, maintenir une situationde statut quo ne pourrait que conduire vers moins detransparence et des décisions peu concertées avec desrisques de dérives plus prononcées et par conséquent defaire perdurer une certaine hiérarchie sociale construite surdes privilèges des acquis et de rentes.

Les programmes d’aménagement et de réhabilitation depérimètres de PMH, qui se sont succédé à ce jour, ont suscitéla création de plusieurs AUEA auxquelles sont confiées lagestion et l’entretien des infrastructures hydrauliques, lagestion et la valorisation de l’eau d’irrigation. Reparties surl’ensemble du territoire marocain et constituées d’exploitantsen majorité peu ou pas scolarisés, les AUEA ne pouvaientdevenir fonctionnelles sans une formation préalable de leursmembres sur leurs fonctions et sur les moyens de les assumeradministrativement, techniquement et financièrement.

Ainsi, en tant que mesure d’accompagnement auxprogrammes d’aménagement et de réhabilitation despérimètres de PMH, un programme de formation structuréa été conçu et mis en œuvre avec l’appui du MCC.L’objectif global du programme de formation en tant quemesure d’accompagnement aux travaux d’aménagementest de contribuer, au même titre que les aménagements, àl’augmentation de l’efficience du réseau, du tauxd’intensification culturale et de la production agricole pourune amélioration des revenus agricoles tirés des périmètresaménagés. L’objectif spécifique du programme de formationest de rendre les AUEA fonctionnelles, en renforçant lescompétences des membres du conseil d’administration eten responsabilisant les membres de l’AUEA en vue desécuriser les infrastructures d’irrigation et de mettre en

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Photo 11. Renforcement des compétences des AUEA, séance de formation des dans les champs. This figure is available in colour online at wileyonlinelibrary.com/journal/ird

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valeur le périmètre de manière efficiente et durable(Photos 10 et 11).

Grace à la formation, les AUEA ont développé des outilsde gestion et d’entretien des réseaux d’irrigation, permettantd’assurer la durabilité des ouvrages réalisés et un usage plusrationnel de la ressource en eau, tels que documentscomptables et liste des ayant-droits.

CONCLUSION

L’eau dans les zones d’irrigation traditionnelle a ététoujours considérée comme une source de richesse, toutautant que la terre, et qu’il faut gérer collectivement. Pource faire, des règles et des lois ont été établies avec letemps. Ces règles de répartition des droits d’eau sont trèsdiversifiées entre les périmètres et même à l’intérieur deces périmètres.

La décision des associations des usagers de l’eau dansles périmètres traditionnels de ne pas modifier les règlesd’allocation en eau a toujours été respectée lors des pro-jets de réhabilitation. Ces règles pourraient toutefoisévoluer selon la décision des associations. L’engouementpour l’irrigation au goutte à goutte dans l’ensemble duterritoire marocain, même dans les zones les plus isolées,pourrait aussi entraîner une modification des règlesactuelles des périmètres traditionnels, là où la pérennitédes ressources en eau permettrait son adoption, parexemple une réduction du tour d’eau autorisant celle dela dimension des bassins de stockage. Dans les périmètresdépendant des eaux de crue, la seule option serait la re-charge des eaux souterraines, une approche adoptée pourle nouveau périmètre de Khorbat.

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La modernisation des conditions de mobilisation et degestion de la ressource en eau de ces périmètres est sansaucun doute un moyen inéluctable pour assurer undéveloppement durable dans ces zones, où le facteur eaureste déterminant. Or, les agriculteurs irrigants, qui onttoujours su s’adapter avec le temps en s’ingéniant et ens’organisant pour faire face aux défis de leurs époques, setrouvent maintenant devant le dilemme de droits figés pourdes ressources en déclin et des besoins croissants et difficilesà satisfaire.

NOTE1Les khettaras connus sous le nom de qanats en Iran sont desgaleries qui captent l’eau d’une nappe souterraine par drainageet permettent de l’amener a la surface par gravité. Une khettarase compose d’une galerie et d’une succession de puits espacésde 10 a 20 metres, qui n’ont d’autre fonction que de permettrede creuser la galerie et de l’entretenir.

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