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Le sultan du désertle-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/le...Le sultan du désert COLLECTION AZUR éditions Harlequin Si vous achetez ce livre privé de tout ou partie

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Résumé

Abbie est désespérée. Son jeune frère Andy, soupçonné d’avoir volé de précieuses antiquités alors qu’il séjournait dans le royaume de Barakhara, a été arrêté et risque la prison à vie. Désormais, un seul homme tient le destin de son frère entre ses mains : le puis-sant et impitoyable sultan de Barakhara, un monarque absolu au magnétisme troublant.

Pour obtenir la clémence de celui-ci, Abbie va devoir se ré-soudre au terrible sacrifice qu’il exige d’elle : l’épouser et tout quitter pour vivre avec lui dans son royaume au bout du monde…

KATE WALKER

Le sultan du désert

COLLECTION AZUR

éditions Harlequin

Si vous achetez ce livre privé de tout ou partie de sa couverture, nous vous signalons qu’il est en vente irrégulière. Il est considéré comme « invendu » et l’éditeur comme l’auteur n’ont reçu aucun paiement pour ce livre « détérioré ».

Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre :

AT THE SHEIKH’S COMMAND

Traduction française de DIANE LEJEUNE

HARLEQUIN®

est une marque déposée du Groupe Harlequin et Azur ® est une marque déposée d’Harlequin S.A.

Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, consti-tuerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © 2006, Kate Walker. © 2007, Traduction française : Harlequin S.A.

83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75013 PARIS – Tél. : 01 42 16 63 63 Service Lectrices – Tél. : 01 45 82 47 47

ISBN 978-2-2808-3735-4 – ISSN 0993-4448

1.

Ce furent les motards qu’Abbie aperçut en premier. Des hommes tout en muscles, chevauchant leurs véhicules puissants dont le chrome luisait au soleil. Malgré la chaleur, ils portaient de lourdes combinaisons de cuir noir et de gros casques. Mais elle se rappela que ces gardes du corps travaillaient pour un homme à la tête d’un pays lointain, au climat bien plus chaud que celui de l’Angleterre en cette fin d’après-midi.

Dans un bruit de moteur assourdissant, le convoi s’engagea dans l’allée et s’arrêta devant la porte. Les gardes du corps attendi-rent, parfaitement immobiles sur leurs motos, le regard alerte et nerveux derrière leurs lunettes noires. Ils avaient pour mission de protéger l’occupant de la voiture qui les suivait, une puissante limousine aux vitres teintées, derrière lesquelles Abbie crut devi-ner la silhouette du cheik Malik ben Rachid Al’Qaïm. Un petit drapeau flottait au vent sur le capot du véhicule. Le drapeau de Barakhara.

Abbie inspira longuement. Mais malgré cela, elle ne pouvait s’empêcher de trembler de tous ses membres. Ça y est, pensa-t-elle. Il était là. Non, elle ne rêvait pas. Tout cela était bien réel, malheureusement. Ses yeux gris s’emplirent brièvement de larmes, qu’elle essuya aussitôt d’une main tremblante avant de rabattre en arrière ses mèches blondes.

Le cheik était en avance. Son père et elle ne s’attendaient pas à le voir arriver aussi tôt. Elle n’avait même pas eu le temps d’ôter le tablier aux couleurs criardes qu’elle avait déniché pour ne pas salir son chemisier et sa jupe impeccables.

— Papa ! appela-t-elle d’une voix mal assurée, le souffle court. Ils sont là.

Mais inutile de le prévenir : son père les avait entendus. Il se précipita dans le vestibule et ouvrit grand la porte. Le cœur serré, Abbie le vit s’immobiliser un instant, prendre une longue inspira-tion et essuyer ses mains moites d’angoisse sur son pantalon.

Si même son père se montrait nerveux, alors qu’elle le pensait capable d’affronter n’importe quelle situation, le sentiment de peur qui la tenait éveillée la nuit depuis qu’ils avaient appris la mauvaise nouvelle était bien justifié.

— Bonne chance ! cria-t-elle, pourtant parfaitement consciente que la chance seule ne suffirait pas.

Sa famille était prête à faire tout ce qui était en son pouvoir pour venir en aide à son petit frère, Andy. Mais sachant que le sort de ce dernier dépendait entièrement d’un monarque absolu, le cheik d’un pays d’Arabie, comment pouvaient-ils agir ?

On leur avait conseillé d’implorer sa clémence, mais rien ne ga-rantissait qu’il accepte de les écouter. Apparemment, personne ne pouvait prédire les réactions ce cet homme. Pourtant, aujourd’hui, après trois semaines de pourparlers, ils avaient réussi à obtenir un entretien avec lui.

Soudain, Abbie se ressaisit. Le chauffeur en uniforme venait de sortir de la voiture et ouvrait la portière arrière. Il recula aussitôt, menton levé, dos bien droit, une expression de déférence sur le visage, pour laisser sortir l’occupant de la limousine.

— Oh…

Saisie par le choc, Abbie ne put rien dire d’autre. Si une magni-fique panthère noire avait surgi de la voiture pour remonter l’allée à pas feutrés sous ses yeux, elle n’aurait pas été plus surprise. Ou plus terrorisée. Cet homme possédait la même puissance, la même grâce féline que ce grand prédateur. Son corps semblait animé d’une force brute que masquait sa démarche souple et tranquille. Mais son expression, elle, n’avait rien de tranquille. Abbie n’avait qu’à regarder le visage de cet homme pour sentir une onde de panique lui parcourir le dos. Rien de chaleureux dans ce visage : des pommettes saillantes soulignaient ses traits durs, taillés au scalpel, sa mâchoire puissante, son nez aquilin. Et sous des sour-

cils épais et sombres luisaient des yeux d’une noirceur qu’Abbie n’avait jamais vue ailleurs. Cette expression inflexible traduisait sans aucun doute le caractère intraitable de cet homme, ce qui ne laissait rien présager de bon quant au sort d’Andy. Abbie vit qu’il semblait plus jeune que ce qu’elle avait imaginé. Il avait une tren-taine d’années, alors qu’elle pensait voir arriver un homme d’environ cinquante ans. Mais qui pouvait dire si sa jeunesse lui ferait prendre une décision plus clémente ?

— Je croyais qu’il était cheik ! s’écria une petite voix à côté d’elle.

George, son plus jeune frère, se tenait tout contre la fenêtre et observait l’arrivée de l’important personnage.

— C’est un cheik, George. Le cheik de Barakhara.

— Mais il n’est pas habillé comme un cheik !

— En effet…

Un léger sourire s’esquissa sur les lèvres d’Abbie et effaça, un instant, l’anxiété qui se lisait dans son regard. Agé d’à peine douze ans, George raisonnait encore comme un enfant. Leur visiteur était un cheik, il devait donc être vêtu en conséquence : en djellaba traditionnelle. Cependant, ce cheik-là portait un impeccable cos-tume ardoise parfaitement ajusté qui mettait en valeur la largeur de son torse et de ses épaules. Le tissu léger et fluide bougeait au rythmes de ses pas tandis qu’il se dirigeait à grandes enjambées vers le père d’Abbie, debout sur le perron. Sous le soleil de l’après-midi, ses cheveux noirs d’encre brillaient de mille feux, et la main qui les remit en place d’un geste précis avait la même teinte cui-vrée que son incroyable visage.

— Alors, c’est un cheik ou pas ?

— Oui, oui, mon chéri. C’est un cheik. Mais tu sais, il ne porte cette tenue que dans son pays.

— Dans le désert ? Quand il monte à dos de chameau ?

— Peut-être…

Abbie sourit plus largement devant la charmante naïveté de son frère.

— Si c’est vraiment le cheik, il va pouvoir aider Andy, hein ?

Le sourire d’Abbie s’évanouit comme elle se rappelait pourquoi cet homme était ici et la gravité de la situation.

— J’espère que oui, de tout mon cœur, répondit-elle avec dou-ceur.

— Papa va lui parler, affirma George.

— Oui, papa va lui parler, répéta-t-elle.

Mais son propre ton manquait de conviction, songea-t-elle. Une main sur les yeux pour se protéger du soleil, elle observait la scène dehors. Le cheik avançait vers son père avec une expression sévère, son regard sombre observant ses alentours avec suspicion. Il tendit la main à son père d’une manière qu’Abbie jugea cour-toise. Mais à la façon dont James Cavanaugh, son père, baissa la tête en signe de révérence devant son hôte royal, Abbie ressentit une vive inquiétude. Son père paraissait impressionné par cet homme pourtant bien plus jeune que lui. Il fallait cependant qu’il garde une parfaite maîtrise de la situation, qu’il puisse discuter avec cal ne et sérénité de l’affaire. L’avenir d’Andy en dépendait.

L’image de son frère, dix-neuf ans à peine seul et effrayé dans une des prisons les plus dures et les plus surveillées de Barakhara, la fit frissonner de tout son être. Oui, Andy s’était montré stupide et inconscient, mais ce n’était pas un criminel. Il avait commis une erreur très grave, certes, mais rien d’irréparable. Si seulement on lui donnait une deuxième chance… Une deuxième chance, c’était tout ! Voilà pourquoi le cheik était venu aujourd’hui. Aurait-il fait tout ce voyage s’il ne voulait pas la lui accorder ?

Abbie se pencha vers la fenêtre et écarta le rideau de fine den-telle pour mieux voir la scène qui se déroulait dehors. Elle s’immobilisa aussitôt en se rendant compte que le cheik avait aperçu son léger mouvement. Il tourna la tête dans sa direction, le regard perçant, à l’affût du moindre geste. Pendant une intermi-nable seconde, son regard noir de jais soutint le sien.

— Mon Dieu ! gémit-elle malgré elle, tandis que la peur en-gourdissait tous ses membres.

Elle avait l’impression soudaine d’être une petite souris qu’un aigle venait de repérer, et la crainte lui arracha un petit cri. Elle laissa retomber le rideau et recula aussitôt de son poste d’observation pour se soustraire à ce regard insistant. Même alors, elle sentait ces yeux vifs et pénétrants lui brûler la peau.

« Mon Dieu, faites que les négociations avancent rapidement et s’achèvent au plus vite », supplia-t-elle intérieurement. Pour une raison qu’elle ne pouvait s’expliquer, elle sentait qu’elle n’était pas en sécurité tant que cet homme se trouverait chez elle.

« Et pourtant… », se dit-elle tandis qu’elle s’éloignait davantage de la fenêtre, loin de sa vue. Pourtant, elle n’avait jamais rencontré un tel homme de toute sa vie. Malgré la terreur qu’il lui inspirait, elle savait qu’il lui serait très difficile d’effacer de sa mémoire le souvenir de ce visage exceptionnel.

Si seulement ils avaient pu se rencontrer dans d’autres circons-tances !

* * *

Qui donc se cachait derrière cette fenêtre ?

Le cheik Malik ben Rachid Al’Qaïm n’était pas le genre d’homme à se laisser facilement déconcentrer. Si une situation réclamait son attention, il la donnait entièrement. Et ce dont il devait parler avec James Cavanaugh exigeait une intense concen-tration. Pourtant, l’espace d’un instant, il avait entraperçu un bref mouvement du côté de la fenêtre du rez-de-chaussée, et derrière ces rideaux de dentelle, il avait croisé le regard fascinant d’une jeune femme blonde qui l’observait avec une curiosité à peine dissimulée.

Une magnifique jeune femme blonde, d’ailleurs. Grande et mince, des cheveux lisses, soyeux, et une silhouette dont les courbes avaient captivé toute son attention. Même l’horrible ta-blier fleuri qu’elle avait serré autour de sa taille fine n’avait pu cacher la sensualité des formes qu’il couvrait.

Il lui fallait absolument la voir de plus près, se dit-il. De beau-coup plus près… Mais tandis que cette pensée lui traversait l’esprit, il avait vu la jeune femme écarquiller les yeux de surprise et reculer prestement en lâchant le rideau, qui la dissimula de nouveau à son regard.

Aucune importance. Malik chassa aussitôt le sentiment de frus-tration qui troublait son esprit. Cette svelte créature avait éveillé en lui un trouble étrange, mais il avait pour le moment des affaires urgentes à régler. Cette femme, sans aucun doute une employée de la famille Cavanaugh, pouvait bien attendre.

— Aimeriez-vous quelque chose à boire, après ce long voyage ?

D’un mouvement leste, Malik se tourna vers son interlocuteur, sir James Cavanaugh.

— Avec plaisir, répondit-il.

Suivi de ses gardes du corps, il fut alors introduit dans le grand hall aux murs de chêne, où leurs pas résonnèrent sur le carrelage d’époque.

Mieux valait en finir au plus tôt avec cette histoire et que cha-cun exprime clairement son point de vue pour ne pas rendre les choses encore plus compliquées, songea Malik tandis qu’il suivait son hôte dans une grande pièce lumineuse. Cet endroit avait sans doute connu des jours meilleurs, car on sentait que sous l’apparence négligée, visiblement due à un manque de moyens financiers, la pièce avait été élégante et richement ornée jadis. Malik avait remarqué ces signes de désuétude dès son arrivée devant la maison : le magnifique portail malheureusement rouillé, la fontaine mangée par la mousse et le lichen, les plates-bandes envahies de mauvaises herbes. Tout dans cette demeure laissait à penser que la famille qui l’habitait avait autrefois tenu un rôle important au sein de la haute société anglaise, mais se trouvait à présent dans une situation financière délicate.

Cela ne ferait que rendre les choses plus faciles, se dit-il tout en observant son hôte, visiblement nerveux, s’affairer autour de lui. James Cavanaugh n’aurait d’autre choix que d’accepter le marché qu’il était venu lui proposer. Il pourrait même lui en être recon-

naissant. Mais pourquoi diable devait-il passer par tout ce céré-monial fait de politesses et de grands sourires, quand ce qu’il avait à dire au vieil homme n’avait rien d’agréable ? Car M. Cavanaugh n’allait certainement pas aimer ce qu’il allait entendre. Mais s’il voulait revoir son fils vivant, il devait accepter sa proposition sans broncher. Quant à sa fille, elle n’avait pas le choix non plus.

2.

Quelle attente insupportable ! pensait Abbie tandis qu’elle re-montait sans bruit le grand escalier pour aller se changer. Elle passa devant la bibliothèque en retenant son souffle dans l’espoir d’entendre ce qui se disait derrière la porte fermée, mais elle ne parvint à percevoir qu’un murmure indistinct. Bientôt, elle recon-nut la voix de son père et entendit son interlocuteur lui répondre, mais rien de compréhensible. Seule l’intonation aux accents étran-gers du cheik montrait que c’était désormais lui qui menait la discussion.

Cela ne présageait rien de bon, conclut-elle intérieurement. A cette pensée, elle sentit ses jambes flancher et dut se retenir à la rampe de l’escalier. Pourquoi son père ne parlait-il plus ? Le cheik avait-il déjà rejeté toutes ses propositions ? Peut-être n’avait-il aucune intention de les aider ? Son frère allait-il vraiment purger sa peine ?

« Oh Andy ! » gémit Abbie intérieurement. Des larmes roulè-rent sur ses joues et elle s’appuya contre le mur du palier, le visage enfoui dans les mains. Son frère avait une santé fragile. Enfant, il avait souffert d’asthme et avait passé de longues périodes à l’hôpital ou dans son lit, à la maison. Il n’avait donc pas été beau-coup à l’école et n’avait pas reçu d’éducation très approfondie. Son voyage à Barakhara avait été sa première expérience à l’étranger. Et il se retrouvait aujourd’hui enfermé dans une prison étran-gère… Son unique coup de fil, arrangé non sans mal par l’ambassadeur britannique du pays, leur avait révélé combien il était terrorisé. Il les avait suppliés de le faire sortir pour qu’il re-vienne sain et sauf à la maison. On avait alors entamé les négocia-tions, qui avaient abouti à l’actuelle visite du cheik. C’était leur

seule chance de revoir Andy. Il fallait que cela marche. Coûte que coûte.

Le bruit de chaises dans la bibliothèque la fit sursauter. Quel-qu’un se dirigea vers la porte et l’ouvrit… Son père apparut sur le palier. Il s’arrêta et se retourna vers l’homme resté à l’intérieur. Cet homme de pouvoir, songea Abbie, qui tenait le destin de son frère entre ses mains, ainsi que le bonheur de sa famille. Un homme forcément arrogant, ajouta-t-elle intérieurement en se souvenant de la manière dont il l’avait dévisagée tout à l’heure, avec ce regard sombre et inquisiteur.

— Pardonnez-moi, mais je dois prendre cet appel, s’excusa son père. Ce ne sera pas long.

Abbie le vit se dépêcher en direction de la cuisine. Vu de là où elle se tenait, tout en haut des escaliers, la silhouette jadis forte et puissante de son père lui apparaissait frêle, comme diminuée. Cette impression lui serra le cœur, et elle se mordit la lèvre pour refouler le sentiment de désespoir qui l’envahissait.

« Qu’as-tu fait, Andy ! » se répéta-t-elle de nouveau avec dé-sespoir, avant de se ressaisir. Après tout, ce n’était pas complète-ment la faute d’Andy. Certes, son frère avait manqué de jugeote, mais ce qu’il avait fait n’était pas si grave. D’autres garçons de son âge avaient fait bien pire ! Garder pour soi des objets archéolo-giques découverts sur un site de fouille n’avait rien de glorieux, d’accord. Mais de là à ce que ce cheik l’enferme dans une de ses geôles !

Abbie sentit la colère bouillir dans ses veines. Cette décision arbitraire contrariait son sens aigu de la justice. Pour qui cet homme se prenait-il ? Comment avait-il osé ?

Sans s’en rendre compta, elle descendit les marches qui me-naient à la bibliothèque. Qu’allait-elle dire ? Qu’allait-elle faire ? Elle n’en avait pas la moindre idée, mais elle se sentait irrésisti-blement attirée vers cette pièce. La porte était restée ouverte… Rien ne pouvait plus l’arrêter. L’impulsion qui l’avait saisie dans les escaliers lui fit descendre à la hâte les dernières marches, et elle s’engouffra dans la pièce sans avoir pris la peine de réfléchir une seule seconde à ce qu’elle allait bien pouvoir dire.

Enfin, elle se retrouvait devant lui. Face à cet homme, le cheik, qui était venu négocier avec sa famille. Un homme qui, d’une cer-taine façon, retenait son frère en otage et était venu discuter des termes de sa libération.

Enfin elle le voyait. Ce visage incroyablement séduisant…

Abbie n’en revenait pas. De près, le cheik lui apparaissait dans toute sa splendeur. Un charme ravageur, qu’elle devait s’efforcer d’ignorer de toute urgence. Lui, au contraire, semblait parfaite-ment à son aise, assis dans un des vieux fauteuils de cuir qui flan-quaient la cheminée. Il appuyait sa noble tête contre le dossier, dont le cuir brun et velouté reflétait ses cheveux couleur de nuit, et il avait croisé les jambes devant lui, des jambes longues, révélant de magnifiques et coûteux mocassins. Parfaitement détendu, il tenait une tasse de thé dont la fine porcelaine ivoire contrastait avec la robustesse hâlée de sa main.

Abbie, elle, était loin de se sentir détendue. Débordant de rage, elle ne put se contenir plus longtemps.

— Vous n’avez pas le droit !

Incapable de se contrôler, elle ne put empêcher ces mots de jaillir de sa bouche. Elle ne savait s’il fallait éprouver de la peur ou de la satisfaction face à la réaction de l’homme : la mâchoire ser-rée, les yeux plissés en signe d’incrédulité, il la scrutait de pied en cap.

— Je vous demande pardon ?

Les premiers mots qu’il prononça laissèrent Abbie muette de surprise. Cet homme l’avait troublée dès qu’il était sorti de sa voiture pour apparaître à la lumière de la cour. Elle avait l’impression qu’il avait toujours fait partie de sa vie, alors que ni lui ni elle ne s’étaient encore adressé directement la parole, jusqu’à cet instant.

— Qu’avez-vous dit ?

La voix profonde, aux accents orientaux, avait pris un ton sec et autoritaire qui la glaça. Détendu un instant plus tôt, le cheik sem-blait à présent prêt à bondir. Il n’avait pas bougé d’un pouce, et pourtant, tout dans sa posture révélait une dangereuse tension qui

rendait Abbie infiniment mal à l’aise. Malgré cela, ce côté mena-çant, viril en diable, ne faisait qu’ajouter à la beauté brute de son visage, où ses yeux de jais brillaient d’une lueur inquiétante.

Mais Abbie refusa de se laisser intimider.

— Vous n’avez pas le droit de faire ça et de traiter les gens de la sorte !

— C’est-à-dire ?

— Vous savez très bien de quoi je veux parler !

— Je n’en suis pas sûr…

Totalement décontenancée, Abbie vit le cheik reposer sa tasse dans la soucoupe et se lever, déroulant lentement son long corps svelte et musclé, avec grâce et majesté. Maintenant debout, il la dépassait largement. Prise d’effroi, elle déglutit avec difficulté et resta cette fois-ci parfaitement silencieuse. Elle baissa la tête et réprima l’irrésistible envie de foncer vers la sortie.

— Je ne suis pas sûr de savoir de quoi vous m’accusez, continua l’homme d’une voix étrangement chaude et douce.

Mais Abbie ne souhaitait aucunement se laisser amadouer par cette feinte bonhomie. D’ailleurs, les yeux noirs qui la scrutaient avec froideur ne la trompaient pas sur le caractère cruel de cet homme.

— Allez-vous m’expliquer ce qui se passe ? ajouta celui-ci.

Tout à l’heure, Malik avait accepté le thé que lui proposait James Cavanaugh dans l’espoir de se faire servir par cette jeune femme blonde qu’il avait aperçue. En vain. Et voilà qu’à présent la ravissante inconnue surgissait sans crier gare dans la bibliothèque où il attendait le retour de son hôte…

Elle était encore plus belle de près que ce qu’il avait imaginé. Grande, la poitrine pleine, une taille bien marquée. Son vulgaire tablier de ménage aux grosses fleurs multicolores aurait dû l’enlaidir, mais la façon dont elle en avait attaché les cordons au-tour de sa taille fine soulignait la rondeur de ses seins, la courbure de ses hanches. Une femme, une vraie, si différente de ces créa-tures androgynes qui arpentaient les rues de Londres. La montée

de désir qu’il ressentit fut si brusque que Malik en fut frappé de surprise. Il n’avait pas éprouvé cette sensation depuis une éterni-té… Mais l’humeur dans laquelle elle semblait être n’avait rien à voir avec ce qu’il avait pu imaginer. Cette tigresse en colère ne ressemblait en rien à la douce séductrice qu’il s’était plu à se re-présenter, et qui lui avait fait espérer que ce petit voyage diploma-tique en Angleterre serait peut-être moins ennuyeux que prévu. Au lieu de cela, il se retrouvait pris à parti par cette femme, poings sur les hanches, des éclairs de défi dans son regard gris, comme au-cune citoyenne de son royaume n’aurait jamais osé le faire.

— Inutile de vous expliquer. Vous connaissez la raison de votre présence ici !

— Je suis ici pour parler avec sir James…

Mais Abbie ne lui laissa pas le temps de finir.

— Vous êtes ici pour décider du destin d’Andy… d’Andrew ! cria-t-elle. Comment pouvez-vous jouer avec la vie des gens de cette façon ? Qu’est-ce qui vous donne le droit de…

— La loi m’en donne le droit, coupa Malik avec froideur. La loi de Barakhara. La même loi que le jeune Andrew a bafouée lorsqu’il a empoché ces objets du site archéologique sur lequel il travaillait.

Andy. Malik n’avait pas pu s’empêcher de noter le diminutif employé par la jeune femme avant qu’elle ne se reprenne aussitôt. Ce diminutif révélait une familiarité, une intimité qui ne pouvait exister entre une domestique et un des membres de la famille pour laquelle elle travaillait.

— Des babioles ! protesta Abbie. Quoi ? Deux ou trois vieilles pièces ? Un fossile ? Et vous, vous le condamnez à la prison à vie !

— Des babioles, certes, mais des babioles religieuses, rectifia Malik sur un ton sec. Des objets de grande importance pour l’histoire de Barakhara et de ses dirigeants. Des objets dont le vol aurait pu le condamner à mort, il y a encore quelques décennies…

Non sans une certaine satisfaction, il vit le visage de la jeune femme se vider de ses couleurs.

— Vous ne le saviez pas ?

Bouche bée, Abbie secoua la tête en guise de réponse, laissant ses mèches dorées balayer son visage.

Andy. L’esprit de Malik revenait sans cesse à ce nom. Andy… Quel genre de relation ces deux-là entretenaient-ils ? Etait-il son amant ? La jalousie s’empara de lui d’une manière si brusque qu’il serra les poings pour se contenir.

— Donc, il a oublié de vous raconter les détails de son arresta-tion ? lui demanda-t-il.

Malik fronça les sourcils. Peut-être était-ce plutôt sir James qui avait caché certains éléments de l’histoire. L’honorable sir Cava-naugh ne tenait certainement pas à divulguer à son entourage les déboires de son imbécile de fils aîné.

Malik eut un rictus de dégoût. Ce fier petit Andrew Cavanaugh, qui tenait tant à se faire respecter de ses geôliers, comme Jalil le lui avait rapporté, cet honorable jeune homme, qui vivait appa-remment dans cette demeure entouré de domestiques à son ser-vice… Il n’en était pas moins un voleur, et ceci n’avait rien de très honorable.

— Eh bien, maintenant que vous savez tout, reprit-il, peut-être admettrez-vous que je ne suis pas le diable en personne ?

Abbie ne savait que répondre. Le regard perdu, elle entrouvrit les lèvres, mais aucune parole n’en sortit.

Soudain, Malik se rappela avec colère que Jalil aurait dû s’occuper lui-même de cette histoire. Parfois, il se demandait s’il ne devrait pas, à l’avenir, laisser son demi-frère se débrouiller tout seul. Mais si Jalil échouait, c’était le pays entier qui en souffrirait. Et puis, n’avait-il pas juré à leur mère qu’il ne laisserait jamais cela se produire ? L’honneur de la famille était en jeu, et cela passait avant tout le reste.

Il avait pensé qu’un petit flirt avec cette jeune domestique le divertirait de cette histoire pesante et lui fournirait un peu de détente après les délicates négociations qu’il allait entamer. Mais au vu de l’expression outrée sur le visage de la jeune femme, cela semblait une tâche bien plus ardue qu’il ne l’avait espéré.

Une pensée soudaine lui traversa l’esprit. Si elle était proche du fils de la famille, de cet Andy, alors sans doute l’était-elle de la fille de James Cavanaugh… Or, Malik voulait à tout prix éviter ce genre de complications. On ne lui avait pas encore présenté cette Gail dont Jalil lui avait tant parlé, mais si elle et cette fille étaient proches, alors…

— Non… ne m’a pas parlé de ça, balbutia la jeune femme, le vi-sage en feu.

Ses joues cramoisies la rendaient encore plus séduisante, cons-tata Malik. Comme si elle sortait du lit, après une longue nuit de passion torride. Elle s’était mordu les lèvres si fort qu’elles en étaient devenues écarlates, comme après un baiser fougueux.

— Comment vous appelez-vous ? demanda-t-il soudain, d’une voix qu’il essaya de rendre aussi neutre que possible, malgré le trouble qui s’était emparé de lui et qui l’empêchait de réfléchir posément.

— Abbie, répondit-elle, surprise par cette question abrupte.

Donc, il ne s’agissait pas de Gail, pensa Malik, non sans soula-gement. Pendant une seconde, il avait imaginé…

— Et vous, comment dois-je vous appeler ?

Elle avait posé cette question sur un ton plus hardi, voire sar-castique, qui ne manqua pas de le faire sourire.

— Appelez-moi Malik.

— Malik…, répéta la jeune femme comme si elle goûtait tout l’exotisme de ce prénom. C’est tout ?

Soudain, Abbie humecta ses lèvres sèches et vit que Malik la regardait plus intensément. Et elle sut qu’elle était perdue… Sans même s’en rendre compte, elle était tombée à sa merci, incapable de fuir cette tempête de sensations qui s’abattait sur elle avec une violence stupéfiante. Il sourit furtivement et cette esquisse de sourire la bouleversa totalement.

— C’est tout ? répéta-t-elle. Ne dois-je rien ajouter ?

Aussitôt, le regard noir, hypnotique, de Malik revint se fixer sur le sien.

— Comme quoi, par exemple ? demanda-t-il sur un ton amusé dont la chaude musicalité l’embrasa de plus belle.

Prise de court, Abbie réfléchit un instant en quête d’une ré-ponse appropriée, incertaine à présent du tour que prenait leur conversation.

— Comme… sir ? répondit-elle enfin.

Après tout, c’était un cheik, non ? se dit-elle. Un dirigeant de la famille royale des Al’Qaïm. Il devait sûrement avoir un quelconque titre attaché à son nom.

— Ou Votre Majesté ? Votre Altesse, peut-être ? ajouta-t-elle.

Mais elle ne put continuer. Malik avançait vers elle d’un pas décidé. Malgré la chaleur qui régnait dans la pièce, elle frissonna comme si un courant d’air soufflait sur sa peau nue. Fascinée par ces yeux noirs qui la dévisageaient, elle ne parvenait plus à déta-cher son regard du sien et était incapable du moindre geste. D’ailleurs, elle n’avait aucune intention de bouger. Toute la colère qu’elle avait ressentie quelques instants plus tôt fondait comme neige au soleil devant la chaleur de son sourire.

— Malik, c’est tout…, murmura-t-il, à présent si proche d’elle que son souffle vint caresser sa joue.

Abbie inspira longuement et perçut son odeur, la senteur mus-quée de sa peau.

— Malik…, répéta-t-elle dans un soupir.

Une vague de chaleur se répandit dans tout son corps.

— Malik, dit-elle encore, n’osant rien ajouter, de peur de révé-ler l’émoi qui naissait en elle.

« Touchez-moi ! aurait-elle voulu lui crier. Laissez-moi sentir la chaleur de votre peau sur la mienne, vos bras puissants, la douceur de votre caresse… »

Les mots s’entrechoquaient dans son esprit, lui brûlaient les lèvres. Mais aucun son ne sortit de sa bouche. Jamais auparavant

elle n’avait ressenti cela. Ou plutôt, elle n’avait jamais cru possible de ressentir cela, ce désir, cette envie d’un homme qu’elle venait tout juste de rencontrer. Un homme qui faisait battre son cœur à tout rompre, qui faisait s’emballer son pouls, qui lui arrachait des sensations inouïes, si bien qu’elle sentait sa poitrine se tendre et une douce chaleur naître entre ses cuisses.

Bien sûr, elle avait eu des aventures dans le passé. Mais per-sonne, absolument personne ne l’avait émue à ce point.

— Vous êtes magnifique…

Malik s’était encore rapproché, et elle sentit de nouveau ce par-fum musqué envelopper ses sens. Elle n’en pouvait plus. Ils étaient à la fois trop proches… et pas assez. Elle devait le toucher. De toute urgence.

N’écoutant plus sa raison, le corps enflammé de désir, elle ten-dit la main vers lui. Exactement au même moment, elle sentit la main de Malik sur la sienne. A son contact, Abbie crut voir des étincelles. Ses longs doigts hâlés s’entrelacèrent aux siens, l’attirèrent à lui avec une force irrésistible. Elle n’avait pas d’autre choix que de s’abandonner à son désir, à cette volupté qui submer-geait sa raison. Alors, juste comme elle se penchait vers lui, il s’empara de ses lèvres.

Malik ne s’était pas attendu à un baiser aussi passionné. Oui, il en avait rêvé dès l’instant où il avait aperçu la jeune femme der-rière la fenêtre, mais qui aurait cru que la douce sensation de ses lèvres contre les siennes ferait naître en lui des flammes de désir aussi soudaines ? Le goût de sa bouche, de sa langue enroulée autour de la sienne devenait en cet instant le plus puissant des aphrodisiaques. Mais il en voulait davantage. Son désir pour cette femme lui tournait la tête, semait le chaos dans son esprit. Il en avait même oublié la raison de sa présence ici et la mission qu’il devait accomplir. Tout ce qui comptait à ses yeux, c’était ce corps si doux, si féminin que ses bras enlaçaient, cette bouche suave qui se posait sur la sienne, ses mains qui s’agrippaient…

— Vous êtes magnifique…

Les doigts de la jeune femme remontaient le long de ses bras, effleuraient ses épaules, s’enfonçaient dans ses cheveux. Il réprima un gémissement rauque et l’attira encore plus près, sa bouche explorant de nouveau la sienne avec fougue. La main enfouie dans ses mèches blondes, Malik dénoua l’élastique qui les enserrait et plongea les doigts dans ces cheveux de soie qui se répandaient sur ses épaules.

Abbie se laissait elle aussi porter par la vague de passion qui déferlait sur eux. Son corps souple ne montrait aucune résistance, et elle se pressa davantage contre Malik, consciente de la chaleur et de la fermeté de son érection. Chacun de leurs mouvements augmentait leur désir.

— J’ai envie de vous…

Malik ne se reconnaissait plus. Les mots qu’il venait de pro-noncer semblaient émaner de lui sans aucune retenue. Des mots sauvages, primitifs, à l’image du désir qu’il éprouvait.

Elle laissa échapper un langoureux soupir et murmura quelque chose d’inaudible contre sa bouche, si indistinct que Malik dut détacher ses lèvres des siennes pour la comprendre. D’une main ferme, il releva son doux visage empourpré par la fièvre. Ses yeux étaient voilés de désir, sa bouche gonflée par leur baiser.

— Comment ? demanda-t-il, tout en comprenant ce qu’elle avait murmuré à la façon dont ses yeux le dévoraient. Qu’avez-vous dit ?

— J’ai dit…

Abbie ne prit pas la peine de finir sa phrase. Elle passa un bras autour de son cou et l’attira à elle.

— Oui…

Elle soupira de nouveau contre ses lèvres. Un gémissement d’abandon, de désir. Malik comprit qu’il était inutile de parler. A présent, seule l’action comptait. Il lui fallait prendre cette femme qui se livrait à lui. Maintenant.

Sans quitter ses lèvres, une main toujours plongée dans ses cheveux, évitant les meubles de justesse, il la fit reculer jusqu’à ce qu’ils se retrouvent tout contre le mur.

Malik prit le visage de la jeune femme dans ses mains et y posa un autre baiser.

— Oui ! chuchota-t-il contre ses lèvres. Oui, vous êtes à moi. Je l’ai su dès que je vous ai vue…

Il s’interrompit en sentant les mains d’Abbie desserrer sa cra-vate, ses doigts s’immiscer avec impatience sous le col de sa che-mise.

— Abbie…, parvint-il tout juste à articuler, tant sa voix se faisait rauque.

— Malik…, répondit-elle, comme ensorcelée elle aussi. Malik !

Il la pressa davantage contre le mur, avide de connaître la dou-ceur, la chaleur de son corps sous le sien. Il aurait voulu déchirer ses vêtements, sentir son intime chaleur envelopper son membre gonflé de désir. Pourtant, il ne pouvait se résoudre à s’éloigner d’elle, ne serait-ce que quelques secondes, le temps d’effectuer ces simples gestes. Le seul baiser ne lui suffisait plus : il brûlait de la toucher, de sentir sa peau contre la sienne, son parfum capiteux enivrer ses sens jusqu’à la folie.

— Abbie…

D’un mouvement brusque, Malik la retint d’une main contre le mur et de l’autre, attrapa le bas de sa jupe, qu’il fit remonter jus-qu’en haut de ses cuisses à présent dénudées. Sous ses doigts, il sentit avec délectation la peau nue et veloutée de la jeune femme. Pas de collants ni de bas synthétiques, juste sa peau, grisante de douceur. Abbie, et rien d’autre. Voilà tout ce qu’il désirait en cet instant.

En un tour de main, Abbie lui ôta sa chemise pour découvrir enfin son torse nu, et un soupir de satisfaction s’échappa de ses lèvres. Elle caressa son torse, remonta vers ses épaules, le long de ses muscles contractés, puis tout en bas de son dos.

La tension montait dans le corps de Malik. Des langues de feu glissaient le long de ses veines, faisaient bouillir son sang. S’il ne la touchait pas, il allait exploser. Chuchotant des mots doux dans sa langue natale, il souleva davantage la jupe d’Abbie. A ce geste, il la sentit frémir d’impatience. Le même frémissement qui secouait son propre corps. Puis, il l’entendit gémir. Ou était-ce lui ? Il ne le savait plus.

Il reprit ses lèvres avec ferveur, mais il lui fallait davantage. Il devait aller plus loin, l’explorer, la goûter.

Mais le tablier de la jeune femme le gênait. Attaché autour de sa taille et de son cou, il entravait tous ses mouvements. Malik le souleva et aperçut alors la pièce de lingerie en fine soie mauve qui dissimulait le cœur de sa féminité. Le contraste de ce délicat sous-vêtement avec le rude tablier en matière synthétique ne manqua pas de lui arracher un sourire.

— Voilà donc ce que cache cet horrible uniforme… J’aime ça.

Même sans la toucher, Malik sentait la chaleur qui émanait du corps d’Abbie, la moiteur qui trahissait son désir. Son parfum emplissait ses narines, brouillait son esprit, troublait ses pensées. Et ses baisers l’affolaient davantage. Elle posait partout ses lèvres affamées, dans son cou, sur ses tempes, sans relâche. Ses mains semblaient vouloir l’explorer partout à la fois : ses cheveux, ses épaules, ses bras… Il sentit sa veste tomber à terre.

— Abbie, gémit-il, frustré par la situation présente qui empê-chait leur étreinte de se prolonger tel qu’il l’aurait souhaité. Nous ne pouvons pas, c’est impossible…

Mais Abbie secoua la tête avec vigueur, refusant de se laisser raisonner.

— Embrassez-moi ! ordonna-t-elle.

Malik sentait sa poitrine pressée contre son torse, ses seins aux pointes tendues d’un désir qu’elle ne cherchait plus à dissimuler. Qu’aurait-il donné pour y poser ses mains ! Les sentir sous ses doigts, les goûter…

Mais d’abord, il devait lui ôter ce satané tablier. Cet horrible vê-tement de coton coloré lui était d’autant plus insupportable qu’il

constituait le dernier rempart entre sa peau et la sienne. Mais pas pour longtemps ! Il attrapa les bretelles et tira fort : elles lâchèrent aussitôt avec un bruit de tissu déchiré.

Enfin ! Les mains tremblantes d’empressement, Malik défit quelques boutons du chemisier blanc à présent découvert, et in-troduisit aussitôt les doigts par l’ouverture. Immédiatement, il sentit la rondeur tiède des seins qui se tendaient vers lui.

Sous le choc de la caresse, Abbie balbutia des paroles incohé-rentes et ferma les paupières d’extase. Sa bouche revint chercher celle de Malik avec avidité. Un autre bouton s’ouvrit, et il put enfin y glisser la main entière, enveloppant avec douceur la poitrine enserrée dans un soutien-gorge de dentelle. Le bout de ses seins vint frotter contre sa paume, et la tension qui augmentait entre ses jambes se fit insoutenable.

Il devait lui faire l’amour. Il n’avait plus le choix.

C’est alors qu’il perçut au loin un bruit de pas qui se rappro-chait. Aussitôt, la folie lascive qui s’était emparée de lui s’évapora.

3.

— Oui, très bien, entendu…

La voix de James Cavanaugh résonnait dans le hall et se rap-prochait de la porte fermée. Une voix calme et posée, en contraste total avec l’ambiance suffocante qui se dégageait de la pièce où se trouvaient Abbie et Malik.

— Oui, nous verrons cela plus tard.

Malik reconnut la voix de son hôte. L’homme avec lequel il était venu négocier. Comment avait-il pu agir ainsi ?

Confus, troublé, il posa le regard sur Abbie. Celle-ci s’était im-mobilisée aussi, les yeux écarquillés. Elle paraissait totalement perdue, la tête légèrement inclinée comme pour mieux entendre ce qui se passait dehors.

— Sir Cavanaugh ! s’écria Malik à mi-voix.

— Mon…, commença Abbie.

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase.

— Votre patron, acheva-t-il à sa place.

Il hocha la tête pour lui faire comprendre qu’il était parfaite-ment conscient du problème. Bien sûr, la jeune femme ne tenait pas à se faire pincer par son employeur dans cette situation com-promettante.

Votre patron ? Abasourdie, Abbie dut se répéter la phrase inté-rieurement. Elle ne comprenait plus rien.

Soudain, le bruit de pas dans le couloir la ramena instantané-ment à la terrible réalité. Son père arrivait. Il avançait dans le couloir, en direction de la bibliothèque, où il allait la trouver avec…

Son sang ne fit qu’un tour. Paniquée, elle reboutonna en un éclair son chemisier, dissimulant de nouveau sa poitrine que l’étreinte des doigts de Malik avait fait rosir.

— Laissez-moi vous aider.

Déjà, Malik avait repris contenance et agissait avec méthode et rapidité, entièrement maître de la situation. Il rabaissa la jupe qu’il défroissa au niveau des hanches d’un mouvement sec et pré-cis, sans se rendre compte à quel point la précision de ses gestes, tels ceux d’un médecin, donnait envie à Abbie de crier de déses-poir.

— Recoiffez-vous !

Le ton de Malik était sec et autoritaire. Son regard avait repris sa teinte sombre, dénuée à présent de la lueur lascive qui l’animait quelques instants plus tôt. Malik avait disparu, à sa place se tenait le cheik de Barakhara.

Tout en parlant, il se rhabilla à vive allure. Il reboutonna sa chemise, la rajusta dans son pantalon et peigna ses cheveux d’une main.

— Recoiffez-vous, ai-je dit !

L’ordre s’accompagnait cette fois d’un regard hautain, désap-probateur, qui la glaça jusqu’au sang.

Abbie s’était laissé engloutir par un océan de passion qui lui avait fait perdre toute notion de la réalité présente. Mais visible-ment, Malik avait repris la situation en main en l’espace d’un ins-tant, et il semblait évident qu’il n’avait pas du tout ressenti le même trouble qu’elle.

— Voulez-vous que sir Cavanaugh vous voie ainsi ?

— N… non.

Elle n’avait plus qu’un filet de voix.

— Abbie !

Malik avait sifflé son nom à travers ses dents, d’une voix exas-pérée. Peut-être essayait-il simplement de l’aider, de la ramener à la raison le plus vite possible ? Mais Abbie peinait à le croire.

— Non !

Elle se souvint du plaisir intense que lui avaient procuré ses mains un instant plus tôt. Mais à présent, la panique prenait peu à peu possession d’elle.

— Non, je dois m’en aller !

Une seule façon d’échapper à la confrontation avec son père : de l’autre côté de la bibliothèque, une porte discrète débouchait dans un couloir, à l’opposé de celui qu’empruntait son père à l’instant même. Certes, ce chemin la ferait passer par la véranda puis par le jardin. Mais si elle parvenait à rentrer par la porte de la cuisine, peut-être aurait-elle le temps de rajuster sa tenue et de remettre ses idées en place.

Comment avait-elle pu laisser la situation dégénérer à ce point ? Pourquoi avait-elle perdu toute notion de bienséance de-vant cet homme, dont elle avait brusquement oublié l’identité ainsi que la raison de sa présence chez elle ? A présent, elle ne parvenait plus à le regarder en face. Et pourtant, à peine quelques minutes plus tôt…

— Je dois partir, insista-t-elle d’une voix qu’elle espérait plus convaincante.

Tête baissée, le regard rempli d’amertume, elle se dirigea vers la porte aussi vite que possible. Elle n’avait plus qu’une envie : s’enfuir.

Elle atteignit la porte, tourna la poignée, l’ouvrit, et vit alors avec horreur que Malik l’avait suivie. Sa main hâlée se referma avec fermeté sur son poignet.

— Attendez ! dit-il à voix basse. Attendez.

— Quoi encore ?

Voulait-il l’humilier davantage ? Lui faire comprendre qu’elle n’était qu’un instrument entre ses mains ? Un divertissement éphémère pour le distraire ? N’était-ce pas dans ce but que les hommes comme lui, les cheiks, possédaient des harems ? Pour choisir la femme dont ils avaient envie, et profiter d’elle à loisir ?

— Pourquoi ? demanda-t-elle avec une pointe de défi dans la voix. Pour pouvoir encore profiter de moi ?

— Profiter ?

Malik semblait sincèrement étonné. Il leva le menton avec fier-té et plissa les yeux.

— Profiter ? répéta-t-il sur un ton incrédule. Dois-je vous rap-peler, sukkar, que vous en avez tout autant profité ? Vous n’aviez pas l’air indifférente. D’ailleurs, vous ne l’êtes toujours pas.

Son regard se posa sur la poitrine d’Abbie, dont les mamelons pointaient sous le corsage, révélant ainsi le désir qu’elle cherchait à dissimuler.

— Et moi non plus, ajouta Malik.

En entendant sa voix sourde, Abbie fut surprise de constater qu’il ne maîtrisait pas la situation autant qu’il souhaitait le lui faire croire. Son regard brillait encore d’une lueur animale, et la main qu’il avait posée sur son poignet tremblait légèrement.

Mais les pas de son père se rapprochaient. La poignée de la porte tourna…

Soudain, Malik posa la main sur son visage et plongea son re-gard hypnotique dans le sien.

— Rejoignez-moi ce soir, murmura-t-il. A mon hôtel, pour finir ce que nous avons commencé.

Abbie ne répondit pas. Elle en était incapable. Mais elle vit au sourire de Malik qu’il avait perçu son changement d’expression.

— L’hôtel Europa, indiqua Malik sur un ton décidé, catégo-rique. A 20 heures. Je vous y attends.

Il s’empara alors de ses lèvres pendant une délicieuse seconde, puis disparut de sa vue.

Abbie ne sut si elle était sortie d’elle-même ou si Malik l’avait poussée dehors, mais il était temps : de l’autre côté de la porte, elle entendit son père entrer en s’excusant pour son absence prolon-gée.

— Mais non, voyons, pas du tout.

La voix de Malik lui parvint aux oreilles. Il paraissait parfaite-ment à son aise, comme si rien ne s’était passé et qu’il avait tran-quillement attendu son hôte pendant tout ce temps.

— Cela m’a permis de réfléchir. Je n’ai pas vu le temps passer, ajouta-t-il.

Dehors, le crépuscule tombait sur le jardin. Abbie profita de la pénombre ambiante pour rajuster ses vêtements. Son tablier dé-chiré ne pouvait se raccommoder ; elle l’ôta, le roula en boule et le cacha derrière un pot de fleurs pour pouvoir revenir le récupérer plus tard ce soir, lorsque personne ne la verrait.

Plus tard ce soir… Sur le chemin de la cuisine, elle se souvint brusquement des paroles de Malik : « Rejoignez-moi ce soir… Finir ce que nous avons commencé… »

Il lui avait paru si confiant qu’elle n’avait rien pu lui refuser. Il l’attendait à 20 heures. Serait-elle au rendez-vous ?

Avant même d’y répondre, Abbie connaissait la réponse. Oui, elle refusait d’écouter la voix de sa raison. Bien sûr, elle irait le rejoindre. Il n’existait aucun autre choix.

Oui, c’était absurde, dangereux même. Elle n’avait sans doute jamais agi aussi stupidement, mais comment pouvait-elle conti-nuer à vivre si elle n’écoutait pas son instinct ? Comment pouvait-elle ignorer la force d’attraction de cet homme magnifique, dont l’étreinte inachevée la laissait sur sa faim ? Un déchirement d’angoisse lui fit comprendre qu’une seule solution s’offrait à elle. Les choses ne pouvaient en rester là.

L’hôtel Europa, 20 heures…

Le ton assuré de Malik résonna à ses oreilles. Il ne doutait pas un seul instant qu’elle pût manquer leur rendez-vous.

Dans l’obscurité grandissante, Abbie ralentit. Les doigts pres-sés contre sa bouche, elle tenta de se rappeler la sensation des lèvres de Malik sur les siennes. La caresse de ses doigts sur son corps.

L’hôtel Europa, 20 heures…

Elle serait là. Bien sûr, elle serait là. Comment pouvait-il en être autrement ?

4.

L’énorme horloge du hall de l’hôtel Europa sonnait la demie lorsque Abbie arriva devant le bureau de réception. Elle avait exactement une demi-heure de retard, et l’avait fait exprès. Car après s’être enfin résignée à venir, elle avait décidé que Malik, du moins, l’attendrait.

Comment avait-elle pu se conduire ainsi ? Et allait-elle aussi se plier à ses moindres désirs ? Hors de question !

Non, se répéta-t-elle. Son Altesse Royale et Arrogante, le cheik Malik ben Rachid Al’Qaïm, ne lui imposerait pas son joug. Pas à elle. Ce n’était pas parce qu’il se trouvait être le plus séduisant et le plus fascinant des hommes qu’elle avait rencontrés jusqu’à main-tenant qu’elle allait se laisser faire.

Elle se revit soudain dans l’escalier de la bibliothèque, attirée malgré elle par une force invisible. Elle se rappela la voix chaude et puissante de Malik, ses paroles aux accents chargés d’érotisme qui lui murmuraient qu’elle était belle, qu’il avait envie d’elle…

« Rejoignez-moi ce soir… Finir ce que nous avons commen-cé… »

Oui, elle aurait pu écouter cette voix toute la nuit, toutes les nuits, jusqu’à la fin de ses jours.

— Puis-je vous aider, madame ?

La voix de la réceptionniste interrompit le flot de ses pensées et la ramena brusquement à la réalité.

« Rejoignez-moi », lui avait enjoint Malik. Mais à part l’heure, il n’avait pas précisé les termes de leurs retrouvailles. Abbie se rendit compte qu’elle n’avait jamais eu de rendez-vous avec quel-

qu’un de si important. De lignée royale. Un contrôle de sécurité l’attendait sûrement.

— Je m’appelle Abbie…, commença-t-elle, ne sachant quoi dire.

Elle fut aussitôt rassurée en voyant le visage de la réception-niste se fendre d’un large sourire.

— Oui, bien sûr. Nous vous attendions. Voulez-vous me suivre par ici ?

Quelques instants plus tard, Abbie se trouvait dans l’ascenseur privé qui menait directement à la suite de Malik. Etait-ce donc si facile que ça ? se demanda-t-elle. A peine avait-elle prononcé son nom que tout le monde s’était activé. On avait prévenu l’intéressé, vérifié son identité, puis on l’avait escortée vers l’ascenseur. Un agent de la sécurité l’avait alors accueillie poliment à l’intérieur et se tenait à présent à côté d’elle.

L’ascenseur ralentit enfin, puis s’immobilisa. Les portes s’ouvrirent, et l’agent s’inclina avec déférence.

— Après vous, madame.

Une ribambelle de gens à votre service, cela devait faire partie du quotidien d’un cheik, se dit Abbie tandis qu’elle posait le pied sur la moquette profonde, d’un beau bleu roi. Le cheik Malik avait claqué des doigts, et tout le monde s’était aussitôt exécuté.

Jamais Abbie ne s’était sentie aussi nerveuse. L’estomac noué, la gorge sèche, elle respirait à grand-peine tandis qu’elle avançait dans le couloir, au bout duquel se trouvait une porte blanche. Un autre agent de sécurité en barrait l’entrée, regard à l’affût, bras croisés sur la poitrine, son costume impeccable laissant entrevoir à la taille la discrète crosse d’une arme.

Abbie déglutit avec peine à la vue du pistolet. Elle se força à es-quisser un vague sourire, mais son effort de politesse fut ignoré. Avec un léger signe de la tête, le garde ouvrit la porte et s’effaça pour la laisser passer.

— M… m… merci !

Ses jambes faillirent se dérober sous elle. Elle parvint tout juste à pénétrer dans la pièce, suivie de près par le garde du corps, qui

prononça derrière elle quelques mots en arabe, sans doute pour l’annoncer. Abbie cligna des yeux, et aperçut alors la silhouette grande et élégante de Malik qui se levait d’un fauteuil de cuir noir, au milieu de l’immense et luxueuse chambre.

— Vous êtes là ! lui dit-il de sa voix profonde et captivante. Soyez la bienvenue !

Avait-il vraiment imaginé une seule seconde qu’elle ne vien-drait pas ? s’étonna Abbie. Non, bien sûr : les hommes comme lui n’imaginaient pas qu’on puisse leur désobéir.

C’est alors qu’elle se souvint soudain de ce que lui avait annon-cé son père pendant le dîner. Une nouvelle renversante, qui l’avait définitivement convaincue de venir retrouver Malik.

— C’est à propos d’Andy, n’est-ce pas ? lui avait-elle demandé d’une voix anxieuse en voyant le regard bleu de son père s’assombrir. Le cheik t’a-t-il proposé quelque chose ? Vont-ils le libérer ?

— Il y a un espoir, avait répondu son père. Mais cela va être dif-ficile.

— Peu importe, avait-elle assuré. Nous ne pouvons pas le lais-ser croupir dans cette prison pendant…

Mais à la vue du regard désespéré de son père, elle s’était inter-rompue.

— Pourquoi me regardes-tu ainsi ? Que veut-il ? Qu’est-ce que tu me caches ?

— Ce n’est pas de moi que dépend le sort de ton frère, avait ré-pondu son père d’un air grave. Tu es la seule à pouvoir l’aider. Mais je doute que tu acceptes les conditions…

Abbie secoua la tête pour chasser, pour l’instant, le souvenir de cette conversation.

— Venez vous asseoir par ici.

Main tendue, Malik s’approchait d’elle. D’instinct, Abbie en-fonça la main dans la poche de sa robe bleu et blanc. S’il la tou-chait, elle ne savait quelle serait sa propre réaction. Sa seule pré-

sence dans cette chambre la rendait terriblement mal à l’aise. Elle avait bien essayé de se raisonner, et de se dire que la force de son émotion face à Malik était due à l’état d’extrême anxiété dans lequel elle se trouvait plongée depuis ce matin. Et pourtant…

Même alors qu’il se trouvait à quelques mètres d’elle, elle sentit de nouveau monter en elle une attirance irrépressible, telle une fleur ouvrant ses pétales au soleil, cherchant la lumière indispen-sable à son épanouissement. Le cœur palpitant, elle perçut l’odeur masculine, à présent familière, de Malik. Il s’était changé et portait un jean et un T-shirt noir comme ses cheveux. Ainsi vêtu, on avait peine à croire qu’il s’agissait d’un cheik. C’était avant tout un homme, un homme incroyablement attirant, et qui ne cachait pas non plus son attirance pour elle.

— Abbie ?

Il posa la main sur son épaule. Aussitôt, la chaleur de ses doigts perça au travers du tissu de sa robe. Abbie ne savait plus si elle devait rechercher cette chaleur ou la fuir. Elle sentit le sang lui monter aux joues et humecta ses lèvres soudain sèches.

Malik s’effaça pour la laisser passer. Elle fut soulagée de s’éloigner de lui, de cette tension brûlante qui émanait de tous ses muscles. A peine eut-elle bougé, pourtant, qu’elle regretta déjà sa proximité. Ce sentiment lui était à la fois insupportable et déli-cieux. Elle avait mal au ventre, d’appréhension et de désir mêlés. Elle se sentait vivante, si vivante, et si féminine ! Jamais elle ne s’était sentie aussi femme que depuis ces quelques instants passés en compagnie de cet homme qui brûlait visiblement de désir pour elle.

Et pas seulement de désir, si ce que son père lui avait dit était vrai…

— Puis-je vous offrir un verre ?

— S’il vous plaît, oui.

Incapable d’en dire davantage, Abbie se laissa tomber dans un canapé de cuir moelleux. Vu d’ici, Malik lui semblait si grand, si puissant…

— De l’eau minérale ? Du vin ? Quelque chose de plus fort, peut-être ?

— De l’eau, s’il vous plaît.

Mieux valait garder les idées claires, décida-t-elle intérieure-ment. Elle n’avait nul besoin d’alcool pour embrumer son esprit. A moins que cela ne la détende un peu ?

— Non, du vin, corrigea-t-elle finalement. Rouge, ou blanc, peu importe à vrai dire. Ce que vous voudrez.

Abbie ferma un instant les paupières. Il fallait à tout prix qu’elle parvienne à contrôler son trouble, à ne rien en laisser pa-raître devant son hôte qui semblait, lui, si détendu.

Elle remarqua alors un homme, debout de l’autre côté de la pièce. Il s’était tenu si immobile et silencieux, avec son costume bleu qui rappelait la teinte profonde des rideaux de velours, qu’il se confondait presque avec son environnement. Mais à présent, il avançait vers eux à la demande discrète de Malik. Avec souplesse, il se plaça devant la desserte chargée de bouteilles diverses, en ouvrit quelques-unes puis servit deux verres qu’il tendit au prince en s’inclinant.

Abbie nota combien ce dernier semblait habitué à une telle ser-vilité. Ses employés anticipaient ses moindres besoins. Dire que, bientôt, elle aussi aurait droit à ce traitement !

Mais non, elle ne pouvait se permettre de penser à cela. Pas maintenant. Elle risquait de mettre en pièces le peu de contenance qu’elle avait réussi à gagner en quelques minutes. Mais en même temps, comment ignorer ce que lui avait dit son père ? La nouvelle occupait ses moindres pensées depuis qu’il lui avait fait part de la proposition du prince pour libérer Andy.

« Le cheik de Barakhara veut se marier. Il t’a choisie pour épouse. Si tu acceptes, il arrêtera les poursuites contre Andy et le fera libérer sur-le-champ. »

Bien sûr, son père n’avait pas envisagé un seul instant qu’elle accepte ce chantage. Il imaginait qu’elle préférerait mourir, voire aller elle-même en prison. Sauf que son père ignorait qu’elle avait

déjà rencontré le cheik en personne. Il ignorait de surcroît l’effet que celui-ci avait produit sur elle…

Tandis qu’il déposait sur la table basse le verre de vin et le verre d’eau préparés par Ahmed, Malik remarqua que quelque chose avait changé depuis tout à l’heure dans l’attitude de la jeune femme. Elle avait un air différent, moins spontané, plus réfléchi que précédemment. Elle se tenait avec une certaine raideur, comme effarouchée, son beau regard gris teinté d’anxiété, aussi nerveuse qu’une de ses plus belles juments arabes. Comme il poussait les verres devant elle, il la vit l’observer un bref instant. Elle le remercia si discrètement qu’il faillit ne pas l’entendre.

Eh bien, jument ou femme, il savait quelle attitude adopter face à l’anxiété : patience et respect, jusqu’à obtenir ce qu’il désirait. Dans le cas d’Abbie, une longue nuit de plaisir. Oui, elle allait lui procurer un peu de détente après cette journée infernale.

Vu la façon dont elle avait réagi tout à l’heure, il était surpris de la voir à présent si réservée. Qu’importe : il attendrait. Il avait toute la nuit devant lui. D’abord, il devait tâcher de réchauffer un peu l’atmosphère, et mettre la jeune femme à son aise.

— Laissez-nous.

D’un geste de la main, il congédia Ahmed et son garde du corps. Abbie se sentirait plus en confiance une fois qu’ils seraient seuls.

— Bien, maintenant, nous voilà tous les deux, dit-il en s’asseyant en face d’elle tandis que la porte se refermait.

Abbie attrapa le verre d’eau, but quelques grandes gorgées puis le reposa d’un geste gauche sur la table.

— Ils sont sortis… à reculons, parvint-elle à articuler d’une voix tremblante.

— Qui ? Oh, Ishaq et Ahmed ?

A vrai dire, Malik ne leur avait guère prêté attention. Il était trop concentré sur la femme qui lui faisait face, dans sa robe blanc et bleu. Elle avait attaché ses cheveux blonds d’une manière bien trop sévère à son goût, nota-t-il. Et ses grands yeux frangés de cils

épais brillaient d’une lueur inquiète, comme ceux d’une biche traquée par le fusil d’un chasseur.

— C’est la coutume, à Barakhara, répondit-il après un temps.

— Ils font toujours ainsi ?

Malik acquiesça en silence. Son demi-frère Jalil tenait beau-coup au respect des traditions, et puisque celui-ci l’avait envoyé en Angleterre pour le représenter, il avait droit à la même déférence, même si, dans son propre royaume, il dispensait ses domestiques de ce cérémonial ridicule. Mais il devinait qu’Abbie n’était pas habituée à ce genre de rituels. Voilà sans doute la raison de sa nervosité, conclut-il.

— Allons, ne vous inquiétez pas, ajouta-t-il, je n’attends pas ce-la de vous.

Ces paroles apaisantes ne semblèrent guère la rassurer. Cette fois, elle attrapa le verre de vin et en but une longue gorgée. Mieux valait interpréter ce geste comme une envie de se détendre, se dit Malik.

La façon dont elle se tenait assise sur le canapé, lèvres serrées, visage fermé, les mains crispées sur son verre comme si elle avait peur de le faire tomber, ne lui plaisait pas. Il voulait retrouver la femme de cet après-midi. Celle qui avait fait bouillir son sang si vite qu’il avait cru exploser de désir. Celle qui s’était abandonnée dans ses bras, souple et docile. Certes, la robe qu’elle portait main-tenant lui seyait bien mieux que son piètre tablier de travail, mais cette tenue n’était pas encore assez légère à son goût. Ce qu’il vou-lait, c’était passer les formalités pour commencer à faire ce dont il avait rêvé depuis qu’il l’avait quittée cet après-midi. Qu’elle ôte cette robe au plus vite, ainsi que la lingerie qu’elle portait sans doute dessous. Il la voulait nue, ouverte à lui et à ses désirs, ici même ou dans le grand lit profond de la chambre voisine.

Et elle voulait la même chose. Pouvait-il en être autrement ? Il lui avait demandé de venir pour finir ce qu’ils avaient commencé, et elle s’était exécutée. Trop tard pour changer d’avis. La première chose à faire, c’était libérer cette magnifique chevelure de son carcan.

— En revanche, je vous préfère ainsi, lui dit-il doucement.

Il se pencha vers elle et lui passa une main derrière la nuque, pour défaire l’élastique qui enserrait ses cheveux et le jeter négli-gemment par terre. Aussitôt, une cascade de mèches blondes se répandit sur les épaules de la jeune femme, qui semblait saisie de stupeur, la bouche entrouverte, la main qui tenait le verre de vin figée en l’air.

— Voilà qui est mieux.

Il glissa les doigts dans ses mèches et les peigna doucement. Elle avait les cheveux si doux, si parfumés, qu’il les caressa encore et encore, enivré par leur texture soyeuse.

— Bien mieux, chuchota-t-il d’une voix entrecoupée, téné-breuse, forte du désir qui naissait au plus profond de lui.

Abbie prononça quelque chose d’une voix inaudible, puis s’interrompit avec un soupir. Elle se mordit la lèvre inférieure, puis se figea en le voyant suivre ce geste d’un regard dévorant.

— Malik…, dit-elle à voix basse.

Il plongea de plus belle les mains dans sa chevelure, jusqu’aux racines, où il sentit la chaleur de sa peau remonter dans ses paumes. Puis il enroula les doigts autour de ses cheveux, la tenant ainsi prisonnière, et attira son visage vers le sien.

— C’est bien mieux, vraiment.

Les yeux gris qui l’observaient sans ciller se troublèrent au con-tact du baiser qui s’ensuivit. Un baiser lent, doux et profond, si différent de leur première étreinte passionnée. Pourtant, la pas-sion subsistait. Malik la sentait juste sous la surface, prête à surgir. Il la goûtait sur les lèvres de sa partenaire, sur sa langue qui s’enroulait et se déroulait autour de la sienne.

Abbie laissa retomber la tête en arrière, les yeux enfin fermés, et poussa un long soupir d’aise dont il sentit la tiédeur sur sa peau. Du bout du doigt, il dessina le contour de son visage, suivant la ligne de ses pommettes, de ses lèvres.

— Je suis content que vous soyez venue, murmura-t-il.

Elle rouvrit les yeux et le fixa de son regard gris. Il pouvait y voir les étincelles mauves qui en nuançaient l’iris, contrastant avec le noir de ses pupilles.

— Pensiez-vous que je ne viendrais pas ? demanda-t-elle, devi-nant par avance sa réponse.

Abbie aperçut le coin de sa bouche se relever en un sourire amusé.

— Pas un seul instant.

Bien sûr que non. Cet homme ne pouvait évidemment pas con-cevoir que quelqu’un refuse de lui obéir, pensa Abbie. Et elle n’échappait pas à la règle… Elle se devait de satisfaire ses désirs, tout comme ses domestiques. Malik attendait de son entourage une totale obéissance. Et d’elle, qu’attendait-il ?

Soudain, elle ressentit le besoin de se donner du courage.

Elle prit son verre de vin et en avala le délicieux contenu. La chaleur de l’alcool descendit le long de sa gorge, s’infiltra dans ses veines, son parfum enivrant se mêlant à l’odeur puissante de Ma-lik.

— Vous saviez donc que je viendrais ?

— Oui.

— Vous semblez bien confiant !

— J’avais confiance en vous.

Il caressa le lobe de son oreille, descendit le long de son cou, vers son épaule. Lentement, avec nonchalance, Malik passa le doigt derrière le col de sa robe et découvrit sa peau nacrée. Il ef-fleura le creux où battait son pouls, et la dévisagea d’un regard brûlant qui contrastait avec l’indolence de ses mouvements.

— Je savais que vous en aviez autant envie que moi…

— Je…, commença Abbie.

Mais Malik la fit taire d’un doigt sur sa bouche.

— Pas de mensonges, souffla-t-il doucement. Nous savons ce qui se passe entre nous. Voilà pourquoi je savais que vous vien-driez.

Il lui prit son verre des mains et le leva légèrement comme pour trinquer. Il but une gorgée, comme pour sceller leur en-tente… Leur union ?

Pendant une seconde, Abbie se souvint des paroles de son père : « Le cheik de Barakhara veut se marier. Il t’a choisie pour épouse. »

Voilà pourquoi elle se trouvait ici. Certes, elle avait ressenti quelque chose pour Malik. En son for intérieur, elle n’avait pas hésité une seule seconde à le rejoindre. Mais que faire de cette proposition en mariage ? Et pourquoi Malik ne mentionnait-il rien à ce sujet ? Quand lui en parlerait-il ?

Elle se remémora le moment où son père lui avait annoncé les conditions de la libération de son frère. Il avait paru si surpris qu’elle ne refuse pas de but en blanc. Bien sûr, il ignorait qu’elle le rejoignait le soir même, et il était loin de se douter qu’elle lui ap-partenait déjà, corps et âme, depuis leur premier baiser enflammé. Oui, Malik avait vu juste. Elle n’avait pas d’autre choix que de venir le rejoindre. Sans même penser à leur avenir, à leur vie commune à venir, elle se devait de le revoir.

Mais elle n’aurait jamais imaginé, même dans ses rêves les plus fous, que l’homme qui l’avait tant émue demanderait sa main à son père. Certes, ce n’était pas très délicat de faire de cette de-mande en mariage la condition de la libération d’Andy. Cela man-quait de romantisme mais, après tout, elle le comprenait. Malik venait d’un pays où les hommes devaient se montrer forts et ca-cher leurs émotions. Leur souverain se devait donc de montrer l’exemple le premier. Il la voulait, voilà tout ce qui comptait à ses yeux. Il la voulait tant qu’il l’avait demandée en mariage : que pouvait-elle espérer de mieux ? Il était trop tôt pour parler d’amour, en ce qui concernait Malik, du moins. Mais s’ils pas-saient du temps ensemble, l’amour viendrait. Cela ne faisait aucun doute.

Malik la rejoignit sur le canapé. Il l’enlaça et prit de nouveau ses lèvres en un long baiser qui enflamma une fois encore son désir. Abbie posa la tête contre son torse puissant et entendit son cœur battre contre son oreille. Son odeur l’enveloppait, pénétrait ses sens, comme un encens au parfum entêtant, et réveillait cette envie de lui, ressentie si vivement plus tôt, lorsqu’il l’avait tenue tout contre le mur de la bibliothèque.

Elle n’avait pas su lui résister lors de leur première rencontre, et elle ne lui résistait pas davantage à présent. A son tour, elle noua les bras autour de sa nuque et passa les doigts dans ses che-veux noirs et drus, si fort qu’il pressa davantage ses lèvres contre les siennes. Sa langue chercha la sienne.

Elle ne souhaitait qu’une chose : qu’ils restent ainsi pour tou-jours. Mais Malik, hors d’haleine, dut relever la tête pour re-prendre son souffle. Lorsque leurs lèvres se séparèrent, sa voix n’était plus qu’un murmure.

— Maintenant… il est temps de reprendre les choses là où nous les avons laissées cet après-midi.

5.

Enfin ! soupira Abbie intérieurement tandis qu’elle se laissait emporter par la sensualité de son baiser. Elle avait attendu ce moment toute la journée et s’abandonnait à présent sans réserve dans les bras de Malik. Le temps n’était plus aux questionnements ou aux doutes. En cet instant, elle ne désirait qu’une chose : le sentir, le toucher et succomber aux sensations délicieuses qui assaillaient son corps.

Malik la tint contre lui d’une main ferme et l’étendit sur les coussins moelleux du divan. Une main dans ses cheveux, il conti-nuait à l’embrasser avec fougue, tandis que son autre main explo-rait son corps frémissant d’impatience. Chacune de ses caresses lui apportait de nouveaux frissons de plaisir. A travers le tissu de sa robe, il posa la main sur ses seins, dont il accueillit la rondeur au creux de sa paume. Un gémissement de plaisir monta aussitôt de la gorge d’Abbie.

— Vous aimez ça ? murmura-t-il d’une voix profonde et chaude comme le feulement d’un tigre. Alors, vous allez aimer ça aussi…

Les doigts de Malik se firent plus légers et se promenèrent sur ses seins, dont les mamelons électrisés se tendaient sous le tissu pour chercher sa caresse. Abbie l’entendit rire devant la réaction éloquente de son corps sous ses mains expertes.

— Et ça…

Il l’allongea sur le dos, pencha la tête sur son buste et referma la bouche sur son sein, mouillant de sa langue la fine matière de sa robe, qui collait maintenant à sa peau. Alors, avec une intuition infaillible, il saisit la pointe de son sein entre ses dents, comme s’il lisait dans les pensées d’Abbie ses désirs les plus secrets. Celle-ci

poussa un cri de plaisir et rejeta la tête en arrière, paupières closes.

— Encore, Malik ! Encore…

Impossible de retenir ce cri. Son inhibition s’était évaporée dans la fièvre de leur étreinte. De nouveau, elle entendit rire Ma-lik, dont le souffle chaud caressa sa peau enflammée.

— Tout ce que vous voudrez, lui promit-il. Mais nous serions plus à notre aise dans mon lit…

Les yeux fermés, elle l’entendit se lever puis sentit ses bras qui la soulevaient d’un geste sûr et précis. Par réflexe, elle passa les bras autour de sa nuque et enfouit le visage au creux de son cou hâlé et puissant. Surtout ne pas ouvrir les yeux, pensa-t-elle, de peur que le rêve qu’elle était en train de vivre ne s’évanouisse.

Dès que Malik lui était apparu, c’était comme si un sortilège avait pris possession de ses sens. Ce matin, elle se sentait terri-blement malheureuse et impuissante à la pensée de son frère em-prisonné loin des siens dans une geôle. Mais ce prince étranger avait fait irruption dans sa vie et l’avait envoûtée en un instant. D’habitude, les hommes comme Malik, les hommes de pouvoir qui décidaient du sort des autres, ne s’intéressaient guère aux filles comme elle. Ce prince pouvait fréquenter à sa guise des centaines de jeunes femmes de la haute société. Alors, pourquoi l’avait-il choisie, elle ? Il ne s’était pas contenté de la désirer physiquement, il avait demandé sa main à son père !

Abbie poussa un soupir. Cette pensée invraisemblable la trou-blait au plus haut point. Elle inspira longuement et sentit l’odeur musquée de la peau de Malik. Les lèvres pressées contre son cou, elle sentit son pouls s’emballer dès qu’elle passa la langue sur sa peau pour en savourer le goût légèrement salé. Malik murmura quelques paroles dans sa langue maternelle et accéléra aussitôt le pas vers la chambre. Il la déposa sur le lit aux draps de coton im-peccablement blancs, et elle s’enfonça dans la fraîcheur moelleuse des couvertures.

— Abbie… Magnifique Abbie…

Il chuchota son prénom dans un soupir tandis qu’il l’étendait sur le lit. Leurs lèvres s’unirent de nouveau, mais Malik, incapable de rester en place, s’aventurait déjà ailleurs, embrassait chaque parcelle de son corps. Ses mains fébriles trouvèrent la fermeture de sa robe et la firent glisser jusqu’au bas de son dos, et il posa les lèvres sur la peau peu à peu découverte. Puis, avec les mêmes gestes sûrs, il dégrafa son soutien-gorge pour révéler sa poitrine.

Abbie sentait la chaleur monter entre ses cuisses, si bien que les bas de soie fine qu’elle portait lui étaient désormais insuppor-tables.

— Doucement, sukkar, doucement, susurrait Malik à son oreille, avant de s’emparer de ses lèvres en un long baiser grisant. Ne pressons pas les choses, pas encore.

— Non, répondit faiblement Abbie, à peine consciente du son de sa propre voix.

Malik descendit plus bas encore. Elle se cambrait de plaisir à chaque baiser qu’il déposait sur sa peau lentement exposée. Ses lèvres traçaient un sillon brûlant le long de ses épaules, sous la courbure de ses seins, dont elle aurait voulu qu’il saisisse encore la pointe. Mais Malik continuait son exploration vers son ventre satiné, et il glissa sa langue au creux de son nombril.

— Malik…, soupira Abbie, les mains sur les épaules de son par-tenaire pour l’attirer vers sa bouche assoiffée de baisers.

Mais au contact de son T-shirt noir, elle se rendit compte que contrairement à elle, qui se trouvait à présent quasiment nue, Malik était encore tout habillé.

— Vous portez trop de vêtements, protesta-t-elle alors.

— C’est vrai, chuchota Malik contre sa peau. Et je vais tout de suite remédier à ce problème.

Rapidement, il enleva son T-shirt. Et de nouveau, il l’embrassait, avec tant de passion qu’un long picotement la par-courut de la tête aux pieds. Et lorsqu’il se pressa contre son bassin, elle sentit avec délice la force de son désir.

— Vous aussi, vous êtes encore trop habillée, reprit-il d’une voix rauque.

Il passa les pouces dans les élastiques de ses bas et les fit glisser le long de ses cuisses, d’un geste si empressé qu’Abbie entendit la fine soie se déchirer. Puis il lui ôta sa culotte. Elle oublia tout lors-que la bouche de Malik se perdit dans son intimité, sa langue cher-chant avec ferveur le bouton secret qui s’y dissimulait.

Son souffle chaud s’infiltrait dans les plis intimes de sa chair, si bien qu’elle désirait qu’il continuât encore et toujours. Mais elle en voulait davantage : qu’il la possède, qu’il comble son corps de sa puissance virile.

— Malik…

Elle enfonça les mains dans ses cheveux et tira doucement sur ses mèches brunes pour qu’il relève la tête. Elle avait besoin de ses baisers, et ses seins se languissaient de la sensation de sa langue, de la chaleur de sa bouche.

— Malik ! cria-t-elle en empoignant ses cheveux.

Cette fois, il l’écouta et remonta vers elle avec une lenteur déli-bérée.

— De quoi avez-vous envie, habibti ? demanda-t-il avec un air amusé. De ça, peut-être ?

Sa bouche vint effleurer son sein droit, ce qui la fit crier d’extase.

— Ou bien ça ?

Il prit ses lèvres, étouffant ainsi son gémissement, la langue en-roulée autour de la sienne.

— Ou ça ?

Elle savourait encore le goût de sa langue sur ses lèvres que, dé-jà, Malik retournait taquiner son sein du bout de la langue, avec tant de vigueur qu’elle sentit des larmes de joie lui venir aux yeux et rouler sur ses joues écarlates.

— Oui… oui… oui !

Sa voix devint peu à peu un cri d’extase, puis retomba en un murmure indistinct entrecoupé de hoquets de plaisir tandis que, de sa langue insatiable, Malik tourmentait la pointe de ses seins.

— Oh oui ! souffla-t-elle. Oui !

Elle en voulait toujours plus. Malik portait encore son jean, dont la toile rugueuse venait frotter contre sa peau nue. Elle brû-lait d’accueillir en elle la pleine force de son envie, de sentir toute l’ampleur de sa virilité au plus profond d’elle.

— Malik, j’ai envie de vous, je vous veux…

— Bientôt, sukkar, bientôt, chuchota Malik entre ses seins, ponctuant ces paroles de délicieux petits coups de langue sur ses mamelons enflés. Vous devez vous montrer patiente et attendre…

— Je ne veux pas attendre ! Je vous veux maintenant !

— Mais nous avons tout le temps pour ça. Toute la nuit, même.

Toute la nuit. Cette dernière phrase résonnait à ses oreilles avec délice. Abbie ne put s’empêcher de sourire d’allégresse.

— Oui, toute la nuit, répéta Malik. Et ensuite…

— Toute la nuit, et toutes les nuits suivantes, soupira Abbie. Toutes les nuits de notre vie à deux.

— Pardon ?

Un lourd silence s’établit aussitôt, durant lequel Malik ne bou-gea plus d’un pouce. Plus une caresse, plus un baiser. Hors d’haleine, le corps encore secoué de pulsations fiévreuses, Abbie frissonna. Elle avait soudain l’impression que la terre s’écroulait autour d’elle. Elle ne voyait ni n’entendait plus rien, elle était inca-pable d’articuler le moindre mot, de former la moindre pensée dans sa tête. La chaleur qui l’avait envahie quelques instants plus tôt l’abandonnait aussi vite qu’elle était venue. Autour d’elle, la pièce lui paraissait glaciale et vide. Elle ne savait plus où elle se trouvait, qui elle était, et comment elle avait atteint cet état de choc aussi rapidement.

— Qu’avez-vous dit ? insista Malik.

Les paroles d’Abbie lui avaient fait l’effet d’une douche froide, et maintenant qu’il comprenait pleinement leur signification, une onde de choc lui parcourait le corps comme une décharge élec-trique.

« Toutes les nuits de notre vie à deux… »

Comment avait-il pu ne pas deviner ce qui allait se passer ? Son désir pour cette femme l’avait-il aveuglé au point d’oublier com-bien ce genre de situation pouvait s’avérer épineuse ? Pourquoi n’avait-il rien vu du piège qu’elle lui avait tendu ? Un piège on ne peut plus séduisant, certes, mais un piège néanmoins. Et la jeune femme le dévisageait à présent avec ses grands yeux gris, entrou-vrant ses lèvres roses encore humides de ses baisers ravageurs.

— Je…, commença-t-elle.

Le son de sa voix suffit à le tirer de sa torpeur. Il s’éloigna aus-sitôt d’elle et sortit précipitamment du lit. Seulement alors il se sentit assez maître de lui pour se retourner et lui faire face.

— Qu’avez-vous dit ? répéta-t-il sur un ton froid, brutal, en to-tal contraste avec les paroles si douces prononcées quelques se-condes plus tôt.

Malik la foudroya du regard et la vit tressaillir d’effroi devant sa colère soudaine. Aussitôt, il réprima le sentiment de culpabilité qui montait en lui. Après tout, il n’avait jamais évoqué de mariage, ne lui avait rien promis. Soudain, l’idée qu’elle puisse raconter cette histoire autour d’elle lui vint à l’esprit. Les journaux à scan-dale s’en donneraient à cœur joie. Il voyait d’ici leurs gros titres : « Séduite puis trahie par un cheik. Le séducteur du désert délaisse ses conquêtes. »

— Répondez-moi ! s’écria-t-il en lui jetant un regard noir.

Mais Abbie restait là, étendue sur le lit telle qu’il l’avait laissée, offrant toujours à sa vue son corps splendide.

Bon sang ! Elle était si belle, si attirante ainsi, qu’il dut se rete-nir de toutes ses forces pour ne pas retourner dans le lit et finir ce qu’il avait commencé. Son cœur battait contre ses tempes, et son désir inassouvi le faisait cruellement souffrir. Impossible de ras-

sembler ses pensées. Pourtant, il fallait bien qu’il tente de réparer les dégâts… et vite !

— Répondez, répéta-t-il plus doucement.

Abbie sembla alors sortir de sa torpeur. Elle cligna des yeux puis humecta ses lèvres où demeurait imprimée la marque de ses baisers torrides. Lui-même avait encore en bouche le goût de sa langue, de son corps. A cette pensée, une nouvelle onde de désir s’empara de lui, et il n’en fut que plus agacé.

— Notre… notre vie à deux, balbutia finalement Abbie. La vie que nous aurons lorsque nous serons… mariés.

Il avait donc bien entendu. Son imagination attisée par le eu de leurs ébats n’avait pas débordé jusqu’à lui faire inventer les pa-roles absurdes.

— Notre vie à deux…, répéta-t-il avec lenteur, sur un ton plus sarcastique que jamais.

N’importe lequel de ses sujets aurait tremblé de peur à l’idée de faire naître une telle colère chez lui.

— Je ne me souviens pas vous avoir demandée en mariage. D’ailleurs, je ne crois pas avoir utilisé ce mot une seule fois en votre présence. Alors pourriez-vous me dire ce qui vous a fait croire une chose pareille ?

6.

Qui vous a fait croire une chose pareille ?

Malik observait la jeune femme qui semblait paralysée par le choc. Il devait admettre qu’elle savait jouer la comédie à merveille. Seulement, ça ne marchait plus. Son intention de le faire chanter n’avait aucune chance d’aboutir. Mais comment avait-elle pu s’imaginer qu’il accepterait de l’épouser ?

— Mais… mais…, balbutia-t-elle avec un air affolé qui laissa Malik de glace.

Il n’avait jamais eu de pitié pour les profiteuses, et Abbie avait beau prendre une expression de sincère effarement, il ne céderait pas à son petit chantage.

— Surtout, prenez tout votre temps, lui dit-il avec une voix pleine de sarcasme.

— Je répondrai quand vous me laisserez parler !

Ah, voilà qu’elle lui montrait enfin son vrai visage ! se dit Ma-lik. Le brusque changement de ton prouvait bien que son numéro de femme fragile n’était qu’un subterfuge. Ainsi, derrière le masque de l’innocence se cachait une habile calculatrice. Une calculatrice au physique de rêve, certes, mais néanmoins une femme aux dents longues prête à mordre sa proie sans aucun scrupule. Mais il n’allait pas se laisser faire. Il s’en voulait de n’avoir pas su déjouer plus tôt cette machination, il aurait dû sa-voir que sa fortune et son statut attiraient forcément la convoitise. Mais Abbie lui avait tellement plu qu’il en avait oublié toute mé-fiance.

A présent lui revenait à la mémoire l’agressivité avec laquelle elle lui avait reproché sa présence chez les Cavanaugh. Il aurait dû

prendre cela comme un signe avant-coureur. Mais au lieu de cela, il n’avait fait qu’admirer sa blondeur et les courbes sensuelles de son corps. Quel imbécile il faisait ! se lamenta-t-il intérieurement. Comment avait-il pu se laisser berner par ses sens à ce point ? Il n’aurait jamais cru se faire piéger aussi facilement. Mais Abbie avait pourtant réussi à le prendre par surprise et maintenant, il devait se montrer particulièrement prudent pour ne pas aggraver la situation.

— Parlez, alors ! ordonna-t-il d’une voix forte.

— Ne prenez pas ce ton avec moi, Votre Altesse !

L’accent qu’elle avait mis sur son titre n’avait rien de respec-tueux, contrairement à l’usage habituel qu’en faisaient ses interlo-cuteurs, remarqua Malik avec agacement. De sa vie, personne n’avait jamais usé de ce ton devant lui, encore moins les femmes qu’il mettait dans son lit. D’ailleurs, celles-ci savaient parfaitement que le mariage était la dernière chose à laquelle s’attendre en cou-chant avec lui. Car pour se marier, il lui fallait une épouse digne du titre de reine.

— Très bien, je vous écoute, répondit-il avec une petite cour-bette narquoise.

Abbie bouillait de rage mais faisait tout son possible pour n’en laisser rien paraître. Pourtant, ses pensées s’entrechoquaient dans son esprit. La réaction de Malik lui avait fait l’effet d’une gifle. Il semblait la prendre pour une femme vénale et n’avait pas l’air prêt à lui accorder la moindre chance d’explication. Son père avait-il donc compris de travers ? se demanda-t-elle. Avait-il mal interpré-té ce que lui avait dit Malik ? Pourtant, il lui avait paru si sûr, si déterminé !

« Le cheik de Barakhara veut se marier. Il t’a choisie pour épouse »… Cette affirmation ne contenait pourtant pas le moindre soupçon d’ambiguïté. Peut-être Malik voulait-il simplement la demander lui-même en mariage ? Après tout, c’était un homme de pouvoir. Un souverain. Il devait probablement préférer annoncer ses décisions en personne.

Mais s’il avait changé d’avis ? S’il avait renoncé à l’idée de l’épouser ? Mon Dieu ! s’écria Abbie intérieurement Refuserait-il à présent de se montrer clément envers Andy ? Quelle idiote elle faisait ! Pourquoi avait-elle laissé la passion engourdir sa raison et lui faire dire des choses au mauvais moment ? Mais comment aurait-elle pu prévoir la réaction furieuse de Malik, comme si elle lui avait suggéré de vendre son âme au diable ?

— Laissez-moi d’abord me rhabiller ! protesta-t-elle.

Elle se sentait si vulnérable ainsi. Nue face à ces deux prunelles noires qui la toisaient d’un regard accusateur.

— Pourquoi ? lui rétorqua Malik. La vue ne me déplaît pas.

— Je n’ai aucune intention de me donner en spectacle.

— Cela ne semblait pourtant pas vous déranger il y a encore quelques minutes.

— Oui, mais…

Abbie n’eut pas la force de finir sa phrase. Sa voix se transfor-ma en murmure lorsqu’elle croisa le regard de Malik enflammé de colère. Il se tenait devant elle, beau prince arabe au port altier et fier, son magnifique visage relevé en un air de défi. Et lui au moins n’avait pas à subir comme elle l’embarras de la nudité. Il portait encore son jean, quoique défait à la ceinture. A cette vision, elle ne put s’empêcher de rougir en se souvenant avec quelle fébrilité elle l’avait elle-même déboutonné. La largeur de son torse, dont la peau cuivrée semblait luire sous le duvet brun, ne faisait qu’ajouter à son air sauvage, qui contrastait tant avec le calme luxueux de cette chambre d’hôtel.

— Je croyais alors que…

Abbie s’interrompit de nouveau. Elle se souvint de la première fois qu’elle avait aperçu Malik… Elle avait été éblouie par son al-lure si soignée, si raffinée, aux antipodes de son apparence ac-tuelle. Le contraste lui parut si flagrant qu’elle faillit éclater de rire, mais se retint à temps. Mieux valait ne pas envenimer les choses, se dit-elle. Un fou rire nerveux n’apaiserait pas l’humeur de cet homme, qui ne cessait de la scruter avec un regard dénué de toute chaleur.

— Vous croyiez que quoi ? tonna-t-il soudain. Que j’allais vous épouser ? Que je vous passerais la bague au doigt pour vous re-mercier du plaisir que vous m’avez procuré ? Voilà ce qui vous a poussée à venir ici sans l’ombre d’une hésitation ?

— Non…

Abbie ne put continuer. Les paroles glaçantes de Malik la fai-saient frissonner. En même temps, elle se sentait envahie par l’humiliation cuisante qu’elle était en train de vivre. Malik avait tant changé en l’espace de quelques instants ! L’amant passionné s’était transformé en un monstre d’arrogance dont le ton brutal la lacérait comme une lame. Mais à quoi bon nier ? Car ne lui avait-elle pas appartenu dès l’instant où il l’avait embrassée ? Peut-être même dès son arrivée, lorsqu’il avait posé les yeux sur elle ? Son regard de braise l’avait marquée au fer rouge, à tout jamais. Dès lors, elle avait été sienne. L’esclave de tous ses désirs. Elle était venue ici ce soir car elle n’avait pas le choix.

Elle lui avait obéi sans la moindre hésitation. Mais aussi, ce que lui avait annoncé son père avait changé toutes ses perspectives, et elle était venue rejoindre Malik, heureuse et pleine d’espoir. Au départ, elle s’était refusée à imaginer que le cheik puisse éprouver le moindre sentiment à son égard. D’ailleurs, son désir pour elle lui suffisait amplement. Mais lorsqu’elle avait su qu’il voulait l’épouser, une indescriptible joie s’était emparée d’elle. Car Malik était l’homme dont elle avait toujours rêvé et, visiblement, celui-ci ressentait la même chose pour elle. Du moins, d’après ce que lui avait affirmé son père. Alors, pourquoi tout avait-il tourné au cauchemar ? Qu’avait-elle fait de mal ?

— Non, répéta-t-elle dans un soupir.

— En effet, coupa Malik. Parce que vous aviez alors bien trop envie de moi pour vous soucier de la suite. Racontez-moi, habibti, quand l’idée absurde que je puisse vouloir vous épouser vous a traversé l’esprit ? Peut-être aviez-vous concocté ce petit strata-gème dès le début ?

— Stratagème ?

Abbie tenta de se ressaisir. Elle devait lui répondre quelque chose, n’importe quoi, et arrêter de répéter ses paroles comme un perroquet. Comment pouvait-il croire à un stratagème de sa part, quand c’était lui qui…

— Vous êtes venue ici ce soir pour deux raisons : passer un agréable moment, je vous l’accorde, et ensuite, tirer profit de la situation pour me faire chanter et me forcer à vous épouser.

— Non !

C’en était trop ! Abbie ne pouvait plus écouter ces horreurs. Elle ne comprenait pas comment la situation avait pu dégénérer à ce point. Elle savait seulement que le rêve auquel elle avait voulu croire si fort venait de se briser en mille morceaux devant la colère de Malik.

— Non ! Je n’ai jamais pensé à une telle chose !

Abbie aurait tant voulu se rhabiller. Cacher aux yeux inquisi-teurs de Malik la vision de son corps exposés dans toute sa nudité. Mais ses vêtements étaient trop loin. Il aurait fallu s’approcher de lui et s’agenouiller pour ramasser ses habits éparpillés dans la pièce. Et hors de question de se baisser devant cet homme comme pour lui faire la révérence !

— Comment aurais-je pu penser à ça ? continua-t-elle tout en avisant un peignoir blanc posé non loin sur le dossier d’une chaise.

Elle tendit le bras, l’attrapa et s’en couvrit aussitôt le buste, comme un bouclier protecteur contre ces deux yeux qui lançaient des éclairs.

— Comment ? répéta Malik. Eh bien, rien de plus facile à ima-giner : dès le début, vous n’avez pas hésité à me dire combien j’étais cruel envers votre cher Andy. Ensuite, vous n’aviez qu’à me séduire pour me faire chanter : votre silence contre sa libération.

— Je ne vous fais pas chanter !

Abbie s’interrompit.

— Pas encore, non. Mais j’imagine que ça ne va pas tarder, ré-pliqua Malik.

Il se retourna brusquement et alla à la fenêtre, où il se tint un long moment à regarder les lumières de la ville scintiller dans les ténèbres.

Abbie profita de ce bref intermède pour enfiler le peignoir à la hâte et serrer la ceinture de ses mains tremblantes. Au moins, elle était couverte…

Soudain, elle se rendit compte que Malik avait sûrement dû porter ce peignoir avant elle, et elle frissonna d’une manière in-contrôlable lorsque l’odeur brute de sa peau lui parvint aux na-rines. A peine quelques minutes plus tôt, cette même odeur la submergeait tout entière, tandis que Malik s’étendait sur elle…

Abbie rouvrit les yeux. Pas question de laisser de telles pensées pénétrer son esprit et aggraver davantage son malaise.

— Vous n’avez pas eu le temps de me faire chanter, voilà tout, reprit Malik.

Il s’était détourné de la fenêtre et s’appuyait à présent contre le rebord. Automatiquement, ses deux yeux s’étaient reposés sur leur cible : le visage d’Abbie, qui refermait son peignoir sur son buste de toutes ses forces.

— Mais vous avez parlé trop vite, avant même d’avoir des armes contre moi. Vous auriez dû tourner cinq fois votre langue dans votre bouche.

— Sept fois ! corrigea-t-elle avec une voix plus assurée depuis que l’épaisseur du peignoir blanc la protégeait de son regard impé-rieux. Et pourquoi aurais-je besoin d’armes contre vous ?

— Pour soutenir votre histoire absurde, vos mensonges !

— Mes mensonges !

Abbie s’étouffait de colère. Elle ne parvenait plus à maîtriser sa voix tremblante.

— Je ne mens pas !

— Vraiment ?

Malik la dévisageait avec une expression impassible, où se lisait un insoutenable mépris pour tout ce qu’elle pouvait lui dire.

— Alors, où êtes-vous allée chercher cette idée saugrenue que j’allais vous épouser ? ajouta-t-il.

— A votre avis ? C’est mon père qui me l’a dit !

C’était fait. Elle lui avait tout avoué, et elle espérait bien main-tenant le voir s’excuser de son arrogance injustifiée.

— Que vous a dit votre père, exactement ?

Mais à la plus grande stupéfaction d’Abbie, Malik ne semblait pas le moins du monde repentant. Son expression était plus froide et hautaine que jamais.

— N’est-ce pas évident, Votre Altesse ? Il m’a dit que vous vou-liez m’épouser.

— Pardon ?

Le visage de Malik s’assombrit, et ses yeux se plissèrent jusqu’à n’être plus que deux fentes au-dessus de ses pommettes saillantes.

— Alors votre père est un menteur, parce que je n’ai jamais rien dit de tel.

7.

Malik n’en croyait pas ses oreilles. Comment s’était-il retrouvé dans un tel sac de nœuds ? Cette femme avait-elle perdu la tête ? Ou bien s’agissait-il d’un mauvais rêve ?

— Mon père n’est pas un menteur ! s’emporta Abbie.

Malik leva les yeux vers elle. Avait-elle seulement conscience de l’effet qu’elle produisait sur lui, lorsqu’elle levait son menton en signe de défi et plongeait ses yeux argentés dans les siens ? Sa posture si fière éveillait chez lui des sensations troublantes et tuait en lui toute pensée logique. Son corps brûlait de désir frustré. Ses facultés de raisonnement semblaient attaquées de toute part par ses sens enflammés qui tentaient de reprendre le dessus. Il ne voulait qu’une chose : s’emparer d’Abbie, la jeter sur le lit, lui arracher ce peignoir trop grand pour elle et laisser courir sa bouche sur la douceur satinée de sa peau, savourer de nouveau son goût sur ses lèvres. Il rêvait de plonger dans sa chaleur intime…

Et elle en brûlait d’envie tout comme lui : il n’avait pas le moindre doute. Le feu qu’ils avaient allumé tous les deux ne pou-vait s’éteindre si rapidement, il le savait. Tout son corps vibrait encore au rythme des pulsions fiévreuses de leurs ébats écourtés, et Abbie ressentait sans doute la même chose. Elle aussi devait éprouver la même frustration que lui.

Mais il ne devait en aucun cas se laisser emporter par ces pen-sées lascives, se rappela-t-il en secouant la tête. Il regarda Abbie d’un air déterminé. A présent, il ne voyait plus dans ses yeux l’invitation au plaisir qui y brillait quelques minutes plus tôt. Oui, il en était persuadé maintenant : cette femme voulait nuire à sa réputation et le faire chanter pour obtenir de lui tout ce qu’elle

désirait. Eh bien, elle n’allait pas s’en sortir sans être sévèrement punie, décida-t-il.

— Je vous répète que c’est un menteur, déclara-t-il. D’ailleurs, je serais prêt à parier que vous êtes de mèche, tous les deux.

De nouveau, le regard d’Abbie lança des éclairs. Elle secoua sa tête blonde et releva le menton.

— Je… Nous n’avons rien manigancé ! Rien ! Mon père m’a dit…

— Mon père m’a dit…, répéta Malik avec une voix pleine de cy-nisme. Allons, sukkar, cessez de mentir, cela vaudrait mieux pour vous. Votre père n’a pas pu vous dire une telle chose, puisque je n’ai jamais parlé à cet homme. Jamais.

Non sans satisfaction, Malik vit la jeune femme ouvrir puis fermer la bouche, visiblement incapable de répondre à sa repartie cinglante. Et qu’aurait-elle pu dire, en effet ?

— Je n’ai jamais rencontré votre père, insista-t-il dans l’espoir de clore cette discussion.

Mais alors qu’il croyait voir Abbie admettre une bonne fois pour toutes sa défaite, et se repentir avec humilité, celle-ci sembla soudain sortir de sa stupeur, comme si ce qu’il venait de lui dire lui avait donné un regain d’énergie. Le regard qu’elle lui adressa lui glaça le sang. Elle le toisa des pieds à la tête avec une expression moqueuse.

— Allons, Votre Majesté ! s’exclama-t-elle sur un ton plein de dérision. Vous ne pensez tout de même pas me faire avaler ça ! Et dire que vous m’accusez d’affabuler, alors que c’est vous, le men-teur !

— Comment osez-vous ? tonna Malik d’une voix impérieuse.

— Souffrez-vous d’amnésie, peut-être ? répliqua-t-elle avec une soudaine froideur qui désarçonna Malik. Comment auriez-vous pu oublier que je vous ai vu dans la bibliothèque ?

— Je ne l’ai pas oublié, bien sûr, admit-il avec un haussement d’épaules qui trahissait son irritation. Comment pourrais-je le

nier, puisque c’est là que nous nous sommes rencontrés ? J’attendais votre…

— Vous attendiez mon père, interrompit Abbie sur un ton sec.

— Qu’avez-vous dit ?

Les yeux de Malik se rétrécirent et il fronça les sourcils.

— Que vous attendiez mon père, répéta-t-elle d’une voix assu-rée qui le fit frémir. Vous parliez avec lui, et il a dû s’absenter pour aller répondre au téléphone. C’est à ce moment-là que je suis en-trée dans la pièce…

Malik eut l’impression que sa tête allait exploser d’un moment à l’autre.

— J’attendais James Cavanaugh, affirma-t-il.

Il vit alors son interlocutrice acquiescer de la tête avec une ex-pression hautaine.

— Bon sang, mais qui êtes-vous ?

Se pouvait-il que… ? Non, le destin ne pouvait pas être si per-nicieux.

— Je suis Abbie Cavanaugh, la fille de James Cavanaugh.

C’était donc bien ce qu’il craignait. Mais non, il avait dû mal en-tendre, se dit-il en secouant la tête avec une expression incrédule.

— Non, je ne vous crois pas.

— Mais si !

Excédée, Abbie accompagna cette exclamation d’un coup de pied contre le sommier.

— Vous n’avez pas d’autre choix que de me croire ! ajouta-t-elle.

— Mais ils m’ont dit que sa fille s’appelait Gail, et qu’elle…

— Mais je suis Gail… Abigail… et…

Brusquement, elle s’interrompit. Elle venait de comprendre toute l’ampleur du malentendu.

— Qui vous a dit ça ? Et que vous a-t-on dit d’autre ?

Mais Malik semblait désormais ailleurs. Son visage était aussi vide d’expression qu’une statue de marbre. Son regard opaque paraissait dénué de vie.

— Rhabillez-vous ! lui ordonna-t-il soudain en indiquant d’un geste bref la salle de bains. Couvrez-vous, ne restez pas ainsi !

— Je suis bien assez couverte, merci, répliqua Abbie avec hau-teur.

Quelques instants plus tôt, elle aurait tué pour récupérer ses vêtements et dissimuler sa nudité au regard furieux de Malik. Mais à présent, elle était bien trop impatiente d’obtenir les réponses aux questions qui lui brûlaient les lèvres.

— Et arrêtez de me donner des ordres ! ajouta-t-elle. Vos sujets et vos serviteurs vous obéissent peut-être au doigt et à l’œil, car ils savent que leur vie est entre vos mains, mais, moi, je n’ai aucune intention de me soumettre à votre loi. Je veux des explications. Tout de suite.

— Rhabillez-vous, répéta Malik comme s’il n’avait pas prêté la moindre attention à ces dernières paroles. Nous parlerons ensuite.

Il posa le plat de la main dans son dos et la poussa vers la salle de bains. Quelques secondes plus tard, il envoya ses vêtements froissés dans la même direction : ils atterrirent en tas sur le carre-lage immaculé.

— Mais…

Abbie voulut se retourner pour protester, mais Malik s’empressa de claquer la porte derrière elle.

— Rhabillez-vous !

Même à travers l’épaisseur de la porte, Abbie entendit le timbre menaçant de sa voix. Malik était d’une humeur noire, et elle sentit qu’il ne fallait pas le pousser à bout. Dans une situation si explo-sive, mieux valait se protéger plutôt que se mettre en danger.

— Très bien, concéda-t-elle enfin en verrouillant la porte pour plus de sécurité. Très bien, monsieur le tyran, je m’habille ! Mais après ça, vous me devrez une explication !

La réponse de Malik lui parvint de derrière la porte, mais elle n’en comprit pas un mot. Il lui fallut quelques secondes pour com-prendre qu’il venait de lui dire quelque chose dans sa langue, et que cela devait être particulièrement grossier.

— Détrompez-vous, Abbie, ajouta-t-il alors. C’est vous qui me devez une explication !

— Certainement pas !

La porte verrouillée poussait Abbie à faire preuve d’audace.

— Vous avez accusé mon père d’être un menteur, et…

Elle s’arrêta au milieu de sa phrase et laissa échapper un petit cri. Malik venait d’émettre un autre juron et tournait à présent la poignée avec violence. Mais le verrou tenait bon, et il abandonna peu après.

— Rhabillez-vous ! répéta-t-il en actionnant une dernière fois la poignée. Sinon, je vais me charger de le faire moi-même !

— Il vous faudra d’abord casser la porte, et l’hôtel vous fera payer les dégâts.

— Et vous croyez que je m’en préoccupe ?

Le ton de Malik confirmait que c’était bien le cadet de ses sou-cis. Abbie décida qu’elle l’avait déjà suffisamment provoqué.

D’ailleurs, son audace de tout à l’heure avait à présent disparu au profit d’une certaine inquiétude.

— D’accord ! Je m’habille ! Mais laissez-moi tranquille.

La tension dans son dos et ses épaules se relâcha quelque peu lorsqu’elle vit la poignée de la porte s’immobiliser. Avec un soupir, Abbie se baissa pour ramasser ses habits éparpillés sur le sol. Comment avait-elle pu perdre son sang-froid aussi facilement ? se demanda-t-elle avec angoisse.

Elle prit de longues inspirations pour se calmer. Comme elle aurait voulu se doucher, effacer sur sa peau le souvenir des ca-resses de Malik ! Mais elle n’en avait pas le temps. Dehors, elle entendait son hôte faire les cent pas dans la pièce. Le pousser à

bout n’était certainement pas la meilleure façon d’apaiser les choses.

Elle se contenta de s’asperger le visage d’eau fraîche. Avec ce geste, son esprit engourdi par la violence de la dispute se réveilla enfin : elle avait oublié Andy ! Dans le chaos qui avait suivi les paroles de Malik au sujet de son père, elle avait oublié le point le plus important et effacé de son esprit la raison de la présence du cheik ici…

Elle releva la tête et observa son visage pâle, cerné, dans le mi-roir. Quoi qu’il advienne entre elle et Malik, une seule chose im-portait à ses yeux : la vie de son frère ne tenait qu’à un fil, et elle ne pouvait prendre le risque d’irriter davantage le cheik si elle ne tenait pas à ce que son frère en subisse les conséquences.

Les mains tremblantes, elle enfila ses vêtements, rattacha à la hâte son soutien-gorge et remonta la fermeture Eclair de sa robe. Même à présent, elle ne pouvait oublier combien la passion avait ravagé son corps, combien elle avait frémi en libérant sa poitrine de son écrin de dentelle et de soie pour l’offrir aux mains et à la bouche avides de Malik.

— Arrête, se murmura-t-elle à voix basse tandis qu’elle se re-peignait d’une main. Arrête ça tout de suite !

Elle ne pouvait plus se laisser aller à de telles pensées. Cela ne ferait que la détruire de se souvenir combien Malik l’avait désirée en cet instant, et avec quelle rapidité il l’avait repoussée. Comment avait-il pu changer d’humeur aussi vite, devenir aussi distant et froid, alors qu’elle-même vibrait encore de l’ardeur de leur étreinte ?

— Abigail…

La voix teintée d’impatience de Malik interrompit ses rêveries. Il l’appelait Abigail, maintenant ? La douceur avec laquelle il pro-nonçait son diminutif, Abbie, avait bel et bien disparu.

— J’arrive ! répondit-elle, déchirée entre l’envie de rester pour toujours cachée dans la salle de bains et l’obligation d’obéir pour ne pas envenimer les choses.

Mais lorsque l’image d’Andy se forma dans son esprit, la raison l’emporta définitivement sur la révolte. Abbie s’inspecta une der-nière fois dans le miroir. Son visage avait la pâleur d’un fantôme. Sans sa brosse qui se trouvait dans son sac, de l’autre côté de la porte, elle ne pouvait rien faire pour arranger sa masse de cheveux indisciplinés, sauf lisser ses mèches dorées du plat de la main.

— Abigail !

Le ton menaçant était de retour. Abbie ne pouvait plus se per-mettre de faire attendre Malik. Elle essuya ses mains moites sur la serviette blanche, prit une longue inspiration, redressa les épaules et ouvrit la porte.

A sa grande surprise, elle trouva la chambre entièrement vide. Même le lit avait été refait comme pour effacer toute trace de leurs ébats enfiévrés quelques instants plus tôt. C’était comme si rien ne s’y était passé. Comme si tout s’était déroulé dans un rêve. Si seu-lement ç’avait été un rêve ! se lamenta Abbie en elle-même. Si seulement elle avait imaginé cette scène, alors elle pourrait main-tenant se réveiller et oublier ce cauchemar.

Mais bien sûr, c’était bel et bien la réalité… Et là-bas, dans le salon, se tenait la sombre silhouette de son persécuteur. Malik était assis dans un des gros fauteuils de cuir noir, ses longues jambes étendues devant lui, le menton appuyé sur ses mains croi-sées. Il avait refermé son jean et remis son T-shirt noir, qu’il avait un instant plus tôt jeté à l’autre bout de la pièce, comme se le rap-pela Abbie avec un frisson incontrôlé.

Il regardait dans le lointain, intensément concentré sur ses pensées intérieures. En imaginant la teneur de ces pensées, Abbie ne put réprimer un spasme d’angoisse. En silence, elle avança pieds nus dans la pièce. D’abord, elle crut que Malik ne l’avait pas entendue venir, mais il jeta ensuite un coup d’œil rapide dans sa direction, sans bouger la tête, le regard brillant d’une lueur de colère. Elle se sentit presque défaillir.

— Je suis là, annonça-t-elle d’une voix tremblante.

Malik indiqua d’un geste bref le divan.

— Asseyez-vous.

Allait-il cesser de lui donner des ordres ? s’indigna-t-elle en elle-même, avant de réprimer aussitôt cet accès de colère. L’ambiance était bien trop tendue pour l’aggraver davantage. Elle se dirigea donc vers une chaise en face de Malik en évitant soi-gneusement le divan qu’il lui avait désigné. Le souvenir du mo-ment qu’ils avaient passé là restait gravé dans sa mémoire, et elle ne tenait pas à le faire resurgir en cet instant. Les prochaines mi-nutes allaient être suffisamment désagréables pour ne pas éprou-ver d’émotions malvenues.

A la vue du verre de vin posé en face d’elle sur la table basse, Abbie ne put s’empêcher de repenser à son arrivée dans cette chambre d’hôtel. Peut-être, s’ils avaient débuté la soirée par une discussion calme, posée, alors le fiasco de ce soir aurait pu être évité ?

Assise ainsi en face de lui, il lui était également très difficile de ne pas se souvenir que, sous sa robe, elle ne portait rien. Et elle avait beau tirer sur le fragile tissu, ses genoux restaient décou-verts. Evidemment, impossible de remettre ses bas, déchirés dans l’action, ou sa culotte, jetée à la hâte quelque part dans la chambre.

Mal à l’aise, Abbie attendait nerveusement que Malik prenne la parole. Son regard fixe ne la quittait plus, et elle sentit l’impatience monter en elle. Elle n’en pouvait plus : elle devait briser le silence pesant qui régnait dans la pièce.

— Vous m’avez dit que vous vouliez parler. Eh bien, allez-y !

Un éclair passa dans les yeux noirs de Malik. S’il donnait des ordres à tout va, le cheik n’était visiblement pas habitué à en rece-voir, et ne semblait pas du tout l’apprécier. Pourtant, il parut rava-ler sa colère et but une longue gorgée de vin avant de relever le visage vers elle. Mais à la grande surprise d’Abbie, il arborait un air moins furieux qu’elle ne l’aurait cru.

— Vous vous appelez Abigail Cavanaugh ?

Abbie acquiesça, avant d’ajouter avec une pointe de malice dans la voix :

— L’Honorable Abigail Cavanaugh, pour être tout à fait exacte.

Mais l’air soudain indifférent de Malik ne fit que la déstabiliser davantage. Abbie aurait voulu se faire toute petite, fuir ces deux yeux ténébreux qui la scrutaient.

— Vous m’avez affirmé vous appeler Abbie, mais avez-vous uti-lisé le nom de Gail, dans le passé ?

— Oui.

Où voulait-il en venir ? se demanda Abbie avec agacement. Se prenait-il pour un détective, maintenant ?

— Abbie… Gail…, continua-t-elle. Ce sont deux diminutifs de mon prénom. Et vous, quel est le diminutif de votre prénom ?

Mais Malik ignora sa question d’un haussement de sourcils qui, Abbie n’en doutait pas un seul instant, réussissait sûrement à faire taire les courtisans qui pouvaient être tentés de lui manquer de respect. Elle-même avait l’impression d’être une enfant rabrouée par un adulte, un sentiment qui ne faisait que la perturber davan-tage.

— Vous êtes-vous déjà teint les cheveux en noir ?

A cette question, Abbie écarquilla les yeux. Comment diable était-il au courant de son passé ? Pourquoi avait-il pris la peine de se renseigner à son sujet ? Pire encore, qui donc lui avait fourni ce genre d’informations ?

— Eh bien ? s’impatienta Malik.

— Oui.

Mais Abbie pressentit que ce genre de réponse n’allait pas le sa-tisfaire.

— Quand j’étais en pensionnat, au lycée, j’ai eu en effet ma pé-riode noir corbeau.

— Et aviez-vous un ami ?

Abbie se sentait de plus en plus agacée par ce petit interroga-toire. Ce qu’elle voulait, c’était des explications.

— Où voulez-vous en venir ? demanda-t-elle.

— Je vais vous le dire.

Malik attrapa une veste qui pendait sur le dossier d’une chaise et tira d’une des poches latérales un portefeuille de cuir noir. Il l’ouvrit et en sortit un bout de papier qu’il lança en direction d’Abbie. Une photo, visiblement, qui atterrit sur la table, juste à côté de son verre de vin. Abbie regarda Malik d’un air interroga-teur, puis elle prit la photo et l’étudia attentivement.

Comment avait-il cela en sa possession ? s’étonna-t-elle inté-rieurement. Le cliché remontait à six ans, et avait été pris lors de la soirée de fin d’études au pensionnat Saint-Richard, l’année de ses dix-huit ans. Elle et plusieurs de ses amis posaient devant l’objectif, chacun un bras autour de la taille du voisin.

— Oui, c’est bien moi, admit-elle très lentement.

A vrai dire, elle-même avait du mal à reconnaître la jeune fille au centre de l’image. Pourquoi personne ne lui avait alors dit à quel point cette teinte de cheveux ne lui seyait pas ? Elle ressem-blait à un vampire dans un mauvais film d’horreur. Si Malik s’attendait à la voir ainsi, il avait dû en effet avoir un choc.

— Mais qui…

Abbie s’interrompit au beau milieu de sa question. Elle avait compris. Elle posa de nouveau les yeux sur la photo. Oui, elle avait vu juste. Là, juste à côté d’elle, un bras passé autour de sa taille, se tenait Jalil. Fils d’une riche famille arabe, on l’avait envoyé dans ce pensionnat pour perfectionner son anglais. Même si elle l’avait depuis perdu de vue, elle et lui étaient devenus bons amis le temps d’une année.

— C’est Jalil, n’est-ce pas ?

— Que vous a dit votre père, exactement ?

La question d’Abbie se heurta à celle de Malik, et tous deux se turent. Mais le regard qu’il lui jeta lui indiqua qu’il attendait une réponse de sa part. Abbie ravala sa fierté et entreprit de lui expli-quer les propos de son père.

— Il m’a dit que… que vous aviez offert un arrangement à notre… à la situation dans laquelle s’est mis ; Andy. Est-ce faux ?

En posant cette question, le visage d’Abbie s’assombrit. Non, elle ne voulait pas croire qu’Andy pût rester dans cette prison de Barakhara. Mais à son grand soulagement, elle vit Malik approu-ver d’un bref signe de tête.

— J’ai en effet proposé une solution à votre famille.

Il mesurait chacune de ses paroles. Il avait visiblement endossé le rôle du diplomate habitué à discuter affaires au niveau national et international.

— Donc…

— Mais pas celle que vous semblez croire, l’interrompit-il sur un ton cassant. Je n’ai jamais eu l’intention de vous épouser.

8.

Sa réponse ne pouvait être plus claire. Plus aucune ambiguïté possible.

Choquée, Abbie ne pouvait qu’affronter la vérité : certes, le sort d’Andy ne dépendait plus d’elle, mais qu’allait donc proposer Ma-lik en échange de sa liberté ? Et surtout, comment son père en était-il arrivé à une telle conclusion ? Sans mentionner, évidem-ment, le sentiment de profonde humiliation qu’elle ressentait face à l’affirmation catégorique de Malik.

Allons ! se dit-elle avec amertume. Il fallait être honnête : elle-même n’avait pas vraiment songé au mariage en venant le re-joindre ce soir. Elle s’était laissé mener avec délice jusqu’ici, atti-rée par la promesse sensuelle d’une soirée dans ses bras. Mais lorsque son père l’avait prévenue, à tort, que le cheik comptait l’épouser, elle avait dû admettre en elle-même que l’idée de le retrouver était encore plus séduisante. Au plus profond d’elle-même, une onde de bonheur l’avait parcourue. Bien sûr, elle avait conscience du danger de tomber amoureuse de cet étranger si mystérieux, si puissant, et que cet événement bouleverserait sa vie à tout jamais…

Mais Malik, lui, n’avait apparemment jamais pensé au mariage. Pas un seul instant. Du moins pas avec elle. Sa réaction à la simple mention de ce mot ne trompait pas : il s’était aussitôt détourné d’elle, et la froide distance qu’il conservait depuis entre eux lui faisait l’effet d’une gifle en plein visage.

Non, il ne voulait pas l’épouser. Il ne voulait pas d’elle. Bien sûr, il l’avait désirée suffisamment pour l’attirer jusque dans son lit, le temps d’une agréable soirée. Mais dès qu’elle avait prononcé le mot fatidique de mariage, il l’avait toisée d’un regard noir,

comme si elle s’était transformée en créature diabolique. Son hu-miliation était totale.

— Qui pensiez-vous que j’étais, si vous ne saviez pas que je m’appelais Abigail ? demanda-t-elle enfin.

A la façon dont Malik leva les yeux sur elle, une expression de profonde irritation sur le visage, Abbie sut que cette question ne lui plaisait pas. Pourtant, il lui répondit, et ce qu’il lui avoua la laissa sans voix.

— Je croyais que vous étiez une domestique.

L’ombre d’un instant, un petit sourire malicieux apparut sur les lèvres de Malik. Et Abbie se rappela avec un douloureux pince-ment au cœur comment il lui avait adressé ce même sourire lors-qu’il l’avait accueillie dans cette chambre, puis lorsqu’il l’avait tenue dans ses bras… Pendant quelques brèves minutes, il lui avait montré cette autre facette de sa personnalité, une partie de lui qui, à présent, demeurait cachée sous un masque de froide indiffé-rence.

— C’est à cause du tablier que vous portiez.

Le sourire de Malik s’agrandit, et Abbie se surprit à sourire à son tour.

— Très élégant, n’est-ce pas ? répondit-elle. C’était le tablier de la bonne. De l’ancienne bonne, je veux dire.

— Je n’ai jamais vu personne d’autre qu’une domestique porter ce genre de chose, alors forcément…

— Forcément, répéta Abbie avec une voix dont toute trace d’humour avait disparu.

Une domestique. Rien d’étonnant à ce qu’il ait réagi de la sorte lorsqu’elle lui avait parlé mariage, songea Abbie, mortifiée. C’était un cheik, un prince du désert, un souverain ! Comment aurait-il pu un seul instant songer à épouser une domestique ?

En revanche, mettre une domestique dans son lit ne semblait pas le déranger le moins du monde. Voilà pourquoi les harems existaient : pour que le roi y choisisse ses conquêtes d’un soir ! Ainsi, Malik pensait avoir fait son choix parmi les domestiques des

Cavanaugh. Et il l’avait choisie, elle. Comment allait-il agir, main-tenant qu’il savait qu’elle était la fille de son hôte ? se demanda-t-elle, l’estomac noué.

— Mais si j’avais su, jamais je ne vous aurais touchée.

Malik venait de répondre à sa question… Ces paroles la frappè-rent de plein fouet, et elle faillit pousser un cri tant la douleur dans son cœur se fit vive. Elle se précipita sur son verre et en but le contenu d’une traite, dans l’espoir que le breuvage sucré annihile-rait sa souffrance. Malheureusement, l’exact contraire se produi-sit. L’alcool ne fit qu’irriter davantage ses nerfs à vif. Elle se sentit soudain si vulnérable, si faible devant cet homme assis en face d’elle… Et en même temps, elle ne pouvait détacher ses yeux de son corps puissant qu’il étirait à son aise dans le fauteuil de cuir. Son T-shirt noir moulait ses biceps saillants, son torse sculpté, et ses cheveux luisaient d’un noir si intense qu’ils en paraissaient bleutés, tout comme ses yeux qui l’étudiaient derrière des cils épais.

Comme hypnotisée, Abbie observait les mouvements de sa bouche tandis qu’il parlait, et percevait sa voix comme dans un songe.

— Donc, mon père n’a rien compris ? dit-elle : enfin, faisant un effort pour sortir de sa torpeur. Il a commis une grossière erreur, et…

Mais elle s’arrêta en voyant l’expression de Malik.

— N’avez-vous rien écouté de ce que je viens de dire ?

La voix cinglante de Malik lui fit l’effet d’une douche froide. Elle le dévisagea avec des yeux ronds, incapable de prononcer la moindre parole. Il avait raison : perdue dans ses pensées, elle n’avait pas écouté ce qu’il disait, simplement suivi le mouvement de ses lèvres.

— Ai-je vraiment besoin que vous le répétiez ? répliqua-t-elle avec un haussement d’épaules. Vous avez été très clair ! Tout va bien, je comprends.

— Non ! Vous n’avez rien compris du tout ! Vous ne diriez pas ça si vous m’aviez écouté.

— Mais je vous ai écouté ! Mon père n’a rien compris, et vous n’avez jamais évoqué de mariage.

— Si !

D’un bond, Malik se leva de son fauteuil et arpenta la pièce d’un pas nerveux avant de revenir devant elle.

— Au nom d’Allah, Abbie ! Ecoutez-moi !

Quelque chose dans son regard paraissait à présent la supplier, et à la façon dont il serrait les mâchoires, Abbie sentit une nouvelle vague de panique déferler en elle.

— Je… je vous écoute, répondit-elle dans un murmure.

Elle avait l’impression de se tenir tout au bord d’une falaise, au bord du vide… Elle voulut dire à Malik de se taire, mais n’en trou-va pas la force. Au lieu de cela, elle lui fit un signe de tête pour lui indiquer qu’elle était prête.

— Que vous a dit votre père, mot pour mot ?

Cette fois, la réponse était facile. Les paroles de son père étaient gravées dans sa mémoire en lettre de feu. Elle n’aurait pu les oublier même si elle l’avait voulu.

— Il m’a dit… Il m’a dit : « Le cheik de Barakhara veut se ma-rier. Il t’a choisie pour épouse. Si tu acceptes, il arrêtera les pour-suites contre Andy et le fera libérer sur-le-champ. »

— Et vous avez cru que cela signifiait que je voulais vous épou-ser ?

— Eh bien… oui, c’est évident, non ? Mais apparemment, ça ne l’est pas, puisque je sais maintenant que mon père a mal compris, mais…

Evidemment, Malik la laissait s’embourber dans ses explica-tions et ne faisait rien pour lui venir en aide. Il l’observait simple-ment avec ce regard impassible qui la mettait de plus en plus mal à l’aise.

— Avouez qu’il y a matière à confusion, non ? Après tout, vous êtes le cheik de Barakhara, et vous êtes venu ici pour…

— Non, c’est inexact, interrompit Malik d’une voix froide et po-sée.

— Pardon ? demanda Abbie, bouche bée. Qu’avez-vous dit ? Vous…

— Je ne suis pas le cheik de Barakhara. Mon royaume s’appelle Edhan et il jouxte le royaume de Barakhara, qui est dirigé par mon frère. C’est lui qui souhaite vous épouser.

Le silence qui s’ensuivit fut rompu par le fracas du verre qui se brisa entre les doigts d’Abbie. Un morceau de cristal lui transperça le doigt, mais elle ne pouvait bouger. Non ! Elle avait dû mal en-tendre, se dit-elle en réprimant un cri de douleur.

Et pourtant, elle avait parfaitement entendu, cette fois. Son père lui avait parlé de la proposition de mariage sans savoir qu’elle avait déjà rencontré Malik, et qu’elle en avait déduit qu’il s’agissait du cheik de Barakhara. Maintenant, elle comprenait pourquoi son père avait été abasourdi de la voir si enthousiaste à l’idée d’épouser cet homme. Comment avait-elle pu se montrer si naïve ?

— Votre frère ? répéta-t-elle.

— Oui, acquiesça Malik. Mon demi-frère, pour être exact. Mon père est mort quand j’avais trois ans, et ma mère s’est remariée avec le cheik de Barakhara.

Le regard sombre de Malik se détacha d’elle pour se poser sur la photographie.

— Mon frère règne maintenant sur le royaume de Barakhara. Il est le détenteur du pouvoir et le gardien des lois. C’est de lui que dépend le sort de votre frère, pas de moi. Et c’est lui qui veut vous épouser.

— Je ne vous crois pas !

Malik balaya la protestation d’Abbie d’un geste de la main.

— Pourquoi croyez-vous que je vous aie parlé de Jalil ?

— Jalil !

Le verre déjà brisé d’Abbie vint s’écraser sur le sol, où le vin imprégna la moquette de sa teinte carmin.

— Vous vous êtes blessée.

Malik s’approcha aussitôt d’elle. Mais Abbie ne pouvait suppor-ter l’idée qu’il puisse de nouveau la toucher. Son corps palpitait toujours de la vague d’excitation qui l’avait submergée plus tôt, il était prêt à se briser en éclats au moindre contact de ses doigts, comme le verre de vin qui gisait maintenant à ses pieds en mille morceaux.

— Ne m’approchez pas !

— J’allais juste vous aider, dit Malik en tirant de sa poche un mouchoir blanc qu’il enroula autour de la blessure.

— Alors, aidez-moi plutôt à éclaircir cette situation, répliqua Abbie avec un air sévère qui cachait mal les tremblements de son menton. Jalil, mon ancien camarade d’école, est devenu cheik, et c’est lui qui veut m’épouser ?

— C’est exact. Et c’est lui qui a posé cette condition à la libéra-tion de votre frère, répondit Malik d’une voix froide.

Jalil voulait l’épouser ? se répétait Abbie. Mais il ne lui avait jamais fait signe depuis toutes ces années ! De plus, elle n’avait jamais rien ressenti pour lui, si ce n’est de l’amitié. Rien à voir avec l’irrépressible désir qui l’avait poussée vers Malik… Pourtant, maintenant qu’elle y repensait, Jalil s’était montré entreprenant avec elle et lui avait clairement montré qu’elle lui plaisait. Elle l’avait gentiment éconduit, mais il est vrai qu’il lui avait semblé profondément blessé de son refus.

— Une condition que vous avez acceptée, d’après votre père, reprit Malik. Il m’a téléphoné avant votre venue ici pour me dire qu’il vous avait parlé et que, à son grand étonnement, vous aviez accepté la proposition de Jalil.

— Mais c’était parce que…

« C’était parce que je croyais que la demande en mariage venait de vous ! » faillit-elle lui dire. Mais elle ne put se résoudre à finir sa phrase. Comment aurait-elle pu lui avouer à quel point cette idée l’avait enchantée ? Combien elle avait voulu dire oui. Com-bien elle était tombée éperdument amoureuse de lui ?

Elle réprima un soupir de soulagement en se félicitant de n’avoir jamais mentionné cela à l’homme qui se tenait en face d’elle, à présent si distant, si cruel. Avoir pensé à l’épouser consti-tuait déjà une grossière erreur, alors lui parler de sentiments amoureux… Non, il était parfaitement clair qu’elle se serait ridicu-lisée devant lui, qui ne ressentait visiblement rien pour elle. Si seulement elle pouvait trouver le moyen de revenir en arrière et lui faire croire qu’elle n’éprouvait pas le moindre sentiment à son égard ! Alors, pourrait-elle peut-être se sortir de ce bourbier la tête haute ?

— Et si je refuse ? demanda-t-elle.

— Vous n’avez pas le choix, trancha Malik d’un ton imperson-nel et dénué d’émotions. Votre père m’a affirmé que vous aviez accepté. Mon frère a téléphoné peu après pour avoir la réponse, et je lui ai confirmé votre accord. Il vous prendra pour épouse dans deux semaines. Si vous n’y allez pas, j’ai bien peur que votre frère en subisse les lourdes conséquences.

Elle releva lentement la tête, les yeux écarquillés. On aurait dit que quelqu’un l’avait giflée en plein visage, pensa Malik avec cul-pabilité. C’était une chose de tenir la promesse faite à sa mère, se dit il avec humeur, mais une autre d’accomplir le stupide vœu de son petit frère. Jalil lui avait soutenu que l’idée ne déplairait pas à Gail Cavanaugh. Que celle-ci ne supportait pas le fait que sa fa-mille ait un titre mais pas de fortune. Qu’elle accepterait cette offre pour l’argent, pour le statut, pour sortir son cher petit frère de prison. Mais surtout pour l’argent. Gail Cavanaugh ferait n’importe quoi pour de l’argent.

La femme qu’il avait à présent devant lui n’avait rien à voir avec cette Gail dont lui avait parlé Jalil. C’était Abbie, la blonde Abbie aux yeux cendrés. Et qui semblait profondément choquée par cette proposition.

— Je suis désolé…, commença-t-il, mais le rire de la jeune femme le fit aussitôt taire.

Abbie secouait la tête, sa blonde chevelure balayant doucement son visage. Une de ses mèches vint se coincer dans la commissure de ses lèvres humides, et Malik dut se retenir pour ne pas tendre la

main vers elle. Mais il savait que s’il commençait ainsi, il ne s’arrêterait pas là. S’il la touchait, s’il sentait la douceur de cette bouche pulpeuse sous ses doigts, alors il continuerait. Il passerait la main sur ses lèvres chaudes pour les sentir avec délice se refer-mer sur ses doigts. Il ne pourrait contenir l’envie de l’embrasser…

Mais il entendit Abbie rire de nouveau.

— Vous êtes désolé ? Oh, je vous en prie, inutile de vous excu-ser ! Tout va pour le mieux, en fait. C’est exactement ce que je voulais.

— Vraiment ?

Malik n’en croyait pas ses oreilles. S’agissait-il vraiment de la même femme ? Ce rire semblait avoir modifié ses traits et effacé la douceur de l’expression qu’elle avait arborée jusqu’ici. A présent, son visage s’était durci, mâchoire crispée et menton relevé en signe ouvert de défi. Sous leurs longs cils bruns, ses délicats yeux gris avaient pris une teinte plus froide et le toisaient de la tête aux pieds avec une lueur non dissimulée de mépris. Abbie s’était éva-porée et à sa place se tenait la femme que Jalil appelait Gail.

— Oh oui ! C’est vraiment parfait, continua-t-elle. Voyez-vous, je suis venue ici ce soir dans l’unique but de trouver un cheik à épouser.

Elle s’interrompit un instant, la tête inclinée sur le côté comme si elle attendait une réponse de sa part. Mais Malik n’avait rien à dire. Son amère déception l’empêchait de prononcer la moindre parole, même l’insulte qu’il aurait pu lui jeter au visage pour ex-primer tout le mépris qu’il ressentait pour elle en cet instant.

La mèche de cheveux se trouvait encore coincée dans la com-missure de ses lèvres, mais cette fois il n’avait plus aucune envie de tendre la main vers elle. L’irrépressible envie de la toucher, de l’embrasser, s’était volatilisée. Il préférait encore prendre une vipère dans ses mains nues que s’approcher de cette femme qu’il ne reconnaissait plus. Dire qu’il avait failli coucher avec elle !

— Evidemment, continua-t-elle, j’ai manqué de tact, et vous avez cru que… Mais maintenant, aucune importance, puisque j’ai obtenu ce que je voulais ! Je voulais une demande en mariage, et

c’est ce que j’ai eu. Vous n’avez donc pas à vous excuser, Votre Très Chère Majesté, au contraire. Vous devriez ne féliciter et re-mercier votre frère de son offre si généreuse.

Une fois encore, elle fit une pause. Une fois encore, Malik ne put trouver les mots pour lui répondre. Il savait toutefois que son visage devait sûrement trahir ce qu’il ressentait. Il serrait si fort les dents qu’il en avait mal. Son sang battait à tout rompre à ses tempes.

— Je le lui ferai savoir, répondit-il finalement, le souffle court. Je suis sûr qu’il sera ravi.

Jalil serait en effet content, songea-t-il. Cela le sortirait de l’impasse dans laquelle il s’était engagé, et lui sauverait même le trône, voire la vie. Lui et cette Abigail se méritaient bien. Ils for-maient le couple idéal.

— Parfait, affirma Abbie d’une voix mielleuse. Et faites-moi plaisir, voulez-vous, mon cher Malik ?

Elle se pencha en avant et posa le doigt au coin de sa bouche crispée pour le forcer à sourire.

— Souriez ! Allons, essayez ! Je suis sûre que vous pouvez y ar-river avec un petit effort.

C’en était trop. Malik ne pouvait supporter cette situation une minute de plus. Avec un juron dans sa langue maternelle, il attra-pa la main de la jeune femme et l’éloigna de son visage.

— Et pourquoi devrais-je faire ça, dites-moi ? Pourquoi de-vrais-je vous sourire ?

— Pourquoi ? répéta Abbie avec le même rire insupportable. N’est-ce pas évident, mon cher ? Parce que vous devez vous mon-trer agréable envers vos proches, et c’est ce que nous allons être très bientôt. Je vais épouser votre frère, ce qui signifie que, à partir de maintenant, nous allons nous voir très souvent.

9.

Tout ceci n’était qu’un mauvais rêve, tentait de se convaincre Abbie. Comment avait-elle pu se retrouver là, dans le confort luxueux de la cabine du jet privé qui l’emmenait vers Barakhara ?

Barakhara, où elle allait rencontrer le cheik qui voulait l’épouser…

Elle avait beau se répéter inlassablement cette dernière phrase à voix haute, rien n’y faisait : elle avait toujours l’impression que ce scénario ridicule était le fruit de son imagination débridée.

Le cheik…

Une hôtesse se pencha courtoisement vers elle pour lui deman-der si elle avait besoin de quelque chose.

— Non… Rien, merci ! Tout va bien.

Tout allait bien, en effet, en apparence. Depuis le moment où la luxueuse berline était venue la chercher chez elle pour la conduire à l’aérodrome, elle n’avait pas eu à se plaindre une seule fois. Ja-mais elle n’avait été traitée avec autant d’égards, et pourtant, ja-mais elle ne s’était sentie si mal à l’aise. Depuis qu’elle avait appris la vérité quant à l’identité de son promis, ses nuits étaient agitées de cauchemars.

— Madame, nous allons bientôt atterrir. Veuillez attacher votre ceinture, je vous prie.

L’hôtesse s’apprêtait à le faire pour Abbie, plongée dans ses pensées, quand celle-ci l’arrêta d’un petit geste de la main. Allons, se dit-elle, elle devait au moins faire quelque chose toute seule, et conserver son indépendance aussi longtemps que possible.

Mais qu’allait-il se passer lorsqu’ils auraient atterri et qu’elle rencontrerait Jalil, son futur mari ? Allait-elle vraiment faire cela ? Pouvait-elle seulement le faire ?

Les yeux fermés, Abbie laissa retomber sa tête sur le dossier tandis qu’elle entendait le bruit du moteur se modifier à l’approche de la piste.

Avait-elle vraiment le choix ? Au téléphone, Jalil s’était montré charmant et spirituel, mais il avait également été très clair sur un point : soit elle venait à Barakhara pour devenir son épouse, soit Andy passait le restant de ses jours derrière les barreaux.

Elle s’efforça de se souvenir de Jalil lorsqu’ils étaient ensemble au lycée : assez petit, un physique exotique et plutôt attirant, pour être honnête. Mais leur amitié découlait davantage des circons-tances que d’une authentique affection. Jalil faisait simplement partie des gens avec qui elle s’était bien entendue en dernière année. A vrai dire, ils n’avaient pas grand-chose en commun. Et elle avait tellement changé depuis ! A commencer de couleur de cheveux…

En réalité, elle allait rencontrer un parfait inconnu. Et se ma-rier avec. Pourquoi le cheik qu’elle allait épouser n’était-il pas Malik ? gémit-elle intérieurement. Cela aurait tout changé ! Malik, qui lui-même n’avait été qu’un inconnu à ses yeux, mais qui s’était révélé si vite différent…

— Malik…

Le soupir s’échappa des lèvres d’Abbie tandis que l’image du cheik était apparue derrière ses paupières closes. Malik, si grand, si brun, si attirant. Sa bouche sur la sienne, ses longues mains cuivrées sur son corps, ôtant un à un ses vêtements avec un em-pressement fougueux.

Non ! s’écria-t-elle presque à voix haute, ouvrant d’un coup les yeux dans la pénombre de la cabine, dont les lumières étaient baissées en vue de l’atterrissage. Elle ne devait plus penser à Ma-lik ! Inutile de remuer le couteau dans la plaie.

Pourtant, elle se sentait si amoureuse ! Oui, voilà : le mot était lâché. Amoureuse. Comment le nier ? Dès qu’elle l’avait vu, elle

s’était livrée à lui corps et âme, avec un abandon aveugle. Lors-qu’elle se trouvait dans ses bras, plus rien ne comptait, plus rien sauf lui… La rapidité avec laquelle elle avait succombé à cet homme lui donnait des frissons. Jamais auparavant elle n’avait cru au coup de foudre, et elle devait reconnaître aujourd’hui combien elle avait eu tort. La vérité, c’était que Malik tenait son cœur entre ses mains. Elle était sienne et dorénavant, personne d’autre que lui n’aurait de place dans sa vie.

Mais Malik ne voulait pas d’elle. Il n’avait eu d’autre désir que celui, immédiat, de la chair. Un désir qui avait si vite pris fin qu’il ne pourrait jamais plus renaître. L’espoir d’un avenir radieux qu’elle avait vu naître dans cette chambre d’hôtel, deux semaines plus tôt, ne pouvait plus se réaliser. Voilà pourquoi elle se trouvait ici aujourd’hui. Le cœur lourd et la mort dans l’âme, trop meurtrie pour se révolter, elle avait accepté la demande en mariage de Jalil. Pour Andy.

Le bruit du moteur se fit plus fort et soudain, Abbie sursauta dans son fauteuil tandis que l’avion se posait puis freinait avec un crissement de pneus sur la piste. Ils étaient arrivés. Derrière le hublot, dans la pénombre de la nuit, l’attendait le royaume de Barakhara. Le pays que le frère de Malik dirigeait, où Andy atten-dait en prison, et où elle-même allait rencontrer son futur époux.

— Si Madame veut bien me suivre. Une voiture vous attend.

C’était Sahir, le garde du corps qui s’occupait d’elle depuis le début de son périple et qui avait pour instructions de ne pas la quitter des yeux jusqu’à ce qu’elle soit remise à son futur époux, dans son palais de Barakhara.

Abbie ne pouvait lui en vouloir de faire son travail, mais elle trouvait sa présence oppressante. Au moins, elle serait libérée de sa surveillance dès son arrivée au palais. Libérée de sa surveil-lance, mais enfermée dans une autre espèce de prison… Oh ! Combien cela aurait pu être différent si elle était venue ici pour épouser Malik !

Sortant de l’avion à la suite de son escorte, Abbie dut se mordre la lèvre inférieure pour ne pas laisser les larmes qui lui piquaient les yeux rouler sur ses joues. La chaleur l’enveloppa dès qu’elle

posa le pied sur la première marche de la passerelle. Tandis qu’elle avançait vers la limousine, elle peinait à respirer tant l’air lui brû-lait la gorge.

— Madame…

La porte arrière de la limousine s’ouvrit et Sahir s’effaça avec une discrète révérence. Elle allait devoir s’habituer à ce genre de coutumes, se rappela-t-elle tout en se laissant glisser, yeux fermés, sur le siège de cuir. Sitôt installée, elle entendit la porte claquer derrière elle et le moteur puissant du véhicule redémarrer pour l’emmener…

Quelque chose n’allait pas ! Pas du tout. Une vague de panique l’envahit aussitôt. D’instinct, elle sut que quelque chose ne se dé-roulait pas comme prévu. Sahir n’avait pas eu le temps de s’asseoir dans la voiture après elle, et elle n’avait entendu personne d’autre rentrer.

Quelque chose…

— Sahir ! cria-t-elle soudain, saisie de peur. Sahir !

— Je crains que Sahir ne puisse se joindre à nous pour le mo-ment. Je lui ai donné quartier libre.

— Vous…

Abbie ne put prononcer autre chose. Elle connaissait cette voix. Elle la connaissait et avait redouté de l’entendre de nouveau. Ou avait-elle plutôt redouté de ne plus jamais l’entendre ? Elle ne le savait pas et ne pouvait pour l’instant rassembler ses pensées qui s’entrechoquaient dans son esprit. Elle savait juste que cette voix, la voix de Malik, était toute proche…

Elle se tourna brusquement et se retrouva face à face avec lui, assis à sa droite. C’était Malik, mais comme elle ne l’avait jamais vu auparavant. La lueur noire de ses yeux n’avait pas changé, tout comme la svelte puissance de son corps. Il était si proche qu’Abbie perçut la délicieuse odeur légèrement citronnée de sa peau. Mais devant elle se tenait un Malik bien différent de l’homme au cos-tume impeccable qu’elle avait rencontré dans la maison de son père. Ce n’était pas non plus l’homme en tenue décontractée qui l’avait accueillie dans sa chambre d’hôtel. Non, avec sa fine tu-

nique blanche sous son ample djellaba noire, ses cheveux bruns couverts d’une gutra, la coiffure traditionnelle des hommes, Malik lui apparaissait aujourd’hui comme un seigneur étranger dont la virilité exotique et fière semblait remplir tout l’intérieur du véhi-cule.

— Malik…, balbutia-t-elle, le souffle coupé. Que… Pourquoi ?

Les questions se bousculaient dans sa tête, l’empêchaient de former une phrase cohérente.

— Oh, mon…

Mais elle fut interrompue par la large paume de Malik qui se posa sur sa bouche et l’empêchait d’articuler la moindre parole. Pressée contre lui, Abbie ne put que poser la tête sur son épaule et plonger son regard effrayé dans le sien.

— Chut ! murmura Malik contre son oreille, avec une force qui la figea sur place. Pas un mot ! Ne dites rien, c’est bien compris ?

Abbie aurait voulu hurler tant le battement de son cœur, com-biné au vrombissement du moteur et à la brusquerie du ton de Malik, envahissait ses tympans. Mais elle comprit qu’elle devait lui obéir. Du moins pour l’instant.

Malik vit les efforts de la jeune femme pour ne pas crier. Heu-reusement, car sinon, cela aurait tout gâché. En effet, il ne pouvait prendre le risque que des gens les entendent ou le reconnaissent. Bien sûr, il avait ordonné d’effacer du véhicule tout signe visible de son identité : si quelqu’un les apercevait ensemble, le scandale ne tarderait pas à éclater au grand jour.

Il avait dû agir. Et vite.

Il tenait le visage d’Abbie contre son torse et la bâillonnait d’une main. Les deux yeux gris qui le dévisageaient d’un air effrayé ne lui facilitaient pas la tâche. Il avait pensé que, après deux se-maines sans voir la jeune femme, la folie qui s’était emparée de ses sens aurait laissé place à la raison. Mais il n’en était rien. Pourtant, il avait connu dans sa vie nombre de femmes superbes qui avaient su combler tous ses désirs. Et il n’avait jamais eu aucun remords à les quitter après avoir passé du bon temps avec elles.

Alors, pourquoi n’avait-il pas réussi à oublier celle-ci ? Pour-quoi, chaque jour, son esprit remuait-il le souvenir de leur pre-mière rencontre ? Pourquoi se réveillait-il la nuit, tremblant d’excitation comme après un rêve agité ? Et là, dans cette voiture, la présence de cette femme à ses côtés réveillait son trouble. La douceur de ses cheveux contre sa joue et le parfum qui émanait de sa peau lui démontraient que deux semaines ne pourraient jamais s’avérer suffisantes pour oublier Abbie. En un éclair, il se retrou-vait de nouveau envoûté. Et il n’avait aucune intention de lutter contre cette douce fatalité.

Troublé par cette pensée, Malik continua d’une voix presque brutale :

— Pas un mot ! Taisez-vous ! C’est bien compris ?

Venait-elle d’acquiescer ? se demanda-t-il. Ou bien essayait-elle simplement de se libérer de son étreinte ?

— Bon, si j’enlève ma main, vous devez me promettre…

Il desserra doucement les bras pour la libérer et lui permit de se redresser. Aussitôt, Abbie se recula à l’autre extrémité du siège. Malik vit qu’elle allait parler. Mais cette fois, il n’avait plus le temps de mettre la main sur ses lèvres pour l’arrêter : elle se tenait trop loin de lui. Il ne lui restait qu’une seule solution pour la faire taire…

Il l’attrapa par les épaules, la ramena vers lui et s’empara brus-quement de ses lèvres. Le baiser enflamma ses sens en un éclair, anéantit ses pensées et transforma son sang en lave brûlante. Affolé, son cœur s’emballa et lui fit oublier où il était et pourquoi il se trouvait là. Son corps assoiffé de désir réclamait cette femme.

— Abbie…

Malik murmura son prénom contre ses lèvres et la sentit ployer sous son étreinte. Il plongea la main dans ses cheveux et enroula les doigts dans ses mèches dorées pour avoir une meilleure prise. La bouche pressée contre la sienne, il caressa doucement la peau délicate de ses tempes. Abbie lui passa le bras autour de la nuque et le serra contre elle… tout contre elle. Il sentit la rondeur pul-peuse de ses seins se presser contre son torse, ses jambes se nouer

autour des siennes tandis qu’elle s’étendait sous lui sur la ban-quette. Alors, il fut submergé par une onde de désir qui se propa-gea dans tout son corps.

Plus rien n’existait autour d’eux, ni les lumières clignotantes de l’aéroport qui disparaissaient peu à peu dans le sillage de la voi-ture, ni l’activité bourdonnante des rues qui défilaient derrière la vitre. Ils étaient seuls au monde, happés par l’incontrôlable pas-sion que leurs retrouvailles avaient provoquée.

Malik avait attendu ce moment pendant des jours. Il avait pas-sé des journées entières à rêver d’Abbie, l’esprit tourmenté par son souvenir. Et maintenant, elle était là, dans ses bras, sa bouche pressée contre la sienne…

Soudain, la voiture négocia un virage serré et le chauffeur sem-bla perdre le contrôle du véhicule pendant une seconde avant de reprendre aussitôt le dessus. Mais le brusque coup de volant sépa-ra les deux passagers qui se retrouvèrent chacun à une extrémité de la banquette arrière.

— Qu’est-ce que… ?

Malik se retint juste à temps de crier quelque juron au chauf-feur.

Non ! Il ne pouvait pas laisser les choses se dérouler de la sorte. Sa vie était assez compliquée ainsi pour ne pas se compromettre avec cette jeune femme peu scrupuleuse qui, de toute façon, était déjà promise à son frère. S’il se trouvait là ce soir, c’était pour aider Jalil, pas pour lui faire du tort.

— Je suis désolé, dit-il à voix basse. Ceci n’aurait pas dû arriver.

— A qui le dites-vous !

Abbie s’était éloignée de lui autant que possible, le dos ferme-ment appuyé contre la vitre. Les cheveux emmêlés, les lèvres hu-mides et rougies par le baiser, elle le toisait avec un air de défi.

— Ça n’aurait pas dû arriver, et ça n’arrivera plus jamais ! s’exclama-t-elle.

— Eh bien, voilà au moins une chose sur laquelle nous sommes tous les deux d’accord.

— Tous les deux ? s’écria-t-elle, indignée. C’est vous qui m’avez embrassée !

— Parce que je devais vous faire taire par tous les moyens ! lui rappela Malik avec froideur, avant de prendre une voix plus douce. Avouez que vous alliez crier, sinon.

— Bien sûr que j’allais crier ! J’en avais bien le droit. Je m’attendais à trouver Jalil, et à sa place, je…

— Vous me trouvez.

— Je vous trouve, et vous profitez aussitôt de moi !

— Faux ! protesta-t-il avec une colère soudaine. C’est la deu-xième fois que vous m’accusez de profiter de vous, mais sachez que jamais de ma vie je n’ai profité d’une femme.

— Appelez ça comme vous le voudrez, moi, je n’en avais aucune envie ! Que les choses soient bien claires : ne posez plus jamais la main sur moi sans mon accord. Je ne vous aime pas, je ne vous désire pas, et vous êtes la dernière personne sur terre avec qui j’ai envie d’être en ce moment.

— Dommage…

Abbie ne semblait pas saisir la gravité de la situation.

— J’ai bien peur qu’il vous faille endurer ma présence encore quelque temps.

— Mais pourquoi ? Pourquoi Jalil n’est-il pas venu lui-même m’accueillir à l’aéroport ? Pourquoi vous a-t-il envoyé ?

Soudain, Abbie écarquilla les yeux, et à la façon dont elle blê-mit, d’angoisse et de stupéfaction, Malik sut qu’elle venait enfin de comprendre.

— Il ne vous a pas envoyé, murmura-t-elle. C’est ça, n’est-ce pas ? Sait-il seulement que vous êtes ici ?

10.

— Il y a eu un petit problème, annonça Malik d’une voix calme.

Dans la pénombre, Abbie ne pouvait distinguer l’expression du visage de Malik. Celui-ci restait immobile, les mains croisées de-vant lui, ces mêmes mains qui l’avaient caressée avec tant d’ardeur quelques minutes plus tôt.

— Quel genre de problème ? demanda-t-elle d’une voix trem-blante. Que s’est-il passé ? Jalil a-t-il changé d’avis ? Il ne veut plus m’épouser ?

Et si c’était le cas, qu’allait-il arriver à Andy ? Après tout ce qu’elle avait enduré jusqu’à maintenant, elle ne supportait pas que les choses puissent ne pas se passer comme prévu.

— Si. Votre mariage est toujours au programme.

L’intonation rassurante de Malik ne fit rien pour apaiser Abbie. Au contraire, sa voix grave et profonde la fit frémir de tous ses membres. Elle aurait aimé pouvoir fuir l’atmosphère sombre, pesante, de ce véhicule, et s’éloigner autant que possible de cet homme au charme dangereux.

— Alors, pourquoi n’est-il pas venu ? demanda-t-elle enfin.

— Il serait venu s’il l’avait pu.

— S’il l’avait pu ? Que voulez-vous dire ? Que se passe-t-il ?

Abbie sentait la panique lui serrer la gorge. Elle n’avait aucune idée de ce qui se passait, et cette idée ne lui plaisait pas le moins du monde. Jalil lui avait envoyé un garde du corps, mais celui-ci avait disparu… Et si Jalil avait voulu la protéger de Malik ?

Elle se tourna vers la portière et tira sur la poignée de toutes ses forces. Mais rien n’y fit : la porte était fermée. Elle ne savait si cela devait la rassurer ou l’inquiéter davantage.

— J’ai tout verrouillé, annonça Malik derrière elle. Et heureu-sement : imaginez ce qui se passerait si vous vous retrouviez toute seule sur une route de campagne, sans savoir où aller.

— Je préfère encore ça que d’être enfermée avec vous ! rétorqua Abbie, consciente de l’énorme mensonge qu’elle venait de profé-rer.

Sans doute Malik en était-il également conscient, se dit-elle. Celui-ci ne répondit rien, mais à son haussement de sourcils et à son sourire teinté d’ironie, il était évident qu’il n’en pensait pas moins.

— Nous sommes coincés ensemble, reprit-il sur un ton indiffé-rent. Alors, autant profiter de la situation.

— Profiter dans quel sens ?

Mais Abbie n’eut pas le loisir de voir l’effet que produisait sa ri-poste sur Malik. La radio de la voiture grésilla et le chauffeur pro-nonça quelques mots en arabe. Aussitôt, Malik se pencha vers lui, ouvrit la cloison de verre qui les séparait et lui cria quelque chose dans la même langue. Abbie ne sut s’il lui demandait des préci-sions ou s’il lui donnait des ordres.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle d’une voix angoissée.

Le silence de Malik augmenta encore son inquiétude. Son ex-pression soucieuse en disait bien plus long que les mots. Il con-tractait si fort la mâchoire que les veines saillaient à ses tempes.

— Nous devons quitter cette voiture. Savez-vous monter à che-val ?

— A cheval ?

C’était bien la dernière chose à laquelle elle s’attendait !

— Oui, je sais monter, reprit-elle. Mais…

Malik ne l’écoutait pas et continuait sa discussion animée avec le chauffeur. Abbie tira violemment sur sa manche pour attirer son attention.

— Pourquoi devons-nous sortir ? Répondez-moi. Vous avez beau être un souverain dans votre pays, ici…

Mais elle s’interrompit, soudain consciente que, depuis sa sor-tie de l’avion, elle ne savait pas précisément où elle se trouvait.

— Vous n’avez pas à me donner d’ordre ! continua-t-elle. Et j’ai droit à une explication de votre part, quelque chose de plus con-vaincant que : « Il y a eu un petit problème. » Sinon, je ne vous suis nulle part.

Malik poussa un long soupir agacé.

— Vous arrive-t-il de rester calme ?

— Pas quand je suis avec vous, non.

A sa grande surprise, Malik ne sembla pas irrité par cette der-nière réplique. Au contraire, il lui adressa un petit sourire mali-cieux qui, l’ombre d’un instant, éclaira ses yeux de jais.

— Je pourrais très bien vous faire obéir, lui répondit-il.

— Essayez un peu pour voir !

Mais en son for intérieur, Abbie savait parfaitement que Malik avait raison. Elle ne pouvait se permettre de se révolter contre cet homme alors qu’elle se trouvait dans un pays inconnu dont elle ne parlait pas la langue. Dehors, derrière la vitre, elle n’apercevait rien d’autre que la pénombre. Elle n’avait aucune chance de se débrouiller toute seule. Rester avec Malik représentait donc la seule solution.

— Mais vous avez raison sur un point, reprit ce dernier.

— Vraiment ?

Incrédule, Abbie ne put réprimer cette exclamation de surprise.

— Je vous dois une explication, en effet.

Malik fronça les sourcils. De toute façon, il devrait lui dire ce qui se passait à un moment ou à un autre, songea-t-il. La situation était assez compliquée comme ça.

— Vous êtes sûr ?

Abbie semblait véritablement abasourdie, et Malik se sentit sourire.

— Oui. Croyez-le ou non, je n’ai pas l’habitude d’enlever les jeunes femmes.

— Vous n’avez donc pas l’intention de me kidnapper et de m’emmener dans votre repaire du désert pour faire de moi ce que vous voudrez ?

Malgré la pénombre qui régnait dans la voiture, Malik aperçut l’expression soudain amusée d’Abbie, dont les grands yeux gris lui jetaient un regard moqueur qui faillit lui faire perdre toute conte-nance.

— Vous avez lu trop de romans.

Mais les paroles d’Abbie avaient suscité en lui des images vo-luptueuses qu’il tentait d’effacer de son esprit depuis leur baiser passionné. Certes, il avait agi de la sorte afin de la faire taire, mais à présent il ne pouvait plus ignorer la montée de désir qui l’enflammait. Le simple fait d’être assis à côté d’elle, de laisser son parfum lui monter à la tête, se révélait une véritable torture.

— Non, je n’ai pas lu trop de romans, rétorqua Abbie. Notre baiser était bien réel, lui.

Visiblement, elle avait en tête exactement les mêmes pensées que lui, comprit Malik, dont l’état d’excitation augmentait chaque fois qu’il repensait à l’intensité de leur baiser.

— Je vous ai dit que cela ne se reproduirait pas, murmura-t-il. Plus jamais.

— En effet.

L’espace d’une seconde, Malik fit l’erreur de plonger le regard dans celui de la jeune femme. Ils se fixèrent sans rien dire. Une mèche blonde jouait sur sa joue. Cette fois, Malik ne put se rete-

nir : il tendit la main et écarta les cheveux soyeux avec une infinie douceur. La bouche légèrement entrouverte, le souffle coupé, la jeune femme écarquilla les yeux et suivit le mouvement de sa main. Puis, elle inspira profondément, et il sentit son propre cœur battre un peu plus vite lorsqu’elle passa la langue sur ses lèvres.

Abbie… Son prénom résonnait dans ses pensées, mais il ne put le prononcer à haute voix. Au lieu de cela, il dit la même chose qu’elle, exactement au même moment :

— Non.

— Non, répéta Abbie en détachant le regard du sien et en se-couant la tête. Non !

Dans le silence qui s’ensuivit, on n’entendit plus que le bruit des roues de la voiture sur la chaussée déformée. Quelques mi-nutes s’écoulèrent avant qu’Abbie ne reprenne la parole.

— Vous alliez me donner une explication. Mieux vaut qu’elle soit bonne.

— Il y a des émeutes dans la ville. On a donc pensé qu’il serait plus sûr de vous éloigner le temps que les choses se calment.

— C’est donc Jalil qui vous a envoyé ?

— Il s’est vu retenir par les événements.

Il lui mentait, et elle n’était sûrement pas dupe. En vérité, Jalil n’avait pas accordé une seule pensée à la jeune femme. Non, il était bien trop préoccupé par lui-même. Comme toujours.

Mais Abbie parut soudain troublée par une tout autre idée.

— Ces émeutes… Que va-t-il se passer pour Andy ? Est-il en sé-curité ?

— Pour le moment, votre frère ne pourrait pas se trouver dans un endroit plus sûr.

Ce n’était pas les prisonniers qui avaient des ennuis, songea Malik, mais celui qui les avait mis là. Ce tyran de Jalil, avec ses caprices et son égoïsme, se mettait lui-même en danger. Et à pré-sent, la colère du peuple de Barakhara semblait prête à exploser.

— Où nous rendons-nous, alors ? Pourquoi me demander si je sais faire du cheval ?

— Pour l’instant, l’endroit le plus sûr reste le désert. Et cette voiture ne peut nous emmener là où nous allons.

— Et vous pensez que je vais vous suivre comme ça ? Que je vais me livrer à vous sans rien dire ?

A cette pensée, Abbie sentit un frisson la parcourir. Mais elle devait se contrôler, se rappela-t-elle, lutter contre le vertige qui s’emparait d’elle lorsqu’elle repensait à ce qu’elle avait éprouvé dans les bras puissants de cet homme. Comment allait-elle faire pour ignorer l’amour qu’elle ressentait pour lui ? Le revoir n’avait évidemment rien fait pour diminuer ses sentiments, bien au con-traire. Elle s’était de nouveau abandonnée à l’ivresse de son baiser, laissant la folie du moment piétiner sa raison.

Aux yeux de Malik, elle était sûrement urne profiteuse. Après tout, elle l’avait bien cherché : elle avait tout fait pour lui mettre cette idée dans la tête.

— Vous imaginez-vous que je vais vous obéir sur un claque-ment de doigts ? reprit-elle. Permettez-moi de vous rappeler que je ne vous appartiens pas.

— Vous ne m’appartenez pas, mais si c’était : le cas, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous protéger. Et puisque les choses ne vont pas pour le mieux, je tiens à m’assurer que per-sonne ne peut vous faire le moindre mal.

— Vous… Vraiment ? balbutia Abbie.

Les battements de son cœur résonnaient dans ses tympans et lui faisaient tourner la tête. Malik avait prononcé ces paroles avec tant de douceur dans la voix, tant de sincérité… Comme des vœux échangés devant l’autel… Elle se reprit à frissonner, mais cette fois c’était une vague de chaleur qui l’envahissait, comme si des bras forts et protecteurs l’entouraient et la protégeaient contre tous les dangers. Au plus profond d’elle-même, elle entendait presque cette même voix chaude et profonde lui murmurer des promesses éternelles : dans la joie comme dans la peine… jusqu’à ce que la mort nous sépare…

— Vraiment ? Vous feriez ça pour moi ?

— Bien sûr : vous êtes promise à mon demi-frère, et en tant que représentant de la famille, il est de mon devoir de vous protéger.

Abbie baissa aussitôt les yeux. Heureusement, l’éclairage était trop faible pour que Malik puisse lire le dépit sur son visage. Des larmes amères lui troublèrent la vue, et elle dut se mordre la lèvre de toutes ses forces pour les refouler. C’était comme si une brusque averse glaciale venait de s’abattre sur elle. Même une gifle de sa part n’aurait pas eu autant d’effet sur elle que cette froide déclaration.

« Il est de mon devoir… » Oui, elle devait s’y attendre : pour Malik, elle ne représentait qu’un devoir. Elle-même lui avait fait clairement comprendre qu’elle ne désirait qu’une chose : épouser un cheik, peu importe lequel. Il n’avait donc pour elle ni respect ni sympathie et se sentait simplement obligé de la protéger car elle était « promise » à son demi-frère. Tout espoir de changer la situa-tion était donc définitivement exclu. Ce douloureux raisonnement lui donna envie de crier, et elle dut contrôler sa voix lorsqu’elle parla de nouveau.

— Pourquoi aidez-vous votre frère avec autant de zèle ?

Qu’êtes-vous pour lui ? Son porte-parole, son avocat, son servi-teur, peut-être ?

— Je ne suis le serviteur de personne, interrompit Malik sur un ton exaspéré qui prouva à Abbie qu’elle avait touché un point sensible. Mais j’ai promis à notre mère que je m’occuperais de lui. Il n’avait que dix-huit ans lorsque son père est mort, juste après son retour du lycée où vous vous êtes rencontrés, et notre mère l’a rejoint dans la tombe à peine deux ans plus tard.

Malik se tut. Jamais il n’aurait imaginé que cette promesse se-rait si difficile à tenir, songea-t-il alors que la voiture ralentissait. Gâté dès son plus jeune âge, Jalil avait été un enfant choyé. Et il était devenu un jeune homme faible et égoïste qui ne savait pas comment diriger un pays. La gravité des émeutes actuelles résul-tait de son incapacité à tenir ce rôle. Jalil n’en faisait qu’à sa tête et ignorait les conseils avisés que lui donnaient ses proches. Et cette

Abigail Cavanaugh pensait sûrement avoir tiré le bon numéro en devenant sa femme… Pourtant, il y avait fort à parier qu’elle n’allait jamais être heureuse avec lui. Sans doute pensait-elle que son immense fortune compenserait le manque de sentiments…

Bien sûr, elle semblait sincèrement préoccupée au sujet de son propre frère, et il avait lu dans ses yeux une sourde angoisse lors-qu’il avait mentionné les émeutes en ville. Alors, se pouvait-il que…

Un brusque mouvement sur le côté le sortit de ses pensées. Il se retourna juste à temps pour voir Abbie s’élancer sur la poignée de la portière. Asif, le chauffeur, était sorti du véhicule pour discuter avec les hommes qui apportaient les chevaux et avait oublié de verrouiller les portes.

— Oh, non, pas question…

Malik fondit sur elle et lui attrapa la main pour la ramener sur la banquette, ce qui lui valut une œillade assassine de la part de la jeune femme.

— De quel droit osez-vous ? s’écria-t-elle en essayant en vain de se dégager des bras musclés qui la retenaient prisonnière.

A la vue de la délicate peau laiteuse de ses poignets rougis, Ma-lik ressentit un douloureux pincement au cœur.

— Et vous ! De quel droit osez-vous quitter ainsi la voiture ?

Abbie le toisa avec un air de défi. Les douces courbes de sa poi-trine se soulevaient au rythme de sa respiration saccadée. A cette vue, Malik sentit aussitôt le désir l’envahir, si bien qu’il faillit lâ-cher le poignet d’Abbie. Mais la situation comportait suffisamment de risques pour ne pas tolérer un seul instant de négligence. Si on racontait que le cheik Malik Al’Qaïm avait été aperçu en compa-gnie d’une femme occidentale sans escorte, et par-dessus le mar-ché la fiancée de son frère, la future épouse de Jalil, alors les con-séquences seraient bien pires que tout ce que la jeune femme pou-vait s’imaginer. Il fallait donc se montrer particulièrement pru-dent, et Abbie n’allait probablement pas aimer cela.

Malik avait vu juste. Retenant d’une main la jeune femme pour ne pas qu’elle tente de s’échapper de nouveau, il plongea l’autre

main dans une des boîtes à gants et en tira un paquet, sous le regard suspicieux d’Abbie.

— Tenez, enfilez ça.

Le paquet atterrit sur les genoux d’Abbie et s’ouvrit pour révé-ler un flot de mousseline noire.

— Qu’est-ce que… Est-ce bien ce que je crois ?

Au ton froid et furieux d’Abbie, Malik vit qu’elle avait parfaite-ment compris ce qu’il attendait d’elle, et qu’elle en était choquée. Mais elle n’avait pas le choix.

— Oui, voici votre nouvelle tenue, et le hijab, le foulard, doit couvrir votre visage. Je vous suggère de les mettre dès maintenant, avant de poser le pied dehors.

— Les mettre ? Vous plaisantez, n’est-ce pas ? s’exclama Abbie en repoussant d’une main la tenue avec une moue de dégoût. Comment osez-vous me demander ça ? C’est une insulte…

— Seulement si vous considérez ces vêtements d’un point de vue occidental, c’est-à-dire comme un assujettissement, une con-trainte. Mais dites-vous qu’ils servent aussi à vous protéger. Vous n’êtes plus à Londres, maintenant, miss Cavanaugh. Ici, les hommes du désert suivent leurs coutumes et leur mode de vie avec ferveur. Vous êtes donc tenue de vous y plier. Sachez vous montrer raisonnable.

Mais Malik vit qu’Abbie restait indécise, apparemment révoltée à l’idée de lui obéir. Il poussa un soupir d’agacement.

— Ne perdons pas notre temps à tergiverser.

— Dans ce cas…

— Inutile de songer à sortir de cette voiture sans cette tenue ! coupa-t-il sur un ton impérieux. Décidez-vous, Abbie, avant que je ne décide à votre place.

La jeune femme lui décocha un regard plein de dédain, puis le-va la main pour lui montrer qu’il la tenait encore fermement par le poignet.

— Il faudrait d’abord que vous me libériez.

Puis, voyant qu’il hésitait encore, Abbie leva l’autre main, paume en l’air, dans un geste d’apaisement.

— Je vous le promets, soupira-t-elle. Je vous jure que je ne vais plus discuter.

Malik esquissa malgré lui un petit sourire.

— Ça reste à voir…

A contrecœur, il desserra lentement son étreinte, conscient au fond de lui que s’il avait tant de mal à la libérer, ce n’était pas parce qu’il craignait qu’elle ne tente de s’échapper une nouvelle fois. Non, c’était simplement qu’il ne voulait pas lâcher sa main. Il souhaitait encore sentir sous ses doigts la chaleur de sa peau, la finesse de ses os, la douceur de sa chair.

Il aurait voulu avoir tout le temps de la toucher, de dévoiler da-vantage cette peau nacrée à son regard avide, de l’embrasser… Mais s’il ne la lâchait pas, Abbie allait deviner le fond de ses pen-sées… Il la relâcha donc. Mais il ne pouvait détacher son regard d’Abbie, de ses mouvements vifs et gracieux tandis qu’elle enfilait sa nouvelle tenue et dissimulait sa chevelure d’or sous son hijab.

— Ça va ? demanda-t-elle en se tournant vers lui. Satisfait, à présent ?

— Satisfait, répondit-il en inclinant la tête en signe d’appréciation.

— Mais n’allez pas croire que je vais vous obéir pour tout.

— Evidemment, assura-t-il avec une fausse gravité.

Elle lui adressa un grand sourire, qui ne manqua pas de le sur-prendre.

— Eh bien, vous voyez que nous pouvons tomber d’accord !

— Et qu’est-ce qui vous a décidée à faire ce que je vous deman-dais ?

Abbie réfléchit un moment avant de le regarder droit dans les yeux avec une expression dénuée de toute ironie.

— Le fait que je n’aie pas d’autre choix. Je dois vous faire plaisir car vous êtes là pour me protéger. C’est grâce à vous que je pourrai rejoindre Jalil en toute sécurité.

Sur ces paroles, elle rabattit son foulard sur son visage et sortit du véhicule, sans voir à quel point l’expression de Malik avait changé : amusé quelques secondes plus tôt, il s’était brutalement rembruni.

Alors qu’il lui emboîtait le pas, Malik songeait combien Jalil aurait insisté pour qu’Abbie porte le hijab dès son entrée dans l’avion. Son demi-frère avait beau être un fieffé libertin qui igno-rait la loi dès qu’elle empiétait sur son propre plaisir, il avait l’esprit étroit et borné d’un fanatique en ce qui concernait les femmes. Abbie devait absolument être mise au courant de la situa-tion dans laquelle elle s’engageait. Il fallait qu’il lui parle du jeune homme qu’elle s’apprêtait à épouser, et cela le plus vite possible.

11.

Abbie sortit à contrecœur de son sommeil. Elle bâilla lentement et s’étira avec paresse, grimaçant de douleur en sentant les courba-tures dans ses muscles si peu habitués à l’effort. Elle avait mal au cou, aux épaules, aux jambes, et pendant quelques secondes, elle ne parvint pas à en comprendre la raison. Puis elle se souvint de ce qu’elle avait fait la veille et s’assit d’un bond dans son lit, cher-chant de ses yeux clairs la présence de l’homme qui l’avait amenée dans cette chambre. Mais non, Malik n’était pas là. Et ce n’était pas non plus une chambre à proprement parler.

Des bribes de souvenirs lui revinrent à la mémoire. Elle était arrivée ici après une longue chevauchée nocturne dans un désert balayé par des vents de sable qui lui fouettaient le visage malgré la protection du voile. Enfin, lorsque les premiers rayons de l’aube étaient apparus dans l’horizon rougeoyant, ils avaient atteint l’oasis où se trouvait ce campement. A son arrivée, elle tenait à peine debout. En fait, elle se rendait maintenant compte qu’elle avait somnolé sur sa selle pendant presque tout ce périple, érein-tée par le long voyage en avion et par l’angoisse de ce qui l’attendait sur place. Malik avait remarqué combien elle était épui-sée et avait aussitôt crié un ordre pour que la caravane fasse halte. Il avait alors rapproché son cheval du sien et lui avait doucement posé la main sur le bras.

— Ça va ? avait-il demandé sur un ton inquiet.

Sa douceur inattendue l’avait bouleversée, alors qu’elle se sen-tait harassée et seule dans un pays inconnu. Elle n’avait pas monté à cheval depuis des années, et certainement pas aussi longtemps, mais elle aurait préféré mourir plutôt que de le reconnaître. Der-rière son voile, des larmes de fatigue perlaient sur ses joues, mais

elle avait baissé les yeux et secoué la tête en signe d’acquiescement.

— Pouvez-vous continuer ?

Non, elle ne le pouvait pas. Mais il était hors de question de se montrer faible à ses yeux. Pourtant, aucun son n’était sorti de sa bouche. Son silence parlait de lui-même… Avant même qu’elle ne pût protester, Malik avait rapproché davantage sa monture et passé les bras autour de ses épaules. Abbie s’était laissé faire, in-capable d’effectuer le moindre mouvement, pour se retrouver bientôt assise sur la selle de Malik, encadrée par ses deux bras puissants.

— Voilà, vous êtes tranquille, maintenant, avait-il murmuré à son oreille. Vous pouvez dormir tout à votre aise.

Et en effet, elle s’était sentie parfaitement à l’aise, tout contre lui, la nuque appuyée au creux de son épaule. Elle avait fermé les yeux et s’était laissée aller en arrière pour s’endormir, se réveillant de temps à autre pour se retrouver bercée entre ses deux bras fermes et robustes, dont émanait l’odeur musquée et maintenant familière de Malik.

Ils avaient effectué le reste du voyage ainsi, et étaient enfin ar-rivés à l’abri des intempéries et des émeutes de Barakhara. Abbie avait fini par s’endormir si profondément qu’elle n’avait pas senti Malik la soulever de son cheval pour l’amener jusque dans cette tente de toile noire. Elle n’avait décidément aucun souvenir du moment où il l’avait allongée sur ce matelas richement orné et…

Abbie s’étira de nouveau et sentit les draps contre sa peau… nue. Saisie par le choc, elle souleva le tissu d’un geste vif. On l’avait déshabillée avant de la mettre au lit ! Malik, ce ne pouvait être que lui, lui avait ôté son corsage et son pantalon de coton gris pour ne lui laisser que ses dessous de dentelle blanche. Affolée, Abbie sentit le sang lui monter brusquement au visage. Elle enten-dait déjà la voix de Malik, cette voix à l’accent si exotique, si chaud, lui dire qu’il ne voyait pas pourquoi elle réagissait de la sorte, et qu’il l’avait vue bien moins habillée que cela, dans sa chambre d’hôtel…

Oui, mais les circonstances étaient alors bien différentes, lui aurait-elle répondu. Elle imaginait l’expression narquoise de Ma-lik, son regard ténébreux alors qu’il la jaugeait de la tête aux pieds. Quelle différence ? aurait-il rétorqué. Pourquoi s’offusquer, à présent ? Elle-même n’avait alors pas rechigné à ce qu’il la désha-bille, au contraire, elle l’avait même encouragé.

« Bien sûr, c’était lorsque vous pensiez qu’en couchant avec moi vous alliez me forcer à vous épouser… »

Abbie entendait ces paroles aussi nettement que si Malik s’était trouvé dans la pièce.

« Et maintenant que vous savez qu’il n’en sera rien, vous vous sentez moins enthousiaste à l’idée de vous laisser dévêtir, n’est-ce pas ? »

Le pire, songea-t-elle, c’est qu’elle n’aurait su quoi répondre à cela. Comment aurait-elle pu lui avouer la vérité ? Comment lui dire que, en effet, elle avait nourri le fol espoir qu’il l’épouse ? Elle lui avait livré son corps et son cœur avec un total abandon, mais elle devait être bien naïve pour penser que, même dans le cadre d’un mariage arrangé, Malik l’aurait acceptée comme épouse. Visiblement, il n’avait pas du tout envisagé cela et, elle devait bien l’avouer, il s’était montré parfaitement clair à ce sujet.

Abbie secoua la tête et sortit les jambes du lit. Un magnifique peignoir de soie ivoire ornée de somptueuses broderies avait été posé sur un autre divan, apparemment à son intention. Elle l’attrapa et l’enfila pour cacher sa nudité.

— Si seulement je m’étais abstenue de dire quoi que ce soit !

Arpentant nerveusement la tente tapissée de splendides ten-tures orientales, elle parlait à voix haute, incapable de rester sans rien faire tant ses sombres pensées agitaient son esprit.

Si seulement elle avait gardé pour elle ses commentaires, ce « toute notre vie à deux »… Alors elle aurait passé la nuit dans les bras de Malik, et peut-être toutes les nuits suivantes… Elle aurait su comment il faisait l’amour, elle aurait tiré tout le plaisir pos-sible de leurs ébats fougueux. Mais il avait fallu qu’elle parle sans réfléchir. Oui, elle avait tout gâché. Si seulement Malik lui donnait

une deuxième chance, elle la saisirait sans hésiter et, cette fois, se garderait bien de dire quoi que ce soit ! Elle voulait juste retrouver la passion qu’il lui avait montrée le premier soir, rien de plus. Car elle savait que cette passion se cachait quelque part en lui. Elle en était persuadée : elle l’avait sentie dans le baiser qu’il lui avait donné dans la voiture, et auquel elle n’avait pu résister.

Si seulement une deuxième chance se présentait à elle… Mais aucun espoir. Malik s’était montré parfaitement clair à ce sujet. Il la considérait désormais intouchable, car promise à son frère. Il l’avait embrassée dans l’unique but de la faire taire… Quand le coup de volant les avait finalement séparés, Malik s’était montré on ne peut plus froid et distant avec elle. Même en venant ici, lorsqu’il l’avait installée sur sa selle et l’avait entourée de ses bras pour la protéger, il ne s’était pas montré particulièrement doux dans ses gestes.

Plus jamais il ne la toucherait, du moins pas volontairement. Oh, elle l’aurait pourtant tellement voulu ! Mais en s’autorisant à en rêver, elle ne faisait que prolonger sa souffrance. Et comment soigner son cœur meurtri lorsque l’objet de toutes ses peines se trouvait à ses côtés, dans ce refuge du désert ? D’ailleurs, elle ne pouvait concilier son désir pour Malik avec l’espoir de voir Andy de nouveau libre. Epouser Jalil constituait la seule façon d’aider son frère, même si cela lui brisait le cœur.

Il faisait nuit lorsque Malik rentra au campement. Pour Abbie, la journée s’était révélée particulièrement longue et angoissante. Certes, les hommes de Malik qui veillaient sur elle s’étaient mon-trés attentifs et bienveillants, mais personne n’avait daigné ré-pondre aux questions qui n’avaient cessé de la tourmenter.

Que se passait-il dans la capitale ? Où était Jalil ? Et qu’en était-il d’Andy ? Quelles seraient pour lui les conséquences de ces émeutes ? Enfin, surtout, où était Malik ? Où était-il parti ? Et quoi faire ? Et quand, quand allait-il rentrer ?

A la tombée du jour, elle se trouvait dans un tel état de déses-poir que lorsque Malik était apparu par l’ouverture de la tente,

toutes les émotions de la journée, son angoisse et son inquiétude, étaient remontées à la surface, comme les bulles d’une bouteille de champagne secouée trop fort.

— Vous voilà enfin ! Où diable vous cachiez-vous ? Savez-vous l’heure qu’il est ? Combien de temps m’avez-vous laissée ici, seule ?

— Quel accueil charmant ! répliqua Malik en refermant les pans de la tente derrière lui avant d’avancer vers elle.

Il enleva le foulard blanc qui enserrait son crâne et le jeta sur le premier divan qu’il trouva avant de passer les mains dans le flot noir de ses cheveux. Il portait une longue tunique blanche en lin sous un ample cafetan noir, tous deux couverts de poussière. Visi-blement, où qu’il fût allé, il n’avait pas tenu à impressionner ou à indiquer son rang royal.

— C’est le genre d’accueil que l’on mérite lorsque l’on m’abandonne ici toute la journée ! répondit Abbie, excédée. Je ne savais même pas que vous étiez parti, et à mon réveil…

— Je vous ai laissé un mot ! protesta Malik sur un ton agacé. Je vous expliquais exactement…

— Exactement ? Exactement ? répéta-t-elle, à bout de nerfs. Votre mot n’expliquait rien du tout, oui !

Elle attrapa le papier froissé qu’elle avait jeté dans un coin après l’avoir relu des centaines de fois. Et tant pis si Malik s’apercevait qu’elle savait exactement où elle avait jeté ce mot et qu’elle l’avait froissé en boule tant elle était furieuse. Tant mieux, même : elle voulait qu’il sache à quel point elle s’était inquiétée.

— » Je dois sortir pour comprendre ce qui se passe…, lut-elle à voix haute. Vous êtes ici en sécurité. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à le demander… »

— Et n’étiez-vous pas en sécurité, peut-être ? demanda Malik en désignant d’un grand geste la tente remplie de tapis et de ten-tures brodées. Omar m’a dit que vous lui aviez demandé…

— Oui ! J’ai demandé qu’on m’explique ce qui se passait et où vous étiez parti, mais personne n’a voulu me répondre.

— Je leur ai demandé de ne rien dire.

C’en était trop. Abbie perdit tout contrôle d’elle-même et se le-va d’un bond, les joues enflammées.

— Pourquoi ? Savez-vous combien de temps j’ai attendu ici ?

— Pas maintenant ! interrompit Malik, la main levée pour cou-per court à la conversation. Je ne tiens pas à parler de ça.

— Moi si.

— J’ai dit pas maintenant, Abbie !

Au ton furieux de Malik s’ajoutait désormais l’expression sur son visage. La même colère qui teintait sa voix se lisait dans le noir intense de ses yeux, dans les muscles contractés de sa mâchoire. Mais ce ne fut pas cela qui arrêta Abbie. Depuis qu’il était entré dans la tente, elle ne l’avait pas vraiment regardé, tant elle atten-dait ses explications. Mais à présent, elle l’observait. Et ce qu’elle vit la fit frémir.

Sa belle peau avait perdu sa chaude couleur cuivrée. Ses traits étaient tirés et pâles… On aurait dit un autre homme. Des cernes noirs sous ses yeux trahissaient l’épuisement. Et son regard d’habitude si brillant et vif semblait terne et voilé sous ses pau-pières lourdes.

— Pas maintenant, répéta Malik d’une voix plus lasse. Je ne veux pas discuter de ça pour l’instant.

Il avait passé une journée infernale et ne tenait pas à en racon-ter les détails. En fait, il ne voulait pas parler du tout, ni même penser à quoi que ce fût. Tôt ou tard, il allait de toute façon devoir le faire, expliquer à Abbie ce qui allait se passer pour elle et son frère. Il devinait d’avance sa réaction et savait au fond de lui que c’était la raison pour laquelle il ne tenait pas à en parler tout de suite. Il voulait juste…

— Asseyez-vous, dit alors Abbie d’une voix douce. Asseyez-vous ou vous allez tomber de fatigue. Je vais demander qu’on vous amène à boire.

Abbie se dirigeait déjà vers l’entrée de la tente mais fut arrêtée par la main de Malik, posée sur son bras.

— Ne vous dérangez pas. Il y a de l’eau ici, et c’est tout ce dont j’ai besoin.

— Entendu.

Malik se laissa tomber sur des coussins moelleux empilés dans un coin de la tente. Son mal de tête l’avait accompagné pendant tout le retour, et seule l’idée qu’il allait retrouver le calme de cette tente l’avait fait tenir. Il s’était même laissé aller à imaginer…

— Voici de l’eau.

A contrecœur, il ouvrit les yeux et vit Abbie lui tendre un verre.

— Shokran. Merci.

Il prit le verre et en avala le contenu d’une seule traite, les yeux rivés sur la femme qui se tenait devant lui. La femme qui avait hanté son esprit toute la journée durant… La femme qui occupait toutes ses pensées depuis qu’il était parti en ville… La femme qui se trouvait là à son retour, ignorant encore la nouvelle qu’il venait lui apporter.

Malik serra un peu plus fort son verre. Lors de sa chevauchée solitaire à travers le désert aride, il avait même imaginé ce qu’il aurait ressenti en retrouvant une femme qui l’aimait, et que lui aussi aimait en retour. Epuisé, abattu par les récentes nouvelles, il s’était même laissé aller à rêver qu’Abbie pourrait être cette femme-là. Et maintenant, elle se tenait là, devant lui, comme si son rêve se matérialisait sous ses yeux. Elle lui paraissait encore plus belle que d’habitude. A la vue de ses longs cheveux dorés qui tombaient en cascade sur ses fines épaules, de la blancheur satinée de sa robe qui enveloppait ses hanches sveltes, la courbe de ses seins, sa bouche s’assécha d’un coup, malgré l’eau qu’il venait de boire. Jamais il n’avait autant désiré une femme de sa vie.

Si seulement elle avait pu être quelqu’un d’autre ! se lamenta-t-il intérieurement. La nuit qu’ils avaient failli passer ensemble dans sa suite promettait d’être l’expérience érotique la plus fabuleuse de sa vie. L’expérience la plus fabuleuse de sa vie, tout court. Mais il avait fallu qu’elle prononce cette phrase fatidique – « toutes les nuits de notre vie à deux » – pour qu’il comprenne l’ampleur du terrible malentendu.

Non, il ne pouvait toucher cette femme. C’était celle que son frère désirait pour épouse, et l’honneur lui dictait de rester à dis-tance. Mais oublier Abbie s’était avéré plus facile à dire qu’à faire… Jalil n’ayant pas montré le moindre intérêt pour la sécurité de sa future épouse, Malik avait profité de la situation critique en ville pour la voir une dernière fois, tout en sachant qu’il n’en souffrirait que davantage ensuite. Il s’était donc chargé lui-même de la faire venir de l’aéroport jusqu’au palais.

Mais à présent… A présent, tout avait changé. Les bouleverse-ments qui venaient de survenir modifiaient toutes les données. Abbie ne lui était plus interdite. Et qu’aurait-il donné pour passer une vraie nuit avec elle, pour admirer à loisir la perfection et les délices de son corps ! Mais une seule nuit, il le savait, ne saurait suffire…

— Pourquoi me regardez-vous ainsi ?

Abbie le toisait avec sévérité, le regard suspicieux.

— Je vous regardais ? Pardonnez-moi.

Malik se redressa. Il fallait à tout prix se ressaisir, se rappela-t-il. Surtout, ne pas lui montrer combien il était agité par ces rêves d’avenir. Non, il devait rester concentré sur l’instant présent. En l’occurrence…

— Que se passe-t-il, Malik ?

Avait-elle deviné la raison de son trouble ?

— Pourrais-je avoir un autre verre d’eau ?

Il avait réussi à éviter de répondre, mais au vu du regard qu’Abbie lui lança, il sut qu’elle n’était pas dupe. Mais que faire ? Fallait-il lui annoncer la nouvelle ainsi, de but en blanc, sans la préparer d’abord au choc ?

Sans un mot, Abbie vint lui prendre son verre des mains, et il dut se contenir pour ne pas émettre un gémissement de frustra-tion en observant la façon dont ses hanches oscillaient doucement sous la soie blanche de sa robe. Cette vision souleva aussitôt un flux de désir qui se propagea dans tout son corps. Il désirait tant

cette femme qu’il lui était insupportable de rester assis de la sorte, à la regarder sans pouvoir agir.

— Etes-vous malade ?

— Pas vraiment.

Malik se passa une main sur le visage et frotta longuement ses tempes. Les muscles de son cou le faisaient terriblement souffrir, et il les massa doucement pour apaiser les tensions.

— Vous n’avez pas l’air bien. Vous avez la migraine ?

— Naam, répondit-il dans sa langue natale en acquiesçant très lentement.

Pourquoi fallait-il qu’elle se montre si attentionnée, tout à coup ? se demanda Malik non sans agacement. Pourquoi prenait-elle cette voix douce, ce ton inquiet ? Elle éveillait en lui des sen-timents contre lesquels il n’avait pas la force de lutter aujourd’hui. Ne pouvait-elle se contenter de prendre cet air impatient et cour-roucé avec lequel elle l’avait accueilli quelques instants plus tôt ? Car ainsi, elle lui donnait envie de la prendre dans ses bras, de la serrer fort contre lui, et de l’embrasser jusqu’à ce que cette expres-sion anxieuse disparaisse de son visage.

Mais en y réfléchissant bien, l’autre Abbie, celle qui l’accusait de tous les maux et le foudroyait du regard, lui inspirait les mêmes envies. Oui, il l’aurait embrassée jusqu’à ce que sa colère s’évanouisse, puis l’aurait déposée sur le lit, et…

— J’aurais pu soulager votre mal de tête si je savais où se trou-vaient mes affaires.

En entendant la note d’agacement dans la voix d’Abbie, Malik ne put s’empêcher d’esquisser un petit sourire.

— Les chauffeurs ont dû les emporter directement au palais. Ne vous inquiétez pas, elles ne sont pas perdues.

— Je ne m’inquiète pas. Mais en attendant…

Abbie lui donna un autre verre d’eau puis contourna le divan pour se placer derrière lui.

— Que faites-vous ? demanda Malik en sentant ses doigts légers repousser les mèches qui recouvraient sa nuque.

— J’essaye de vous ôter cette migraine. Les muscles de votre cou sont très tendus. Désolée, je vous fais mal ?

— Non, répondit Malik entre ses dents.

Il ne parvint pas à réprimer un gémissement de plaisir lorsque Abbie posa ses mains chaudes et douces sur sa peau. Son parfum, si frais, si féminin, envahit ses narines et pénétra au plus profond de lui. Les doigts d’Abbie faisaient des merveilles. Son massage détendit rapidement les muscles de ses épaules et de son cou, si bien qu’il en oublia pendant un instant ses sombres pensées. En se penchant légèrement en arrière, sa tête venait reposer contre son buste, s’enfonçait dans la douceur moelleuse et tiède de ses seins. Il sentait son souffle régulier, les battements de son cœur contre sa tête. C’était à la fois délicieux et déchirant. Délicieux parce qu’il ne pouvait ignorer combien il était plaisant de s’abandonner à cette caresse, à cette douce ivresse qui anéantissait tous ses soucis. Et déchirant de sentir son corps réagir si violemment et de devoir contenir ce désir ardent.

De toute façon, il ne pourrait se détendre tant qu’il ne lui aurait pas tout dit. Plus question de retarder ce moment : il devait lui avouer la vérité sans plus tarder.

— Abbie…, commença-t-il, aussitôt conscient que le ton de sa voix avait trahi ses sombres pensées.

La jeune femme interrompit son massage avant de reprendre, cette fois d’une façon moins assurée. Le rythme de ses doigts sem-blait moins fluide, plus maladroit, et montrait qu’elle n’était plus concentrée sur ses gestes.

— J’ai quelque chose à vous dire.

Etait-il plus facile d’avouer quand il ne la regardait pas ? Une partie de lui tenait à voir sa réaction quand elle saurait. Mais l’autre ne voulait pour rien au monde apercevoir son expression en apprenant ce qu’elle allait entendre. Mais il avait déjà trop atten-du. Il sentait que son hésitation troublait la jeune femme, dont les mains exécutaient des gestes mécaniques, distraits.

— Qu’y a-t-il ? insista-t-elle devant son silence. Que s’est-il pas-sé ?

Comment pouvait-il trouver les mots pour ça ? Pourtant, il n’y avait qu’une seule façon de le lui dire.

— Malik ? Parlez-moi !

Celui-ci inspira longuement, puis se lança.

— Il y a eu un accident. Jalil… Jalil est mort.

12.

Jalil est mort.

Ces mots frappèrent Abbie en plein visage. Elle s’immobilisa, le souffle coupé.

Non, elle avait sûrement mal interprété ce que Malik venait de lui dire. Comment Jalil pouvait-il être mort ?

— Abbie, avez-vous entendu ce que je viens de vous dire ?

Malik s’était rapproché d’elle, et le regard intense avec lequel il la dévisageait lui fit aussitôt comprendre qu’elle avait bien enten-du.

— Oui… j’ai entendu… mais… J’étais sur le point de l’épouser !

Une myriade de pensées lui traversèrent l’esprit sans qu’elle parvienne à en analyser une seule. Comment Jalil pouvait-il être mort ? Quand ? Ce drame était-il survenu aujourd’hui ? Et que cela signifiait-il pour son avenir ? Et pour celui d’Andy ?

C’est alors qu’elle se rendit compte du regard tourmenté de Malik, et son attitude changea du tout au tout.

— C’était votre frère. Je suis sincèrement navrée…

L’espace d’une seconde, Malik baissa son beau visage cuivré et ferma les yeux d’un air las. Lorsqu’il les rouvrit, son regard sem-blait opaque, dénué de toute expression. Abbie comprit qu’elle avait dépassé une limite que personne d’autre avant elle n’avait osé franchir. Celle de la compassion.

— Que… qu’est-il arrivé ? balbutia-t-elle, sans savoir si cette question allait le troubler davantage ou éveiller sa colère.

Mais Malik lui répondit d’une voix calme, où seules quelques notes étranglées trahissaient son émotion.

— A cause des émeutes, Jalil a décidé de se faire discret pour quelque temps, et il a pensé qu’un hélicoptère serait le moyen le plus rapide de quitter la ville. Connaissant mon frère, il a sûre-ment dû insister pour piloter lui-même. Quelque chose s’est mal passé, et l’hélicoptère s’est écrasé en mer…

— Peut-être que Jalil a survécu ? intervint Abbie, émue devant la gravité de son ton. Peut-être qu’ils ont réussi à sortir de…

Mais elle s’interrompit en voyant Malik secouer la tête d’un air sombre.

— Non, ils ont repêché les corps. Jalil est mort.

— Oh, non !

Dire qu’elle avait osé reprocher à Malik de l’avoir abandonnée ici, alors qu’il venait de perdre son frère ! Comment se sentirait-elle si cela devait arriver à Andy ?

D’instinct, Abbie se jeta sur le divan et prit la main de Malik. Elle savait bien qu’il ne voulait pas de sa pitié, mais c’était plus fort qu’elle.

— Je suis désolée.

Oui, elle avait l’air sincèrement désolée, remarqua Malik. La douceur dans son regard, sur son visage, franchissait les barrières qu’il avait érigées autour de lui depuis toujours. Pourtant, il ne s’était attendu à aucune compassion de la part de la jeune femme, puisque tout ce que celle-ci souhaitait, c’était épouser un cheik : son frère, en l’occurrence.

— Et qu’en est-il de moi ? lui demanda alors Abbie.

Evidemment, songea Malik avec amertume, il ne lui avait pas fallu longtemps pour retrouver sa détestable attitude.

— Eh bien, le mariage est annulé, déclara-t-il sur un ton sarcas-tique qui, du moins l’espérait-il, cachait son profond désarroi devant l’indifférence d’Abbie.

— Non, je veux dire : qu’en est-il pour Andy ? reprit-elle en lui lançant un regard offusqué.

Bien sûr. Son frère. Rien de plus normal, n’est-ce pas ? songea Malik. Lui-même n’avait-il pas toujours fait en sorte que Jalil ne se trouve pas dans l’embarras ? Et Abbie ? Jusqu’où irait-elle pour sauver son frère ?

— Un nouveau cheik va être nommé pour diriger le royaume de Barakhara. Il prendra la place de Jalil.

Comme il l’avait imaginé, une lueur nouvelle éclaira le regard d’Abbie. Le petit sourire qui naissait sur ses lèvres lui fit l’effet d’une lame qui déchirait son cœur. Etait-ce un sourire de soula-gement, ou de triomphe ?

— Qui est le nouveau cheik ?

Ne pouvait-elle donc pas le deviner ?

— Pourquoi tenez-vous à le savoir, habibti ?

— J’ai besoin de savoir à qui m’adresser.

Malik lui prit la main et caressa doucement sa paume, les yeux plongés dans les siens. Il ressentait l’irrésistible envie de voir jus-qu’où elle était prête à aller, et à quel point elle était corrompue.

— Vous êtes à la recherche d’un nouveau cheik à épouser, c’est ça ? Vous allez recommencer votre petit manège, vous jeter à ses pieds, dans son lit… dans mon lit ? dit-il sur le ton le plus neutre possible.

— Votre… ?

Les grands yeux d’Abbie s’agrandirent sous l’effet de la sur-prise.

— Votre lit ?

— Bien sûr, mon lit.

Malik resserra les doigts sur la main d’Abbie, avec assez de force pour lui faire comprendre qu’il avait désormais le pouvoir de la retenir prisonnière.

— Cela vous étonne ? Je suis le frère de Jalil, son seul parent vivant, et donc l’unique successeur au trône de Barakhara. Je vais annexer son pays au mien, et prendre la tête des deux royaumes.

— C’est donc maintenant vous qui décidez du sort d’Andy ?

— Je décide de tout à Barakhara.

Il sentit la main d’Abbie sursauter dans la sienne, puis aperçut le sourire fugace qui passait sur ses lèvres et qu’elle ne put répri-mer. Et il reconnut ce sourire. Le même que lors de leur première nuit ensemble, dans cette chambre d’hôtel, quand elle avait réussi à l’attirer dans ses filets. Oui, c’était un sourire de triomphe.

Il fallait qu’il parte, se dit-il aussitôt. Qu’il arrête tout cela avant de se faire prendre au piège une nouvelle fois. Pourtant, tout son corps protestait. Il ne pouvait quitter cette femme avant de l’avoir possédée. Quelques minutes plus tôt, ne s’était-il pas avoué qu’il aurait tout fait pour cela, ne serait-ce qu’une fois ? Et ce soir, après tous ces événements tragiques, il avait tant besoin de donner libre cours à ses pulsions et de se sentir vivant, bien vivant !

— Alors, que dois-je faire pour obtenir votre clémence ? de-manda Abbie.

— Vous avez bien une petite idée, non ?

Il devait sans doute être plus fatigué qu’il ne le croyait, se dit Malik en se maudissant d’avoir laissé ces paroles lui échapper. Mais il voulait savoir jusqu’où elle pouvait aller.

— Qu’entendez-vous par là ?

— Oh, je crois que vous le savez, sukkar, murmura Malik. Après tout, j’ai eu l’occasion de voir combien vous pouviez vous montrer persuasive. Alors, allez-y. Persuadez-moi.

— Vous voulez…

Abbie n’en croyait pas ses oreilles. Comment interpréter cette dernière remarque ? Elle pensait ne plus pouvoir sauver Andy, et à présent, Malik lui offrait une nouvelle chance. Mais à quel prix !

— Vous voulez…

— Je vous veux.

Il avait dit cela d’une voix plate, neutre, qui transperça le cœur d’Abbie comme la plus aiguisée des flèches. Elle avait toujours su

qu’il n’éprouvait rien pour elle, mais à l’entendre prononcer cette phrase avec si peu de sentiments, elle faillit chanceler de douleur.

— Je vous ai toujours voulue. Plus qu’aucune autre femme. Et je suis prêt à payer le prix qu’il faudra pour vous mettre dans mon lit.

— Le prix qu’il faudra ? ! s’exclama Abbie sur un ton incrédule. Comme libérer mon frère ?

— Tout ce que vous voudrez, si vous m’offrez ce que vous étiez prête à offrir à Jalil. Si vous couchez avec moi…

— Et vous feriez de moi votre concubine ? Votre maîtresse, peut-être ? demanda-t-elle avec fureur, la voix tremblante.

Malik secoua la tête.

— Non, mon épouse.

Son épouse. Non, impossible. Il ne pouvait se montrer aussi cruel ! Se rendait-il seulement compte de ce qu’il lui demandait ? Bien sûr, au vu des sentiments qu’elle éprouvait à son égard, l’idée de devenir sa femme lui paraissait la réalisation d’un rêve. Mais pas comme ça, pas dans le cadre d’un marché cruel et insensible !

— Impossible.

Abbie aurait voulu se lever, fuir cet endroit, mais son corps ne semblait plus obéir à ses pensées. Elle était incapable de bouger, comme si ses jambes allaient se dérober sous elle dès qu’elle se lèverait. Elle n’avait d’autre choix que de rester là, tout près de lui, de son regard noir qui la fixait avec insistance.

— Pourquoi cela ? demanda Malik sur un ton sec. Un cheik en vaut bien un autre, n’est-ce pas ? Vous vouliez en épouser un, vous voilà servie. Vous avez votre mariage, votre frère recouvre sa liber-té, vous devenez plus riche que dans vos rêves les plus fous, et vous passez toutes vos nuits dans mon lit. Comment pourriez-vous refuser ?

Comment refuser, en effet ? se demanda Abbie. Elle s’était juré de faire tout son possible pour aider Andy, mais en cet instant même le destin de son frère avait pris une place secondaire dans son esprit. Car Malik venait de lui offrir ce qu’elle espérait depuis

le début de leur rencontre… Elle se retrouvait maintenant face à un choix impossible, déchirée entre son envie de réaliser son rêve le plus intime et sa peur de trop souffrir. Elle devait saisir sa chance, mais elle ne l’osait pas.

— Abbie…, murmura doucement Malik en cherchant son re-gard.

L’obscurité dans la tente était presque totale, et aucun bruit ne leur parvenait du dehors. Ni la voix des gardes, ni le souffle des animaux. Tous devaient sûrement dormir, à cette heure avancée de la nuit. Et ici, dans cette tente tout juste éclairée d’un rayon de lune qui filtrait par les battants entrouverts, Malik n’était plus le cheik d’Edhan ou de Barakhara. Non, il n’était qu’un homme. Un homme qui avait vécu une journée éprouvante et dont les traits trahissaient la souffrance et la lassitude.

Abbie aurait voulu embrasser cette bouche incroyablement sensuelle, l’attirer à elle et voir jusqu’où ce baiser les mènerait… Elle voulait le toucher, tendre la main vers ses cheveux, vers son visage…

Soudain, la voix de Malik la sortit de sa torpeur.

— Hier soir, dans la voiture…

Abbie fut saisie par le changement dans la voix de Malik.

Comme si un autre homme se tenait à présent devant elle… Un homme dont le ton enjôleur et provocateur était devenu sincère et prévenant. Cette fois, lorsqu’il posa les doigts sur sa main, il le fit avec tant de douceur qu’Abbie sentit frémir tout son corps. Lors-qu’il pressa ses lèvres chaudes et douces contre sa paume, elle sentit s’éveiller en elle une lame de feu qui remonta le long de ses veines. Quelques instants plus tôt à peine, elle n’avait pu s’empêcher de sourire de soulagement en apprenant que Malik était désormais celui qui déciderait du sort d’Andy. Tout le désir qu’elle ressentait pour cet homme était aussitôt remonté à la sur-face…

— Malik…

Son prénom lui échappa dans un souffle. Allait-elle vraiment pouvoir lui dire ce qu’elle pensait si fort ? Oui, il le fallait, si elle ne voulait pas le regretter pour le restant de ses jours.

— Ce mariage que vous me proposez… toutes mes nuits passées dans votre lit… Donnez-m’en un aperçu, et je pourrais peut-être me décider.

Le sourire de Malik illumina tout son visage.

— Vos désirs sont des ordres…

Il se pencha alors vers elle et s’empara de ses lèvres pour un baiser lent, caressant de sa langue le contour de sa bouche. Dès qu’Abbie reconnut la saveur unique de ses lèvres contre les siennes, ce fut comme si elle buvait la plus forte des liqueurs, comme si elle se grisait dans les vapeurs d’une délicieuse ivresse. Elle sentit le feu de la passion lui remonter le long des veines et lui brûler la peau.

Plus question de raisonner ou de suivre une quelconque lo-gique. Abbie s’abandonna au vertige de la passion et, capitulant à son désir, rendit à Malik son baiser.

— Est-ce cela que vous vouliez ? murmura-t-il contre ses lèvres tremblantes. Répondez-moi.

— Oui… Oh oui ! C’est tout ce que je voulais.

Abbie pouvait à peine articuler, tant son désir la dévorait, et lorsqu’elle passa les doigts dans les cheveux de jais de Malik, puis les noua autour de son cou puissant, elle l’entendit rire, d’un rire grave et rauque.

— Non, sukkar, ce n’est pas tout. Vous n’avez pas idée de tout ce que je peux vous donner.

Il passa alors les mains autour de sa taille et la fit doucement glisser sur le dos, jusqu’à ce qu’elle soit complètement étendue sur les coussins moelleux du divan. Puis il s’allongea sur elle en lui arrachant un soupir de volupté.

— Très bien, à présent, recommençons…

Il plongea les doigts dans les cheveux dorés d’Abby, de part et d’autre de ses tempes, emprisonnant ainsi son visage entre ses mains.

— Tout d’abord, un baiser…

— Vous m’avez déjà embrassée, protesta Abbie dans un mur-mure.

Mais Malik secoua la tête.

— Un vrai baiser. Le genre de baiser que j’ai voulu vous donner dès que je vous ai aperçue pour la première fois, derrière cette fenêtre.

Aussitôt, le souvenir de cet instant resurgit dans l’esprit d’Abbie, qui ne put retenir un petit rire.

— Dire que je portais cet horrible tablier !

Mais son rire s’évanouit aussi vite qu’il était venu lorsqu’elle aperçut le regard dénué de tout humour de Malik. Un regard qui indiquait que l’heure n’était pas à la plaisanterie légère, mais à l’assouvissement de ses désirs d’homme les plus primitifs.

— Vous pourriez porter n’importe quoi…, murmura-t-il contre son cou, ou mieux encore, rien du tout. Ce peignoir…

Il fit courir ses mains le long de son corps svelte, froissant la soie blanche de son vêtement, éveillant tous les points sensibles de sa chair.

— Ce peignoir est magnifique, c’est vrai, reprit-il. Mais pas aus-si magnifique que le corps qu’il dissimule. La soie a beau être douce, elle ne l’est pas autant que votre peau. Elle souligne la courbe de vos seins…

Ce disant, il enveloppa de sa paume la rondeur de sa poitrine moulée dans le tissu soyeux. Saisie par l’intensité du désir qui assaillit son corps, Abbie poussa un gémissement sourd.

— De vos hanches…

Il fit descendre ses doigts puissants le long de ses flancs, puis vers ses cuisses, et sourit en la voyant réagir si violemment à sa caresse.

— Et puis là…

— Oh, Malik !

Une fois encore, elle cria son prénom tandis qu’il glissait la main entre ses jambes et pressait le tissu contre sa chair délicate.

— Mais la soie est superflue. Rien ne peut valoir la sensation de votre peau nue contre la mienne, de votre corps qui s’ouvre au mien…

Ses mains refirent le chemin inverse, de ses cuisses vers sa gorge, lentement, s’attardant juste assez pour affoler ses sens, et revinrent de chaque côté de ses tempes, de façon à immobiliser son visage contre les coussins de soie.

— Un autre baiser ici…

Ses lèvres revinrent chercher les siennes, avec fougue cette fois, sa langue s’immisçant avec passion dans sa bouche.

— Puis là…

Cette fois, il encercla de ses lèvres tièdes le mamelon de son sein, tendu contre la soie blanche du peignoir, qu’il humecta du bout de la langue jusqu’à ce que le tissu humide s’accroche à sa peau frémissante.

— Oh… je vous en supplie…

Abbie ne savait comment formuler ce qu’elle ressentait en cet instant. « Je vous en supplie » était la seule chose qu’elle avait réussi à articuler.

— Mais vous êtes encore trop vêtue à mon goût.

De ses doigts agiles, Malik caressa les broderies de dentelles qui ourlaient son décolleté, effleurant au passage la fine peau de ses seins qui frémissaient sous la caresse.

— Laissez-moi vous ôter ceci.

Et avant même qu’elle pût réagir, il saisit le tissu dans ses mains et, d’un geste brusque, déchira violemment la soie, si bien qu’Abbie se retrouva pratiquement nue.

— Malik ! s’écria-t-elle, pétrifiée de surprise.

— Ne vous en faites pas, ce n’est qu’un peignoir, répondit-il. Je vous en donnerai un autre, des milliers d’autres, si vous le désirez. Aussi longtemps que vous serez avec moi, vous ne manquerez jamais de vêtements. Mais en avez-vous vraiment besoin ? Ça, par exemple…

D’un mouvement expert, il détacha son soutien-gorge de den-telle et le jeta sur le côté avant de poser un regard gourmand sur la chair laiteuse ainsi exposée, les mamelons rosés tendus de désir.

— Et ça non plus…

Il lui ôta alors l’ultime pièce de lingerie qu’elle portait encore et exhala un long soupir de satisfaction devant la vue qui s’offrait à lui.

— Parfait… Maintenant, vous êtes exactement telle que je vous veux, déclara-t-il tandis qu’il se débarrassait lui-même de sa tu-nique, puis de ses sous-vêtements. A présent, commençons…

— Oui, commençons ! répéta Abbie d’une voix tremblante.

Si ce n’était que le début, alors que lui réservait-il pour la suite ? Mais Malik avait visiblement l’intention de faire durer le plaisir le plus longtemps possible, de faire durer l’attente jus-qu’aux limites du supportable.

— Vous aimez ça ? lui demanda-t-il dans un murmure alors que sa langue effleurait tout son corps et lui soutirait des gémisse-ments d’extase.

— Oui, oh oui !

Mais Malik secoua la tête et l’encadra de son corps robuste, ses jambes longues et fermes contre les siennes, frôlant de toute la puissance de son sexe enflé de désir la douce toison d’Abbie. Pen-ché sur elle, il lui prit le visage et plongea son regard brûlant dans le sien.

— Je ne comprends pas, dit-il d’une voix amusée. Vous devez me parler dans ma langue : naam pour oui, et la pour non, pour que je sache ce que vous voulez. Alors, vous aimez ça ?

— Na… naam, soupira Abbie.

— Et ça ?

— Naam…

— Ça ?

— Naam… naam, répondit-elle d’une voix de plus en plus forte, à mesure que les doigts de Malik approchaient de la zone la plus intime, la plus sensible de toutes, et lui procuraient des caresses toujours plus voluptueuses.

— Naam !

Abbie s’agrippa à lui de toutes ses forces et enfonça ses ongles dans les muscles de ses épaules hâlées et luisantes de sueur. Le corps embrasé d’excitation, elle cambra les reins et vint presser encore davantage son bassin contre le sien.

La mâchoire serrée, le regard fiévreux, Malik ne pouvait pas plus qu’Abbie exprimer ce qu’il ressentait. Leurs caresses, leurs baisers remplaçaient tous les mots. Il pénétra alors dans la douce moiteur de son intimité et Abbie s’abandonna tout entière à la sensation de plénitude qui l’envahit aussitôt.

L’espace d’un instant, Malik s’immobilisa, retenant son souffle tandis qu’il la sentait se refermer sur lui. Dans le silence soudain, Abbie l’entendit expirer avec effort, comme abasourdi par l’intensité du choc. Mais juste au moment où elle commençait à perdre patience, celui-ci inclina la tête vers son visage et déposa un baiser fougueux sur ses lèvres entrouvertes. Seulement alors, il se mit à aller et venir en elle.

Et avec ce premier mouvement, toute la retenue dont Malik avait fait preuve jusqu’ici disparut. Avec un cri rauque, il succom-ba au désir qui le brûlait depuis si longtemps, et son va-et-vient se fit plus profond, plus rapide, à mesure que grandissait son excita-tion.

Abbie se cramponnait à lui tandis que son corps fusionnait avec le sien, répondait avec la même passion à ses délicieux assauts. Ensemble, ils laissèrent le plaisir les envahir jusqu’à ce qu’ils attei-gnent des hauteurs inouïes, que ni lui ni elle n’avaient jamais es-péré connaître. Tout autour d’eux, ce n’était plus que sensations et plaisir, et Abbie se laissait porter par cette incroyable vague. Elle

poussa un dernier cri d’extase avant de sombrer dans une douce léthargie.

13.

Au beau milieu de la nuit, Abbie fut réveillée en sursaut par quelque chose qu’elle ne sut identifier tout de suite. La tente était plongée dans l’obscurité, à l’exception d’une petite lampe à huile qui brûlait dans un coin, et d’un rayon de lune qui passait par les battants entrouverts. Dehors, le silence du désert était total. A côté d’elle, Malik se tenait immobile et respirait doucement. Une douce chaleur émanait de son grand corps puissant abandonné au som-meil. Elle esquissa un sourire en se remémorant la vague de pas-sion qui les avait dévorés et se rapprocha de lui, les jambes entre-lacées aux siennes afin de sentir la tiédeur de sa peau.

C’est alors qu’elle se rendit compte que Malik ne dormait pas. Parfaitement immobile et silencieux, le bras passé derrière la tête en guise d’oreiller, il avait les yeux grands ouverts et regardait fixement la marquise de la tente au-dessus de leurs têtes. Sa façon de se tenir ainsi sans bouger et son regard noir d’encre lui firent comprendre que les pensées qui le tenaient éveillé n’avaient rien d’agréable.

Abbie ne mit pas longtemps à deviner la cause de son trouble.

— Tu penses à Jalil ? lui demanda-t-elle aussi doucement que possible, pour ne pas le faire sursauter et voir son humeur se gâter davantage.

Mais le visage cuivré de Malik, illuminé par le clair de lune, se tourna lentement vers elle.

— Je n’arrive pas à croire qu’il ne soit plus là.

Sous les draps, Abbie attrapa sa main et la serra fort dans la sienne.

— Souhaites-tu en parler ? Tu sais, je l’ai très peu connu. Je me souviens juste de lui au lycée, et j’avoue que je le trouvais un peu arrogant…

La bouche de Malik se tordit en un rictus ironique, et il laissa échapper un rire léger.

— Ça, c’est bien Jalil, en effet. Il était le fils unique d’un homme âgé et d’une mère qui l’adorait et ne lui refusait jamais rien. Tout ce qu’il voulait, elle le lui accordait aussitôt, et il pensait que le monde entier ferait de même. Il n’a jamais connu la discipline ou la modération et se montrait paresseux et avare. Voilà pourquoi il n’a jamais été très populaire auprès de ses sujets…

Malik s’interrompit pour pousser un long soupir de lassitude, et Abbie resserra un peu plus son étreinte.

— Voilà pourquoi il avait tellement besoin d’une épouse, conti-nua-t-il. S’il s’était marié et avait eu un héritier, les choses se se-raient peut-être arrangées.

— Et tu lui avais promis de l’aider ?

Malik acquiesça lentement dans l’obscurité.

— J’ai promis à ma mère que je ferais tout pour solidifier son règne. D’ailleurs, c’est moi qui l’ai persuadé que le mariage assure-rait une stabilité politique à Barakhara. Au début, il refusait de m’écouter, mais quand les émeutes se sont aggravées, il a enfin commencé à me prendre au sérieux. Malheureusement pour toi, c’est à ce moment-là que ton frère a décidé de se remplir les poches avec ses trouvailles archéologiques. Jalil s’est souvenu de son béguin pour toi, et il s’est mis en tête que tu représentais la seule épouse digne de lui.

— Et toi, tu étais tenu par ta promesse de lui venir en aide…

Sous les draps, Abbie sentit la main de Malik se resserrer sur la sienne tandis qu’il lui baisait le front en signe d’acquiescement.

— Oui, même si je n’approuvais pas le moins du monde sa fa-çon d’imposer sa volonté. Il était si immature, si puéril ! soupira-t-il en pressant une main contre sa tempe. Mais c’était mon frère…

— Et le lien du sang est si fort que, parfois, nous sommes forcés d’agir contre notre gré, acquiesça Abbie en pensant à Andy. Mon frère aussi a commis de graves erreurs, poussé par l’appât du gain.

Dans un bruissement de draps, Malik se tourna vers elle et dé-posa un nouveau baiser sur les lèvres.

— Ton frère a eu la malchance de servir d’appât. Si Jalil ne t’avait pas voulue pour épouse, sans doute se serait-il montré plus raisonnable quant au sort d’Andy.

Dans l’intimité de l’obscurité, Abbie ressentit l’effet de ce baiser avec deux fois plus d’intensité, tout comme le goût des lèvres de Malik, l’odeur chaude et musquée de son corps, et l’intonation exotique de sa voix profonde, comme une douce musique. De nouveau, elle sentit le désir monter en elle avec une force irrésis-tible. Pourtant, une pensée la tourmentait encore. Une question qui, jusqu’ici, était restée sans réponse.

— Comment se fait-il que Jalil ait tellement eu besoin d’un hé-ritier, et pas toi ? Après tout, tu es son aîné et à ma connaissance, tu n’as aucune femme dans ta vie…

« A part moi… », souffla une petite voix en elle. Elle avait du mal à croire que, quelques heures plus tôt, Malik avait évoqué un mariage. Avait-elle rêvé ? A vrai dire, elle avait l’impression que le rêve se prolongeait, et, après tout, n’avaient-ils pas bien mieux à faire que de discuter ? De plus, elle connaissait déjà la réponse à la question qu’elle venait de lui poser : Malik n’avait pas besoin de se marier pour que son peuple lui soit fidèle. Il avait su diriger son royaume avec bien plus de sagesse que son frère.

— Bien sûr que si, j’ai besoin d’une descendance, dit soudain Malik, tirant brusquement Abbie de ses rêveries. Et même plus que jamais depuis que j’ai hérité du trône de Jalil.

Quand s’était-il rapproché d’elle ? se demanda Abbie, surprise de le sentir si proche contre son corps.

— Pour tout dire, j’ai failli épouser une femme, autrefois, re-prit-il. Malheureusement, elle avait une maladie cardiaque, et elle est morte quelques mois avant la cérémonie.

— Je suis désolée, murmura Abbie contre sa joue à la barbe naissante.

— Ne sois pas désolée, sauf pour elle, bien sûr. C’était un ma-riage arrangé, je la connaissais à peine.

— Tu ne l’aimais pas ?

— L’amour n’était pas ce qui m’importait.

Sa voix neutre, imperturbable résonna dans le silence de la tente. Voilà, elle était fixée, se dit Abbie, la mort dans l’âme. Oui, Malik l’avait demandée en mariage, mais pourquoi se bercer de douces illusions : pour lui, l’amour ne comptait pas… Pourrait-elle accepter de vivre ainsi à ses côtés ? Pourrait-elle se satisfaire du peu d’attention qu’il lui accorderait ?

« Vous avez votre mariage, votre frère recouvre sa liberté, vous devenez plus riche que dans vos rêves les plus fous, et vous passez toutes vos nuits dans mon lit… »

Les paroles de Malik, prononcées dans le feu de l’action, revin-rent hanter sa mémoire. Dire qu’il pensait lui faire une offre géné-reuse, alors qu’elle en voulait tellement plus ! Certes, ce mariage lui assurerait un bien-être matériel incomparable, mais comment l’opulence et le luxe pourraient-ils jamais remplacer l’amour ?

— Qu’est-ce qui te semble important, alors ? lui demanda-t-elle à mi-voix, luttant pour ne pas lui montrer son amertume.

— Enfin, sukkar, chuchota Malik en l’enlaçant, as-tu vraiment besoin de me le demander ? C’est ça qui est important.

Il embrassa ses cheveux, son front, ses paupières closes.

— Et ça…

Ses mains se mirent à parcourir son corps, éveillant sur leur passage des zones encore inassouvies qui la firent de nouveau vibrer. Abbie entrouvrit la bouche pour accueillir sa langue, qui s’enroula autour de la sienne dans une danse fébrile, et tandis que la fièvre du désir naissait de nouveau dans son corps, elle décida d’oublier, du moins pour le moment, ses sombres pensées. Tout ce qui comptait, c’était l’instant présent, et elle n’avait pas l’intention de le gâcher avec des considérations sur son avenir. Elle devait

profiter de ce moment de plaisir, car peut-être s’agissait-il de la seule chose que Malik accepterait de lui donner.

Il fallut un certain laps de temps avant que Malik ne sente les battements de son cœur ralentir enfin, et sa respiration reprendre un rythme régulier. Mais s’il revenait peu à peu à lui, il aurait préféré ne jamais quitter cet état de douce torpeur qui l’avait enve-loppé cette nuit, chaque fois qu’ils avaient fait l’amour. Ses senti-ments pour la jeune femme lui étaient apparus tellement évidents, en cet instant. Mais à présent que le feu de la passion s’était con-sumé, il se rendait compte que rien n’était résolu, et que, plus que jamais, une vraie discussion s’imposait.

« Ce mariage que vous me proposez…, lui avait dit Abbie, toutes mes nuits passées dans votre lit… Donnez-m’en un aperçu, et je pourrais peut-être me décider. »

Et il lui avait donné cet aperçu.

Lui-même avait du mal à saisir l’étendue du choc qu’il venait de subir. Aucun mot ne pouvait décrire ce qu’il avait ressenti. En l’espace d’une nuit, un monde nouveau, extraordinaire, s’était ouvert à lui. Et maintenant qu’il était revenu à la réalité, il se sen-tait prêt à tout pour retrouver cette sensation. Cela signifiait donc avoir toujours Abbie à ses côtés…

Un bruit léger lui fit tourner la tête. La jeune femme dormait à ses côtés, le corps détendu, le visage dissimulé sous ses longs che-veux blonds. Avec douceur, il balaya les mèches dorées de son visage et l’observa en silence.

D’un instant à l’autre, elle se réveillerait et lui ferait part de sa décision. Mais il n’y avait qu’une seule chose qu’il voulait en-tendre. Il avait désiré cette femme depuis le premier jour. Et la nuit dernière n’avait fait qu’augmenter ce désir, au lieu de l’assouvir. A présent, peu lui importait qu’elle ne s’intéresse qu’à sa fortune ou à son statut. Il la désirait trop pour cela. Hors de question de la perdre. Maintenant qu’elle se trouvait à ses côtés, il allait tout faire pour qu’elle reste.

— Malik ?

Abbie se réveillait lentement et s’étirait en bâillant. Chaque mouvement de son corps éveillait en lui un désir qui lui coupait le souffle. Il n’avait envie que d’une chose : l’attirer à lui et la prendre dans ses bras pour la couvrir de baisers. Mais il savait que ce n’était là qu’une solution à court terme. Une solution agréable, certes, mais malheureusement temporaire. Non, il lui fallait plus que ça, et il devait faire preuve de tact pour parvenir à ses fins. Ainsi, même si cela le faisait véritablement souffrir d’agir ainsi, il se força à sortir du lit, attrapa son peignoir et le revêtit au moment où Abbie ouvrait les yeux.

— Malik ?

Sans réponse de sa part, Abbie se redressa aussitôt dans le lit et le chercha du regard dans la tente qu’éclairait la faible lueur de l’aube.

— Que fais-tu ? Où vas-tu ? demanda-t-elle en le voyant se vê-tir.

— Nous partons.

— Où ça ?

— A Edhan, dans mon palais. Nous avons un mariage, notre mariage, à organiser.

— Notre mariage ? Mais je n’ai jamais dit que…

— Tu n’en as pas besoin.

Malik enfonça les pieds dans des chaussures de cuir souple et saisit au vol son cafetan sur la pile de coussins où il l’avait négli-gemment jeté la veille.

— Ta réaction d’hier m’a dit tout ce qu’il y avait à savoir, décla-ra-t-il, conscient du regard indigné qu’Abbie lui jetait à présent.

— Je…, commença-t-elle.

Mais il n’avait aucune intention de la laisser finir sa phrase.

— » Ce mariage que vous me proposez…, lui répéta-t-il sur un ton sec, toutes mes nuits passées dans votre lit… Donnez-m’en un aperçu, et je pourrais peut-être me décider. » Eh bien, je t’ai donné

l’aperçu que tu voulais, et maintenant, je ne vois pas pourquoi tu protesterais. Nous allons à Edhan, et nous allons nous marier.

Abbie, stupéfaite, s’apprêtait de nouveau à répondre, mais il ne lui en laissa pas le temps. Il franchit l’espace qui les séparait en quelques enjambées rapides, saisit son visage entre ses mains et planta un baiser sur sa bouche entrouverte pour la faire taire.

— Je te suggère donc de te lever et de t’habiller en vitesse, à moins que tu ne préfères monter à cheval et traverser le désert en tenue d’Eve, ajouta-t-il d’un air amusé.

Et tandis qu’elle bredouillait quelque réplique indignée, Malik tourna les talons et sortit dans l’air frais du matin, refermant der-rière lui les battants de la tente pour étouffer la voix d’Abbie qui l’appelait avec fureur.

14.

« Vous avez votre mariage, votre frère recouvre sa liberté… vous devenez plus riche que dans vos rêves les plus fous… »

Les paroles de Malik résonnaient en boucle aux oreilles d’Abbie et la tourmentaient jusque dans son sommeil. Parfois, au beau milieu de la nuit, ces mêmes paroles l’éveillaient en sursaut, et Abbie se rappelait alors combien cette proposition manquait cruel-lement de la seule chose qui lui importait : de sentiments.

Bien sûr, Malik ne lui avait pas menti quant à son immense ri-chesse, et son somptueux palais aux sols de marbre, aux orne-ments en or massif et aux innombrables lustres de cristal était là pour le lui rappeler. Chaque jour, elle devait parcourir ce qui lui semblait des kilomètres de couloirs, traverser de gigantesques pièces luxueusement meublées pour se rendre dans sa chambre. Celle-ci s’avérait même plus vaste que l’appartement qu’elle avait partagé avec trois amis lorsqu’elle était étudiante !

Elle disposait de domestiques qui répondaient à ses moindres désirs et parvenaient même à les anticiper, sans qu’elle eût à de-mander ou même, parfois, à penser. On avait rapporté ses valises et soigneusement rangé leur contenu dans des penderies pro-fondes, où ses pauvres vêtements paraissaient bien peu nombreux au milieu de tout l’espace disponible. Evidemment, il n’avait pas fallu longtemps avant que Malik ne commande pour elle une nou-velle garde-robe composée de vêtements occidentaux, mais aussi d’une myriade de tuniques taillées dans la soie la plus fine et bro-dées de délicats motifs. Et il y avait également les bijoux : colliers, bracelets, broches et boucles d’oreilles en or incrustés des pierres précieuses les plus rares.

Enfin, sa penderie renfermait une toilette bien particulière. Une robe coupée dans la soie la plus blanche et rebrodée de fils d’or et d’argent, et un voile dans une dentelle si fine qu’on l’aurait crue tissée avec des cheveux d’ange.

Sa robe de mariée.

Car Malik ne doutait pas une seconde de leur mariage immi-nent. Dès l’instant où il était sorti de la tente et qu’il avait donné des ordres afin de préparer leur retour dans son palais d’Edhan, il n’avait pas prêté la moindre attention à ses protestations, et au fait qu’elle n’avait jamais accepté de devenir son épouse.

Les préparatifs pour leur mariage avançaient à vive allure. Une chose était sûre : personne ne pouvait accuser Malik de ralentir les choses ! Le mariage devait avoir lieu d’ici cinq jours, et cela faisait maintenant deux semaines qu’ils étaient rentrés de leur périple à travers le désert.

En son for intérieur, Abbie aurait aimé n’être jamais rentrée de l’oasis. Là-bas, dans la tente plantée sous la voûte étoilée, tout lui paraissait si simple… Elle gardait un souvenir magique de la seule nuit passée dans les bras de Malik, dont les caresses avaient effacé toutes les peurs et les doutes qui agitaient son esprit. Dans cette tente, Malik était simplement un homme, et elle n’était qu’une femme, et la fièvre érotique qu’ils avaient vu naître entre eux leur avait fait oublier, le temps d’une nuit, le monde alentour.

Mais à présent, le monde les avait rattrapés, et Malik était un autre homme. Un cheik qui dirigeait non pas un, mais deux pays. Il lui avait fallu organiser les funérailles de Jalil, puis s’occuper de maintes choses, si bien qu’il ne lui avait consacré que très peu de temps. A vrai dire, elle l’avait à peine vu. Si seulement elle avait pu partager son lit, alors elle aurait pu parler avec lui, et oublier tous ses soucis dans le feu de leurs ébats passionnés. Mais elle dormait seule, dans cet immense lit. Et combien de nuits avait-elle passées sans fermer l’œil, à fixer les arches du plafond orné de mosaïques !

« Vous avez votre mariage, votre frère recouvre sa liberté… vous devenez plus riche que dans vos rêves les plus fous… »

« Votre frère recouvre sa liberté… » Oui, une seule chose la re-tenait d’aller trouver Malik pour lui annoncer qu’elle n’avait pas l’intention de l’épouser : Andy. Malik lui avait promis de le libérer, et il avait tenu parole. En fait, il avait même agi encore plus rapi-dement que prévu. Le jour même de leur arrivée au palais, Andy avait été libéré et conduit jusqu’à sa sœur. Peu après, leurs parents et George les avaient rejoints, tous prêts à assister au mariage dès qu’il aurait lieu.

A sa libération, Andy lui était apparu pâle et amaigri, mais après quelques jours passés à se reposer et à se nourrir correcte-ment, il avait retrouvé des couleurs et des forces. Sa liberté, Abbie le savait, dépendait du fait qu’elle épouse Malik. Résignée, sans autre choix, elle avait accepté. Elle avait même réussi à se con-vaincre que tout était pour le mieux, jusqu’à ce que Malik lui pré-sente Lucy, la femme de son meilleur ami.

— Lucy a vécu la même chose que toi, lui avait assuré Malik, après l’avoir prévenue que le cheik Hakim ben Taimur Al Fulani et son épouse anglaise, Lucy Mannion, venaient passer quelques jours avec eux avant la cérémonie. Ils ne sont mariés que depuis un an, elle sait donc ce que c’est de s’adapter et pourra t’en parler. Je crois que vous pourriez très bien vous entendre.

Elle s’était sentie rassurée. Lucy avait plus ou moins le même âge qu’elle et Abbie l’avait tout de suite trouvée sympathique. Dans n’importe quelle autre situation, elle aurait apprécié cette compagnie féminine pour l’aider dans les préparatifs complexes de ce mariage royal. Mais les circonstances n’avaient rien de banal. D’abord, Abbie s’apprêtait à épouser un homme à qui elle n’avait pas vraiment dit oui. Enfin, la relation amoureuse de Lucy et de son mari lui rappelait cruellement qu’elle et Malik allaient procé-der à un mariage de convenance. Dès l’instant où Lucy était arri-vée dans le palais, Abbie avait senti le doute l’envahir. Pour cou-ronner le tout, Lucy avait fini par lui confier un secret qu’elle brû-lait sans doute de partager avec sa nouvelle amie.

— Je suis enceinte, Abbie, avait-elle chuchoté avec un grand sourire. Je viens juste d’apprendre que, d’ici à sept mois, Hakim et moi allons être parents.

— C’est merveilleux ! s’était exclamée Abbie.

Oui, elle était vraiment ravie pour Lucy et son charmant mari. Mais son amie avait ajouté :

— Vous devriez vous dépêcher d’en faire autant avec Malik, pour que nos enfants grandissent ensemble.

Cette dernière phrase avait fini de lui saper le moral. Dès lors, elle n’avait plus réussi à prétendre que tout irait bien.

Pendant l’un des nombreux banquets qui précédèrent la céré-monie du mariage, elle dut subir le calvaire de rester assise à côté de Malik, magnifique dans sa djellaba traditionnelle, à l’observer recevoir les félicitations et les vœux de bonheur de centaines d’invités. Jamais l’homme qu’elle aimait ne lui était apparu aussi beau et viril. Elle avait à peine conscience des délicieux mets qui passaient devant elle tant elle le dévorait du regard. Pourtant, les paroles de Lucy restaient gravées au plus profond de son âme. Un mariage ne signifiait pas seulement vivre en couple… Pour Malik, cela signifiait également engendrer un héritier.

« Bien sûr, j’ai besoin d’une descendance, lui avait-il dit quelques jours plus tôt. Et plus que jamais depuis que j’ai hérité d’un second royaume. »

Allait-elle vraiment épouser Malik, sachant que celui-ci n’avait qu’une idée en tête, celle d’avoir un héritier ? Comment pourrait-elle mettre au monde l’enfant d’un homme qui n’éprouvait pas d’amour pour elle ? Apparemment, Malik, lui, n’y voyait aucun inconvénient. D’ailleurs, ne s’était-il pas montré prêt à épouser, avant elle, une personne qu’il connaissait à peine ? Si cette femme n’était pas morte tragiquement, il l’aurait épousée sans l’ombre d’une hésitation, et serait devenu père. Mais elle, pouvait-elle vraiment accepter cela ?

— Ça ne va pas ?

Malik avait remarqué le silence d’Abbie, son expression de pro-fond désarroi. Elle avait à peine touché à son assiette, et malgré ses efforts pour paraître enjouée, son sourire s’évanouissait aussi-tôt qu’il se formait sur ses lèvres.

— Je suis un peu fatiguée, c’est tout, répondit-elle en évitant de le regarder dans les yeux. Je ne dors pas très bien la nuit.

— Ce lieu ne t’est pas encore familier, c’est vrai, acquiesça Ma-lik. Et puis, il y a tant de choses à organiser…

Il se pencha vers elle et lui prit la main avec une expression at-tentionnée.

— Je t’ai un peu négligée, ces derniers temps.

— C’est normal, tu as eu tellement d’affaires à régler.

— C’est vrai, mais ça n’excuse rien. Tu es ma promise, ma fu-ture épouse. Je devrais m’occuper davantage de toi.

Il tira doucement sur sa main pour qu’elle se rapproche de lui et posa la joue tout près de son visage, avant de lui murmurer au creux de l’oreille :

— Veux-tu que je vienne te voir, cette nuit, habibti ? Peut-être pourrais-je t’aider à dormir ? Tu te reposeras sûrement mieux dans mes bras.

L’espace d’une seconde, Malik crut que la jeune femme allait refuser son offre. Elle baissa le regard vers leurs mains entrelacées et se mordit la lèvre inférieure.

« Faites qu’elle ne dise pas non ! » supplia-t-il intérieurement. Son refus l’aurait anéanti. Chaque nuit passée sans elle lui avait semblé une torture, mais il avait tellement travaillé ces derniers temps, jusqu’à tard dans la nuit, qu’il avait préféré la laisser dor-mir en paix. Leur mariage allait bientôt avoir lieu, et ensuite, ils seraient ensemble pour le restant de leurs jours.

Ce soir, Abbie lui apparaissait plus éblouissante que jamais. Vêtue d’une longue robe de soie nacrée de la même couleur que ses yeux, sa chevelure blonde relevée au-dessus de sa nuque pâle, des diamants scintillant à ses oreilles et à son cou, elle était d’une beauté à couper le souffle, une vision féerique.

— Abbie ? insista-t-il lorsqu’il la vit hésiter.

Elle lui avait tellement manqué, ces derniers jours ! Et à pré-sent, tandis que l’odeur de son corps mêlée au parfum floral

qu’elle portait montait lentement vers lui, il devait se contenir pour ne pas la soulever de son siège et l’emmener aussitôt dans sa chambre.

— Oui, répondit-elle enfin, à son grand soulagement. Oui, je veux bien.

Je veux bien ? Malik trouva cette réponse bien peu enthou-siaste, en comparaison de ce que lui ressentait. Mais il ne fallait pas oublier qu’Abbie venait d’une famille respectable où on lui avait appris à user d’un langage châtié et à ne pas laisser paraître ses sentiments. Pourtant, il savait d’expérience – et quelle expé-rience ! – qu’au lit, elle savait s’abandonner. En public, elle sem-blait si sage, avec ces diamants discrets qui sublimaient son visage, mais avec lui, quand ils avaient été seuls dans l’intimité d’une chambre, elle s’était offerte sans retenue, montrant le côté sauvage dont rêvaient tant d’hommes.

Ce soir, ils seraient de nouveau unis.

— Attends-moi, lui chuchota-t-il à l’oreille, luttant pour retrou-ver sa respiration.

Les images chargées d’érotisme qui lui avaient traversé l’esprit étaient si excitantes qu’il devait se ressaisir s’il ne voulait pas que ses invités lui demandent la raison de son trouble. Mais il avait tellement hâte de la rejoindre !

Il dut patienter jusqu’au soir, serrer des centaines de mains, sourire à d’innombrables visages avant de pouvoir, à pas feutrés dans l’obscurité du palais, retrouver Abbie. Il n’avait pas éprouvé une telle sensation depuis que, adolescent, il avait fait l’école buis-sonnière et s’était échappé du palais à cheval pour galoper dans le désert, les cheveux au vent.

Il ne prit pas même la peine de se changer, tant il brûlait de la rejoindre dans son lit. Et qu’importe si elle dormait déjà, car comme il l’avait découvert quelques semaines plus tôt, dans la tente qu’ils avaient partagée, dormir aux côtés de cette femme constituait une expérience tout aussi belle. Il lui suffisait de l’observer, assoupie dans ses bras, pour se sentir serein. Et lors-

qu’elle se réveillait, son regard gris encore embrumé de sommeil, sa bouche rose à peine entrouverte…

Bon sang ! Cette seule pensée éveillait en lui des flammes de désir.

Lorsqu’il passa la tête par l’ouverture de la porte, la première chose qu’il vit fut le lit simple, éclairé par la faible lueur d’une lampe à huile. Abbie ne s’y trouvait pas. C’est alors qu’il aperçut sa chevelure dorée, baignée par la lumière de la lune, près de la fe-nêtre où elle se tenait assise. Elle avait retiré sa lourde djellaba et avait passé un long déshabillé de soie qu’elle avait noué autour de sa taille fine. Elle n’avait pas défait sa coiffure, et ses bijoux scintil-laient encore sur sa peau d’ivoire. Elle ressemblait à une reine.

— Abbie !

Il traversa la pièce en quelques enjambées. Abbie se leva et, à son tour, se jeta dans ses bras, pressant son corps contre le sien, sa bouche contre la sienne. Sous son déshabillé, elle ne portait rien. Malik sentait sa poitrine libre de tout écrin effleurer son torse, la courbe parfaite de ses hanches, de ses fesses sans la moindre trace de lingerie. En quelques secondes, il défit le nœud qui lui enserrait la taille et lui ôta le dernier vêtement qui faisait barrage à ses mains avides. Aussitôt, il la souleva de terre pour la déposer sur le lit. Avec précipitation, il se débarrassa de ses propres vêtements et s’étendit à ses côtés.

— J’ai attendu ce moment si longtemps ! soupira Abbie.

— Maintenant, je suis là.

Elle noua les bras autour de ses épaules musclées et l’attira à elle, jambes ouvertes, prête à l’accueillir. Lorsque Malik entra en elle, Abbie laissa échapper un long gémissement de plaisir tandis que son corps affamé se soulevait pour recevoir le sien, et que les muscles intimes de son corps se refermaient sur lui.

Ce fut un déluge de sensations. Si ardent, si rapide, que Malik eut toutes les peines du monde à ne pas se laisser submerger aus-sitôt par la vague de plaisir qui montait en lui. Et Abbie ne sem-blait pas plus patiente que lui. Etendue sous lui telle une reine sauvage, nue à l’exception de ses diamants qui étincelaient dans la

pénombre, elle l’encourageait avec de petits cris fébriles, plantait ses ongles dans son dos, pressait ses lèvres contre sa bouche, son visage, son torse. Et lorsque, d’un mouvement leste, elle se redres-sa et le fit basculer pour le chevaucher, oscillant sensuellement des hanches, Malik perdit tout contrôle et laissa le plaisir exploser.

— Abbie ! Ma femme ! Ma reine !

A son cri de plaisir, il l’entendit répondre par un long soupir d’extase, tandis qu’ils s’élevaient tous deux vers les sommets de la jouissance.

Pantelant, abasourdi par le choc de leur union, Malik crut que son cœur allait se rompre. La tête lui tournait, ses mains trem-blaient de manière incontrôlable, tout son corps était secoué de pulsations fiévreuses. Tout autour de lui semblait métamorphosé. La seule chose dont il avait encore conscience, c’était qu’Abbie se tenait à côté de lui, et qu’elle était tout ce dont il avait besoin, ce qu’il avait recherché tout au long de sa vie.

— Abbie…

Avec une lenteur infinie, il souleva la tête de l’oreiller et posa le regard sur le visage enflammé de la jeune femme.

— Tu pleures ? Habibti, pourquoi ?

Pourquoi ? Oh, si seulement elle avait su quoi répondre à cela ! s’écria intérieurement Abbie. Elle se dégagea de son étreinte et, dos tourné, se recroquevilla pour dissimuler son visage en pleurs. Elle aurait tant souhaité retenir ses larmes !

Quelques instants plus tôt, tandis qu’elle attendait Malik dans l’obscurité de sa chambre, elle avait pris une décision qui lui bri-sait le cœur, mais qui était nécessaire. Elle n’allait pas épouser Malik, elle ne pouvait vivre avec lui pour le restant de ses jours et l’aimer tout en sachant que lui n’éprouvait rien pour elle. Elever un enfant dans ces conditions lui était tout simplement impos-sible.

Elle avait donc décidé de tout lui dire ce soir, mais elle avait voulu faire l’amour une dernière fois avec lui, tout en sachant qu’elle allait souffrir. Pourtant, elle n’aurait jamais pensé se voir envahie par une telle vague de jouissance, un sentiment de désir si

fort qu’il avait tout dévasté sur son passage… Puis, les amères pensées n’avaient pas tardé à refaire surface, et les larmes avaient roulé sur ses joues sans qu’elle parvienne à les refouler.

— Abbie, répéta Malik d’une voix douce et inquiète. Pourquoi pleures-tu ?

Elle essuya ses joues du dos de la main, sans oser croiser son regard.

— Je… Nous… Lucy est enceinte.

— Vraiment ?

Malik ne s’attendait visiblement pas à cette déclaration et mit un moment avant de réagir.

— Je suis sûr que Hakim va être ravi. Mais…

Il prit son visage mouillé de larmes entre ses mains et força Abbie à le regarder.

— Pourquoi cela te rend-il triste ? Tu devrais te réjouir, au con-traire.

— Me réjouir pour eux, oui. Mais qu’en est-il de nous ?

— Tu ne veux pas d’enfant ? demanda aussitôt Malik, le front plissé. Abbie, si cela te pose un problème, tu dois me le dire. Nous ne sommes pas obligés d’avoir un enfant, si tu n’en as pas envie.

Envie ? C’était son rêve le plus cher ! Mais si seulement Malik pouvait l’aimer !

Elle se redressa avec effort, attrapa le drap et s’enveloppa de-dans.

— Mais tu as besoin d’un héritier.

— J’ai besoin d’un héritier, en effet, admit Malik. Mais si tu ne le veux pas, alors après notre mariage…

— Il n’y aura pas de mariage, interrompit-elle, d’une voix presque inaudible. Je ne peux pas t’épouser, Malik.

— Tu…

Malik ne put finir sa phrase. Il écarquilla les yeux, saisi par le choc, et laissa retomber la main de son épaule.

— Je ne vais pas t’épouser, Malik. Je sais que tu pensais que c’était réglé, que j’avais accepté ta demande…

— Je t’ai offert…

— Je sais, le coupa-t-elle. Tu as accepté de libérer Andy à con-dition que je t’épouse, mais je t’en supplie, ne le renvoie pas en prison. Je prendrai sa place, s’il le faut…

— Tu préfères aller en prison plutôt que m’épouser ? Sottises ! s’écria Malik, soudain excédé qu’une femme puisse lui tenir tête de la sorte. Ton frère n’a rien à voir là-dedans ! J’allais le libérer de toute façon, que tu acceptes ou non ma demande en mariage.

— Quoi ? Tu…, balbutia Abbie, incapable de trouver les mots pour exprimer sa surprise. Tu l’aurais libéré ?

— Bien sûr. Il s’est comporté comme un idiot, mais il m’a juré qu’il n’avait aucune idée de la valeur religieuse des objets qu’il a dérobés. D’ailleurs, cette faute ne mérite pas le châtiment que Jalil lui a fait subir.

— Mais tu m’avais dit que…

— Je ne t’ai jamais dit que je ne le libérerais pas si tu refusais de m’épouser. Andy est libre, et il le restera, indépendamment de ce qui se passera entre nous. Donc, maintenant que nous avons éclairci les choses, veux-tu reconsidérer ma question, s’il te plaît ?

Abbie baissa les yeux.

— Je ne peux pas.

Dans le silence pesant qui s’ensuivit, elle crut que Malik allait exploser de rage. Mais il se contenta de sortir du lit, le visage fer-mé, le regard noir, et d’attraper son peignoir qu’il enfila à la hâte. La façon qu’il avait de couvrir sa nudité, lui qui, d’habitude, ne faisait guère preuve de pudeur, en disait long sur ce qu’il ressentait en ce moment précis.

— C’est hors de question, dit-il sur un ton sec et autoritaire. Je ne le permettrai pas.

— Oh, Malik ! soupira Abbie. Je n’ai pas le choix. J’ai imaginé toutes les solutions possibles, et je suis chaque fois arrivée à la

même conclusion. Je connais toutes les raisons qui te font penser que ce mariage ne peut pas être annulé, mais…

— Quelles raisons ? interrompit Malik avec véhémence. Dis-moi quelles seraient les raisons qui nous empêcheraient d’annuler notre mariage ?

— Eh bien… on a envoyé les invitations, les lettres de félicita-tion commencent à arriver, les costumes ont été faits…

— Le repas commandé, la décoration mise en place, continua Malik avec une telle sécheresse qu’Abbie en eut froid dans le dos. J’ai eu la bénédiction de ton père, je t’ai offert les bijoux que tu porteras avec la robe…

— Je sais.

Les mains tremblantes, elle détacha sa rivière de diamants et ses boucles d’oreilles et les lui tendit, les yeux baissés.

— Tiens, je te les rends. Je n’en veux pas, et tu en auras besoin pour la femme qui deviendra ton épouse un jour.

Malik regarda les bijoux, puis avec une expression lasse re-poussa la main qui se tendait avec insistance vers lui.

— Garde-les. Ils t’appartiennent. Je ne pourrai jamais les offrir à une autre femme, parce que si tu ne m’épouses pas, alors je ne me marierai jamais.

— Malik, je t’en supplie… Je sais que pour toi… Nous le savons tous les deux… Que le désir sexuel ne suffit pas à assurer un ma-riage heureux.

— Le désir sexuel ? répéta-t-il en haussant les sourcils. Le désir n’est pas tout. Ce n’est pas pour ça que je veux t’épouser. La raison qui me donne envie de te prendre pour femme est la seule que tu as oubliée dans ton inventaire. La plus importante, à vrai dire.

— Laquelle ?

Où voulait-il en venir ? se demanda Abbie. L’étrange lueur qui brillait dans les yeux de Malik lui disait que cela devait être impor-tant.

— Que je t’aime, reprit-il. Que tu es mon âme sœur, la femme de mes rêves. Je t’aime plus que tout au monde, voilà pourquoi je veux que tu deviennes ma femme. Et voilà pourquoi je mourrais si je devais annuler ce mariage. Je ne peux plus vivre sans toi, Abbie.

— Oh, Malik…

Elle sentit des larmes de joie rouler sur ses joues. Elle n’en re-venait pas : l’homme dont elle était tombée follement amoureuse venait de lui déclarer sa flamme avec une telle franchise qu’elle en restait sans voix.

— Malik…

Elle essuya les larmes qui l’empêchaient d’admirer son magni-fique visage.

— Je t’aime aussi, mais je croyais que tu voulais m’épouser dans l’unique but d’avoir un héritier. Voilà pourquoi je voulais tout annuler.

Le rire de Malik résonna dans le silence de la chambre.

— Abbie, si tu savais ! Avant de te connaître, je croyais en effet me satisfaire d’un mariage arrangé pour avoir un héritier et assu-rer la continuité de mon règne. Mais quand je t’ai connue, j’ai tout de suite compris qu’un tel arrangement ne suffirait pas à mon bonheur. Je te désirais, j’avais besoin de toi. N’importe quelle femme au monde pourrait me donner une descendance, mais une seule me donne envie de me marier. Et cette femme, c’est toi.

Stupéfaite, Abbie le vit alors lui prendre la main et s’agenouiller à ses pieds, le regard plus pénétrant que jamais.

— Abbie, amour de ma vie, veux-tu m’épouser et devenir ma reine, la reine de mon pays et de mon cœur, pour toujours ?

Elle eut toutes les peines du monde à trouver la force de lui ré-pondre, tant l’émotion la submergeait. Malik, le cheik, le souverain du désert qui, quelques instants plus tôt, était entré dans sa chambre avec la fierté et le panache d’un roi arrogant et sans mer-ci, venait de s’agenouiller à ses pieds et de la demander en mariage avec une incroyable humilité !

Mais il attendait une réponse de sa part. Une réponse qu’elle connaissait déjà, sans l’ombre d’un doute. Elle lui prit la main, s’agenouilla à son tour et plongea son regard dans le sien, retenant son souffle.

— Oui, Malik chéri, murmura-t-elle doucement, la voix pleine d’assurance. Oui, mon roi. Je veux t’épouser et devenir ta reine. Je t’aime de tout mon cœur.

Alors, elle se blottit dans ses bras grands ouverts et scella sa promesse d’un long baiser passionné.