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PAR LON
l‘A R
LOU IS ÊNAU LT
PARI S
B . BERNARD ET Cie, IMPR IMEURS-ÉDITEURS75 et
“77, R U E L A C O N DAM I N E , 75 et 77
4 , R U E D E TH O R I G N Y , 4
AV ERT I S SE M ENT
Auj ourd'
hui 1 er m ai,à l ‘heure même où
s’ouvrent les portes de l
’
Exposition ,nous publions
le p remier volume de notre PAR I S-SALON ,1 882 .
Nous disons n otre PREM IE R volume, car l
’
em
pressemen t avec lequel les plus éminents parm i
nos alt istes ont bien v oulu répondre à notre
appel et devenir nos collaborateurs n ous impose
des devoirs nouveaux .
Les quarante tableaux , choisis entre les m eil
l eurs, que nous reproduisons ici pour offrir à nos
AV E R T I S S EM E N T
lecteurs la fleur même du SALON,n ’
ont point
épuisé une matière aus si riche et aussi belle . En
face de lacunes involontaires , m ais profondément
regrettables nous avons compris que nous de
v ions une reparation à ceux de nos peintres qui
n‘
ont pu jusqu’
ici trouver place dans notre
p ublication .
C’
est à eux que n ous consacrerons le SECOND
V OLUME de notre PARI S—SALON,auquel nous ap
portons en ce moment tous nos soins,et dont
l ’apparition n e se fera pas attendre.
Nous n ’aurons j am ais eu tant de plaisir apayer
nos dettes .
LO U I S
Paris,”I °? mai 1 882 .
LE SALON DE 1 882
A faveur avec l aquell e l e publ ic a bien
voulu accuei l l i r, l’an pas sé , notre volu
me intitulé PAR I S-SALON , 1 881 , nous en
gage à poursu ivre cette rapide histo ire
des expositions pari si ennes . C’est une séri e com
mencée, et qu i ne sera plu s interrompue désormai s .
Nous espérons qu ’elle tiend ra un j our sa place dans
l e s annale s de la peinture au ’
x1xe siècl e . Ces anna
le s ne lai s seront point que d ’être un j our as sez
curieu ses , car aucune époque n'aima la peinture
plu s que la nôtre . Jamai s encore la production
L E SAL O N D E 1 8 8 2
n’avait é té p lus nombreuse et p lus ardente , et cepen
dant el le a peine suffire à la demande . Pari s , et,
avec lui , l e monde entier , est emporté dans un mou
vement arti stique fougueux .
Ce mouvement a pri s tout à coup , en ces derniers
temps,des proportion s qu ’ i l eût é té vraiment im
pos sible de prévoir, i l y a quelque s années seu le
ment. Legoût de l a peinture s ’est développé chez
nou s au delà de ce qu’
aura ient p u espérer ceux qu i
font d ’elle l ’occupation , j e dirai s volontiers le but de
l eur vi e . Ce sont les peintres qu i t iennent mainte
nant le haut du pavé ; i l s y font l a roue , parés de
plumes qu ’ i l s n ’ ont pas volée s ; i l s accaparent pour
eux seul s toutes l es trompettes de l a Renommée ,qu i s e las s e a l e s su ivre, et qui n
’aura b ientô t p lu s
de souffle que pour j e ter l eurs noms aux quatre
v ents du ciel .
S i cette faveur s urprenante est au s si quel que peu
inattendue, i l faut d u moin s reconnai tre que ceux
qui l’obtiennen t en profi tent avec une singu lière
ardeur . I l s sont trop versés dan s la mythologie
pour ne pas connaitre l’
ingén ieux apo logue qu i
nou s présente l’Occasion , cette dées s e de l’
Opportu
n isme,comme une personne aimable mais chauve
,
L E S A L O N D E 1 8 82
qu ’ i l faut sai s ir au pas sage par son uniqu e cheveu
i l s n ’ont garde d ’y manquer , et s i ce tte c apricieus e
n ’arrive pas d ’e lle—m éme, i l s l’
appellent et l a fon t
venir. Tout concourt, d’ail leurs , pour leur faire
atteindre ce but .
Pari s e st devenu l a P inacothèque de l ’un ivers . Ce
ne s ont p lus seulement le s Francai s qui exposent
chez lu i , ce s ont tou s le s peuples qu i vi ennent tour
a tour lu i d emander un p eu de l a gloire dont il
di spose , et qui veulent profi ter du retenti s sement
de sa parol e . I l s s avent bien qu ’
el l e porte haut , et
qu’
el le est entend ue partout . A l ’heure Où nous écri
vOn s , l e s R u s se s et les Scandinaves , accourus de
leurs pays l ointains , ont organ i s é chez nou s de
c uri eu se s expo sitions des oeuvre s de leurs plus
i llu stres peintre s .
I l s préfèrent Pari s aPé tcrsb ourg et Stockholm ,
en quoi j ’e stime qu ’i l s n ’ont pas tort .
La plupart de no s cerc les , depu i s l e moi s de
décembre j u squ ’
au moi s d ’ avri l , ouvren t leurs
galeri es , pour de s exposition s partie l l es , n on pas
seu lement a l eurs m embres,mais aux peintres en
renom et aux femmes de quelque talen t . Ce sont la
L E S AL O N D E 1 882
comme autant de petits SALONS , qui nou s donnent
un avan t—goût du grand SALON OFFIC IEL .
Quant à celui—ci , son ouverture impatiemment
attendue est touj ours l e fait l e plu s important de
notre année arti stique . I l n ’
attire pas à lui s eule
ment le s sculpteurs et le s peintres ; mai s l e s gens
du monde s e montrent aus s i s e s infatigab le s vi si
teurs ; pour l e voir, on accourt de la province et
l ’on vient de l ’étranger . Beaucoup de gens , maître s
de l eur temp s et pouvant di spo ser comme i l s l ’en
tendent de leurs loi s irs,font coïncider avec l e
Salon l eur voyage annuel à P ari s . Notre PAR I S
SALON a donc sa raison d ’être ; i l n’e st que la cons
tatation d ’un fait social qui s e prolonge et se per
pétue, et c’est uniquement parce qu ’ i l répond à un
b esoin qu ’i l a obtenu quel que succè s .
TAB LE ALPHAB É T IQUE
PAR
NO MS D'
AU TEU RS
ALLONGÉ.
Arm.uv
Aumznr (Jean)
BEAULI EU (de)
BE \UMETZ
BÉR\UD (Jean)
BE\ NER .
Brnr .xn .
BERTRAND (James)
BONNAT .
Bnasu w
CABANEL (Al.)
CAI N (G .)
Coxsm vr (Benjam in) .
DELAHAYE .
Dunz
Dun… (Carolus) .
ENAULT (Mme Alix)FEYEN-PERRI N
FOUBE“T. O O O £ O o o l
Pr ès des iles la Baume (Avallon) .
Lisière de bois (en Daup h iné) .L
’Amour transi.
La dame de tr è/le.
Metz , 26 octobre 1870.
Le ver t ige .
Maz z arella
Musique en fam ille .
La cigale.
Por trai t de Puvis de ChavanncsL
’
a t ten te de la marée .
Pa tr icienne de Venise.Une r ire en 1 8 14 au café de la
Rotonde.
Le lendema in d ’une v ictoire.
Emba tage.
Au tour de la lampe.
Mise au tombeau .
Fleur de serre.
Le chem in de la Cornic h e .
Le sa tyre et le passan t
L E S A L ON D E 1 8 82
FRAPPA
GERVEX .
GES.\ E (A. de)
GLI LLE\I ET .
Ham m
RAM.—ROBERT
Rave .
LECOMTE D U Now .
LESREL (A
Blu es… (Albert) .
l‘mou (Louis)
Paor u s .
lonrnr—l‘
u : v
ROLL
li ovœEu Je.mm
S \L\I S ON ( l go )
\‘
AN Mann ;
V \SSELOT (de)
\'
t ru n ner (de)
Un agneau parm i les loups .
Por t de la Villet te.
Le cerf forcé .
Morsalines
Barra .
Au bord de l’eau (BasSymp hrOs ine deva n t Hadr ien.
Environs de Londres .
”ombre.
La bacc h an te.
Le somm eil de Fra Angelica.
En Norma tlle.
l’
aube.
Vauba n donne le pla n des [w ii/ie…
t ions d u c h a teau et de la mlle de
Belfor t.
La fe te du 1 4 Ju ille t .
Ric h elieu c h ez Lou is l'
.
La prem ière commamon .
Vac h e su i sse.
Bus te de Coro t .P titura
_) c normand .
AL L ONGÉ
P R È S D ES I LES LA BAU M E (Ava l l o n )
LLONGÈ est, avec Maxime Lalanne, un
des rois du fusain ; un des sin de lui
vaut souvent mieux que l e tableau d ’un
autre . Èpris de la nature, comme doit
l etre tout paysagi ste digne de ce nom , i l excel le a
l a rendre sou s tous se s aspects , et à faire pas ser
dans ‘
n 0s âmes toutes les émotions dont i l est lu i
meme pénétré . I l a l ’enthousi asme commun icatil‘
.
C’
est le gén ie même de la soli tude qu i re spire dans
ce tableau , où rien ne rappel le la présence de l ’homme;O ù nou s pouvons nous croire à mille lieues de la
A L L O N O E
c ivi li sation , de ses pompes men songères et de ses
œuvres s i vide s trop s ouvent . C’est vraiment une
page de l a création primitive que nous avons ici
d evant le s yeux , et qu e nou s contemplons dan s sa
s implicité grandio se et sai si s sante . Mai s l a nature
au s s i est une grande arti ste , et i l s erait difficile
d ’imaginer un en semble plu s habilement di spos é
d ’eaux endormies dan s leurs lits de roseaux et de
joncs fm arin s, de rochers j eté s les un s sur les au
tres dan s un désordre qu i rappel l e le pâl e-mêle du
chaos , quand D i eu n ’avai t pas encore impos é le
rythme et l ’harmoni e à ce monde tombé de ses
main s . Les études d ’arbres , frênes , peupl i ers et
bou l eaux, amis des rives humides , sont d’un e di s
tincti on de facture que rehau s se encore l e bon
heur d’
arrangement qu i préside à la formati on de
leurs groupes . Ceux qu i occupent la gauche du ta
b leau nous offrent une si lhouette vraiment poétique ,et c
’e st une note déli cieu se qu ’ il s donnent à cette
composition , destinée à prendre place . parmi les
mei lleurs morceaux signésdu nom sympathique de
M . Al longé .
APP IAN
L IS I È R E D E B O I S ( en D aup h i n é )
PP I AN s ’e st fait depui s longtemps une
bel l e et large place parmi le s paysa
gistes de l’école contemporaine . I l s ’e st
senti tout d ’abord attiré par l e charme
et l a beauté des plages méridionales . I l nou s a
donné de bi en agréables peintures des rives médi
terranéennes; son pinceau soupl e et faci le s e j ouait
avec l’écume des vague s enso lei l l ées,et l a suspen
dait comme des franges d ’argent au flanc noir de s
rochers . 11 a promené sa fantai si e sur tou s ces bord s
enchantés , depui s Marseille j usqu’
à G ênes . Auj our
A P P I A N
d’
hui , M . Appian change quelqu e p eu sah 1 an ière,
et,bien qu’ i l y a it encore beaucoup d’
eau dans l e
paysage qu ’ i l nous offre auj ourd ’hui , c’est dan s
l’intérieur du continent qu’i l nous tran sporte . Cette
bel le page , trè s poétique,réunit à nos yeux de bien
exqu i se s qual ités . Les terrains qui occupent toute
la partie droite du tableau sont d ’une grande vérité,
et d ’une réel le vigueur de touche . Les arbre s
dépou i l lés par la dure sai son d ’hiver tordent avec
des mouvementsd ’une al lure grandiose , comme des
bras désespérés , l eurs rameaux dépouil lé s et tri stes .
L’
eau dormante sur laquel le s’
ébat un vol de canards ,au plumage changeant , est rendue avec beaucoup de
j ustes se , et les larges feuil les des nénuphars flot
tants , mêlés à toutes sortes de plantes aquatiques ,pou s sant ca et l à avec une luxuriante abondance
,
donnent à ce j oli morceau une note des plus aima
bles .
C’
est parmi les mei lleures œuvres de M . Appian
qu ’i l faut ranger ce jol i tableau .
JEAN AUBERT
L ' A M O U R T RANS I
quelque éditeur intell igent, ami des
chose s élégantes , déli cates et di stin
guées , un H achette , par exemple, un
D idot, un Lemerre, un Quantin , un
Jouaust, voulait nous donner un aimabl e volume,cher aux b ibl iophiles et aux gens de goût, j e ne se
rais pas embarras sé de lui en indiquer le moyen .
Je lui dirai s
Pri ez JEAN AUBERT de vou s illustrer les chansons
pardon ! l e s odes d‘
Anacréon . I lm’arrive ra
rement de voir un tab l eau de l ’auteur du Miroir aux
J E AN AU B E R T
a louettes san s me rappeler ces j ol ies fl eurs d e l’An
th ologie grecqu e, que le poète de Téos semait autour
de lu i d ’une main si facil e et s i légère . I l en a sou
vent la grâce piquante, et la malice voi lée sou s un
s ourire .
L’
Amour transi, à qui cette j ol ie fi l le imprudente
permet de se réchauffer a son brasero , me rappelle
l’
Amour mouillé, qu’un célibataire sans défian ce ac
cuei l le dan s sa demeure, et qui lui décoche en p lein
cœur, comme remerciement , une de s es flèches b ar
belées et trempées dans l’absinth e. C’est ains i que
l’
Am our, en ce temp s-là, prenait part à l a bonne
œuvre de l ’hospitalité de nuit !’
Le céleste gamin auquel cette trop confiante
c réature donne part au feu et à la chandel le , et qui
s ’e st délivré à lui-même son bil let de l ogement, me
paraît capable de toute s l es perfidies . I l e st en ce
m oment défri sé et penaud , la plume col lée au dos ,l ’arc que de mal ice dans cette âme
perverse, et pour peu que vou s lui donniez seule
ment un doigt de vin généreux, tremblez, ma belle
enfant, d ’apprendre des noirceurs Quoi qu ’
i l en
soit, voici un bien j ol i tableau de genre, et que ra
j eunit l’antiquité même du suj et .
HENR I D E BEAUL IEU
LA D A M E D E TRÉ FLE
ENR I DE BEAULIEU s ’appelait autrefoi s
ANATOLE ; mai s on change avec le s
années , et, depui s quelque temps ,Anatol e s’
appelleHenri . Je n’y voi s pas
d’
inconvénient . I l a été élève d'EUG ÈNE DELACRO IX , et
l ’on s ’en aper! oit à certaines colorations éclatantes
qui s e retrouvent dans tous ses toiles .
M . H enri de Beaulieu ne fait guère ce que l’on
appel le des tableaux, c’est—à—dire des composition s
ordonnées,et représentant un fait déterminé . S
’
il
s’
engageait dans cette voi e, i l s’
y trouverait gêné et
H E N R I D E B E AU L I E U
empêché par l e so in extrême qu’i l apporte au détai l
du morceau , et qui le détournerait quelque peu
d ’un autre but . C’est donc dans des études déta
ch ées, et vi sant ce que l’on appelait autrefoi s l’ar t
pour l’
art, qu’i l faut chercher ce tenant ob stiné d ’une
écol e qui n ’a plus parmi nous que de s représen
tants assez rares . C’est là, et là seulement, que vous
le trouverez lui—même et tout entier .
C’est donc à des sein que le PAR IS-SALON a choisi
pour la reproduire cette figure i solée de la Dame de
trèfle, l a brune et fière Argine, qui symboli s e l’ar
gent dans la langue nécromancienne des tireuses
de cartes . L’ ensemble du personnage, sa toi lette de
Bohémienne, l e petit masque qui couvre l e haut de
son vi sage , ne lai s sant pas ser que la flamme de ses
yeux ; ces accessoire s étranges, l e réchaud d ’où lefeu j ai l li t en langues ardentes et contournées ; l esphinx, armé d
'
un glaive dans sa dextre, qui pro
pose ses énigmes aux Œdipes du tapi s vert, tout
cela impressionne le spectateur naïf, qui veut re
voir ce type S ingulier, al longé comme une figure du
P rimatice, mai s avec un modèle ferm é et des colo
rations vigoureuses .
BEAU M ETZ
MET Z . 2 6 O CT O B R E 8 7 0
ES suj ets milita1res ont touj ours eu l e
privi lège de passionner M . BEAUMETZ .
J’imagine que , lorsqu
’ i l était enfant,on le révei llait au son des trompettes,
et que les batteri e s du tambour ont rythmé ses pre
miers pas .
I l lui en es t resté dans les fibre s comme quelque
chose de guerrier, qu ’ i l gardera j usqu ’à son der
nier souffle .
Mai s , bâtons-nou s de l e dire , j amai s encore le
j eune peintre n’ ava i t obtenu l a pui s sance d ’effet;
B E AUM E T Z
j amai s i l n etait arrivé à l ’intensité d ’expres sion qui
frappent tous le s vi siteurs de l ’exposition du Salon
de 1882 .
Nous sommes à Metz , et ce s iège sans gloire
touche a sa fin ; une capitu l ation que l’histoire a
fl étrie va livrer a l ’ennemi la dernière de s armées
de la France . Le maréchal Baz aine envoie au géné
ral LAPASSET l ’ordre de déposer ses drapeaux a l’ar
senal pour y étre_brûlés . Mai s tout est à craindre
avec un Bazaine , et le général se dit que le chef
traître ou lâche qu i rend une armée sans combat
peut aus si rendre ses étendards , et la noble indi
gnation du vi eux soldat lui dicte cette fi ère réponse
Ma brigade ne l ivre ses drapeaux a personne et
ne lai s s e à personne le soin de les
E t devant ses troupes réun ies i l fai t brûler lui
1n ém e l e s tro i s couleurs , qu i condui sirent tant defo i s no s troupes à la victoire , et auxquel les i l sauve
ain si l a honte d’aller pavoi ser les arsenaux de
B erl in .
La scène est belle,dramatique au premier chef,
et .\l. Beaumetz l'a rendue dans sa grandeur tragiquoet son émotion dou loureuse .
JEAN BERAUD
LE VERTIG E
grand diab le de JEAN BÊRAUD a de
l ’esprit comme un s inge i l fait de s
mots à l’emporte - pièce et n ’est pas
moin s amusant à voir qu’
à entendre . I l y a dan s
ses tableaux un double extrait de pari siani sme . Je
ne connai s , parmi les modernes , personne qui soit
plu s moderne que lui , et s i j ’avai s j amais quelque
chose a démêler avec ces col lecteurs de documents
p lus ou moin s humain s, dont on parl e tant auj our
d’
hu i , j e leur conseil l erai s de recuei l l ir précieu se
ment ces j olis tableaux , sans le squel s i l deviendrait
J E AN BER A UD
vraiment diffi ci l e (1 ecrire exactement l ’hi stoi re de
notre époque .
Le suj et du Ver tige est des plus simples . Une de
ces j o l ies Pari siennes que M . Jean Béraud peint si
b ien a cédé à la fol le tentation de monter s ur la
plate-forme de l’Arc de l’É toile . Là , en ivrée d ’air et
de l umière , contemplant de toute s parts l ’e space
immen se , et le boi s aux aimes de verdure ondoyante ,et la longue avenue des Champs-Elysées avec l e va
et—vient de ses innombrab le s voiture s , la pauvre ,qui s ’est hasardée toute seul e dan s ce voyage aérien
que l’on ne devrait j amai s faire qu
’
à deux , s e sent
attirée par l ’ab ime , et , d’ une main qu i s e criSpe, se
retient aux acrotères du monument avec Lun tel
efi‘
r0 1 , que l’
on a peur pour el le et avec el le .
JEAN BENNER
MAZ Z A R ELLA
OUT l e monde est peintre dans l a mai son
des B enner . I l s sont la deux frères qui
ont du talent comme quatre .
Nos lecteurs n ’ont pas oubl ié san s
doute que l e Paris-Salon de 1 881 publ ia un j oli
groupe de baigneuses, véritables académ i es en pl ein
air,signé du nom sympathique d’
EMMANUEL , l’ aîné
des deux . JEAN , le plus j eune , n ’a pas un sentiment
moins vi f de la femme , et s ’i l ne nou s donne auj our
d’
hu i qu’ une simple téte d ’étude , c’est qu ’i l sait
bien que cette tête vaut à el le seul e un tableau .
J E AN B E NN E R
Son arrangement pittoresqu e et saisi s sant est
plein de goût dan s s a grâce sévère i l nou s prouve
qu ’ i l peut y avoir du style dan s le s choses le s p lu s
simples . Ce bout d’
étoffe, s i b ien j eté sur une tête
au profi l antique , vous a de s” airs de couronne, et
l ’on ne serai t pas plu s tenté de se familiari ser avec
cel l e qui la porte qu ’avec une véritable reine . U ne
tel l e coiffure sied bien du reste à ce fier profi l de
médai l le , et a cet œ i l rigide comme une prunel le
d’
airain . On sent que l ’arti ste a été ému devant son
modèle , et qu’ i l l ’a peint avec sérieux et amour .
Mit Ernst unclLiebe' c ’étai t la. devi se de Gœth e.
La nuque n ’est—el l e point charmante avec ses légers
cheveux fol lets , qu i se tordent en capricieux fri
son s , comme la pou ss e tendre et les vri l les amou
reuses de la j eune vigne au printemp s ? Le modelé
des épaules , dan s leur galbe délicat et fin , est plein
de frémis sement et de vie . Le souvenir de cettej olie
tète se grave dan s votre esprit,
comme un beaucamée.
B E R T I E R
M U S I Q U E EN FAM I L LE
USI QUE EN FAM I LLE ! tel est l e titre du
tableau de M . BERTIER , titre effrayant,et qui m’a donné une fol le envi e de
prendre , comme on dit, mes j ambes à
mon cou et de me sauver à l ’autre bout de Pari s .
Tenez ! j ’en cours encore ! Ah ! c ’ e st que j e l a con
nai s , la musique en fami lle ! Le pèrejone de la flûte à.
clefs ; l e fi l s râcle le s cordes d ’ un faux Stradivarius,et l a demoiselle éreinte un piano qu i n’en peut mai s
la maman tourne les pages et applaudit,tandi s que
les amis , convives infortuné s d ’un dîner également
B E R T I E R
de”
famil l e,murmurent à d emi—voix, en jetant auplafond des regard s mélancoliques
Sonate, que me veux-tu?
Je su i s cependant revenu sur mes pas pour rem
plir mes devoirs debritique, etm’
assurer de la fa! on
dont on fai sait l a musique en famille chez M . Ber
t ier ou du moin s dan s ses tableaux .
Je m e hâte de dire que ces petits concerts inti
m es Sont fort agréables ;D ’
abord Ï ilSont l ieu dans
un salon superbe, grand comme le hall d’un château
anglai s , décoré comme l ’atel ier d’un peintre de
l ’avenue de V i l l i ers , rempli de toutes les élégantes
superfluités qui font l e charme de l’appartement
moderne . Et pui s , :l a ; famil le e st aimable : l emai
tre du logi s aj grand air etï fière
'
toum ure ; la
mère est au s s i j eune que sé s fi l le s ; . i l y a , dan s
un coin , l e petit ,dernier, qui est j ol i comme un
amour ; quant aux deux j eunes
chante , tandi s que l ’autre l’accompagne, j e l eur
pardonnerai s d’
écorch er M ignon ou Fi*ancesca ,’
en
me di sant que si , par malheur, el le s n e sont pas
trè s bonnes à entendre, elle s , sont du‘
moinS trè s
bonnes à voir. Al lons , monsieur B ertier, encore
un peu de musique en fami lle,' s . v . p .
JA M E S B E RT RAN D
LA C I G A L E
AMES BERTRAND e st un délicat, dont j e
cherche les œuvres à. toutes le s expo
s ition s avec un véritable empresse
ment . Comme tou s l es délicats , il a le
sentiment, l e goût et le cu lte de la femme ; mais il
l ’aime surtout au prin temps de la vi e , et dans la
prime fleur de ses belles années . Je comprends cela .
Nous lui devons des types de j eune fi l le veri ta
b lement exqu i s , et j e ne pen se point que no s lec
teurs aient oubli é ni sa Marguer ite, dans la pri son
Où el le attend la mort, ni l a p ure et chaste Virgin ie,
JAM E S BERT R AN D
roulée par la vague marine , j u squ ’au rivage où l 'at
tend l ’amour .
C’est une sœur de ces charmantes que nou s don
nons auj ourd ’hui a nos lecteurs , dan s l a personne
de cette j olie créature , véritable cigale san s ailes ,mai s non pas sans chan son s , que le peintre, avec
une fantai sie digne d ’un poète, nous montre perchée
dan s un arbre,sa gu itare à l a main , prête à donner
une sérénade aux ro s signol s . Le type e st bizarre , à
coup sûr, et cette piquante physi onomie , qu i fait
songer à une chèvre changée en femme , et s e sou
venant d e son premier état, curieu se comme une
fi l le d’Ève, coureu s e d ’aventures comme une j oueu se
de flûte échappée de la troupe d ’un théâtre antique ,
vous captive et vou s surprend , et, tout en vou s
s édu i sant, vous inqu iète . On ne l’ép ousera qu’aprè s
le rétabli s s ement du divorce !
B O N N A T
P U V I S D E C H AV AN NES
E croi s qu ’i l nou s faut en prendre notre
parti , bon gré mal gré . Notre généra
tion n é reverra guère au Salon de
grandes compositions deLEON BONNAT .
L’auteur s i souvent admiré du Scherz o et de Non
p iangeœ ! de Sain t , Vincen t de Paul et de l’Assomp tion
de la Vierge, de‘ l a Lu tte de Jacob et de l
’
ange et du
Chris t , de la cour d ’as si ses , semble , depui s quelques
années , s e vouer . presque exclus ivement au por
trait ; c’est au portrait -qu ’ i l consacre tout l e temps
qu ’ i l ne donne point aux grands travaux décorati fs
de Sainte—G eneviève .
B O NN A T
Les belle s toi les resplendi s santes de grâce et de
beauté qui reprodu i sent les traits de Pasca et de
la comtessePotocka nous di sent as sez ce que peut
bien è tre Bonnat comme portraiti ste de femmes
mais i l est certa in que‘
c’
est la tète mâle , énergique
et accentuée des porte-barbes , qui a surtout le pri
vilège de l’
a ttircr . C’
eSt le peintre d es hommes .
Demandez plutôt à. Thiers et a V ictor H ugo , au duc
d’
Aumale et au duc de Madrid .
Ma i s Bonnat a été , croyons—nous , rarement mieux
inspiré qu ’au moment o ù i l a pri s ses pinceaux
pour nou s rendre les traits sympathiques d ’un de
ses confrères et de ses ami s , qui lui au s s i est un
premi er dans son genre, M . Pavis de Chavonnes ,
l‘auteur de tant d ’œuvr es décoratives , que se dispu
tent no s palai s et nos musées .
—
Qùe la ressemblance soit garantie , avec Bonnat ,c’est chose inuti l e à d ire . La fi ère tournure du mo
dèle,'
son allure décidée, la crânéried e l a p ose,'
l’
zic
cent personnel de l ’œuvre tout entière, font de ce
portrait d ’ami un portrait hi storique , tout à fai t
remarquable . C’est à ce titre que PAR I S—SALON l ’a
reproduit .
M"°L OU I S E BRE S LAU
L’
ATTE NTE D E LA MARÈ E
B ne sai s s i M lle LOU I SE BRESLAU fré
quente les boudoirs ; en tout cas , i l est
bien certain que ce n’est pas là qu ’
el l e
va chercher ses modèles . Ce qu ’ i l lui
faut, ce qu ’el le aime , c’est l a robuste pl ébéi enne,
la paysanne endurci e au rude labeur, ou la p é
ch euse, fouettée par la vague et hâlée par la bri se
amère .
V oyez plutôt cette créature qu ’el le nou s montre
à demi couchée sur la falai se,et , son fi let tout prè s
d ’el le , attendant l a marée . E l l e est bâtie en force
m'“ L O U I S E B R E S L A U
et j e n é tonnerai personne s i j e di s qu’el le est ca
pable de lutter avec la tempête . Un souffle géné
reux gonfle cette poi trine vaillan te ; cette j ambe
ferme , pleine et musc lée , pourrait , en s’arc-bou
tant , rési ster au rocher de Sisyph e, et i l y a , j’
en
réponds , assez de vigueur dan s ce bras à demi-n u
dont on devine le b icep s pour faire vi rer l e
cabes tan .
Néanmo in s on est femme , c’
estâ‘
r—dire sensibl e
encore p ar quelque point”caché , mais vu lnérable .
V oyez plutôt l ’ éclair humide de cet œ il sombre,à travers l a chevelure farouche qui retombe sur
le front et le cache plus d’
à. mo itié ; voyez cette
bouche sérieuse et mélancol ique , qui s’
épanouira it
peu t.
—être comme une fleur sous le divin sourire de
latendres se! Ce n’est pas seulement lamarée qu’
el le
attend , — c’est celui que le flot va lu i rapporter :
up mari , — un fiancé longtemps espéré , désiré vive
ment. On se sent involontairement ému devant
c ette œuvre , parce qu’
en la créant l ’arti ste a été
vraiment émue elle—mème.
AL EXANDRE GABANEL
PATR ICIENNE DE VEN I SE
LEXANDRE CABANEL est toujours le
peintre attitré des femmes du monde
i l l e s aime ; i l l es comprend ; i l excellé
à l es rendre dans leur correction pure
e t leur di stinction parfaite . On remplirait une gale
ri e ricn qu’avec les portraits des grandes dames
qu1 ont pos é devant lui . I l s e propose un autre:
i déal que l a simple reproduction de leurs traits ;i l le s interprète ; i l rend leur âme vi sible ilen fait
des types qui restent dans les yeux et dans l ’âme
de ceux qu i le s on t vus . Pourrions-nous oublier
ALE X AND R E CA BA N E L
cette charmant duches se de V allombrose, , qui
nous offrit, i l y a quelques années , une s i parfaite
image de la’
grace féminine dans ce qu’
elle‘
a de plus'
exqu i s , et de l’élégance ari stocratique au xixe siècle?
I\ I . Cabane! lui donne une sœur auj ourd’hu i dans
sa l’alricie2inede Ven ise au XV I e s iècle . Faut-i l al
c
corder une fo i aveugle au l ivret, et voir dans cette
belle personne une contemporaine et une compa
triote des'
doges? Ou n’est-el le point tout simplement
une Par i s ienne de l a troisième R épubl ique, à la
quelle” l ’arti ste a pTodigué toh s l es ench antemehts
de son pinceau amoureux? E l l e est bel le : que nous
importe l e reste ? E l l e s e présente à nou s de face ,en pleine lumière; ne nou s dérobant aucun détail
de son Opulente beauté, déta‘chant par un vif relief
son vi sage aux lignes pures et aux fins méplatsldé
licatement modelés . Sa"
chevelure blOnde, d’un
blond d’
ép is mûrs , avive de ses reflets d’Or pâlele
velours cramoi si de sa riche coiffure .
l
et coule par
ondes molle s sur lemarbre des épaules,dont le galbe
superbe cons erve toute sa valeur, grae'
c ' a l a robe
coupéc car*r_
é , comme chez les femmes h abillées par
le Ti tien ou le V éronèse. B ien difficile à contenter
qui _
demamlera davantage .
GA I N
UNE R IXE EN l8 l4 ,
AU C A F É D E L A B OTOND E
OUT l e monde sait de quell e haine fut
remplie l ’âme de notre nation pendant
le s moi s troub lé s qui Suivirent la pre
mière restauration des Bourbons . Ja
mai s peut-être deux parti s r ivaux n ’étai ent arrivé s
tel paroxysme de fureur l ’un contre l ’autre .
C etaient deux France s rivale s qui se mesuraient de
l ’œi l , déj à prête s à se déchirer : la France de l’em
' percur vaincu , et la France du roi , qui venait de
remonter sur l e trône de s es pères . Partout Où se
rencontraient l e s hommes représentant ces deux
faction s implacable s , on pouvait s’attendre à —quel
que rixe souvent mortel le . La batail le dans la rue
n’ était, du reste , que l e prélude du duel , dans lequel
les adversaires allaient s’
égorger au coin d’un boi s,
en l ’honneur de leurs pri nces.
Certains cafés de Pari s , entre autres l e Café de la
Rotonde, au Palai s-R oyal , étaient le théâtre le plus
ord inaire de ces coups de force, dont l’ i s sue était
touj ours fatale .'
C’est ce que l’on peut ai sément devirÏer rien qu’en
jetant un coup d’œi l sur l e tableau S I an imé , s i mou
vementé , de M . G EORG ES GAI N.
C’est préci s ément au café de l a R otonde que le
ienne —arti ste nou s conduit . De quel ,côté sont les
torts I l ne m’appart1en t po int de le dire, et i l e st,
j e croi s , diffici le de le savoir ; mai s l ’action a été
chaude , sij ’en cr0 1 s l ’expres sion passionnée de toute s
ces têtes enfiévrées par la colère . Les meubles ren
versés , le s yeux prêts à sortir de l’orbite , les lèvres
cri spées et vibrantes , —les mains qui se .ch erch ent,l es bras levés pour frapper , le s cannes que l 'on
brandit , l es épées qui ne demandent qu’à sorti r du
fourreau , tout cela nous raconte en termes éloqu
‘ents une des plus sombres péripéties de cette
époque j ustement maudite .
n œœ n æn n n rw n n! o r o O 0 0 0
I
o“
o o
BENJA M IN CO N S TAN T
AP RES LA V ICTO IRE
ENJAMI N CONSTANT a le culte de ses
souvenirs . I l n ’a pas oubl ié qu ’ i l a dû
à l ’orient l e premier de ses succès, et
l a page grandio se intitulée l a Prise de
Constantinop le p ar —Mahomet I l es t re stée présente à
son esprit. C’
est touj ours à l ’ori ent qu’ i l demande
ses inspirations les plus piquantes , et c’
est l’orient
aussi qui lui offre ses suj ets de compositionles plus
heureux.
Je le comprends, car le j eune maître trouve la
tout à la foi s la poésie des motifs, la beauté des
types, la grandeur des attitudes, la ,poblesse des
B E N J AM I N C O N S T AN T
poses et l a splendeur de s co stumes . Auj ourd’hui
encore vous retrouvez chez ces races constantes ,inconsciemment épri ses de la pompe et de l’apparat
dan s l eur vi e publ ique et privée, des robes superbes ,des manteaux maj estueux, des étofi
‘
es magnifiques,drapées à pli s grandioses , des fusi l s aux cros ses
incrustées de nacre et d’
écaille et des poignards à
l a garde étincelante de pierreries .
M . Benj amin Constant‘
a donc mil le fois raison de
rester en Orient . Où donc a urait—il trouvé un sujet
plu s heureux que celui du tableau qu’il intitule
Ap rès la victoire
No‘
us s ommes dans le palai s du vainqueur. I l est
venu‘
j u squ’au seui l de sa porte pour recevoir les
dépouil les opimes , fruits” sanglants de la guerre
cueil li s par ses braves les cassette s pleines d’
or
et de bij oux, les tapi s précieux, les riches étofi‘
es et
les belle s captives . Derri ère lui , les grands person
n ages de sa cour, escorte imposante ; à ses côtés, !e
Chaouch , son cimeterre nu à la main, sombre exécu
teur des hautes-œuvres d u maître, touj ours prêt, au
premier signe, à faire voler une tête . Tout cela '
en
levé d ’un‘ pinceau facile, qu i réal i se , comme en se
j ouant , l e diffici le prob lème del’
harmonie‘
dans l ’éclat.
D ELA I I AY E
EMBATTAG E
EST un j eune et, avant son tab leau de
l a dernière expositi on , intitulé s i j e
ne me trompe au Lavoir,i l était a peu
près inconnu ; mai s j ’imagine que lo
SALON de 1882 va le mettre singulièrement en
l umière . I l a, du reste , as sez de mérite pour ne pas
être écrasé par sa gloire nai s sante .
L’auteur de l’Emba ttage ne s e met point en frai s
d’
idéalisation ; mais i l a l’œ i l d 'une remarquab lej us
tesse; ilvoi t les choses commeelles son tct il l es rend
connue i l les voit . Le tab leau que nous reprodui
D E L A H A Y E
son s i ci es t une consciencieuse et véritablement
bel le étude . La compo sition est fort bien entendue ;l ’action représentée est compri se du premier regard .
Chacun des personnages est à l ’œuvre, fa i t b ien ce
qu ’i l fai t, et n e fait point autre chose . I l s erait
diffici le d e ne point admirer la j ustesse de mouve
ment de tou s le s personnages de ce petit drame du
travai l , que l’arti ste a tran sporté d ’un coup de pin
ceou , comme un enchanteur l ’aurait fait d’un coup
de baguette, du mil ieu même Où i l l e s a trouvés sur
sa toi le, Où nous l e s voyons geignants et haletants ,courbés sou s l e marteau et penchés sur l ’enclume .
M . D elahaye , qu i est un colori ste fort b armo
nieux,pos sède aus s i une véritable s ci ence de mo
delé .I l y a dans son tableau des bras , des torse s et
de s épaules d’un très b eau rendu . Je ne ferai guère
qu’un reproche au j eune arti ste , c’ e st d’avoir donn é
a quelques -uns de ses personnages d es carnation s
trop blanches . Le feu du charbon avec sa chaleur
intense,et les brûlantes réverbérati ons du fer rouge
ont vite fait de dévorer l a douce fl eur de notre
peau . I l faut aux travai l leurs un épiderme plus
rude et plus bronzé .
ERNE S T DU EZ
A U T O U R D E LA LAM P E
RNEST DU EZ est un des hommes de ce
temps—ci qu i po s sèdent au plus haut
degré la note contemporaine et l’in s
tinct de cette chos e diffici le à définir,mais en m ême temps faci l e à comprendre , pour
l aquel le on a créé le mot tout nouveau de modern ité .
J’imagine que ses tableaux auron t un j our, au
point de vue de l ’histoire anecdotique , une valeur
toute particulière , et qu ’i l s s eront avidement re
cherchés par les coll ectionneurs de l ’avenir . C’est à
lui que nous devons chaque année c es j oli es toiles
E RN E ST D UE Z
de plein air, Où nous retrouvon s un sentiment si vif
et s i juste del
la—
nature , qui nou s montrent, sur les
côte s bénies du Calvado s , à Trouville , a Houlgate,
aV i llers , toute s ces j eunes élégantes dont la robe,
qui sort de chez l a bonne fai seuse, est touj ours frap
pee au m illéSime exact et reconnai s'
sablede l’an
née courante .
Dans l e tableau intitulé Autour de la lamp e, que
reproduit notre PAR I S-SALON , M . Ernest Bnez
reste fidèle à samanière, et il a rai son, car el le
est la bonne . C’est bi en un intéri eur de notre épo
que , comme nous en connai s sons et comme nous
en aimons b eaucoup , celui qui nous montre ces
deux j eunes gens , deux fiancés, j ’imagine , j ouant
aux échec s , sou s l’indulgen te survei llance d’une
maman qui s e demande en combien de points sera
terminée la fleur de sa tap i s seri e , mais qui ne s’in
quiète point de *
sa‘
voir en combien‘
de coup s , chez
l es j eunes partenaires qui,‘
tout près'
d’
elle, mèn‘ent
s i d i scrètement leur —
parti e, la reine'
seraprise oule-ro
‘
i fait échec et mat .
Aim'
able'
tableau , sympathique Image d’
u1i bon i
b eur intime que l ’on s e surprend à envier .… quand
on ne l ’a pas soi—m éme.
CARO LU S D URAN
M I S E AU T O M B EA U D U CH R I ST
ES nombreux ami s de CAROLU S DURAN ,
qui sont aus si ses admirateurs pas
sionnés , ne laissaientpoint que d’
éprou
ver quelque ennu i , en voyant s’
absorber
persque complètement dans le portrait l e trè s grand
et trè s réel talent d ’un maître qui a su conquérir
une s i bel le et s i large place entre l e s plu s i l lustres
représentants de l a peinture contemporaine.
La cri tique et le publi c ont donc éprouvé cette
année un égal b onheur en voyant notre arti ste
s ’attaquer à l a peinture d ’histoire, et, dans cette
CA R O L U S D URAN
spécial ité même , à la peinture religieu se qui en est,a coup sûr , la forme supérieure .
Aus si , tout en rendant j u stice a son très beau por
trait de femme, d’une tournure s i magis trale , d ’une
si bell e allure et d ’une sp lendeur de coloris que lui
même n’avait encore j amai s atteinte , n ous lui pré
féron s cependant sa grande œuvre rel igieuse,l aMise
au tombeau du Chr ist. La peinture religieuse e st du
reste dan s le tempérament de M . Cairo]üs Duran ,ce favori de V élasquez , qui a des mouvements d
’âme
à l’espagnole.
A 1’
exemple debeaucoup d’autres maîtres il lustre s
,
i l a dû s e s entir vivement attiré par ce suprême
épi sode de l a P assion et, sans parler du - soin ex
trême avec lequel i l a peint le corp s divin du Cru
cifié , i l a exprimé avec une émotion communicative
les sentiments de douleur et d ’amour d e tou s le s
personnages de ce drame poignant . V oi là un tab leau
que j e voudrai s revoir tous le s le vendredi
saint .
l\l \ L I X ENAU LT
FLEUR DE SERRE
LEUR DE SERRE , tel e st l e titre plein de
promesses , mai s au s si pl ein de péri l ,du tableau exposé par Mme ALIX
ÈNAULT, dont l e pinceau délicat, habil e
à se j ouer a travers le s di fficu lté s des suj ets mon
dains , a su éviter le péri l et tenir les promes ses .
R ien de plus simpl e comme suj et que cet aimabl e
tableau , qui nou s montre une b ell e j eune femme
as si se à l ’entrée d ’une serre , dan s un grand fauteui l
byzantin , incru sté de nacre, d ’ ivoi re et d’
écaille.
Son attitude l angu i s sante et mol le l ai s se deviner l e
N '” A e EN A U L T
vague de ses pensées ; un de ses bras retombe né
gligemment l e long de son corps , tandi s que l’autre
main,paresseu se et di straite , j oue avec une fleur
de gardén ia, que l a bel le rêveuse n e regarde même
point, car ses yeux et ses pen sées vont plus loin .
Beaucoup de morbidesse, de grâce et d ’élégance
féminine dan s cette Fleur de serre qui est en même
temps une Fleur de salon .
FEY EN — PERR IN
LE CHEM I N D E LA CO R N I CHE
ELA s’appel le la Route de la Corniche.
Je la connai s , cette route-là, suspen
due entre ci el et terre, côtoyant de s
précipices et surplomblant des abimes .
Elle commence à. N i ce, pour finir à G ênes , et l’on
peut dire qu’
el l e voit défi l er, sur cette côte ench an
té s , toutes l es é légances , toute s les grâces et toutes
les beautés de s deux mondes . Que de foi s , dans nos
course .; de marcheur enragé , nous y s pmmes-nous
cro i sé avec des calèches superbes , emportant, aux
rapides al lures des chevaux de pur- sang, de joyeuses
F E Y E N -P E R R IN
compagnies de femmes élégante s et de beaux cava
l iers , allan t viaiter les sites fameux de Monte-Carlo,de la Turbide, de San—R emo et de la Bordighera !
I l me s emb l e pourtant qu e j e l’
aimerais mieux
auj ourd’hui , Où j e n’y rencontre que cette modeste
s impl e fi l le des champs , ch evàa ch ant au pas sur son
âne .
I l e st vrai qu ’elle est j eune, na1ve et charmante,et qu ’ el le a pour père M . FEYEN-PERR IN . Or il n
’en
est guère , parmi nos arti stes , qui sachentm i eux que
celui-ci rendre l es fi l l esdu peuple aimables et vrai
m ent attrayantes , tout en les lai s sant el les-mêmes ,sans j amai s en faire des b ourgeoi se
—
s ou des parve
nues , san s les en l ever à la condition dan s laquel le
le ci el les a fait naître mai s en les parant des at
t raits irrésistibles que donnent l a candeur et l 'hou
n êteté . Les pêcheuse s des bêtes de Bretagne , que
l ’arti ste nous a montrée s tant defois , et sous tant
d'
aspects divers , peuvent être regardées comme des
modèle s du genre :Avec l a j ol ie paysanne de l a Cor
n iche , M ÂFeyen -P e1*rin leurdonne une sœur auj our
d’
h u i . Je demande à fournir les dragées du baptême .
Au besoin,j e sonnerai les cloches .
F O U B E R T
LE SAT Y R E ET LE P AS SANT
OU I S FOUBERT est un de ces vail lants
arti stes qu i n e doivent leurs succès
qu ’à eux—mêmes , pour l esqu el s l a des
tinée a été une m arâtre plutôt qu ’une
mère , et que la fortune semb le avoir méch amment
oublié s l e j our où ell e a procédé à la d istribution de
ses faveurs .
I l n ’est pas de ceux qui , pour nous servi r de l ’ ex
pres sion anglai s e , sont nés avec la cu i ll ère d’argent
dans la bouche . I l a connu l’âpreté des rudes débuts ,et c’est par son seul mérite qu’ i l est arrivé .
So ldat pendant la guerre de l ’année terrible , Où
F O U B E R T
i l fit galamment son devoi r, nou s l e voyon s en 1 873
achevant son congé à Bayonne . I l eut l e bonheur
d’
y rencontrer un homme de cœur et de talent,ACH ILLE ZO , qui lu i donna de préci eux consei l s .
C’
es t prè s de lui , à l ’éco le municipal e de peinture
et de des sin , qu’ i l passe toutes les heures de l iberté
q ue lu i laissen tles exigences du service . Des p ro
grès réel s récompensent s es efforts . L ibéré , a l’eXp i
ration du temps réglementai re , i l est envoyé par
Achill e Zo chez l e plus il lu stre de s enfants d e
Bayonne , chez celu i qui a déj à mi s tant de j eunes
gen s sur la route de la gloire et de la fortune,chez
LEON BONNAT .
Au contac t d’un telmaître , lelèvé redouble d ’ar
deu'
r : I l'expose‘ un Sa in t Jea n-Bap tiste dans le déser t,
qu e la critique remarque nt signale . En 1 879, le
F aune et les Nymp hes lui valent une mention honora
blé , et , . l?
annêe euivante , l e Sa tyre latine' p a r les
nymp hes lui mérite une médai lle . A partir de ce
moment , l ’antiquité l’a conqu i s . C’
est encore des'
Sa tyres‘ qu’i l expo se cette année ; mai s des satyres
h ospitaliers , revus par La Fontaine, offrant au pas
sant l e fameux potage que vou s savez . Jol ie compo
s ition , avec de fines études de nu .
JO SE FRAPPA
U N A G NEA U P A R M I LES L O U P S
OSE FRAPPA occupe dans la Peinture
une situation qui n ’est pas sans analo
gie avec cel le d e M . Ferdinand Fabre
dans la Li ttérature . I l s ’ est fait une
spécialité du monde cl érical dans toutes s es varié
tés , et i l lui reste fidèle comme s ’i l avait prononcé
ses vœux . I l ne tient pas le moindre compte de s
décrets d ’expul sion , et son plu s grand bonheur est
touj ours de mettre dans ses tableaux des moin es et
des curé s .
V oyez plutôt la piquante fantai si e que reproduit
notre PAR I S-SALON .
J O S E E B A P DA
C’es t une scène de j eu , dan s laquell e on voit un
jeune pigeon , à peine échappé du colombier pater
nel, et qui vient se faire plumer par des ruffian s, à
l a tabl e d ’un l ansquenet su spect . V ou s vou s deman
dez,sans doute, ce que les moines peuvent b ien
avoir à faire dans ce mauvai s monde , où i l s ne sont
pas ab solument à leur place .
M . Frappa, ni vou s,ni m oi , n’en savons rien . En
voici deux, pourtant , que j’
apercois dan s son tableau z
l ’un qu i prend au coup de partie un intérêt beau
coup tr0 p vif l ’autre qu i ne s e détourne des carte s
que pour j eter une œ illade as sas sine à la j ol ie fi l le
qui sort par la porte du fond,et s’avance crânement
vers l e spectateur . Décidément, M . Frappa est des
tiné à mourir dans l’ impênitence finale .
Beaucoup d ’esprit, d ’ai ll eurs , dans ces amusantes
drôleries , traitées avec une verve malicieuse,'
et
qui font souri re comme un fabliau du moyen âge,mai s dont l a malice est san s danger, et qui n ’
exci
teront j amai s Jacques Bonhomme à courir sus au freeou à la soutane . Ces tableaux-là sont moins perfides ,ie vous en donne mon bil l et, qu ’un pamphlet ‘
dê!
’âcre Paul—Loui s Courier , ou qu ’une chan son caute
leuse de ce faux bonhomme qui s ’appelait Bérangèrfi
HENR I GERV EX
P O RT D E L A V I L L ETTE
ENR I GERV EX , le peintre ami des élé
gances fémin ines , l’arti ste dont le pin
ceau délicat a modelé tant de fois avec
amour le torse des nymphes , des bac
chantes et des dées ses , et a qui nou s devons tant de
j olie s scènes , empruntées à la vie des riches et de s
h eureux de ce monde , Où nos gracieuses contempo
raines j ouent au naturel leur rôl e de charmeuses ,nous offre auj ourd ’hui une composition pleine de
pui s sance , de grandeur et d ’énergie,et qui forme
H E N R I G E R V E X
avec ses œuvres antérieures le contraste l e plus pi
quant ci l e plus complet .
N ou s sommes au bord des bas sins de la V i l lette,c’est—ù-dire au centre même le plus actif et le plu s
ardent de ce rude travai l du débardage des charbons ,où les for ts trouvent le moyen as sez rare dans
notre existence m oderne de faire des effets de
torse, de bicep s et de delto i de .
C’é tait une occasion qu ’i l fal lait sai si r, etM . G ervex
n ’étai t pas homme a l a lai s ser échapper . I l s ’est
s ouvenu qu ’ i l avait le charme i l a voulu prouver
qu ’ i l avait au s si l a pui s sance . I l y a la un beau m ou
vement,singuli èrement animé , non tumultueux,
mais ordonné et réglé , -da chantier en travail ; un
va-et—vient d ’hommes et de chevaux , de bateaux et de
voitures , de camion s et de bari l s , qu i vou s donne
l ’i l lu sion de l a réal ité même . C’
est l a mi se en j eu cu
rieu se d ’un de ces Organes de Paris si bien décrits
par Maxime du Camp , et que M . G ervex nous ra
conte a son tour avec l e p inceau , en accentuant la
n ote pittoresque, ce qu i est son droit et son devoir
de peintre . En somme , fort bel le œUvre décorative .
eÎ)
©)D 3 3
DE G E SNE
LE CE R F FO RCE
peinture, comme toutes les produc
tions da génie humain, subit, elle
aus si , les caprices de la mode, et le
publi c , ce grand enfant, s’attache tan
tôt a une cho se, tantôt à une autre, sans être bien
capab l e de donner la raison de ses préférences, qui
sont trop souvent des engouements.
A 1’
heure où nous écrivons, ilest certain que les
p eintres qui se vouent à la peinture des”}
animaux
sont très b ien vus par les hommes. Jamais nous
n ’avions rencontré tant de bêtes au SALON.
D E G E S N E
M . DEG ESNE est un des membres les plu s emi
nents de la SOC IETE DES AN IMAL IERS FRANÇA IS . C’e s t
qu’en effet M . de G esne connait mieux que pas u n ,
es personnages dont i l s’e st fai t le peintre ord i
naire . Je le soup ! onne d ’avoir quelque grand veneur
dans sa l ignée ascendante , tan t i l fait preuve de
certitude et de savoir dans‘
tout ce qu i touche lesnobles dédu i ts de la chas se .
V oyez plutôt le tableau que reprodui t l e PAR IS
SALON , et que l’arti ste in titulé l e Cerf forcé.
L’an imal es t aux abo is , épu isé , haletant , vanné,
n’en pouvant pl us ; i l s’approche d
’
un étang il va
baiser l’
eau ,comme disent le s di sciples du grand saint
Hubert dan s leur langue imagée mai s l ’eau , en ce
moment, c’est s a mort ; la meute aux instincts
cruel s l e devine ; ell e est là, ardente sur la pi ste,attendant l’heure de la curée chaude . Tout cela est
j uste, bien vu, b ien rendu.
G U IL LE M E T
M O R S A L I NES
ORSAL INES e st un j ol i petit coin de nos
côtes normandes , bien connu des tou
ri stes peintres ou non qui exploi
tent ce long département de laManche,
si fécond en beaux paysages .
C’ e st là que, depui s quelques années, ANTONIN
G U I LLEMET va planter sa tente chaque été . I l en
rapporte auj ourd ’hui un paysage trè s caractéris
ti que, Où j e retrouve toujours sa bonne exécution
très large et très facile .
V raiment moderne d ’e'
sprit, d’
allures, de tendance
G U I L L E M E T
et de main , ,G ui ll emet apparti ent absolument à
notre j eune écol e de paysage . Trè s amoureux de la
nature,et très épri s de la vérité, il me semble le
voir errer dans la campagne , battant les guérets
avec son j arret d e lévri er, cherchan t partout le
motif qui va et peut—être le tableau
fait, encore plus que l e tableau à faire .
C’est ainsi , j ’imagine, qu
’ i l a rencontré cet aima
ble paysage de Morsalines, Où les éléments pitto
resques s’as socient de fa! on à produire un ensemble
aus si flatteur pour l ’œi l que pour l’
esprit . C’est dans
une pâte pui s sante et souple que l ’arti ste a pétri et
la courbe gracieuse de son rivage, et ses humbles
mai son s de pêcheurs , trapues et mou ssues , acco
téeSl ’une à l ’autre, pour mieux rési ster à la tem
pête. Je sui s un enfant de cette côte, et vous pouvez
m ’en croire C’est cela !
Le mouvement de la vague, glauque , changeante ,frangée de l ’argent de son écume, est très j uste
aus si , et l es ciel s d ’une belle venue, et d'une lumi
neuse transparence.
H E N N E R
BAR RA
E nom d’
Henner s ’est trouvé tant de
foi s sous ma plume , et, tant de foi s
au s si , j ’ai es sayé de faire l ’analys e de
ce remarquable talent et de caractêri
ser la man i ere d e cet enchanteur du pinceau , qu ’au
moment Où j e me voi s en face d ’une nouvel le œu
vre du maître , i l me semble que j e me serai suffi
samment acquitté de ma tâche en écrivant un nom
et un titre que j e ferai suivre de quelques points
P eut-être, cependant , le lecteur
j ugerait-il l e procédé insuffi sant et par trop som
maire . Aus s i ne nous permettons-nou s pas d ’
en user .
Le seul nom d’
Henner évoque devant nous de s
cortèges de Nymphes , de Néréides , de Faunesses
et d’
Hamadryades, s e promenant dans l e s clai ri ère s
des grands boi s , prenant leurs ébats dans le s eaux
transparentes et cri stalline s , ou se fai sant amou
reusement lutiner par l es Satyres , à l’ombre des
fourrés épai s .
H E NNE R
Aus si plus d ’un vi siteur, en l i sant dans le l ivret
officiel du Salon J .
,
-J . Henner , Barra n’ont pu se
défendre d ’un certain étonnement quand il s ont vu ce
gracieux arti ste , amoureux des idéali tés antiques ,se j eter tout à coup dan s les réal ité s le s plus vio
lentes de l ’histoire contemporaine .
Mai s l ’arti ste a pu changer de suj ets sans changer
de manière . Si vou s n ’
étiez point prévenu d ’avance
que vous avez affaire a l’h éroïque petit tambour
de l a première R épublique , une et indivi s ible , en
voyant l es blancheurs nacrées de ce tors e si fine
ment modelé, cette pose pleine de naturel , de mor
b idesse et de grâce , charmante j u sque dans
l a mort, vou s oublieri ez notre p etit compa
triote, nerveux et m alingre, et vou s verriez passer
devant vou s le s bel le s images de ces sédui sants
éphèbes du monde antique, qu e l es déesses amou
reuses admettaient a l ’honneur de l eur couche
Adon i s pleuré par V énu s , et dont l e sang teignit les
pétales de la première rose ; ou l ’aimable Endymion
que D iane venait voir dan s l es grands boi s sombres ,les so irs où , n ’étant pas de garde , là—haut
,dan s les
cieux,el l e obtenait de Jupin la p erm z
‘
m‘
on de m inuit.
KARL — RO B ERT
A U B O R D D E L '
EA U ( Ba s -Meu do n ,
OUR peu que l ’on ait le sentiment, l e
goût et l ’amour de l a nature, on aime à
vivre dans les paysages de M . KARL
R OBERT , et, avant même de s ’être rendu
compte de l elégance, de la préci si on et de la net
teté de sa facture , on s e lai s se prendre au charme
poétique de sa composition . R i en de plu s aimab le
que le petit lac qui occupe l e mi lieu de son ta
bleau , et qui s’
en cadre s i b ien dan s ce s verdures
et dans ces fleurs . 0 11 éprouve un e irrési stible
envie de monter dans la petite barque qu i
I Ç A I I I . — I i O B E I I T
n ou s attend tout au bord , et de partir pour une ex
pl oration de tou s les caps et de tou s le s gol fes , de
toutes les bai e s et de tous l e s promontoires qu i
b rodent ces rive s enchantées . On le voudrai t sur
tout , s i l ’on deva it avoi r pour batel ière cette j ol ie
paysanne aux bras nu s , q ur s’avance vers n ou s
avec l a fi ère al lure d ’
une nymph o v irgilienne.
B eau coup d ’eau , beaucoup d’
espace, et , au premier
plan , de superbes plantation s d ’arbres aux es sences
tendres et aux feuillages'
argentés , trembles eu
pl iers et bouleaux . Tout cela frai s comme le prin
temps .
KR U G
S Y M P H RO S I NE D EV A NT HAD R I EN
’ART I STE dont nous venons d ecrire
n om est un de s derniers tenants de la
grande peinture historique . L’
exemp le
des autres ne le pervertit point , et ,
dédaignant les trop faciles succès du tableau de
genre, il s’
obstine nob lement dans des œuvres de
style plus méritantes peut - être que lucraüves.
I l n’
en a que plus de droits à la sympathie et à
l ’estime de ceux qui, comme lui, savent ce qu’
i ls
doivent à l’art pur, p ri s dans son expres sion la
p l us désintéressée et la plus haute.
Ce n’
est point d’
au j ourd’hui que j e fai s cette
réflexion à propos de M. KRUG , dont j e sui s atten
X K U G
tivemen t le s'
expositions depu is plu sieurs années
déj à ; mais j e croi s remplir un devoir de conc ience,en l’accentuant davantage encore , en présence de
l’effo rt vraiment digne d ’élog e s qu’ i l vient de tenter
au SALON de 1 889
Ne retrouvez-vous point, comme moi , un souve
nir, et comme un reflet de l a"
grandeur romaine,dan s
‘
ce beau . groupe s i bien rythmé , aux lignes si
harm on ieuses et si correctes dans leur austérité
m ême , qui nous montre Symp hrosine amenant à
l’empereur H ad ri en les enfants pour l esquel s sa
fi erté de matrone ne craint point d’
invoquer la clé
mence Souveraine?
La'
mère de'
famille nousapparaît ici dans toutela m aj esté que les XI I —Tab l es avaient su donner
l 'épouse des JU STE S NOOES, à la dignecompagn e d e
l’homme , à celle qu’ i l avait choi siepour son‘
as so
ciée dans toutes les cho ses divines et'
humaiñes .
Ces’
enfants, malgré leur j eune âge , annoncent
déj à‘
la mâle é nergie qui fait les héro s . Ceux-l à
aussi Ont‘
sucé lelait de da'
louvé. Le tablead de
M . Krug n ’e st point de ceux qui lai ssent le publ i c
indifférent , et la critique lui'
doitun Salut .
LALANNE
EN V I R O NS D E LO ND R ES
E fusain si faci le et s i souple de MAX IME
LALANNE, que son rendu tout à l a foi s
si fin et s i pui s sant met à même de
lutter contre le s plu s habi le s pinceaux ,
doit s e sentir à l ’ai se, et comme chez lui , dans cette
jol i e campagne anglai se Où la végétation est si
opulente,l a verdure des prairi es s i inten se , l ’eau
des lac s et des rivières si transparente,l a culture
s i intel ligente et si savante , que tout semble s’y
arranger à souhait pour le plai si r des yeux . Q ue de
foi s , en parcourant ces j oli s paysages , M . Maxime
L AL ANNE
Lalanne se trouvant, pour ainsi parler, en face d’
un
tableau tout fai t, n ’a eu que la peine ou , pour
mieux parler, que l e plai sir de l e transporter de
la nature dan s son cadre !
LesEnvirons de Londres, par exemple, aussitôt que
l ’on a pu échapper à la banlieue, dévorée par le tra
vai l des usines et des manufactures , assombri e par
la fumée et la vapeur de ces mi ll ions de hautes
cheminées dont les panaches , rabattus par le vent,retombent sur la terre et l’enve10 pp ent comme un
voi le, l es environs de Londres , di sions -nous , qu’on
les prenne au nord ou au sud , au couchan t ou au
levant , vous donnent l ’i l lus ion d’un grand parc ar
rangé autour de l’aristocratique manoir de quelque
lord une douzaine de foi s mi llionnaire.
M . Maxime Lalanne est trop paysagi ste dans
l ame pour avoir pu rési ster à tant de beautés , et i l
les a reproduites dans sa compositi on largement
ordonnée , p leine de lumière , Où le s arbres se
massent en beaux groupes , où l’eau , limpide jusqu’à
sembler lumineuse, promène partout la fraîcheur,Où les tours superbes , dominant l a campagne de
leur masse imposante , semblent s ’élever entre le
ciel et la terre comme l es j alons de l ’espace .
LECO M TE D U NOUX
H O M È R E
COMTE DU NOU Y est un curieux et un
chercheur . C’est aus si un homme ins
truit, un fin lettré et un pas sionné
d’
érudition : i l a l ’horreur du suj et
banal qu i se trouve a l a portée de tout le monde
c’est aux source s élevées et pures , que le vulgaire
ne trouble point, qu’ i l aime à pui ser ses in spirations .
Le tableau qu ’i l intitule Homère apparti ent a
cette catégori e d ’œuvres di stinguées que n ou s som
m es touj ours heureux de signaler et de reprodu ire .
L E C O M l‘
E D U N OU Y
Le viei l aède, dan s une demi-nudité , plu s h ér0 1
que peut-être que vrai semblable , vu son grand âge,les tempes ceintes de l a bandelette sacrée d’
Apollon
et des Mu ses , est assi s sou s un portique i onien ;l ’enfant qu i condu it les pas incertain s de l ’ i llustre
aveugle dort sur sa poitrine, et , devant les yeux
é teints du chantre aimé de Jupiter , qu1 n’
apercoit
plu s les réal ités de cemonde, passent les vi sions su
hlim es des dieux et des héro s qu ’i l a chantés , l a sage
Minerve, patronne de cet U lys se qu i fut peut—étre
sa création l a plu s originale et
‘
l a p lu s profonde ; la
D i scorde, sœur de la G uerre, et tou s ces ro i s dont
les fol les passion s firent le malheur de tant d ’hom
mes . On devine chez M . Lecomte du N ouy cette vue
supérieure des cho ses à laquelle se reconnai s sent
le s véritables arti stes et qui établit —entre certain s
esprits quelque chose c omme une affin ité de race,et cette fraternité intel lectuel le qu i est l a plu s
précieu s e d e toutes et l a plu s vraie . On emporte de
cette œuvre une impres s ion de réelle et sérieu se
grandeur .
LESREL
LA BAC C HANTE
ESKEL est un de ces peintres, as sez rares
auj ourd’hui , qui acceptent encore la
théori e quel que peu délai s sée de ’ l ’a'
r t
p our l’
ar t qui peignent pour peindre,
sans se préoccuper du suj et, et qui tiennent p lus à
faire un morceau qu’un tab leau . Ceux- là sont le s
dilettanti du pinceau , et la critique serait inj u ste
en ne l eur donnant point la p lace qu ’i l s méritent : à
part , en dehors et au—des sus du troupeau
vu lgaire .
L E S R E L
V oici plu sieurs années déj à que j e remarque ,
chez M . Lesrel, ces bel les et con sciencieu ses études
de nu , pleines de goût et de savoir, qu i attiraient
infai l l ib lement j adis sur les j eunes arti s te s l ’atten
t ion et l a faveu r du j ury , lorsque l e j ury s e recru
tait principalem en tp arm i lesmembres de l’
I NSTI TUT.
Le tableau expo sé cette année par M . Lesrel
s ’appel le l a Bacchan te. Comme i l y a générale
m ent peu de tenue à espérer de ces j eunes per
sonnes , d’
ordinaire as sez mal élevée s , et que
l eurs parents n’ont envoyées ni aux Oiseaux ni au
Sacré-Cœur , i l n e faut pas s ’étonner de l a po se
quelque peu abandonnée de celle—ci , couchée sur l e
dos sa j olie tête rou lant dans sa chevelure dé
nouée , et n’ayant pour tout vêtement qu ’une coupe
p leine de j oyaux , montée dans un style plus mo
derne qu’
antique , et que l ’arti s te a placée d ’une
facon quelque peu bizarre .
Ce n e sont là, du reste, que des détail s auxquels
nou s ne vou lon s po int accorder plus d’
impor
tance qu ’i l s n ’
en méritent . Le véritable suj et qu e
M . L esrel offre à notre attention ) c ’
est ce beau
corp s de femme, se profilan t par une l igne s i pure ,
et nou s offrant un modelé si délicat et s i fin .
ALB ERT M A I G NAN
LE SOMMEIL DE FRA ANG ELICO
LBERT MAIGNAN a rapidement conqu i s
une place di stinguée dans l a j eune
écol e de peinture francai s e i l l a do it
a un ensemble de rares et précieuses
quali té s . C’ est un travail leur ob stiné , et qu i pos
sede déj à tous le s secrets de son métier . C’
est aus si
un infatigable chercheur . P l us instruit que les pein
tres ne l e sont généralement , ct v ivant dans l’intime
famil iari té de l ’histoire, i l s’est fait parmi nous un
des plu s pu i s sants évocateurs du pas sé .
’
I l aime ses personnages ; i l se fait l eu r contempo
AL B E RT M A I G NAN
rain ilétudie leurs mœurs ; i l pénètre l eurs pensées ,et c’est s eulement quand i l s e sent an imé de l eur
souffle qu’ i l entreprend de les restituer devant nou s .
N’est—cc point une page vraiment exqui se , cel le
que nous offron s ici à nos lecteurs?
Nous sommes en plein moyen âge, au moment ou
l'
I talie, pleine d e j eunes se, de sève et de foi , ne vi t
que pour la rel igion et pour l ’art, sou s l ’œi l même
de Di eu . M .
“
Maignan vient de nous tran3porter
dans l ’atelier de cet adorable primiti f qui s ’appelait
FRA BEATO ANG EL ICO DE F1nsonn, et qui fut le plus
pieux des arti ste s de son temps .
Le doux moine s ’est endormi en esqui ssant les
traits de la V i erge divine . Le pinceau est tombé de
samain vaincue par l a fatigue . I l dort, bercé par un
songe heureux . V oici , cependant, qu’un ange des
c end du ciel , prend sa bro s se et active l e tableau
commencé .
M . AlbertMaignan a traité ce motif, bien fait pour
le séduire , avec une grâce , une naïveté , une eau
deur, un charme de détail s , une élégance de l ignes
et une suavité de coloration vraiment a1mable£dans
cette œuvre délicate , que nou s croyon s appelée au
plu s vi f succè s .
PR I O U X
LE RÉVEIL DU PR INTEMPS
ÉV E IL DU PR INTEMPS ! tel e st le titre
plein de promes ses d’ un fortj olitableau
deM . LOU I S PR I OUX . Titre as sez vague,du reste , et prêtant au commentaire .
Le révei l du printemp s peut être rendu pla sti q ue
ment de cent manières différentes . P our le s uns ,c ’est un gazoui l l ement d ’oi s eaux dans les buis sons ;pour les autres , c
’est l ’éclo s ion d ’une moi s son de
roses ; pour toi , l ecteur qui soupires aux pied s d ’une
bel le adorée, c’est peut—être une chanson d ’amour .
P R I O U X
P our M . Louis Prioux , c’ est une mère allaitant
son enfant . Je ne demande pas mieux , si l’arti ste a
trouvé là l e suj et d ’ un beau tabl eau .
N ou s sommes aux champs , à l ’orée d’une riche
métairi e ; l a vache rumine sou s les grands arbres ,l es pou le s picorent dan s l ’herbe haute , et les
brebi s bêl ent derrière l a claie. de leurs parcs mobi
l es . Sur l e devant du tableau , une j eune femme , l a
fermière san s doute , la maîtres se de ces biens ,assi s e sur l a plus ru stique de s brouettes , sourit à
son en fant , et lui montre le sein gonflé où bien
tôt i l va trouver l a douce nourri ture . Tout cela est
a la foi s trè s gimple, très large et très v igou
reux . Le type de la paysanne est heureux , beau
dans son genre , et si , en voyant s on enfant, on n’est
pas tenté de lu i chanter, comme le lieutenant de la
Dame blanche
Ah ! combien je regret teDe ne pouvoir être que son parrain !
au moin s serait-on charmé de l a donner pour nour
rice au baby de quelque Pari sienne charmante ,mai s anémique , comme elles sont toutes
ou presque
AL EXANDRE PROTAI S
A L ’ A U B E
LEXANDRE PROTAI S, dans une carrière
déj à longue et noblement remplie , nous
donne l’exemple d’une inviolable fidé
l ité à l a première vocation . Engagé vo
lontaire de la vingtième année dans la peinture ‘
nationale et guerrière , i l s’est senti attiré tout
d ’abord par la poési e du drapeau, et, depui s lors , i l
n ’a cess é de consacrer son talent à la reproduction
exclusive des scènes de la vi e mi l itaire, tour à tour
simples , grandio ses et terrible s .Mai s , quel quefi
soit
le suj et qu’ il traite, on peut êtrecertain d’avance que
A L E X .\ X D I U 1 ' R O T A I S
la note qu ’ i l fera vibrer sera touj ours la no te j u ste
et vraie . Jeme hâte d ’aj outer : et la note sym
path ique ; car M . Fretai s appartient à l a race des
arti stes qu i ont besoin d ’aimer leurs héro s, qui
mettent l eur âme dans l eurs œuvres , et dont l a
sensibi li té fait partie du tal ent même .
Les l ecteurs du PAR I S-SALON de 1 881 n ’ ont pas
o ubli é l’émouvante composition que nous avons pu
bliée sou s ce titre LE DRAPEAU ! toute frémis sante
de patrioti sme .
M . Protais reste touj ours dans l e même ordre
d ’ i dées .
U ne sonneri e de clairons , tournée du côté des
tentes,appel le les troupes aux armes . L’ennemi
n’est pas loin , s’ i l faut en croire le s physionomie s
séri euse s et pensives du petit groupe d ’officiers
qui , l orgnettes en mam , foui l lent minutieusement
l ’horizon .
I ci,comme dan s toutes l es œuvres de M .Protais ,
le suj et est simple et l’ effet pui s sant, grâce à la s in
cérité de l ’émotion , à l a justes se des po ses , à la vêrité des mouvements , à la s incérité de l
’accent per
sonnel de chacun de ce s mâles vi sages . On sent
qu ’ i l s s ont des hommes avant d ’être des soldats .
T O NY R O B ERT FLEURY
VAU BAN DONNE LE PLAN
D E S F O R T I F I C A T I O N SD E L A V I L L E E T D U C H A T E A U D E B E L F OR T
ONY ROBERT—FLEURY a l e s entiment
du grand art ; i l l’a trouvé dans son
berceau , et i l ne fait, en s’y livrant
,
que continuer la tradition paternelle.
On s e rappel le encore cette œuvre d ’une réel le va
leur qui fut presque son tableau de début, l a Prise
de Corin the par des légions de Mummius, qui s ’im
posa à l ’attention de la critique, et qu i fi t entrer de
vive force l e nom du j eune maître dans l ’orei l le et
dans l ’esprit du publi c .
C’est encore un morceau de peinture hi storique
T O N Y R O B E R T -F L E UR Y
qu ’ i l nous offre auj ourd ’hui sou s ce ti tre auquel
d e s événements tout à la foi s pén ibles et récents
aj outent un mérite d’
incontestable actual ité : Va u
ban donne le p lan des for tifica tions de la ville et
du châ teau de Bel/ar t. La chose , pri s e en elle
m ème, n’
a ri en d’
absolumen t pas sionnant, et l e suj et
n’est pas de ceux qui menacent d’
occasionner une
révolte ou'
s implemen t un tumulte dans le Saloncarré l e j our du vernis sage .
V auban , cet homme de gén i e , et"ce grand homme
de bien,nou s a été restitué par le j eune arti ste dans
sahaute et pui s sante individualité iLa main appuyée
sur ces plans , désormai s fameux, i l sembl e en eXpli
quer l ’économie -à un petit groupe ;dfofficiers gêné
faux qui l’écoutent . On reconnaît l e chef à s a hau
taine as surance, et à cet air de commandement
devant lequel chacun s’incline. Tout cela est crâne
ment posé , et empreint d ’une,
grandeur et d ’une di-i
gnitévraiment Loui s-quatorz iennes.
ALFRED PH I L I PP E RO I L
LA FÊTE DU | 4 JU ILLET
LFRED —PH ILIPPE ROLL a s u , très j eune
encore , conquéri r une grande place
dans l ecol e de peinture contempo
raine . I l fait grand, et j e ne croi s pas
avoir besoin de dire que j e n ’entends point, par ces
parole s,es sayer l a moindre al lu sion aux dimension s
de ses toi les . Je ne vi s e que l a manière et le s tyle
de l ’arti ste . L’
I nonda lion et l a G rève des m ineurs ont
attiré sur M . R ol l une attention qui , depui s lors , ne
s ’est j amai s détournée de lu i .
A L F R E D - P H I L I P P E R O L L
Mai s s i ces deux grandes pages sont le s p lus
caractéri stique s de la tendance et de s procédés de
l ’arti ste,i l ne faut pas croire qu ’ i l so i t homme a s e
renfermer dan s une formule , s i large qu’
el le pui s se
être d ’ail leurs .
A côté de ce s toi le s énergique s et sombres , émou
vantes et mélancol i ques , dont l ’arti ste a trouvé les
cou l eurs sur une palette en deuil , nou s en renee'
n
tron s d ’autres , pleines d ’écl at, de gaieté , de j eu
n es s e et de lumière . Tel était , par exemple , l e beau
tableau intitul é D on Juan et Haydée, souvenir écla
tant du poème de lord Byron , où s’
accusaient assez
vivement des aspiration s romantiques . La Chasse
resse, montée sur une j ument b lanche , et levant l’
é
pieu pour percer un j aguar, bondi s sant au mili eu
d ’une meute de grands chien s tachetés , e st un mor
cean plein de brio , d’élégance et d e légèreté . La Fête
de Se‘
lène, véritable débauche de nu ,— du Carpeaux en
peinture, — avec une fougue superbe de mouvements
et une véritable surabondance de formes plasti ques ,pouvait nou s faire présager le colori ste habi le et
puis sant , l e maître s avant de l ’ombre et de l a
lumière , que nou s retrouvon s auj ourd’hu i tout en
tier dan s la grande Fête du 1 4 Juillet . 1 1 y a là, dan s
AL F R E D - P H I L I PP E R O L L
s ent que cette mas se énorme d ’ individus de tout
âge , de tout s exe, de toute conditi on , est en l evée
d ’un seul élan , et pou s sée vers l e m ême but . C’
est l e
même sentiment qui an ime toutes ces physiono
mies et qu i fait battre tou s ces cœurs . Les mille
épi sodes qui nou s charment en pas s ant ne sau
raient nous di straire d e l ’action principale , parce
que l ’arti ste a su les y rattacher par des l iens vi
s ible s ; parce que tous concourent au m ême but ,j e veux dire l a p einture de l ’enthousiasme d ’une
nation célébrant,avec un entrain san s parei l , une
date qu i lui e st chère, à tort ou a rai son . I l
s erait diffici le de ne pas admirer aus si l’inépui
sabl e abondance et la prodigieuse variété des types
que M . R ol l a su trouver sous ses pinceaux vrai
ment créateurs . Peu de toi l e s nous semblent
p lu s que cel l e—ci de nature a intéresser véritable
ment le public .
RONG I ER
R ICH E LI EU CH EZ LO U I S
EANNE RONG I ER ne veut avoir de la
femme que la grâce . Le choix de ses
suj ets , touj ours sérieux, souvent élevé ,son exécution franche, sans hésitation
et sans mièvrerie . attestent la rectitude et la viri
l ité d ’une j eune âm e forte et vaillante .
E ll e s ’est bravement attaquée à deux figure s qu i
rayonnent parmi les plus connues de no s annales ,R ICH EL IEU et a LOU I S X I I I . M“ e Jeanne Rougier,
qui n’entend point faire les cho ses a demi , a choi si
d ansla vie de ces deux hommes le moment p syôh o
.\ i “ e J E AN N E R O N C I E R
l ogique l e plu s émouvant a coup sûr, et , en même
temps , l e plu s diffici le a rendre .
Cédant aux ob ses s ions du cardinal-duc , fermant
l ’orei l l e à l a voix de l ’amitié, pour n’
écouter que
celle de l a rai son d’
Etat, l e roi vi ent d ’accorder à
son mini stre la tête de son ami , H enri d’
E ffiat, mar
qu i s de Cinq-Mars . R ichel ieu a vaincu ; Loui s X I I I
a cédé ; mai s la fatigue , physique et morale , l e
remords peut—être , accab lent l e tr0 p faibl e mo
n arque .
Las sé de l a vi e , d 'une vie s an s amour , trou
vant peut—être l e sceptre tr0p lourd pour ses débiles
mains, Loui s X I I I , pâle fantôme de la Mélancolie
couronnée , se lai s se tomber dans son fauteuil , et
s’
ab îme dans ses rêveri es . R ichel ieu ti ent sa proie
I l a dans ses main s l a signature Mai s le
capri ce est l e vrai roi , avec ces prince s à ’
âme flot
tante et molle . E t si l e prince s e ravi sai t ! … C’e st la
ce que l e mini stre n e veut Au s s i reste—t—ilprè s
de son maître . . le tenan t sous son regard , le fasc inanten quelque sorte , bien résol u à ne qui tter la place
qu ’après avoir rendu toute retraite imposs ible .
Tell e est la bel l e étude à laquelle M"° Jeanne Ron
gier a consacré un pinceau habi le , habitué au succès .
SALM8 0 N
LA P R EM I È R E C O MMU N I O N
ALMSON U G O est un Suédois , élève de
l’
Académie de Stockholm , venu a Pa
ri s dan s l ’intention d ’y pas ser qu inze
j ours , et qui ne l ’a pas qu itté depu i s
tm i s ans . Ces étrangers -là sont pour moi les mei l
l eurs de tou s l es Francai s : ce s ont des Francais
par le cœur, l e choix et l’adoption ; i l y en a tant
d ’au tres qui ne le sont que par hasard !
Ugo Salmson a le goût , l e culte et l ’amour des
choses de la campagne , mai s quand i l les repro
'
si nuaon
duit , il s e tient à égale di stance du réalisme gros
s ier, que certain s arti stes de nos j ours ont es sayé
de mettre à la mode , et des mièvreries florianes
ques d ignes tout au plus de l’
Op éra-Comique ,
dont ne surent point se défendre l es peintres du
dernier siècle , quand il s vou lurent écrire des buco
liques ou des idylle s avec leurs pinceaux.
M . Ugo Salm son pas se presque tou s se s étés dans
l’
Artois et dans la P icardie o ù i l trouve des types
qu i lui plai sent . C’est encore là qu ’ i l est allé cher
cher le tableau que reprodu it notre PAR I S-SALON , et
qui nou s montre une proces sion de j eunes fi l les se
rendant à l ’égl i se où el les vont faire l eur premièrecommunion .
O utre la vigueur et la franchi s e d ’une exécution
vraiment excel lente, i l sera diffic ile,‘
j e le croi s , de
n ’être po int frappé de l ’expres s ion vraiment rel i
gieuse de fo i et d’amour divin qu i anime toutes
ces physionomies j eunes et candides .
V AN M A R CK
VACHE SU ISSE
’
AURAI bientôt épui s é avecM . EM ILE V ANMARCK DE LUMEN toutes l e s formule s
de l ’éloge , et j e serai s ten té , un de ces
matins , de lui dire, comme feu Boileau à feu Loui s X I V
Lumen , cesse de peindre, ou je cesse d’écrire.
C’
estæque M . V an Marek, depui s le j our où i l a
recueillr l e pinceau tombé de la main mourante de
Troyon , a réal i s é de tel s progrè s et tel lement agrandi
s a manière, qu’ i l s’ e st p lacé au premier rang parmi
V AN MAR CK
les _
peintres d ’
an imaux de notre époque , et j e n e di s
p as s eu l ement d e France, mai s de partout . Je ne
v o is vraiment point ven i r celu i qu i s erait capable
d e lui di sputer un championnat s i vail lamment
c on qu i s .
V oici déj à bien l ongtemps que les veaux , les
bœ ufs et les vaches de M . V an Marek font prime
s u r l e marché . … des tableaux, et ce mouvemen t
a sc ens ionnel ne s ’arrêtera pas , tant i l e st vrai que
le vaillant arti ste sait, d ’année en année , agrandir,é purer , élargir sa mani ère . A l a connai s sance si
p arfaite de son sujet, qu’ i l pos sède voici déj à de
b eaux j ours , i l aj oute auj ourd ’hui une faci l ité,une
s ouples se , une sûreté d ’
exécution vraiment admira
b les , et qui l e m ettent a bsolument hors de page.
Q ue l ’on regarde plutôt le superbe animal qui occupe
le premier plan de notre composition , et que .l ’on me
d i se.
“
si j amai s la race bovine , dans ses p lus ri
c hes pâtures , nou s a montré un - suj et d'une plu s
b el le pous sée , d’une plus pu i s sante encolure , mieux
b âti dans sa structure générale , mieux équi l ibré
d ans se s l ignes savantes .
M ARQUET D E V ASSELOT
B U ST E D E CO ROT
ARQUET DE V assm.or est un des plu s
labori eux de notre j eune écol e ‘ de
sculpture : on retrouve partout son nom
et sa main . Talent éclectique et sou
ple , i l s’attaque indifféremment a tous l e s genre s ,à l ’antique et au moderne , au clas si que et au ro
mantique ; i l a sculpté des torses d’
éph èbes que l a
G rèce amoureus e aurait placé s sur ses autel s , et de
vieill e s têtes de N ormandes , ru' sées , madrées , sil
lonnées de ride s, sou s le squel le s l’œi l l e plu s pers
picaee aurait eu quelque peine a découvrir le moin
dre vestige de grâc e et d ’élégance féminine.
MA R Q UE ? D E V A S SE L O I
Auj ourd’hui,voici qu’ i l e ssaye, par un buste très
re ssemblant et très sympathi que, de payer à notre
bon et grand Corot , la dette du paysage francais,dont i l a été s i l ongtemp s la poésie et le charme .
Dans l e portrait des contemporains dont I e‘
souve
nir est, pour ainsi parler, dans tou s l es souveni rs
et dans tou s les yeux , la première chose que nous
demandons à l ’arti ste c ’
est la res semblance . I l e st
condamné et perdu si un seul des spectateurs qui
voient son œuvre a le droit de lui di re Ce n’est
nas cela !
M . de V asselot n’a pas à redouter la sévérité de
ce premier j ugement . Tout au contraire ! I l eût été
diffici le, en effet, de mieux rendre le grand maître s i
regretté , avec ce mélange de pui s sance et de naïveté
qui le caractéri s e ; avec cette adorable bonhomie qu i
s e mari e s i bien à sa fines se capable de lutter avec
cel le du paysan lui—même, et cet œi l profond et ré
veur dans lequel se refiétai ent toutes l e s poésies de
l a nature . Comme exécution matériel l e , i l faut
l ouer l e travai l de ce beau marbre, que l ’arti ste a
pétrid'
une mam émue , et auquel i l a donné la pal
pitation et le frémi s sement de la vie .
D E V U I LLEFROY
LANDE BRETO NNE
U I LLEFROY (DE) reste fidèl e aux suj ets
ru stiques,qui sont depui s l ongtemp s
l ’obj et de ses préférences ; qu’i l traite
avec une remarquable habileté, et aux
quel s il doit de s i j ustes succès .
I l nous semble , cette année , avoir encore élargi
et agrandi s a manière ; j amai s s a facture n e nou s
avait paru plus faci le et plu s large que dan s l e
tab leau qu ’ i l expose auj ourd ’hu i ; j amai s i l n ’avai t
été plus maitre de lui—même et de son procédé ;j amais i l n ’
avait j eté sur la nature un regard plus
D E V U I L L E F R OY
calme , plus j uste et plus profond . Ne dirait—on point
vraiment un com de la campagne dubon Di eu qu’ i l
a , pour ainsi parler, découpé a l’
emporte-pièce et
transporté dans son cadre ? Le paysage paraît im
men se, avec ses pl ans succes sifs , que fait fui r et
reculer davantage encore l e modelé s i vigoureux et
S ] préci s des animaux qui occupent le devant de l a
composition .
Ces vaches et ces chevaux, M . de V uillefroy les a
étudié s avec une “rare con science, et peints avec un
véritable amour . Nous n’
établisson s i ci aucune
espèce de comparai son entre les différentes œuvres
de mème catégorie que l e Salon de 1 882 offrira
dem ain a s es vi si teurs ; mais nou s croyon s que
parm i le s animaliers , qui tiennent auj ourd’hui une
si grande place dans notre école, i l y en aura bien
p eu qu i pourront di sputer l e premier rang à M . de
V uillefroy .