Le Sud-Viêtnam depuis Dien-Bien-Phu
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Le Sud-Viêtnam depuis Dien-Bien-Phule sud-vietnam depuis
dien-bien-phu
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algérienne.
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base.
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préface de J.-P. Sartre. G. Boffa Le grand tournant.
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judéo-arabe.
P. Togliatti Le parti communiste italien. P. Péju Les harkis à
Paris.
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Disponibles.
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Ratonnades à Paris.
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de la colonisation belge à l'indépendance. S. Moureaux Les accords
d'Evian et l'avenir de la Révolu-
tion algérienne. G. Boffa Les étapes de la Révolution russe.
Cercle Taleb-Moumié Fidel Castro ou Tshombé ?
R. Paris Histoire du fascisme en Italie : I. — Des origines à la
prise du pouvoir.
A. L. Morton et G. Tate Histoire du mouvement ouvrier anglais. P.
Kessel et G. Pirelli Le peuple algérien et la guerre.
P. Anderson Le Portugal et la fin de l'ultra-colonialisme.
Fidel Castro Cuba et la crise des Caraïbes.
D. Dolci Gaspillage (à paraître). Alvarez del Vayo Le dernier
optimiste (mémoires) (à paraître).
nguyen kien
le sud-vietnam depuis dien-bien-phu
F R A N Ç O I S M A S P E R O 21, rue du Cardinal-Lemoine-V
PARIS 1963
Il a été tiré de ce volume le trente-quatrième de la collection «
Cahiers Libres »
200 exemplaires réservés aux abonnés et marqués « exemplaire
d'abonné ».
© 1963, F r a n ç o i s M a s p e r o é d i t e u r . T o u s d r o
i t s d e r e p r o d u c t i o n e t d e t r a d u c t i o n s t r
i c t e m e n t r é s e r v é s p o u r t o u s p a y s .
« Notre tâche est de démontrer au monde entier que l'aspira- tion
insatisfaite de l'homme au progrès économique et à la justice
sociale a une meilleure chance d'être accomplie par des hommes
libres travaillant dans le cadre d'institutions démocratiques.
»
John KENNEDY.
cité par André Maurois, Histoire parallèle, p. 365.
Ce livre a été écrit avec la collaboration
de MM. LE NAM et NGUYEN KHAC VIEN
I n t r o d u c t i o n
Le 23 septembre 1945, sous la protection des troupes an- glaises,
les Français déclenchèrent à Saïgon une attaque armée contre le
pouvoir révolutionnaire récemment installé. La guerre d'Indochine
commençait.
Le 7 mai 1954, à Dien Bien Phu, le général de Castries était fait
prisonnier par l'Armée populaire vietnamienne, après une bataille
de 55 jours où le Corps expéditionnaire français avait perdu 16.000
hommes, la plupart appartenant aux unités d'éli- te de l'armée
française.
Le 20 juillet 1954, les accords d'armistice furent signés à Genève,
aux termes desquels la France reconnaît l'indépen- dance, la
souveraineté, l'intégrité territoriale et l'unité du Vietnam. Pour
permettre le regroupement des troupes des deux parties, le Vietnam
fut divisé provisoirement en deux zones, Nord et Sud, séparées par
le cours de la rivière Bênhai qui suit le tracé du 17 parallèle. La
zone Nord fut confiée à l'administration du gouvernement de la
République Démocra- tique du Vietnam (R.D.V.) tandis que le
commandement fran- çais avait la responsabilité de l'application
des accords de Ge- nève dans la zone Sud. Des élections générales
devaient au plus tard en juillet 1956, donner au Vietnam un
gouvernement unifié.
Dans la zone Nord, l' application de ces accords ne posaient pas de
problème : le gouvernement de la R.D.V., sûr de la confiance du
peuple vietnamien, a constamment cherché à fa- ciliter l'exécution
de ces accords pour aboutir aux élections gé- nérales et hâter la
réunification du pays.
Mais, si les accords étaient signés entre la France et le
gouvernement de la R.D.V., un troisième partenaire allait in-
tervenir d 'une façon décisive sur les événements dans le Sud. A
vrai dire, depuis 1950, les États-Unis étaient déjà dans la place,
contr ibuant pour une grande par t aux dépenses de la guerre
d'Indochine, et c'était contre leur gré que l'armistice a été
signé. N'ayant pu empêcher la signature de l'armistice, les
États-Unis allaient employer toute leur puissance à rendre
impossible l 'application des accords signés.
Le 7 juil let 1954, l 'ancien mandar in catholique Ngô-dinh- Diêm
(que nous appellerons D i ê m à la manière vietnamienne) rentré d
'Amérique prenai t en main la direction du gouverne- ment Baodaï,
él iminant Buulôc, protégé des Français.
Le 8 septembre 1954, cinquante jours après le paraphe des accords
de Genève, la France signa avec les États-Unis et l'An- gleterre le
traité du Sud-Est asiatique (OTASE), réplique extrê- me-orientale
de l 'OTAN.
La France passa les clefs du Sud-Vietnam aux États-Unis ; à peine
signés, les accords de Genève furent reniés. Ainsi, na- quit l
'État du Sud-Vietnam dont l'histoire ultérieure sera mar- quée
irrémédiablement pa r tous ces facteurs qui présidèrent à sa
naissance : le renoncement. de la France, la volonté des États-Unis
de faire obstacle au mouvement révolutionnaire vietnamien, le
regroupement des féodaux vietnamiens en zone Sud.
S'étendant du 1 7 parallèle à la pointe de Camau, le Sud- Vietnam
comporte une superficie de 170.000 k m , avec envi- ron 14 millions
d 'habi tants (contre 160.000 k m et 16 millions d 'habi tants pou
r le N o r d ) .
1 P r o n o n c e r Ziêm. 2 Les services officiels d o n n e n t
les chiffres suivants p o u r la popu la t i on
en 1960 : Nambô 63 % 8.760.933 Plaines du Centre 31 % 4.329.716
Hauts-Plateaux . . . . . . . . . . . . . 6 % 604.823
13.695.472 La précision des chiffres ne doit pas faire illusion.
Aucun recense-
ment véritaole n'a été fait, pour la bonne raison que le
gouvernement n'a jamais contrôlé la totalité des campagnes qui
comptent 85 % de la population.
Géographiquement, on peut y distinguer trois régions prin- cipales
:
1. — Le Nambô (Cochinchine) comprend essentiellement le delta du
Mékong, accessoirement celui d u Dôngnai ; terre de rizières vastes
et fertiles, il était le grenier à riz d u Vietnam. Rien que le
delta du Mékong compte 2.300.000 hectares culti- vés, et le pays
exportai t un million et demi de tonnes de riz par an.
2. — De la rivière Bênha i jusqu 'au Nambô, le long de la côte, s
'échelonne un chapelet de petites plaines, encastrées entre la mer
et les montagnes, plaines peuplées, mais pauvres ; ici l 'économie
et le peuplement rappellent les conditions du Nord. C'est le
Trungbô (anciennement Annam) dans sa par t ie centrale et
méridionale. On compte environ 300.000 hectares de terre
cultivés.
3. — Les Hauts-Plateaux constituent une vaste région s 'étendant de
la vallée du Dôngnai au Sud jusqu 'au 1 7 paral- lèle au Nord, et
sont formés dans leur plus grande par t ie pa r des plateaux d 'une
al t i tude de 700 à 800 mètres, faits de terres rouges, provenant
de la décomposition des basaltes, très ferti- les, merveilleusement
aptes à por te r des cultures industrielles : caoutchouc, thé,
café... D'immenses étendues restent encore à défricher.
Sur les 14 millions d 'habi tants d u Sud-Vietnam, il faut compter
environ 400.000 Khmers (ou Cambodgiens) qui vivent surtout dans les
provinces de l 'Ouest du Nambô, 700.000 Chi- nois groupés
essentiellement dans la ville de Cholon, et plus de 600.000
habitants composant les groupes ethniques variés vi- vant sur les
Hauts-Plateaux. On les désignait communément sous le nom de Moï ;
nous n 'emploierons pas ce terme qui est péjoratif en vietnamien,
et nous utiliserons les mots « habi- tants » ou « groupes ethniques
» des Hauts-Plateaux.
On peut dès l 'abord, r emarquer que le Sud-Vietnam, à la
différence de la p lupar t des pays sous-développés, est un pays
riche en produits agricoles, dont la product ion al imentaire était
largement excédentaire. II n ' aura pas à connaître les difficultés
extrêmes de ravitail lement du Nord-Vietnam ; en lui fournis- sant
leur aide, les États-Unis auraient pu facilement faire dé- marrer
son industrialisation, et transformer le Sud-Vietnam en une
véritable « vitrine », un pôle d 'a t t ract ion pour les autres
pays du Sud-Est asiatique. L'histoire en a décidé autrement.
Nous nous proposons de retracer l'histoire du Sud-Vietnam de 1954 à
1963, une histoire très chargée, tant il est vrai que les régimes
en crise att irent plus l 'attention des historiens et jour-
nalistes que les pays tranquilles. Trois étapes peuvent être
discernées dans cette brève période de hui t ans :
1. — du 21 juil let 1954 au 28 avril 1956, les troupes fran- çaises
stationnaient encore au Sud-Vietnam. Pendant que le gouvernement
des États-Unis obtenait de la France qu'elle re- nonçât à ce pays
pour leur en confier la direction, le gouver- nement Diem éliminait
progressivement, au besoin par les armes, tous les groupes
pro-français. La machine militaire amé- ricaine et les rouages du
gouvernement Diem furent mis en place.
2. — Après le dépar t des troupes françaises, les États-Unis
restèrent seuls maîtres à bord ; le gouvernement Diem refusa de
faire tenir les élections générales prévues par les accords
d'armistice. L'application de ces accords fut rendue impossi- ble,
à la fois pa r la volonté américaine, et par la démission d'un des
principaux partenaires chargés de les appliquer, la France qui p r
i t soin de ret i rer ses troupes avant la date de juillet
1956.
Ce fut alors la « belle époque » du gouvernement Diem qui put
donner libre cours à ses projets, sous la direction des con-
seillers américains. Le Sud-Vietnam devint la propriété fami- liale
de Diem, et selon l'expression de Diem lui-même, les fron- tières
des États-Unis s 'étendirent jusqu 'au 1 7 parallèle. La « belle
époque » devait durer jusqu'à la fin de 1960, marquée par la
naissance du Front National de Libération.
3. — Car le peuple vietnamien ne tarda pas à réagir ; et plus le
régime se sentait impopulaire, plus il aggravait les mesures de
répression, provoquant en retour l'intensification des luttes
populaires.
Le 11 novembre 1960, des militaires tentèrent un coup d'État,
essayant de renverser Diem, faisant la preuve que le régime
craquait de toutes parts. Après cette date, le gouver- nement Diem
n'est plus qu 'une ombre ; seule reste la domina- t ion américaine,
qui se transforme progressivement en une véri- table intervention
armée. Une guerre non déclarée, selon l'expression du New-York
Times, s'instaure dans le Sud-Viet- nam, officialisée d'ailleurs
par le gouvernement Kennedy qui crée le 8 février 1962 un
commandement militaire américain à Saïgon.
De son côté, le peuple vietnamien, placé devant des me-
naces d'extermination, commence à prendre des mesures d'auto-
défense : la lutte armée vient se combiner à la lutte politique, et
le 20 décembre 1960, le Front National de Libération du Sud-
Vietnam voit le jour. Cette guerre non déclarée dure encore.
L'étude des événements depuis 1954 nous permettra de nous faire une
idée sur l'issue probable de la situation dangereuse qui est celle
du Sud-Vietnam à l'heure actuelle. Le Sud-Viet- nam est aujourd'hui
l'une des régions névralgiques du monde, où l'affrontement
Est-Ouest, les conflits provoqués par le mou- vement de libération
nationale et sociale prennent les aspects les plus dramatiques, et
risquent de mettre en jeu la paix mondiale.
L'étude d'une question aussi actuelle, aussi brûlante n'est guère
facile. La documentation en est éparpillée et se trouve davantage
dans les journaux quotidiens que dans les livres. Avec l'aide des
éléments que nous avons pu rassembler dans les publications
vietnamiennes, françaises et américaines, nous avons essayé de
poser quelques jalons, pour tenter d'éclairer ceux qui
s'interrogent sur l'avenir de ce pays.
Comme ce pays est le nôtre, que le lecteur ne s'étonne pas si les
lignes qui suivent sont parfois teintées de quelque passion. Nous
avons essayé de nous effacer le plus possible devant les documents,
mais il est naturel que le cœur d'un homme fré- misse quand il doit
raconter les malheurs qui s'abattent sur son pays, ou quand il
relate les exploits héroïques de ses com- patriotes. L'objectivité
historique n'a rien à voir avec l'indiffé- rence devant le malheur
des hommes.
Paris, mars 1963.
I
1
L e s É t a t s - U n i s a u V i e t n a m
C o m m e la n a t u r e , les É t a t s - U n i s n ' a i m e n t
p a s le v ide . E n 1945, l a s e c o n d e g u e r r e m o n d i
a l e t e r m i n é e , l ' e x u b é r a n t e puis- s ance des É
t a t s - U n i s s ' e m p l o y a i t à c o l m a t e r t o u t e
s les b r è c h e s laissées b é a n t e s p a r l ' e f f o n d r
e m e n t des a n c i e n n e s p u i s s a n c e s co lon ia les .
D a n s le P a c i f i q u e , i l s é t a i e n t d é j à s o l i
d e m e n t ins- ta l lés a u x P h i l i p p i n e s , d i s p o s
a i e n t d e l a p u i s s a n c e i n d u s t r i e l l e d u J a
p o n e t d e son t e r r i t o i r e , c o m m e d e n o m b r e u
s e s a u t r e s bases d i spe r sées d a n s l e g r a n d o c é
a n ; l a H o l l a n d e , l a F r a n c e , l a G r a n d e - B r
e t a g n e a v a i e n t p e r d u p i e d . R e s t a i t l e c o
n t i n e n t a s i a t i que . Le g é n é r a l M a r s h a l l f
u t d é p ê c h é e n C h i n e , l a puis- s a n t e a r m é e d e
T c h a n g K a ï C h e k f u t é q u i p é e j u s q u ' a u x d e
n t s , sans r e g a r d e r à l a d é p e n s e : q u e s i gn i f
i a i en t q u e l q u e s m i l l i a r d s de d o l l a r s p a r
r a p p o r t à l ' i m m e n s i t é c h i n o i s e ?
E n I n d o c h i n e , l ' a c t i v i t é des a g e n t s a m é r
i c a i n s i n q u i é t a i t p r o f o n d é m e n t les r e s p
o n s a b l e s f r a n ç a i s . « Les p r e m i e r s émis - sa i
res d u p lu s g r a n d p a r m i les G r a n d s n ' a v a i e n
t p o i n t f a i t m y s t è r e de ce q u ' i l s c o n s i d é r
a i e n t n o t r e d é p a r t c o m m e déf ini- tif. . . Les A n
g l o - S a x o n s p a r a i s s e n t b i e n d a n s les p e r s
p e c t i v e s locales a v o i r r a y é la F r a n c e d e l a c
a r t e d e l 'Asie , d u m o i n s e n t a n t q u e p u i s s a n
c e co lon ia l e . »
Mai s u n e s u r p r i s e a l l a i t a t t e n d r e les émissa
i r e s de W a s h i n g -
1 Paul Mus : Le Vietnam, sociologie d'une guerre, p. 34. Lire aussi
Sainteny, Histoire d'une paix manquée.
ton au Vietnam. Le Vietminh avait, pendant toute la durée de
l'occupation japonaise, gardé des liaisons avec les services
américains, porté aide et secours aux officiers américains para-
chutés derrière les lignes japonaises. Voici qu'ayant conquis le
pouvoir, avec à peine un million de piastres en caisse, dans un
pays dont deux millions d'habitants étaient morts de fa- mine, un
pays occupé au Nord par les troupes de Tchang Kaï Chek, au Sud par
les troupes anglaises, ce même Vietminh refuse les propositions
d'aide américaine, préfère traiter avec la France, l'ancienne
puissance coloniale.
C'est ainsi qu'avait commencé la guerre d'Indochine : de 1945 à
1950, les États-Unis devaient se contenter de tramer derrière la
coulisse des intrigues sans efficacité : l'ambassadeur américain
William Bullit eut en 1947 des entretiens avec Bao- daï qui
n'eurent pas de suites immédiates. La France croyait encore pouvoir
régler seule l'affaire indochinoise comme une guerre coloniale du
XIX siècle.
Cependant la Résistance vietnamienne grandissait de jour en jour,
et en octobre 1950, le corps expéditionnaire français subit à
Caobang une défaite retentissante. En même temps, à Pékin
s'installait le gouvernement populaire de la Chine ; la frontière
nord du Vietnam s'ouvrait largement sur le camp socialiste. Les 19
octobre et 22 novembre 1950, devant l'Assem- blée nationale
française, le député radical Men dès-France expo- sait clairement
le choix qui s'offrait à la France :
« Il n'y a que deux solutions. La première consiste à réaliser nos
oojectifs en Indochine par le moyen de la force militaire... La
solution militaire c'est un effort massif nouveau, suffisamment
massif, suffisamment rapide pour devancer le développement déjà
considérable des forces qui nous sont opposées... L'autre solution
consiste à rechercher un accord politique, un accord évidemment
avec ceux qui nous combattent... Il faut choisir. Hors la solution
militaire, il n'est qu'une possibilité, la négociation... »
(Débats parlementaires 1950).
Le gouvernement français choisit une troisième voie : l'in-
ternationalisation du conflit. La France continuera à combattre en
Indochine, mais non plus pour des objectifs propres ; com- me
l'armée américaine engagée dès juin 1950 en Corée, le Corps
expéditionnaire français combattait au nom du monde
libre, visant à at teindre indirectement la révolution chinoise. En
Corée, les États-Unis avaient engagé toute leur puissance mili
taire : leurs pertes avaient dépassé toutes celles qu'ils avaient
subies au cours de la deuxième guerre mondiale sur tous les champs
de bataille réunis. La résistance coréenne et l 'armée
révolutionnaire chinoise s'étaient montrées plus vigou- reuses que
prévu. L'accord mil i taire sino-soviétique de février 1950 rendait
impossible toute at taque directe du « sanctuaire » chinois. La
guerre de Corée avait, certes, re tardé l 'édification de l
'économie chinoise, mais les puissances occidentales n'avaient pas
réussi à remettre Tchang Kaï Chek au pouvoir. La Corée du Sud
restait cependant une base américaine, dotée d'une armée de plus de
600.000 hommes, r ichement équipée, et le dictateur Syngmann Rhee
menaçait à chaque moment de reprendre la « Marche vers le Nord
».
Au Vietnam, il fallait à tout prix teni r u n bastion sur le flanc
sud de la Chine pour le compte de l 'Occident ; les crédits
américains étaient donc largement dispensés au corps expé- dit
ionnaire français. Une mission mil i taire américaine, la M.A.A.G.
(Military Aid and Advisory Group) vint s 'installer à Saïgon.
Cependant, en prodigant ses dollars, le gouverne- ment américain
entendai t aussi imposer ses vues. La doctrine américaine était
déjà au point. Les États-Unis ne cessaient de reprocher aux
Français l eur colonialisme périmé, leur entête- ment à ne pas
vouloir confier le pouvoir à des « nationalistes authentiques », à
se contenter d 'hommes de paille ; si les com- munistes étaient
arrivés à mobiliser le peuple vietnamien con- tre l 'Occident,
disaient-ils, c'était essentiellement la faute aux gouvernants
français. I l fallait continuer la guerre avec vigueur, mais en
même temps créer une armée « nationale », u n gou- vernement «
national », faire combattre la résistance vietna- mienne par des
Vietnamiens, auxquels on aura insufflé un anti-communisme mil i
tant et accordé toute l 'aide financière et matérielle nécessaire.
Les Français, d'accord sur l 'objectif final, ne tenaient pas pour
autant à céder la place ; en vain le gouvernement américain
essayait-il, dès 1949, de placer Ngo dinh Diem comme premier
ministre de Baodaï. De son côté la Résistance vietnamienne s'était
montrée plus coriace que prévu, et l 'aide américaine, qui se
renforçait d 'année en année, n 'avait pas permis au corps
expéditionnaire français de re- prendre l 'initiative.
La presse française faisait état pour les dernières années de la
guerre des chiffres suivants .
AIDE AMÉRICAINE ARGENT MATÉRIEL
1952 110 milliards de francs 86 milliards 1953 150 milliards de
francs 119 milliards
1954 275 milliards de francs 200 milliards
A Washington le vice-président Nixon, l'amiral Radford, les
généraux Ridgway, Twining, et le bouillant secrétaire d'État Foster
Dulles n'exigeaient rien moins que l'écrasement de la Résistance
vietnamienne, et l'installation sur tout le Vietnam d'un
gouvernement nationaliste, qui scellerait le destin de son pays au
« monde libre ». Les États-Unis avaient déjà signé une série de
pactes qui les autorisaient à disposer de toute une chaîne de bases
militaires en Asie et dans le Pacifique : pacte de l'A.N.Z.U.S.
avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande en sep- tembre 1951, avec
les Philippines en août de la même année, pactes militaires avec le
Japon en septembre 1951 et en mars 1954, avec la Corée du Sud en
août 1953, pacte avec le Pakis- tan en mai 1954. Le 22 janvier
1952, devant le Congrès, Foster Dulles développait l'idée d'un
pacte général pour le Pacifique. Le 7 janvier 1953, dans son
message au Congrès, le président Truman disait :
« Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas simplement d'une force
armée centrale qui puisse rejeter toute agression. Nous avons
également besoin d'une force armée disposée tout au long des
limites extérieures du monde libre, d'un système de défense aussi
bien pour nos alliés que pour nous-mêmes. »
Commentant le programme d'aide à l'Indochine, le 6-5-1953 Foster
Dulles déclarait :
« La situation internationale est critique. Tout le Sud-est asia-
tique court un grand péril et si l'Indochine est perdue, il y
aurait
France-soir, 22-4-1954.
une réaction en chaîne dans tout l'Extrême-Orient et tout le sud-
est asiatique. »
En avril 1954, Foster Dulles écrivait dans la revue Foreign
Affairs:
« Le système de base du monde libre fait partie intégrante de sa
sécurité collective. »
L'armistice de juillet 1953 en Corée rendait encore plus nécessaire
aux yeux du gouvernement américain l'obligation de conserver
l'Indochine entière dans le système dit défensif du monde
occidental.
En France, le clan jusqu'au-boutiste, personnifié par Bi- dault,
soutenu par le M.R.P. et l'extrême-droite, était au pou- voir et
adoptait entièrement les vues américaines. Le 29 no- vembre 1953,
l'hebdomadaire suédois Expressen publie une in- terview
retentissante de Ho Chi Minh qui déclare :
« ...Si ayant tiré les leçons de ces années de guerre, le gou-
vernement désire conclure un armistice et résoudre la question du
Vietnam par des négociations, le peuple et le gouvernement de la
République Démocratique du Vietnam sont prêts à exami- ner les
propositions françaises... La négociation d'un armistice con- cerne
essentiellement le gouvernement de la France et celui du Vietnam.
»
Au correspondant de l'hebdomadaire suédois, un porte-pa- role du
quai d'Orsay avait répondu qu'on « ne faisait pas de politique avec
des petites annonces », et jusqu'au mois de mars 1954, Bidault,
recevant le député socialiste Savary qui se proposait de prendre
contact avec Ho Chi Minh, lui disait :
« Ho Chi Minh est sur le point de capituler, nous allons le battre.
Ne le renforcez pas par un contact de ce genre. »
Le gouvernement Laniel-Bidault avait sa solution indochi- noise en
préparation : le nouveau commandant en chef, le gé- néral Navarre,
avait été présenter à Washington un plan de « pacification » qui
devait venir à bout de la résistance viet- namienne en 18 mois. Les
États-Unis, accordèrent en septembre 1953, 385 millions de dollars
pour l'équipement des armées de Baodaï. Fin septembre, le général
Navarre lançait l'opéra-
3 Lacouture et Devillers, La fin d'une guerre, p. 47.
tion Mouette au Sud du delta du Tonkin, en direction de Thanh Hoa.
Le 20 novembre, six bataillons de parachutistes occupèrent la
cuvette de Dien Bien Phu, à 300 km au Nord- Ouest de Hanoï :
c'était l'opération Castor. Le 20 janvier 1954, un débarquement à
Tuy-Hoa dans le Centre-Vietnam donnait le signal de l'opération
Atlante qui devait, dans l'esprit du commandement français,
pacifier toute la région au sud du 18e parallèle. Avec l'aide
américaine, les effectifs de l'armée de Baodaï furent portés le 1
janvier 1954 à 210.000 hommes ; et les projets franco-américains
assignaient à cette armée un chiffre de 400.000 hommes pour le 1
janvier 1956.
Cependant l'armée populaire vietnamienne allait se mon- trer plus
combative, plus efficiente que ne l'avait prévu le plan Navarre.
Les opérations Mouette et Atlante se soldèrent par des échecs, et
la guerilla, particulièrement dans le delta du Tonkin, prit les
dimensions d'une guerre véritable. L'Armée populaire vietnamienne
contre-attaquait au Laos, sur les Hauts- plateaux du Centre-Vietnam
; Dien Bien Phu qui devait être une position où les parachutistes
et légionnaires pourraient enfin « casser du Viet », devint une
souricière pour les meilleu- res uniltés du Corps expéditionnaire
français.
Pour sauver le Corps expéditionnaire français en difficulté, le
gouvernement français envoya le 20 mars le général Ely à Washington
: il reçut de l'amiral Radford, chef de l'État-major américain,
l'assurance que les Etats-Unis apporteraient leur aide militaire
directe à la France. Le président du Conseil Laniel demanda le 4
avril au gouvernement américain de faire intervenir l'aviation
américaine d'une façon massive pour essayer de sauver Dien Bien Phu
.
Déjà le 29 mars, dans un discours prononcé à l'Oversea Press Club
Foster Dulles avait essayé de préparer l'opinion américaine à une
intervention directe en Indochine.
« L'extension au Sud-est asiatique, disait-il, par quelque moyen
que ce soit du système politique de la Russie communiste et de son
allié chinois, présenterait un grave danger pour toute la Com-
munauté libre. Les Etats-Unis estiment que la possibilité d'une
telle extension ne doit pas être acceptée passivement, mais qu'il
convient de lui faire face au moyen d'une action unifiée. Cela peut
comporter des risques graves. Mais ces risques seraient pour-
4 André Laniel, Le drame indochinois, p. 85.
tant bien moins graves que ceux auxquels nous aurions à faire face
d'ici quelques années si nous n'osions pas nous montrer ré. solus
aujourd'hui. »
L'opinion américaine n'avait pas réagi dans le sens des dé- sirs du
Secrétaire d'Etat ; l'expérience de la guerre de Corée était encore
trop cuisante. Les leaders du Congrès exigèrent pour intervenir le
concours de la Grande-Bretagne. Cepen- dant, l'Etat-major américain
pensait pouvoir forcer la main aux gouvernements ; dès le début
d'avril, deux porte-avions de la 7e flotte, le Boxer et le
Philippine Sea avaient pris posi- tion dans le golfe du Tonkin,
transportant les chasseurs desti- nés à escorter les bombardiers
lourds qui devaient décoller de Manille. Le 14 avril, le général
Partridge, commandant les for- ces aériennes en Extrême-Orient
arrivait à Saïgon. Le 16 avril, Nixon, vice-président des
Etats-Unis, déclarait ouvertement à la presse que le gouvernement
américain devait, si besoin était, envoyer des troupes en
Indochine. Le 24 avril, deux jours avant l'ouverture de la
conférence de Genève, Bidault écrivait encore à Foster Dulles pour
réclamer une intervention amé- ricaine, estimant que les
concentrations de l'Armée populaire vietnamienne autour de Dien
Bien Phu seraient l'occasion pour l'aviation américaine de lui
porter un coup décisif. Washing- ton et Paris attendaient toujours
la réponse de Londres ; celle- ci fut négative. La Grande-Bretagne
était trop liée à ses mem- bres asiatiques du Commonwealth, l'Inde
en particulier, pour savoir que jamais l'opinion asiatique
n'admettrait l'interven- tion directe des forces anglaises en
Indochine. Le 26 avril, les Etats-Unis tentent une dernière
manœuvre, en essayant de mettre en branle l'A.N.Z.U.S., mais les
membres du Congrès, à cause du refus anglais, se montrent hostiles.
L'intervention américaine en Indochine fut ainsi évitée de
justesse, mais, com- me le dira plus tard Foster Dulles, le monde
était « au bord du gouffre ». Une troisième guerre mondiale avait
failli éclater.
Ne pouvant faire intervenir les troupes américaines au Viet- nam,
le gouvernement américain allait s'attacher à faire obsta- cle aux
négociations d 'armistice : une prolongation de la guerre
permettrait de trouver une autre occasion pour faire entrer en jeu
la machine militaire américaine. Cependant, 10 jours après
l'ouverture de la conférence de Genève, le 7 mai 1954,
Dien Bien Phu tombait : la plus grande bataille de l'histoire
coloniale s'était terminée à l'avantage de la résistance vietna-
mienne. Le Corps expéditionnaire français avait perdu à Dien Bien
Phu 16.000 hommes, appartenant la plupart à des unités d'élite :
parachutistes, légionnaires, tabors.
Les conséquences de Dien Bien Phu allaient se développer à la fois
sur le plan militaire et sur le plan politique. Le moral du corps
expéditionnaire français, et plus particulièrement de l'armée de
Baodaï, en était profondément affecté. Le 24 juin, le poste d'Ankhê
tombait, et toute la région des Hauts-pla- teaux du Centre était
libérée. Le 1 juillet, les troupes fran- çaises évacuaient les
provinces de Namdinh, Thaibinh, Phuly, Ninhbinh, comprenant les
deux évêchés catholiques de Phat- Diem et Buichu, dans le Sud du
delta du Fleuve rouge, région comptant deux millions et demi
d'habitants. Cependant, si la dégradation de la situation militaire
était rapide, il ne fallait pas en conclure que Dien Bien Phu avait
porté un coup mor- tel au corps expéditionnaire français qui
comptait encore 500.000 hommes, et dont les moyens matériels, en
aviation, blindés, artillerie, transports dépassaient de beaucoup
ceux de l'armée populaire vietnamienne. Certes, l'armée française
ne pouvait plus envisager de battre la résistance vietnamienne,
mais un plan de rétraction des fronts était prévu, en cas de
prolongation des hostilités. Dans le Nord, seul l'axe Hanoï-
Haïphong serait tenu ; au Sud de la barrière montagneuse du 18e
parallèle, toutes les forces françaises seraient regroupées qui
tiendraient entièrement le Sud, en attendant que l'inter- vention
des forces américaines donnât à nouveau la possibilité de mener une
offensive contre le Nord, cette fois en coopéra- tion avec les
troupes américaines. L'appareil militaire fran- çais était bel et
bien entamé, mais les forces populaires viet- namiennes n'étaient
pas non plus en mesure de libérer rapi- dement la totalité du pays,
et la menace d'une intervention américaine provisoirement écartée
subsistait toujours.
A Genève, Bidault et Foster Dulles s'efforçaient de faire échouer
la conférence. Bidault ne voulait pas entendre parler de conditions
politiques : il ne voulait pas reconnaître l'indé- pendance du
Vietnam autrement que par le truchement du gouvernement Baodaï.
Nguyen quoc Dinh, représentant de
5 Général Navarre, Agonie de l'Indochine, p. 274.
Baodaï, proposait tout simplement d'intégrer les forces de la
résistance dans l'armée baodaïste, sous une seule autorité po-
litique : le gouvernement Baodaï. Ainsi les forces populaires
auraient combattu pendant neuf années, remporté la victoire de Dien
Bien Phu, uniquement pour légitimer l'autorité du gouvernement
Baodaï.
Cependant Dien Bien Phu avait eu des conséquences po- litiques
d'une importance considérable : le mouvement pour la paix dans le
monde, et surtout en France, avait pris une grande ampleur. Le 12
juin le gouvernement Laniel-Bidault tombait ; le 18 juin,
Mendès-France était investi par 419 voix contre 47, et 143
abstentions. Cette majorité massive témoi- gnait de l'ampleur du
mouvement d'opinion en France.
La situation politique et militaire, en ce mois de juillet 1954, se
présentait sous les traits suivants. En cas de prolon- gation des
hostilités, les troupes françaises auraient été proba- blement
amenées à évacuer tout le Nord du 18e parallèle ; dans le Sud, au
Cambodge, au Laos la guérilla aurait conti- nué, mais sans pouvoir
donner une conclusion militaire ra- pide. Le gouvernement
Mendès-France aurait été renversé. Qu'aurait fait le gouvernement
qui lui aurait succédé ? Les for- ces de gauche auraient-elles été
suffisantes pour empêcher la droite de solliciter une intervention
massive des forces améri- caines et de mettre le monde entier
devant le fait accompli ?
Du côté vietnamien, après la victoire de Dien Bien Phu, les
dirigeants avaient une conscience très claire du danger amé- ricain
; les négociations avaient pour but d'arracher à la Fran- ce la
reconnaissance de l'indépendance ; mais, en même temps, la
délégation vietnamienne à Genève s'efforçait, en faisant des
concessions à la France, d'obtenir un armistice, afin d'éviter
l'entrée en guerre des Etats-Unis et la transformation du Viet- nam
tout entier en un champ de bataille gigantesque. Le 10 mai, trois
jours après la chute de Dien Bien Phu, Pham van Dong à Genève
faisait trois propositions :
— la France reconnaîtra l'indépendance, l'unité, l'intégrité
territoriale du Vietnam,
— le Vietnam respectera les intérêts économiques et cul- turels de
la France,
— le Vietnam étudiera l'éventualité d'une adhésion à l'Union
française.
La modération de ces revendications après une victoire mi-
litaire éclatante avait étonné maints observateurs, et contras-
tait avec l'intransigeance de Bidault. L'opinion française n'avait
pas été sans la remarquer : Bidault était condamné. On ne pouvait
plus dissocier les problèmes militaires des problè- mes politiques.
Certes le rapport des forces sur le plan mili- taire, la menace
d'un conflit généralisé n'avaient pas permis à la Résistance
vietnamienne de conquérir la totalité de ses ob- jectifs. Mais le
gouvernement français dut concéder :
— Sur le plan concret, la remise de la zone située au Nord du 17
parallèle à l'administration de la République démocra- tique du
Vietnam.
— Sur le plan des principes, la reconnaissance de l'indé- pendance,
de l'unité et de l'intégrité territoriale du Vietnam ; principes
qui devront se traduire par la tenue des élections gé- nérales qui
donneront au pays un gouvernement unifié, au plus tard le 20
juillet 1956.
L'indépendance nationale était donc devenue effective sur la moitié
Nord du Vietnam ; le Cambodge et le Laos accédè- rent également à
l'indépendance définitive. Chose non moins importante, un conflit
généralisé avait été écarté. Pour la pre- mière fois depuis
longtemps, une question brûlante avait pu être résolue entre l'Est
et l'Ouest par voie de négociation. A la différence de l'affaire
coréenne, les négociations avaient abouti à un accord non seulement
militaire mais politique. Le Vietnam dans sa partie Nord, allait
pouvoir se consacrer à un travail constructeur, évoluer vers le
socialisme. La Chine, bé- néficiant de la paix, allait également
faire effectuer des pro- grès rapides à son économie et se
consolider définitivement comme un Etat socialiste puissant. Les
Accords de Genève du 20 juillet 1954 constituaient donc un
compromis, un compro- mis favorable à la paix mondiale ; les
différentes clauses de ces accords aboutissaient à la création en
Indochine d'une vas- te zone de neutralité militaire. Au peuple
vietnamien, il res- tait à parfaire son indépendance en luttant
pour l'application de ces accords. En liant la politique de
libération nationale à la défense de la paix mondiale, les
dirigeants vietnamiens avaient évité à leur pays d'être transformé
en un champ de bataille entre l'Est et l'Ouest, et sauvé la paix
mondiale. Mais l'acceptation d'une division du pays, fût-elle
inscrite à titre temporaire dans les accords, n'en était pas moins
dramatique. Les dirigeants vietnamiens, après avoir mené de main de
maî-
tre la guerre, avaient su faire preuve de sagesse polit ique,
accepter les compromis indispensables. L ' intervent ion de H o Chi
Minh à la session du 15 juil let 1954 du Comité central du Par t i
des Travailleurs prouvait que le gouvernement de la Ré- publique
démocratique du Vietnam porta i t une appréciat ion des plus
objectives sur la situation, et ne s'était pas laissé griser par
des victoires militaires brillantes.
« Nos succès enthousiasment notre peuple et ceux du monde,
consolident notre position diplomatique à Genève, contraignent nos
ennemis à siéger à la même table de conférence que nous. L'attitude
des Français a changé de manière notable par rapport aux conditions
avancées par Bollaert en 1947. Depuis le début de la Résistance,
notre position se renforce donc de plus en plus, alors que celle de
l'ennemi s'affaiblit chaque jour.
« Mais, attention, nous ne devons jamais oublier que cette force et
cette faiblesse sont toutes relatives, et non absolues. Nous ne
devons pas tomber dans le subjectivisme et sous-estimer l'ennemi.
Nos victoires ont réveillé les Américains. Après la bataille de
Dien Bien Phu, ils ont changé leurs plans d'intervention pour pro-
longer la guerre d'Indochine, l'internationaliser, saboter la
Confé- rence de Genève, chercher tous les moyens pour évincer les
Fran- çais, s'emparer du Vietnam, du Cambodge, du Laos, faire de
ces trois peuples leurs esclaves et accroître la tension
internationale. Les Américains ne sont donc pas seulement les
ennemis des peu- ples du monde entier, ils sont en train de devenir
les ennemis principaux et directs des peuples vietnamien,
cambodgien, laotien... A travers la conférence de Genève, on voit
s'accuser encore da- vantage les contradictions entre les
impérialistes : les Français désirent négocier, les Anglais restent
sur des positions équivoques, les Américains font du sabotage. A
l'heure actuelle, ces derniers sont de plus en plus isolés...
« Le gouvernement français étant actuellement entre les mains des
partisans de la paix, des chances nous sont offertes pour arriver à
la cessation des hostilités en Indochine...
« Jusqu'ici nous avons concentré nos forces pour anéantir celles
des impérialistes français agresseurs. A présent, les Français en-
trent en négociation avec nous, tandis que les impérialistes amé-
ricains sont en train de devenir nos ennemis principaux et
directs... c'est contre les Américains que doivent converger nos
efforts...
« Dans la nouvelle conjoncture, l'ancien mot d'ordre « Résis- tance
jusqu'au bout » doit être remplacé par « Paix, unité natio- nale,
indépendance, démocratie ». Contre la politique américaine
d'intervention, nous devons tenir ferme le drapeau de la paix et
notre politique doit être modifiée en conséquence. Auparavant, nous
préconisions la confiscation des biens des impérialistes
fran-
çais, à présent , c o m m e ils en t ren t en négocia t ion avec
nous, ils p o u r r o n t su r la base de l 'égal i té et des
avantages réc iproques , conserver des intérêts économiques et cul
ture ls en Indochine . Q u a n d on entre en négociat ion, on doi t
faire des concessions r é c i p r o q u e s ra isonnables . Dans le
passé, nous disions : chasser e t anéan t i r j u s q u ' a u b o u
t le corps expéd i t ionna i re français ; à pré- sent, dans la
négociat ion, nous avons réclamé, et les França is ont accepté le
re t ra i t de l e u r a rmée à une date dé terminée . Aupara- vant
l 'Un ion française n 'exis ta i t pas p o u r nous ; main tenant
nous
acceptons de met t re sur le tapis la ques t ion de no t re par t
ic ipat ion éventuel le à l ' U n i o n française s u r la base de
l 'égali té et du l ibre consentement . Aupa ravan t nous nous
proposions d ' anéan t i r l ' a rmée et le pouvo i r fantoches en
vue de l ' un i t é nat ionale ; ma in tenan t nous met tons en
avant u n e mesure généreuse, la réunificat ion na t iona le pa r
la voie des élect ions générales dans l ' ensemble du pays...
« Afin d ' a r r ive r au cessez-le-feu, il impor t e de dé l imi
te r les zones : l ' a rmée e n n e m i e doi t se r e g r o u p e
r dans une zone en vue de son re t ra i t progressif , la nô t re
doi t se rassembler dans une autre. Il nous faut une vaste rég ion
réunissant les condit ions nécessaires à l 'édification, à la
consol ida t ion et au déve loppement de nos forces et don t l '
inf luence su r les au t res régions amènera la réunif ica t ion
nationale. . . Q u a n d il sera p rocédé à la délimi- ta t ion e t
à l ' échange des zones de r eg roupemen t , nos compatr io tes hab
i t an t des rég ions jusqu ' i c i l ib res e t que l ' ennemi v
iendra occu- p e r p rov i so i r emen t au ron t des sujets de
méconten tement , certains ve r ron t les choses en noir , se p r e
n d r o n t de désespoir et pour- r a i en t se la isser e m b r i
g a d e r p a r l ' adversai re . Nous devrons leur faire b i en c
o m p r e n d r e que, dans l ' in térê t du pays tou t entier , p
o u r a s su re r no t r e in té rê t à longue échéance, il faut
savoir pro- v i so i rement e n d u r e r le présent . Ce sera l e
u r h o n n e u r que de le faire : la na t i on l e u r en sera
reconnaissante. . .
« Gagner la pa ix n 'es t pa s chose facile. C'est une lut te
longue, du re e t complexe, qui a ses difficultés e t ses facteurs
favorables.. . les Amér ica ins s ' a cha rnen t à saper la paix en
Indoch ine et les
par t i sans de la pa ix dans le gouvernemen t français res tent
encore sous l ' inf luence américaine. . . La s i tuat ion,
complexe et p le ine de difficultés est en p l e ine évolution.. .
Les e r r e u r s suivantes pour- r a i en t se p r o d u i r e :
dévia t ion de gauche ou de droite. Des gens grisés pa r nos vic
toi res cont inuel les voudron t combat t re à tou t pr ix , combat
t re j u s q u ' a u bout. . . I ls voient les Français sans voir
les Amér ica ins , se pass ionnent p o u r l 'act ion mil i ta i re
et sous-esti- m e n t l ' ac t ion d ip lomat ique . . . I ls
posent des condi t ions excessives, inacceptables p o u r l '
adversai re . Ils veu len t tou t p réc ip i te r et ne se r e n d
e n t pas compte que la lu t te p o u r la paix est dure et com-
plexe. Si nous cédons au gauchisme, nous serons isolés, détachés de
no t r e peup le et des peuples du monde. . . La déviat ion de droi
te
se t r a d u i t pa r un pess imisme négat i f et des concess ions
sans pr in- cipe. N ' ayan t pas foi en la force du p e u p l e ,
les d ro i t i e r s affai- bl issent l ' espr i t de lu t t e du
peup le , oub l i en t l ' h a b i t u d e des souf- f rances e t n
' a sp i r en t qu 'à u n e vie qu iè te e t facile...
« E n ce m o m e n t , l ' impé r i a l i sme amér i ca in , e n n
e m i p r i nc ipa l
des peup le s du m o n d e en t i e r , devient l ' e n n e m i p r
i n c i p a l e t d i rec t des peup les d ' I n d o c h i n e ; c
'est p o u r q u o i tou tes nos ac t ions doi- vent v iser à le
combat t re . T o u t e pe r sonne , t o u t pays qu i ne sont pas
pro-amér ica ins p o u r r o n t , ne fût-ce que p rov i so i r
emen t , f o r m e r avec nous u n f ron t uni . N o s object i fs
i m m u a b l e s d e m e u r e n t : paix, i ndépendance , uni té
, démocra t i e . Nos p r inc ipe s do iven t ê t r e fermes, ma i
s no t r e t ac t ique est souple . »
A u x E t a t s - U n i s l ' a r m i s t i c e e n I n d o c h i n
e a v a i t é t é a m è r e -
m e n t r e s s e n t i . L e l e n d e m a i n l e s f r è r e s A
l s o p é c r i v a i e n t d a n s l e N e w Y o r k H e r a l d T
r i b u n e :
« Il s 'agit d ' une ca tas t rophe qu i a e n t i è r e m e n t é
b r a n l é l ' équi l i - bre p réca i re de la pu issance en
Asie. C'est u n m a l h e u r q u i ne sau- r a i t ê t re que diff
ic i lement compensé p a r des gains en Eu rope . E t c 'est u n m
a l h e u r don t le g o u v e r n e m e n t amér i ca in ne pouva
i t ê t re a u c u n e m e n t dissocié. »
L ' h e b d o m a d a i r e t r a v a i l l i s t e a n g l a i s ,
N e w S t a t e s m a n a n d
N a t i o n a f f i r m a q u e l e s A m é r i c a i n s é t a i e
n t l e s s e u l s à a v o i r es -
s u y é u n e d é f a i t e , e t d e s s é n a t e u r s a m é r i
c a i n s p a r l a i e n t d ' u n
n o u v e a u M ü n i c h . L e 2 0 a o û t , d e v a n t l e C o n
g r è s , E i s e n h o w e r d é c l a r a i t :
« Les t roupes du V i e t m i n h sou tenues p a r les Chino is ont
rem- po r t é des succès m a j e u r s dans la r ég ion indoch ino
i se ma lg ré près de h u i t ans d ' opé ra t i ons menées p a r
les t r oupes de l ' U n i o n fran- çaise et des Etats associés, e
t m a l g r é les f o u r n i t u r e s d ' a rmes et de ma té r i
e l m o d e r n e pa r les Etats-Unis. »
N ' a y a n t p a s r é u s s i à f a i r e e n t r e r s e s f o r
c e s e n I n d o c h i n e ,
l e g o u v e r n e m e n t a m é r i c a i n a l l a i t s ' e m p
l o y e r a p r è s l ' a r m i s t i c e
à m e t t r e r a p i d e m e n t s u r p i e d l e p r o j e t c a
r e s s é d e p u i s s i l o n g - t e m p s : l ' i n s t a l l a
t i o n d ' u n s y s t è m e m i l i t a i r e o c c i d e n t a l
d a n s l e
S u d - E s t a s i a t i q u e e t l a c r é a t i o n d ' u n e p
u i s s a n t e a r m é e s u d - v i e t n a m i e n n e d o n t l
' o r g a n i s a t i o n e t l ' i n s t r u c t i o n s e r o n t
e n l e -
v é e s a u x F r a n ç a i s .
6 H o Chi Minh , Œ u v r e s choisies, t o m e II, p. 445.
« L 'objec t i f i m m é d i a t des Etats-Unis en ce p r in t emps
1954 était d ' encourage r les França is à con t inue r la guerre
et de les d issuader de négocier . U n armist ice lui para issa i t
(à Fos te r Dulles) u n moyen de gagner du temps, l e t emps
nécessaire à l ' en t ra înement d 'une pu issan te a rmée v ie
tnamienne et la mise sur p i ed d 'un système de défense du Sud-Est
as ia t ique qui passera cette fois pa r Saïgon e t n o n p lus pa
r Hano ï . »
I l s ' a g i s s a i t d e r e s s o u d e r r a p i d e m e n t l
' a l l i a n c e o c c i d e n t a l e
m i s e à m a l e n A s i e p a r l a c o n f é r e n c e d e G e n
è v e d e 1 9 5 4 s u r
l ' I n d o c h i n e . D è s l e 6 s e p t e m b r e 1 9 5 4 , à M
a n i l l e s e r é u n i s s a i t
l a c o n f é r e n c e p o u r l e p a c t e m i l i t a i r e d u
S u d - E s t a s i a t i q u e ,
b a p t i s é e S . E . A . T . O . ( S o u t h E a s t A s i a T r
e a t y O r g a n i z a t i o n ) .
L ' a r t i c l e 4 d e c e t r a i t é s t i p u l e
« qu ' en cas d 'agress ion ou d 'a t t aque a r m é e contre des
part ies ou des rég ions désignées, u n e ac t ion sera en t repr i
se pa r les signa- taires. »
L e t e r m e d ' a g r e s s i o n , p r é c i s e l e t r a i t é
, c o m p r e n d t o u t e s l e s
f o r m e s d ' a g r e s s i o n , l a « s u b v e r s i o n » é t
a n t c o m p r i s e d a n s c e t t e
a c c e p t i o n . S i u n m o u v e m e n t n é d a n s u n d e s
p a y s d u S u d - E s t
a s i a t i q u e e s t j u g é c o m m e u n e s u b v e r s i o n
p a r l e s s i g n a t a i r e s
d u p a c t e , l ' o r g a n i s a t i o n d u S . E . A . T . O .
p o u r r a i t e n v i s a g e r u n e
a c t i o n m i l i t a i r e c o m m u n e . R e n d a n t c o m p
t e d ' u n e c o n f é r e n c e
u l t é r i e u r e d e c e t t e o r g a n i s a t i o n , A n d r
é F o n t a i n e , d u M o n d e , d i r a :
« La subvers ion const i tue un m o t commode p o u r dés igner l
'en- semble des opéra t ions légales ou i l légales qui ont p o u r
obje t de lu t t e r à l ' i n t é r i eu r des Eta ts m e m b r e
s de ce t ra i té cont re les gou- v e r n e m e n t s associés aux
Etats-Unis. »
U n p r o t o c o l e a n n e x e a j o u t e q u e
« Les Etats-Unis s ignata i res du pacte reconnaissent que le Laos,
le Cambodge , le Sud-Vie tnam bénéfic ieront des avantages offerts
p a r l ' a r t ic le 4. »
C ' é t a i t m a n i f e s t e m e n t s e m e t t r e e n c o n t
r a d i c t i o n a v e c l e s
a c c o r d s d e G e n è v e q u i d e m a n d a i e n t q u e
:
7 Lacouture-Devi l lers , op. cit., p. 104. 8 Le Monde , 6 mars
1956.
« les deux par t ies ve i l l e ron t à ce que les zones qu i l e u
r sont at t r i - buées ne fassent pa r t i e d ' a u c u n e a l l
iance mi l i ta i re . »
C e t t e a l l i a n c e d i t e d u S u d - E s t a s i a t i q u
e c o m p r e n a i t : l e s
E t a t s - U n i s , l a F r a n c e , l ' A n g l e t e r r e , l
' A u s t r a l i e , c ' e s t - à - d i r e es -
s e n t i e l l e m e n t d e s p u i s s a n c e s o c c i d e n t
a l e s . D e s E t a t s a s i a t i q u e s ,
i l n ' y a v a i t q u e l a T h a ï l a n d e , l e s P h i l i p
p i n e s e t l e P a k i s t a n
d o n t l e s g o u v e r n e m e n t s é t a i e n t t o u s l i é
s é t r o i t e m e n t a u x
E t a t s - U n i s . L e s p a y s l e s p l u s i m p o r t a n t
s d u S u d - E s t a s i a t i q u e :
l ' I n d e , l a B i r m a n i e , C e y l a n , l ' I n d o n é s
i e a v a i e n t r e f u s é d e s ' y
a s s o c i e r , s e m é f i a n t d e c e t t e a l l i a n c e q
u i r a s s e m b l a i t l e s t r o i s
p u i s s a n c e s c o l o n i a l e s l e s p l u s m a r q u é e
s . L e 2 9 s e p t e m b r e 1 9 5 4 ,
d e v a n t l e p a r l e m e n t i n d i e n , N e h r u d é c l a
r a i t :
« I l f au t se d e m a n d e r si le t r a i t é de Mani l l e a d
i m i n u é ou accru
la t ens ion dans le Sud-Est a s i a t i que : A-t-il c o n t r i b
u é à r a p p r o c h e r le Sud-Est a s i a t ique ou u n e a u t
r e p a r t i e d u m o n d e de la pa ix o u de la sécur i té d '
u n seu l pas : E n vér i té , je ne vois n u l l e m e n t la t
ens ion d i m i n u e r ou la pa ix se r a p p r o c h e r . P a r
cont re , l ' a t m o s p h è r e favorab le créée p a r la confé
rence de Genève a été e n p a r t i e dété- r iorée . I l s 'agi t
v r a i m e n t d ' u n e chose défavorab le . »
L e 6 a v r i l 1 9 5 6 l e p r i n c e S i h a n o u k d e v a n t
l e C o n g r è s d u S a n g k u m d i r a :
« Les Etats-Unis e n veu l en t a u C a m b o d g e de n ' avo i r
pas a d h é r é a u S.E.A.T.O. Le p e u p l e c a m b o d g i e n
cons idè re le S.E.A.T.O. com- me u n b loc mi l i t a i re e t l '
adhés ion à ce b loc c o m m e u n e v io la t ion des accords de
Genève. »
C e t t e n o t i o n d ' a g r e s s i o n c o n f o n d u e a v e
c l a « s u b v e r s i o n »
s u s c i t e l a m é f i a n c e d e t o u s l e s p e u p l e s a
s i a t i q u e s , s u r t o u t q u a n d e l l e e s t b r a n d
i e p a r d e s p u i s s a n c e s c o l o n i a l e s .
« Le fond du p r o b l è m e , écr i t W a l t e r L i p p m a n ,
est q u e l ' Indo- ch ine n ' e s t pas envah ie p a r u n e a r m
é e chinoise ou sovié t ique . Ce son t des r évo lu t ionna i r e
s i ndoch ino i s qu i s ' infi l t rent de vi l lage e n vil lage.
»
D é j à e n 1 9 4 9 , d e v a n t l ' A m e r i c a n S o c i e t y
o f N e w s p a p e r E d i t o r s , A c h e s o n d i s a i t
:
9 Cité par la Tribune des Nations du 7-1-1955.
« Agress ion ne signifie pas seu lement a t taque mil i ta i re ,
mais guerre pa r p ropagande et minage des pays l ib res de l ' in
tér ieur . »
P a r a l l è l e m e n t à l a m i s e e n p l a c e d u b l o c m
i l i t a i r e d u S u d -
E s t - a s i a t i q u e , l e s E t a t s - U n i s , i m m é d i
a t e m e n t a p r è s l ' a r m i s t i c e ,
i n s t a l l a i e n t a v e c f é b r i l i t é l e u r s o r g a
n i s m e s m i l i t a i r e s , é c o n o m i -
q u e s , a d m i n i s t r a t i f s a u S u d - V i e t n a m , s
a n s t e n i r c o m p t e d e s
a c c o r d s d e G e n è v e . D è s l e 21 j u i l l e t , E i s
e n h o w e r p r o c l a m a i t
q u e l e s E t a t s - U n i s n ' é t a i e n t n u l l e m e n t
l i é s p a r c e s a c c o r d s . L a
m i s s i o n m i l i t a i r e M . A . A . G . q u i a u r a i t d
û ê t r e r a p a t r i é e f u t
r e n f o r c é e . L ' U . S . O . M . ( U . S . O r g a n i z a t
i o n M i s s i o n ) q u i r é p a r -
t i s s a i t l e s f o n d s a m é r i c a i n s i n s t a l l a i
t s e s s e r v i c e s d a n s l e p l u s
g r a n d h ô t e l d e S a ï g o n e t s e s c o n s e i l l e r s
d a n s l e s m i n i s t è r e s d e
D i e m . U n e m i s s i o n d e l ' U n i v e r s i t é d e M i c
h i g a n s ' o c c u p a i t d e l ' é d u c a t i o n , m a i s a
u s s i d e s s e r v i c e s d e s é c u r i t é , e t l e c o l o
n e l
L a n s d a l e y e x e r ç a i t s e s t a l e n t s . U n a u t r
e s p é c i a l i s t e a m é r i c a i n
d i r i g e a i t l e s s e r v i c e s d e l a « r é f o r m e a g
r a i r e ». L e s h o m m e s
d ' E t a t , l e s g é n é r a u x , l e s c a r d i n a u x a m é
r i c a i n s f a i s a i e n t u n e
n a v e t t e s u i v i e e n t r e W a s h i n g t o n e t S a ï g
o n o ù d e s m i s s i o n s a m é r i c a i n e s d e t o u t e n
a t u r e s ' i n s t a l l a i e n t e n t o u t e h â t e . L e
s
o r g a n i s a t i o n s c a t h o l i q u e s a m é r i c a i n e
s , i m p u l s é e s v i g o u r e u s e -
m e n t p a r l e c a r d i n a l S p e l l m a n , v e n a i e n t
r e l a n c e r l e s o r g a n i s a -
t i o n s c a t h o l i q u e s s u d - v i e t n a m i e n n e s ,
à l a g r a n d e c o l è r e d e s
p r ê t r e s f r a n ç a i s , e t s ' o c c u p e r d e s r é f u
g i é s . L e g é n é r a l O ' D a -
n i e l c o m m a n d a i t l a M . A . A . G . , L e L a n d B a r
r o w s d i r i g e a i t
l ' U . S . O . M . , l e g é n é r a l C o l l i n s f u t n o m m
é l e 4 n o v e m b r e 1 9 5 4
r e p r é s e n t a n t s p é c i a l d ' E i s e n h o w e r a u p
r è s d e D i e m , a v e c r a n g d ' a m b a s s a d e u r . C '
é t a i e n t l e s v r a i s m a î t r e s d u S u d - V i e t n a
m .
L e g é n é r a l C o l l i n s a v a i t c o m m a n d é e n C o r
é e , e t a v a i t é t é e n -
s u i t e à l a t ê t e d u s t a n d i n g - g r o u p d e l ' O .
T . A . N . S u r s a n o m i n a -
t i o n à S a ï g o n , l e N e w Y o r k H e r a l d T r i b u n e
f a i t c e c o m m e n - t a i r e :
« L 'envoi du général Coll ins est l ' indice le plus clair de l'
im- por tance a t tachée pa r Wash ing ton à ce pays, et de l' i
nqu ié tude qu ' i l p rovoque . L 'anc ien chef d 'é ta t -major
amér ica in aura p o u r tâ- che de c o o r d o n n e r toutes les
opéra t ions de tous les organismes amér ica ins au Vie tnam, ce q
u i représen te une responsabi l i té d 'une
impor t ance except ionnel le . »
L e 2 3 d é c e m b r e , l ' a m i r a l R a d f o r d v i n t à S
a ï g o n c o n f é r e r
a v e c D i e m s u r d e s q u e s t i o n s m i l i t a i r e s .
L e 12 f é v r i e r 1 9 5 5 ,
10 Cité par Aragon , Hi s to i r e para l lè le , tome II, p.
193.
Diem annonçait que le général O'Daniel allait s 'occuper de
l'instruction de l'armée sud-vietnamienne, remplaçant le com-
mandement français. Les insignes français furent brûlés pour être
remplacés par les insignes américains.
Au début de 1955, le 21 février et le 7 mars, furent signés entre
le gouvernement Diem et celui des Etats-Unis, des accords d'aide
économique directe, accords qui seront développés au cours de
négociations tenues du 22 au 25 juin, tendant à ai- der le
gouvernement Diem à édifier son armée, selon le pro- gramme
présenté par Diem au général Collins dès le 19 jan- vier 1955. Les
accords signés entre les Etats-Unis et le gouver- nement Diem
continuaient ceux déjà signés par les Etats-Unis avec le
gouvernement Baodaï le 7-9-1951, et les notes échan- gées entre les
deux gouvernements les 18-12-1951, et 19-2-1952. Tous ces traités
bilatéraux définissaient des modalités d'aide, au sein de la loi
sur le « Pacte d'Assistance mutuelle pour la Défense » (Mutual
Defense Assistance Program) mieux con- nue par ses initiales
américaines M.D.A.P. Cette loi précise que tout pays qui n'exécute
pas les clauses des traités bilaté- raux ne pourra recevoir aucune
forme d'aide, et que si l'aide en question n'a pas pour résultat de
renforcer la sécurité des Etats-Unis, elle ne sera pas
dispensée.
Le gouvernement Diem s'engageait à exécuter la clause 1 de
l'article C de l'accord signé en 1951 par Baodaï :
« Le Vietnam s'engage à contribuer avec le maximum de ses
possibilités en hommes, en ressources, en moyens à maintenir ses
forces de défenses propres et celles du monde libre. »
Le 22 avril 1955, une note du chargé d'affaires américain à Saïgon
venait préciser :
« Le chef de la M.A.A.G. assumera désormais toutes les respon-
sabilités de l'organisation et de l'instruction de l'armée
sud-viet- namienne. »
Comme en Corée du Sud, l'objectif N° 1 de la politique américaine
au Sud-Vietnam était de créer une armée puissan- te, d'installer
une base militaire équipée des moyens les plus modernes. Sous
prétexte de récupérer du matériel de guerre donné aux troupes
françaises en Indochine (comme si les Etats- Unis avaient besoin de
récupérer du vieux matériel) une nou- velle mission militaire, la
T.E.R.M. (Temporary Equipment
Recovery Mission) vint au début de 1956 renforcer la M.A.A.G.
L'impatience des Etats-Unis à créer une armée sud-vietna- mienne
puissante se manifestait sans ambage, dans l'attitude des
représentants américains.
« Quand le général O'Daniel présidait à l'entraînement de l'ar- mée
vietnamienne, il lui arrivait pour imposer ses vues à des alliés
circonspects, de frapper du poing, sur la table en s'écriant : qui
est-ce qui paie ? Les officiers vietnamiens demandaient une sus-
pension de séance pour délibérer, puis revenaient annoncer leur
acceptation.
Le député travailliste anglais William Warbey détaillera ainsi la
présence américaine après un voyage d'étude au Viet- nam :
« Le principal objectif de cette aide (américaine) est de conso-
lider l'autorité de Diem en lui fournissant des forces armées bien
équipées et des unités mobiles de police militaire. L'aide
militaire américaine s'est élevée en 1955 à 234.800.000 de dollars,
en 1956 à 102.200.000 dollars, et s'élèvera en 1957 à environ 200
millions de dollars. Environ 2.000 officiers de l'armée américaine
se trou- vent maintenant au Vietnam du Sud sous le manteau d'une
demi- douzaine d'organisations différentes : M.A.A.G., T.R.I.M.
(Mission d'inspection et de réorganisation de l'entraînement),
C.A.T.O. (or- ganisation d'entraînement des groupes de combat),
T.E.R.M... Le T.E.R.M. à lui seul a fait venir en juin 1956 400
officiers dont 80 de rang supérieur, au mépris des protestations de
la Commission de contrôle internationale. Malgré son nom, le
T.E.R.M. existe en- core. Il est fort utile aux Américains qui se
débarrassent ainsi du matériel hors d'usage utilisé pendant la
guerre d'Indochine et le remplacent par du matériel moderne. C'est
pour eux un moyen d'échapper aux clauses de l'accord de Genève qui
interdit l'impor- tation de matériel de guerre, sauf pour remplacer
l'ancien.
L'armée de Diem compte maintenant 150.000 hommes bien équi- pés et
bien entraînés du haut jusqu'en bas par les officiers amé- ricains.
La police militaire qui compte 45.000 hommes reçoit d'ins-
tructeurs américains une formation de combat et parcourt le pays en
camions, armés de carabines, de mitraillettes et de casques d'acier
de l'armée américaine. Comme les Américains ont refait toutes les
grandes routes, il lui est facile de se déplacer rapide- ment. Les
voies ferrées, par contre, ne présentant aucune utilité militaire
n'ont pas été remises en état. »
11 Le Monde, 4 janvier 1957. 12 France-Observateur, 8 août
1957.
Ni les officiels américains, ni le gouvernement Diem ne s'étaient
cachés pour mener à bien la mise sur pied de cet im- posant
appareil militaire. Dès le 13 février 1955, alors que son pouvoir
était encore mal assis, Diem déclarait dans une con- férence de
presse :
« Le problème de l'organisation et de l'entraînement de l'armée
nationale vietnamienne par la mission militaire américaine a fait
l'objet de nombreuses discussions, avant même la cessation des
hostilités en Indochine. Un programme présenté par le gouverne-
ment vietnamien a été adopté par tous les pays intéressés, et entre
en application à partir d'aujourd'hui. »
Dans le bulletin d'information du State Department du 11 juin 1956,
nous lisons la déclaration suivante de W. Robert- son,
sous-secrétaire d'Etat, responsable des questions d'Extrê-
me-Orient, faite à la Conférence des « Amis américains du Vietnam »
du 1-6-1956 :
« Nos premiers efforts visent à aider le Vietnam à maintenir des
forces de sécurité comprenant une armée régulière de 150.000
hommes, une garde civile mobile de 45.000 hommes et des unités
locales de lutte contre la subversion dans les villages. Nous som-
mes en train de fournir à ces forces de l'argent et des équipements
et nous avons la mission d'entraîner l'armée vietnamienne. Nous
aidons aussi à organiser, entraîner et équiper la police vietna-
mienne. »
Précisons que c'est le chef des services de police de New York qui
avait été invité à former les policiers du Sud-Viet- nam. L'armée
de Baodaï ne comprenait que des bataillons des- tinés à couvrir des
tâches secondaires ; il s'agissait de former des divisions aptes à
de grandes opérations. Le 22 mars 1955, le général O'Daniel
révélait aux journalistes :
« Ce qu'il faut maintenant, et c'est ce qui est le plus difficile,
c'est former de grandes unités à partir de l'échelon du bataillon.
Beaucoup de ces unités se sont bien battues en tant que bataillons
séparés. Or il faut arriver à présent à l'unité type, c'est-à-dire
à la division, car seule la division répond aux impératifs de la
straté- gie moderne, qu'il s'agisse de combats en masse, ou en
bataillons dispersés. »
Plusieurs centaines d'officiers sud-vietnamiens avaient été
13 Vie tnam presse, agence gouve rnemen ta l e d u Sud-Vietnam,
23-3-1955.
Couverture
1 - Les États-Unis au Vietnam