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«À quelles conditions une histoire du Rwanda est-elle possible », peut-on d’abord se deman- der ? La réponse est simple : une histoire est toujours possible. Mais ce n’est pas la pré- occupation de Vansina : sa question porte sur la nature même de l’histoire à écrire. Selon lui, le Rwanda ancien nous offre des guides méthodologiques spécifiques pour une telle recherche. J’examinerai ici les implica- tions de cette approche. « L’exploration des sources subalternes comme pouvoir subversif » aurait pu convenir comme sous-titre à cet ouvrage. La relation conven- tionnelle entre les données et les idéologies s’y trouve en effet renversée. En général, les pre- mières servent à construire les secondes ; ici, elle les déconstruisent, ce qui produit une vision radicalement neuve du pouvoir pré- colonial et de l’histoire étatique. Cette repré- sentation du Rwanda ancien met particuliè- rement bien en lumière les effets déformants des idéologies royales et le caractère sélec- tif de l’historiographie de cour qui en résulte. Rappelons que l’histoire popularisée à l’épo- que coloniale fait remonter la dynastie à un ancêtre nyiginya tombé du ciel au XI e siècle. Selon cette version, le royaume rwandais aurait été fermement établi dès le XV e siècle. La preuve ? Seize règnes se sont succédé sans rupture, manifestant la continuité patri- VANSINA (Jan) LE RWANDA ANCIEN. Le Royaume nyiginya Paris, Karthala, 2001, 289 pages. Le point de vue de David Newbury 151 LECTURES Autour d’un livre linéaire de la dynastie. Vansina rompt avec cette vision trop idéologique de l’histoire et propose les observations suivantes : 1) L’his- toire du royaume n’est pas équivalente à l’his- toire des rois. 2) L’histoire de la royauté ne fournit pas une histoire politique complète. 3) L’origine du royaume est plus récente qu’on ne le disait ; elle date des environs de 1700. 4) Les rois, dont le pouvoir était variable, n’étaient ni autocratiques ni tout-puissants. 5) La succession politique n’était pas plus déterminée que l’histoire politique n’était pré- destinée. 6) La centralisation politique n’était pas fondée sur une administration territoriale uniforme et intégrée, et surtout pas sur l’en- tité rwandaise actuelle. 7) Les expéditions militaires n’étaient pas toujours victorieuses. 8) Les dirigeants n’étaient ni plus intelligents ni davantage « nés pour commander » que leurs sujets ; les luttes de succession en sont la preuve. La clarté avec laquelle Vansina fait la distinc- tion entre sources officielles et témoignages du commun nous permet de tirer d’importan- tes conclusions. Il indique que quatre informa- teurs – seulement – constituent les sources de Schumacher, Delmas et Kagame, Pagès, lui, s’appuyant plutôt sur des informateurs hors de l’entourage royal direct. Schumacher, qui identifie clairement ses sources, est le plus

LE RWANDA ANCIEN Le Royaume nyiginyaformation politique qui émerge avec le mwami Ruganzu Ndori vers le milieu du XVIIe siècle s’appuie, comme les autres royaumes de la région

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«À quelles conditions une histoire du Rwandaest-elle possible», peut-on d’abord se deman-der ? La réponse est simple : une histoire esttoujours possible. Mais ce n’est pas la pré-occupation de Vansina : sa question portesur la nature même de l’histoire à écrire.Selon lui, le Rwanda ancien nous offre desguides méthodologiques spécifiques pour unetelle recherche. J’examinerai ici les implica-tions de cette approche. « L’exploration des sources subalternes commepouvoir subversif » aurait pu convenir commesous-titre à cet ouvrage. La relation conven-tionnelle entre les données et les idéologies s’ytrouve en effet renversée. En général, les pre-mières servent à construire les secondes ; ici,elle les déconstruisent, ce qui produit unevision radicalement neuve du pouvoir pré-colonial et de l’histoire étatique. Cette repré-sentation du Rwanda ancien met particuliè-rement bien en lumière les effets déformantsdes idéologies royales et le caractère sélec-tif de l’historiographie de cour qui en résulte.Rappelons que l’histoire popularisée à l’épo-que coloniale fait remonter la dynastie à unancêtre nyiginya tombé du ciel au XIe siècle.Selon cette version, le royaume rwandaisaurait été fermement établi dès le XVe siècle.La preuve ? Seize règnes se sont succédésans rupture, manifestant la continuité patri-

VANSINA (Jan)LE RWANDA ANCIEN. Le Royaume nyiginyaParis, Karthala, 2001, 289 pages.

Le point de vue de David Newbury

151 LECTURES

Autour d’un livre

linéaire de la dynastie. Vansina rompt aveccette vision trop idéologique de l’histoire etpropose les observations suivantes : 1) L’his-toire du royaume n’est pas équivalente à l’his-toire des rois. 2) L’histoire de la royauté nefournit pas une histoire politique complète.3) L’origine du royaume est plus récente qu’onne le disait ; elle date des environs de 1700.4) Les rois, dont le pouvoir était variable,n’étaient ni autocratiques ni tout-puissants.5) La succession politique n’était pas plusdéterminée que l’histoire politique n’était pré-destinée. 6) La centralisation politique n’étaitpas fondée sur une administration territorialeuniforme et intégrée, et surtout pas sur l’en-tité rwandaise actuelle. 7) Les expéditionsmilitaires n’étaient pas toujours victorieuses.8) Les dirigeants n’étaient ni plus intelligentsni davantage « nés pour commander » queleurs sujets ; les luttes de succession en sont lapreuve.La clarté avec laquelle Vansina fait la distinc-tion entre sources officielles et témoignagesdu commun nous permet de tirer d’importan-tes conclusions. Il indique que quatre informa-teurs – seulement – constituent les sources deSchumacher, Delmas et Kagame, Pagès, lui,s’appuyant plutôt sur des informateurs hors del’entourage royal direct. Schumacher, quiidentifie clairement ses sources, est le plus

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intéressant parce qu’il fait ressortir les origi-nes différentes de témoignages discontinuset qu’il révèle les constructions ultérieures,notamment celles de Kagame. Les principauxinformateurs – les « historiologues », commeles appelle Vansina – se fréquentaient et seconsultaient fréquemment. Les principauxenquêteurs – ceux que Vansina nomme les « historiographes » – puisaient aux mêmessources, se connaissaient et connaissaientleurs travaux respectifs. Leur dialogue produisitpeu à peu, tandis qu’ils œuvraient au sein dumême univers intellectuel, une histoire « offi-cielle ». Cette orthodoxie prit forme en 1936,année où Alexis Kagame commençait sesenquêtes. Par son travail critique, Vansinanous fait donc assister à la naissance d’unehégémonie historiographique.

En marge de cette histoire, plusieurs cen-taines de récits historiques ibitekerezo étaientrejetés dans une position subalterne. Recueillisde 1950 à 1962 par ou sous la direction deVansina, ils n’avaient pas été systématique-ment analysés ni utilisés jusqu’ici. D’autresdocuments, notamment les sources allemandesles plus anciennes, contribuent aussi à remettreen question les orthodoxies royales et à rendresa complexité à l’histoire. Cependant, malgréla puissance de son argumentation, l’ouvragede Vansina reste centré sur une critique del’histoire dynastique plutôt qu’il ne proposeune nouvelle vision du royaume.Selon Vansina, la lignée royale nyiginya com-mence avec Ruganzu II Ndori. Sa révisionde l’origine dynastique, il est vrai, soulèvedes questions fondamentales. Ainsi, sur la

base de liens linguistiques et de continuitésinstitutionnelles, Vansina situe l’origine deRuganzu au nord. Pourtant, les dissonancesentre les formes de la royauté au Nkore et lesstructures rwandaises suggèrent que la concep-tion idéologique de la royauté rwandaises’est développée à partir de croyances et depratiques qui lui préexistaient, et qui devin-rent centrales aux XVIIe et XVIIIe siècles. Jusquerécemment, ces modèles de légitimité étaientaussi en vigueur dans les régions situées àl’ouest du Rwanda, et les sources relativesaux interactions de Ruganzu avec ces régionsauraient dû être davantage exploitées.Si Ruganzu Ndori est reconnu comme fon-dateur de la dynastie, la légitimité qui repo-sait sur la longévité dynastique s’écroule. Enréinscrivant les actions des rois dans le coursde l’histoire, en les extrayant des cerclesmagiques de la répétition, Vansina nous faitentrevoir des innovateurs engagés dans laconstruction de la royauté. Nous pouvonsenfin transcender les idéologies royales etgommer les dates des traditions de la cour(1091 ou 1460) pour planter l’arbre généa-logique aux environs de 1700. D’autres queVansina avaient fait cette proposition, maiscelui-ci s’appuie sur des données archéolo-giques et climatiques pour valider les analysescritiques qui mettent en cause les traditionsorales. Reste qu’en rétablissant les rois commeacteurs concrets et non plus comme symboles,on perçoit le danger qu’il y a à restreindrel’analyse à la lignée royale et à la seule his-toire de la cour. En effet, à l’inverse des sym-boles, les acteurs interagissent avec d’autres,dans un univers matériel, au-delà des cerclesroyaux. Aussi, alors que Vansina a rendupossible une enquête plus étendue, la prise encompte de ces « autres » qui sont en relationavec les rois et la cour devient nécessaire.Bien qu’une histoire détaillée de la lignéeroyale soit d’une valeur inestimable, une telleétude invite en quelque sorte à élargir sonpropre objet.

152 LECTURES

«Vansina reste centré

sur une critique de l’histoire

dynastique plutôt qu’il

ne propose une nouvelle vision

du royaume.»

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Politique africaine n° 83 - octobre 2001

Autour d’un livre153

Après avoir liquidé l’idéologie des cyclesgénéalogiques, l’étape suivante est une révi-sion de la longueur des règnes, ou mêmel’expurgation de certains rois. Dès lors, l’his-torien s’interroge sur la fabrication des listesde rois, sur les motifs de l’insertion de certainsnoms et sur les usages qui en furent faits pourrendre, par exemple, des annexions légi-times. C’est dans l’histoire des générationsultérieures que l’on trouve les raisons de cestransformations généalogiques, le prédéces-seur royal du même nom servant de prétexteaux actions du successeur, ce dernier le glo-rifiant aux seules fins de se justifier. Cepen-dant, cela reste à prouver par une véritableenquête scientifique, comme le suggère letravail de Vansina.Au-delà de son apport à notre compréhen-sion des lignages royaux, un tel ouvrage estprimordial par la posture qu’il incite l’histo-rien du Rwanda à prendre : il lui faut sépa-rer l’histoire du Rwanda de celle de ses rois.Foin du triomphalisme des sources officielles !Grâce à ce travail, nous voici désormais plusaptes à situer les faits dans un contexte socialplus large, à observer les marginalisés autantque les bénéficiaires des processus histo-riques. Ainsi, le seul nombre des victimes del’expansion nyiginya révèle que celle-ci fut une catastrophe pour la population. Parmiles victimes figuraient en bonne place lespropriétaires de bétail, ce qui remet en ques-tion l’existence chez eux d’une « ethnicité »dérivée de leur culture économique, et détruitl’idée que ces propriétaires de bétail (les Tutsi, pourrait-on dire) aient toujours fait front commun et agi comme un seul groupe.Enfin, ce travail nous incite à réexaminerl’évolution de l’institution royale au cours deson histoire.Revenons à notre question initiale : «à quellesconditions une histoire du Rwanda est-ellepossible ? », et aux réponses qu’y apportel’auteur : insérer les rituels dans l’histoire,

tant sous leurs aspects idéologiques et pra-tiques que dans leurs formes légitimantes ou,au contraire, subversives. Cette démarche,Vansina ne la limite pas à la théorie. Lespreuves empiriques de changements et lesrépercussions politiques de ces derniers minentles orthodoxies royales.

Il nous guide au-delà des idéologies, nousdévoile les institutions et les acteurs de laroyauté et attire notre attention sur les com-parses du pouvoir et sur ceux qui sont exclusde ses bénéfices. Ce faisant, il contribue àéclaircir le concept de pouvoir, montrant quel’étude de ce dernier porte aussi bien sur sespertes que sur ses gains, sur les croyancesautant que sur les ressources et, enfin, surles ruptures et les dislocations autant que surles renforcements.Ce livre brillant n’est donc pas seulement unmonument en lui-même. Vansina balise denouvelles pistes de réflexion et de recherche.Son ouvrage de 1962 fut la base desrecherches pour toute une génération. Le reculdont celui-ci fait preuve témoigne de l’évolu-tion des méthodologies, du progrès desconnaissances et d’une sophistication accruedans la compréhension de l’histoire. Beaucoupplus détaillé que le précédent, il pourrait mar-quer un nouveau départ dans la connais-sance de l’histoire régionale.

David Newbury Smith College, Northampton

«Vansina attire

notre attention

sur les comparses du pouvoir

et sur ceux qui sont

exclus de ses bénéfices.»

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Le Rwanda précolonial ressort sensible-ment mieux éclairé de la récente synthèse deJan Vansina, mais l’éclairage reste sombre.Ce parcours de trois siècles, étêté des légendesqui le prolongeaient en amont du XVIIe siècledans les traditions officialisées par le regrettéAlexis Kagame, se termine, à la veille de laconquête allemande et missionnaire qui s’ef-fectue entre 1897 et 1907, par le règne deRwabugiri, dépeint sous les couleurs d’unescène de cauchemar préparant aux horreursdu génocide de 1994. Même si l’auteur peutse poser en «professionnel non impliqué dansles affaires du Rwanda actuel », son ouvragese conclut sur deux propositions qui l’enga-gent : « la société actuelle est une descen-dante de celle de 1900 » et le passé est un « laboratoire d’expériences humaines». Noussommes ainsi amenés à réfléchir sur troisgrandes questions : celles de la nature et dela trajectoire de l’État monarchique ancien, dela dimension historique de l’ethnicité hutu-tutsi et, enfin, du métier d’historien confrontéà la mémoire collective dans une société deculture orale.

Jan Vansina nous rappelle utilement, au casoù nous l’ignorerions encore, que le Rwandan’est ni tombé du ciel, ni n’a été importé clefsen main par un conquérant éthiopien, et quela principauté nyiginya initiale n’est pasencore le Rwanda que nous connaissonsdepuis le XXe siècle. Le mot Rwanda lui-mêmea-t-il désigné initialement une « étendue d’es-saimage » parmi d’autres ? Pourquoi pas.

Washington n’est-elle pas la capitale d’uneétendue en croissance depuis le XVIIIe siècle quise baptise banalement les « États-Unis ». Laformation politique qui émerge avec le mwamiRuganzu Ndori vers le milieu du XVIIe siècles’appuie, comme les autres royaumes de larégion des Grands Lacs, sur deux ressortsfondamentaux, religieux et guerrier. À la dif-férence de ses voisins (sauf sans doutele Nkore), le système politique mis en placecombine un mode de prestations centraliséespar une cour, elle-même démultipliée en plu-sieurs résidences royales, avec un réseaud’armées articulé au contrôle du bétail et despâturages, le tout soudé très tôt par descontrats de clientèle pastorale, le fameuxubuhake. L’histoire des XVIIIe et XIXe siècles est marquéepar une centralisation croissante : mise enplace de camps militaires aux frontières,séjour à la cour des principaux chefs, enrichis-sement des rituels monarchiques et manipu-lations des traditions au profit de la dynastie,tout cela surtout à partir du règne de CyirimaRujugira (paradoxalement un usurpateur venudu Gisaka voisin). L’expansion du royaumedate surtout du XIXe siècle, selon des logiquesguerrières et agropastorales, mais aussi com-merciales, et elle se consolide visiblementsous le règne du dernier souverain indépen-dant, Kigeri Rwabugiri. Mais ce n’est pas l’avisde Jan Vansina, qui voit dans ce règne le triom-phe à la fois des déchirements d’une aristo-cratie de cour, structurellement destructeurs detoute centralisation administrative, et celuid’un despotisme aussi sanguinaire que réel-lement impotent : une « anarchie centrali-sée », écrit-il. C’est la colonisation qui auraitconstruit un État centralisé. Certes, la bureau-cratie à l’européenne a peu à voir avec celled’une société sans écriture et sans monnaie.Mais le Rwanda était-il plus « anarchique »

« Le Rwanda précolonial

ressort mieux éclairé

de la récente synthèse de Vansina,

mais l’éclairage reste sombre.»

Le point de vue de Jean-Pierre Chrétien

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(signifiant « dépendant », « sujet », « domesti-que ») apparaît comme le support d’une glo-balisation de la situation de la majorité deshabitants par rapport à la catégorie des «éle-veurs » concernée par l’identification tutsi, enfonction de la mainmise politique pastorale surle pouvoir. Mais le débat reste ouvert sur cette questiondélicate. L’évidence générale de cet antago-nisme social est en effet contredite par d’autresconstats présents aussi dans ce livre, mêmepour la fin du XIXe siècle : les principales victi-mes des luttes politiques sont les aristocrateseux-mêmes et, à un niveau plus humble, les

simples éleveurs exposés aux razzias de leursbêtes, et non les agriculteurs ; les conseillersles plus durables d’un roi comme Rwabugiriont été des roturiers, comme le fameuxBisangwa (sans que Jan Vansina se hasardeà les étiqueter hutu ou tutsi, ces identités nejouant pas encore un rôle aussi importantque les « clans », amoko), et l’émigration versl’est ou vers l’ouest concerne autant des éle-veurs « tutsi » que des défricheurs « hutu ».Enfin, sans que l’on puisse entrer ici dans ledétail, beaucoup d’affirmations sur les rap-ports sociaux aux XVIIe et XVIIIe siècles restentconnotés « ethniquement » au-delà de ce queles sources semblent vraiment permettre. De même, il est rappelé que la grande pestebovine de 1891 a réduit de nombreux petitséleveurs à ne plus être perçus comme tutsi etque, durant les siècles précédents, les « bon-nes » ou «mauvaises » familles représentaientune distinction plus fondamentale ; cepen-dant, l’auteur parle de « trois populations

que le Burundi ou le Buganda de la mêmeépoque révélés d’après des travaux récents ?Rien ne semble pouvoir être mis au crédit del’ordre politique ancien dans ce pays qui,l’auteur le reconnaît pourtant, a connu à cetteépoque une croissance démographique sen-sible, des changements agricoles cruciaux etune expansion territoriale indéniable. Lescontradictions du système sont perçues commeune sorte d’impasse, un « précipice de l’ano-mie ». Les lecteurs de Suétone ou de Tacite(dont les récits croustillants ne sont pas loin deschroniques dites ibitekerezo venues des coursdes rois ou des chefs rwandais) auraient puaussi penser que l’Empire romain était déjàpourri sous les premiers successeurs d’Auguste,s’il n’y avait eu d’autres sources. Les relations entre agriculteurs et éleveurs,dont on sait à la fois l’importance sociologiqueet le caractère idéologique obsédant danscette région d’Afrique, sont traitées dans touteleur complexité et leur dynamique historique.Les nombreuses références au travail de JeanN. Nkurikiyimfura (assassiné en 1994) surl’historicité du gros bétail attestent d’ailleursque la réflexion avait de ce point de vue bienprogressé (en Afrique comme en Europe)depuis l’œuvre (trop) classique de J.-J. Maquetparue en 1954. « Il faut rejeter radicalementles conjectures de grandes migrations massi-ves qui jonchent la littérature », écrit Vansina.Ce sont des institutions sociopolitiques, notam-ment le fonctionnement des armées, les réser-ves foncières pastorales dites bikingi et lacorvée agricole dite buretwa (au XIXe siècle)qui ont accompagné « le processus qui donnanaissance aux catégories stratifiées connuesaujourd’hui sous les étiquettes hutu et tutsi »,véritable déchirure de la société observabledéjà vers 1900. Et l’« on peut péremptoire-ment rejeter l’avis de ceux qui attribuent ladistinction entre Tutsi et Hutu et leur hostilitémutuelle aux idées et aux actions des maîtrescoloniaux ». La trajectoire de l’ethnisation estdonc bien balisée. Le terme hutu lui-même

«Le Rwanda était-il plus

“anarchique” que le Burundi

ou le Buganda de la même époque

révélés d’après des travaux

récents ?»

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biologiquement différentes au XXe siècle ».Quant au concept de « haine raciale » repé-rable dans un récit du capitaine HeinrichBethe en 1898, il ne reflète pas une idée «per-sonnelle » de cet officier allemand, mais lavision généralement répandue sur cette régiond’Afrique du milieu du XIXe siècle à la fin duXXe siècle, mise en application systématique-ment par tous les pouvoirs en place de 1900à 1994. C’est pourquoi il me semble que laquestion du champ sémantique du termeubwoko, désignant aujourd’hui l’« ethnie »et autrefois généralement le « clan », resteouverte : le premier sens est-il clairementattesté avant les années 1930, date de sonapplication aux documents d’identité ? « Lapolarisation entre Tutsi et Hutu était donc pas-sée au premier plan dans la conscience popu-laire avant la mort de Rwabugiri. Et elle yrestera », écrit Jan Vansina. Mais il note aussique la conscience de ce clivage se développaavec « l’inscription de cette qualité sur toutessortes de papiers de recensement ». Affaireà suivre, donc …

L’historien est toujours meilleur dans les ques-tionnements que dans les réponses. C’estpeut-être ce qui distingue finalement l’his-toire de la mémoire, avec ses certitudes. JanVansina poursuit ici son combat pour unehistoire rigoureuse contre de prétendues cer-titudes de la « tradition orale ». Il reprendd’une certaine façon le débat noué durantles années 1960 avec l’abbé Kagame sur lachronologie et sur la fausse continuité de ladynastie nyiginya. L’arrivée au pouvoir deNdori, présentée comme une usurpation dis-

simulée dans son ouvrage de 1962 (un peucomme la fondation de Rome par les Étrusquescachée par Tite-Live), est devenue en 2001 unterminus a quo, les bribes de légendes anté-rieures étant renvoyées à la poubelle desmystifications. Faudrait-il tout jeter de L’Iliadeet de L’Odyssée dans la connaissance de laGrèce archaïque ? Le même positivisme cri-tique qui avait conduit nombre d’historiens àrevaloriser les sources orales dans lesannées 1960 (et Jan Vansina fut notre maîtresur ce plan) conduirait-il aujourd’hui à undoute radical à leur égard ? Ce n’est pas ceque suggère vraiment ce livre, puisque pres-que tout son contenu est fondé sur des sourcesorales, qui ont transité par l’œuvre de Kagameou par la thèse du père Schumacher (un tra-vail de 1936), s’ajoutant aux propres enquêtesde Jan Vansina dans le cadre de l’Institut derecherches scientifiques en Afrique centrale(Irsac) entre 1957 et 1962. On peut alorss’étonner du contraste entre la critique serréedes sources portant sur la chronologie poli-tique, et l’espèce de certitude qui entoure lareconstitution des rapports sociaux aux XVIIe

et XVIIIe siècles. Les références utilisées condui-sent même à se demander si ces descriptionsne sont pas teintées de projections des réali-tés de la première moitié du XXe siècle sur lessiècles antérieurs, bien que l’auteur se défendeévidemment de toute tentation de « présentethnographique ». Sur ce point également ladiscussion reste ouverte. Culturellement cepen-dant l’emploi de certains concepts, comme « militarisme », ne traduit-il pas ce risque ? Lemilitarisme à la prussienne peut induire unemême qualification pour la politique deLouvois sous Louis XIV, mais l’appliquera-t-onau règne de Charles VII (créateur de « gensd’armes » permanents) ou à Charlemagnepour ses raids tous azimuts à la belle sai-son ? Peut-on dire que les Massaï des XVIIIe etXIXe siècles étaient militaristes ? Chaka et sesZoulous, peut-être ? Le métier d’historien résideaussi dans ces incertitudes du vocabulaire.

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«Vansina poursuit ici son

combat pour une histoire

rigoureuse contre

de prétendues certitudes

de la “tradition orale”. »

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Si, comme le note Jan Vansina, « on ne peutabsolument pas traiter les sources oralescomme des sources écrites », cela signifieaussi que la transmission orale des connais-sances dans une société sans écriture suit unelogique spécifique, très bien soulignéenaguère par Maurice Houis à partir d’uneapproche de sociolinguiste. Les mots ont unpoids spécifique, différent de celui de proposde table ou de commentaires d’un sondagedans une banlieue contemporaine. La mémoirecollective doit toujours être critiquée, située,appréciée et interprétée. Mais, quand elle apris la forme de « traditions orales », ellemérite une approche qui n’est pas non pluscelle des considérations sur les aventures dela mémoire collective à l’âge du livre, de laradio, de la télévision et de l’Internet, où tantd’informations et de polémiques se bouscu-lent. Le problème des sources orales dans cecas africain est différent de la question glo-bale de la « mémoire collective », thème dontnous connaissons l’effet de mode aujourd’hui. L’historien a donc un effort d’interrogation etaussi d’imagination redoutable à effectueren permanence pour aller au-delà des pré-

occupations et des rhétoriques du moment.C’est même cet effort de distanciation qui lemet en porte-à-faux par rapport à beaucoupd’attentes extérieures. Jan Vansina le sait trèsbien quand il met en garde contre les leçonsdu passé. Pourquoi donc conclure ce livrepar des allusions à des réalités passées jugéesprémonitoires ou instructives, à la manièredes exempla de Cornelius Nepos ou des

enseignements de Fénelon au Dauphin ? Lavengeance attire la vengeance. Le pouvoirne doit pas être concentré… L’actualité tra-gique du Rwanda représente un défi contem-porain qui nous semble aller bien au-delàdans la mise en perspective des continuités etdes ruptures historiques d’une société afri-caine de l’ère postcoloniale.

Jean-Pierre Chrétien MALD/ CNRS-Paris-I

«La mémoire collective

doit toujours être critiquée,

située, appréciée

et interprétée.»

Le point de vue de Danielle de Lame

Faits de chair et d’os et faillibles sous laplume de l’historien, soustraits au carcan del’idéologie qui les offrait à la fascination, lesrois restent au centre de l’ouvrage de Vansina,Le Rwanda ancien. Le royaume nyiginya.Des questions subsistent, que l’historien lui-même suscite en remettant en mouvement lesfoisonnements de l’histoire. Comment ces roisétaient-ils présents dans la vie des popula-tions ? Peut-on écrire une histoire sociale dela monarchie rwandaise ? Pourquoi est-il

important de « repeupler» le pays et pourquoila nation rwandaise doit-elle parvenir à unelecture critique de son histoire récente ? L’histoire officielle se vouait à la légitimationde la dynastie, mêlant le religieux, l’écono-mique et le politique. Les rituels royaux consa-craient la sainteté d’une dynastie identifiée auterritoire et intégraient différentes fractionsde la population dans la célébration descycles généalogiques. Certes discrets, cesrituels participaient d’une vision du monde

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partagée par les gens du commun. Les pou-voirs des chefs de lignage, réduits à mesureque ceux de la royauté s’imposaient, repo-saient sur un mécanisme analogue. À quelpoint le peuple était-il celui des rois ?

Le sort des populations rurales n’apparaîtque par la bande dans la reconstruction nuan-cée de l’histoire du petit royaume. Le mythed’un Rwanda précolonial idyllique s’effondre.Rwabugiri, soumis aux pressions de sa mai-son et des lignages puissants, ne fut pas le der-nier rempart à une décadence importée. Pourle connaisseur du Rwanda, une continuitédans la vie des cercles proches du pouvoir semaintient jusqu’à la période la plus récente.Vansina contribue ainsi à la nécessaire « cor-rosion d’une historiographie statique duRwanda 1 ». L’ouvrage de J.-J. Maquet estenfin jugé pour ce qu’il est, une mystificationproduite et entretenue dans le contexte del’histoire coloniale. La critique ébranle lestravaux de Kagame, Schumacher, Reisdorff,auxquels les biographies recueillies parH. Codere ou les travaux de Linden fontécho 2. Le mérite de Vansina aurait encore étéplus grand s’il avait pris en compte le contexterégional et des données anthropologiques.Certains aspects de la culture rwandaise res-tent, en effet, représentés dans la lignée d’unelittérature assez conventionnelle. Les échan-ges de vaches ne quittent guère la sphère dela clientèle ubuhake, même si l’auteur indi-que les variations de cette institution au coursdu temps. D’autres interrogations subsistentpar ailleurs : la racialisation de la divisionHutu/Tutsi, les stéréotypes pasteurs tutsi/agri-

culteurs hutu, pasteurs itinérants/agriculteurssédentaires. Je me contenterai ici de signaler quelquesfaits : Vansina démontre l’existence d’un anta-gonisme Hutu/Tutsi antérieur à la colonisation(pp. 172-178). Une fois récusé son caractèreracial, il faut retenir la morgue générale despuissants à l’égard des plus faibles, ce donttémoignent d’autres textes 3. La carte d’iden-tité changea en une « quasi-fatalité » uneidentité définie, dans la culture populaire, enfonction de critères multiples et des circons-tances. Or, la date de l’instauration d’unecarte d’identité pour tous les Rwandais resteincertaine. Les statistiques coloniales se fai-saient en termes d’homme adulte valide (HAV),les seuls intéressants pour la corvée. On saità présent que les femmes les remplaçaientparfois. Aucun document publié ne porte latrace d’un quelconque recensement qui, aucours des années 1930, aurait établi une dis-crimation entre « Tutsi pasteurs » et « Hutuagriculteurs » sur la base arbitraire de la pos-session de dix vaches. Jusqu’à preuve ducontraire, il ne s’agit là que d’une rumeur.La spécialisation des tâches que Vansina meten cause (p. 173) reste présente au cours del’ouvrage. Dans les faits, Hutu et Tutsi étaienten majorité agriculteurs-éleveurs, la posses-sion de bétail étant surtout liée à la richesse.Avoir pu amasser du bétail pouvait entraînerun « surclassement » au prix de la perte de lapropriété du troupeau qui était inclus, ipsofacto, dans le cheptel royal. L’agriculture et lestatut de défricheur n’étaient pas l’apanagedes seuls Hutu (du moins lorsqu’on projettedans le passé l’usage actuel du terme), et lapratique de l’agriculture était également liéeà la richesse : l’aisance permettait à des jour-naliers – ou à des journalières – de remplacerla maîtresse de maison aux champs. Les prati-ques mettent en exergue l’importance rituelleet identificatoire du rapport à la terre. Àl’inverse du recours identitaire aux chefs delignage, puis au roi, le recours à des chefs

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« Le sort des populations

rurales n’apparaît que par

la bande dans la reconstruction

nuancée de l’histoire

du petit royaume. »

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Politique africaine

Autour d’un livre159

politiques imposés constituait un recours pro-fane ambigu tantôt utilisé, tantôt évité. Auniveau religieux, l’apprivoisement des forcesnaturelles au bénéfice de la continuité deslignages et du royaume faisait consensus.Cela, Vansina le montre, n’a pas empêché la noblesse de cour d’entraîner le pays dansdes désordres croissants, ni les chefs delignage ou les individus de mener à bienleurs stratégies, migration incluse. Sous réserved’un risque d’anachronisme, ces observa-tions peuvent contribuer à « repeupler » leRwanda de ses paysans.Les généalogies et les témoignages des gensdu commun ne sont pas d’une grande profon-deur historique. Le lecteur referme l’ouvragede Vansina à l’aube d’une période mieuxdocumentée, et nul ne lui fera grief d’unelimite aussi pertinente. Cependant, Vansinaentend présenter « une histoire qui pourraitservir de fondation commune à tous pourpenser et réfléchir sur l’avenir » (p. 241). Il sesitue ainsi sur le plan des pratiques socialesen rendant contemporain le passé revisité.Qu’en sera-t-il fait ? L’effort ultime, mais nonle plus aisé, consiste à analyser le présentsans solution de continuité avec le passé.Un tel gouffre temporel et narratif ouvre par-fois la voie à une indignation que l’on peutrésumer en ces termes : « On ne peut pasainsi tout détruire ! » Certains avaient vu larévision des généalogies dynastiques4 commeune attaque contre l’abbé Alexis Kagame.L’historien est confronté à deux figures emblé-matiques : l’historiographie de cour et sonprincipal porte-parole. Vansina fait justice àl’historien Kagame qui appartient comme luiau monde académique. Le lecteur ne pourracombler le fossé temporel où s’épanouit lacolonisation, et il gardera à l’esprit l’aire géo-graphique, variable selon les périodes, del’État nyiginya. Il devra aussi s’informer ailleurspour dissiper l’impression trompeuse d’uneculture incomparable justificatrice d’un repli.L’imprécision manipulée donnait au corpus

des traditions une capacité de mobilisation5.L’indignation identitaire, ramassée dans le « tout détruit», surgit du détail historique renduà la vie et à ses contingences. Pourquoi est-il important de poursuivre l’histoire du Rwandajusqu’à l’époque actuelle et dans sa diver-sité ? C’est que, suivant la voie que nous traceVansina, il faut dissiper la confusion entrel’article de foi et la conscience historique.

Cette confusion se noue, en effet, jusque dansle contexte actuel d’une mondialisation dis-criminatoire. Les inégalités exacerbent lesréflexes d’autodéfense face à une moralité « cosmopolite». Les discours organisent simul-tanément ce qui se cache et ce qui se donneà voir. Le précédent historique conserve sonpouvoir magique. Une connaissance histori-que ouverte sur l’intelligence du présent se voitainsi interdite de conscience. La recherched’un confort momentané peut motiver une telleattitude. L’apprentissage de la démocratieque Vansina suggère aux Rwandais peut-ils’accommoder de ce confort ? Ne faudrait-ilpas que le peuple soit reconnu, connu, pourêtre représenté ? Dans quelles conditions lareconnaissance des réalités historiquesanciennes et récentes peut-elle devenir accep-table ? À la condition que soient perçus lesrisques de la mystification et de la manipu-lation. La production d’une histoire de statutscientifique pourrait être un investissementdes plus importants pour la paix. Elle reposesur des options politiques de justice sociale.Les études anthropologiques en milieu ruralne se sont multipliées que dans les dernières

« Suivant la voie que

nous trace Vansina,

il faut dissiper la confusion

entre l’article de foi

et la conscience historique. »

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années de la Deuxième République. Lesmédias ne sont pas étrangers à l’entretien desstéréotypes : le public aime à retrouver lesfigures et les auteurs connus. Les travauxplus pointus restent donc peu diffusés etméconnus 6, d’autant qu’ils empêchent leconfort des visions idéologiques simples etsécurisantes. Ils risquent, en outre, d’êtreassimilés aux républiques sous lesquelles ilsont été réalisés, d’être enterrés par les pour-voyeurs d’aide et les bénéficiaires locaux.Si tel était le cas, les idéologies conserve-raient un potentiel de mobilisation dont unehistoire érigée en mythe pourrait encore êtrel’instrument.

Danielle de LameMusée royal de l’Afrique centrale, Tervuren

1. C. et D. Newbury, « Bringing the peasants back inagrarian themes in the construction and corrosion ofstatist historiography in Rwanda », American HistoricalReview, n° 3, 2000, pp. 831-877.2. J.-J. Linden, Church and Revolution in Rwanda,Manchester, Manchester University Press, 1977 ; J.-J. Maquet, Le Système des relations sociales dans leRuanda ancien, Tervuren, Musée royal de l’Afriquecentrale, 1954.3. Voir notamment H. Codere, The Biography of an Afri-can Society, Rwanda 1900-1960, Tervuren, Muséeroyal de l’Afrique centrale, 1973.4. J. Vansina, L’Évolution du royaume rwandais des ori-gines à 1900, Bruxelles, Académie royale des sciencesd’outre-mer, 1962.5. Mes amis rwandais évoqueront avec moi le pro-verbe : « Akari mu ngomo Kamenya umwiru na niy-rayo » (« Ce qui est dans le tambour, seul son fabricantet son propriétaire le savent »).6. D. de Lame, « Plaidoyer pour l’incertitude, remèdeà l’ignorance », in O. Lanotte, C. Roosen et C. Clément(dir.), La Belgique et l’Afrique centrale de 1960 à nosjours, Bruxelles, Paris, GRIP Éditions, 2000.

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Politique africaine n° 83 - octobre 2001

La revue des livres161

GORDIMER (Nadine)Vivre dans l’Espoir et dans l’Histoire.Notes sur notre siècleParis, Plon, coll. « Feux croisés », 2000,247 pages.

Voici l’édition française d’un ouvrage del’écrivain sud-africaine Nadine Gordimer, prixNobel de littérature en 1991, d’abord publié en1999 sous le titre Living in Hope and History. Notesfrom our Century. Il s’agit d’un recueil de plusd’une vingtaine d’essais, la plupart datant desannées 1980 et 1990 (on regrettera au passagequ’ils ne soient pas remis en contexte). Mélanged’apparence hétéroclite, agencé sans ordre évident,qui regroupe des études littéraires (Senghor, GünterGrass, Naghib Mahfouz…), des extraits de corres-pondance (avec Kenzaburo Oe), ou encore desréflexions, reprises pour certaines de conférencesdonnées par l’auteur, sur les événements contem-porains ou sur la pauvreté dans le monde– réflexions dans lesquelles l’auteur se prononcemoins en écrivain qu’en consultant. Cependant,un axe majeur se dégage de l’ensemble : uneréflexion à plusieurs tons sur les relations entrelittérature et politique («Comment l’écrivain et l’Étatpeuvent-ils cohabiter ?», p. 196), en particulier surles rapports de l’artiste au pouvoir, analyse quis’éclaire de références multiples non seulement àla situation de quelques écrivains de par le monde(Salman Rushdie, Ken Saro Wiwa…), mais aussi àla situation sud-africaine durant l’apartheid etimmédiatement après l’accession au pouvoir deNelson Mandela. Nadine Gordimer puise aussidans son expérience personnelle (relatant au pas-sage son engagement en faveur de l’abolition del’apartheid) pour aborder la question de la censure,de la liberté d’expression, de l’autonomie de l’ima-gination, du statut de l’écrivain et de son rôle enpériode d’oppression, de sa participation au façon-nement d’une identité nationale ou encore de sonattitude face à la mondialisation culturelle.En tant qu’écrivain africaine («Depuis que notrecontinent est parvenu à chasser ces Européens quise disaient ses maîtres…», p. 31) et qui revendique

en outre l’africanité de son écriture, Nadine Gordimerdéplore également la misère de la littérature afri-caine, plaidant autant pour une amélioration desmoyens de diffusion que pour un panafricanismelittéraire (on trouve des références éparses à lanégritude et à la renaissance africaine), qui pren-drait la forme d’une recherche et d’une proclama-tion des valeurs proprement africaines, non pas auservice d’un enfermement de l’Afrique sur elle-même, mais au contraire d’une participation del’Afrique à la littérature du monde. Dans cette pers-pective, les essais sur Senghor ou sur Grass peuventêtre lus comme des détours féconds permettant de fournir des modèles pour la réconciliation descultures et la compréhension de l’histoire.Mais l’intérêt du livre réside surtout dans le fait quecertains textes acquièrent aujourd’hui valeur dedocuments (comme cette conférence sur l’apartheidorganisée en 1959 à Washington), ou de témoi-gnages (en particulier sur les élections d’avril 1994et sur la première année de changements). Ce quifrappe dans ces essais, sous leur aspect placide etun tantinet donneur de leçons, est l’omniprésencedu problème de la violence, qu’il s’agisse de reve-nir sur celle que le système d’apartheid a laissé enhéritage aux années 1990 et au nouveau siècle, oude tenter, en tant qu’écrivain, de participer à lafabrication d’un monde neuf débarrassé de cefléau. En somme, tout converge vers cette ques-tion : comment, comme spécialiste de l’imaginaire,peut-on remédier à la « vie réelle », et savoir enpremier lieu y reconnaître les vrais « héros »(Mandela fait ici l’objet de très belles pages) ?L’Afrique du Sud occupe une place centrale dansce questionnement, parce que son histoire dou-loureuse et ses évolutions récentes fournissent enquelque sorte un condensé de phénomènes poli-tiques et culturels permettant de comprendre lesmanifestations identitaires actuelles des Noirsaméricains autant que les mécanismes de la mon-dialisation culturelle. Bref, une pensée dialectiquepar laquelle s’éclairent mutuellement l’histoire de« notre siècle » et l’histoire sud-africaine. Oul’Afrique du Sud comme paradigme.

François-Xavier Fauvelle-Aymar

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VAN BOUVEROY VAN NIEUWAAL(E. Adriaan B.) L’État en Afrique face à la chefferie :le cas du TogoParis, Karthala/ASC, 2000, 336 pages.

La trame du livre se noue autour d’un para-doxe qui peut se décliner à travers l’interrogationsuivante : pourquoi, au rebours de leur discréditlors de la période de contestation de l’autorité del’État des années 1990, les chefs traditionnelsdemeurent-ils un recours pour les populationsdans la résolution des différends ? La trajectoirequ’emprunte l’auteur pour expliquer la longévitéde cette institution est la notion de « transforma-tion», que l’on suit à travers le parcours historiquede la chefferie au Togo.Qu’ils soient issus de pratiques millénaires de ges-tion sociale ou qu’ils soient suscités par la coloni-sation, les chefs sont apparus comme un instrumentaux mains de la métropole puis de l’État nouvel-lement indépendant sous S. Olympio. Cette ten-dance s’est intensifiée au cours des régimes poli-tiques suivants, et surtout sous le long règne deG. Eyadéma. La chefferie traditionnelle y appa-raît comme un outil de quadrillage territorial auservice du parti unique (le RPT), avec un systèmeclientéliste de révocations humiliantes des chefs « récalcitrants » et de gratifications diverses accor-dées aux plus fidèles. Cependant, une analyseplus fine de la position des chefs sur l’échiquiersociopolitique togolais démontre qu’ils ne se lais-sent pas toujours capter dans cette alliance hégé-monique au point de s’ériger en porte-parole,contre-pouvoirs et piliers incontournables dans lerelais, vers les couches sociales, des messages demobilisation pour le développement.La constance de ce schéma se retrouve dans d’autrespays africains, avec de légères particularités quel’auteur rappelle : la position de l’Asantehene auGhana, du Moro Naba au Burkina Faso, du Lamidoau Nord-Cameroun, des chefs au Zimbabwe et enAfrique du Sud. Contrairement à ce que le titre del’ouvrage peut laisser croire, il s’agit donc d’uneminutieuse analyse de la situation actuelle de la

chefferie (néo)traditionnelle, un point d’entrée anthro-pologique à l’étude des luttes de pouvoir et dedomination qui caractérisent l’État postcolonial. Il fautdire que le caractère syncrétique du rôle du chef tra-ditionnel lui offre la possibilité de mobiliser les res-sources et les moyens de pression les plus divers pouratteindre certains buts, parfois par pur intérêt maisparfois aussi au profit du groupe. De ses rapportsmultiformes avec le pouvoir étatique naissent doncdes points de rencontre et de négociation, qui consti-tuent ce que l’auteur qualifie, à la suite de Sally FalkMoore, de « champs sociaux semi-autonomes».Par ailleurs, le débat reste intéressant sur l’actua-lisation du statut juridique de la chefferie tradition-nelle au Togo, puisque c’est un arrêté colonialde 1949 qui continue à régir l’institution, en dépitd’une tentative avortée de réforme sous Olympio etd’une modification mineure dudit arrêté en 1959.Apparemment, le régime Eyadéma – afin de conte-nir les pouvoirs de ces leaders locaux – et les chefseux-mêmes, craignant de se voir ramener à uneinstable fonction administrative, s’accommodent decette situation floue, propice à la « politique duventre». Un clientélisme récurrent qui a fait man-quer aux chefs traditionnels togolais – c’est unregret pour l’auteur – un rendez-vous importantavec l’histoire démocratique en gestation dans lepays. Et c’est un appel que l’on pourra lancer à leurendroit en reprenant les paroles d’un défunt hommepolitique togolais : « […] la chefferie forge sonpropre destin. »

Koffi Alinon

ADEPOJU (Aderanti) (dir.)La Famille africaine. Politiquesdémographiques et développementParis, Karthala, coll. « Questionsd’enfance », 1999, 318 pages.

Entendons nous bien, La Famille africaineest un manuel de vulgarisation destiné aux étu-diants et aux futurs professionnels du dévelop-pement désireux d’aborder la question de la

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Politique africaine

La revue des livres163

famille et du développement en Afrique, et nonun ouvrage destiné aux chercheurs et aux ensei-gnants. L’objectif affiché est d’éclairer les décideurssur la complexité « des systèmes familiaux, desmodes d’organisation domestiques et des proces-sus de décision concernant le ménage, l’économieet la démographie » (p. 84).Comme le rappelle à juste titre l’éditeur, la familleafricaine, confrontée à une accélération de l’his-toire sous l’emprise d’une crise multiforme, d’ori-gine externe, mal gérée, reste – aujourd’hui et plusque jamais – « l’unité sociale (économique et bio-logique) la plus endurante et la plus fondamen-tale » (p. 34), et, à certains égards, la dernière.Là réside sans aucun doute l’actualité intemporelleet vivante d’un tel sujet. L’ouvrage semble vouloir embrasser « la familleafricaine », mais peine à rendre compte de toutesles familles africaines. Et les auteurs restent écar-telés entre le désir d’objectiver les évolutions dela cellule familiale et la nécessité de les resituerdans un contexte localisé et dans une historicitévécue. Beaucoup de généralités (famille/ménage,tradition/modernité, ruralité/urbanité, indivi-duel/communautaire, mobilité/migration), diffi-ciles à contester, émaillent l’ensemble des contri-butions. L’ouvrage est une longue juxtaposition de courts « tableaux » (le chapitre VI sur « Lafamille africaine en milieu rural » est expédié en 18 pages !) aux titres très généraux, peu problé-matisés (chap. VIII par exemple). C’est pourquoi le lecteur a du mal à saisir l’éco-nomie d’ensemble du volume. De plus, certainstextes se recouvrent, au risque de fatiguer le lec-teur (chap. III et IV). Par ailleurs, on regrettera queles auteurs cèdent à la facilité de l’autocitation etn’aient pas effectué une véritable revue actuali-sée de la littérature sur le sujet. Il en résulte fina-lement un ouvrage proche du manuel, qui neconvaincra pas tous ses lecteurs.

Pierre Janin

TRIPODI (Paolo)The Colonial Legacy in Somalia :Rome and Mogadishu from ColonialAdministration to Operation Restore Hope Basingstoke, New York, MacmillanPress, St Martin’s Press, 1999.

Lorsqu’en 1991 le général Mohamed FarahAydiid engagea des poursuites auprès de la jus-tice italienne contre l’ancien Premier ministreB. Craxi car il n’avait pas touché une commissionconforme à l’accord conclu, beaucoup d’obser-vateurs n’en crurent pas leurs oreilles. Un an plustard, le scandale des pots-de-vin versés auxproches du dirigeant socialiste éclatait, celui-ci seréfugiait en Tunisie et l’on commença à se dire quece général somalien disait sans doute la vérité,même si sa requête était pour le moins des plussurprenantes…Ce livre tente d’analyser les relations très parti-culières entre l’Italie et son ancienne colonie, dela période coloniale jusqu’à la trop fameuseintervention internationale de décembre 1992. S’il ne constitue pas la première réflexion sur cethème (voir notamment les travaux de L. Goglia,C. Ercolessi, G. P. Calchi Novati, A. del Boca etI. Taddia), sa rédaction en anglais le rend plusaccessible. Cela est appréciable dans la mesureoù il s’agit d’un travail sérieux, équilibré, four-nissant de bonnes références bibliographiqueset ouvrant la voie à l’approfondissement de cer-taines pistes de recherche. Les chapitres sur la période 1950-1960 sont cer-tainement les plus novateurs. L’auteur décrit lesrelations tendues entre l’administration italienneet le principal parti, la Ligue de la jeunesse soma-lienne, ainsi que les compromis importants accep-tés pour conserver les intérêts économiques etune influence de Rome dans la future Somalieindépendante. La construction d’un État démo-cratique fut ainsi sacrifiée bien avant la prise dupouvoir par les militaires à Mogadiscio, en 1969.Pourtant, l’auteur montre que si cette priorité a étépermanente, la définition des politiques à l’égard

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du gouvernement somalien a été particulièrementconfuse et mise en œuvre d’une manière encoreplus discutable : il s’agit donc d’un éclairage peuflatteur sur la diplomatie romaine, dont les inco-hérences sont multiples dès la période coloniale.Néanmoins, l’auteur ne transforme pas son étudeen brûlot : au contraire, il montre bien commentl’enchevêtrement de singularités (du débat poli-tique italien, de la structure de son État, des ambi-tions de Rome dans la Corne de l’Afrique, de lanature des interlocuteurs somaliens) conduit à desrésultats aberrants, dont le plus spectaculaire estsans doute le déversement de plus de 1 600 mil-liards de lires d’aide italienne en moins de dix anset une attitude de pompier-pyromane dans lespremiers mois de la guerre civile ouverte audébut 1991.Cependant, l’ouvrage de Paolo Tripodi laissedans l’ombre de nombreuses dimensions de cetterelation entre Rome et Mogadiscio. La collusionentre intérêts privés et publics a été la normeplus que l’exception dans les relations entre l’Italieet la Somalie, mais un lecteur habitué aux affresde la politique de la France en Afrique sera sur-pris de l’absence de toute mention de ces multi-ples relations personnelles et réseaux qui n’ontcessé de parasiter le fonctionnement de l’appa-reil d’État italien. De même, la description qui est donnée de lapolitique italienne après 1991 est peu originale,et il aurait été intéressant de montrer les clivagesentre diplomates et militaires au début de l’inter-vention internationale, comme la manière dont lesvieilles amitiés entre responsables italiens et soma-liens, qui avaient été mises entre parenthèsespour cause de scandale après 1992, se sontdepuis renouées…

Roland Marchal

MAKRIS (G. P.) Changing Masters. Spirit Possessionand Identity Construction amongSlave Descendants and OtherSubordinates in the Sudan Evanston, Northwestern UniversityPress, 2000, 432 pages.

Derrière un titre un peu alambiqué se cacheune étude assez classique des cultes tumbura deKhartoum, qui reposent sur des rites de posses-sion proches du zar éthiopien et du boré nigérian.D’abord issus des armées d’esclaves du XIXe siècle,les regroupements de ce type ont fini par repré-senter les couches populaires et urbaines de com-munautés qui n’étaient pas d’origine arabe. Au-delà de leur fonction divinatoire et thérapeutique,ils ont surtout permis d’affirmer l’identité collective,musulmane et supratribale de certains groupessubalternes de la société soudanaise, essentiel-lement des femmes et des descendants d’esclaves.Le travail d’investigation de l’auteur à cet égardn’est pas sans rappeler celui de C. Besteman(Unraveling Somalia. Race, Violence and theLegacy of Slavery, Philadelphia, University Pressof Pennsylvania, 1999), déjà évoqué dans cescolonnes à propos des descendants d’esclavesdans le sud de la Somalie.À Khartoum, en l’occurrence, les tumbura ontréuni des populations qui habitaient déjà le Sou-dan avant l’arrivée des Arabes et l’islamisation dela région. Venant du Darfour et du Kordofan,notamment des collines Nuba, ces communautésnoires étaient méprisées des Arabes et qualifiéesde « soudanaises », terme qui fut longtemps péjo-ratif avant d’être réhabilité par les nationalistesà l’indépendance. Le parallèle avec les Bantousde Somalie peut être poussé encore plus loinpuisque les Arabes au pouvoir ont relégué aubas de la hiérarchie sociale les descendantsd’esclaves soudanais en niant leur généalogie.Aussi le catalyseur identitaire des tumbura a-t-ilété d’autant plus important qu’il a défendu lesspécificités de ces communautés dans un milieuurbain hétérogène, en même temps qu’il les

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La revue des livres165

inscrivait dans la religion dominante du pays,les fidèles du culte entretenant par exemple desliens avec les membres de la confrérie Qadiriyya.Selon G. P. Makris, l’avenir des tumbura n’en estpas moins menacé par la modernité urbaine,l’islamisme et un relatif désintérêt de la part de la jeune génération. Encore l’auteur ne constate-t-il qu’une diminution du nombre de groupestumbura recensés sur Khartoum: une tendance quin’est pas forcément significative d’une perte d’in-fluence au niveau national et qui ne reflète peut-être qu’un jugement subjectif. En effet, G. P. Makrisn’évite pas certains travers de l’observation par-ticipante selon les canons de l’anthropologieanglo-saxonne : les tranches de vie et les remar-ques personnelles abondent, au risque de déso-rienter le lecteur, voire de l’ennuyer à force de seperdre dans les détails et les descriptions, tandisque la conclusion, en forme de postface, laissel’analyste sur sa faim.

Marc-Antoine Pérouse de Montclos

VELLUT (Jean-Luc) (dir.)Itinéraires croisés de la modernité.Congo belge (1920-1950)Tervuren, Paris, Institut africain/Cedaf,Afrika Institut/Asdoc, L’Harmattan,« Cahiers africains/Afrika Studies »,série 2000, n° 43-44, 2001, 295 pages.

Composé pour la plupart d’extraits d’ex-cellents mémoires de licence en histoire contem-poraine produits par de jeunes historiens belges,ce recueil d’études reflète l’activité importante etla qualité scientifique des travaux menés au Centred’histoire de l’Afrique de l’université de Louvain,sous l’impulsion et la direction de Jean-Luc Vellut.Avec une limite, dont l’éditeur est conscient : lessources exploitées sont essentiellement celles quiétaient disponibles en Europe. L’unité de ce recueil est contenue dans un titrequi insiste sur l’idée de modernité appliquée àl’histoire contemporaine de l’Afrique. L’introduc-

tion présente à cet égard une prise de positiondont l’importance n’est pas négligeable. L’idée demodernité, relative au Congo, a en effet été labannière par excellence du discours colonialbelge, surtout durant l’après-guerre : il n’est quede songer aux photographies en noir et blancdes ports, des routes, des ponts, des loisirs à l’oc-cidentale, des avenues calmes et des cités ouvriè-res, des laboratoires et des usines, souvent pré-sentées en fonction d’une rhétorique dualisteprésentant l’«avant» et l’«après», un peu commedans les publicités pour les produits-miraclescontre la calvitie. Le thème de l’évolution conden-sait une conception de l’histoire comme progrèslargement héritée du XIXe siècle, et l’enthousiasmed’une période où l’on croyait pouvoir espérerque la science et la technologie apporteraientbonheur, paix et compréhension.Les études rassemblées ici peuvent être regou-pées en trois catégories : la vie quotidienne ; lasociété civile nouvelle ; les itinéraires croisés entremétropole et colonie. Elles illustrent ainsi d’abordla constitution de nouvelles « frontières », insé-parables de représentations et de récits. Estdémontrée au passage l’existence, dès l’époquedu premier conflit mondial, « d’un espace socialcongolais, d’ouest en est ».Analysant les « Scènes de la vie quotidienne àElisabethville dans les années vingt » (pp. 57-70)à partir de la presse européenne qui y étaitpubliée, Nicolas Esgain met en évidence lescraintes de la société coloniale à l’égard despopulations africaines, mais tout autant les réac-tions de promotion et d’autoprotection qui appa-raissent dans les milieux instruits des cités « indi-gènes». Laurence Feuchaux déplace la perspectivevers Kinshasa et un certain nombre d’affairesjudiciaires révélatrices, présentant de larges extra-its de divers comptes rendus d’époque («Vie colo-niale et faits divers à Léopoldville (1920-1940) »,pp. 71-101). Cette présentation met en avant lestensions internes à la société coloniale, et – singu-lièrement – montre la méfiance à l’encontre d’unemagistrature qu’une certaine presse suppose tou-jours laxiste envers les Africains.

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Les études qui suivent envisagent des objets moinshabituels : « L’implantation du scoutisme au Congobelge » (S. Tilman) et « Débuts du football congo-lais » (B. Van Peel). Le volume se termine pardeux études qui concernent davantage la sociétéeuropéenne. L’article, aussi intéressant que fouillé,que consacre Vincent Romain à « Un espaceculturel colonial : musiques africaines en Belgiqueet au Congo » (pp. 205-238) retrace l’histoirede l’intérêt anthropologique pour la musique tra-ditionnelle, celle des influences de cette musiquesur les compositions musicales en Belgique etdébouche sur une première approche de la créa-tivité musicale congolaise, tantôt sur le mode dela recréation semi-indigéniste (les Missa luba etautres Petits chanteurs à la croix de cuivre), tan-tôt sur le mode des variétés urbaines qui feront lacélébrité des orchestres kinois. L’étude, biencadrée, embrasse en réalité un champ plus large,évoquant aussi le domaine du cinéma, de la litur-gie religieuse et des spectacles, après avoir rap-pelé le contexte, tant général qu’anecdotique, dela collecte ethnologique des instruments et desmusiques. Enfin, Johan Lagae propose une étudede l’architecture et de l’urbanisme coloniaux (« Insearch of a “comme chez soi”. The ideal colonialhouse in Congo (1885-1960) », pp. 239-282).Au-delà des considérations hygiénistes sur l’ha-bitat en Afrique centrale et des considérationspratiques qui ont entraîné, un temps, l’importa-tion de maison préfabriquées ou l’idée d’édifier,au fond de la «parcelle», le logement des domes-tiques, on saisit bien, par le biais des discussionssur la « maison idéale », le sentiment de repliidentitaire qui a souvent prévalu ; il a surtoutconduit à l’érection de demeures bourgeoises,celles-là mêmes que le colonial aurait rêvé deconstruire s’il était resté « chez soi ». En réalité,l’africanisation symbolique de l’habitat, si elle aconnu son heure de gloire à l’époque de la « barza », interface entre dedans et dehors, s’estensuite généralement effacée au profit de modèlesplus européens, sans interface, clivant davan-tage l’espace de communication et de circula-tion. L’arrivée progressive des épouses a sans

doute été décisive dans cette sorte de privatisa-tion, mais le fantasme d’une « normalité » uni-versalisante de la vie aux colonies a lui aussijoué son rôle. De la chaussure à crampons à l’organisationd’un living-room, aucun de ces aspects n’est indif-férent à l’histoire, du moment qu’elle s’intéressedavantage à ce que fut la vie quotidienne dansses réalités, ses tensions et ses rêves, mais aussiaux ressorts les plus profonds des mutations et desreconstructions.

Pierre Halen

UVIN (Peter)L’Aide complice ? Coopérationinternationale et violence au Rwanda Paris, L’Harmattan, 1999, 289 pages.

Décrit jusqu’au début des années 1990comme un pays modèle par les développeurs, leRwanda a sombré en avril 1994 dans un géno-cide qui a causé la mort de 500 000 à 1 millionde personnes. Comment cela a-t-il pu arriver ?Pourquoi les institutions de développement, sinombreuses au Rwanda, n’ont-elles, apparem-ment, rien vu venir et pourquoi n’ont-elles pasréagi à la radicalisation raciste du régime, per-ceptible dès le début des années 1990 ? Indirec-tement, en donnant au régime les moyens finan-ciers de sa politique, et passivement, par sonabsence de réactions, l’aide internationale neporte-t-elle pas une part de responsabilité dansle processus qui a conduit à ce déchaînement deviolence ?Autant de questions fortes, discutées de façonposée par Peter Uvin dans un livre important qui,au-delà d’une synthèse pédagogique sur le « comment cela est-il arrivé ? », traite une ques-tion qui n’a – me semble-t-il – guère été discutéedans les multiples travaux portant sur le génocideet le contexte sociopolitique qui l’a produit : celledes interactions entre le système d’aide et lesdynamiques sociopolitiques en cours. Son point

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de départ est une interrogation sur l’aveuglementdu système d’aide, tant au niveau du système lui-même que des individus qui en font partie, sur cequi était en train de se préparer. L’analyse de cette contradiction et de ses consé-quences est menée en trois temps (qui ne sontpas chronologiques dans l’ouvrage). Tout d’abord,pour donner une réponse au « comment », Uvinrelit l’histoire politique du Rwanda et les proces-sus qui ont conduit au génocide. Il offre là une syn-thèse claire qui, pour autant que je puisse enjuger n’étant pas spécialiste de la zone, sembleà la fois juste et pédagogique. Il décrit les diffé-rentes interprétations du génocide, remettant à leurplace les multiples facteurs : l’histoire de longuedurée ; le durcissement ethnique provoqué parla colonisation ; le renversement de pouvoir enfaveur des Hutus et la mise en place d’un régimese légitimant par la « révolution sociale » (et doncl’exclusion des Tutsi, montrés comme boucs émis-saires) et par le « développement » ; un État misau service d’une petite élite bureaucratique, vivantde l’aide internationale ; la crise économique pro-fonde depuis les années 1985, ayant entraînéune paupérisation accrue de la paysannerie ;l’accroissement des inégalités foncières avec achatde terres par les élites urbaines ; les attaques duPFR et les accords d’Arusha, qui ont radicalisé la« clique » au pouvoir, laquelle a attisé la haineethnique. De façon plus originale, il met l’accentsur la « violence structurelle », tant physique quesymbolique, qui a régi la société rwandaise depuisplusieurs décennies, avec ses pogroms impunismais aussi avec l’oppression permanente despaysans par l’appareil bureaucratique, dans unencadrement agricole répressif et un encadre-ment sociopolitique étroit, ainsi que sur le ressen-timent croissant envers cette petite élite éduquéecirculant dans les 4 x 4 des projets internatio-naux et pleine de mépris pour les paysans. L’analyse du décalage entre cette réalité et l’imagedu Rwanda dans les milieux du développementest le second temps de l’analyse. Coupés desruraux par la langue et la façon de travailler,prisonniers d’une idéologie développementaliste

dépolitisante, les développeurs ont évacué toutedimension politique : ils ont fait semblant de ne pasvoir, se consacrant à leurs projets, voyant un idéalde développement communautaire là où il y avaitune « participation populaire » coercitive. Lagrande majorité des comptes rendus de projetsconcernant le Rwanda ne contenaient absolu-ment aucune information sur le passé de la nation,sur la structure du pouvoir ni sur les luttes socialeset politiques. Au-delà de possibles autocensuresdans la littérature des projets, les barrières delangue et l’écran des nombreux intermédiairesfaisaient que la majorité des experts étrangersconnaissaient en fait peu ou pas le pays : « Je nepeux pas compter le nombre de fois où des coopé-rants m’ont dit qu’après des années passées auRwanda, ils n’avaient aucune idée de ce que lespaysans pensaient de leur projet, et ne savaientd’eux que ce qu’ils apprenaient par la bouche desfonctionnaires » (p. 138). Rejoignant les thèses de Ferguson sur le Lesotho,Uvin montre ici de façon convaincante comment – etsur quelles méprises – s’est constituée l’image duRwanda, pays modèle du développement, imagelargement partagée par les ONG et les institutionsinternationales. On voit comment la rencontre d’undiscours d’État et d’une idéologie du développementdépolitisée, couplée à une logique interne de repro-duction des institutions de développement, éliminentune partie des réalités de leur champ d’analyse afinde faire correspondre la réalité à l’image qu’ellesen donnent. Cette image a perduré alors même queles signaux de crise devenaient de plus en plusforts. Lorsque les messages racistes se sont multi-pliés, lorsque les pogroms orchestrés par l’arméese sont répétés, le système d’aide n’a guère réagi.Ni pour faire pression sur le régime – ou si peu –,ni pour réorienter l’aide et développer (par exemple)des organes de presse favorisant la paix sociale afinde contrer l’influence des médias de la haine. Lesprogrammes ont continué, avec leur même orien-tation « participative » instrumentalisée par l’État. Une telle absence de réaction, tant au niveaupolitique que des modes d’intervention, ne pou-vait être perçue par les extrémistes que comme une

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promesse de passivité, sinon un encouragementtacite. Au-delà de cet aveuglement sidérant (et c’estlà le troisième temps de la thèse d’Uvin), le sys-tème d’aide a des responsabilités fortes dansl’évolution ayant conduit au génocide ; il ne l’abien sûr jamais directement encouragé, ni mêmecautionné, mais « la façon dont le “développe-ment” est mis en œuvre a eu une importancecapitale pour la création et l’évolution de bien desprocessus qui ont abouti au génocide » (p. 3).Alors même que la paysannerie s’enfonçait dansune crise grave, les moyens concentrés sur desthèmes inadaptés, ou même carrément nocifs (y compris au sein de nombreuses ONG bienintentionnées, faute d’une compréhension suffi-sante de l’économie paysanne), et la reproduc-tion d’une « élite » locale branchée sur la rente dudéveloppement devenaient de plus en plus insup-portables.L’ensemble de l’ouvrage, on l’aura compris, est unemise en perspective très fine d’une série de fac-teurs et d’analyses portant sur la question du lienentre coopération internationale et génocide,pointant une dimension en général oubliée desdébats sur le génocide. C’est beaucoup, face à unequestion aussi complexe, de proposer une ana-lyse construite, qui évite les schématismes ou lesinterprétations unilatérales. Un certain nombred’aspects – dont certains fondamentaux pour sathèse – gagneraient cependant à être mieuxétayés. En effet, Uvin apporte plus d’indicesconvergents, « un fort faisceau de présomptions»,pourrait-on dire, qu’une véritable démonstration.Non pas que les mécanismes identifiés n’aientpas joué. Mais les relations de causalité ne sontpas simples (ce qu’il reconnaît) et l’analyse géné-rale aurait gagné à s’appuyer davantage sur desanalyses empiriques et sur l’étude détaillée dequelques projets ou de quelques coopérations. Même si le système d’aide présente un certainnombre de traits constants, soulignés à juste titre,il n’en est pas moins fort disparate. Les positionsinstitutionnelles, le rapport à l’État, les relationsdirectes avec les « bénéficiaires », la sensibilitéaux enjeux sociaux ou politiques varient forte-

ment d’un projet à l’autre, d’une organisation àune autre. Ce qui est dit dans les rapports d’ONGou d’institutions internationales ne reflète qu’unepartie de ce que voient et savent les acteurs de ter-rain. Or, au-delà de ce qu’il y a dans ces rapports,on ne sait guère quelles étaient les perceptions,analyses et pratiques effectives des agents dedéveloppement et des expatriés : étaient-ils tousaveugles aux réalités qu’ils côtoyaient ? Com-ment percevaient-ils les contradictions entre cesréalités et la culture développementiste ? Étaient-ils tous vraiment si passifs, si piégés ?Une étude comparée de quelques cas contrastésaurait permis d’entrer dans le détail des repré-sentations et des pratiques, et de renforcer ou denuancer l’analyse. Ce sera sans doute le sujetd’une recherche ultérieure, plus empirique. Celadit, il est clair que la question des interactionsentre système d’aide et trajectoire politique despays en développement dépasse largement lecas du Rwanda. L’aveuglement, ou le refus devoir, du système d’aide sur l’instrumentalisationpolitique des projets, la médiocrité de ces dernierset l’irresponsabilité des bailleurs qui financentdes projets dont on sait depuis le début qu’ils neserviront à rien, en tout cas pour leurs « bénéfi-ciaires » théoriques : autant de faits dont Uvinnous oblige à voir les conséquences possible-ment dramatiques, et qui interpellent la prétendue« neutralité politique » du développement. Quiinterpellent aussi les pratiques de ceux qui, à undegré ou à un autre (praticiens, mais aussi consul-tants nationaux ou internationaux), y participent.

Philippe Lavigne Delville

DE BOISSIEU (Arnaud) Jeunes des rues en Tanzanie. Une viepar jour, entre l’eau et le feu Paris, Karthala, 2001, 131 pages.

Les rejetés de la société suscitent des cou-rants de sympathie et de dévouement sans cesserenouvelés. Ceux qui font un bout de chemin avec

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Politique africaine

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eux sont parfois amenés à crier leur révolte ou àfaire témoigner les exclus. Politique africaine a citécertains de ces récits (voir le dossier « Du côté dela rue », n° 63, octobre 1996) mais, les conflitsse perpétuant, la crise aidant, le phénomènecontinue. Un prêtre de la Mission de Franceraconte avec beaucoup d’humour et une distan-ciation touchante son parcours – jusqu’au som-met du Kilimanjaro mais plus souvent dans lestribunaux – avec des enfants et des jeunes des rues

de Tanzanie. Au fil des journées, il nous fait par-tager son agacement devant la vénalité de la jus-tice, sa sympathie pour les déboires incessants des« gosses », sa ténacité face à l’adversité. Il nousfait parfaitement saisir, à mots couverts, le fata-lisme et les valeurs de ces êtres en sursis dans unpays où sida et maladies vénériennes font la loi.Un témoignage original sur une réalité à connaîtresous tous ses aspects.

Annie Lenoble-Bart

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Autrepart (Bondy)« Les jeunes, hantise de l’espace publicdans les sociétés du Sud ? » N° 18, 2001.

Ce numéro spécial d’Autrepart fait écho audossier « Enfants, jeunes et politique » de Politi-que africaine publié en décembre 2000. Catégoriesociale non exempte d’ambiguïté et de para-doxes, « les jeunes » sont envisagés ici selon deslectures parfois complémentaires, parfois contra-dictoires. « À l’intersection du global et du local,de l’autochtone et de la migration, la jeunesse estdevenue un enjeu crucial dans le développementdes sociétés du Sud, parce qu’elle porte en elletout à la fois les conditions d’une modernité d’ap-propriation ou de rejet, par un retour spectacu-laire et souvent violent aux fondamentalismescontemporains, qu’ils soient d’inspiration religieuseou ethnique » (M. Diouf, R. Collignon). Il s’agitdonc de comprendre les mutations en cours etd’en tirer le sens. Une des conclusions de Dioufet Collignon est que l’on assiste peut-être à unallongement de la condition de mineur social desjeunes, mais aussi à un aller-retour entre la posi-tion d’adulte et celle de jeune. Philippe Antoine,Mireille Razafindrakoto et François Roubauds’intéressent eux à la « contrainte de rester jeune»et à l’évolution de l’insertion dans trois capitalesafricaines, Dakar, Yaoundé et Antananarivo.Mahamet Timera entend, lui, contre les représen-tations réductrices qui associent sans nuances lesmigrations à la misère et à la famine, réviser lacorrélation souvent établie entre pauvreté et émi-gration. Il se propose de revenir à la dimensionindividuelle de la migration, à sa fonction d’éman-cipation, d’autonomisation et d’individualisationchez les jeunes migrants originaires de la valléedu fleuve Sénégal. Rémy Bazenguissa-Gangadécrit, pour le Congo-Brazzaville, les modalitésde construction de la jeunesse dans le contexte dela violence politique. Les « jeunes », en tant que

catégorie politique et groupe d’acteurs précis,contrôlent ces transformations. Geneviève Gasser,en s’appuyant sur une enquête menée sur placeen 1997 lors d’une période de recrudescencedes combats en Casamance, recherche ce quesignifie « être jeune» à Ziguinchor, dans le sud duSénégal, en mettant davantage l’accent sur lavie quotidienne.

Nordic Journal of African Studies(Helsinki)Numéro spécial sur « L’école et leslangues nationales au Mali »Vol. 3, n° 3, 2000.

En 1994, le Mali a décidé de généraliserl’enseignement des langues nationales à l’écolefondamentale. Les articles de ce numéro spécialcouvrent les aspects essentiels qui ont trait à cettequestion : la formation des maîtres, leur attitudeà l’égard de l’introduction des langues nationalesdans l’enseignement, la disponibilité et l’utilisa-tion des manuels, la transition du bambara aufrançais dans l’apprentissage des mathématiques,l’enseignement en classe de la langue bambaraet les résultats de cet enseignement, à savoir lescompétences des enfants en bambara écrit. Uneétude concerne la scolarisation des filles en milieurural ; une autre, qui touche à l’école sans enrelever directement, traite des emprunts du peulau français tels qu’ils apparaissent dans le jour-nal mensuel Kabaaru et tels qu’ils sont reçus parles populations peules. Ces articles s’appuientsur les résultats d’enquêtes de terrain à Bamako,Ségou et Mopti, et apportent des données empi-riques nouvelles. En outre, deux contributionsconsidèrent de manière plus générale les pro-blèmes du système éducatif et des rapports entrel’école et la société au Mali. La première traite dela crise scolaire qui frappe l’école depuis une

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Rubrique réalisée par Michèle Boin avec le soutien de l'Afrika Studiecentrum de Leiden

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Politique africaine

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dizaine d’années : grèves répétées, annéesblanches ou facultatives, baisse du niveau del’éducation ; la seconde dénonce les liens tropfaibles qui existent entre la formation initiale et lapratique en classe.

Cambridge Journal of Economics(Oxford)« African Economic Development in a Comparative Perspective »Vol. 25, n° 3, mai 2001.

Les explications conventionnelles des faiblesrésultats économiques de l’Afrique négligent géné-ralement d’explorer les mécanismes de crois-sance, de déclin et de stagnation. Par contrasteavec les économies nouvellement industrialiséesd’Asie de l’Est, les pays africains ne sont pasparvenus à instaurer un cercle vertueux de crois-sance comportant un accroissement de l’épargneet des exportations. Les programmes d’ajuste-ment structurel, en démantelant les mécanismesétatiques d’accumulation sans y substituer desolution viable, ne se sont pas attaqués auxcontraintes structurelles entravant la productivitédans l’agriculture (Y. Akyüz et C. Gore). ThandikaMkandawire s’oppose aux théories selon les-quelles les États africains ne sont pas capables degénérer le développement en raison du clienté-lisme, du mode de dépendance de leurs écono-mies et du niveau atypique des taux d’intérêt.Massoud Karshenas propose quant à lui desexplications nouvelles en termes de structuresagraires et de disponibilité des ressources pourrendre compte de l’apparente dualité économiquedu continent africain. Une comparaison avec leséconomies à surplus de main-d’œuvre d’Asie faitressortir les contraintes posées par les structuresagraires existantes pour l’accumulation du capitalet l’industrialisation en Afrique subsaharienne,et souligne le contraste entre les conclusions

découlant de cette perspective et les politiquesconventionnelles centrées sur un réajustement desprix et la libéralisation du marché. L’étude deMachiko K. Nissanke considère les déficiencescritiques dans l’infrastructure financière d’Afriquesubsaharienne qui ont contribué aux résultatsinadéquats de l’investissement productif par desacteurs privés. L’examen de différents cas en Asiede l’Est lui permet d’en dégager des implicationspour la ligne à suivre en matière de politiquesfinancières, d’arrangements institutionnels et demesures d’intégration du marché pour financer ledéveloppement des entreprises.

Afrikanische Studien (Hambourg)« Madagascar. Perspectives de développement »Vol. 15, 2000.

Ce volume de l’Afrikanische Studien portele sous-titre suivant : « Croissance de la popula-tion et croissance économique contre sauvegardede la nature », et telle est bien l’interrogationcentrale de ce numéro issu d’un symposium orga-nisé par l’ONG Deutsch-Madagassische Gesell-schaft. Les sujets traités par les différents articlesramènent tous au double souci de préserverl’environnement (lutte contre l’érosion, évolutionde la couverture forestière, réserves naturelles,conservation de la biodiversité, protection desespèces rares, algoculture) et d’assurer les condi-tions de la croissance économique, tout en tenantcompte des besoins sociaux. Les perspectivesmalgache et allemande alternent dans l’examende cette problématique. Parmi les nombreusescontributions, l’une traite des possibilités decoopération scientifique entre Madagascar etl’Allemagne, d’autres mettent l’accent sur l’édu-cation et la formation des jeunes ou sur la néces-sité de rétablir l’État de droit pour assurer ledéveloppement.