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K. A. VAHOUA n°42 Décembre 2017 129-147 130 Le ton grammatical du kpɔ̍ kʋ ̀ gbʋ ̀ 1 , parler kru de Côte d’Ivoire Kallet Abréam VAHOUA 2 Université Félix Houphouët-Boigny Résumé: Cet article essaie de mettre en exergue les fonctions grammaticales des tons en bété, langue kru de côte d’Ivoire. Quand on évoque la question des tons en bété, on souligne généralement leur valeur lexicale et on ajoute simplement que les morphèmes aspectuels de l’accompli et de l’inaccompli sont des unités tonales. Pourtant, le ton a bien d’autres valeurs grammaticales dans cette langue. Celles-ci sont d’ordre sémantique, morphologique, syntaxique et utilisent cinq tonèmes sur les six que compte la langue. Ce sont les quatre tons ponctuels bas /B/, moyen /M/, mi haut /H - /, haut /H/ et le ton modulé /B ͡ M/. Mots-clés: Ton, aspect, pronom, interrogation, négation Abstract: This paper is an attempt to highlight the grammatical functions of the tones of bété, a kru language of Côte d’Ivoire. Each time one brings to light the issue of bété tones, it’s their lexical value which is generally focused and aspectual morphemes of perfective and imperfective are simply postulated as tonal. However, tones have other grammatical values in the language which are semantic, morphological and syntactic by nature. The phonological tones which come into play in this respect are Low /L/, Mid /M/, Mid-high /H - / and the Rising tone /L ͡ M/. Key-words: Tone, aspect, pronoun, interrogation, negation Introduction Le ton est une unité prosodique en rapport avec les variations de hauteur et de mélodie qui affectent une syllabe d’un mot dans une langue. Mais une langue est dite tonale qua nd elle présente des tons ayant une fonction distinctive. Creissels (1989 : 176) l’explicite justement en ces termes : « Est une langue à tons, une langue où il est possible d’opérer sur la mélodie ou la hauteur d’une syllabe des commutations en contexte phonique identique associées de manière stable à une commutation d’unités significatives. » Mais très souvent, les linguistes et autres spécialistes des Sciences du langage appréhendent cette « commutation des unités significatives » essentiellement au plan lexical. Zakari Tchagbalé est au nombre de ces linguistes. En effet, pour Tchagbalé (1998 : 441) : « Le ton est une entité suprasegmentale dont l’objet est de distinguer les unités lexicales entre elles » Pourtant, dans de nombreuses familles linguistiques, les tons présentent, en plus de leurs fonctions lexicales, des fonctions grammaticales. On peut citer les familles kwa et kru. Dans le groupe kwa, singulièrement en abidji, Tresbarat et Vick (1992 : 51) soutiennent que « le ton a deux fonctions : l’une grammaticale, puisqu’il sert à déterminer les différentes dérivations aspecto -modales des verbes, et l’autre lexicale, cette dernière ne s’appliquant qu’aux mots ayant un ton intrinsèque, c’est-à-dire aux nominaux et adjectivaux. » Abondant dans le même sens, Marchèse (1983 : 63 ) souligne que « Les tons jouent un rôle principal dans les langues kru puisqu’ils sont distinctifs au niveau lexical et au niveau grammatical. » Et elle étaye son propos avec des faits de plusieurs langues. On peut citer le sɛmɛ, langue kru du Burkina Faso, où le morphème du 1 Le signifiant [kpɔ̍ kʋ ̀ gbʋ ̀ ] est un nom composé issu de l’association de deux noms: /kpɔ̍ kʋ ̀ ɾʋ ̀ / et /gbʋ̄ /. /kpɔ̍ kʋ ̀ ɾʋ ̀ / (Paccolo, selon l’appellation et l’orthographe de l’administration ivoirienne) est le nom du canton de Gagnoa où l’idiome [kpɔ̍ kʋ ̀ gbʋ ̀ ] est utilisé ; et /gbʋ̄ / veut dire, en Kpokogbo [kpɔ̍ kʋ ̀ gbʋ ̀ ], parler ou idiome. [kpɔ̍ kʋ ̀ gbʋ ̀ ] signifie, littéralement, parler ou langue de /kpɔ̍ kʋ ̀ ɾʋ ̀ /. Le [kpɔ̍ kʋ ̀ gbʋ ̀ ], en tant que dialecte bété de Gagnoa, est donc un parler kru oriental de Côte d’Ivoire d’après la classification des parlers kru proposée par Werle, Hook et Zogbo en 1977. C’est, par ailleurs, ce même idiome que (Kaye J., Lowenstamm J. et Vergnaud J. R., 1985 et 1988) et (GOPROU, 2010) désignent sous l’appellation de kpokolo. 2 [email protected]

Le ton grammatical du kpɔ̍k gb 1 Kallet Abréam VAHOUA 2 … · 2018. 8. 3. · grammaticale, puisqu’il sert à déterminer les différentes dérivations aspecto-modales des verbes,

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K. A. VAHOUA

n°42 Décembre 2017 129-147 130

Le ton grammatical du kpɔkʋgbʋ1, parler kru de Côte d’Ivoire

Kallet Abréam VAHOUA 2

Université Félix Houphouët-Boigny

Résumé: Cet article essaie de mettre en exergue les fonctions grammaticales des tons en

bété, langue kru de côte d’Ivoire. Quand on évoque la question des tons en bété, on

souligne généralement leur valeur lexicale et on ajoute simplement que les morphèmes aspectuels de l’accompli et de l’inaccompli sont des unités tonales. Pourtant, le ton a bien

d’autres valeurs grammaticales dans cette langue. Celles-ci sont d’ordre sémantique,

morphologique, syntaxique et utilisent cinq tonèmes sur les six que compte la langue. Ce sont les quatre tons ponctuels bas /B/, moyen /M/, mi haut /H-/, haut /H/ et le ton modulé

/BM/.

Mots-clés: Ton, aspect, pronom, interrogation, négation

Abstract: This paper is an attempt to highlight the grammatical functions of the tones of

bété, a kru language of Côte d’Ivoire. Each time one brings to light the issue of bété

tones, it’s their lexical value which is generally focused and aspectual morphemes of perfective and imperfective are simply postulated as tonal. However, tones have other

grammatical values in the language which are semantic, morphological and syntactic by

nature. The phonological tones which come into play in this respect are Low /L/, Mid

/M/, Mid-high /H-/ and the Rising tone /LM/.

Key-words: Tone, aspect, pronoun, interrogation, negation

Introduction

Le ton est une unité prosodique en rapport avec les variations de hauteur et de mélodie

qui affectent une syllabe d’un mot dans une langue. Mais une langue est dite tonale quand elle

présente des tons ayant une fonction distinctive. Creissels (1989 : 176) l’explicite justement

en ces termes : « Est une langue à tons, une langue où il est possible d’opérer sur la mélodie

ou la hauteur d’une syllabe des commutations en contexte phonique identique associées de

manière stable à une commutation d’unités significatives. » Mais très souvent, les linguistes et

autres spécialistes des Sciences du langage appréhendent cette « commutation des unités

significatives » essentiellement au plan lexical. Zakari Tchagbalé est au nombre de ces

linguistes. En effet, pour Tchagbalé (1998 : 441) : « Le ton est une entité suprasegmentale

dont l’objet est de distinguer les unités lexicales entre elles » Pourtant, dans de nombreuses

familles linguistiques, les tons présentent, en plus de leurs fonctions lexicales, des fonctions

grammaticales. On peut citer les familles kwa et kru. Dans le groupe kwa, singulièrement en

abidji, Tresbarat et Vick (1992 : 51) soutiennent que « le ton a deux fonctions : l’une

grammaticale, puisqu’il sert à déterminer les différentes dérivations aspecto-modales des

verbes, et l’autre lexicale, cette dernière ne s’appliquant qu’aux mots ayant un ton intrinsèque,

c’est-à-dire aux nominaux et adjectivaux. » Abondant dans le même sens, Marchèse (1983 :

63 ) souligne que « Les tons jouent un rôle principal dans les langues kru puisqu’ils sont

distinctifs au niveau lexical et au niveau grammatical. » Et elle étaye son propos avec des faits

de plusieurs langues. On peut citer le sɛmɛ, langue kru du Burkina Faso, où le morphème du

1 Le signifiant [kpɔkʋgbʋ] est un nom composé issu de l’association de deux noms: /kpɔkʋɾʋ/ et /gbʋ/. /kpɔkʋɾʋ/

(Paccolo, selon l’appellation et l’orthographe de l’administration ivoirienne) est le nom du canton de Gagnoa où

l’idiome [kpɔkʋgbʋ] est utilisé ; et /gbʋ/ veut dire, en Kpokogbo [kpɔkʋgbʋ], parler ou idiome. [kpɔkʋgbʋ]

signifie, littéralement, parler ou langue de /kpɔkʋɾʋ/. Le [kpɔkʋgbʋ], en tant que dialecte bété de Gagnoa, est

donc un parler kru oriental de Côte d’Ivoire d’après la classification des parlers kru proposée par Werle, Hook et

Zogbo en 1977. C’est, par ailleurs, ce même idiome que (Kaye J., Lowenstamm J. et Vergnaud J. R., 1985 et

1988) et (GOPROU, 2010) désignent sous l’appellation de kpokolo. 2 [email protected]

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pluriel est tonal; et le bété, langue kru oriental de Côte d’ivoire, où des marques aspectuelles

sont essentiellement tonales. Effectivement, certains morphèmes aspectuels du bété sont

tonals. Cependant, en bété, les fonctions grammaticales du ton vont nettement au-delà du

système aspectuel. Aussi, cette étude vise-t-elle à décrire les éléments grammaticaux du bété

qui utilisent des marques exclusivement tonales. Cette réflexion, qui s’inscrit dans le cadre de

la linguistique fonctionnelle, examinera effectivement les tons grammaticaux du bété après un

aperçu phonétique et phonologique de ces unités prosodiques.

1. Considérations phonétiques et phonologiques

1.1 Considérations phonétiques

L’inventaire des tons phonétiques du bété permet d’identifier dix unités minimales.

Elles peuvent être observées dans le tableau suivant.

(1)

Réalisations tonales Illustrations

Schématisations Notations

a Bas [B] lù chose

b Moyen [M] wo crier

c Mi haut [H-] gbʋ tas

d Haut [H] su pousser

e Bas Moyen [BM] gba fermer

f Bas Mi haut [BH-] kpacɪjà3 gnangnan4

g Bas H [BH] kʋkʋ taro (esp.)

h Bas Haut Bas [BHB] nokwɤ chrysalide (esp.)

i Moyen Bas [BM] ga désigner

j Haut Bas [HB] sɔdɛ escargot (esp.)

Les dix tons répertoriés peuvent être scindés en deux groupes. Le premier présente des

unités qui restent constantes du début jusqu’à la fin de leur réalisation. Ce sont des tons

ponctuels. Au nombre de quatre, les tons ponctuels du bété sont les tons bas [B], moyen [M],

mi haut [H-] et haut [H]. Dans le second groupe, il y a des unités qui connaissent une

modification au cours de leur réalisation. Ce sont des tons modulés. Les six tons modulés de

cette langue sont le ton bas moyen [BM], le ton bas mi haut [BH-], le ton bas haut [BH], le ton

bas haut bas [BHB], le ton moyen bas [MB] et le ton haut bas [HB].

1.2 Considérations phonologiques

Certaines réalisations tonales répertoriées ont une fonction distinctive et d’autres ne

l’ont pas. En effet, sur les dix tons recensés, seuls six sont des tonèmes. Les paires minimales

consignées dans le tableau ci-dessous le montrent fort bien.

3 La première syllabe de ce mot porte un ton modulé bas mi haut [BH-]. 4 En gastronomie, espèce de petites baies amères utilisées très souvent comme ingrédient d’une sauce.

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(2)

Le ton haut H

kwʌɾa tortue

kwʌɾa champ

tu pleurer

tu exposer

su pousser

sù être chaud

to traverser

to rester

Le ton mi haut H-

kwʌɾa champ

kwʌɾa tortue

pe se coucher

pe chanceler

bɪ empruntes

bɪ fleurs

Le ton moyen M

si sourire si se tendre

tʋ guerre

tʋ envie

gba totem gbà panier

ga faire cuire dans des feuilles

ga désigner

ga faire cuire dans des feuilles

ga éclater

Le ton bas B

sù être chaud su

pousser

gbà panier

gba bagarre

ɟùɟù oiseau (esp.)

ɟuɟù ombre

Le ton moyen bas MB

to rester

to traverser

ko attendre

ko clouer

dɔ uriner

dɔ pêcher

Le ton bas moyen BM

ga éclater

ga faire cuire dans des feuilles

ga éclater

ga désigner

Sur les dix tons répertoriés, six ont, d’après les paires minimales ci-dessous, une fonction

distinctive. Et parmi les six tonèmes du bété, il y a quatre ponctuels; à savoir les tonèmes: /H/,

/H-/, /M/, /B/ et deux modulés: les tonèmes /MB/ et /BM/. On peut donc proposer pour le

système tonologique du bété, le tableau ci-après.

(3)

Exemples Gloses

H ga peut-être

T Ponctuels H- ga canne à sucre

O M ga faire cuire dans des feuilles

N B gà rotin

S Modulés MB ga désigner

BM ga éclater

Si sa fonction distinctive est indéniable, force est de constater que, dans cette langue, le ton

véhicule également des valeurs grammaticales observables à plusieurs niveaux de l’analyse

linguistique. Ce sont les niveaux sémantique, morphosyntaxique et syntaxique.

2. Tons, morphèmes aspectuels

Le système aspectuel du bété est structuré autour de deux aspects: l’inaccompli et

l’accompli ; car, ces deux aspects entrent dans la formation d’autres aspects. Mais, dans cette

langue, l’accompli et l’inaccompli sont, également, les seuls aspects provoquant la variation

morphologique du verbe. Les exemples ci-dessous en donnent un aperçu.

(4a) [lià de na bɔtʋ]

/lià de na bɔtʋ/

/Lia/couper/Inacc/ma/ceinture/

Lia coupe ma ceinture.

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Revue de l’ILACahiers Ivoiriens de Recherche Linguistique (C.I.R.L.) 133

(4b) [lià de5 na bɔtʋ]

/lià de na bɔtʋ/

/Lia/couper/Acc)/ma/ceinture/

Lia a coupé ma ceinture.

(4c) [ɟàkʋ denɪ olje sɪka]

/ɟàkʋ de-nɪ olje sɪka/

/Djako/couper-Dérivatif/Inacc/Olié/riz/

Djako gave olié de riz.

(4a) [ɟàkʋ denɪ olje sɪka]

/ɟàkʋ de-nɪ olje sɪka/

/Djako/couper-Dérivatif/Acc/Olié/riz/

Djako a gavé Olié de riz.

A l’inaccompli, les verbes /de/ couper et /de-nɪ/ gaver ont respectivement les formes

[de] et [denɪ]. A l’accompli, ces formes deviennent, dans le même ordre, [de] et [denɪ].

L’emploi de ces deux verbes à l’inaccompli ou à l’accompli, n’a occasionné aucun

changement au niveau segmental. Dans le plan supra segmental, par contre, les schèmes

tonals [BM] et [BMM] ont donné, respectivement [H-] et [BMM], à l’inaccompli ; et [H-B] et

[BMB], à l’accompli. Mais tous les verbes du bété n’ont pas les structures segmentales et les

schèmes tonals de /de/ couper et de /de-nɪ/ gaver. Comment se présentent alors les

morphèmes de l’inaccompli et de l’accompli dans cette langue ? Pour répondre à cette

interrogation, il y a nécessité d’étudier sinon la morphologie des verbes du bété, du moins

celle des verbes incassables ou lexématiques ; sans toutefois omettre de préciser leurs formes

à l’accompli et à l’inaccompli.

L’examen de la structure tonale des verbes lexématiques permet d’identifier dix

patrons6 tonals. Ce sont les patrons /B/, /M/, /H-/, /H/, /BM/, /MB/, /H-M/, /H-B/, /HM/, et

/HB/. Ces dix patrons tonals présentent dix-huit (18) réalisations de surface ou schèmes

tonals; à savoir les schèmes [B], [M], [MM], [H-], [H-H-], [H], [HH], [BM], [BMM],

[BMMM], [MB], [MBB], [H-M], [H-B], [H-BB], [HM], [HMM], [HB]. Le tableau ci-après

permet de voir la compatibilité entre ces schèmes tonals et les structures segmentales

caractérisant les verbes incassables.

(5) Structures segmentales des verbes simples

CV CVV CVCV CVCVV CVCVCV

Pat

ron

s to

nal

s d

es

ver

bes

inca

ssab

les

B sʌ enlever

M lu vaincre sʋɛ souder sʌrʌ toucher

H- la appeler puo sauver ɓʌɾɪ porter

H ni épouser ɓʋʌ grandir cʌlɪ écrire

BM de couper dʌrʌ glisser jʋjʋa se lamenter pʉlɪtɛ pétrir

MB so envoyer bʋbɔ adorer fʌlɪà offenser

H-M gbɔtɔ taper

H-B ɟiɟo se cacher gbogbùo laisser passer

HM bɪa observer kʌtɪ casser titiri frotter

HB zio s’approcher jigbè s’arrêter

5 Le ton de cette voyelle est H- B et non BH-. 6 Selon Mel (1993), le patron tonal c’est le ou les tons phonologiques ressortissant de la couche tonale - compte

non tenu des modifications de surface - que l’on aura à associer aux positions nucléaires dans le strict respect des

conventions de bonne formation.

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Les verbes simples du bété présentent donc cinq structures segmentales. Ce sont les structures

CV, CVV, CVCV, CVCVV et CVCVCV. Les verbes incassables du bété sont donc des mots

dont la longueur est comprise entre une syllabe et trois syllabes. Et aucune conjugaison

n’entraîne une variation de ces structures segmentales. On peut tout de même relever, à la

suite de Vahoua (2011), les alternances vocaliques [ʌ]/[a] et [ʌ]/[ɛ] qui interviennent quand la

voyelles /ʌ/ est obligée de supporter certains phénomènes prosodiques complexes comme la

modulation tonale, par exemple. Les exemples suivants en donnent un aperçu.

(6a) [ɲɔpɔ pa wasɛ kʋ]

/ɲɔpɔ pʌ wasɛ kʋ/

/Gnôpô/lancer/Acc/Wasset/sur/

Gnôpô a porté main à Wasset.

(6b) [kalɛ ɲɛ zàkèi kotu]

/kalɛ ɲʌ zàkèi kotu]/

/Kallet/offrir/Acc/Zakéhi/vêtement/

Kallet a offert un vêtement à Zakéhi.

A l’accompli, les verbes /pʌ/ lancer et /ɲʌ/ offrir connaissent une variation segmentale et

tonale. Au niveau tonal, le schème [H] devient [H- B] pour les deux verbes. Dans le plan

segmental, Les séquences CV et NV sont restée CV et NV mais avec une alternance

vocalique. La voyelle [ʌ] est, en effet, devenue [a] dans le verbe /pʌ/ et [ɛ] dans le verbe /ɲʌ/.

Pour connaitre les raisons qui sous-tendent l’une des deux variantes de /ʌ/, on peut consulter

Vahoua (2011). Les morphèmes de l’accompli et de l’inaccompli sont donc des unités

exclusivement tonales. Quelles sont-elles ?

L’emploi des verbes incassables bété à l’inaccompli permet de relever les données

tonales consignées dans le tableau ci-dessous.

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(7)

Schème tonal du verbe

à l’infinitif

Schème tonal du verbe

à l’inaccompli

Verbes

monosyllabiques

B

M

M

MB

H-

H-

H

BM

Verbes

dissyllabiques

HB HM

HM

BMM BMM

MM

MM

MB

BB

H-B H-M

H-M

HH

H-H-

H-H-

BM

Verbes

trissyllabiques

MBB MMM

BMM BMM

BMMM BMMM

H-BB H-MM

HMM HMM

Les informations contenues dans ce tableau suscitent deux observations. Elles peuvent être

formulées comme suit:

- A l’inaccompli, les verbes incassables de schèmes tonals [H-], [H], [BM], [HH], [H-H-

] ou [BM] prennent le schème tonal [H-] quand il s’agit de monosyllabes et le schème tonal

[H-H-] quand ce sont des dissyllabes.

- Les verbes simples de schèmes tonals [B], [M], [MB], [HB], [HM], [BMM], [MM],

[MB], [BB], [H-B], [H-M], [MBB], [BMM], [BMM], [H-BB] ou [HMM] prennent un schème

tonal terminé par un ton moyen [M] quand ils sont employés à l’inaccompli.

D’après ces faits et en considérant les travaux de Marchèse (1983), Vahoua (1998 et

2003) et Goprou (2010), on peut proposer, comme marque de l’inaccompli, en bété, un

morphème à deux variantes. Il s’agit du morpho tonème /M/ qui se réalise soit [M] soit [H-]

selon la règle d’allomorphie suivante :

(8) [H-]/ Dans les verbes simples de schèmes tonals [H-], [H], [BM],

[HH], [H-H-] ou [BM]

/M/

[M]/Dans les verbes simples ayant d’autres schèmes tonals

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Le morphème de l’aspect inaccompli est donc une unité exclusivement tonale. Celui

de l’accompli semble fonctionner également de la même façon comme l’indique le tableau ci-

après.

(9)

Schème tonal du verbe

à l’infinitif

Schème tonal du verbe à

l’accompli

Verbes

monosyllabiques

B

B

M

MB

H-

H- B

H

BM

Verbes

dissyllabiques

BMM BMB

HB

HB HM

MB

BB MM

HH

H-B

H-H-

H-M

H-B

BM

Verbes

trissyllabiques

MBB BBB

BMMM BMBB

H-BB H-BB

BMM BMB

HMM

HBB HBB

De ce qui précède, on peut noter que tous les verbes incassables du bété prennent un

schème tonal terminé par un ton bas [B] à l’accompli. On peut donc écrire, en considérant ces

faits, et à la suite de Vahoua (2013) et Goprou (2010) que le morphème de l’aspect accompli

en bété est un ton bas qui se suffixe au verbe. L’accompli et l’inaccompli qui sont deux

aspects essentiels du système aspectuel bété utilisent donc des marques exclusivement

tonales. A l’instar de ces deux morphèmes aspectuels, certains pronoms du bété ont une

forme uniquement tonale.

3. Ton, pronom

Dans cette langue, certains pronoms sujets, objets et résomptifs présentent une forme

tonale.

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3.1 Ton, pronom sujet (injonctif et hortatif)

Il existe, dans cette langue, une série de pronoms utilisée seulement à l’injonctif et à

l’hortatif. Les exemples ci-dessous en présentent quelques occurrences.

(10a) [ɔ nʌ ɪ ji]

/ɔ nʌ ɪ ji/

/3SG/vouloir/1SG/M(Pron. hortatif)/venir/

Il veut que je vienne!

(10b) [ɔ fɔ wʋʋ]

/ɔ fɔ wʋʋ/

/3SG/M(pron. hortatif)/récolter/champignon/

Qu’il récolte du champignon!

(10c) [àɟi sʋ]

/àɟi sʋ/

/Adji/M(Pron. hortatif/faire la moue/

Qu’Adji fasse la moue!

(10d) [wa poɾo]

/wa poɾo/

/3PL/M(Pron. hortatif)/se dépêcher/

Qu’ils se dépêchent!

(10e) [ŋwʉnɪ: ɓɤɾi]

/ŋwʉnɪ ɓɤɾi/

/femmes/M(Pron. hortatif)/chanter/

Que les femmes chantent!

Les exemples en (10) montrent la présence d’un pronom tonal utilisé à l’impératif et à

l’hortatif. Il s’agit d’un ton moyen /M/ qui se suffixe au pronom sujet de l’indicatif et

remplace son ton comme le présentent les exemples (10b) et (10d). Quand le sujet de la

phrase est un nom, le ton moyen cohabite avec le ton de sa dernière syllabe. Les phrases en

(10c) et en (10e) illustrent cette situation. Mais la présence d’une série de pronoms impératifs

ou hortatifs n’est pas spécifique au bété puisque Marchèse (1983) l’avait déjà signalé dans

d’autres langues kru en écrivant que « dans beaucoup de langues situées dans le sud du

groupe occidental, il existe une série spéciale de pronom pour l’injonctif. Les pronoms

consistent en une marque « b-» (provenant sans doute d’une conjonction « que. » Marchèse

(1983: 146), suivie d’un pronom indicatif. » Par ailleurs, en bété, les pronoms tonals

s’observent également dans la position objectale.

3.2 Tons, pronoms objets

La pronominalisation des arguments de la phrase donne trois séries de pronoms

observables dans le tableau ci-dessous, en (11). La première présente des signifiants appelés

‘pronoms sujets’ parce qu’ils n’apparaissent qu’en position sujet. Les unités de la seconde

série sont désignées par l’expression ‘pronoms disjoints’. On peut les observer en position

sujet ou en position objet. Mais quand les pronoms disjoints sont en position sujet, ils doivent

nécessairement précéder les pronoms de la première série car ils ne peuvent occuper tout seuls

cette position argumentale. Les pronoms de la troisième série sont appelés ‘pronoms objets

conjoints. Ils se suffixent tous aux verbes ou aux auxiliaires du verbe sauf [àɲɪ] nous et [aɲɪ]

vous. Ces deux pronoms du pluriel suivent tout simplement le verbe ou l’auxiliaire du verbe

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puisqu’il est même possible d’insérer un élément entre eux et le verbe ou l’auxiliaire du

verbe. La phrase ci-après en est une illustration.

(11) [ɪ ɓʌlɪ kugbè aɲɪ]

/ɪ ɓʌlɪ kugbè aɲɪ/

/je/saluer/Acc/hier/vous/

Je vous ai salués hier.

Dans la phrase ci-dessus, on peut observer, entre le verbe [ɓʌlɪ] a salué et son complément

[aɲɪ] vous, la présence de l’adverbe de temps [kugbè] hier.

Par ailleurs, on note que parmi les pronoms contenus dans le tableau ci-dessous en (12), ceux

de la troisième personne (singulier ou pluriel) prennent toujours les traits +ATR ou –ATR du

verbe ou de l’auxiliaire du verbe de la phrase. Et ils varient également en fonction des classes

nominales7 auxquelles appartiennent les noms qu’ils remplacent.

(12)

Pronoms sujets

conjoints

Pronoms disjoints Pronoms objets

conjoints 1eSG ɪ je àmɪ moi me 2eSG ɪ tu mɔmɪ toi vmɪ8 te 3eSG ɔ/o il ɔmʌ lui ɔ/o le 1ePL à nous àɲɪ nous àɲɪ nous 2ePL a vous aɲɪ vous aɲɪ vous 3ePL wa ils wamʌ eux ua/ʋa les

De tous les pronoms répertoriés dans le tableau ci-dessus, un se distingue par sa forme

singulière. Il s’agit du pronom objet conjoint de la première personne du singulier. Ce pronom

a, en effet, une forme exclusivement tonale alors que tous les autres pronoms ont une forme à

la fois segmentale et tonale. Les exemples ci-dessous permettent de l’observer dans des

phrases.

(13a) [wa ji àɲɪ]

/wa ji àɲɪ/

/3PL/connaitre/1ePL/

Ils nous connaissent.

7 D’après Vahoua 2003, le bété présente trente (30) classes nominales regroupées au sein de douze (12) genres

nominaux. 8 V est la voyelle copie de la dernière voyelle du constituant syntaxique qui reçoit le pronom de la deuxième

personne du singulier.

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(13b) [wa ji]

/wa ji /

/3PL/connaitre/BM(1eSG)/

Ils me connaissent.

(13c) [wa nɪ pʋ ji]

/wa nɪ pʋ ji/

/3PL/Nég./BM(1eSG)/Nég./connaitre/

Ils ne me connaissent pas.

(13d) [wasɛ dʌpɪ ɲɔpɔ]

/wasɛ dʌpɪ ɲɔpɔ/

/Wasset/calmer/M(Inacc)/Gnôpô/

Wasset calme Gnôpô.

(13e) [wasɛ dʌpɪ]

/wasɛ dʌpɪ /

/Wasset/calmer/M(Inacc.)/BM(1eSG)/

Wasset me calme.

(13f) [olje nɪ pʋ ɲɔkpɔ ɓʌlɪ]

/olje nɪ pʋ Homme ɓʌlɪ /

/Olié/Nég./Nég./Homme/saluer/B(Acc)/

Olié n’a salué personne.

(13g) [olje nɪ pʋ ɓʌlɪ]

/olje nɪ pʋ ɓʌlɪ /

/Olié/Nég./BM(1eSG)/Nég./saluer/B(Acc)/

Olié ne m’a pas salué.

(13h) [olje nɪ jʌra pʋ]

/olje nɪ jʌrʌ pʋ/

/Olié/Nég./demander/Inacc/1eSG/Nég./

Olié ne me demande pas.

(13i) [gawà ji kapuo la]

/gawà ji kapuo la/

/Gawa/futur/Kapouho/appeler/

Gawa appellera Kapouho.

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(13j) [kapuo ji la]

/kapuo ji la/

/Kapouho/futur/BM(1eSG)/appeler/

Kapouho m’appellera.

(13k) [kɾʌsʋ nɪ ji pʋ woɾo]

/kɾʌsʋ nɪ ji pʋ woɾo/

/Krasso/Nég./futur/1eSG/Nég./regarder/

Krasso ne me regardera pas.

(13l) [lià kʌ ɟàkʋ so]

/lià kʌ ɟàkʋ so/

/Lia/futur proche/Djako/convoquer/

Lia va convoquer Djako.

(13m) [lià ka so]

/lià kʌ so/

/Lia/futur proche/1eSG/convoquer/

Lia va me convoquer.

(13n) [lià nɪ ɟa pʋ so]

/lià nɪ ɟʌ pʋ so/

/Lia/Nég./futur proche/BM(1eSG)/Nég./convoquer/

Lia ne va pas me convoquer.

Le pronom conjoint de la première personne du singulier apparaît dans les phrases

(13b), (13c), (3e), (13g), (13h), (13j), (13k), (13m), et (13n). L’observation de ces phrases

montre que ce pronom est une unité prosodique. Il s’agit précisément du ton modulé moyen

bas BM. L’examen des structures où il apparaît montre que ce pronom ne se suffixe pas

toujours aux mêmes constituants de la phrase. En effet, la voyelle ou la dernière voyelle des

constituants susceptibles de recevoir le pronom conjoint de la première personne du singulier

sont le verbe d’état (cf. 13b), le verbe processus (cf. 13e et 13h), l’auxiliaire de la négation

(cf. 13c et 13g), l’auxiliaire du futur (cf. 13j et 3k) et l’auxiliaire du futur proche (cf. 13m et

13n). Par ailleurs, dans la suffixation du pronom BM à l’auxiliaire de la négation, c’est le

premier formant nɪ du morphème discontinu [nɪ…pʋ] ne pas, [nɪ...pʋ pɔ] ne plus, [nɪ...kɪɔ pɔ]

ne plus jamais, etc. qui reçois le pronom conjoint de la première personne du singulier. Mais

quand le pronom BM utilise-t-il le dernier noyau syllabique de ces constituants syntaxiques?

La position du pronom BM dans la phrase est régie par les conditions suivantes.

- Le pronom BM se suffixe à un verbe d’état dans une phrase affirmative contenant un

verbe d’état.

- Le pronom BM se suffixe à un verbe processus dans une phrase affirmative ou

négative avec un verbe à l’inaccompli.

- Le pronom BM se suffixe à l’auxiliaire de la négation dans une phrase négative avec

un verbe d’état ou un verbe processus à l’accompli.

- Le pronom BM se suffixe à l’auxiliaire du futur ou du futur proche dans toute phrase

contenant un verbe processus au futur ou au futur proche.

Ces faits montrent qu’en bété, une phrase peut être analysée soit comme le domaine d’un

verbe, soit comme le domaine de la négation soit encore comme le domaine l’aspect.

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3.3 Tons, pronoms résomptifs

En bété, la focalisation d’un constituant syntaxique se matérialise par son déplacement

en début de phrase et l’apparition d’une catégorie vide dans sa position originelle. Mais la

focalisation du constituant sujet n’occasionne pas de vide dans la position abandonnée

puisque cette langue n’admet pas de sujet sans contenu matériel et cela en respect au principe

du thêta-critère qui stipule que toute phrase doit avoir un sujet. Lorsqu’un sujet est déplacé

pendant l’opération de focalisation, sa position est aussitôt remplie par un pronom résomptif

exclusivement tonal. Les exemples ci-dessous montrent des phrases issues de la focalisation

d’un argument sujet. Et c’est justement la dernière syllabe de ce constituant sujet qui reçoit le

pronom tonal.

(14a) [na wʌlɪ kʌɾʌ lʌ]

/na wʌlɪ kʌɾʌ lʌ/

/ta/voix/Pron résomptif/esquinter/B(Acc)/Dém./

C’est ta voix qui est esquintée.

(14b) [ɓowi kʋ lʌ drʌ]

/ɓowi kʋ lʌ drʌ/

/Bohui/Pron résomptif/être/Dém/là/

C’est Bohui qui est là.

(14c) [ɲʌkpɪ kʌdɪ: lè lʌ]

/ɲʌkpɪ kʌdɪ lè lʌ/

/hommes/grands/Pron résomptif/exister/Dém/

Ce sont des grands hommes qui existent.

(14d) [ju: mɪ lʌ]

/ju mɪ lʌ/

/enfant/Pron résomptif/noyau/Dém./

C’est l’enfant.

(14e) [sʌnɩ mɪ lʌ]

/sʌnɩ mɪ lʌ/

/comme-ci/Pron résomptif/noyau/Dém/

C’est comme-ci.

Dans les trois premières phrases (14a à 14c), le pronom résomptif est un ton bas; dans

les deux dernières, c’est un ton mi haut qui le symbolise. La phrase en (14a) est une phrase

verbale. Les quatre autres sont des phrases non verbales. L’énoncé en (14b) est un énoncé

copulatif, celui en (14c) est un énoncé existentiel et les deux derniers sont des énoncés

d’identification. La règle d’allomorphie ci-après résume le fonctionnement du pronom

résomptif tonal dans cette langue kru.

(15) [H-]/Enoncé d’identification

/Pronom résomptif tonal/

[B]/Enoncé verbal, énoncé copulatif

ou existentiel

En bété, le pronom résomptif tonal est donc un ton mi haut dans les énoncés d’identification

et un ton bas dans les autres types d’énoncés.

4. Ton, morphème de l’interrogation

D’après Vahoua (2003), le morphème de l’interrogation est un morphème discontinu à

deux variantes. Elles peuvent être observées dans les schématisations suivantes.

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(16a) ‚ […] H

(16b) ‚ […]

La variante en (16a) est utilisée pour formuler une interrogation partielle et la forme en

(16b) est employée pour construire une interrogation totale. Les deux phrases suivantes

l’illustrent fort bien.

(17a) [ɪ nʌmɪ ɓʌ ɟɪkànɪ ]

/ɪ nʌmɪ ɓʌ ɟɪkànɪ /

/2eSG/apporter/Inacc/Inter/aujourd’hui/Inter/

Qu’apportes-tu aujourd’hui?

(17b) [wa la ɓʌ àɟi à]

/wa la ɓʌ àɟi à/

/3ePL/appeler/Inacc/Inter/Adji/Inter/

Appellent-ils Adji?

Dans la phrase, la première particule interrogative ɓʌ se place avant ou après le verbe,

selon la position des morphèmes aspectuels, et la seconde particule interrogative se met en

position finale. En (17), ɓʌ suit le verbe. Dans les phrases ci-dessous le morphème ɓʌ précède

le verbe à l’instar du morphème du futur proche ou du futur.

(18a) [ɔ kʌ ɓʌ ju ɓɯda]

/ ɔ kʌ ɓʌ ju ɓɯdà /

/3eSG/futur proche/Inter/enfant/laver/Inter/

Qui est-ce qui va laver l’enfant?

(18b) [vawʌ jɪ ɓʌ ŋunu à]

/vawʌ jɪ ɓʌ ŋunu à/

/Vahoua/futur/Inter/répondre/Inter/

Vahoua répondra-t-il?

Mais quand le verbe de la phrase est au mode inactuel, les morphèmes en (16) doivent

être remplacés par ceux qui suivent.

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(19a) ɓɛ […] nɛ

(19b) ɓɛ […] B

Ces variantes peuvent être observées dans les phrases ci-après.

(20a) [sàkàlu ɓʌlɪ ɓɛ nɛ]

/sàkàlu ɓʌlɪ ɓɛ nɛ/

/sakalou/saluer/Inacc/Mode inac/Inter/

Qui Sakalou saluait-il?

(20b) [sàkàlu ɓʌlɪ ɓɛ kudu]

/sàkàlu ɓʌlɪ ɓɛ kudu /

/Sakalou/saluer/Mode inac/Koukou/Inter/

Sakalou saluait-il Koudou?

La traduction juxtalinéaire de ces deux phrases ne montre pas le premier formant du

morphème interrogatif. Est-ce à-dire qu’ici, l’interrogation elle marquée par le seul

constituant final de la phrase ; à savoir /nɛ/ ou / /? Non. Les phrases en (20) contiennent bien

les deux formants du morphème interrogatif. Mais, dans cette langue, comme l’a montré

Vahoua (2003) et comme on peut le voir dans les phrases suivantes, la marque du mode

inactuel et le premier formant du morphème interrogatif sont morphologiquement et

syntaxiquement pareils. Ainsi, dans une phrase interrogative au mode inactuel, seul le

signifiant /ɓɛ/ apparaît aux lieux et places des deux /ɓʌ/. Le signifiant traduit dans les phrases

(20) comme marque du mode inactuel représente, en réalité, ce morphème mais également le

premier formant du morphème interrogatif.

(21a) [sàkàlu ɓʌlɪ ɓʌ kudu]

/sàkàlu ɓʌlɪ ɓʌ kudu/

/Sakalou/saluer/Inacc/Mode inac./Koudou/

Sakalou saluait Koudou.

(21b) [sàkàlù ɓʌlɪ ɓʌ kudu à]

/sàkàlu ɓʌlɪ ɓʌ ɟadu kudù à/

/Sakalou/saluer/Inacc/Inter/Koudou/Inter/

Sakalou salue-t-il Koudou?

(21c) [sàkàlu ji ɓʌ kudu ɓʌlɪ]

/sàkàlu ji ɓʌ kudu ɓʌlɪ/

/Sakalou/Fut/Mode inac./Koudou/saluer/

Sakalou allait saluer Koudou.

(21d) [sàkàlu ji ɓʌ kudu ɓʌlɪ à]

/sàkàlu ji ɓʌ kudu ɓʌlɪ à/

/Sakalou/Fut/Inter/Koudou/Inter/

Sakalou saluera-t-il Koudou ?

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K. A. VAHOUA

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Deux tons interviennent donc dans la formation des phrases interrogatives. Il s’agit du

ton haut H et du ton bas B. Le premier contribue à former les interrogations partielles dans les

phrases au mode actuel et le second concourt au marquage des interrogations totales dans les

phrases au mode inactuel.

5. Ton, morphème de négation

La négation s’exprime, dans ce parler kru, par un auxiliaire discontinu [tɪ…ø/pɔ/kɪ/kɪ

pɔ] à l’impératif ou à l’hortatif et [nɪ…pʋ/pʋ pɔ/kɪɔ pɔ/] aux autres aspects. Les phrases ci-

dessous présentent quelques-unes de ses occurrences.

(22a) [tɪ tu]

/Nég/Pleurer/

Ne pleure pas!

(22b) [ɟodi tɪ pɔ ɲɔkpɔ guɾunɪ]

/ɟodi tɪ pɔ ɲɔkpɔ guɾunɪ/

/Djodi/pron. Hortatif/Nég/Nég/homme/insulter/

Que Djodi n’insulte plus personne!

(22c) [wasɛ nɪ ɓɤɾi pʋ ɟɪkànɪ]

/Wasset/Nég/chanter+Inacc/Nég/aujourd’hui/

Wasset ne chante pas aujourd’hui.

(22d) [olje nɪ kɪɔ pɔ kalɛ woɾo]

/olje nɪ kɪɔ pɔ kalɛ woɾo /

/Olié/Nég/Nég Nég/Kallet/regarder/acc/

Olié n’a plus jamais regardé Kallet.

Mais, dans cette langue, le formant [ni] du morphème discontinu [nɪ…pʋ/pʋ pɔ/kɪɔ

pɔ/] peut disparaitre au profit d’un ton haut; peut-être le ton de son noyau vocalique. Cela

peut être observé dans les exemples suivants.

(23a) [wasɛ ɓɤɾi pʋ ɟɪkànɪ]

/wasɛ ɓɤɾi pʋ ɟɪkànɪ/

/Wasset/Nég/chanter/Inacc/Nég/aujourd’hui/

Wasset ne chante pas aujourd’hui.

(23b) [olje kɪɔ pɔ kalɛ woɾo]

/olje kɪɔ pɔ kalɛ woɾo /

/Olié/Nég/Nég Nég/Kallet/regarder/acc/

Olié n’a plus jamais regardé Kallet.

Et lorsque le sujet de la phrase est un pronom, la substitution entre [nɪ] et [H] est

toujours possible comme le montrent les phrases ci-dessous.

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(24a) [ɔ ɓɤɾi pʋ ɟɪkànɪ]

/ɔ ɓɤɾi pʋ ɟɪkànɪ/

/il/Nég/chanter/Nég/aujourd’hui/

Il ne chante pas aujourd’hui.

(24b) [a kɪɔ pɔ kalɛ woɾo]

/à kɪɔ pɔ kalɛ woɾo /

/nous/Nég/Nég Nég/Kallet/regarder/acc/

Nous n’avons plus jamais regardé Kallet.

Mais l’utilisation du ton haut H avec un sujet pronominal relève d’un registre de

langue quelque peu relâché, dans cette langue. Dans un registre soutenu, les locuteurs du bété

emploient plutôt le ton modulé bas moyen BM. Cependant, contrairement au ton haut H, le

ton bas moyen BM ne se suffixe pas à tous les pronoms sujets ainsi que l’indique le tableau

ci-dessous.

(25) Tableau montrant la suffixation des morphèmes de négation H et BM au pronom sujet

Pronom

sujet

Pronom sujet +

Négation H

Pronom sujet +

Négation BM

1eSG ɪ ɪ ɪ

2eSG ɪ ɪ

3eSG ɔ ɔ ɔ

1ePL à a

2ePL a a a

3ePL wa wa wa

En effet, si le ton haut se suffixe à tous les pronoms sujets, le ton bas moyen, lui ne se suffixe

qu’aux pronoms sujet portant un ton mi haut H- (1eSG, 3eSG, 2ePL et 3ePL). De plus,

contrairement au ton haut H, le ton bas moyen BM ne cohabite jamais avec le ton originel du

pronom sujet. Il le déloge tout simplement et prend sa place.

Conclusion

Dans cette étude, nous avons voulu mettre en lumière l’utilisation grammaticale du ton

en bété. Au terme de notre réflexion, nous pouvons affirmer que des éléments grammaticaux

utilisent bien des marques exclusivement tonales dans cette langue kru de Côte d’Ivoire. En

effet, sur les six tonèmes que compte ce parler, cinq sont effectivement employés comme

morphèmes grammaticaux. Ce sont :

- Le ton bas B, utilisé comme marque aspectuelle, comme morphème de

l’interrogation et comme pronom,

- Les tons moyen M et mi haut H-, employés comme morphèmes aspectuels et

comme pronoms,

- Le ton haut H, utilisé comme marque de la négation et comme morphème de

l’interrogation,

- Le ton bas moyen BM, employé comme pronom et comme morphème de la

négation,

Ainsi, le ton bas est l’unité prosodique la plus productive, en tant que morphème

grammatical. Et les éléments grammaticaux utilisant des marques tonales sont : l’aspect avec

trois tons: B, M et H-, le pronom avec quatre tons: B, M, H- et BM, l’interrogation avec deux

tons: B et H, et la négation avec deux tons: H et BM. L’aspect et le pronom sont donc les

éléments grammaticaux avec le plus grand taux d’utilisation de marques tonales. Avec ces

faits, on ne peut qu’abonder dans le sens de Lynell Marchèse (1983 : 63) pour qui «Les tons

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jouent un rôle principal dans les langues kru puisqu’ils sont distinctifs au niveau lexical et au

niveau grammatical.»

En outre, on note que cette langue utilise grammaticalement aussi bien les tons

ponctuels que les tons modulés. Cela peut être un argument pour reconnaitre désormais les

tons modulés comme des unités phonologiques. Car, pour beaucoup de linguistes, les tons

modulés ne sont que des associations de tons ponctuels sur une syllabe. Annie Rialland fait

partie de ces africanistes. Pour elle (1998 : 408), « Les langues africaines, si elles sont tonales,

ne paraissent comporter que des tons ponctuels, c’est-à-dire caractérisés par une hauteur et

non par un mouvement mélodique. Ceci ne signifie pas qu’il n’y ait pas de modulations

mélodiques dans les langues africaines mais quelles ne correspondent pas à unités

phonologiques. »

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