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Article original Le système nerveux sympathique est un médiateur des contraintes mécaniques dans le tissu osseux Sympathetic nervous system as transmitter of mechanical loading in bone e Régis Levasseur a, * ,b , Jean-Pierre Sabatier b,c , Céline Potrel-Burgot b , Bertrand Lecoq a,b , Christian Creveuil d , Christian Marcelli a,b a Service de rhumatologie, CHU Cote-de-Nacre, 14033 Caen cedex, France b Centre d’étude du tissu osseux et de sa résistance (CETOR), faculté de médecine, 14032 Caen cedex, France c Service de médecine nucléaire, CHU Cote-de-Nacre, 14033 Caen cedex, France d Service d’informatique médicale, CHU Cote-de-Nacre, 14033 Caen cedex, France Reçu le 5 juin 2003 ; accepté le 10 juillet 2003 Résumé L’innervation sympathique du tissu osseux a été très récemment démontrée. La stimulation de la voie bêta-adrénergique est une des médiations impliquées dans les mécanismes de perte osseuse par découplage entre la fonction ostéoclastique et la fonction ostéoblastique. Objectif. – Nous avons émis l’hypothèse qu’en utilisant un antagoniste non spécifique de la voie b-adrénergique du système sympathique (propranolol per os), nous pourrions freiner la perte osseuse dans un modèle de rate suspendue simulant les effets sur l’os de l’absence de contraintes mécaniques et de l’apesanteur par le même mécanisme cellulaire de découplage. Matériel et méthodes. – Vingt-deux rates Wistar âgées de 12 semaines sont réparties en trois groupes : huit rates non suspendues (RNS), huit rates suspendues (RS) et six rates suspendues traitées par propranolol per os (RSP) pendant 30 jours. Une mesure de la densité minérale osseuse (DMO, g/cm 2 ) par DXA (Hologic QDR-4500A) est réalisée à j0 et à j30 au niveau de la métaphyse distale fémorale (MDF), de la diaphyse fémorale (DF), du corps entier (CE) ainsi qu’une mesure de la composition corporelle. Résultats. – Entre j0 et j30, au niveau de la MDF, la variation de DMO est différente entre le groupe RS et le groupe RNS (RNS : +15,6 ± 3,1 % vs RS : –1,0 ± 1,4 %, p < 0,0001). Le groupe RSP montre un gain significatif de DMO comparativement au groupe RS (+5,3 ± 1,5 % vs –1,0 ± 1,4 %, p = 0,03). Au niveau de la DF, seul le gain de DMO reste significatif chez les RNS comparé aux RS (+17,5 ± 1,5 % vs +8,2 ± 2,8 %, p = 0,007) et aux RSP (+17,5 ± 1,5 % vs +10,1 ± 2,4 %, p = 0,046). Le gain des RSP n’est pas significatif comparé au groupe RS (p = 0,6). Au niveau CE, il existe un gain de DMO plus élevé dans le groupe RSP que dans le groupe RNS (+14,0 ± 1,8 % vs +5,4 ± 0,7 %, p = 0,0002) et que dans le groupe RS (+14,0 ± 1,8 % vs +7,8 ± 1,4 %, p = 0,0043). Il n’y a pas de différence entre les groupes RNS et RS (p = 0,19). Conclusion. – Nous démontrons que la voie b-adrénergique du système nerveux sympathique est une voie de médiation majeure des facteurs de contrainte mécanique dans le tissu osseux chez le rat. Une étude spécifique est nécessaire pour analyser un éventuel effet systémique du propranolol sur le tissu osseux. Une molécule bloquant la voie b-adrénergique de manière non spécifique pourrait être utilisée pour lutter contre la perte osseuse liée à l’apesanteur. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Sympathetic innervation has been demonstrated in bone. Adrenergic stimulation is one of the transmitters of bone loss by uncoupling between decreased bone formation and increased bone resorption. e Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais, référence parue dans Joint Bone Spine 2003, volume 70. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Levasseur). Revue du Rhumatisme 70 (2003) 1100–1104 www.elsevier.com/locate/revrhu © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2003.07.004

Le système nerveux sympathique est un médiateur des contraintes mécaniques dans le tissu osseuxSympathetic nervous system as transmitter of mechanical loading in bone

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Article original

Le système nerveux sympathique est un médiateur des contraintesmécaniques dans le tissu osseux

Sympathetic nervous system as transmitter of mechanicalloading in bone e

Régis Levasseur a,*,b, Jean-Pierre Sabatier b,c, Céline Potrel-Burgot b, Bertrand Lecoq a,b,Christian Creveuil d, Christian Marcelli a,b

a Service de rhumatologie, CHU Cote-de-Nacre, 14033 Caen cedex, Franceb Centre d’étude du tissu osseux et de sa résistance (CETOR), faculté de médecine, 14032 Caen cedex, France

c Service de médecine nucléaire, CHU Cote-de-Nacre, 14033 Caen cedex, Franced Service d’informatique médicale, CHU Cote-de-Nacre, 14033 Caen cedex, France

Reçu le 5 juin 2003 ; accepté le 10 juillet 2003

Résumé

L’innervation sympathique du tissu osseux a été très récemment démontrée. La stimulation de la voie bêta-adrénergique est une desmédiations impliquées dans les mécanismes de perte osseuse par découplage entre la fonction ostéoclastique et la fonction ostéoblastique.

Objectif. – Nous avons émis l’hypothèse qu’en utilisant un antagoniste non spécifique de la voie b-adrénergique du système sympathique(propranolol per os), nous pourrions freiner la perte osseuse dans un modèle de rate suspendue simulant les effets sur l’os de l’absence decontraintes mécaniques et de l’apesanteur par le même mécanisme cellulaire de découplage.

Matériel et méthodes. – Vingt-deux rates Wistar âgées de 12 semaines sont réparties en trois groupes : huit rates non suspendues (RNS),huit rates suspendues (RS) et six rates suspendues traitées par propranolol per os (RSP) pendant 30 jours. Une mesure de la densité minéraleosseuse (DMO, g/cm2) par DXA (Hologic QDR-4500A) est réalisée à j0 et à j30 au niveau de la métaphyse distale fémorale (MDF), de ladiaphyse fémorale (DF), du corps entier (CE) ainsi qu’une mesure de la composition corporelle.

Résultats. – Entre j0 et j30, au niveau de la MDF, la variation de DMO est différente entre le groupe RS et le groupe RNS (RNS :+15,6 ± 3,1 % vs RS : –1,0 ± 1,4 %, p < 0,0001). Le groupe RSP montre un gain significatif de DMO comparativement au groupe RS(+5,3 ± 1,5 % vs –1,0 ± 1,4 %, p = 0,03). Au niveau de la DF, seul le gain de DMO reste significatif chez les RNS comparé aux RS(+17,5 ± 1,5 % vs +8,2 ± 2,8 %, p = 0,007) et aux RSP (+17,5 ± 1,5 % vs +10,1 ± 2,4 %, p = 0,046). Le gain des RSP n’est pas significatifcomparé au groupe RS (p = 0,6). Au niveau CE, il existe un gain de DMO plus élevé dans le groupe RSP que dans le groupe RNS(+14,0 ± 1,8 % vs +5,4 ± 0,7 %, p = 0,0002) et que dans le groupe RS (+14,0 ± 1,8 % vs +7,8 ± 1,4 %, p = 0,0043). Il n’y a pas de différenceentre les groupes RNS et RS (p = 0,19).

Conclusion. – Nous démontrons que la voie b-adrénergique du système nerveux sympathique est une voie de médiation majeure desfacteurs de contrainte mécanique dans le tissu osseux chez le rat. Une étude spécifique est nécessaire pour analyser un éventuel effetsystémique du propranolol sur le tissu osseux. Une molécule bloquant la voie b-adrénergique de manière non spécifique pourrait être utiliséepour lutter contre la perte osseuse liée à l’apesanteur.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Sympathetic innervation has been demonstrated in bone. Adrenergic stimulation is one of the transmitters of bone loss by uncouplingbetween decreased bone formation and increased bone resorption.

e Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais, référence parue dans Joint Bone Spine 2003, volume 70.* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (R. Levasseur).

Revue du Rhumatisme 70 (2003) 1100–1104

www.elsevier.com/locate/revrhu

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.rhum.2003.07.004

Objective. – By using a non specific antagonist of b-adrenergic pathway (propranolol per os), we hypothesized that we could rescue theuncoupling induced mechanical unloading bone loss in the rat model of tail-suspension.

Materials and methods. – Twenty-two female rats Wistar, 12 week-old, have been divided into three groups: eight tail-suspended rats (SR),six tail-suspended rats treated by propranolol (SRP) and eight non suspended rats (NSR) during 30 days. Bone mineral density (BMD, g/cm2)has been measured by DXA (Hologic QDR-4500A) at D0 and D30 of the study, in the distal femoral metaphysis (DFM), the femoral diaphysis(FD), the whole body (WB, g) and body composition.

Results. – Between D0 and D30, in DFM a significant variation in BMD is observed between NSR and SR (% BMD change: NSR+15.6 ± 3.1% vs. SR –1.0 ± 1.4%, P < 0.0001) and BMD rescue in SRP group (% BMD change SRP +5.3 ± 1.5% vs. SR –1.0 ± 1.4%, P = 0.03).In FD, gain of BMD is significant in NSR compared to SR (+17.5 ± 1.5% vs. +8.2 ± 2.8%, P = 0.007), and to SRP (+17.5 ± 1.5% vs +10.1 ± 2.4%, P = 0.046). Gain in SRP group is not significant compared to SR group (P = 0.6). In WB SRP gain more BMD than NSR(+14.0 ± 1.8% vs. +5.4 ± 0.7%, P = 0.0002) and than SR (+14.0 ± 1.8% vs. +7.8 ± 1.4%, P = 0.0043). There is no difference between NSR andSR groups (P = 0.19).

Conclusion. – We demonstrate that b-adrenergic pathway of sympathetic nervous system is a major transmitter pathway of mechanicalloading in rat bone. A specific study is necessary to analyse a possible systemic effect of propranolol in rat bone. Propranolol could be used toprevent induced mechanical unloading bone loss as weightlessness.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Densité minérale osseuse ; Rate suspendue ; Système nerveux sympathique ; Contraintes mécaniques ; Propranolol

Keywords: Bone mineral density; Hindlimb unloading; Sympathetic nervous system; Mechanical load; Propranolol

1. Introduction

Le tissu osseux est en constant remodelage. Celui-ci faitintervenir successivement les ostéoclastes responsables de ladégradation de la matrice osseuse puis les ostéoblastes àl’origine de sa reconstruction [1]. Ce remodelage permet demaintenir le tissu osseux à un niveau de masse et de minéra-lisation adapté aux niveaux des contraintes mécaniques quilui sont imposées. Des facteurs hormonaux (estrogènes, pa-rathormone, vitamine D), des facteurs de croissance (IGF-1,TGFb, BMP), des cytokines (interleukines, TNFa, OPG),des récepteurs membranaires (LRP5) et les contraintes méca-niques locales sont les régulateurs les plus influents de l’acti-vité des cellules osseuses. Dans le modèle de la rate suspen-due par la queue, il existe un déficit de gain de masse osseuseau niveau des pattes arrières qui ne sont plus soumises àaucune contrainte mécanique [2]. Cette perte est liée à undécouplage entre l’activité ostéoblastique diminuée et l’acti-vité ostéoclastique augmentée initialement. Récemment, il aété montré que le système sympathique innervait le tissuosseux [3]. Des récepteurs b-adrénergiques sont présents à lasurface des ostéoblastes et un traitement par un antagonistenon sélectif de la voie b-adrénergique, le propranolol, permetd’augmenter la masse osseuse dans un modèle murin. Cetaccroissement de la masse osseuse s’effectue également se-lon un mécanisme de découplage entre une activité ostéo-blastique augmentée et une activité ostéoclastique normaleou diminuée [3]. Nous avons donc émis l’hypothèse que lesystème sympathique est un médiateur des contraintes méca-niques dans l’os et l’étude que nous rapportons confirmequ’un blocage pharmacologique non sélectif de la voieb-adrénergique (propranolol per os) permet de prévenir laperte osseuse liée à l’absence de contraintes mécaniques dansle modèle de la rate suspendue par la queue. De plus, l’inner-vation du tissu adipeux est également connue depuis plus de

20 ans [4], c’est pourquoi nous avons aussi étudié les effetsde la suspension seule et du traitement par propranolol sur lacomposition corporelle des rates.

2. Matériels et méthodes

2.1. Protocole

Vingt-deux rates Wistar, âgées de 12 semaines, provenantde l’élevage IFFA CREDO (L’Arbresle, France) ont été ré-parties en trois groupes : un premier groupe de rates nonsuspendues (RNS, n = 8), un second groupe de rates suspen-dues par la queue (RS, n = 8) et un troisième groupe de ratessuspendues par la queue traitées par propranolol (Sigma)dilué dans l’eau de boisson à la concentration de 0,5 g/lpendant 30 jours (RSP, n = 6). Les rates étaient hébergées àl’animalerie de la faculté de médecine de Caen, en cagesindividuelles aménagées pour permettre une suspension parla queue avec un angle d’inclinaison du corps permettant unappui normal sur les pattes avant, à une température de 22 °Cavec des cycles de 12 heures de lumière et 12 heures d’obs-curité. Elles étaient nourries avec un régime normal conte-nant 0,4 % de calcium, 0,3 % de phosphore et 3 UI devitamine D/g (UAR, Villemoisson/Orge). Elles pouvaientboire de l’eau déminéralisée à volonté pendant les 30 jours del’étude. Chaque rate a été pesée à j0 et à j30.

2.2. Analyse densitométrique

La densité minérale osseuse (DMO, g/cm2) a été mesuréeà j0 et j30 du protocole par absorptiométrie biphotonique(DXA) avec un appareil Hologic QDR-4500A (Waltham,MA) doté d’un logiciel pour les petits animaux, permettantune analyse en mode ultra-haute résolution de 0,307 mm parligne. Le contrôle de qualité de l’appareil a été effectué

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quotidiennement avec un fantôme de vertèbre et un fantômeen marche d’escalier. Les rates ont été anesthésiées par uneinjection intrapéritonéale de kétamine (100 mg/kg) et demidazolam (0,1 millilitre). Ensuite, elles ont été couchées surle ventre (bien allongées pour éviter une position scoliotique)sur une fine plaque de plexiglas, les pattes arrières mainte-nues en rotation externe avec du ruban adhésif (Fig. 1A).Nous avons étudié la métaphyse distale fémorale (MDF) et ladiaphyse fémorale (DF) du fémur droit en mode ultra-hauterésolution. La hanche et le genou sont à 90° de flexion lors decette mesure (Fig. 1B). Il n’existe pas de différence signifi-cative de longueur fémorale entre les rates suspendues et nonsuspendues [5,6], ce qui nous permet d’analyser la mêmezone métaphysaire aux deux temps de l’étude. Pour l’ana-lyse, la zone d’intérêt métaphysaire distale du fémur (MDF)a été définie comme la zone correspondant à la spongieusesecondaire sous la plaque de croissance contenant le maxi-mum d’os trabéculaire. Elle correspond à un rectangle dont labase est située à 20 pixels (soit 6,14 mm) de l’extrémitéarticulaire épiphysaire et dont la hauteur est de dix pixels(soit 3,07 mm) [Fig. 1B]. Cette hauteur de dix pixels corres-pond à la zone perdant le maximum de DMO dans un modèlede rate ovariectomisée ; nous avons confirmé l’intérêt decette zone métaphysaire par une analyse histologique (R.Levasseur et J.-P. Sabatier, résultats personnels). La zoned’intérêt diaphysaire fémorale (DF : os cortical exclusive-ment), correspond au tiers moyen du fémur après avoir diviséla hauteur fémorale en trois parties égales (Fig. 1B). Nousnous sommes également intéressés aux mesures suivantes surle corps entier en mode haute résolution : DMO (g/cm2) ducorps entier (CE), masse maigre (MM, g), masse grasse(MG, g). Nous avons exclu la queue de la zone d’analyse dufait de la présence de bandes adhésives dans les deux groupessuspendus.

Pour connaître la reproductibilité de la méthode de mesureavec notre appareil, nous avons mesuré dix fois le corpsentier et le fémur de quatre rates après repositionnement.Nous obtenons les coefficients de variation moyens

(CV = déviation standard × 100/moyenne) donnés dans leTableau 1.

2.3. Analyse statistique

Tous les résultats sont exprimés en moyenne ± erreurstandard. Les gains moyens de DMO, de masse maigre ou demasse grasse de chaque groupe correspondent à la moyennedes gains individuels. Ils sont exprimés en pourcentage parrapport à la valeur initiale. Les données quantitatives ont étéanalysées par Anova et, lorsque le F de l’Anova était signifi-catif, le test PLSD de Fisher a été utilisé pour les comparai-sons deux à deux. Les valeurs de p ≤ 0,05 ont été considéréescomme statistiquement significatives. Tous les tests statisti-ques ont été effectués en utilisant le logiciel Statview (ver-sion 5.0).

3. Résultats

Au niveau de la métaphyse distale fémorale (MDF), entrej0 et j30, l’analyse Anova des variations des trois groupes estsignificative (F = 17,1, p < 0,0001). La variation de DMOentre j0 et j30 est significativement différente entre le groupeRS et le groupe RNS (RNS : +15,6 ± 3,1 % vs RS :–1,0 ± 1,4 %, p < 0,0001) (Fig. 2). Le groupe RSP montre ungain significatif de DMO comparativement au groupe RS(RSP : +5,3 ± 1,5 % vs RS : –1,0 ± 1,4 %, p = 0,03).Cependant, le gain de DMO du groupe RSP est significative-ment plus faible que le gain du groupe RNS (p = 0,006)(Fig. 2). Au niveau de la diaphyse fémorale (DF), entre j0 etj30, l’analyse Anova est significative (F = 5,0, p = 0,018), il

Fig. 1. Régions d’analyse densitométrique corps entier (A) et fémorale (B). DF, diaphyse fémorale ; MDF, métaphyse distale fémorale

Tableau 1Reproductibilité des mesures densitométriques

DMO CE DMO MDF DMO DF MM MGCV % 0,59 1,13 1,20 0,51 4,68

CE, corps entier ; MDF, métaphyse distale fémorale ; DF, diaphyse fémo-rale ; MM, masse maigre ; MG, masse grasse

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existe un gain de DMO significativement plus élevé dans legroupe RNS que dans le groupe RS (+17,5 ± 1,5 % vs+8,2 ± 2,8 %, p = 0,007) et que dans le groupe RSP(+17,5 ± 1,5 % vs +10,1 ± 2,4 %, p = 0,046) (Tableau 2). Iln’existe pas de différence significative d’évolution de laDMO quand on compare les groupes RSP et RS (p = 0,6). Auniveau corps entier (CE), entre j0 et j30, l’analyse Anova estsignificative (F = 10,4, p = 0,0009), il existe un gain de DMOsignificativement plus élevé dans le groupe RSP que dans le

groupe RNS (+14,0 ± 1,8 % vs +5,4 ± 0,7 %, p = 0,0002) etque dans le groupe RS (+14,0 ± 1,8 % vs +7,8 ± 1,4 %,p = 0,0043) (Fig. 3). Il n’y a pas de différence significativeentre les groupes RNS et RS (p = 0,19). Nous avons égale-ment mesuré le gain de poids dans les trois groupes entre j0 etj30. La prise de propranolol chez les rates suspendues (RSP)entraîne un freinage de la prise de poids en comparaison dugroupe RNS (RNS : +7,8 ± 0,6 % vs RSP : +3,9 ± 1,1 %)(Tableau 3). Cependant l’analyse Anova des trois groupesn’est pas significative (F = 2, p = 0,15). On observe une pertede masse grasse très significative (F = 14,6, p = 0,0001) dansle groupe RSP comparé au groupe RNS (–35,6 ± 5,5 % vs+1,6 ± 4,3 %, p < 0,0001) et au groupe RS (–35,6 ± 5,5 % vs–13,8 ± 4,5 %, p = 0,005) (Fig. 4). Nous n’avons pas observéde différence significative entre les trois groupes concernantle gain de masse maigre (Tableau 3).

4. Discussion

La découverte récente d’une innervation sympathique dutissu osseux et son rôle démontré dans la régulation duremodelage osseux [3] est d’un intérêt majeur dans les situa-tions connues où il existe un découplage entre les ostéoclas-tes et les ostéoblastes (immobilisation, algodystrophie, frac-tures de contrainte). Le modèle de la rate suspendue, validécomme modèle d’absence de contraintes mécaniques etd’apesanteur [2,7,8], est un modèle connu de découplageentre les ostéoblastes et les ostéoclastes. Ainsi, nous avonsémis l’hypothèse que le système nerveux sympathique pou-vait être un médiateur de la perte osseuse du fait de l’absencede contraintes mécaniques dans ce modèle. Nous avons uti-lisé une approche pharmacologique en traitant des rates sus-pendues par un inhibiteur non spécifique de la voie

Tableau 2Variations de la DMO corticale fémorale entre j0 et j30

Moyenne (%) Erreur Standard pRNS +17,5 1,5 vs RS 0,007RS +8,2 2,8 vs RSP NSRSP +10,1 2,4 vs RNS 0,0458

RN, rate non suspendue ; RS, rate suspendue ; RSP, rate suspendue traitéepar propranolol.

Tableau 3Variations du poids, de la masse grasse et de la masse maigre entre j0 et j30

Gain de poids (%) p Gain MG (%) p Gain MM (%) pRNS +7,8 ± 0,6 vs RS NS +1,6 ± 4,3 0,0256 +8,1 ± 2,1 NSRS +5,7 ± 1,8 vs RSP NS –13,8 ± 4,5 0,0051 +6,7 ± 1,6 NSRSP +3,9 ± 1,1 vs RNS NS –35,6 ± 5,5 < 0,0001 +9,1 ± 1,6 NS

RNS, rate non suspendue ; RS, rate suspendue ; RSP, rate suspendue traitée par propranolol ; NS, non significatif MM, masse grasse ; MM, masse maigre.

Fig. 2. Variations de la DMO de la métaphyse distale fémorale entre j0 etj30.RNS, rate non suspendue ; RS, rate suspendue ; RSP, rate suspendue traitéepar propanolol

Fig. 3. Variations de la DMO du corps entier entre j0 et j30.RNS, rate non suspendue ; RS, rate suspendue ; RSP, rate suspendue traitéepar propanolol

Fig. 4. Variations de la masse grasse corporelle totale entre j0 et j30.RNS, rate non suspendue ; RS, rate suspendue ; RSP, rate suspendue traitéepar propanolol

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b-adrénergique, le propranolol per os, pour montrer qu’ilexiste une récupération significative de la masse osseuse dansle groupe suspendu traité comparé au groupe suspendu seul.Nous démontrons ainsi pour la première fois que le systèmenerveux sympathique est un médiateur des contraintes méca-niques dans l’os. Cela suggère très fortement que la diminu-tion du gain de masse osseuse observée dans le groupesuspendu, au niveau des pattes arrières non soumises à descontraintes mécaniques, est en partie due à une activation dusystème sympathique. Cet effet concerne à la fois le secteurtrabéculaire et le secteur cortical ; cependant la récupérationde la masse osseuse sous l’action du propranolol dans legroupe suspendu n’est significative qu’au niveau de la zonemétaphysaire riche en os trabéculaire. Dans la zone corticale,il existe une tendance à la récupération mais qui n’est passignificative dans notre étude. Ainsi, bien que l’effet existedans les deux compartiments, il est plus puissant dans lesecteur trabéculaire et, compte tenu du faible nombre d’ani-maux bêtabloqués (n = 6), n’est pas significatif dans lesecteur cortical. Nous n’avons pas constaté d’effet sur lacroissance en longueur des os, ce qui a déjà été montré [5,6] ;cela traduit peut-être l’absence d’innervation de la plaque decroissance et l’absence de récepteurs b-adrénergiques auniveau des chondrocytes de la plaque de croissance. Nousavons observé sous l’effet du propranolol une augmentationde la DMO au corps entier. Celle-ci peut résulter de deuxeffets : un effet systémique général et un effet local lié auxvariations des contraintes mécaniques. Dans la littérature, uneffet systémique a été observé chez des souris [3] et des rats,montrant une augmentation du taux d’apposition de minéra-lisation osseuse [9]. En revanche, dans une population fémi-nine post-ménopausique, nous n’avons pas observé d’effetdes bêtabloquants sur la masse osseuse [12]. Le modèle quenous avons utilisé ne permet pas de distinguer l’effet systé-mique de l’effet local. Il serait utile de réaliser une autreétude visant à analyser spécifiquement l’effet systémique.

Nous avons également constaté une tendance à la perte depoids sous l’effet de la suspension et du traitement par pro-pranolol. Cet effet de la suspension sur le poids est connu [8].Nous n’observons pas d’effet de la suspension sur la massemaigre. Stein [10] a observé une diminution du poids dumuscle soléaire, vraisemblablement en rapport avec la dimi-nution de l’activité de ce muscle sous l’effet de la suspension.Dans notre étude, la mesure de la masse maigre concerne lecorps entier et est la résultante des effets des variations descontraintes mécaniques sur les muscles des pattes avant encharge et des pattes arrière suspendues. Nous avons observéune diminution significative de la masse grasse dans lesgroupes suspendus et suspendus traités par propranolol. Lesystème sympathique régule le métabolisme des graisses enjouant sur la balance a-adrénergique antilipolytique etb-adrénergique lipolityque [11]. Il est possible que la suspen-sion agisse soit sur la diminution du stockage des graisses,

soit sur leur consommation accrue ou sur les deux mécanis-mes à la fois. Cependant nous ne pouvons que rapporter ceteffet sans pouvoir l’expliquer, notre modèle ne permettantpas d’agir sur la régulation de la voie a-adrénergique.

En conclusion, notre étude démontre que le système ner-veux sympathique est impliqué dans la physiopathologie del’ostéoporose liée à l’absence de contraintes mécaniques(apesanteur, immobilisation) et permet d’envisager sa res-ponsabilité dans d’autres pathologies comme l’algodystro-phie et les fractures de contrainte. Ainsi les bêtabloquantspourraient être utilisés comme solution thérapeutique dansces différentes situations.

Remerciements

Nous remercions Mr Bruno Philoxène pour son aide aunursing des animaux et Mlle Muriel Henry pour son aide à lapréparation du manuscrit.

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