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DIEN BIEN PHU La dernière nuit J usqu'au 13 mars ma mission à Dien Bien Phu était le Commandement des Unités paras d'intervention (8 e Choc, 1 er B.E.P.) avec lesquelles depuis le 12 novem- bre je sillonnais la jungle dans un rayon de vingt-cinq kilomètres autour de la cuvette à la recherche d'un contact qui se resserrait chaque jour. A ces deux premiers bataillons vinrent s'ajouter les Unités de renfort parachutées au cours des mois de mars, avril et mai: 5 e B.P.V.N., 6 e B.P.C., 2/1 R.C.P., 2 e B.E.P., 1 e B.P.C., soit toutes les Unités paras d'Indochine moins deux bataillons vietnamiens. Le 13 à 18h30 une heure après le déclenchement de l'atta- que, le colonel de Castries me convoqua à son P.C. pour me donner le commandement du Centre principal de résis- tance en remplacement du lieutenant-colonel Gaucher qui venait d'être tué par l'explosion d'un obus dans son, abri. J'avais également l'emploi de l'artillerie d'appui direct et conservais le commandement des Unités d'intervention sous réserve de rendre compte de leur emploi. Cette mission me fut confirmée par écrit. Elle excluait évi- demment toute autorité sur Isabelle comme toute relation avec le Commandement d'Hanoi. Dien Bien Phu, 6 mai, 10 heures au P.C. du G.A.P. 2. C 'est le meeting (lire briefing) quotidien, il y a là le lieutenant-colonel Bigeard mon adjoint au G.A.P., le lieutenant-colonel Lemeunier et le commandant Vadot du G.M. 9, le lieutenant- colonel de Pazzis, chef d'Etat-Major du Général, le lieu- tenant-colonel Vaillant commandant l'artillerie. Les chefs de bataillons qui jusqu'au début de mai étaient présents à ces réunions, n'y viennent plus ; le harcèlement en- nemi accru et l'impraticabilité des boyaux de commu- nication transformés par la pluie en ruisseaux de boue rend ces déplacements trop longs et dangereux. Nous faisons rapidement le point de la situation qui ne semble ni meilleure ni pire que les jours précé- dents. Certes l'ennemi pousse avec acharnement ses tranchées vers les Huguettes et les Claudines, l'approvi- sionnement en munitions artillerie et mortiers devient critique ; il reste deux jours de vivres, mais un nouveau bataillon, le 1 er B.C.P., est largué en renfort. Les deux premières compagnies arrivées la veille ont pris position sur Eliane 4. Quant à l'ennemi, il doit connaître des diffi- cultés semblables, bien que ravitaillé par nos propres parachutages : ses effectifs décimés par les meurtrières attaques du début de mai {pertes d'Eliane1, de D3, d'Huguette 5) doivent fondre. Le capitaine Noël chef du 2 e bureau qui le douze mars annonça l'attaque pour le lendemain 17 heures, ne se trompant que de quinze minutes, vient de faire un décompte impressionnant des pertes ennemies : tant sur les P.A., tant par l'artillerie, tant par l'aviation, il n'en reste plus que sept mille cinq cents. Envers et contre tous ceux de l'Arrière, nous continuons à espérer sinon gagner, du moins faire match nul avec l'adversaire. Comme chaque jour les missions de contre- attaque sont précisées aux unités réservées. En fait ces unités sont celles qui tiennent les P.A. de secondes li- gnes, ou celles prélevées au cours de la bataille sur les positions moins menacées. En tissant leurs réseaux de tranchées à la Vauban, les Viets inscrivent leurs inten- tions sur le terrain et nous savons déjà que la prochaine bagarre sera pour les Elianes et les Claudines. Avec l'artilleur je fixe l'ordre d'urgence des tirs d'arrêt, les consommations possibles. Enfin les ordres sont donnés pour le balisage de la DZ car à partir de 23 heures, par avions échelonnés toutes les vingt minutes la dernière compagnie du 1 er B.P.C. doit sauter. Au moment de nous séparer un papier arrive du deuxième bureau. C'est un renseignement d'Hanoï, "Attaque générale probable nuit du 6 au 7". Je sors de l'abri accompagné de Bigeard ; il fait exceptionnellement beau, l'artillerie viet s'est tue. Largage du 6° B.P.C.

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DIEN BIEN PHU

La dernière nuit

J usqu'au 13 mars ma mission à Dien Bien Phu était le Commandement des Unités paras d'intervention (8e Choc, 1er B.E.P.) avec lesquelles depuis le 12 novem-bre je sillonnais la jungle dans un rayon de vingt-cinq

kilomètres autour de la cuvette à la recherche d'un contact qui se resserrait chaque jour. A ces deux premiers bataillons vinrent s'ajouter les Unités de renfort parachutées au cours des mois de mars, avril et mai: 5e B.P.V.N., 6e B.P.C., 2/1 R.C.P., 2e B.E.P., 1e B.P.C., soit toutes les Unités paras d'Indochine moins deux bataillons vietnamiens. Le 13 à 18h30 une heure après le déclenchement de l'atta-que, le colonel de Castries me convoqua à son P.C. pour me donner le commandement du Centre principal de résis-tance en remplacement du lieutenant-colonel Gaucher qui venait d'être tué par l'explosion d'un obus dans son, abri. J'avais également l'emploi de l'artillerie d'appui direct et conservais le commandement des Unités d'intervention sous réserve de rendre compte de leur emploi. Cette mission me fut confirmée par écrit. Elle excluait évi-demment toute autorité sur Isabelle comme toute relation avec le Commandement d'Hanoi. Dien Bien Phu, 6 mai, 10 heures au P.C. du G.A.P. 2.

C 'est le meeting (lire briefing) quotidien, il y a là le lieutenant-colonel Bigeard mon adjoint au G.A.P., le lieutenant-colonel Lemeunier et le commandant Vadot du G.M. 9, le lieutenant-

colonel de Pazzis, chef d'Etat-Major du Général, le lieu-tenant-colonel Vaillant commandant l'artillerie. Les chefs de bataillons qui jusqu'au début de mai étaient présents à ces réunions, n'y viennent plus ; le harcèlement en-nemi accru et l'impraticabilité des boyaux de commu-nication transformés par la pluie en ruisseaux de boue rend ces déplacements trop longs et dangereux.

Nous faisons rapidement le point de la situation qui ne semble ni meilleure ni pire que les jours précé-dents. Certes l'ennemi pousse avec acharnement ses tranchées vers les Huguettes et les Claudines, l'approvi-sionnement en munitions artillerie et mortiers devient critique ; il reste deux jours de vivres, mais un nouveau bataillon, le 1er B.C.P., est largué en renfort. Les deux premières compagnies arrivées la veille ont pris position sur Eliane 4. Quant à l'ennemi, il doit connaître des diffi-cultés semblables, bien que ravitaillé par nos propres parachutages : ses effectifs décimés par les meurtrières attaques du début de mai {pertes d'Eliane1, de D3, d'Huguette 5) doivent fondre. Le capitaine Noël chef du 2e bureau qui le douze mars annonça l'attaque pour le lendemain 17 heures, ne se trompant que de quinze

minutes, vient de faire un décompte impressionnant des pertes ennemies : tant sur les P.A., tant par l'artillerie, tant par l'aviation, il n'en reste plus que sept mille cinq cents. Envers et contre tous ceux de l'Arrière, nous continuons à espérer sinon gagner, du moins faire match nul avec l'adversaire.

Comme chaque jour les missions de contre-

attaque sont précisées aux unités réservées. En fait ces unités sont celles qui tiennent les P.A. de secondes li-gnes, ou celles prélevées au cours de la bataille sur les positions moins menacées. En tissant leurs réseaux de tranchées à la Vauban, les Viets inscrivent leurs inten-tions sur le terrain et nous savons déjà que la prochaine bagarre sera pour les Elianes et les Claudines. Avec l'artilleur je fixe l'ordre d'urgence des tirs d'arrêt, les consommations possibles. Enfin les ordres sont donnés pour le balisage de la DZ car à partir de 23 heures, par avions échelonnés toutes les vingt minutes la dernière compagnie du 1er B.P.C. doit sauter.

Au moment de nous séparer un papier arrive du

deuxième bureau. C'est un renseignement d'Hanoï, "Attaque générale probable nuit du 6 au 7".

Je sors de l'abri accompagné de Bigeard ; il fait

exceptionnellement beau, l'artillerie viet s'est tue.

Largage du 6° B.P.C.

Nous décidons d'un commun accord d'aller faire un tour chez le commandant Brechignac sur Eliane 4. Je prends en passant à mon abri, dont le toit fond dou-cement en ruisselets de boue sur mes belles tentures tricolores de parachutes, une bouteille de cognac mira-culeusement arrivée la veille ; et tous deux nous mon-tons vers E 4 par les belles tranchées modèle 14-18,

creusées quinze jours auparavant par le 6e B.P.C. Une formation de Packett arrive du sud. Les avions volent hors de portée de la D.C.A. et larguent leur cargaison de vivres et de munitions à trois mille mètres avec des parachutes à ouverture retardée. Mais à cette altitude il n'est pas facile de mettre au but dans une DZ réduite à un kilomètre carré.

Nous nous arrêtons un moment pour les observer : le premier avion largue à la verticale du P.C., les colis s'éparpillent en une multitude de points noirs, tombent en chute libre durant trente secondes et c'est le crépi-tement semblable aux rafales de D.C.A. du système

pyrotechnique qui libère les voilures. Les deuxième et troisième avions larguent dans les mêmes conditions. Nous suivons des yeux, angoissés, la descente des parachutes ; les premiers et les deuxièmes largages sont bons ; le troisième chez l'ennemi.

C'est la proportion normale admise ; d'ailleurs le problème du ramassage qui ne peut se faire que de nuit et à dos par les combattants exténués, est aussi critique que celui de la précision des largages.

Après vingt minutes de marche; nous arrivons au P.C. du commandant Brechignac. C'est une espèce de grotte creusée dans les pentes ouest de la colline E4. La plupart des officiers du bataillon sont là. Brèche donne ses ordres pour la journée et la nuit. La bou-teille de cognac passe à la ronde et j'observe de cette terrasse relativement abritée, le camp retranché boule-versé par les explosions, moucheté des quelques cin-quante mille voilures de parachutes à l'abandon...

A quatre cents mètres du Sud, voici la position capitale Eliane 2, l'ancien poste, où dans la nuit du 30 au 31 mars, cinq compagnies montèrent heure par heure à la rescousse du P.A. désespérément défendu par le commandant Nicolas et les Marocains du 4e R.T.M. Malgré les contre-attaques menées les jours suivants par le commandant Touret et le 8e B.P.C. l'en-nemi resta maître de la moitié de la position. De part et d'autre et à l'est, les deux croupes pelées du Mont Chauve et du Mont Fictif où sont installées les puis-santes bases de feux viets. A quelques trois cents mè-tres au nord-est, la position Eliane 1 un ignoble piton, mélange de boue et de cadavres, perdu le 30 mars, repris le 4 avril, perdu à nouveau le 1er mai, après des combats acharnés livrés par le 6e B.P.C. et le 2/1 R.C.P.

Enfin au nord la position Dominique 2 perdue le 30 mars et immédiatement transformée par les Viets en taupinières à l'épreuve de tous nos projectiles d'ar-tillerie et d'aviation. Elle tient sous le feu direct de ses armes à tirs tendus l'ensemble du camp retranché et son tapis de parachutes camoufle admirablement ob-servatoires et positions de tirs.

Dans la plaine entre la route 41 et la Nam-Youn les P.A. Eliane 3 (1er B.P.C.) Eliane 10 (6e B.P.C.) Eliane 12(B.T. 2).

Au delà de la rivière et en bout de piste, Domi-nique 4 et Epervier, domaine du commandant Touret

avec le 8e B.P.C. Enfin, face à l'ouest dans les rizières, les P.A.

Huguette (commandant Guiraud et B.E.P.), Lili (commandant Nicolas et 4e R.T.M.), Claudine (commandants Clémençon et Contant, 1/2 R.E.I. et 2/13 D.B.L.E.).

Mais le temps passe et l'artillerie viet se réveille.

Dominique 4, les P.C., disparaissent sous la fumée et la poussière des explosions. Il faut rejoindre rapide-ment nos postes de combat et nous dévalons les tran-chées vers le pont de la Nam-Youn tandis que les tirs ennemis s'intensifient d'instant en instant.

Nous nous retrouvons au P.C. G.A.P. devant les appareils de transmissions servis avec quel courage et quelle abnégation par la section Trans. du G.A.P. 2, aux ordres du lieutenant Legrand : les trois téléphones lignes directes avec P.C. Gono - P.C. feux appui aé-rien ; les trois postes radio P.R.C. 10. Poste de com-mandement : indicatif "le gars Pierre " ; poste d'écoute des réseaux intérieurs des bataillons ; poste des écou-tes viets.

Au centre de l'abri, la table de travail avec la carte des positions, l'implantation des unités, le calque des tirs d'arrêt.

Il n'y a maintenant plus de doute sur la valeur du renseignement d'Hanoï, la préparation d'artillerie égale en violence celle des plus mauvais jours. Pres-que simultanément. Claudine, Elianes 2,4, et 10, si-gnalent l'écrasement de leurs positions sous des pro-jectiles de tous calibres. La nuit est tombée et la radio résonne d'appels.

" Le gars Pierre de Brech, Bruno 1 de Bruno 2... les Viets sont aux barbelés, envoyez renfort, tirs d'ar-rêt, lucioles."

Avec Bigeard nous nous penchons sur les car-

tes, il est rapidement décidé que l'artillerie n'intervien-dra qu'au profit des deux positions capitales E4 et E 2 pour les autres les mortiers de bataillon enverront leurs derniers obus. Les renforts ? Il ne faut plus comp-ter sur le 6e B.P.C. en pleine bagarre et une fois de plus, faire l'impasse sur les faces nord et nord-est.

Le colonel Langlais entouré de son état-major. De droite à gauche : Le lt-colonel de Seguins Pazzis, le colonel Lan-glais, le chef de bataillon Touret, le lt-colonel Bigeard.

Touret reçoit l'ordre d'envoyer une première compagnie (lieutenant Jacquemet) puis, tard dans la nuit, une seconde (lieutenant Bailly) en renfort du 6e. Guiraud reçoit l'ordre d'abandonner la position Hu-guette 2 et de diriger sur E4 avec le capitaine Bran-don et le lieutenant Lecour-Grandmaison, tous les éléments qu'il a pu récupérer.

Du côté des Claudines le lieutenant-colonel Le-meunier mène la bagarre avec les légionnaires du 1/2 R.E.I.. et de la 1/13 D.B.L.E.

Il reste trois chars, un canon, deux mitrailleuses,

qui peuvent encore se traîner. Ils reçoivent l'ordre de passer la rivière en soutien d'Eliane 10. Ce sera leur dernier combat et le capitaine Hervouët assis à mes côtés, les deux bras dans le plâtre, songe sans doute à cette nuit du 30 au 31 mars où ses sept Shaffees en bataille sur la R.P. 41 clouèrent au sol de leurs sept canons et quatorze mitrailleuses les vagues viets qui descendaient en hurlant de Domini-

que 2 vers les P.C. Le téléphone : c'est l'appui aérien qui annonce

l'arrivée du 1er avion de personnel et demande l'arrêt des Lucioles : mais la nuit est le royaume des com-battants viets, et nos points d'appui sont aveugles, sans le beau clair de lune des fusées. Je donne l'or-dre de renvoyer sur Hanoi la dernière compagnie du 1cr B.P.C. qui devait sauter.

La nuit s'avance, les nouvelles sont angoissan-

tes, Eliane 2 s'est tue, depuis minuit ; aucun des élé-ments envoyés en renfort n'a pu atteindre la position.

Sur Eliane 10, le 6e B.P.C. est réduit à quelques cinquante hommes qui se battent désespérément autour des P.C. du commandant Thomas et du lieu-tenant Trapp.

Sur Eliane 4 les combats se déroulent avec un acharnement inouï. Le commandant Botella m'en a fait un récit aussi simple que poignant :

L e 6 mai à partir de 12 heures, le harcèlement par obus soufflants, s'intensifie. Les abris minés par les pluies des jours précédents s'éboulent. Les blockhaus de mitrailleuses sont détruits et les

servants ensevelis. Les équipes de déblaiement sont ca-nardées par des snipers embusqués sur le Mont Fictif et sur Eliane 1.

Par la tranchée inondée qui traverse la rizière, on voit les Viets arriver de l'arrière et transporter des caisses de munitions sur Eliane1. C'est l'attaque qui se prépare. Notre artillerie ne peut s'opposer à cette mise en place par souci d'économiser les munitions.

Et l'attente commence, tout le monde aux emplace-

ments de combat. La tension nerveuse est telle que c'est un véritable soulagement quand, à 17h30, commence la préparation d'artillerie, j'entends à la radio le colonel Lan-glais demander à Brech : " Qui reçoit cette dégelée? "

Les premiers coups sont pour Eliane2. Puis, le

tir se reporte sur Eliane 3 et aussitôt, après, sur Eliane 4. C'est un déluge d'obus de tous calibres. Simultané-

ment, les bases de feux de Eliane 1 et du Fictif entrent en action. Dans la rizière cinq blockhaus se dévoilent occupés par des S.K.Z. Le 57 de la 3e compagnie, en fait taire deux. Repéré et pris violemment à partie son appareil de pointage est détruit. Le tireur continue le feu en visant avec son pouce. Il met encore deux coups au but mais est tué. A 18h15, à cheval sur leur dernière salve de 105, les Viets se ruent à l'assaut. Aussitôt, mes mortiers dont les tirs sont ajustés à trente mètres de nos tranchées, ouvrent le feu. Les Viets refluent en désor-dre. Sur la face sud, moins solidement défendue. Ils arri-vent jusqu'au P.C., qu'ils grenadent. Le sergent-chef Métier contre-attaque avec les Nung de !a section lourde et anéantit les éléments infiltrés.

Jusqu'à 22 heures les Viets renouvellent leurs

assauts. A la lueur des éclairants on les voit tourbillon-ner en hurlant dans les barbelés. Ils sautent sur les mi-nes, sont hachés par les grenades et les obus de mor-tiers, refluent vers leurs parallèles de départ mais revien-nent inlassablement.

A 22 heures le calme se rétablit. On n'entend plus que les plaintes des blessés, les éclairants ne révèlent

Combats sur Eliane 4

plus que des corps immobiles, enchevêtrés dans les bar-belés.

Nos pertes sont déjà lourdes. La 2e compagnie (capitaine Phu), réduite à une section est recomplétée par les éléments qui tenaient la deuxième ligne et par tous les disponibles de la C.C.B.

Je demande un renfort à Brech qui transmet au

G.A.P. Le 2/1 R.C.P. est lui-même au contact étroit et subit des pertes.

Eliane 2, est fortement entamée. Eliane 10 vio-lemment attaquée résiste magnifiquement.

Il nous reste cinquante obus de 81. Les grenades à mains sont presque épuisées (on en a lancé trois mille.). // ne faut plus compter sur l'artillerie amie, ré-duite au silence par la contre-batterie viet. Mais la 3e compagnie (capitaine Guilleminot) a peu souffert, le moral est intact et nous attendons avec confiance le prochain coup de boutoir.

Mais pourvu qu'Eliane 2 tienne ! A 23 heures les obus de mortiers et de 105 re-

commencent à pleuvoir. Les bases de feux du Mont Fictif et d'Eliane 1 se rallument. Des coups nous arri-vent également de Eliane 2 dont les faces est et nord paraissent occupées.

Les Viets recommencent à grouiller dans nos bar-

belés. Mais ils ont perdu de leur mordant. Ils tirent sans attendre d'être au corps à corps et se couchent sur place. Nous envoyons nos derniers obus de mortier. Les mortiers viets qui continuent à arroser notre face est, nous apportent une aide appréciable.

Nous avons l'impression que la partie est ga-

gnée. Brech rend compte au colonel Langlais qui pa-rait satisfait. " Eliane 4 est toujours un roc" dit-il.

S oudain, à 24 heures, une marée hurlante sem-ble jaillir de terre, déferle sur nous. Elle arrive au corps à corps malgré un feu d'enfer d'armes automatiques. La 2e compagnie (Phu) est sub-

mergée. Les Viets la dépassent, atteignent le sommet d'Eliane 4 et se retranchent dans les emplacements de deuxième ligne qui avaient été abandonnés. La 3e com-pagnie contre-attaque et réussit à colmater la brèche.

Sur la crête, Brech, lance une section qui, magnifique-ment entraînée par le sous-lieutenant Pottier, part de la face nord et progresse rapidement sur le sommet. Le combat se poursuit avec acharnement. Il faut reprendre notre tranchée de première ligne, trou par trou. Les Viets se font tuer sur place. Sur le sommet, Pottier a nettoyé presque entièrement la position de deuxième ligne, mais il reste à peu près seul valide et implore des renforts. A 2 heures, nouvelle accalmie.

A 3 heures. Ses Viets donnent l'assaut sur la face est; la tranchée de première ligne est envahie, franchie et de nouveaux éléments ennemis s'installent sur le sommet. La 3e compagnie contre-attaque, mais à bout de souffle, prise à partie par les feux plongeants venant de la crête, elle est obligée de se replier sur sa position.

Le capitaine Phu, est blessé. Le sous-lieutenant Mako-

wiak prend le commandement des survivants de la 2e compagnie. Une section du 1er B.E.P. (tout ce qui reste de la compagnie Brandon) arrive en renfort. Elle est d'abord envoyée sur la face sud-est, puis sur la face nord où le 2/1 I.R.C.P. perd du terrain. Sur le sommet Pottier a été renforcé et reprend sa progression.

Sur la face est le combat se rallume avec quelques éléments de la 2e compagnie complètement encerclés. Le sous-lieutenant Thung qui les commande réclame un tir de mortiers sur lui. Il est blessé et on entend son râle dans le micro. Sur la face sud-est la 3e compagnie perd du terrain. Le sous-lieutenant Latanne et le capitaine Guil-leminot sont successivement blessés. La pièce de 60 de la 3e est encerclée. Le pointeur tire calmement ses der-niers obus, pendant que les pourvoyeurs se battent à coups de crosse. Le sergent-chef Métier contre-attaque à la tête de la section lourde. Il est grièvement blessé par des éclats de grenade.

5h30. — Pottier combat toujours sur le sommet. La face Est est entièrement perdue mais l'ennemi est conte-nu sur la lace sud-est, où la contre-attaque de Métier a permis de reprendre un peu de terrain.

Nos hommes sont à la limite de l'épuisement, mais les Viets semblent eux-mêmes à bout de souffle.

6 h30. — Aux premières lueurs de l'aube, nous aper-cevons des vagues ennemies massées sur Eliane1, sans souci du camouflage. Elles s'ébranlent et descendent sur Eliane 10 et Elia ne 4.

Les Viets progressent sans hâte, nettoyant méthodique-ment tous les abris. Le sous-lieutenant Makowiak défend les tranchées sud-est pied à pied mais est obligé de céder du terrain.

9 heures. Seuls les abords immédiats du P.C. sont en-core tenus. Je rends compte à Brech que toute résistance est devenue impossible.

"Même situation de mon côté", me dit-il; " Mon

P.C. va être envahi d'une minute à l'autre. J'ai demandé au colonel Langlais de ne pas faire bombarder Eliane 4 pour épargner ses blessés ".

J'appelle le G.A.T. à la radio. Avant de disparaître de l'ordre de bataille je veux adresser un adieu au Gars Pierre et à 'Bruno.

9h30. — Je donne l'ordre au sous-Lieutenant Ma-kowiak de se replier avec la poignée d'hommes valides qui lui reste en emmenant les blessés pouvant marcher. Le médecin-lieutenant Rouault et le lieutenant Armandy restent avec moi.

Les viets sont à quelques mètres, mais ont cessé leur progression et s'enterrent.

10h30— Les Viets lancent quelques grenades et envahissent mon P.C. Ils me conduisent dans leurs lignes où je retrouve Brech.

Eliane 4 est couvert de cadavres qui s'entassent en certains endroits sur plusieurs épaisseurs. Les Viets ont payé chèrement leur victoire."

7 mai. — E 4, E 2, Claudine sont perdues, l'en-

nemi borde la rivière, plus de réserve, plus de muni-tions d'artillerie ni de mortiers, plus de grenades ; des milliers de blessés ; mais encore quelques munitions d'infanterie et trois jours de rations survie.

Peut-être est-il encore possible dans la nuit de tenter la percée vers le Laos. Cette éventualité avait été

minutieusement préparée ; trois colonnes, paras, lé-gionnaires, tirailleurs, devaient essayer de gagner les montagnes Meo, par trois itinéraires différents.

Mais une étude des photos aériennes révèle que ces derniers jours les travaux d'investissement ont été activement poussés. Alors que le 1er mai, il y avait en-core un passage libre vers le sud, le long de la rivière, les clichés du 5 font apparaître trois lignes de tranchées successives qu'il va falloir enlever d'assaut. Les chefs de bataillon sont convoqués. Désespérés, ils ne peu-vent que dire l'impossibilité pour leur poignée d'hom-mes exténués, de forcer l'encerclement viet.

Et ce dernier espoir nous abandonne. Accompagné des lieutenant-colonels Bigeard et

Lemeunier et du commandant Vadot, je vais chez le Général.

Il est dans son abri, seul. A ses côtés le télphone

" courant porteur " avec Hanoi.

Je lui rends compte de la situation et de l'impos-sibilité de tenter une sortie. Puis mes camarades sor-tent. Il est 16 heures; le Général appelle Hanoi et me tend un écouteur. C'est le général Cogny qui répond.

— " Mon général, l'ennemi borde la Nam Youn, toute sortie est condamnée à l'échec total, un nouveau combat de nuit aboutirait au massacre des milliers de blessés entassés dans les abris, il faut cesser le com-bat ".

J'entends dans le lointain, la voix du général Co-gny brisée par l'émotion. — " Au revoir, mon cher ami ". — " Au revoir, mon général ".

Il n'y eut pas de drapeau blanc sur le camp re-tranché ; les écoutes de la radio ennemie avaient ap-pris que l'attaque sur toutes les positions devait repren-dre avant la nuit. A 17 heures, l'ordre fut donné de dé-truire tout l'armement et le matériel radio, et une heure plus tard, la marée viet, submergeait les derniers dé-fenseurs de Dien Bien Phu après cinquante six jours de combats dans un isolement total. Colonel LANGLAIS

…./….