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Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2007 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 19 juin 2022 19:28 Téoros Revue de recherche en tourisme Le tourisme dans la Caraïbe De la nécessité de sortir du tourisme de masse Olivier Dehoorne Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement Volume 26, numéro 1, printemps 2007 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1070988ar DOI : https://doi.org/10.7202/1070988ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Université du Québec à Montréal ISSN 0712-8657 (imprimé) 1923-2705 (numérique) Découvrir la revue Citer ce document Dehoorne, O. (2007). Le tourisme dans la Caraïbe : de la nécessité de sortir du tourisme de masse. Téoros, 26(1), 3–5. https://doi.org/10.7202/1070988ar

Le tourisme dans la Caraïbe : de la nécessité de sortir du

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Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2007 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 19 juin 2022 19:28

TéorosRevue de recherche en tourisme

Le tourisme dans la CaraïbeDe la nécessité de sortir du tourisme de masseOlivier Dehoorne

Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives dedéveloppementVolume 26, numéro 1, printemps 2007

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1070988arDOI : https://doi.org/10.7202/1070988ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Université du Québec à Montréal

ISSN0712-8657 (imprimé)1923-2705 (numérique)

Découvrir la revue

Citer ce documentDehoorne, O. (2007). Le tourisme dans la Caraïbe : de la nécessité de sortir dutourisme de masse. Téoros, 26(1), 3–5. https://doi.org/10.7202/1070988ar

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3Printemps 2007 Téoros

Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement Dossier

Les modalités de la communication évoluent,mais les fondements des discours sont lesmêmes, qu’il s’agisse de la littérature popu-laire, des « zoos humains » (Bancel et al.,2002) ou de la téléréalité. La quête sensuel-le des îles du plaisir s’impose. Les îles et lesrivages de la Caraïbe, entre désir et fantas-me, sont au cœur des convoitises.

Ainsi les terres caribéennes sont perçues àtravers les habituels stéréotypes des plagesde sable fin bordées de cocotiers, les aqua-riums naturels dans les lagons aux eaux cris-tallines associés à la luxuriance de la flore età l’intensité des jeux de lumière. L’évocationde ces îles est indissociable du rhum, descarnavals, des musiques « tropicales ». Auterme de la journée, les couleurs chaudes dusoleil couchant se fondent dans l’ambiancefestive des nuits caribéennes bercées aurythme du reggae, du calypso, de la soca,de la salsa et du merengue. Chacun a alors

le sentiment de « connaître » ces îles oùseules les sociétés locales éprouvent biendes difficultés à se reconnaître. « The Carib-bean has been repeatedly imagined and nar-rated as a tropical paradise […] a perpetualGarden of Eden in which visitors can indul-ge all their desires and find a haven for re-laxation, rejuvenation, and sensuous aban-don » (Sheller, 2003 : 13). L’ignorance desréalités locales, la méconnaissance desdonnées sociales et historiques sont à l’ori-gine d’un malentendu touristique. Ces payssont nés dans la violence : du massacre detribus amérindiennes à la déportation d’es-claves africains, sans oublier l’importation detravailleurs indiens sous contrat. Les réali-tés caribéennes sont complexes dans cetespace marqué par une histoire colonialeinachevée avec des territoires aux statutsvariables entre « possessions », « dépen-dances » et territoires indépendants « souscontrôle ».

Olivier Dehoorne

Le désir de CaraïbeL’imaginaire qui alimente la représentationtouristique s’ancre dans l’histoire des ex-plorations, des premières découvertes et detoute la littérature exotique et coloniale quia marqué les derniers siècles. Ce sont lesrécits de la piraterie avec ces « hommes li-bres » qui écument la mer des Caraïbes, cesartistes d’hier et d’aujourd’hui qui sem-blent vagabonder dans cet ailleurs. Le rêveet les désirs construisent un imaginaire del’espace (Laplante, 1997) avec de lointainesîles accueillantes et généreuses, à l’imagedes femmes « indigènes » débordantes desensualité.

Ce désir d’exotisme, quotidiennement en-tretenu dans les principales métropolesnord-américaines et européennes, s’affi-che dans les stations de métro en rappelantà chacun l’existence de ce rêve à portée dela main. Les îles y sont réduites aux deuxstéréotypes du sauvage et du sensuel parle biais des émissions dites de « téléréalité »comme celles qui consacrent le mythe del’île de Robinson (du type Survivors), avecdes candidats abandonnés sur des plages« désertes », où, entre séduction, adultèreet transgression (du type « île de la tenta-tion »), les paysages tropicaux sont réduitsà de simples décors artificialisés, mis enscène. Les nouveaux héros télévisuels ga-gnent leur éphémère notoriété dans ces« paradis tropicaux », entre plongée dans leslagons et feux de camps sur les plages. La« pigmentation » locale est éventuellement in-troduite par quelques joueurs-acteurs, en-fants d’émigrés, nés dans les métropolesoccidentales.

Plage de Punta Cana en République dominicaine. Photo : www.residence-alizea.com

Le tourisme dans la CaraïbeDe la nécessité de sortir du tourisme de masse

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Caraïbe, Caraïbes et GrandeCaraïbe : la construction d’uncadre régionalLe terme d’espace « caraïbe » fut introduitpar les États-Unis au début du XIXe siècle àmesure de leur progression économiqueet militaire au-delà de leur frontière maritimeméridionale (Gaztambide-Geigel, 1996 ;Knight, 2006). Sa définition a évolué au fil dusiècle ; elle fut d’abord entendue comme lesterritoires des Indes occidentales britan-niques. Le concept était soutenu par les tra-vaux d’intellectuels de la Caraïbe, commeE. Williams, W.A. Roberts ou encore G. Arci-niegas qui posèrent les premières basesd’une conscience pan-caribéenne, antico-lonialiste et anti-impérialiste, dès les an-nées 1940 (Girvan, 2001).

Dans les années 1970, deux approchess’opposaient : la Caraïbe anglophone com-posée des îles anglophones, francophones,hispanophones et néerlandophones, plus lestrois Guyanes et le territoire continental duBelize (Williams, 1970) et la Caraïbe hispa-nique qui s’étendait du canal du Yucatan augolfe de Paria (au large du Venezuela), incluant

les États riverains de la Caraïbe, du centre etdu sud de l’Amérique, en excluant El Salvador(côte Pacifique), les Bahamas (trop étatsu-niennes) et les Guyanes (côtes Atlantiques)(Bosch, 1983 : 34). La vision élargie de la Ca-raïbe qui se dessina au cours des années 1990permit de concilier des enjeux économiques etculturels dans le contexte d’un nouveau pro-jet politique par l’intermédiaire de l’Associationdes États de la Caraïbe (créée en 1994) re-groupant tous les États indépendants et les ter-ritoires non indépendants de l’ensemble dubassin de la Caraïbe. Les conceptions hispa-niques et anglophones ont alors fusionné pourdonner naissance à la « Grande Caraïbe » (ElGran Caribe en espagnol, The GreaterCaribbean en anglais). Dès lors on utilise les ter-mes de « Grande Caraïbe » ou de « Caraïbe »(au singulier) pour faire référence à l’ensembledu bassin. Toutes les îles de la Caraïbe(Bahamas comprises), le Mexique et l’Amériquecentrale, le Panama, la Colombie, le Venezuela,la Guyana, le Suriname et la Guyane françaisesont inclus dans cet espace qui commence ausud des côtes étatsuniennes. La GrandeCaraïbe est une construction politique d’unespace en quête de cohésion.

Les îles et les rivages de laCaraïbe : la délimitation de notrechamp d’étudeSur le plan des études touristiques, par Ca-raïbe nous entendons l’ensemble des îles etdes rivages baignés par la mer Caraïbe enexcluant les côtes étatsuniennes et cellesdes Guyanes (dont les modalités de déve-loppement relèvent davantage des problé-matiques amazoniennes). La zone consi-dérée, peuplée de plus de 300 millions depersonnes, couvre près de 4 millions dekilomètres carrés qui se composent d’unemosaïque de territoires aux statuts divers etaux niveaux de vie des plus contrastés(une dizaine d’États continentaux, 13 Étatsinsulaires indépendants et 16 territoiressous contrôle nord-américain ou européen).Les écarts des PIB (produits intérieursbruts) par habitant sont de 1 à 137 (moinsde 354 USD pour Haïti en 2001 contre plusde 48 742 USD aux îles Caïmans). Leséconomies les plus prospères, telles cellesdes îles Vierges américaines et britan-niques, des Bahamas et des Antilles fran-çaises, côtoient des États indépendantsplus pauvres.

Téoros Printemps 20074

Dossier Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement

100km00 400km

GÉODE Caraïbe, UAG

N

Colombie

Venezuela

Guyana

Floride

Cuba

Rép.Dominicaine

Jamaïque

Haïti

PuertoRico Guadeloupe

MartiniqueSte Lucie

O C É A N

P A C I F I Q U E

O C É A N

A T L A N T I Q U E

Me

rC a r a ï b e

Mexique

Belize

HondurasGuat

emala

Nicaragua

Panama

Salvador

ETATS-UNIS

St VincentBarbade

Grenade

Trinidad

IlesVierges

Turckset Caïcos

Bahamas

Iles Caïmans

Aruba

Curaçao

Bonaire

Dominique

Costa-Rica

Brésil

Surinam

Guyane

Cozumel

BARBADE

DOMINIQUE

STE. LUCIE

GUADELOUPE

MARTINIQUE

Marie-GalanteLes Saintes

ST-VINCENT

BARBUDA

ANTIGUA

STE-CROIX

GRENADE

O c é a n A t l a n t i q u e

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Désirade

NEVIS

ST THOMASST JOHN

ANGUILLA

MONSERRAT

ST MARTIN

St Barthélémy

SABA

ST KITTS

ST-EUSTACHE

Vieques

Culebra

Anégada

Virgin Gorda

Bequia

Canouan

Cariacou

Redonda

TORTOLA

Antilles néerlandaises

Tobago

Iles ViergesBritaniques

Iles ViergesAméricaines

Carte 1

L’espace caribéen

Source : Carribean Tourism Organization.

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Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement Dossier

Ces terres bordées par la mer des Caraïbesconstituent un champ d’investigation parti-culièrement riche. Ces territoires de l’Amé-rique tropicale des plantations partagentquelques caractéristiques communes es-sentielles : des économies dépendantesconfrontées aux systèmes des plantationset des corporations multinationales, dessociétés marquées par l’esclave, la créoli-sation et la résistance populaire. Le touris-me est essentiel pour l’économique de la ré-gion. Leurs principaux atouts reposent surune même représentation de la « tropicalité »réduite aux « 3 S » (Sea, Sun, Sand), avec unquatrième « S » (le sexe en plus) pour lesdestinations motrices (Cuba, la Républiquedominicaine et la Jamaïque en particulier).Les inégalités de richesses de ces sociétéscontribuent à attiser les rivalités : tandisque les îles plus riches vantent leurs atoutssécuritaires (sécurité physique, alimentaireet sanitaire en général), elles doivent intégrerdes coûts salariaux plus importants. À l’in-verse, les îles en développement vendentdes séjours peu chers facilités par de faiblescharges salariales, souvent accompagnéesde législations environnementales moinscontraignantes. Et loin des discours incan-tatoires sur la coopération régionale et letourisme durable par exemple, les rivalitéséconomiques sont particulièrement vivesdans cet espace où chacun entend s’im-poser auprès de ses marchés émetteurs pri-vilégiés, grâce à la commercialisation d’uneoffre uniformisée.

Les problématiques autour dudéveloppement du tourismedans l’espace caribéen Le premier texte du dossier (O. Dehoorne)propose un cadrage général sur les lo-giques spatiales du tourisme et le redé-ploiement des flux au sein de l’espace ca-ribéen. D. Hiernaux, quant à lui, illustre leslogiques du tourisme de masse à traversl’expérience mexicaine, en insistant sur lestrois étapes du développement touristiquedans la Caraïbe, la première étant celle dutourisme spontané qui investit les lieux augré des opportunités, tout en posant lesbases d’un embryon d’organisation à la finde la première partie du milieu de XXe siè-cle. La deuxième est celle des planificationset des grands aménagements orchestréspar des gouvernements soucieux de faire dutourisme un secteur économique essentielpour leur développement tout au long desannées 1970-1980-1990, au gré des nou-velles indépendances (des petites îles an-glophones) et de la reconversion des éco-nomies de plantation des grandes îles de laCaraïbe. La dernière étape, qui s’engage àpartir des années 1990, est celle de la libé-ralisation des économies et de l’introductiond’investissements étrangers significatifs quiprécipitent la course à la privatisation deslieux et des ressources. Ce sont les méca-nismes de cette dernière étape qu’analyseM. Sheller avec l’étude de cas consacrée àl’île Vieques (Porto Rico) où la fermeture dela base de la US Navy est l’occasion d’uneappropriation de cette île côtière à des finstouristiques. Dans cette Caraïbe confrontéeà la finitude de son espace, chaque île et îlotest source d’intérêt : la mise en tourismedonne lieu à une théâtralisation de l’espace(qui hérite d’une nouvelle virginité) et à desubtils processus de fermeture des lieux endépit des résistances locales (comme l’îleVieques).

L’approche de B. Sarrasin apporte un autreéclairage sur ce tourisme de masse consi-déré à partir des pratiques touristiquesdes Canadiens qui privilégient les princi-pales destinations de la région (Cancun,République dominicaine et Cuba). Les lo-giques identifiées sont à l’image de cellesdes Nord-Américains en général ; les seu-les nuances concernent les volumes detouristes émis et quelques choix de desti-nations, les Étatsuniens privilégiant plutôtPorto Rico, la Jamaïque et les Bahamasque Cuba.

Les textes suivants, de K. Logossah et deJ. Baldwin, mettent l’accent sur deux limitesfondamentales des modèles de développe-ment qui prévalent. Par l’analyse des lo-giques du tourisme de croisière, K. Logossahs’interroge sur les impacts économiques et lesretombées effectives (en termes de revenus etd’emplois) pour les sociétés d’accueil. Les en-claves flottantes que constituent les paque-bots de croisière sont devenues « des desti-nations touristiques en soi » que l’auteurqualifie de « territoires touristiques sans terre »,mais avec leur lot d’incidences environne-mentales. La ressource touristique reposesur des richesses biophysiques spécifiques ;les images touristiques leur accordent une va-leur immatérielle supplémentaire, mais l’acti-vité se développe en étroite relation avec cesmilieux vulnérables, comme l’illustre J. Baldwin,à partir de l’étude de cas consacrée auxplages d’Antigua. Au terme de ce dossier,J-M. Breton ouvre une réflexion sur les per-spectives de formes alternatives de tourisme,davantage en harmonie avec une approchedurable du développement régional pour lesÉtats de la Caraïbe.

Olivier Dehoorne est maître de conférences

à l’Université des Antilles et de la Guyane

(Martinique).

Bibliographie

Bancel, N., P. Blanchard, G. Boetsch, E. Derro, et S.Lemaire (2002), Zoos Humains. De la Vénus hot-tentote aux reality shows, Paris, La Découverte.

Bosch, J. (1983) [1970], De Cristóbal Colon aFidel Castro: El Caribe, Frontera Imperial, LaHabana, Editorial de Ciencias Sociales.

Gaztambide-Geigel, A. (1996), « La invención del Ca-ribe en el Siglo XX. Las definiciones del Caribecomo problema histórico y metodológico », Re-vista Mexicana del Caribe, vol. 1, no 1, p. 75-96.

Girvan, N. (2001), « Reinterpreting the Caribbean »,dans F. Lindahl et B. Meeks (dir.), NewCaribbean Thought, University of West IndiesPress, St. Augustine WI Press.

Knight, F. (dir.) (2006), Beyond Fragmentation:Perspectives on Caribbean History, MarkusWiener Pub.

Laplante, M. (1997), L’expérience touristique contem-poraine. Fondements sociaux et culturels,Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec.

Sheller, M. (2003), Consuming the Caribbean: FromArawaks to Zombies, Routledge.

Williams, E. (1970), From Columbus to Castro:The History of the Caribbean, 1492-1969,London, Harper and Row.

5Printemps 2007 Téoros

Caya Coco, Cuba.Photo : Bruno Sarrasin