Le Web en Russie : de la virtualité à la réalité politique ?

Le Web en Russie : de la virtualit la ralit politique ?

Julien NocettiMars 2012

Centre Russie/NEI

L'Ifri est, en France, le principal centre indpendant de recherche, d'information et de dbat sur les grandes questions internationales. Cr en 1979 par Thierry de Montbrial, l'Ifri est une association reconnue d'utilit publique (loi de 1901). Il n'est soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits et publie rgulirement ses travaux. Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), l'Ifri s'impose comme un des rares think tanks franais se positionner au cur mme du dbat europen. L'Ifri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarche interdisciplinaire, dcideurs politiques et conomiques, chercheurs et experts l'chelle internationale.

Les opinions exprimes responsabilit de lauteur.

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Auteur

Julien Nocetti est chercheur associ au Centre Russie/NEI de lInstitut franais des relations internationales (Ifri) depuis 2009. Diplm en relations internationales et en gopolitique de lespace postsovitique, il consacre ses recherches au potentiel politique du Web en Russie et linteraction entre les enjeux de gouvernance de lInternet et la politique trangre russe.

Slection darticles de lauteur sur le sujet Russia's Virtual : The New Reality ? , openDemocracy Russia, 14 dcembre 2011; e-Kremlin : pouvoir et Internet en Russie , Russie.Nei.Visions, n 59, avril 2011 ; De WikiLeaks l'e-G8 : le Web contre les tats ou l'inverse ? , in T. de Montbrial et P. Moreau-Defarges, Ramses 2012, Paris, Dunod, 2011 (avec T. Gomart) ; La diplomatie d'Obama l'preuve du Web 2.0 , Politique trangre, n 1, 2011.

Pour contacter lauteure-mail : [email protected] adresse postale : Ifri, 27, rue de la Procession, 75015, Paris fax : +33 1 40 61 60 00

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J. Nocetti / Le Web en Russie

Sommaire

SOMMAIRE ........................................................................................... 1 INTRODUCTION ..................................................................................... 3 LE RAPPORT DES AUTORITES RUSSES AU WEB ..................................... 5LEtat, primus inter pares du Runet ....................................................... 5 Medvedev, blogueur-en-chef ........................................................ 5 Le numrique, ressource stratgique ................................................. 7 Le dbat sur la gouvernance dInternet en Russie .............................. 8 Les partisans dun Internet libre ......................................................... 9 Les tenants dune approche rgulatrice ............................................. 9 Vers une russification du Web ............................................................. 11 Modeler lespace informationnel russophone ................................... 11 Un Internet souverain ? .................................................................... 13

QUEL IMPACT POLITIQUE DU WEB EN RUSSIE ? ................................... 15Potentiel de mobilisation ...................................................................... 15 Une prdilection pour les actions citoyennes et locales ................... 16 Dmocratie dmatrialise ......................................................... 17 Vox bloggeri : un potentiel surestim ? ........................................ 19 Clivage Internet / TV ......................................................................... 19 Une socit indiffrente au politique ................................................ 20 Vers un contrle plus troit pendant le cycle lectoral ? .................. 22 Avant les lgislatives : angoisse et msinterprtation ...................... 22 Avant les prsidentielles : entre ouverture et capacits de nuisance ........................................................................................... 25

CONCLUSION...................................................................................... 27

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Introduction

Les 3 et 4 dcembre 2011, la veille et le jour des lections lgislatives en Russie, une vague sans prcdent de cyber-attaques a frapp les sites web de mdias indpendants et de rseaux sociaux, dont LiveJournal, la plateforme de blogs la plus populaire dans le pays, et Karta Narueniy , une plateforme collaborative rpertoriant les falsifications lectorales. Malgr la virulence des attaques, la blogosphre russe foisonnait de comptes-rendus et de vidos consignant les irrgularits contestes dans les bureaux de vote. Quelques jours auparavant, le 20 novembre, Vladimir Poutine, flicitant le vainqueur d'un tournoi international d'arts martiaux Moscou, semble avoir t copieusement hu par les spectateurs. La vido de cet talage public d'animosit son encontre fit instantanment l'objet d'une propagation virale sur le Web et de commentaires sarcastiques sur les plateformes de blogs russes, et fut visionne prs de 3 millions de fois en l'espace de cinq jours. Le soir mme, la tlvision russe retransmettait l'vnement en masquant les sifflets du public alors que le lendemain, les principaux journaux en faisaient un non-sujet. Ce type d'vnements est-il annonciateur de l'mergence du Web comme outil politique en Russie ? Actuellement, prs de 60 millions de Russes utilisent Internet (dont 65 % de femmes). En septembre 2011, la Russie a dpass l'Allemagne en termes de visiteurs uniques en Europe1. Dans ce contexte de croissance soutenue, mdias et rseaux sociaux jouissent dun succs comparable. Pour les uns, le Web est devenu une sphre publique part entire o les citoyens peuvent changer un volume toujours plus consquent dides critiques et mettre en place des projets citoyens. Pour les autres, le Web ne serait qu'une soupape d'vacuation manipule par des autorits avant tout soucieuses de prserver la paix sociale dans un contexte de morosit conomique et de stagnation politique. Le potentiel du Web comme arne de confrontations politiques suscite bien videmment l'intrt des autorits russes. Le Web a d'abord pu apparatre comme un facteur de diffrenciationCette tude a t ralise avec le soutien de la Direction de la Prospective du ministre des Affaires trangres et europennes. 1 Bilan de l'usage d'Internet en Europe pour le mois de septembre 2011 , comScore, 14 novembre 2011.

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entre Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine. Alors que D. Medvedev recourt au numrique pour promouvoir son propre programme de modernisation, V. Poutine tient la dichotomie encore trs forte entre les mdias traditionnels, troitement contrls par l'tat, et les nouveaux mdias (blogs, micro-blogs et rseaux sociaux). Pour le Premier ministre, maintenir un foss entre la tlvision et le Web lui permettrait de prvenir tout scnario de rvolte couplant anciens et nouveaux mdias, comme cela a t le cas lors du printemps arabe . Ensuite, le gouvernement russe, dans un effort de prolongement de sa lgitimit sur la sphre numrique, cherche imposer son modle de gouvernance autoritaire l'espace horizontal qui est celui du Web2. Cette attitude traduit des incomprhensions, non seulement face l'mergence d'une socit organise en rseaux, mais aussi sur la nature mme du Web, qui fait rgulirement l'objet de dclarations anxiognes de la part de hauts responsables duqus l'poque sovitique et souvent issus des services de scurit. Les vnements du printemps arabe ont acclr la prise de conscience de la politisation du Web par les autorits russes. Dans le cycle lectoral actuel, le Web est ainsi utilis dans une finalit militante par la base et dans une logique de contre-influence par le sommet. Les lections lgislatives du 4 dcembre 2011, qui ont vu plusieurs sites de mdias indpendants et dONG pirats, aurontelles un effet dentranement avant la campagne prsidentielle ? Cette tude, qui sappuie sur une srie dentretiens mens Moscou (juillet-octobre 2011) et se concentre sur l'interaction entre Web et politique intrieure en Russie3, avance l'ide quil est de moins en moins pertinent de parler de virtualit lvocation du potentiel de mobilisation et de structuration politique permis par le Web russe.

V. Strukov, L'Internet russe: de l'utopie au pragmatisme , Les Carnets du CAP, n 14, printemps/t 2011. 3 Prcisons que les autorits russes accordent la plus grande importance la diplomatie numrique. Lire Th. Gomart, J. Nocetti, La Chine et la Russie cherchent s'imposer par la diplomatie numrique , Le Monde, 1er novembre 2011.

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Le rapport des autorits russes au Web

Le Web reprsente un rel dfi de gouvernance et de lgitimit politique pour les autorits russes. Comme dans bien des rgimes autoritaires, la Russie a dvelopp une approche stato-centre dInternet, lequel a pu reprsenter un rel facteur de diffrenciation entre les deux figures de lexcutif. Il sagit avant tout dutiliser le Web pour prserver la lgitimit du systme politique en place. La dmarche des autorits est aussi utilitariste : le Web est moyen pour une fin, cest--dire quil doit contribuer en priorit la croissance de lconomie russe sans que la stabilit politique et sociale du pays soit menace. cet gard, les autorits associent le numrique la construction dune identit nationale russe sur le Web4.

LEtat, primus inter pares du Runet

Medvedev, blogueur-en-chef Evoquer l'interaction entre politique et Web en Russie n'est gure possible sans considrer la personnalit de Dmitri Medvedev. Le prsident, en effet, sest fait le porte-drapeau des nouvelles technologies, publiant rgulirement des vidos sur son blog, utilisant Twitter et militant pour une plus large participation dmocratique au moyen de loutil numrique. Dune certaine manire, le Web lui a permis dimposer une image plus jeune, moderne, et dancrer la Russie vers lavenir. Noubliant jamais de vanter le potentiel conomique des nouvelles technologies, il na pas hsit pas aborder les questions numriques dans les enceintes internationales et lors de ses dplacements en Russie. Ainsi, au Forum conomique international de Saint-Ptersbourg en juin 2011, il dclarait que la Russie devait4

J. Nocetti, "e-Kremlin": pouvoir et Internet en Russie , Ifri, Russie.Nei.Visions, n 59, avril 2011.

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prendre toute sa place dans lespace numrique global 5, aprs avoir assur, lors du Forum de Davos en janvier de la mme anne, son attachement au principe de la libert dInternet6. Le numrique reprsente un facteur de diffrenciation fondamental entre D. Medvedev et V. Poutine. Souvent caricatur en iPhone-chtchik une manire de souligner avec ironie son attrait pour les nouveaux gadgets , Medvedev est issu d'un milieu diffrent de Poutine, lequel ne possde pas les cls pour apprhender les enjeux Le Web a pu reprsenter un facteur numriques dans leur complexit. de diffrenciation fondamental entre Certains tentent de justifier lintrt de Poutine et Medvedev D. Medvedev pour le Web par un besoin de se positionner dans le systme politique russe : Poutine tant lhomme du complexe nergtique , Medvedev aurait trouv dans les technologies de linformation et de la communication (TIC) un crneau susceptible de le crdibiliser et de porter son programme de modernisation. Dautres lexpliquent par un souhait de contourner un systme politique quil ne contrle pas totalement ou du moins auquel il ne fait gure confiance7. Plus certainement, le Web permet de faire remonter jusquau prsident un feedback sur les proccupations des citoyens russes. Ainsi, la cellule nouveaux mdias de la prsidence, qui gre notamment le blog du prsident, emploie quarante personnes et traite un nombre consquent de messages reus par le prsident, que cette cellule lui fait remonter8. La remonte dinformation est centrale dans lapproche du Web de Medvedev9. Nanmoins, au-del dune posture qui lui a permis dacqurir une certaine popularit, Medvedev a pu dcevoir une partie des milieux dexpertise en Russie. Sa runion avec la communaut Internet, au printemps 2011, aurait ainsi rvl sa profonde mconnaissance de certains aspects du numrique (notamment ceux lis lpineux dossier des Creative Commons), malgr son pass de juriste10. En outre, son impuissance vis--vis du clan Poutine

Internet Has Become Important Political Factor Russian President , Interfax, 17 juin 2011. 6 Son discours est disponible sur le site . 7 J. Nocetti, Sminaire international The Internet in China and Russia: Interactions between States, Firms, and Users , Ifri, Paris, 15 septembre 2011. 8 Une part non ngligeable de ses membres serait issue de la Fondation pour une politique efficace, le think tank de Gleb Pavlovsky, dmis de ses fonctions de conseiller au Kremlin en avril 2011 pour avoir pris publiquement position en faveur de D. Medvedev. Entretien avec une experte russe, Moscou, octobre 2011. 9 Entretien avec un chercheur russe, Moscou, juillet 2011. Meeting with Participants of the Seliger 2011 National Youth Education Forum , Gorki, 7 juillet 2011, . 10 Entretien avec un expert russe, Moscou, octobre 2011. Le Creative Commons est une organisation but non lucratif dont le but est de proposer une solution alternative lgale aux personnes ne souhaitant pas protger leurs uvres en utilisant les droits de proprit intellectuelle standards de leur pays, jugs trop restrictifs.

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laurait desservi plusieurs reprises lorsquil sest agi dimposer une ligne claire sur les potentialits du Web dans le fonctionnement politique du pays. Surtout, son effacement au profit de V. Poutine en septembre dernier et son mutisme lannonce des rsultats des lections lgislatives lui ont fait perdre sa crdibilit de dirigeant politique.

Le numrique, ressource stratgiqueLe dveloppement des technologies de linformation et de la communication (TIC) fait partie des cinq priorits nationales nonces par Medvedev lors de la premire runion de la Commission pour la modernisation et le dveloppement technologique de lconomie en juin 200911. Avant tout, Internet est considr par les autorits comme un levier substantiel pour la croissance et la diversification de l'conomie russe. L'objectif est double : d'une part, rendre la Russie moins dpendante de la rente nergtique12. Deux tiers des exportations du pays et presque la moiti des revenus de l'tat proviennent du secteur des hydrocarbures13. Il est estim que la contribution du numrique l'conomie russe pourrait tre de 5 % du PIB en 2015 (sans le ptrole et le gaz), alors qu'elle se chiffrait 2,1 % en 200914. D'autre part, faire d'Internet un produit vritablement russe, autrement dit ne plus le considrer comme une importation occidentale, tant pour des raisons de prestige que de scurit. D'une certaine manire, la croissance de l'Internet russe procde d'une volont des autorits de rattraper le retard technologique de la Russie sur l'Occident15. Le caractre stratgique du numrique est tout aussi substantiel dans le domaine de l'e-gouvernance. Ce concept, qui ne soutient pas seulement un meilleur accs aux informations et aux processus politiques, mais aussi une approche participative appele changer les rapports entre le gouvernement et la socit, permet Medvedev de promouvoir une volution du mode de gouvernance en Russie, notamment en court-circuitant une fonction publiqueLorganisation a cr plusieurs licences, connues sous le nom de licences Creative Commons. 11 Les autres secteurs concerns sont: lefficacit nergtique, les technologies nuclaires, spatiales et mdicinales. Le compte-rendu de la runion du 19 juin 2009 est disponible sur le site . 12 K. Crane, A. Usanov, Role of High-Technology Industries , in A. Aslund, S. Guriev, A. Kuchins (dir.), Russia after the Global Economic Crisis, Washington DC, Peterson Institute for International Economics, 2010, p. 118. 13 A. Vatansever, Russia's Oil Exports: Economic Rationale Versus Strategic Gains , CEIP, Carnegie Paper, dcembre 2010. 14 B. Banche, V. Bourtenko, O. Kotsur, Russia Online: How the Internet is Transforming the Russian Economy, Moscou, Boston Consulting Group, mai 2011. 15 A. Wilson, Computer Gap: The Soviet Union's Missed Revolution and its Implications for Russian Technology Policy , Problems of Post-Communism, vol. 56, n 4, 2009, p. 49.

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notoirement corrompue. La prsidence ne cache pas son attrait pour le modle singapourien ; des consultations entre experts des deux pays ont lieu sur une base rgulire16. Dune manire gnrale, legouvernance est une thmatique en vogue dans le milieu politique17, ce qui n'empche pas D. Medvedev de critiquer la lenteur de son Par lutilisation du Web, Medvedev dveloppement en raison de la souhaitait contourner un systme persistance de pesanteurs politique quil ne contrlait pas 18 bureaucratiques . Certains experts prfrent parler de m-gouvernance, les perspectives offertes par le dveloppement de lInternet mobile en Russie se rvlant prometteuses, tout particulirement dans les rgions, o laccs lInternet haut dbit demeure plus problmatique19. Actuellement, 7 % des Russes accdent au Net via leur tlphone mobile. En 2013, les oprateurs tlcom parient sur un doublement des revenus gnrs par lInternet mobile en Russie. Cependant, les milieux dexpertise en Russie nhsitent pas avancer que le potentiel du numrique pour lconomie russe nest pas suffisamment mis en avant et ne fait pas lobjet dune attention srieuse de la part des autorits. V. Poutine, dans les articles de presse quil a consacrs exposer son programme politique, conomique et social en prvision de sa rlection, nvoque gure le potentiel conomique des nouvelles technologies de linformation.

Le dbat sur la gouvernance dInternet en RussieLa conjonction de divers facteurs forte croissance du nombre d'internautes, politisation des outils numriques dans le monde traduisent une polarisation sur la gouvernance du Web en Russie entre les partisans de la libert du rseau et les tenants dune approche plus rgulatrice20. Ces deux courants promeuvent leur propre agenda et vision des opportunits, menaces et enjeux politiques lis au Web en Russie.

Entretien avec un officiel russe, Moscou, juillet 2011. L'open data, qui s'inscrit dans une dmarche de transparence et de participation des citoyens (libre accs des informations publiques brutes par exemple), fait l'objet d'un engouement certain au niveau fdral comme l'chelon rgional. 18 Meeting with Participants of the Seliger 2011 National Youth Education Forum , op. cit. [9]. 19 Prsentation faite chez un acteur conomique de lInternet russe, Moscou, juillet 2011. 20 Entretien avec un expert russe, Moscou, juillet 2011.17

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Les partisans dun Internet libreLes avocats de la libert du Net placent les valeurs originelles de l'Internet au centre : libert d'expression et absence de contrle de l'tat sur les ressources numriques. Ces occidentalistes se trouvent au sein de l'administration prsidentielle, les associations professionnelles comme l'Association russe des communications lectroniques et les milieux d'affaires, dont les prcurseurs d'Internet en Russie. Citons Anton Nossik, entrepreneur du Net et blogueur class dans lopposition, depuis novembre 2011 directeur du dveloppement de LiveJournal ; ou Andre Kolesnikov, directeur gnral du Centre de coordination du nom de domaine .ru21. Ceux-ci souhaiteraient un rapprochement de la lgislation russe en matire de gouvernance d'Internet avec les standards europens en la matire, sans grand succs jusqu' prsent22. Ces milieux d'affaires constituent les fers de lance de la politique mene par D. Medvedev en matire de nouvelles technologies, selon laquelle Internet est un moyen dimpulser la modernisation et dengendrer l'innovation dont l'conomie russe a imprativement besoin. Les blogueurs et les associations des droits de l'homme pointent, eux, les tentatives de contrle d'Internet et les violations des droits de l'homme dont sont parfois victimes certains internautes critiques des autorits, en particulier dans les rgions23. Ainsi, l'association AGORA apporte son expertise juridique devant les tribunaux pour dfendre des activistes poursuivis en justice souvent des blogueurs. Plus gnralement, ils dnoncent la mconnaissance et le manque d'adaptation des autorits vis--vis des nouvelles technologies de l'Internet.

Les tenants dune approche rgulatriceLes rvolutions arabes ont donn plus de rsonnance aux propos des cyber-conservateurs , qui mettent laccent sur les risques et menaces que fait peser le Web sur la stabilit politique et sociale russes. Ainsi, pour le Conseil de scurit et les structures de force (ministre de lIntrieur, FSB, Procureur gnral), le Web est permable aux ides librales en plus dtre investi par des rseaux criminels et terroristes. En mars 2011, le vice-Premier ministre Igor Setchine, proche de V. Poutine, tablissait un parallle entre la chute du rgime Moubarak en Egypte et l' implication de Google,21 Ces deux hommes ont contribu de faon dcisive au dveloppement du Runet. Pour un portrait dtaill du premier, lire linterview qui lui est consacre dans M. Spiridonov, Runetologi [Runetologie], Moscou, Mann, Ivanov & Ferber, 2012, p. 163-180. 22 Entretien avec un expert russe, vice-prsident du groupe consultatif sur lInternet transfrontalier (Conseil de lEurope), Moscou, octobre 2011. 23 Lire D. Gainutdinov, P. Chikov, Threats to Internet Freedom in Russia, 2008-2011, AGORA, juin 2011.

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laissant entendre qu'un scnario identique tait rserv la Russie. Peu aprs, le responsable du centre de protection de l'information et des communications spciales du FSB, Alexandre Andreetchkine, assimilait Skype et Hotmail une menace pour la scurit nationale de la Russie. Il sagit pour eux dtendre le modle de souverainet tatique Internet. Priorit est ainsi donne la dfense de la scurit nationale, mme si la doctrine de scurit de l'information, qui date de 2000, ne mentionne aucune reprise le mot Internet 24. Plusieurs hauts responsables issus des structures de force se sont exprims publiquement depuis le second semestre 2011 dans le sens dun contrle plus troit du Web25. Ces propos anxiognes doivent se lire dans le contexte post-rvolutions arabes, lesquelles ont suscit l'inquitude de la classe dirigeante russe26. Qualifis de slavophiles 2.0 , les cyber-conservateurs se trouvent galement au sein du parti Russie unie et des organisations de jeunesse qui lui sont affilies : Nachi et l'Agence fdrale pour la jeunesse, dont le responsable, Vassili Yakemenko, pilote une riposte numrique du pouvoir avant Pour les cyber-conservateurs, il sagit les chances lectorales27. Les dtendre le modle de souverainet membres de ces organisations seraient tatique Internet par ailleurs particulirement actifs en matire de cyber-attaques, notamment contre les sites dopposants, ceux de blogueurs critiques lgard du pouvoir et les plateformes les hbergeant28. Le hacking de plusieurs sites dinformations indpendants (Kommersant, Ekho Moskvy, etc.), de lONG Golos et de la plateforme de blogs LiveJournal le jour des lections lgislatives (4 dcembre 2011) en est lillustration. Par ailleurs, la lutte contre la pdopornographie dans le monde numrique phnomne non spcifique la Russie , est souvent exploite comme une porte dentre vers un raffermissement du contrle de ltat sur le Web29. En Russie, le mouvement pour la scurit des enfants sur le Net a pris de lampleur, jusqu se muerLe texte est disponible sur le site du ministre russe des Affaires trangres : . La Stratgie de scurit nationale jusqu 2020, adopte le 12 mai 2009 par le Conseil de scurit russe, ne le mentionne quune seule fois. La doctrine militaire, amende en fvrier 2010, englobe Internet et la cyber-scurit sous le terme plus vague de scurit de linformation . 25 Voir infra limplication politique de ces dclarations. 26 Entretien avec un expert russe, Moscou, octobre 2011. 27 Entretien avec un expert russe, Moscou, octobre 2011. Notons que V. Yakemenko emploie lexpression de gnration du retweet pour qualifier les jeunes contestataires qui ont fait usage du Web 2.0 pendant les lections lgislatives de dcembre dernier. I. Azar, Poka ne zagortsi zdani [La maison ne brle pas encore], , 17 janvier 2012. 28 Entretien avec plusieurs experts et activistes russes, Moscou, juillet/octobre 2011. 29 M. Mueller, Networks and States : The Global Politics of Internet Governance, Cambridge, MIT Press, 2010, p. 190.24

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en porte-parole zl de la rgulation des contenus numriques30. titre dexemple, la Ligue pour un Internet sr ou la Fondation pour un Runet amical , deux organisations non-gouvernementales affilies la Chambre civique de la Fdration, ont dvelopp un argumentaire faisant du Web un vivier de pornographes et de pdophiles31, un argumentaire en ligne avec les propos de V. Poutine ( 50 % du contenu du Web est pornographique 32). Avec l'volution prochaine des extensions de noms de domaine33, ces acteurs se sont positionns pour lancer un nom de domaine . (.enfants)34. En dcembre dernier, quelques jours aprs lannonce des rsultats des lections lgislatives, la Ligue pour un Internet sr a propos un projet de loi, labor avec des industriels et le gouvernement, dans lobjectif dobliger les oprateurs bloquer les sites affichant un contenu illgal (pdopornographie, sites extrmistes )35. Ces actions, pour les occidentalistes , sont une manire de masquer les vrais dbats autour du numrique et de contrler le Web de faon dtourne36.

Vers une russification du WebMultipliant les projets dans la sphre numrique, l'tat est un acteur proactif du Web, qui tente de modeler l'espace d'information national et de diffuser des messages politiques qui lui sont favorables. L'objectif est de russifier le Net, c'est--dire de calquer les frontires numriques sur les frontires physiques, afin de faire merger une voie russe sur le Web.

Modeler lespace informationnel russophoneLa politique des autorits sarticule autour de deux axes. En premier lieu, le prsident sest attach, depuis 2008, intgrer lesLa Semaine de l'Internet russe , qui s'est tenue Moscou en octobre 2011, a plac la sret d'Internet au centre des dbats. La thmatique a donn lieu de longs changes entre le ministre des Tlcommunications, plusieurs parlementaires, des experts et des reprsentants d'acteurs conomiques. 31 Lauteur de ltude sest entretenu avec les directeurs de ces deux agences, dont le discours est particulirement vhment. 32 V. Lastochkine, Putin skazal vs pravdu ob Internet : 50 % eto pornografi [Poutine dit la vrit au sujet d'Internet : 50 % est de la pornographie], Ural Daily, 25 janvier 2010. 33 L'ICANN, l'organe amricain charg de la gestion des noms de domaine, va dornavant permettre aux marques et aux institutions de crer leur propre suffixe. 34 A. Bazitova, Agenstvo strategieskih iniciativ sozdast detskij Internet [L'Agence des initiatives stratgiques lance un Internet pour les enfants], Izvestia, 25 octobre 2011. 35 A. Golicyna, et. al., Gosudarstvo hoet sozdatv Runete ernye spiski [Ltat veut tablir une liste noire sur le Runet], Vedomosti, 14 dcembre 2011. 36 Entretien avec un expert russe, Moscou, octobre 2011.30

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technologies numriques au fonctionnement politique pour accrotre la lgitimit perue du systme politique russe. cet gard, les hommes politiques, des parlementaires aux gouverneurs, sont encourags se rendre visibles sur les rseaux sociaux et les blogs. Linvestissement du Web par les hommes politiques russes est cens crer un sentiment de proximit entre la classe politique et des citoyens largement apolitiques, rendant plus troite la connexion entre les habitants des rgions et le pouvoir central37. Cependant, si, en mai 2010, prs de 40 % des gouverneurs administraient un blog, ceux-ci restent encore relativement peu frquents. Ce nouveau penchant pour les technologies numriques peut se lire de deux manires. Dune part, sen servir comme un outil de relations publiques, ce que les hommes politiques russes ralisent encore trs mal, la plupart dentre eux nayant quune comprhension limite des enjeux numriques38. Dautre part, les politiques veulent surtout exprimer leur loyaut lgard du Kremlin, suivant en cela une tradition de mimtisme profondment ancre dans le comportement de la classe politique russe39. En second lieu, cette stratgie saccompagne de diverses tentatives visant impulser une rgulation sophistique dInternet. Si la libert de parole est relle sur les blogs, par contre, linfrastructure du rseau est dans les mains de ltat qui contrle Rostelecom et les principales firmes du Net dans Linvestissement du Web par les celles de personnalits proches du politiques est cens crer un pouvoir. Ainsi, on estime que prs de sentiment de proximit avec les 70 % des pages vues sur le Net russe citoyens appartiennent aux sites Web du groupe Mail.ru (ex Digital Sky Technologies), qui rassemble le portail Mail.ru, les rseaux sociaux VKontakte et Odnoklassniki, et participe au capital de Facebook, Twitter et de startups prometteuses comme Groupon, Zynga ou Spotify40. Le groupe Mail.ru est contrl par loligarque Alicher Ousmanov, un proche des deux figures de lexcutif. Selon le prsident du conseil de surveillance dun acteur conomique majeur du Runet, la totalit des rseaux sociaux russes [lui] appartiennent . cela sajoutent la cration dun corpus juridique favorable au contrle des flux informationnels et la formation dune communaut de gourous de lInternet qui, par le biais de startups, favorisent la diffusion de messages pro-Kremlin dans les forums et37

J. Nocetti, op. cit. [4], p. 7-11. Nanmoins, certains dputs montrent une vraie intelligence sur le sujet, comme le jeune vice-prsident de la commission pour les technologies de linformation la Douma, Robert Chlegel, qui a livr une prestation orale brillante lors du dernier sommet de lInternet Governance Forum Nairobi en octobre 2011. Entretien avec un expert russe, Moscou, octobre 2011. 39 Entretien tlphonique avec un universitaire allemand, janvier 2011. 40 Son PDG, Youri Milner, a en outre investi un milliard de dollars en 2010-2011 dans des acteurs de lInternet chinois. M. Wolff, How Tycoon Yuri Milner Bought His Way into Silicon Valley , Wired, novembre 2011.38

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les blogs41. Lun deux, le dput du parti Russie unie Konstantin Rykov, prsident du comit aux nouvelles technologies la Douma et patron de la startup New Media Stars, est suspect davoir planifi les cyber-attaques contre le site LiveJournal et la messagerie dAlexe Navalny en dcembre 201142. Konstantin Rykov aurait remplac Gleb Pavlovski comme spin doctor du Kremlin depuis la disgrce de ce dernier en avril 2011. Les portails quil a crs, et , ne cherchent pas dissimuler leur ambition de combattre lopposition sur le Web.

Un Internet souverain ?Plus gnralement, ltat adopte une dmarche de russification du Web, par une superposition de projets incitant les internautes rester dans le cadre du cyberespace national. Le projet de crer un moteur de recherche d'tat43, l'adoption de l'open source (logiciels libres) par les diffrents organes du pouvoir pour se distancer des gants amricains de linformatique44, ou le lancement d'un nom de domaine en cyrillique45, relvent de cette logique. Ces initiatives sont susceptibles de contribuer isoler le Runet, malgr la nature globale dInternet. La relative isolation du Runet nest pas nouvelle. La russitude du Web russe serait une cl danalyse : contrairement une part substantielle du Web, de langue anglaise et dpendante dapplications et de services dorigine amricaine, le Runet est bien des gards linguistiquement et culturellement hermtique, avec des moteurs de recherche performants et trs populaires comme Yandex, des portails web, des sites de rseaux sociaux en forte croissance et des services mail gratuits46. En 2010, le russe tait la neuvime langue la plus utilise sur le Web, au mme niveau que le franais.

Cependant, certains des consultants du parti Russie unie sur le numrique, comme Rouslan Gattarov ou Alexe adaev, ont rcemment t carts de leurs fonctions pour avoir pris position publiquement en faveur de V. Poutine ou de D. Medvedev. Entretien avec un expert russe, Moscou, juillet 2011. 42 Anton Nossik obvinil vice-premera Surkova v "kryevanii" DDoS-atak na ZhZh [Anton Nossik accuse le vice-premier ministre Surkov davoir couvert les cyberattaques sur LiveJournal], , 29 janvier 2012. 43 E. Sergina, Kremlndeks , RBK, 26 mars 2010. 44 Un prototype de systme dexploitation russe a t approuv par le ministre des Tlcommunications, destin remplacer Windows sur les ordinateurs des fonctionnaires et des coliers de Russie. R. Dorohov, "Russka Windows" prola pervyj kontrol , Vedomosti, 28 dcembre 2011. 45 En octobre 2009, lICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) a entrin lutilisation de caractres ne faisant pas partie de lalphabet latin pour les adresses Internet de premier niveau ds la mi-2010. Il est dsormais possible de dposer des noms de domaine en arabe, chinois, coren, cyrillique, hbreu et japonais. 46 R. Deibert, et. al., Access Controlled: The Shaping of Power, Rights, and Rule in Cyberspace, Cambridge, MIT Press, 2010, p. 19.

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Ces initiatives ne vont pas sans susciter des critiques et des craintes sur lavenir de lInternet russe. En Russie, des craintes sont exprimes sur le fait quune fois les domaines nationaux introduits, Internet sera fragment en deux : dun ct un segment global de premire classe , de lautre un segment national de seconde classe ; de la mme manire que nombre de Russes considrent leur industrie automobile comme tant de seconde classe 47. Sur le projet de lancer un moteur de recherche dtat, des voix slvent pour noter quil nest viable ni sur le plan pratique les appels doffres en Russie tant souvent utiliss pour dtourner les fonds publics ni sur le plan technique Yandex servant dj de rfrence en Russie48. Ces initiatives vont de pair avec un discours officiel centr autour de la souverainet des tats sur le rseau (voir infra). Dans le fond, la modlisation de lespace informationnel russophone et ladoption dune approche de souverainisation numrique participent la fermentation dune identit russe sur le Web. Un imaginaire collectif transpos sur les rseaux est ainsi form par lintensification des activits numriques du gouvernement et un effort de structuration du Web comme espace national49.

Entretien avec un expert russe proche des milieux gouvernementaux, Moscou, octobre 2011. 48 Entretien avec une experte russe, Moscou, juillet 2011. Yandex, bien que subissant rgulirement des pressions de lEtat, est jusqu prsent parvenue maintenir son indpendance, qui se reflte dans la composition de son conseil dadministration, ne comprenant aucun oligarque ni membre du gouvernement. 49 J. Nocetti, op. cit. [4], p. 13.

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Quel impact politique du Web en Russie ?

Le potentiel du Web comme force politique en Russie fait lobjet, depuis ces deux dernires annes, dune plus grande attention des milieux dexpertise. Les tudes faisant tat dune utilisation politique croissante ou, du moins, citoyenne du RuNet trouvent un cho favorable en Occident50. De nombreux Russes se replient sur le Web, qui est peru comme un moyen de sexprimer, dobtenir et de diffuser des informations alternatives. Alors que les autorits tolrent des zones de contestation diffuse sur le Web, un nombre croissant dinternautes saisit cette fentre dopportunit pour exprimer des critiques lgard du pouvoir et mettre en place des initiatives citoyennes contre la corruption ou lincurie des autorits, en particulier dans les rgions. Toutefois, tant les spcificits du dveloppement dInternet en Russie que les particularismes de la socit russe envers le politique rendent toute perspective de rvolte 2.0 irraliste court et moyen termes. Les lections parlementaires (dcembre 2011) et prsidentielles (mars 2012) sont, de plus, loccasion pour certains hauts responsables politiques de mettre en avant une rgulation plus ferme du Web.

Potentiel de mobilisationLadoption du Web sest produite chez une population active sur le plan politique : les jeunes, les duqus et les urbains. En plus dtre une source dinformations non censures, le Web constituerait une sphre publique alternative o lopinion publique est faonne et par laquelle les politiques peuvent parfois tre influences. Depuis 2008, le nombre de blogs sur le Runet est ainsi pass de 3,8 7,4 millions. La croyance dans le Web politique est alimente tant par les50

Lire B. Etling, et. al., Public Discourse in the Russian Blogosphere: Mapping RuNet Politics and Mobilization , Harvard University, Berkman Center for Internet & Society, octobre 2010; et J. Machleder, G. Asmolov, Social Change and the Russian Network Society, Internews, aot 2011.

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caractristiques dInternet (dcentralisation, diversit des applications) que par certains particularismes de la socit russe (croyance dans un Web mritocratique et tentation du dernier recours ).

Une prdilection pour les actions citoyennes et localesL'ide selon laquelle la blogosphre servirait de substitut la sphre publique en Russie tend se rpandre51. Son rle est mme parfois compar celui de la littrature au XIXe sicle ou aux mdias indpendants dans les annes 199052. En Ladoption du Web sest produite chez effet, une attitude ngative envers les une population active sur le plan institutions caractrise la socit russe, politique alors que latomisation sociale conduit les Russes se reposer principalement sur leur rseau personnel pour sinformer et sentraider. L'mergence des nouveaux mdias (blogs, rseaux sociaux, micro-blogs) prolongerait ainsi ces caractristiques intrinsques la socit russe en permettant aux internautescitoyens de se mobiliser autour de causes. En effet, lune des particularits de la vie politique et sociale russe depuis trois ans est la tendance croissante des citoyens exprimer leurs griefs sur le Web. Les blogs (sur LiveJournal) et les rseaux sociaux (comme VKontakte, quivalent russe de Facebook) sont de plus en plus utiliss dans une finalit militante53. Le potentiel politique et citoyen de la blogosphre est rgulirement mis en avant par les affaires de corruption rvles par des blogueurs-militants, comme celui impliquant le groupe ptrolier Transneft, dnonc par Alexe Navalny lautomne 201054. Le juristeblogueur est devenu une figure emblmatique du Web citoyen , en particulier depuis la cration de son site, , compilant des preuves de trucage de marchs publics et daffaires de dlits dinitis55. Loriginalit de la dmarche tient au mode de fonctionnement du site, conu dans un but collaboratif : chaque internaute peut lui fournir des preuves de dtournements de fonds, tout en tant invit lui apporter des ressources financires (les mcnes taient environ 15 000 au 15 janvier 2012). La mthode est depuis utilise pour deux autres portails ( et ) runis en Fondation en fvrier 2012.

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M. Pipenko, Russian Blogosphere as a Public Sphere , Journal of Siberian Federal University, vol. 4, n 3, 2010, p. 526-535. 52 E. Gorny, S. Walker, Understanding the Political Effect of Russian Blogs , Washington DC, Jefferson Institute, Analytical Brief, 2010. 53 A. Sidorenko, Russia: Online Activism Success Stories , , 25 octobre 2010. 54 A. Navalny a rvl sur son que Transneft a dtourn 4 milliards de dollars lors de la construction de loloduc Sibrie-Pacifique qui a cot jusqu prsent 17 milliards de dollars et nest pas encore termin. 55 Lire linterview dAlexe Navalny : Y. Balachova, Ves Navalnyj [Tout sur Navalny], Nova Gazeta, 7 mars 2011.

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La blogosphre politique aborde galement le terrain cologique, en particulier depuis la polmique ne de la construction dune autoroute traversant la fort de Khimki, au nord de Moscou. La mobilisation pour la sauvegarde de cette zone protge sest structure en grande partie sur la blogosphre. Des ONG, l'instar de Bellona, se sont rapidement empares des outils numriques pour faire connatre leur cause ou leurs revendications en matire de protection de l'environnement56, mme si leurs cibles recourent de plus en plus des agences d'e-influence. Dans les situations extrmes, les blogueurs sont les premiers rpandre la nouvelle et agrger linformation. Le rle des blogs et des micro-blogs, comme Twitter, a ainsi t prdominant dans la couverture mdiatique des attentats du mtro de Moscou en mars 2010 ou des incendies dvastateurs de lt 201057. Laction dopposition concerne dsormais donc moins les figures ou les partis politiques que les actions de terrain. Le Web sert souvent de dernier recours dans des situations dsespres, comme en tmoignent le recours des policiers YouTube pour dnoncer la corruption dans la police, ou les manifestations dautomobilistes rvolts contre le comportement routier des voitures officielles58.

Dmocratie dmatrialise Avec le Web, plus les internautes discutent de thmes non politiques, plus ces thmes tendent se politiser59. L'exemple mentionn plus haut de la raction de la blogosphre aux incendies de l't 2010 sur le territoire russe est particulirement rvlateur de cette tendance. Durant cet vnement, les internautes ont mis jour les carences des autorits mais ont aussi fait preuve d'une capacit s'organiser pour lutter contre ce dsastre. Des blogueurs ont cr des brigades de pompiers volontaires, se sont rendus sur le terrain et ont apport leur aide. Lentraide a t suscite par la prise de conscience que les autorits ne contrlaient plus la situation et, de plus, refusaient d'en endosser la responsabilit. La prsence des TIC a permis l'change d'informations pour coordonner une collaboration efficace. Une plateforme de gestion de crise a rendu possible les offres d'entraide mutuelle ( Help Map ), qui a agrg les informations de toutes les sources et les a organises en catgories, go-localises et horodates. L'alliance d'une communaut en ligneEn avril 2011, s'est tenu Moscou le premier forum international rassemblant des co-blogueurs et des journalistes, dans le but de crer une communaut d'individus crivant sur les problmatiques environnementales et de dployer le potentiel des nouveaux mdias pour faire face aux dfis dans ce domaine. 57 A. Sidorenko, Russian Digital Dualism: Changing Society, Manipulative State , Ifri, Russie.Nei.Visions, n 63, novembre 2011. 58 F. Toepfl, Managing Public Outrage: Power, Scandal, and New Media in Contemporary Russia , New Media & Society, juin 2011. 59 Sminaire international, op. cit. [7].56

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concentre sur une tche, de plusieurs leaders et d'un centre de coordination sur le Web, d'un outil comme une carte interactive cre un nouveau modle de collaboration en ligne, et qui se base sur une profonde mfiance des Russes l'gard de leurs institutions et dirigeants60. Pour les optimistes, la tendance est la dmocratie dmatrialise en Russie (cloud democracy). Les internautes, au moyen du crowdsourcing61, non seulement traqueraient les manquements de leurs dirigeants mais raliseraient certaines tches traditionnellement effectues par ltat62. Autrement dit, les outils numriques permettraient, d'une certaine manire, de se substituer lautorit de ltat, adaptant aux ralits du XXIme sicle la gouvernance sans gouvernement 63. C'est ce que proposent deux blogueurs politiques d'Ekaterinbourg dans un court opus intitul Dmocratie dmatrialise , qui a eu une influence certaine parmi les communauts d'internautes russes64. Ils y dveloppent leur vision d'un systme de gouvernance Dune certaine manire, les outils politique bas sur l'utilisation des numriques permettraient de se nouveaux outils numriques. Selon substituer lautorit de ltat eux, le Web 2.0 permettrait la construction d'un systme politique russe plus juste et transparent, en particulier au moyen d'un transfert des services publics vers le Web, ce qui permettrait d'radiquer la corruption, d'une gnralisation du vote lectronique, suppos garantir le libre choix des lecteurs, ou d'une notation permanente des hommes politiques par les citoyens au lieu d'un vote tous les quatre ans, cens contribuer lamlioration de l'efficacit et de l'honntet des gouvernants. Cette conscience du potentiel politico-citoyen du Web reste malgr tout embryonnaire. Le Web est avant tout utilis en dernier recours lorsque tous les moyens classiques ont t puiss65.

J. Machleder, G. Asmolov, op. cit. [50]. Le crowdsourcing (en franais, externalisation ouverte) est le fait d'utiliser la crativit, l'intelligence et le savoir-faire d'un grand nombre de personnes (ici, d'internautes), en sous-traitance, pour raliser certaines tches traditionnellement effectues par un employ ou un entrepreneur. Ceci se fait par un appel cibl (quand un niveau minimal d'expertise est ncessaire) ou par un appel ouvert d'autres acteurs. 62 A. Sidorenko, Russia: Envisioning the Cloud Democracy Utopia , , 22 juillet 2011. 63 En rfrence l'ouvrage de J.N. Rosenau et E-O. Czempiel, Governance without Government : Order and Change in World Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. 64 L. Volkov, F. Krasheninnikov, Oblana demokrati [Dmocratie nbuleuse], mai 2011, . 65 Lire cet effet G. Asmolov, Networked Volunteers Save Lives of Missing Children , , 17 octobre 2011.61

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Vox bloggeri : un potentiel surestim ?Les mdias et rseaux sociaux tendent tre prsents comme des vecteurs plus ou moins infaillibles de changement dans les processus lectoraux ou de mobilisation populaire. Ainsi, les rvoltes qui ont suivi la rlection du prsident iranien en juin 2009 ont t assimiles une rvolution Twitter , tandis que les rvolutions de palais qui ont secou le Maghreb et le Proche Orient en 2011 ont t qualifies de printemps arabe 2.0 . En ralit, les nouvelles technologies numriques sont avant tout des outils de communication, dont l'utilisation dpend des caractristiques et du degr de maturit politique de chaque socit66. La Russie n'chappe pas ce cadre d'analyse : l'crasante majorit des internautes reste en dehors de la politique67. Dans le mme temps, les autorits ont contribu creuser un foss entre anciens et nouveaux mdias, de manire empcher tout risque de contagion mlant tlvision et rseaux sociaux.

Clivage Internet / TVAvant mme les lections lgislatives, les incendies de l't 2010 ont montr que la tlvision reste au cur dun paysage mdiatique troitement contrl par les autorits. Les reportages montrant Vladimir Poutine aux commandes d'un hydravion ou dialoguant avec une population excde dans les rgions sinistres ont fait l'objet d'une large couverture tlvisuelle, alors que les initiatives des blogueurs n'ont jamais t mentionnes dans les reportages68. De plus en plus, se fait jour une polarisation entre les communauts virtuelles et relles. Certains experts n'hsitent pas parler de l'opposition entre une nation tlvise et une nation web 69. La premire regrouperait l'lectorat du Premier ministre Poutine, compos en majorit de travailleurs et de retraits ; alors que la seconde se compose essentiellement d'une population jeune, urbaine et duque. Par exemple, en 2010, 62 % des 18-24 ans surfaient rgulirement sur le Web soit environ 1,5 fois le taux moyen national chez les adultes. L'ducation est un indicateur aussi rvlateur que l'ge: parmi les individus diplms du suprieur ou en66

Comme le type de rgime politique, le contexte conomique et social ou le taux de pntration des TIC. Lire E. Morozov, The Net Delusion: The Dark Side of Internet Freedom, New York, Public Affairs, 2011. 67 V. Milov, Apolitinij internet [Internet apolitique], , 17 octobre 2011. 68 Entretien avec une experte russe, Moscou, juillet 2011. 69 Entretien avec une experte russe, Moscou, juillet 2011. Lire D. Volkov, Televizor blizhe k narodu [La tlvision est plus proche de la population], Nova Gazeta, 3 mars 2011, et Russia Should Not Miss its Chance: Development Scenarios , , Analytical Report, novembre 2011, p. 17.

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passe de l'tre, 55 % utilisent Internet, compars aux 17 % de ceux qui ont arrt leurs tudes au lyce. Dans les grands centres urbains que sont Moscou et Saint-Ptersbourg, le taux de pntration d'Internet est de 65 %, tandis que presque trois fois plus de Russes (84 %) regardent la tlvision70. La tlvision, qui ne dfie pas le pouvoir, demeure ainsi le mdia numro un en Russie. Son auditoire se dplace pour voter, ce qui est moins le cas des jeunes urbains, qui constituent le noyau de la blogosphre active. Le foss entre ces deux segments de la population pose galement la question de linfluence relle des blogueurs-activistes. Ainsi, Alexe Navalny, prcdemment cit, ntait connu que par 6 % de la population russe avant les lections lgislatives de dcembre (alors quil sest fait virtuellement lire maire de Moscou en 2010 aprs lviction de Youri Loujkov). Cependant, 30 % des personnes interroges par un sondage du Centre Levada connaissaient son slogan le plus clbre : Russie unie, le parti des voleurs et des escrocs 71.

Une socit indiffrente au politiqueNos entretiens Moscou conduisent avancer lide dun degr de maturit politique insuffisant mais mergeant de la socit russe. D'une part, le Runet ne chercherait pas changer la ralit72. Ainsi, la blogosphre tend reflter les principales caractristiques de la socit russe : une attitude ngative envers les institutions officielles et une forte dpendance lgard de lenvironnement immdiat comme source dinformation73. Ainsi, la hirarchie de la socit russe se reflterait dans la blogosphre. La plateforme de blogs LiveJournal, trs populaire, est devenue un systme trs segment avec, dun ct, des blogueurs influents (une vingtaine) et, de lautre, une masse dinternautes. Pour avoir une voix dans ce systme, un blogueur populaire doit parrainer un blogueur ou promouvoir un lien (un sponsor, par exemple)74. ces facteurs dexplication, certains observateurs ajoutent le mode de communication propre aux internautes russes. Sur la blogosphre foisonne un discours informel parfois injurieux, souvent cynique et humoristique, que lon pourrait comparer dune certaine manire aux Internet v Rossii [Internet en Russie], Projet Mir Interneta , Fondation opinion publique, automne 2011. Discussion de l'auteur avec le responsable de ce projet, Moscou, juillet 2011. 71 Sminaire international, op. cit. [7]. 72 F. Fossato, Russian Cyberspace Reflecting, Not Changing Reality , , 6 mars 2009. 73 E. Panenko, Integraci Internet-SMI i socialnyh setej v Runete : nova publina sfera ili prostranstvo kontrol? [La convergence des nouveaux mdias et des rseaux sociaux sur le Runet : une nouvelle sphre publique ou un espace contrl ?], Digital Icons, n5, 2011. Entretien avec l'auteur, Moscou, juillet 2011. 74 Pour une lecture politique de LiveJournal, lire : H. McLeod, Examining Political Group Membership on LiveJournal , Digital Icons, vol. 1, n 1, 2009.70

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discussions de cuisine de lpoque sovitique, qui nont pas pour objectif de faire front contre ltat mais plutt de se constituer un rseau personnel se substituant des institutions peu fiables et inefficaces75. Sur les blogs, les deux figures de lexcutif sont trs rgulirement moques : Medvedev est parodi sur Twitter par KermlinRussia , un compte satirique. Aprs avoir renonc effectuer un second mandat en septembre dernier, il est dornavant associ au qualificatif de pitoyable Contenir les critiques lgard du sur Twitter, alors que Poutine y est pouvoir sur le Web apparat comme affubl du mot cl botox , en lapproche privilgie jusque l par rfrence sa suppose rcente mue les autorits physique. Dune manire gnrale, les faux comptes Twitter de personnalits politiques ou historiques russes se multiplient76, crdibilisant ainsi largumentaire de lutilisation du Web comme dfouloir , ce que ne manque pas de rappeler la classe politique. D'autre part, certains experts pointent la profonde indiffrence des Russes l'gard du politique, laquelle se prolonge sur la Toile77. L immobilit agressive 78 moins vrai depuis dcembre de la socit russe reprsente un atout certain pour les autorits, qui cultivent le cynisme et l'apathie de leurs concitoyens. Celles-ci s'accommodent fort bien, d'ailleurs, des possibilits dinteractions illimites offertes par le Web. Elles considrent, dans le fond, que les blogueurs vivent dans un monde parallle, inoffensif sur le plan politique. Concrtement, les blogs seraient utiliss par ltat comme un moyen de canaliser les opinions critiques tout en conservant intact un systme politique autoritaire. Crer un groupe sur Facebook sur telle catastrophe cologique en Russie nest gure susceptible de mobiliser les masses pour linstant. La priorit de lexcutif est de ne pas rompre le pacte tacite nou au dbut des annes Poutine : stabilit et croissance conomique en change dun rtrcissement des liberts publiques79. Pour cette raison, les autorits nont quasiment pas ragi aux rvoltes dans le monde arabe, au risque douvrir une brche sur le Web. Contenir les critiques lgard du pouvoir parfois trs virulentes sur le Web apparat comme lapproche privilgie jusque l par les dirigeants russes80.

E. Gorny, A Creative History of the Russian Internet, Sarrebruck, VDM Publishing, 2009. 76 A. Sidorenko, Russia: The Fake Political Twitter Account Phenomenon , , 25 janvier 2012. 77 M. Lipman, A Society of Political Indifference , in N. Bubnova (dir.), 20 Years without the Berlin Wall. A Breakthrough to Freedom, Moscou, Carnegie Moscow Center, 2011, p. 83-89. 78 S. Greene, Rossi 2020 : cenarii razviti : Nepodvizhnoe obschestvo [Russie2020 : Scnarios pour le futur : socit immobile], , 4 mai 2011. 79 Entretien avec un universitaire russe, Moscou, juillet 2011. 80 Entretien avec une experte russe proche des milieux gouvernementaux, Moscou, octobre 2011.

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Plus gnralement, les nouveaux mdias pourraient rendre les citoyens plus passifs, en les amenant confondre rhtorique en ligne et action politique81. Le web activisme ne participerait ainsi qu la construction de liens superficiels entre les internautes, peu propices la prise de risque inhrente tout activisme politique82.

Vers un contrle plus troit pendant le cycle lectoral ?Les chances lectorales de dcembre 2011 et mars 2012 ont plac et placent la Russie dans un contexte politique tendu. Les rvoltes arabes de lanne 2011 ont cr un sentiment danxit palpable chez les autorits russes, qui ont dvelopp, autour du Web, un discours empreint la fois de tension et de ralisme.

Avant les lgislatives : angoisse et msinterprtationL'anne 2011 a fait apparatre un cyberespace sous haute tension. L'affaire WikiLeaks et, surtout, les vnements du printemps arabe, ont eu des rpercussions dans la vie politique russe tout autant qu'ils ont montr le dcalage des autorits quant aux ralits du Web83. Par dessus tout, la frange conservatrice du pouvoir craint une contagion des rvoltes du monde arabe la Russie. Les mdias et rseaux sociaux, qui ont permis de structurer la mobilisation et la contestation en Tunisie et en Egypte, font l'objet d'un discours officiel de plus en plus anxiogne au fur et mesure que les chances lectorales en Russie approchent, ainsi que d'initiatives sur le plan international. Ainsi, en mai 2011, l'Assemble interparlementaire des Etats membres de la CEI a publi un projet de loi intitul Sur le dveloppement d'Internet . En septembre, avec la Chine, l'Ouzbkistan et le Tadjikistan, la Russie a propos au Secrtariat gnral de l'ONU un document intitul Code de conduite international pour la scurit de l'information 84. LOrganisation duS. Aday, et. al., Blogs and Bullets: New Media in Contentious Politics , US Institute of Peace, Peaceworks n 65, 2010. 82 M. Gladwell, Small Change: Why the Revolution Will Not Be Tweeted , The New Yorker, 4 octobre 2010. 83 Entretien avec un expert russe, Moscou, octobre 2011. 84 International Code of Conduct for Information Security, United Nations General Assembly, A/66/359, 14 septembre 2011. Ce document demande notamment aux signataires de s'engager rduire la dissmination de l'information qui incite au terrorisme, au scessionnisme ou l'extrmisme, ou qui nuit la stabilit politique, conomique et sociale d'autres pays, comme leur environnement spirituel et culturel .81

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trait de scurit collective (OTSC), par la voix de son prsident, a annonc vouloir contrler les rseaux sociaux et les connections mobiles afin d'viter des troubles publics85. Quelques jours plus tard, le Conseil de scurit russe et le ministre des Affaires trangres russe, ainsi que des reprsentants de 52 pays, ont produit un projet de dix-huit pages d'une convention onusienne intitule Assurer la scurit de l'information dans le monde . Les autorits russes justifient cet activisme rglementaire par la militarisation d'Internet86 et par le potentiel du numrique dans la dstabilisation des Etats 87. Se fait jour Moscou un discours officiel hautement critique lencontre de ladministration amricaine : pour les dirigeants russes, les lois en matire de vie prive en ligne et de protection des droits dauteur aux Etats-Unis entrent en contradiction avec les objectifs de libert numrique promus dans les discours dHillary Clinton88. Sur la scne intrieure russe, le ministre de l'Intrieur, Rachid Nourgaliev, est le plus haut responsable russe s'tre exprim en faveur de restrictions sur Internet89. Le Procureur gnral, Iouri Chaka, a, lui, dclar que le contrle de La frange conservatrice du l'activit des rseaux sociaux tait pouvoir craint une contagion des rendu ncessaire dans l'intrt de la rvoltes du monde arabe la protection des liberts civiques 90. Russie Aprs les lections lgislatives, il a dclar que la popularit des rseaux sociaux en Russie profitait souvent aux citoyens extrmistes 91. Le parti Russie unie cherche galement se positionner sur ces sujets en amont des lections. Selon un expert russe, proche des cercles au pouvoir, il n'y a pas eu un seul meeting sur le sujet des lections o le nom de Navalny n'ait t prononc, et o des parallles conspirationnistes avec

Russian-Led Security Body to Monitor Social Media in Wake of Arab Spring , RFE/RL, 15 septembre 2011. 86 Il s'agit d'une rfrence la cration du Cyber Command amricain, que les reprsentants des structures de force russe peroivent avec anxit. Entretien avec un expert russe, Moscou, octobre 2011. 87 E. ernenko, A. Gabuev, Rossi ukazala vyhod dl Interneta [La Russie montre la sortie dInternet], Kommersant, 23 septembre 2011. 88 Le ministre des Tlcommunications, Igor Chtchegolev, dveloppait dans une rcente tribune la controverse entourant ladoption de la loi SOPA aux Etats-Unis. Cette loi vise largir les capacits dapplication du droit dauteur pour lutter contre sa violation en ligne et les contrefaons, et prvoie une srie de mesures lencontre des sites contrevenants. Ses dtracteurs la qualifient de censure numrique . I. egolev, Miru nuen kodeks povedeni v seti [Le monde a besoin dun Code de bonne conduite pour le Web], Vedomosti, 20 janvier 2012. 89 Il a appel empcher les jeunes d'tre influencs par l' extrmisme sur le Web. T. Balmforth, Russian Interior Minister Alarms Bloggers, Calls for Greater Internet Controls , RFE/RL, 5 aot 2011. 90 P. ikov, D. Kolbasin, Zakruivanie virtualnykh gaek [Serrage de vis virtuels], Moskovskiye Novosti, 27 septembre 2011. 91 I. Egorov, Del mnogo [Un grand nombre de dossiers], Rossijska gazeta, 12 janvier 2012.

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l'Afrique du Nord n'aient t faits 92. Les principales proccupations de Russie unie sont de limiter la circulation d'informations ngatives capables d'influencer le rsultat des lections et d'empcher le Web de devenir un outil de rassemblement des masses. Au Forum Seliger de l't 2011 un rassemblement ducatif de jeunes, organis sur une base annuelle par l'Agence fdrale pour la jeunesse deux des sminaires ont directement voqu de telles dmarches93. La ractivit des autorits s'exprime galement sur le plan lgislatif, avec une profusion d'appels d'offres manant d'organes de l'Etat. Ainsi, en avril, le porte-parole du gouvernement a-t-il mis le souhait d' tudier les expriences trangres en matire de rgulation d'Internet , dont la Chine. En octobre, le ministre de la Justice a rendu public un appel d'offres pour l'achat d'un systme de surveillance de contenus en ligne dans le but de consigner les informations publies sur le ministre et ses reprsentants, ainsi que sur le prsident et le premier ministre94. Enfin, la mme priode, un organe du ministre des Tlcommunications a annonc le lancement en dcembre un systme de surveillance des contenus provenant de sites enregistrs comme mdias en ligne et les commentaires, except les blogs et les rseaux sociaux95. Cette conjonction de dclarations au plus haut niveau de l'Etat et de projets laisse entendre qu'une rgulation plus pousse du Web est en train de se produire. Cependant, la diffrence des pays arabes, la Russie possde une lite unifie, n'a pas une jeunesse duque souffrant d'un chmage de masse, et a dj prouv sa capacit de rsilience dans des contextes de crise majeure96. De plus, les autorits russes sont parfaitement conscientes du danger que reprsente pour leur maintien au pouvoir une perturbation du fonctionnement des mdias en particulier le Web. Pour ces raisons, la nervosit des autorits sur le numrique doit plus se lire comme la traduction d'une angoisse et d'une msinterprtation de ce que reprsente le Web que comme une volont d'tablir une censure massive du Runet.

Entretien avec un expert russe, Moscou, octobre 2011. Sponge Bob Goes to War ,

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Le Web en Russie : de la virtualité à la réalité politique ?