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Le Sud-Viêtnam depuis Dien-Bien-Phu

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Le Sud-Viêtnam depuis Dien-Bien-Phule sud-vietnam depuis dien-bien-phu
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tion algérienne. G. Boffa Les étapes de la Révolution russe.
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A. L. Morton et G. Tate Histoire du mouvement ouvrier anglais. P. Kessel et G. Pirelli Le peuple algérien et la guerre.
P. Anderson Le Portugal et la fin de l'ultra-colonialisme.
Fidel Castro Cuba et la crise des Caraïbes.
D. Dolci Gaspillage (à paraître). Alvarez del Vayo Le dernier optimiste (mémoires) (à paraître).
nguyen kien
le sud-vietnam depuis dien-bien-phu
F R A N Ç O I S M A S P E R O 21, rue du Cardinal-Lemoine-V
PARIS 1963
Il a été tiré de ce volume le trente-quatrième de la collection « Cahiers Libres »
200 exemplaires réservés aux abonnés et marqués « exemplaire d'abonné ».
© 1963, F r a n ç o i s M a s p e r o é d i t e u r . T o u s d r o i t s d e r e p r o d u c t i o n e t d e t r a d u c t i o n s t r i c t e m e n t r é s e r v é s p o u r t o u s p a y s .
« Notre tâche est de démontrer au monde entier que l'aspira- tion insatisfaite de l'homme au progrès économique et à la justice sociale a une meilleure chance d'être accomplie par des hommes libres travaillant dans le cadre d'institutions démocratiques. »
John KENNEDY.
cité par André Maurois, Histoire parallèle, p. 365.
Ce livre a été écrit avec la collaboration
de MM. LE NAM et NGUYEN KHAC VIEN
I n t r o d u c t i o n
Le 23 septembre 1945, sous la protection des troupes an- glaises, les Français déclenchèrent à Saïgon une attaque armée contre le pouvoir révolutionnaire récemment installé. La guerre d'Indochine commençait.
Le 7 mai 1954, à Dien Bien Phu, le général de Castries était fait prisonnier par l'Armée populaire vietnamienne, après une bataille de 55 jours où le Corps expéditionnaire français avait perdu 16.000 hommes, la plupart appartenant aux unités d'éli- te de l'armée française.
Le 20 juillet 1954, les accords d'armistice furent signés à Genève, aux termes desquels la France reconnaît l'indépen- dance, la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'unité du Vietnam. Pour permettre le regroupement des troupes des deux parties, le Vietnam fut divisé provisoirement en deux zones, Nord et Sud, séparées par le cours de la rivière Bênhai qui suit le tracé du 17 parallèle. La zone Nord fut confiée à l'administration du gouvernement de la République Démocra- tique du Vietnam (R.D.V.) tandis que le commandement fran- çais avait la responsabilité de l'application des accords de Ge- nève dans la zone Sud. Des élections générales devaient au plus tard en juillet 1956, donner au Vietnam un gouvernement unifié.
Dans la zone Nord, l' application de ces accords ne posaient pas de problème : le gouvernement de la R.D.V., sûr de la confiance du peuple vietnamien, a constamment cherché à fa- ciliter l'exécution de ces accords pour aboutir aux élections gé- nérales et hâter la réunification du pays.
Mais, si les accords étaient signés entre la France et le gouvernement de la R.D.V., un troisième partenaire allait in- tervenir d 'une façon décisive sur les événements dans le Sud. A vrai dire, depuis 1950, les États-Unis étaient déjà dans la place, contr ibuant pour une grande par t aux dépenses de la guerre d'Indochine, et c'était contre leur gré que l'armistice a été signé. N'ayant pu empêcher la signature de l'armistice, les États-Unis allaient employer toute leur puissance à rendre impossible l 'application des accords signés.
Le 7 juil let 1954, l 'ancien mandar in catholique Ngô-dinh- Diêm (que nous appellerons D i ê m à la manière vietnamienne) rentré d 'Amérique prenai t en main la direction du gouverne- ment Baodaï, él iminant Buulôc, protégé des Français.
Le 8 septembre 1954, cinquante jours après le paraphe des accords de Genève, la France signa avec les États-Unis et l'An- gleterre le traité du Sud-Est asiatique (OTASE), réplique extrê- me-orientale de l 'OTAN.
La France passa les clefs du Sud-Vietnam aux États-Unis ; à peine signés, les accords de Genève furent reniés. Ainsi, na- quit l 'État du Sud-Vietnam dont l'histoire ultérieure sera mar- quée irrémédiablement pa r tous ces facteurs qui présidèrent à sa naissance : le renoncement. de la France, la volonté des États-Unis de faire obstacle au mouvement révolutionnaire vietnamien, le regroupement des féodaux vietnamiens en zone Sud.
S'étendant du 1 7 parallèle à la pointe de Camau, le Sud- Vietnam comporte une superficie de 170.000 k m , avec envi- ron 14 millions d 'habi tants (contre 160.000 k m et 16 millions d 'habi tants pou r le N o r d ) .
1 P r o n o n c e r Ziêm. 2 Les services officiels d o n n e n t les chiffres suivants p o u r la popu la t i on
en 1960 : Nambô 63 % 8.760.933 Plaines du Centre 31 % 4.329.716 Hauts-Plateaux . . . . . . . . . . . . . 6 % 604.823
13.695.472 La précision des chiffres ne doit pas faire illusion. Aucun recense-
ment véritaole n'a été fait, pour la bonne raison que le gouvernement n'a jamais contrôlé la totalité des campagnes qui comptent 85 % de la population.
Géographiquement, on peut y distinguer trois régions prin- cipales :
1. — Le Nambô (Cochinchine) comprend essentiellement le delta du Mékong, accessoirement celui d u Dôngnai ; terre de rizières vastes et fertiles, il était le grenier à riz d u Vietnam. Rien que le delta du Mékong compte 2.300.000 hectares culti- vés, et le pays exportai t un million et demi de tonnes de riz par an.
2. — De la rivière Bênha i jusqu 'au Nambô, le long de la côte, s 'échelonne un chapelet de petites plaines, encastrées entre la mer et les montagnes, plaines peuplées, mais pauvres ; ici l 'économie et le peuplement rappellent les conditions du Nord. C'est le Trungbô (anciennement Annam) dans sa par t ie centrale et méridionale. On compte environ 300.000 hectares de terre cultivés.
3. — Les Hauts-Plateaux constituent une vaste région s 'étendant de la vallée du Dôngnai au Sud jusqu 'au 1 7 paral- lèle au Nord, et sont formés dans leur plus grande par t ie pa r des plateaux d 'une al t i tude de 700 à 800 mètres, faits de terres rouges, provenant de la décomposition des basaltes, très ferti- les, merveilleusement aptes à por te r des cultures industrielles : caoutchouc, thé, café... D'immenses étendues restent encore à défricher.
Sur les 14 millions d 'habi tants d u Sud-Vietnam, il faut compter environ 400.000 Khmers (ou Cambodgiens) qui vivent surtout dans les provinces de l 'Ouest du Nambô, 700.000 Chi- nois groupés essentiellement dans la ville de Cholon, et plus de 600.000 habitants composant les groupes ethniques variés vi- vant sur les Hauts-Plateaux. On les désignait communément sous le nom de Moï ; nous n 'emploierons pas ce terme qui est péjoratif en vietnamien, et nous utiliserons les mots « habi- tants » ou « groupes ethniques » des Hauts-Plateaux.
On peut dès l 'abord, r emarquer que le Sud-Vietnam, à la différence de la p lupar t des pays sous-développés, est un pays riche en produits agricoles, dont la product ion al imentaire était largement excédentaire. II n ' aura pas à connaître les difficultés extrêmes de ravitail lement du Nord-Vietnam ; en lui fournis- sant leur aide, les États-Unis auraient pu facilement faire dé- marrer son industrialisation, et transformer le Sud-Vietnam en une véritable « vitrine », un pôle d 'a t t ract ion pour les autres pays du Sud-Est asiatique. L'histoire en a décidé autrement.
Nous nous proposons de retracer l'histoire du Sud-Vietnam de 1954 à 1963, une histoire très chargée, tant il est vrai que les régimes en crise att irent plus l 'attention des historiens et jour- nalistes que les pays tranquilles. Trois étapes peuvent être discernées dans cette brève période de hui t ans :
1. — du 21 juil let 1954 au 28 avril 1956, les troupes fran- çaises stationnaient encore au Sud-Vietnam. Pendant que le gouvernement des États-Unis obtenait de la France qu'elle re- nonçât à ce pays pour leur en confier la direction, le gouver- nement Diem éliminait progressivement, au besoin par les armes, tous les groupes pro-français. La machine militaire amé- ricaine et les rouages du gouvernement Diem furent mis en place.
2. — Après le dépar t des troupes françaises, les États-Unis restèrent seuls maîtres à bord ; le gouvernement Diem refusa de faire tenir les élections générales prévues par les accords d'armistice. L'application de ces accords fut rendue impossi- ble, à la fois pa r la volonté américaine, et par la démission d'un des principaux partenaires chargés de les appliquer, la France qui p r i t soin de ret i rer ses troupes avant la date de juillet 1956.
Ce fut alors la « belle époque » du gouvernement Diem qui put donner libre cours à ses projets, sous la direction des con- seillers américains. Le Sud-Vietnam devint la propriété fami- liale de Diem, et selon l'expression de Diem lui-même, les fron- tières des États-Unis s 'étendirent jusqu 'au 1 7 parallèle. La « belle époque » devait durer jusqu'à la fin de 1960, marquée par la naissance du Front National de Libération.
3. — Car le peuple vietnamien ne tarda pas à réagir ; et plus le régime se sentait impopulaire, plus il aggravait les mesures de répression, provoquant en retour l'intensification des luttes populaires.
Le 11 novembre 1960, des militaires tentèrent un coup d'État, essayant de renverser Diem, faisant la preuve que le régime craquait de toutes parts. Après cette date, le gouver- nement Diem n'est plus qu 'une ombre ; seule reste la domina- t ion américaine, qui se transforme progressivement en une véri- table intervention armée. Une guerre non déclarée, selon l'expression du New-York Times, s'instaure dans le Sud-Viet- nam, officialisée d'ailleurs par le gouvernement Kennedy qui crée le 8 février 1962 un commandement militaire américain à Saïgon.
De son côté, le peuple vietnamien, placé devant des me-
naces d'extermination, commence à prendre des mesures d'auto- défense : la lutte armée vient se combiner à la lutte politique, et le 20 décembre 1960, le Front National de Libération du Sud- Vietnam voit le jour. Cette guerre non déclarée dure encore.
L'étude des événements depuis 1954 nous permettra de nous faire une idée sur l'issue probable de la situation dangereuse qui est celle du Sud-Vietnam à l'heure actuelle. Le Sud-Viet- nam est aujourd'hui l'une des régions névralgiques du monde, où l'affrontement Est-Ouest, les conflits provoqués par le mou- vement de libération nationale et sociale prennent les aspects les plus dramatiques, et risquent de mettre en jeu la paix mondiale.
L'étude d'une question aussi actuelle, aussi brûlante n'est guère facile. La documentation en est éparpillée et se trouve davantage dans les journaux quotidiens que dans les livres. Avec l'aide des éléments que nous avons pu rassembler dans les publications vietnamiennes, françaises et américaines, nous avons essayé de poser quelques jalons, pour tenter d'éclairer ceux qui s'interrogent sur l'avenir de ce pays.
Comme ce pays est le nôtre, que le lecteur ne s'étonne pas si les lignes qui suivent sont parfois teintées de quelque passion. Nous avons essayé de nous effacer le plus possible devant les documents, mais il est naturel que le cœur d'un homme fré- misse quand il doit raconter les malheurs qui s'abattent sur son pays, ou quand il relate les exploits héroïques de ses com- patriotes. L'objectivité historique n'a rien à voir avec l'indiffé- rence devant le malheur des hommes.
Paris, mars 1963.
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L e s É t a t s - U n i s a u V i e t n a m
C o m m e la n a t u r e , les É t a t s - U n i s n ' a i m e n t p a s le v ide . E n 1945, l a s e c o n d e g u e r r e m o n d i a l e t e r m i n é e , l ' e x u b é r a n t e puis- s ance des É t a t s - U n i s s ' e m p l o y a i t à c o l m a t e r t o u t e s les b r è c h e s laissées b é a n t e s p a r l ' e f f o n d r e m e n t des a n c i e n n e s p u i s s a n c e s co lon ia les . D a n s le P a c i f i q u e , i l s é t a i e n t d é j à s o l i d e m e n t ins- ta l lés a u x P h i l i p p i n e s , d i s p o s a i e n t d e l a p u i s s a n c e i n d u s t r i e l l e d u J a p o n e t d e son t e r r i t o i r e , c o m m e d e n o m b r e u s e s a u t r e s bases d i spe r sées d a n s l e g r a n d o c é a n ; l a H o l l a n d e , l a F r a n c e , l a G r a n d e - B r e t a g n e a v a i e n t p e r d u p i e d . R e s t a i t l e c o n t i n e n t a s i a t i que . Le g é n é r a l M a r s h a l l f u t d é p ê c h é e n C h i n e , l a puis- s a n t e a r m é e d e T c h a n g K a ï C h e k f u t é q u i p é e j u s q u ' a u x d e n t s , sans r e g a r d e r à l a d é p e n s e : q u e s i gn i f i a i en t q u e l q u e s m i l l i a r d s de d o l l a r s p a r r a p p o r t à l ' i m m e n s i t é c h i n o i s e ?
E n I n d o c h i n e , l ' a c t i v i t é des a g e n t s a m é r i c a i n s i n q u i é t a i t p r o f o n d é m e n t les r e s p o n s a b l e s f r a n ç a i s . « Les p r e m i e r s émis - sa i res d u p lu s g r a n d p a r m i les G r a n d s n ' a v a i e n t p o i n t f a i t m y s t è r e de ce q u ' i l s c o n s i d é r a i e n t n o t r e d é p a r t c o m m e déf ini- tif. . . Les A n g l o - S a x o n s p a r a i s s e n t b i e n d a n s les p e r s p e c t i v e s locales a v o i r r a y é la F r a n c e d e l a c a r t e d e l 'Asie , d u m o i n s e n t a n t q u e p u i s s a n c e co lon ia l e . »
Mai s u n e s u r p r i s e a l l a i t a t t e n d r e les émissa i r e s de W a s h i n g -
1 Paul Mus : Le Vietnam, sociologie d'une guerre, p. 34. Lire aussi Sainteny, Histoire d'une paix manquée.
ton au Vietnam. Le Vietminh avait, pendant toute la durée de l'occupation japonaise, gardé des liaisons avec les services américains, porté aide et secours aux officiers américains para- chutés derrière les lignes japonaises. Voici qu'ayant conquis le pouvoir, avec à peine un million de piastres en caisse, dans un pays dont deux millions d'habitants étaient morts de fa- mine, un pays occupé au Nord par les troupes de Tchang Kaï Chek, au Sud par les troupes anglaises, ce même Vietminh refuse les propositions d'aide américaine, préfère traiter avec la France, l'ancienne puissance coloniale.
C'est ainsi qu'avait commencé la guerre d'Indochine : de 1945 à 1950, les États-Unis devaient se contenter de tramer derrière la coulisse des intrigues sans efficacité : l'ambassadeur américain William Bullit eut en 1947 des entretiens avec Bao- daï qui n'eurent pas de suites immédiates. La France croyait encore pouvoir régler seule l'affaire indochinoise comme une guerre coloniale du XIX siècle.
Cependant la Résistance vietnamienne grandissait de jour en jour, et en octobre 1950, le corps expéditionnaire français subit à Caobang une défaite retentissante. En même temps, à Pékin s'installait le gouvernement populaire de la Chine ; la frontière nord du Vietnam s'ouvrait largement sur le camp socialiste. Les 19 octobre et 22 novembre 1950, devant l'Assem- blée nationale française, le député radical Men dès-France expo- sait clairement le choix qui s'offrait à la France :
« Il n'y a que deux solutions. La première consiste à réaliser nos oojectifs en Indochine par le moyen de la force militaire... La solution militaire c'est un effort massif nouveau, suffisamment massif, suffisamment rapide pour devancer le développement déjà considérable des forces qui nous sont opposées... L'autre solution consiste à rechercher un accord politique, un accord évidemment avec ceux qui nous combattent... Il faut choisir. Hors la solution militaire, il n'est qu'une possibilité, la négociation... »
(Débats parlementaires 1950).
Le gouvernement français choisit une troisième voie : l'in- ternationalisation du conflit. La France continuera à combattre en Indochine, mais non plus pour des objectifs propres ; com- me l'armée américaine engagée dès juin 1950 en Corée, le Corps expéditionnaire français combattait au nom du monde
libre, visant à at teindre indirectement la révolution chinoise. En Corée, les États-Unis avaient engagé toute leur puissance mili taire : leurs pertes avaient dépassé toutes celles qu'ils avaient subies au cours de la deuxième guerre mondiale sur tous les champs de bataille réunis. La résistance coréenne et l 'armée révolutionnaire chinoise s'étaient montrées plus vigou- reuses que prévu. L'accord mil i taire sino-soviétique de février 1950 rendait impossible toute at taque directe du « sanctuaire » chinois. La guerre de Corée avait, certes, re tardé l 'édification de l 'économie chinoise, mais les puissances occidentales n'avaient pas réussi à remettre Tchang Kaï Chek au pouvoir. La Corée du Sud restait cependant une base américaine, dotée d'une armée de plus de 600.000 hommes, r ichement équipée, et le dictateur Syngmann Rhee menaçait à chaque moment de reprendre la « Marche vers le Nord ».
Au Vietnam, il fallait à tout prix teni r u n bastion sur le flanc sud de la Chine pour le compte de l 'Occident ; les crédits américains étaient donc largement dispensés au corps expé- dit ionnaire français. Une mission mil i taire américaine, la M.A.A.G. (Military Aid and Advisory Group) vint s 'installer à Saïgon. Cependant, en prodigant ses dollars, le gouverne- ment américain entendai t aussi imposer ses vues. La doctrine américaine était déjà au point. Les États-Unis ne cessaient de reprocher aux Français l eur colonialisme périmé, leur entête- ment à ne pas vouloir confier le pouvoir à des « nationalistes authentiques », à se contenter d 'hommes de paille ; si les com- munistes étaient arrivés à mobiliser le peuple vietnamien con- tre l 'Occident, disaient-ils, c'était essentiellement la faute aux gouvernants français. I l fallait continuer la guerre avec vigueur, mais en même temps créer une armée « nationale », u n gou- vernement « national », faire combattre la résistance vietna- mienne par des Vietnamiens, auxquels on aura insufflé un anti-communisme mil i tant et accordé toute l 'aide financière et matérielle nécessaire. Les Français, d'accord sur l 'objectif final, ne tenaient pas pour autant à céder la place ; en vain le gouvernement américain essayait-il, dès 1949, de placer Ngo dinh Diem comme premier ministre de Baodaï. De son côté la Résistance vietnamienne s'était montrée plus coriace que prévu, et l 'aide américaine, qui se renforçait d 'année en année, n 'avait pas permis au corps expéditionnaire français de re- prendre l 'initiative.
La presse française faisait état pour les dernières années de la guerre des chiffres suivants .
AIDE AMÉRICAINE ARGENT MATÉRIEL
1952 110 milliards de francs 86 milliards 1953 150 milliards de francs 119 milliards
1954 275 milliards de francs 200 milliards
A Washington le vice-président Nixon, l'amiral Radford, les généraux Ridgway, Twining, et le bouillant secrétaire d'État Foster Dulles n'exigeaient rien moins que l'écrasement de la Résistance vietnamienne, et l'installation sur tout le Vietnam d'un gouvernement nationaliste, qui scellerait le destin de son pays au « monde libre ». Les États-Unis avaient déjà signé une série de pactes qui les autorisaient à disposer de toute une chaîne de bases militaires en Asie et dans le Pacifique : pacte de l'A.N.Z.U.S. avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande en sep- tembre 1951, avec les Philippines en août de la même année, pactes militaires avec le Japon en septembre 1951 et en mars 1954, avec la Corée du Sud en août 1953, pacte avec le Pakis- tan en mai 1954. Le 22 janvier 1952, devant le Congrès, Foster Dulles développait l'idée d'un pacte général pour le Pacifique. Le 7 janvier 1953, dans son message au Congrès, le président Truman disait :
« Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas simplement d'une force armée centrale qui puisse rejeter toute agression. Nous avons également besoin d'une force armée disposée tout au long des limites extérieures du monde libre, d'un système de défense aussi bien pour nos alliés que pour nous-mêmes. »
Commentant le programme d'aide à l'Indochine, le 6-5-1953 Foster Dulles déclarait :
« La situation internationale est critique. Tout le Sud-est asia- tique court un grand péril et si l'Indochine est perdue, il y aurait
France-soir, 22-4-1954.
une réaction en chaîne dans tout l'Extrême-Orient et tout le sud- est asiatique. »
En avril 1954, Foster Dulles écrivait dans la revue Foreign Affairs:
« Le système de base du monde libre fait partie intégrante de sa sécurité collective. »
L'armistice de juillet 1953 en Corée rendait encore plus nécessaire aux yeux du gouvernement américain l'obligation de conserver l'Indochine entière dans le système dit défensif du monde occidental.
En France, le clan jusqu'au-boutiste, personnifié par Bi- dault, soutenu par le M.R.P. et l'extrême-droite, était au pou- voir et adoptait entièrement les vues américaines. Le 29 no- vembre 1953, l'hebdomadaire suédois Expressen publie une in- terview retentissante de Ho Chi Minh qui déclare :
« ...Si ayant tiré les leçons de ces années de guerre, le gou- vernement désire conclure un armistice et résoudre la question du Vietnam par des négociations, le peuple et le gouvernement de la République Démocratique du Vietnam sont prêts à exami- ner les propositions françaises... La négociation d'un armistice con- cerne essentiellement le gouvernement de la France et celui du Vietnam. »
Au correspondant de l'hebdomadaire suédois, un porte-pa- role du quai d'Orsay avait répondu qu'on « ne faisait pas de politique avec des petites annonces », et jusqu'au mois de mars 1954, Bidault, recevant le député socialiste Savary qui se proposait de prendre contact avec Ho Chi Minh, lui disait :
« Ho Chi Minh est sur le point de capituler, nous allons le battre. Ne le renforcez pas par un contact de ce genre. »
Le gouvernement Laniel-Bidault avait sa solution indochi- noise en préparation : le nouveau commandant en chef, le gé- néral Navarre, avait été présenter à Washington un plan de « pacification » qui devait venir à bout de la résistance viet- namienne en 18 mois. Les États-Unis, accordèrent en septembre 1953, 385 millions de dollars pour l'équipement des armées de Baodaï. Fin septembre, le général Navarre lançait l'opéra-
3 Lacouture et Devillers, La fin d'une guerre, p. 47.
tion Mouette au Sud du delta du Tonkin, en direction de Thanh Hoa. Le 20 novembre, six bataillons de parachutistes occupèrent la cuvette de Dien Bien Phu, à 300 km au Nord- Ouest de Hanoï : c'était l'opération Castor. Le 20 janvier 1954, un débarquement à Tuy-Hoa dans le Centre-Vietnam donnait le signal de l'opération Atlante qui devait, dans l'esprit du commandement français, pacifier toute la région au sud du 18e parallèle. Avec l'aide américaine, les effectifs de l'armée de Baodaï furent portés le 1 janvier 1954 à 210.000 hommes ; et les projets franco-américains assignaient à cette armée un chiffre de 400.000 hommes pour le 1 janvier 1956.
Cependant l'armée populaire vietnamienne allait se mon- trer plus combative, plus efficiente que ne l'avait prévu le plan Navarre. Les opérations Mouette et Atlante se soldèrent par des échecs, et la guerilla, particulièrement dans le delta du Tonkin, prit les dimensions d'une guerre véritable. L'Armée populaire vietnamienne contre-attaquait au Laos, sur les Hauts- plateaux du Centre-Vietnam ; Dien Bien Phu qui devait être une position où les parachutistes et légionnaires pourraient enfin « casser du Viet », devint une souricière pour les meilleu- res uniltés du Corps expéditionnaire français.
Pour sauver le Corps expéditionnaire français en difficulté, le gouvernement français envoya le 20 mars le général Ely à Washington : il reçut de l'amiral Radford, chef de l'État-major américain, l'assurance que les Etats-Unis apporteraient leur aide militaire directe à la France. Le président du Conseil Laniel demanda le 4 avril au gouvernement américain de faire intervenir l'aviation américaine d'une façon massive pour essayer de sauver Dien Bien Phu .
Déjà le 29 mars, dans un discours prononcé à l'Oversea Press Club Foster Dulles avait essayé de préparer l'opinion américaine à une intervention directe en Indochine.
« L'extension au Sud-est asiatique, disait-il, par quelque moyen que ce soit du système politique de la Russie communiste et de son allié chinois, présenterait un grave danger pour toute la Com- munauté libre. Les Etats-Unis estiment que la possibilité d'une telle extension ne doit pas être acceptée passivement, mais qu'il convient de lui faire face au moyen d'une action unifiée. Cela peut comporter des risques graves. Mais ces risques seraient pour-
4 André Laniel, Le drame indochinois, p. 85.
tant bien moins graves que ceux auxquels nous aurions à faire face d'ici quelques années si nous n'osions pas nous montrer ré. solus aujourd'hui. »
L'opinion américaine n'avait pas réagi dans le sens des dé- sirs du Secrétaire d'Etat ; l'expérience de la guerre de Corée était encore trop cuisante. Les leaders du Congrès exigèrent pour intervenir le concours de la Grande-Bretagne. Cepen- dant, l'Etat-major américain pensait pouvoir forcer la main aux gouvernements ; dès le début d'avril, deux porte-avions de la 7e flotte, le Boxer et le Philippine Sea avaient pris posi- tion dans le golfe du Tonkin, transportant les chasseurs desti- nés à escorter les bombardiers lourds qui devaient décoller de Manille. Le 14 avril, le général Partridge, commandant les for- ces aériennes en Extrême-Orient arrivait à Saïgon. Le 16 avril, Nixon, vice-président des Etats-Unis, déclarait ouvertement à la presse que le gouvernement américain devait, si besoin était, envoyer des troupes en Indochine. Le 24 avril, deux jours avant l'ouverture de la conférence de Genève, Bidault écrivait encore à Foster Dulles pour réclamer une intervention amé- ricaine, estimant que les concentrations de l'Armée populaire vietnamienne autour de Dien Bien Phu seraient l'occasion pour l'aviation américaine de lui porter un coup décisif. Washing- ton et Paris attendaient toujours la réponse de Londres ; celle- ci fut négative. La Grande-Bretagne était trop liée à ses mem- bres asiatiques du Commonwealth, l'Inde en particulier, pour savoir que jamais l'opinion asiatique n'admettrait l'interven- tion directe des forces anglaises en Indochine. Le 26 avril, les Etats-Unis tentent une dernière manœuvre, en essayant de mettre en branle l'A.N.Z.U.S., mais les membres du Congrès, à cause du refus anglais, se montrent hostiles. L'intervention américaine en Indochine fut ainsi évitée de justesse, mais, com- me le dira plus tard Foster Dulles, le monde était « au bord du gouffre ». Une troisième guerre mondiale avait failli éclater.
Ne pouvant faire intervenir les troupes américaines au Viet- nam, le gouvernement américain allait s'attacher à faire obsta- cle aux négociations d 'armistice : une prolongation de la guerre permettrait de trouver une autre occasion pour faire entrer en jeu la machine militaire américaine. Cependant, 10 jours après l'ouverture de la conférence de Genève, le 7 mai 1954,
Dien Bien Phu tombait : la plus grande bataille de l'histoire coloniale s'était terminée à l'avantage de la résistance vietna- mienne. Le Corps expéditionnaire français avait perdu à Dien Bien Phu 16.000 hommes, appartenant la plupart à des unités d'élite : parachutistes, légionnaires, tabors.
Les conséquences de Dien Bien Phu allaient se développer à la fois sur le plan militaire et sur le plan politique. Le moral du corps expéditionnaire français, et plus particulièrement de l'armée de Baodaï, en était profondément affecté. Le 24 juin, le poste d'Ankhê tombait, et toute la région des Hauts-pla- teaux du Centre était libérée. Le 1 juillet, les troupes fran- çaises évacuaient les provinces de Namdinh, Thaibinh, Phuly, Ninhbinh, comprenant les deux évêchés catholiques de Phat- Diem et Buichu, dans le Sud du delta du Fleuve rouge, région comptant deux millions et demi d'habitants. Cependant, si la dégradation de la situation militaire était rapide, il ne fallait pas en conclure que Dien Bien Phu avait porté un coup mor- tel au corps expéditionnaire français qui comptait encore 500.000 hommes, et dont les moyens matériels, en aviation, blindés, artillerie, transports dépassaient de beaucoup ceux de l'armée populaire vietnamienne. Certes, l'armée française ne pouvait plus envisager de battre la résistance vietnamienne, mais un plan de rétraction des fronts était prévu, en cas de prolongation des hostilités. Dans le Nord, seul l'axe Hanoï- Haïphong serait tenu ; au Sud de la barrière montagneuse du 18e parallèle, toutes les forces françaises seraient regroupées qui tiendraient entièrement le Sud, en attendant que l'inter- vention des forces américaines donnât à nouveau la possibilité de mener une offensive contre le Nord, cette fois en coopéra- tion avec les troupes américaines. L'appareil militaire fran- çais était bel et bien entamé, mais les forces populaires viet- namiennes n'étaient pas non plus en mesure de libérer rapi- dement la totalité du pays, et la menace d'une intervention américaine provisoirement écartée subsistait toujours.
A Genève, Bidault et Foster Dulles s'efforçaient de faire échouer la conférence. Bidault ne voulait pas entendre parler de conditions politiques : il ne voulait pas reconnaître l'indé- pendance du Vietnam autrement que par le truchement du gouvernement Baodaï. Nguyen quoc Dinh, représentant de
5 Général Navarre, Agonie de l'Indochine, p. 274.
Baodaï, proposait tout simplement d'intégrer les forces de la résistance dans l'armée baodaïste, sous une seule autorité po- litique : le gouvernement Baodaï. Ainsi les forces populaires auraient combattu pendant neuf années, remporté la victoire de Dien Bien Phu, uniquement pour légitimer l'autorité du gouvernement Baodaï.
Cependant Dien Bien Phu avait eu des conséquences po- litiques d'une importance considérable : le mouvement pour la paix dans le monde, et surtout en France, avait pris une grande ampleur. Le 12 juin le gouvernement Laniel-Bidault tombait ; le 18 juin, Mendès-France était investi par 419 voix contre 47, et 143 abstentions. Cette majorité massive témoi- gnait de l'ampleur du mouvement d'opinion en France.
La situation politique et militaire, en ce mois de juillet 1954, se présentait sous les traits suivants. En cas de prolon- gation des hostilités, les troupes françaises auraient été proba- blement amenées à évacuer tout le Nord du 18e parallèle ; dans le Sud, au Cambodge, au Laos la guérilla aurait conti- nué, mais sans pouvoir donner une conclusion militaire ra- pide. Le gouvernement Mendès-France aurait été renversé. Qu'aurait fait le gouvernement qui lui aurait succédé ? Les for- ces de gauche auraient-elles été suffisantes pour empêcher la droite de solliciter une intervention massive des forces améri- caines et de mettre le monde entier devant le fait accompli ?
Du côté vietnamien, après la victoire de Dien Bien Phu, les dirigeants avaient une conscience très claire du danger amé- ricain ; les négociations avaient pour but d'arracher à la Fran- ce la reconnaissance de l'indépendance ; mais, en même temps, la délégation vietnamienne à Genève s'efforçait, en faisant des concessions à la France, d'obtenir un armistice, afin d'éviter l'entrée en guerre des Etats-Unis et la transformation du Viet- nam tout entier en un champ de bataille gigantesque. Le 10 mai, trois jours après la chute de Dien Bien Phu, Pham van Dong à Genève faisait trois propositions :
— la France reconnaîtra l'indépendance, l'unité, l'intégrité territoriale du Vietnam,
— le Vietnam respectera les intérêts économiques et cul- turels de la France,
— le Vietnam étudiera l'éventualité d'une adhésion à l'Union française.
La modération de ces revendications après une victoire mi-
litaire éclatante avait étonné maints observateurs, et contras- tait avec l'intransigeance de Bidault. L'opinion française n'avait pas été sans la remarquer : Bidault était condamné. On ne pouvait plus dissocier les problèmes militaires des problè- mes politiques. Certes le rapport des forces sur le plan mili- taire, la menace d'un conflit généralisé n'avaient pas permis à la Résistance vietnamienne de conquérir la totalité de ses ob- jectifs. Mais le gouvernement français dut concéder :
— Sur le plan concret, la remise de la zone située au Nord du 17 parallèle à l'administration de la République démocra- tique du Vietnam.
— Sur le plan des principes, la reconnaissance de l'indé- pendance, de l'unité et de l'intégrité territoriale du Vietnam ; principes qui devront se traduire par la tenue des élections gé- nérales qui donneront au pays un gouvernement unifié, au plus tard le 20 juillet 1956.
L'indépendance nationale était donc devenue effective sur la moitié Nord du Vietnam ; le Cambodge et le Laos accédè- rent également à l'indépendance définitive. Chose non moins importante, un conflit généralisé avait été écarté. Pour la pre- mière fois depuis longtemps, une question brûlante avait pu être résolue entre l'Est et l'Ouest par voie de négociation. A la différence de l'affaire coréenne, les négociations avaient abouti à un accord non seulement militaire mais politique. Le Vietnam dans sa partie Nord, allait pouvoir se consacrer à un travail constructeur, évoluer vers le socialisme. La Chine, bé- néficiant de la paix, allait également faire effectuer des pro- grès rapides à son économie et se consolider définitivement comme un Etat socialiste puissant. Les Accords de Genève du 20 juillet 1954 constituaient donc un compromis, un compro- mis favorable à la paix mondiale ; les différentes clauses de ces accords aboutissaient à la création en Indochine d'une vas- te zone de neutralité militaire. Au peuple vietnamien, il res- tait à parfaire son indépendance en luttant pour l'application de ces accords. En liant la politique de libération nationale à la défense de la paix mondiale, les dirigeants vietnamiens avaient évité à leur pays d'être transformé en un champ de bataille entre l'Est et l'Ouest, et sauvé la paix mondiale. Mais l'acceptation d'une division du pays, fût-elle inscrite à titre temporaire dans les accords, n'en était pas moins dramatique. Les dirigeants vietnamiens, après avoir mené de main de maî-
tre la guerre, avaient su faire preuve de sagesse polit ique, accepter les compromis indispensables. L ' intervent ion de H o Chi Minh à la session du 15 juil let 1954 du Comité central du Par t i des Travailleurs prouvait que le gouvernement de la Ré- publique démocratique du Vietnam porta i t une appréciat ion des plus objectives sur la situation, et ne s'était pas laissé griser par des victoires militaires brillantes.
« Nos succès enthousiasment notre peuple et ceux du monde, consolident notre position diplomatique à Genève, contraignent nos ennemis à siéger à la même table de conférence que nous. L'attitude des Français a changé de manière notable par rapport aux conditions avancées par Bollaert en 1947. Depuis le début de la Résistance, notre position se renforce donc de plus en plus, alors que celle de l'ennemi s'affaiblit chaque jour.
« Mais, attention, nous ne devons jamais oublier que cette force et cette faiblesse sont toutes relatives, et non absolues. Nous ne devons pas tomber dans le subjectivisme et sous-estimer l'ennemi. Nos victoires ont réveillé les Américains. Après la bataille de Dien Bien Phu, ils ont changé leurs plans d'intervention pour pro- longer la guerre d'Indochine, l'internationaliser, saboter la Confé- rence de Genève, chercher tous les moyens pour évincer les Fran- çais, s'emparer du Vietnam, du Cambodge, du Laos, faire de ces trois peuples leurs esclaves et accroître la tension internationale. Les Américains ne sont donc pas seulement les ennemis des peu- ples du monde entier, ils sont en train de devenir les ennemis principaux et directs des peuples vietnamien, cambodgien, laotien... A travers la conférence de Genève, on voit s'accuser encore da- vantage les contradictions entre les impérialistes : les Français désirent négocier, les Anglais restent sur des positions équivoques, les Américains font du sabotage. A l'heure actuelle, ces derniers sont de plus en plus isolés...
« Le gouvernement français étant actuellement entre les mains des partisans de la paix, des chances nous sont offertes pour arriver à la cessation des hostilités en Indochine...
« Jusqu'ici nous avons concentré nos forces pour anéantir celles des impérialistes français agresseurs. A présent, les Français en- trent en négociation avec nous, tandis que les impérialistes amé- ricains sont en train de devenir nos ennemis principaux et directs... c'est contre les Américains que doivent converger nos efforts...
« Dans la nouvelle conjoncture, l'ancien mot d'ordre « Résis- tance jusqu'au bout » doit être remplacé par « Paix, unité natio- nale, indépendance, démocratie ». Contre la politique américaine d'intervention, nous devons tenir ferme le drapeau de la paix et notre politique doit être modifiée en conséquence. Auparavant, nous préconisions la confiscation des biens des impérialistes fran-
çais, à présent , c o m m e ils en t ren t en négocia t ion avec nous, ils p o u r r o n t su r la base de l 'égal i té et des avantages réc iproques , conserver des intérêts économiques et cul ture ls en Indochine . Q u a n d on entre en négociat ion, on doi t faire des concessions r é c i p r o q u e s ra isonnables . Dans le passé, nous disions : chasser e t anéan t i r j u s q u ' a u b o u t le corps expéd i t ionna i re français ; à pré- sent, dans la négociat ion, nous avons réclamé, et les França is ont accepté le re t ra i t de l e u r a rmée à une date dé terminée . Aupara- vant l 'Un ion française n 'exis ta i t pas p o u r nous ; main tenant nous
acceptons de met t re sur le tapis la ques t ion de no t re par t ic ipat ion éventuel le à l ' U n i o n française s u r la base de l 'égali té et du l ibre consentement . Aupa ravan t nous nous proposions d ' anéan t i r l ' a rmée et le pouvo i r fantoches en vue de l ' un i t é nat ionale ; ma in tenan t nous met tons en avant u n e mesure généreuse, la réunificat ion na t iona le pa r la voie des élect ions générales dans l ' ensemble du pays...
« Afin d ' a r r ive r au cessez-le-feu, il impor t e de dé l imi te r les zones : l ' a rmée e n n e m i e doi t se r e g r o u p e r dans une zone en vue de son re t ra i t progressif , la nô t re doi t se rassembler dans une autre. Il nous faut une vaste rég ion réunissant les condit ions nécessaires à l 'édification, à la consol ida t ion et au déve loppement de nos forces et don t l ' inf luence su r les au t res régions amènera la réunif ica t ion nationale. . . Q u a n d il sera p rocédé à la délimi- ta t ion e t à l ' échange des zones de r eg roupemen t , nos compatr io tes hab i t an t des rég ions jusqu ' i c i l ib res e t que l ' ennemi v iendra occu- p e r p rov i so i r emen t au ron t des sujets de méconten tement , certains ve r ron t les choses en noir , se p r e n d r o n t de désespoir et pour- r a i en t se la isser e m b r i g a d e r p a r l ' adversai re . Nous devrons leur faire b i en c o m p r e n d r e que, dans l ' in térê t du pays tou t entier , p o u r a s su re r no t r e in té rê t à longue échéance, il faut savoir pro- v i so i rement e n d u r e r le présent . Ce sera l e u r h o n n e u r que de le faire : la na t i on l e u r en sera reconnaissante. . .
« Gagner la pa ix n 'es t pa s chose facile. C'est une lut te longue, du re e t complexe, qui a ses difficultés e t ses facteurs favorables.. . les Amér ica ins s ' a cha rnen t à saper la paix en Indoch ine et les
par t i sans de la pa ix dans le gouvernemen t français res tent encore sous l ' inf luence américaine. . . La s i tuat ion, complexe et p le ine de difficultés est en p l e ine évolution.. . Les e r r e u r s suivantes pour- r a i en t se p r o d u i r e : dévia t ion de gauche ou de droite. Des gens grisés pa r nos vic toi res cont inuel les voudron t combat t re à tou t pr ix , combat t re j u s q u ' a u bout. . . I ls voient les Français sans voir les Amér ica ins , se pass ionnent p o u r l 'act ion mil i ta i re et sous-esti- m e n t l ' ac t ion d ip lomat ique . . . I ls posent des condi t ions excessives, inacceptables p o u r l ' adversai re . Ils veu len t tou t p réc ip i te r et ne se r e n d e n t pas compte que la lu t te p o u r la paix est dure et com- plexe. Si nous cédons au gauchisme, nous serons isolés, détachés de no t r e peup le et des peuples du monde. . . La déviat ion de droi te
se t r a d u i t pa r un pess imisme négat i f et des concess ions sans pr in- cipe. N ' ayan t pas foi en la force du p e u p l e , les d ro i t i e r s affai- bl issent l ' espr i t de lu t t e du peup le , oub l i en t l ' h a b i t u d e des souf- f rances e t n ' a sp i r en t qu 'à u n e vie qu iè te e t facile...
« E n ce m o m e n t , l ' impé r i a l i sme amér i ca in , e n n e m i p r i nc ipa l
des peup le s du m o n d e en t i e r , devient l ' e n n e m i p r i n c i p a l e t d i rec t des peup les d ' I n d o c h i n e ; c 'est p o u r q u o i tou tes nos ac t ions doi- vent v iser à le combat t re . T o u t e pe r sonne , t o u t pays qu i ne sont pas pro-amér ica ins p o u r r o n t , ne fût-ce que p rov i so i r emen t , f o r m e r avec nous u n f ron t uni . N o s object i fs i m m u a b l e s d e m e u r e n t : paix, i ndépendance , uni té , démocra t i e . Nos p r inc ipe s do iven t ê t r e fermes, ma i s no t r e t ac t ique est souple . »
A u x E t a t s - U n i s l ' a r m i s t i c e e n I n d o c h i n e a v a i t é t é a m è r e -
m e n t r e s s e n t i . L e l e n d e m a i n l e s f r è r e s A l s o p é c r i v a i e n t d a n s l e N e w Y o r k H e r a l d T r i b u n e :
« Il s 'agit d ' une ca tas t rophe qu i a e n t i è r e m e n t é b r a n l é l ' équi l i - bre p réca i re de la pu issance en Asie. C'est u n m a l h e u r q u i ne sau- r a i t ê t re que diff ic i lement compensé p a r des gains en Eu rope . E t c 'est u n m a l h e u r don t le g o u v e r n e m e n t amér i ca in ne pouva i t ê t re a u c u n e m e n t dissocié. »
L ' h e b d o m a d a i r e t r a v a i l l i s t e a n g l a i s , N e w S t a t e s m a n a n d
N a t i o n a f f i r m a q u e l e s A m é r i c a i n s é t a i e n t l e s s e u l s à a v o i r es -
s u y é u n e d é f a i t e , e t d e s s é n a t e u r s a m é r i c a i n s p a r l a i e n t d ' u n
n o u v e a u M ü n i c h . L e 2 0 a o û t , d e v a n t l e C o n g r è s , E i s e n h o w e r d é c l a r a i t :
« Les t roupes du V i e t m i n h sou tenues p a r les Chino is ont rem- po r t é des succès m a j e u r s dans la r ég ion indoch ino i se ma lg ré près de h u i t ans d ' opé ra t i ons menées p a r les t r oupes de l ' U n i o n fran- çaise et des Etats associés, e t m a l g r é les f o u r n i t u r e s d ' a rmes et de ma té r i e l m o d e r n e pa r les Etats-Unis. »
N ' a y a n t p a s r é u s s i à f a i r e e n t r e r s e s f o r c e s e n I n d o c h i n e ,
l e g o u v e r n e m e n t a m é r i c a i n a l l a i t s ' e m p l o y e r a p r è s l ' a r m i s t i c e
à m e t t r e r a p i d e m e n t s u r p i e d l e p r o j e t c a r e s s é d e p u i s s i l o n g - t e m p s : l ' i n s t a l l a t i o n d ' u n s y s t è m e m i l i t a i r e o c c i d e n t a l d a n s l e
S u d - E s t a s i a t i q u e e t l a c r é a t i o n d ' u n e p u i s s a n t e a r m é e s u d - v i e t n a m i e n n e d o n t l ' o r g a n i s a t i o n e t l ' i n s t r u c t i o n s e r o n t e n l e -
v é e s a u x F r a n ç a i s .
6 H o Chi Minh , Πu v r e s choisies, t o m e II, p. 445.
« L 'objec t i f i m m é d i a t des Etats-Unis en ce p r in t emps 1954 était d ' encourage r les França is à con t inue r la guerre et de les d issuader de négocier . U n armist ice lui para issa i t (à Fos te r Dulles) u n moyen de gagner du temps, l e t emps nécessaire à l ' en t ra înement d 'une pu issan te a rmée v ie tnamienne et la mise sur p i ed d 'un système de défense du Sud-Est as ia t ique qui passera cette fois pa r Saïgon e t n o n p lus pa r Hano ï . »
I l s ' a g i s s a i t d e r e s s o u d e r r a p i d e m e n t l ' a l l i a n c e o c c i d e n t a l e
m i s e à m a l e n A s i e p a r l a c o n f é r e n c e d e G e n è v e d e 1 9 5 4 s u r
l ' I n d o c h i n e . D è s l e 6 s e p t e m b r e 1 9 5 4 , à M a n i l l e s e r é u n i s s a i t
l a c o n f é r e n c e p o u r l e p a c t e m i l i t a i r e d u S u d - E s t a s i a t i q u e ,
b a p t i s é e S . E . A . T . O . ( S o u t h E a s t A s i a T r e a t y O r g a n i z a t i o n ) .
L ' a r t i c l e 4 d e c e t r a i t é s t i p u l e
« qu ' en cas d 'agress ion ou d 'a t t aque a r m é e contre des part ies ou des rég ions désignées, u n e ac t ion sera en t repr i se pa r les signa- taires. »
L e t e r m e d ' a g r e s s i o n , p r é c i s e l e t r a i t é , c o m p r e n d t o u t e s l e s
f o r m e s d ' a g r e s s i o n , l a « s u b v e r s i o n » é t a n t c o m p r i s e d a n s c e t t e
a c c e p t i o n . S i u n m o u v e m e n t n é d a n s u n d e s p a y s d u S u d - E s t
a s i a t i q u e e s t j u g é c o m m e u n e s u b v e r s i o n p a r l e s s i g n a t a i r e s
d u p a c t e , l ' o r g a n i s a t i o n d u S . E . A . T . O . p o u r r a i t e n v i s a g e r u n e
a c t i o n m i l i t a i r e c o m m u n e . R e n d a n t c o m p t e d ' u n e c o n f é r e n c e
u l t é r i e u r e d e c e t t e o r g a n i s a t i o n , A n d r é F o n t a i n e , d u M o n d e , d i r a :
« La subvers ion const i tue un m o t commode p o u r dés igner l 'en- semble des opéra t ions légales ou i l légales qui ont p o u r obje t de lu t t e r à l ' i n t é r i eu r des Eta ts m e m b r e s de ce t ra i té cont re les gou- v e r n e m e n t s associés aux Etats-Unis. »
U n p r o t o c o l e a n n e x e a j o u t e q u e
« Les Etats-Unis s ignata i res du pacte reconnaissent que le Laos, le Cambodge , le Sud-Vie tnam bénéfic ieront des avantages offerts p a r l ' a r t ic le 4. »
C ' é t a i t m a n i f e s t e m e n t s e m e t t r e e n c o n t r a d i c t i o n a v e c l e s
a c c o r d s d e G e n è v e q u i d e m a n d a i e n t q u e :
7 Lacouture-Devi l lers , op. cit., p. 104. 8 Le Monde , 6 mars 1956.
« les deux par t ies ve i l l e ron t à ce que les zones qu i l e u r sont at t r i - buées ne fassent pa r t i e d ' a u c u n e a l l iance mi l i ta i re . »
C e t t e a l l i a n c e d i t e d u S u d - E s t a s i a t i q u e c o m p r e n a i t : l e s
E t a t s - U n i s , l a F r a n c e , l ' A n g l e t e r r e , l ' A u s t r a l i e , c ' e s t - à - d i r e es -
s e n t i e l l e m e n t d e s p u i s s a n c e s o c c i d e n t a l e s . D e s E t a t s a s i a t i q u e s ,
i l n ' y a v a i t q u e l a T h a ï l a n d e , l e s P h i l i p p i n e s e t l e P a k i s t a n
d o n t l e s g o u v e r n e m e n t s é t a i e n t t o u s l i é s é t r o i t e m e n t a u x
E t a t s - U n i s . L e s p a y s l e s p l u s i m p o r t a n t s d u S u d - E s t a s i a t i q u e :
l ' I n d e , l a B i r m a n i e , C e y l a n , l ' I n d o n é s i e a v a i e n t r e f u s é d e s ' y
a s s o c i e r , s e m é f i a n t d e c e t t e a l l i a n c e q u i r a s s e m b l a i t l e s t r o i s
p u i s s a n c e s c o l o n i a l e s l e s p l u s m a r q u é e s . L e 2 9 s e p t e m b r e 1 9 5 4 ,
d e v a n t l e p a r l e m e n t i n d i e n , N e h r u d é c l a r a i t :
« I l f au t se d e m a n d e r si le t r a i t é de Mani l l e a d i m i n u é ou accru
la t ens ion dans le Sud-Est a s i a t i que : A-t-il c o n t r i b u é à r a p p r o c h e r le Sud-Est a s i a t ique ou u n e a u t r e p a r t i e d u m o n d e de la pa ix o u de la sécur i té d ' u n seu l pas : E n vér i té , je ne vois n u l l e m e n t la t ens ion d i m i n u e r ou la pa ix se r a p p r o c h e r . P a r cont re , l ' a t m o s p h è r e favorab le créée p a r la confé rence de Genève a été e n p a r t i e dété- r iorée . I l s 'agi t v r a i m e n t d ' u n e chose défavorab le . »
L e 6 a v r i l 1 9 5 6 l e p r i n c e S i h a n o u k d e v a n t l e C o n g r è s d u S a n g k u m d i r a :
« Les Etats-Unis e n veu l en t a u C a m b o d g e de n ' avo i r pas a d h é r é a u S.E.A.T.O. Le p e u p l e c a m b o d g i e n cons idè re le S.E.A.T.O. com- me u n b loc mi l i t a i re e t l ' adhés ion à ce b loc c o m m e u n e v io la t ion des accords de Genève. »
C e t t e n o t i o n d ' a g r e s s i o n c o n f o n d u e a v e c l a « s u b v e r s i o n »
s u s c i t e l a m é f i a n c e d e t o u s l e s p e u p l e s a s i a t i q u e s , s u r t o u t q u a n d e l l e e s t b r a n d i e p a r d e s p u i s s a n c e s c o l o n i a l e s .
« Le fond du p r o b l è m e , écr i t W a l t e r L i p p m a n , est q u e l ' Indo- ch ine n ' e s t pas envah ie p a r u n e a r m é e chinoise ou sovié t ique . Ce son t des r évo lu t ionna i r e s i ndoch ino i s qu i s ' infi l t rent de vi l lage e n vil lage. »
D é j à e n 1 9 4 9 , d e v a n t l ' A m e r i c a n S o c i e t y o f N e w s p a p e r E d i t o r s , A c h e s o n d i s a i t :
9 Cité par la Tribune des Nations du 7-1-1955.
« Agress ion ne signifie pas seu lement a t taque mil i ta i re , mais guerre pa r p ropagande et minage des pays l ib res de l ' in tér ieur . »
P a r a l l è l e m e n t à l a m i s e e n p l a c e d u b l o c m i l i t a i r e d u S u d -
E s t - a s i a t i q u e , l e s E t a t s - U n i s , i m m é d i a t e m e n t a p r è s l ' a r m i s t i c e ,
i n s t a l l a i e n t a v e c f é b r i l i t é l e u r s o r g a n i s m e s m i l i t a i r e s , é c o n o m i -
q u e s , a d m i n i s t r a t i f s a u S u d - V i e t n a m , s a n s t e n i r c o m p t e d e s
a c c o r d s d e G e n è v e . D è s l e 21 j u i l l e t , E i s e n h o w e r p r o c l a m a i t
q u e l e s E t a t s - U n i s n ' é t a i e n t n u l l e m e n t l i é s p a r c e s a c c o r d s . L a
m i s s i o n m i l i t a i r e M . A . A . G . q u i a u r a i t d û ê t r e r a p a t r i é e f u t
r e n f o r c é e . L ' U . S . O . M . ( U . S . O r g a n i z a t i o n M i s s i o n ) q u i r é p a r -
t i s s a i t l e s f o n d s a m é r i c a i n s i n s t a l l a i t s e s s e r v i c e s d a n s l e p l u s
g r a n d h ô t e l d e S a ï g o n e t s e s c o n s e i l l e r s d a n s l e s m i n i s t è r e s d e
D i e m . U n e m i s s i o n d e l ' U n i v e r s i t é d e M i c h i g a n s ' o c c u p a i t d e l ' é d u c a t i o n , m a i s a u s s i d e s s e r v i c e s d e s é c u r i t é , e t l e c o l o n e l
L a n s d a l e y e x e r ç a i t s e s t a l e n t s . U n a u t r e s p é c i a l i s t e a m é r i c a i n
d i r i g e a i t l e s s e r v i c e s d e l a « r é f o r m e a g r a i r e ». L e s h o m m e s
d ' E t a t , l e s g é n é r a u x , l e s c a r d i n a u x a m é r i c a i n s f a i s a i e n t u n e
n a v e t t e s u i v i e e n t r e W a s h i n g t o n e t S a ï g o n o ù d e s m i s s i o n s a m é r i c a i n e s d e t o u t e n a t u r e s ' i n s t a l l a i e n t e n t o u t e h â t e . L e s
o r g a n i s a t i o n s c a t h o l i q u e s a m é r i c a i n e s , i m p u l s é e s v i g o u r e u s e -
m e n t p a r l e c a r d i n a l S p e l l m a n , v e n a i e n t r e l a n c e r l e s o r g a n i s a -
t i o n s c a t h o l i q u e s s u d - v i e t n a m i e n n e s , à l a g r a n d e c o l è r e d e s
p r ê t r e s f r a n ç a i s , e t s ' o c c u p e r d e s r é f u g i é s . L e g é n é r a l O ' D a -
n i e l c o m m a n d a i t l a M . A . A . G . , L e L a n d B a r r o w s d i r i g e a i t
l ' U . S . O . M . , l e g é n é r a l C o l l i n s f u t n o m m é l e 4 n o v e m b r e 1 9 5 4
r e p r é s e n t a n t s p é c i a l d ' E i s e n h o w e r a u p r è s d e D i e m , a v e c r a n g d ' a m b a s s a d e u r . C ' é t a i e n t l e s v r a i s m a î t r e s d u S u d - V i e t n a m .
L e g é n é r a l C o l l i n s a v a i t c o m m a n d é e n C o r é e , e t a v a i t é t é e n -
s u i t e à l a t ê t e d u s t a n d i n g - g r o u p d e l ' O . T . A . N . S u r s a n o m i n a -
t i o n à S a ï g o n , l e N e w Y o r k H e r a l d T r i b u n e f a i t c e c o m m e n - t a i r e :
« L 'envoi du général Coll ins est l ' indice le plus clair de l' im- por tance a t tachée pa r Wash ing ton à ce pays, et de l' i nqu ié tude qu ' i l p rovoque . L 'anc ien chef d 'é ta t -major amér ica in aura p o u r tâ- che de c o o r d o n n e r toutes les opéra t ions de tous les organismes amér ica ins au Vie tnam, ce q u i représen te une responsabi l i té d 'une
impor t ance except ionnel le . »
L e 2 3 d é c e m b r e , l ' a m i r a l R a d f o r d v i n t à S a ï g o n c o n f é r e r
a v e c D i e m s u r d e s q u e s t i o n s m i l i t a i r e s . L e 12 f é v r i e r 1 9 5 5 ,
10 Cité par Aragon , Hi s to i r e para l lè le , tome II, p. 193.
Diem annonçait que le général O'Daniel allait s 'occuper de l'instruction de l'armée sud-vietnamienne, remplaçant le com- mandement français. Les insignes français furent brûlés pour être remplacés par les insignes américains.
Au début de 1955, le 21 février et le 7 mars, furent signés entre le gouvernement Diem et celui des Etats-Unis, des accords d'aide économique directe, accords qui seront développés au cours de négociations tenues du 22 au 25 juin, tendant à ai- der le gouvernement Diem à édifier son armée, selon le pro- gramme présenté par Diem au général Collins dès le 19 jan- vier 1955. Les accords signés entre les Etats-Unis et le gouver- nement Diem continuaient ceux déjà signés par les Etats-Unis avec le gouvernement Baodaï le 7-9-1951, et les notes échan- gées entre les deux gouvernements les 18-12-1951, et 19-2-1952. Tous ces traités bilatéraux définissaient des modalités d'aide, au sein de la loi sur le « Pacte d'Assistance mutuelle pour la Défense » (Mutual Defense Assistance Program) mieux con- nue par ses initiales américaines M.D.A.P. Cette loi précise que tout pays qui n'exécute pas les clauses des traités bilaté- raux ne pourra recevoir aucune forme d'aide, et que si l'aide en question n'a pas pour résultat de renforcer la sécurité des Etats-Unis, elle ne sera pas dispensée.
Le gouvernement Diem s'engageait à exécuter la clause 1 de l'article C de l'accord signé en 1951 par Baodaï :
« Le Vietnam s'engage à contribuer avec le maximum de ses possibilités en hommes, en ressources, en moyens à maintenir ses forces de défenses propres et celles du monde libre. »
Le 22 avril 1955, une note du chargé d'affaires américain à Saïgon venait préciser :
« Le chef de la M.A.A.G. assumera désormais toutes les respon- sabilités de l'organisation et de l'instruction de l'armée sud-viet- namienne. »
Comme en Corée du Sud, l'objectif N° 1 de la politique américaine au Sud-Vietnam était de créer une armée puissan- te, d'installer une base militaire équipée des moyens les plus modernes. Sous prétexte de récupérer du matériel de guerre donné aux troupes françaises en Indochine (comme si les Etats- Unis avaient besoin de récupérer du vieux matériel) une nou- velle mission militaire, la T.E.R.M. (Temporary Equipment
Recovery Mission) vint au début de 1956 renforcer la M.A.A.G. L'impatience des Etats-Unis à créer une armée sud-vietna- mienne puissante se manifestait sans ambage, dans l'attitude des représentants américains.
« Quand le général O'Daniel présidait à l'entraînement de l'ar- mée vietnamienne, il lui arrivait pour imposer ses vues à des alliés circonspects, de frapper du poing, sur la table en s'écriant : qui est-ce qui paie ? Les officiers vietnamiens demandaient une sus- pension de séance pour délibérer, puis revenaient annoncer leur acceptation.
Le député travailliste anglais William Warbey détaillera ainsi la présence américaine après un voyage d'étude au Viet- nam :
« Le principal objectif de cette aide (américaine) est de conso- lider l'autorité de Diem en lui fournissant des forces armées bien équipées et des unités mobiles de police militaire. L'aide militaire américaine s'est élevée en 1955 à 234.800.000 de dollars, en 1956 à 102.200.000 dollars, et s'élèvera en 1957 à environ 200 millions de dollars. Environ 2.000 officiers de l'armée américaine se trou- vent maintenant au Vietnam du Sud sous le manteau d'une demi- douzaine d'organisations différentes : M.A.A.G., T.R.I.M. (Mission d'inspection et de réorganisation de l'entraînement), C.A.T.O. (or- ganisation d'entraînement des groupes de combat), T.E.R.M... Le T.E.R.M. à lui seul a fait venir en juin 1956 400 officiers dont 80 de rang supérieur, au mépris des protestations de la Commission de contrôle internationale. Malgré son nom, le T.E.R.M. existe en- core. Il est fort utile aux Américains qui se débarrassent ainsi du matériel hors d'usage utilisé pendant la guerre d'Indochine et le remplacent par du matériel moderne. C'est pour eux un moyen d'échapper aux clauses de l'accord de Genève qui interdit l'impor- tation de matériel de guerre, sauf pour remplacer l'ancien.
L'armée de Diem compte maintenant 150.000 hommes bien équi- pés et bien entraînés du haut jusqu'en bas par les officiers amé- ricains. La police militaire qui compte 45.000 hommes reçoit d'ins- tructeurs américains une formation de combat et parcourt le pays en camions, armés de carabines, de mitraillettes et de casques d'acier de l'armée américaine. Comme les Américains ont refait toutes les grandes routes, il lui est facile de se déplacer rapide- ment. Les voies ferrées, par contre, ne présentant aucune utilité militaire n'ont pas été remises en état. »
11 Le Monde, 4 janvier 1957. 12 France-Observateur, 8 août 1957.
Ni les officiels américains, ni le gouvernement Diem ne s'étaient cachés pour mener à bien la mise sur pied de cet im- posant appareil militaire. Dès le 13 février 1955, alors que son pouvoir était encore mal assis, Diem déclarait dans une con- férence de presse :
« Le problème de l'organisation et de l'entraînement de l'armée nationale vietnamienne par la mission militaire américaine a fait l'objet de nombreuses discussions, avant même la cessation des hostilités en Indochine. Un programme présenté par le gouverne- ment vietnamien a été adopté par tous les pays intéressés, et entre en application à partir d'aujourd'hui. »
Dans le bulletin d'information du State Department du 11 juin 1956, nous lisons la déclaration suivante de W. Robert- son, sous-secrétaire d'Etat, responsable des questions d'Extrê- me-Orient, faite à la Conférence des « Amis américains du Vietnam » du 1-6-1956 :
« Nos premiers efforts visent à aider le Vietnam à maintenir des forces de sécurité comprenant une armée régulière de 150.000 hommes, une garde civile mobile de 45.000 hommes et des unités locales de lutte contre la subversion dans les villages. Nous som- mes en train de fournir à ces forces de l'argent et des équipements et nous avons la mission d'entraîner l'armée vietnamienne. Nous aidons aussi à organiser, entraîner et équiper la police vietna- mienne. »
Précisons que c'est le chef des services de police de New York qui avait été invité à former les policiers du Sud-Viet- nam. L'armée de Baodaï ne comprenait que des bataillons des- tinés à couvrir des tâches secondaires ; il s'agissait de former des divisions aptes à de grandes opérations. Le 22 mars 1955, le général O'Daniel révélait aux journalistes :
« Ce qu'il faut maintenant, et c'est ce qui est le plus difficile, c'est former de grandes unités à partir de l'échelon du bataillon. Beaucoup de ces unités se sont bien battues en tant que bataillons séparés. Or il faut arriver à présent à l'unité type, c'est-à-dire à la division, car seule la division répond aux impératifs de la straté- gie moderne, qu'il s'agisse de combats en masse, ou en bataillons dispersés. »
Plusieurs centaines d'officiers sud-vietnamiens avaient été
13 Vie tnam presse, agence gouve rnemen ta l e d u Sud-Vietnam, 23-3-1955.
Couverture
1 - Les États-Unis au Vietnam