14
Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran * , A. Hofstetter * Résumé La gouvernance des paysages fait face à des difficultés liées aux interactions dynamiques entre les activités humaines et les processus écologiques, notamment de diffusion naturelle de la végétation. La modélisation et les simulations sur longue durée permettent de mieux comprendre l’importance des rythmes propres du paysage. Les politiques publiques sectorielles ayant un poids important dans ces dynamiques, il est alors nécessaire de trouver le bon degré de coordination et le bon niveau d’action. Si le niveau des lieux- dits semble être un niveau d’action pertinent, le niveau communal ou intercommunal reste indispensable pour une coordination des actions paysagères qui tiennent compte de la diversité des paysages comme ressource économique pour le développement local. Abstract Time; Landscape and Public Policies Implementation In this paper, we are using simulations at a landscape scale to illustrate the main difficulties facing public action aimed at maintaining landscape diversity. It is of major importance to grasp that the right level of action is constrained by the interaction between specialised policies, and policies oriented towards the maintenance and the conservation of the * [email protected] * INRA, UMR LAMETA, 2 place Viala 34060 Montpellier cedex 01 landscape diversity. In order to avoid a standardisation of the landscape attributes, it’s necessary to combine local action with regional coordination. Introduction Au cours des dernières décennies, le thème de la fermeture des paysages, et de son impact sur la biodiversité et l’accroissement des risques naturels, a été un élément récurrent des analyses scientifiques (Chassany, Crosnier, 2002) et des discours militants ou politiques 1 . Il a suscité de nombreuses recherches sur les moyens de combattre cet effet évident d’une dépopulation massive et d’un changement technique sans précédent dans les méthodes d’élevage. Nous souhaitons ici mettre l’accent sur un aspect souvent négligé du phénomène, celui des dynamiques longues, et des interactions entre processus écologiques et processus démographiques (Bertrand et Bertrand, 1999). Nous le faisons en combinant l’observation empirique et la modélisation multi-agents 2 . Nous attendons de cette démarche une meilleure évaluation des politiques publiques. Nous faisons en effet l’hypothèse 3 , que les politiques publiques qui ont le plus d’impact sur la dynamique des paysages ne sont pas celles qui se 1 Nous remercions J.P. Chassany et S. Lardon pour la relecture de ce texte. 2 Les modèles de simulation multi-agents sont très appropriés à l’étude des dynamiques spatiales. On trouvera de nombreux exemples d’applications portant sur des problèmes analogues dans le site de la plateforme CORMAS : http://www.cormas.cirad.fr 3 empruntée à Dery (Dery, 1999)

Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation

R. Lifran*, A. Hofstetter*

RésuméLa gouvernance des paysages fait face à des difficultés liées aux interactions dynamiques entre les activités humaines et les processus écologiques, notamment de diffusion naturelle de la végétation. La modélisation et les simulations sur longue durée permettent de mieux comprendre l’importance des rythmes propres du paysage. Les politiques publiques sectorielles ayant un poids important dans ces dynamiques, il est alors nécessaire de trouver le bon degré de coordination et le bon niveau d’action. Si le niveau des lieux-dits semble être un niveau d’action pertinent, le niveau communal ou intercommunal reste indispensable pour une coordination des actions paysagères qui tiennent compte de la diversité des paysages comme ressource économique pour le développement local.

Abstract

Time; Landscape and Public Policies Implementation

In this paper, we are using simulations at a landscape scale to illustrate the main difficulties facing public action aimed at maintaining landscape diversity. It is of major importance to grasp that the right level of action is constrained by the interaction between specialised policies, and policies oriented towards the maintenance and the conservation of the

* [email protected]* INRA, UMR LAMETA, 2 place Viala 34060 Montpellier cedex 01

landscape diversity. In order to avoid a standardisation of the landscape attributes, it’s necessary to combine local action with regional coordination.

IntroductionAu cours des dernières décennies, le thème de la fermeture des paysages, et de son impact sur la biodiversité et l’accroissement des risques naturels, a été un élément récurrent des analyses scientifiques (Chassany, Crosnier, 2002) et des discours militants ou politiques1. Il a suscité de nombreuses recherches sur les moyens de combattre cet effet évident d’une dépopulation massive et d’un changement technique sans précédent dans les méthodes d’élevage. Nous souhaitons ici mettre l’accent sur un aspect souvent négligé du phénomène, celui des dynamiques longues, et des interactions entre processus écologiques et processus démographiques (Bertrand et Bertrand, 1999). Nous le faisons en combinant l’observation empirique et la modélisation multi-agents2. Nous attendons de cette démarche une meilleure évaluation des politiques publiques. Nous faisons en effet l’hypothèse3, que les politiques publiques qui ont le plus d’impact sur la dynamique des paysages ne sont pas celles qui se

1 Nous remercions J.P. Chassany et S. Lardon pour la relecture de ce texte.2 Les modèles de simulation multi-agents sont très appropriés à l’étude des dynamiques spatiales. On trouvera de nombreux exemples d’applications portant sur des problèmes analogues dans le site de la plateforme CORMAS : http://www.cormas.cirad.fr3 empruntée à Dery (Dery, 1999)

Page 2: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

donnent pour objectif explicite d’agir sur les dynamiques des paysages, mais davantage celles qui sont destinées à accompagner les transformations structurelles des activités à fort impact spatial. Nous appellerons ces effets « effets externes » des politiques publiques.Dans une première partie, nous allons décrire le contexte et la problématique de la recherche, puis nous caractériserons les transformations du paysage au cours des quarante dernières années. Ensuite, nous présenterons le modèle ALAMO4 qui nous a servi à simuler l’impact des politiques publiques sur la dynamique du paysage (Lifran et al. 2003). Enfin, nous dégagerons quelques pistes pour l’action publique.

I. Le Contexte des Grands Causses A l'échelle historique, le Causse de Sauveterre, comme tous les Grands Causses du Sud de la France, a connu des cycles de boisement, et des cycles de population (Marres 1935; Chassany 1989; Petit, 1989, Friedberg, Cohen et al. 2000; Lepart, Marty et al. 2000) plus ou moins corrélés. Dans la recherche présentée ici 5, nous avons concentré nos efforts sur la phase de transition entre deux états écologiques et sociaux, dont on peut dire que l'un était celui de la fin du 19° siècle avec forte population et paysage ouvert , et l'autre le paysage actuel, ou celui qu'on peut anticiper à partir du paysage actuel, caractérisé par une faible population répartie dans les hameaux, avec un paysage qui s’homogénéise par diffusion des boisements et plantations. C’est bien dans cette perspective qu’il convient d’inscrire l’étude de l’impact des politiques

4 Pour Agricultural Landscape Modelling (Modélisation des paysages agraires)5 Politiques Publiques et dynamiques des paysages au sud du Massif Central, Lifran et alii, 2003

publiques, si l’on veut englober à la fois les dynamiques longues, et les processus d’adaptation à court et à moyen terme.

La perspective retenue dans cette recherche est celle de la résilience6 du système écologique et social (Adger, 2000). L’état initial du paysage, faiblement et inégalement boisé, caractéristique des paysages du Causse à la fin du XIX° siècle (Marres, 1935), constitue un équilibre instable, et tout choc sur la population, ou sur la productivité du travail (Tableau 1), lance un processus cumulatif de boisement et d’enfrichement, qu’il sera très difficile de contrer ultérieurement. En effet, il s’appuie sur la diffusion à distance des graines de spins sylvestres, ce qui constitue une externalité forte liée à la dépopulation. Le système tend alors vers un nouvel équilibre plus stable, ou état absorbant, dominé globalement par les friches et les bois, et localement par les terres labourables et les boisements.

Dans une région marquée par le relief karstique, l’opposition entre dolines et terres labourables des fonds de vallée, dédiées à la production de céréales et de fourrages, d’une part, et pentes dédiées à la forêt ou au parcours, d’autre part, a depuis des siècles été entérinée par le système de propriété et le cadastre. Cette triade agronomique classique (champs, parcours, forêts) se conjugue à la dualité juridique entre propriété privée et propriété collective (les sectionnaux sont la propriété indivise des habitants d’un hameau), cette dernière résistant depuis des siècles à différentes tentatives de

6 La résilience est un concept introduit en écologie par Holling. Il a été appliqué en psychologie dans les années 80 par E. Werner et R. Smith, puis popularisé en France par B. Cyrulnick. Un système écologique, modélisé par un système d’équations dynamiques, peut être caractérisé par divers points d’équilibre, plus ou moins stables. Les points d’équilibres définissent des bassins d’attraction. La résilience d’un tel système est la propriété qui permet au système de rester dans un bassin d’attraction quand il est soumis à un choc exogène.

Page 3: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

privatisation ou de soummission. Aussi, bien que la structure de la propriété ait pu subir d’importants remaniements, le cadastre reste-t-il un bon support pour décrire la dynamique conjointe de la propriété et de la végétation.

La transition écologique et paysagère, d’un côté, et la transition démographique d’un autre côté (Figure 1), sont évidemment en interaction, mais il n’est pas aisé de saisir les voies de cette interaction sans s’aider de la modélisation. En effet, la population consomme du bois pour ses besoins domestiques, et cela sur les parcelles les plus boisées, et sur les parcelles collectives. La diminution de population affecte donc le prélèvement global de biomasse de plusieurs manières, par abandon de l’exploitation de parcelles ou de hameaux entiers, d’une part, et par la modification des prélèvements par les animaux.

Ce processus global résulte de l’agrégation et de l’interaction des dynamiques locales, qui ne sont bien décrites ni au niveau des parcelles, ni à celui des communes, mais à celui d’entités spatiales organisées autour des points de peuplement, hameaux plus ou moins importants ou habitations isolées, que nous nommerons « lieux-dits » (Lardon, et al), qui, pour certains, sont les descendants des villas gallo-romaines..Ces entités territoriales doivent leur réalité aux contraintes fonctionnelles de la gestion pastorale (rayon d’action des troupeaux, traite biquotidienne, imposant le retour en bergerie) et constituent un maillage territorial intermédiaire entre la parcelle cadastrale et la commune. Pour schématiser, nous avons ainsi découpé le territoire du Causse en une partition complète de polygones, auxquels sont agrégées les parcelles cadastrales7

7 La méthode des polygones de Thiessen consiste à tracer, autour des

hameaux habités en 1947, les lignes médiatrices entre deux hameaux

contigus. Les polygones obtenus définissent les contours hypothétiques

Figure 1. Dynamiques stylisées de la population et de la végétation

PopulationBiomasse

1900 2000

PopulationBiomasse

1900 2000

des territoires exploités par les habitants du hameau.

Page 4: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

II. Les transformations du paysage (1960-2000)Par photo-interprétation, nous avons reconstitué la dynamique de végétation entre 1963 et 2000, et créé une série de cartes qui nous ont permis de mettre en évidence des transformations différenciées des usages du sol à l’échelle du Causse de Sauveterre, et selon les lieux-dits.A l’échelle du Causse, les dynamiques de défriches et de reconquête le disputent à celles de boisement et d’enfrichement, en particulier aux deux pôles agricoles à l’est (Sainte Enimie) et à l’ouest du Causse (Saint Georges de Lévejac). La présence de boisements est déjà importante en 1963, confirmant ainsi l’ancienneté du processus (dont le déclenchement remonte sans doute à la première guerre mondiale). Les terres collectives, organisées autour de la propriété sectionnale, ont joué un rôle particulièrement important dans la dynamique du paysage au cours des dernières décennies. Dans un premier temps, le bouleversement de leur fonction économique et sociale lié à l’exode rural, a favorisé l’extension des accrus naturels et de l’embroussaillement, et dans un second temps, dans le cadre d’une redéfinition légale des ayant-droits, leur aménagement (défriches, éclaircies, ouverture de pistes et de points d’eau) et leur allotissement entre différents usages et gestionnaires ont

Tableau 1 Concentration des élevages et de la production de lait de brebis, Commune de Sainte Enimie

Source : Confédération de Roquefort

marqué profondément la transformation du paysage.L’analyse empirique a montré que les abandons de hameaux ont eu lieu pour l’essentiel avant le début de la période de

mise en place de la politique de modernisation agricole, et a fortiori, avant les infléchissements, propres à la Lozère ; de la sélectivité de cette politique (Chassany, Miclet, ). A ce moment, c’est déjà presque la moitié de la population de la zone qui a migré. Et ce processus a été plus intense à l’ouest qu’à l’est du Causse, ce qui a renforcé la différenciation spatiale du paysage, entre causse boisé d’un côté, et causse nu à l’est. C’est donc dans un contexte écologique et démographique marqué par le recul du prélèvement et la diffusion de la friche et des bois que se mettent en place les politiques agricoles et forestières qui ont marqué la deuxième moitié du XX° siècle. Or, pour l’essentiel, la politique forestière s’est traduite sur le Causse par un renforcement des boisements dans la partie orientale, alors que la politique agricole, fondée sur la sélectivité des aides structurelles renforçait le processus de dépopulation, et, indirectement, la diffusion des bois et broussailles sur l’ensemble du Causse.A l’échelle des lieux-dits, les résultats mis en évidence soulignent non seulement les différences dans l’organisation des territoires respectifs de la forêt et de l’agriculture, à l’intérieur des polygones, mais aussi leur interaction qui se traduit par des phénomènes de coalescence de la forêt à partir de noyaux initiaux boisés. La différenciation entre lieux-dits forestiers et lieux-dits agricoles (Carte 2), se combine à une différenciation entre lieux-dits dominés par la propriété privée, et lieux-dits où la propriété collective permet l’intervention des communes dans la

AnAnnée Nombre de Producteurs

Volumes livrés

(Hl)

Volume/ producteur

(Hl)

1932 77 1300 16,88

1950 38 1120 29,47

1970 13 707 54,38

1990 16 5400 337,5

1999 8 5100 640,0

Page 5: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

dynamique du paysage. Celle-ci se traduit par un partage de fait entre les ayant-droits et usagers agricoles et non agricoles, qui maintient la structuration de l’espace entre territoires agricoles et territoires forestiers. Ainsi, dans la partie occidentale du Causse, autour de chaque lieu-dit, l’attribution de lots aux agriculteurs résidents, et d’aides conséquentes au défrichement, ainsi que la prise en gestion (suivie d’éclaircies) de lots boisés par l’ONF ont-elles contribué à créer une mosaïque paysagère que l’on retrouve aussi désormais dans la partie orientale, sous l’effet des boisements aidés et des boisements spontanés, issus des essaimages de la bordure boisée nord du Causse. Les acteurs de ces transformations sont principalement de deux types : les propriétaires (privés ou collectifs), et les exploitants agricoles et forestiers. Les premiers décident des changements

d’usage, les seconds des modes d’exploitation.Au total le modèle d’organisation spatiale qui sous-tend la dynamique du paysage comporte trois niveaux principaux : celui des parcelles, celui des lieux-dits, et celui du Causse dans son ensemble. Au niveau du lieu-dit, c’est un mode auréolaire d’organisation de l’espace qui prédomine, alors que c’est une organisation alvéolaire qui caractérise l’organisation du paysage au niveau du Causse dans son ensemble, chaque lieu-dit ayant son organisation fonctionnelle propre, et n’empiétant que rarement sur ses voisins. A l’échelle du Causse, on peut donc utiliser l’image d’un nid d’abeille pour décrire la façon dont les lieux-dits recouvrent l’espace (Carte n°1). Cette combinaison d’un mode auréolaire et d’un mode alvéolaire constitue un fait stylisé important pour nous aider à concevoir la dynamique du paysage, et la modéliser (Fig.2).

.

III. Simulation de politiques publiquesDans le modèle de simulation de la dynamique du paysage, ALAMO8, la végétation évolue sous l’influence de plusieurs processus : la croissance naturelle de la végétation, et sa diffusion à travers le paysag, les prélèvements de biomasse, qui sont effectués d’une part par les troupeaux, et d’autre part pour les besoins domestiques de chauffage et de construction, les plantations forestières, et les défriches. Elle est sensible à des paramètres pédo-climatiques. Quand la biomasse augmente sur une parcelle, sa partie ligneuse augmente aussi, interdisant ainsi progressivement le pâturage.La population évolue sous l’influence de multiples facteurs démographiques, sociologiques et économiques. A partir

8 Modèle multi-agents deModélisation des paysages agraires

d’une distribution spatiale initiale dans les lieux-dits, nous avons fait l’hypothèse que la population pouvait être décomposée en une partie pérenne et une partie non pérenne, qui disparaîtrait progressivement quand les individus arrivent à un âge donné. La population consomme du bois pour ses propres besoins, et de la biomasse pour les besoins des troupeaux.Les conditions initiales du modèle sont celles qui prévalaient au début du XX° siècle, pour la population et pour la végétation 9. La typologie des élevages réalisées par P.L. Osty et S. Lardon ( Lardon, Osty, 2000 et 2005) nous a permis d’affecter à chaque éleveur un coefficient d’impact sur la végétation. La

9 Les données de population sont celles fournies par la DDA de Lozère et l’INSEE, les données de végétation ont été rétropolées à partir des données 1963.

Page 6: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

diminution de la population induit un besoin de réallocation des terres et des animaux libérés par les disparitions d’exploitations. Nous avons donc introduit un marché des animaux, géré au niveau du Causse dans son ensemble, et un marché des terres, au niveau de chaque hameau. Ces deux dynamiques et leurs interactions s’inscrivent dans le cadre du modèle auréolaire-alvéolaire (Figure 1). Mais l’externalité écologique de diffusion induit la percolation des changements locaux à l’échelle de l’unité paysagère. Les politiques publiques agissant sur la population sont définies de manière exogène, et correspondent respectivement à l’élimination de la moitié et des trois quarts de la population initiale. Elles sont ensuite combinées avec des politiques publiques agissant sur les comportements de prélèvement de la biomasse par les troupeaux. Quand les politiques publiques agissent sur la dynamique de la biomasse en un point du paysage, elles affectent également toute la dynamique des parcelles voisines, via le processus de diffusion (Bommel 2000; Lifran 2000). Après avoir étalonné le modèle pour qu’il donne des résultats globalement cohérents avec les évolutions observées empiriquement, nous avons choisi de simuler dans un premier temps une série de scénarios fondés sur des hypothèses générales très simples, représentants les grandes options possibles des politiques

publiques. Nous avons étudié successivement plusieurs scenarios caractérisés par leur impact global sur le prélèvement et par une mise en œuvre plus ou moins précoce dans le temps. Nous avons alors pu mettre en évidence l’impact spécifique de l’agencement temporel des scénarios sur la possibilité de maîtriser la dynamique du paysage. En l’occurrence, la mise en œuvre tardive d’une politique de lutte contre l’embroussaillement et la fermeture du paysage ne peut compenser l’impact de la diminution de la population entamée plusieurs décennies plus tôt, à cause des phénomènes écologiques de diffusion à partir des semenciers. Les réouvertures locales (et coûteuses) du paysage par les défrichements ne sont pas en mesure de ramener le paysage dans son état initial. Il est clair que les dynamiques de population pèsent très lourd dans la définition de ces trajectoires. Ce résultat nous donne une indication forte pour la poursuite de la recherche, et met d’emblée l’accent sur l’importance des politiques d’aménagement du territoire. En l’absence d’une coordination paysagère à l’échelle de l’unité paysagère, le paysage correspondant aux niveaux actuels de population et de pratiques agricoles et forestières est donc une mosaïque et correspond à un paysage commun dans les régions rurales dépeuplées.

IV Pistes pour l’action

En conclusion, nous souhaitons souligner quatre points. Le premier est relatif à l’impact déterminant des politiques sectorielles sur la dynamique des paysages. Elles modifient en effet les pratiques d’exploitation, mais agissent aussi sur le volume global de la population, ce qui

enclenche des processus irréversibles de fermeture des paysages. Le second est relatif à la difficulté de maintenir la cohérence des politiques publiques au regard d’un objectif paysager qui a souvent été secondaire. Par définition, les politiques publiques sont adaptatives ou réactives, et n’apparaissent souvent que tardivement, après un temps

Page 7: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

de latence dans la prise de conscience du problème. Il est alors souvent trop tard pour agir efficacement. Le troisième est lié à la difficulté de maintenir la diversité des paysages ou leur caractères originaux, avec une population amoindrie de 50 à 75 %, et des phénomènes écologiques puissants de diffusion ?Enfin, notre quatrième point porte sur le choix d’un niveau de mise en œuvre, et sur les modes de coordination des politiques publiques.Sur les Grands Causses au sud du Massif central, le paysage nous est apparu comme issu de la répétition d’une même procédure , dans chaque lieu-dit. combinant les effets des politiques agricoles et forestières, mais respectant l’autonomie de décision et de gestion des communautés locales. En cela, on peut interpréter les transformations récentes du paysage sur les Causses comme un effet externe de la politique agricole et de la politique forestière, déclinée dans un cadre décentralisé, et sur la base d’une organisation alvéolaire de l’espace. Pour bien comprendre l’impact de l’interaction entre décentralisation de la décision et organisation de l’espace et de la propriété, il faut imaginer aune procédure de coordination alternative, dans laquelle par exemple un zonage agriculture-forêt aurait été réalisé dans un cadre d’intercommunalité, au niveau du Causse dans son ensemble. Ce zonage global, servant ensuite de guide aux

aménagements locaux, ne pourrait être accepté qu’en présence d’une forte incitation économique, par exemple si la préservation de certains paysages typiques constituait un enjeu économique suffisamment important pour compenser les coût de transaction associés à la négociation d’un tel zonage. En présence de politiques sectorielles fortement incitatives, il est peu probable qu’une gestion décentralisée des paysages au niveau des lieux-dits puisse échapper à l’écueil d’une certaine uniformité. Or, la question posée à l’action publique par la gestion des paysages est celle du maintien de leur diversité. Si le niveau des lieux-dits semble être un bon niveau d’action, le niveau communal ou intercommunal reste indispensable pour une coordination des actions paysagères qui tienne compte de la valeur du paysage comme ressource économique pour le développement local.Dans tous les cas l’anticipation des effets spatio-temporels de dynamiques complexes, et de natures différentes, engendrés par la mise en œuvre des politiques publiques, implique de pouvoir s’appuyer sur des modèles ayant fait leur preuve pour rendre compte des évolutions paysagères réellement observées dans le passé. L’existence de ce type d’outil peut également faciliter la planification et la négociation au niveau des communes ou des lieux-dits avec les acteurs locaux, des actions de gestion des paysages souhaitables.

Références

Adger, W.N., 2000, Social and Ecological resilience : are they related ? Progress in Human Geography, 24, 3, pp. 347-364

Bertrand, C., et G. Bertrand, 1999, Le géo-système : un espace-temps anthropisé. Esquisse d’une temporalité environnementale, in «Les temps de l’environnement », Bertrand, G. et Barrué-Pastor, ed., Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, pp. 65-76

Page 8: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

Bommel, P., Lardon, S. (2000). "Un simulateur pour explorer les interactions entre dynamiques de végétation et de pâturage. Impact des stratégies sur les configurations spatiales." Geomatique 1(1): 1-10.

Chassany, J. P. (1989). "L'élevage ovin caussenard face aux marchés (1945-1985) : atouts et faiblesses actuels." Annales du Parc national des Cévennes, 4: 55-89.

Chassany, J.P., et C. Crosnier, 2002, Recréer la Nature, Chassany, J.P., Miclet, G., 2003, Politiques publiques et paysages en Lozère et sur le causse

de Sauveterre : Quelles coordinations, quels effets sur l’espace rural. Une rétrospective sur la période 1960-2000

Politiques publiques et dynamiques des paysages au sud du Massif central. Montpellier, INRA , UMR LAMETA: 168 p.

Cyrulnick, B., 2002, Ces enfants qui tiennent le coup, martin Media, 2d Edition,Dery, D. (1999). "Policy by the Way : When Policy is Incidental to Making Other Policies."

Journal of public policies 18(2): 163-176.Friedberg, C., M. Cohen, et al. (2000). "Faut-il qu'un paysage soit ouvert ou fermé ?

L'exemple de la pelouse séche du causse Méjan." Nature Sciences Societés, 4: 26-42.Holling, C.S., 1973, Resilience and Stability of Ecological Systems, Annual Review of

Ecology and Systematics, 4, pp. 1:23Lardon, S., & P.L. Osty (2000). Time-space dimensions of farmers'practices: methodological

proposals from surveys and modelling of sheep farming. Case studies in Soutern Massif central, france. Fourth European Symposium, European Farming and Rural Systems Research and Extension into the next Millenium, Vollos (Greece).

Lardon, S., & P.L. Osty (2003). Les éleveurs et leurs impacts sur le paysage. Politiques publiques et dynamiques des paysages au sud du Massif central. R. Lifran. Montpellier, INRA, UMR LAMETA: 46-54.

Lepart, J., P. Marty, et al. (2000). "Les conceptions normatives du paysage. Le cas des grands causses." Natures Sciences Sociétés, 4: 16-25.

Lifran, R. (2000). Contrôle d'un processus de diffusion spatialisé. INRA UMR LAMETA. Montpellier: 14 p.

Lifran, R., A. Hofstetter, & P. Bommel (2003). Politiques publiques et dynamique des paysages: analyse de leurs rapports par un modèle multi-agents spatialisés. Politiques publiques et dynamiques de spaysages au sud du Massif central. R. Lifran. Montpellier, INRA, UMR LAMETA: 110-164.

Lifran, R., Editeur (2003). Politiques publiques et dynamiques des paysages au sud du Massif central. Montpellier, INRA , UMR LAMETA: 168.

Lifran, R., W. Oueslati, 2006, Eléments d’économie du paysage, Economie Rurale; Marres, P. (1935). Les Grands Causses: étude de géographie physique et humaine. Tours,

Arrault.Petit, F.E., 1989, Werner, E. et R. Smith, 1982, Vulnerable, but invicible : A longitudinal study of resilient

children and youth, 2d ed Adams, Bannister, Cox

Page 9: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

Carte 1 Causse de Sauveterre: les Hameaux de la zone d’étude

Page 10: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

Légende

0

500

1000

1500

2000

2500

3000

3500

4000

4500

5000

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

Ty pe s de  c ha nge me nt s

Parcelles par type d'évolution

Surf ace

nombre

CODE Changements 1963-20001 champ prairie pérennes2 enfrichement récent3 enfricht ancien4 boisement ancien5 boisement intermédiaire6 boisement récent7 défriche ancienne8 défriche intermédiaire9 défriche récente10 boisements perennes11 Bâti12 données manquantes

Page 11: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

Carte 2 Maillage territorial autour des hameaux habités

Légende

En rouge : hameaux habités en 1947En jaune : hameaux abandonné

#S

#S

#S

#S#S

#S

#S

#S #S

#S#S

#S#S #S

#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S#S

#S#S

#S#S#S#S

#S

#S#S

#S

#S

#S#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S#S

#S#S

#S

#S#S

#S

#S#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S#S

#S

#S#S

#S

#S

#S

#S#S

#S

#S

#S

#S

#S#S

#S

#S#S#S

#S #S#S

#S

#S

#S

#S#S#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S#S

#S#S

#S#S

#S

#S

#S

#S

#S#S

#S#S#S

#S#S #S

#S

#S

#S#S

#S

#S

#S #S

#S #S

#S#S#S#S

#S

#S

#S #S#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S#S#S

#S

#S #S

#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S#S

#S

#S

#S#S#S

#S#S

#S#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S

#S #S

#S

#S

#S#S #S

#S

#S

#S

#S

#S#S#S

#S

#S#S

#S

#S#S

#S

#S#S

#S

#S

#S

#S

#S

N

Page 12: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

Carte 3 : Causse de Sauveterre : Dynamique des boisements privés (1963-2000)

Dynamique de la végétation 1963-2000

Boisem e nt a ncie n

Boisem e nt m é dian

Boisem e nt ré cent

Boisem e nt p éren ne

Autre s

N

3000 0 3000 6000 Mètres

Page 13: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

Carte 4 Causse de Sauveterre : structure et répartition des terrains collectifs autour des lieux-dits

Sources : C ada stre et SAFE R L ozè re , IG N , IN R AElaboration : L. Henk es , A . H ofs tette r, R . Lifra n, 2 001

Territoires sectionnauxTransect

N

Terr ito ires sectionnaux

Allo tie

ON F

SECTX

3000 0 3000 6000 Kilo m ètre s

Page 14: Le temps et la gouvernance des landscape diversity. In ... · Le temps et la gouvernance des paysages : apports de la modélisation R. Lifran*, A. Hofstetter* Résumé La gouvernance

Diffusion de biomasse

0

5000

10000

15000

20000

25000

30000

1 10 19 28 37 46 55 64 73 82 91

Dif

fusi

on

t

ref+r02Ab02

ref+r02loin

ref+r02onf02

refr02