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Le sixième jour… · Ils tournèrent à gauche, prirent le sentier couleur de suie. Au loin, sur le terrain vague piqueté de palmiers aucun enfant ne jouait. Le chemin se rétrécissait

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LE SIXIÈME JOUR

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ANDRÉE CHEDID

LE

SIXIÈME JOUR

roman

FLAMMARION

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© 1960 by René Julliard.

PRINTED IN FRANCE.

www.centrenationaldulivre.fr

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A ma mère, Alice Godel,

cette compagne.

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« Ecoute... Toi, tu penseras que c'est une fable, mais selon moi c'est un récit. Je te dirai comme une vérité ce que je vais te dire. »

PLATON. Gorgias.

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PREMIÈRE PARTIE*

CHAPITRE PREMIER

Secouant sa charge de gravats, la carriole cahotait le long de la route agricole. La vieille Om Hassan se tenait assise auprès du conduc-teur. – Je te dépose et je m'en vais tout de suite,

grommela celui-ci. – C'est comme tu voudras. Les yeux fixés sur l'horizon, elle attendait

que son village apparaisse en même temps que l'aube. Plusieurs fois, l'homme avait essayé de la détourner de ce voyage : « Au Caire tu es tranquille, pourquoi aller là-bas ?... Dans les campagnes le choléra a eu les dents longues...

*L'action se situe en 1948.

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Ce que tu vas voir n'est pas un spectacle pour toi. » – Il faut que j'aille. La veille, elle avait expliqué son départ à

Hassan, son petit-fils, qu'elle quittait pour la première fois :

– Ce sont les miens, petit, j'ai besoin de les voir. J'aurais dû partir depuis longtemps, mais avant c'était impossible, il y avait des policiers partout. Maintenant, on peut circuler libre-ment. Je serai absente une journée seulement. Mais il faut que j'aille, tu comprends ?

Il avait fait « oui » de la tête. C'était vrai qu'il comprenait. Il suffisait pour cela de lui parler d'une certaine manière, et qu'il sente qu'on avait besoin d'être compris. « Fils de ma fille morte, fils de mon âme », soupirait-elle en songeant à l'enfant. – Cela fait combien d'années que tu n'es

pas retournée à Barwat ? questionna l'homme. – Sept ans. – Sept ans, ce n'est rien. Ce sont ces trois

derniers mois qui comptent.

La nuit s'effilochait. La femme reconnut son village au bout du tournant.

* **

– Je me sauve, dit l'homme dès qu'elle eut mis pied à terre.

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Le visage tourné vers Barwat, Om Hassan entendit derrière elle le bruit des roues dispa-raître et mourir. Les maisons, écrasées sous un amoncellement

de branchages et de paille, émergeaient à peine de terre.

Elle fit quelques pas, s'approchant des portes ouvertes. Les intérieurs étaient sombres, vides, remplis d'objets calcinés. De peur qu'aucune voix ne réponde, elle n'osa pas appeler.

La vieille revint ensuite se poster au centre de la ruelle. Quelque chose d'insurmontable l'empêchait d'avancer. Elle se laissa tomber sur le sol, prit un peu de cette terre entre ses mains, y appliqua sa joue, y mêla ses lèvres. Quelqu'un l'interpella : – Qu'est-ce que tu viens faire chez nous, Om

Hassan ?

Se redressant de toute sa haute taille, elle se dirigea à pas lents vers son neveu, immobile près du bassin. Quand elle fut près de lui, elle posa avec soulagement la main sur son épaule. – Tu peux repartir, continua Saleh d'une

voix butée. Tu arrives trop tard. – Trop tard ? – Ici, il n'y a plus que des morts pour t'ac-

cueillir. L'aube cendrait le hameau. Des nuées de

moustiques se croisaient au-dessus du bassin recouvert d'une croûte spongieuse et jaunâtre.

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Des corbeaux volaient bas, on entendait le

bruissement de leurs ailes.

– J'ai quitté Le Caire dans la soirée. J'ai

voyagé toute la nuit.

– Le choléra n'est pas pour ceux des villes.

Seulement pour nous !

– Je voulais venir depuis longtemps...

– Depuis des années tu n'es plus des nôtres.

– Une moitié de mon cœur est restée avec

vous.

Elle ne pouvait s'empêcher de songer à Has-

san en regardant son neveu. Saleh portait une

calotte de feutre marron sur ses cheveux ras.

Elle vit ses pommettes saillantes, ses joues

mangées du dedans. Le bas de la tunique bleu

indigo était souillé, les jambes couvertes de

boue, les pieds nus. Son petit-fils était toujours

vêtu d'une robe propre, toujours chaussé de

sandales. A l'âge de Saleh, il aurait de l'ins-

truction, un métier en ville.

– Tu es trop loin, tu ne sais rien de nous.

– Non, je ne sais rien, Saleh.

– Il y a eu onze morts dans notre famille. Au village, je ne sais plus combien. Mais le pire

c'est l'hôpital ! L'ambulance arrivait, les infir-

miers pénétraient de force dans les maisons,

brûlaient nos objets, emportaient nos malades.

– Où ça ?

– Ils ne le disent jamais.

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– J'ai fini par savoir à quel endroit on avait parqué mon père et mon frère : sous des tentes, en plein désert. J'y suis allé. On nous a d'abord chassés avec des gourdins, ma mère et moi ; mais nous revenions en hurlant le nom des nôtres, pour qu'ils sachent que nous ne les avions pas abandonnés, que nous étions là, près d'eux... J'ai fini par me glisser dans une des tentes, c'était horrible ! Le même visage partout : bleu, maigre, la langue pendante. Les malades couchent les uns près des autres sur le sable, vomissant ; deux étaient déjà morts et

on les avait laissés sur place... J'ai encore ap-pelé, ils me regardaient tous d'un air hébété...

Un infirmier est entré portant des bottes, un masque, il m'a poussé dehors... avant que je retrouve les miens. Ceux qui n'ont pas vécu tout

cela ne savent rien... Jamais je n'oublierai... De-puis nous cachons nos malades et même nos

morts ! – Je te comprends, mon fils. – Maintenant, c'est fini. L'ambulance vient,

fait une tournée, repart sans personne. Notre mère est tombée malade il y a quelques jours. Saleh ajouta d'une voix terne : « Elle est morte cette nuit. » Puis il recula, privant la vieille

de son soutien, s'éloigna sans rien dire. – Je vais avec toi, cria-t-elle. – Retourne d'où tu viens.

– Non, allons ensemble.

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Il ne viendrait jamais à bout de son obsti-nation :

– Alors, viens, dit-il haussant les épaules. Tu n'as qu'à me suivre.

* **

Ils tournèrent à gauche, prirent le sentier couleur de suie. Au loin, sur le terrain vague piqueté de palmiers aucun enfant ne jouait.

Le chemin se rétrécissait. On pouvait presque toucher des épaules les habitations qui se fai-saient face. Un garçonnet au ventre ballonné, courant dans le sens opposé, se prit un ins-tant entre les jupes de la vieille. Se dégageant,

il la repoussa de ses petites mains poisseuses,

s'enfuit à toutes jambes. – Où sont tous les gens d'ici ?

Sans répondre, Saleh bifurqua à gauche. Om Hassan reconnut la pierre plate qui sert

de banc aux vieillards. « Si nous étions restés,

c'est ici que Saïd serait venu s'asseoir. » Elle

l'imagina, au crépuscule, assis au milieu des autres ; laissant couler entre le pouce et l'index les grains de son chapelet.

La route serpenta près de la bâtisse en bri-

ques crues du garde champêtre Hamar ; la

seule maison à un étage de tout le hameau.

Saillant hors de la façade, la plate-forme qui

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servait de balcon s'effondrait ; le mur s'émiet-tait autour. – Tout croule ici, dit la femme.

– En quoi un balcon sert-il aux morts ?

Plus loin, il se retourna :

– J'étais sorti pour chercher ça, dit-il, mon-trant la houe qu'il tenait à la main. Autrement

tu ne m'aurais pas trouvé.

– Je serais allée chez vous.

– Il n'y a plus de chez nous. – Vous avez changé de maison ?

– On a brûlé nos maisons. A cause de la

contagion, ceux des ambulances viennent et

mettent le feu... Toi, tu n'as pas peur, dit-il,

approchant son visage du sien. – Allons, coupa la femme, ne perdons pas

de temps. * **

Le ciel fut, d'un seul coup, badigeonné de

clarté. Il ne resta plus un doigt d'ombre sur la

pellicule bleue. « Soleil qui sort tout rose de

la montagne rose », l'ancienne mélodie lui re-

vint en mémoire, cette fois comme la plus

triste des complaintes. Une bufflesse squelettique, traînant sa corde,

sortit à pas lents d'une masure en balançant

sa longue tête. Sitôt après, ils débouchèrent sur un minus-

cule carrefour où se dressaient la grange

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commune, la boutique du barbier-apothicaire, l'épicerie. – Taher aussi ils l'ont emporté. Il n'est ja-

mais revenu. Jamais ils ne reviennent. – Ne pense plus à ces choses. – Comment ne pas y penser ?... Ma mère, ils

ne l'auront pas. Nous l'enterrerons cette nuit. Coincé entre les volets de l'épicerie, un pan

de cotonnade rouge pendait jusqu'au sol.

Contre le mur de la grange s'entassaient des galettes – mélange de vase et de paille – uti-lisées comme combustible l'hiver. Des bidons juxtaposés, qui servent de pigeonniers, n'abri-taient plus d'oiseaux. – Regarde ça, dit Saleh, indiquant plus loin

une bande de terre calcinée. « Des familles en-tières vivaient là ! » – Mon Dieu, protège l'enfant jusqu'à mon

retour, murmura-t-elle prise d'angoisse. – Où est l'enfant ? demanda Saleh comme

s'il devinait sa pensée. – Je l'ai laissé chez le maître d'école. – Et mon oncle Saïd ? – Il ne peut plus bouger. Yaccoub, le me-

nuisier, s'occupe de lui quand je ne suis pas là. – A quoi sert-il de les avoir quittés ? » Sa

voix grinçait comme une lime. « Eux ont besoin

de toi. Pas nous ! » – Il faut me pardonner si je ne peux rien,

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j'ai souffert de ne pas partager vos malheurs. – Qui partage le malheur des autres ?

* **

Le chemin rampa hors du village, jusqu'aux bords de l'étroit canal. Près d'un tamaris, crou-lant sous le poids de ses feuilles, Saleh indi-qua à la vieille un groupe de cabanes construites

en tiges de maïs.

– C'est là-bas.

Ils contournèrent ensemble une charrue ren-

versée qui bloquait le passage. Une fillette, la tête abritée sous un sac de jute, se précipita à leur rencontre. Elle avait un visage gris, tout

en museau. Au bas de sa robe effilochée, pa-raissaient ses jambes couvertes d'escarres.

– Vite, vite, avant qu'on vienne nous la prendre, souffla-t-elle.

– C'est Nefissa, une de tes nièces, dit Saleh à la vieille.

– Tu as trouvé la houe ? demanda l'enfant. Il la lui montra. Puis, ils se mirent à courir ;

Om Hassan eut du mal à les suivre. Devant la porte, Saleh commanda à la fillette de faire le guet.

– C'est le jour de leur tournée. Si tu les entends, si tu les vois, frappe trois coups...

– Je sais.

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Tandis que Saddika traversait le seuil, une fade odeur de saumure mouillée lui emplit les narines. Saleh expliquait aux trois jeunes

hommes, groupés au centre de la pièce, qui

était cette femme qui entrait. Ils se retour-

nèrent, firent un rapide signe de tête. Elle re-connut Moustapha à cause de son œil borgne,

Omar le plus jeune ; mais pas le troisième.

Peut-être était-ce Rashad ? Mais déjà, lui tour-

nant le dos, ils s'étaient remis à chuchoter. Une

jeune femme aux joues hâves et grêlées, aux

sourcils en forme d'hirondelle, s'éventait avec

un coin de son voile ; le menton sur la poitrine,

elle dévisageait la vieille avec méfiance. Il n'y avait aucun objet dans cette chambre.

Sauf, calée dans un coin, une de ces jarres qui

servent de réserve alimentaire. Du plafond pen-dait une botte de gros oignons rouges.

La femme avança lentement, cherchant le corps de sa sœur. Soudain, s'écartant tous à la fois, ses neveux la mirent sans ménagement en face de la morte. Le bout de ses sandales venait de toucher la plante cornée des pieds nus. Enroulée dans ses robes noires, couchée à

même le sol, Salma paraissait démesurément

longue. Sa face étroite et tannée rappelait celle de cette momie que Saddika – en compa-

gnie de Hassan et du jeune maître – avait

entrevue au musée derrière une vitrine pous-

siéreuse. Ce masque n'avait plus aucune res-

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semblance avec la figure épanouie de sa sœur cadette. On aurait dit que, sous la peau, des cordelettes rugueuses et sèches s'entrecroi-saient pour maintenir les traits en place. L'espace d'une minute, Om Hassan se repré-

senta la Salma d'autrefois : l'accoucheuse du village, ses mains sur ses fortes hanches, riant aux éclats. Elle contempla de nouveau la forme

étendue. Les deux images se juxtaposaient d'une manière hallucinante. La vieille ferma les yeux.

– Va t'asseoir, ma tante.

Elle se retrouva, assise, en compagnie de la jeune femme. Le visage de celle-ci si proche du sien que Saddika discerna, dans la paroi de la narine percée, la ficelle en forme d'anneau que l'on remplace un jour par un cercle d'or. – Elle a reçu la dernière lettre que tu as

fait écrire, clama Saleh. Tu disais que tu étais laveuse, que tu gagnais bien ta vie, que tu avais beaucoup de clients et qu'elle devrait venir te rejoindre... Mais jamais elle ne nous aurait quittés.

Il partit alors d'un grand rire qui rappelait celui de la morte.

Les hommes s'affairaient à présent autour du cadavre, tandis que sur ses doigts engour-dis, la vieille faisait le compte des absents. Omar coupa le cordon rouge qui entourait le

cou de sa mère pour détacher la clef du coffre

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des fiançailles ; ses couleurs criardes parais-saient une offense en pareil jour. Il fallut ensuite utiliser la houe pour faire sauter une

seconde serrure. Ensemble, ils en retirèrent le

contenu. Des objets les plus divers jonchèrent

bientôt le sol : une marmite, des chiffons, des

herbes séchées, des babouches, du poivre, un

sachet de kohl, des aiguilles, cinq bracelets d'or et même des œufs.

Soudain, on entendit trois coups et Nefissa entra précipitamment, rongeant ses ongles, tiraillant de l'autre main le bout de sa natte

roussie.

– Il faut faire vite, dit Saleh. A quatre ils portèrent la morte jusqu'au

coffre, et s'efforcèrent ensuite de la tasser à l'intérieur. Le corps était de pierre et beau-coup trop long. Ils s'y reprirent à plusieurs fois

avant de le déposer, de nouveau, sur le sol. – Dépêchez-vous, ils visitent les maisons,

murmura la fillette. – Scions-lui les jambes, proposa quelqu'un.

Om Hassan poussa un cri, cacha sa figure

dans ses mains. – A quoi serviront ses jambes ? redit la

voix. Saleh, le visage en feu, frappa son frère de

toute la force de son poing, et celui-ci alla toucher le mur d'en face.

S'infiltrant à travers les branchages, les

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– Tu lui as donné ton dernier souffle, Om Hassan, hurle le batelier. – Tu lui as donné ton dernier souffle et il

est vivant ! annonce Dessouki. – Tu l'as sauvé avec ton dernier souffle,

murmure Okkasionne, ses lèvres frôlant le vi-sage de la vieille.

– L'enfant verra la mer, Om Hassan ! » in-siste Abou Nawass, les mains en cornet devant sa bouche. « Par Dieu, il entrera dans la mer ! » Jamais le batelier n'a tant compris, tant dé-

siré la mer. – L'enfant verra la mer ! reprend Dessouki. – Tu m'entends, Om Hassan, poursuit Okka-

sionne. Je t'annonce la bonne nouvelle : l'en-fant verra la mer ! Un sourire se dessine sur sa bouche ; elle

entend leurs voix. De grandes rivières coulent. Om Hassan se laisse doucement porter.

L'enfant est partout, l'enfant existe. Près d'elle, devant elle, dans la voix, dans le cœur de ces hommes. Il n'est pas mort, il ne pourra plus mourir. On dirait qu'elles chantent, ces voix. Entre la terre et demain, entre la terre et là-bas, le chant est ininterrompu. – La vie, la mer... soupire-t-elle. Enfin, la

mer...

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Achevé d'imprimer sur les presses de

L'IMPRIMERIE CHIRAT 42540 Saint-Just-la-Pendue

en octobre 1986 Dépôt légal 4e trimestre 1984 N° 155 Flammarion et Cie, éditeur N° 11080

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