28
ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES Marc FIEVET leçons d’économie leçon 3 1 LEÇON 3 : LE FONCTIONNEMENT DES MARCHES MACRO-OBJECTIFS (dossier pédagogique de l’UE) 1. présenter et d’analyser de manière critique les principaux mécanismes économiques : l’offre et la demande sur les marchés ; 2. analyser et confronter les fondements des principaux mouvements théoriques (classique, néoclassique, ...) en saisissant leurs relations avec les phénomènes politiques et sociaux. OBJECTIFS : Au cours de cette leçon, l’étudiant va : 1. observer comment la fixation autoritaire des prix entraîne des perturbations sur le marché ; 2. analyser comment les taxes créent des effets pervers ; 3. étudier le principe de la discrimination des prix ; 4. découvrir la nature des marchés oligopolistiques ; 5. appréhender les notions de la théorie des jeux et ses applications à l’oligopole ; 6. examiner quelques stratégies possibles en oligopole ; 7. examiner quelques problèmes posés par la non-transparence du marché (information imparfaite). PLAN : SECTION 1 : STRUCTURES DE MARCHE. SECTION 2 : CONTOURNER LE MARCHE ? SECTION 3 : LES MARCHES IMPARFAITS Sous section 1 : la discrimination par les prix Sous section 2 : les marchés oligopolistiques Sous section 3 : l’information imparfaite POUR EN SAVOIR PLUS : Fiche de lecture 1/3 : LE MONOPOLE : QUI ET POURQUOI ? 2/3 : DE LA PLANIFICATION AU MARCHE

LEÇON 3 : LE MARCHE CONCURRENTIEL - Namur 2016 03.pdf · Au cours de cette leçon, l’étudiant va : 1. observer comment la fixation autoritaire des prix entraîne des perturbations

  • Upload
    dolien

  • View
    219

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

1

LEÇON 3 : LE FONCTIONNEMENT DES MARCHES

MACRO-OBJECTIFS (dossier pédagogique de l’UE) 1. présenter et d’analyser de manière critique les principaux mécanismes économiques : l’offre et la demande sur les marchés ; 2. analyser et confronter les fondements des principaux mouvements théoriques (classique, néoclassique, ...) en saisissant leurs relations avec les phénomènes politiques et sociaux. OBJECTIFS : Au cours de cette leçon, l’étudiant va : 1. observer comment la fixation autoritaire des prix entraîne des perturbations sur le marché ; 2. analyser comment les taxes créent des effets pervers ; 3. étudier le principe de la discrimination des prix ; 4. découvrir la nature des marchés oligopolistiques ; 5. appréhender les notions de la théorie des jeux et ses applications à l’oligopole ; 6. examiner quelques stratégies possibles en oligopole ; 7. examiner quelques problèmes posés par la non-transparence du marché (information imparfaite). PLAN : SECTION 1 : STRUCTURES DE MARCHE. SECTION 2 : CONTOURNER LE MARCHE ? SECTION 3 : LES MARCHES IMPARFAITS Sous section 1 : la discrimination par les prix Sous section 2 : les marchés oligopolistiques Sous section 3 : l’information imparfaite POUR EN SAVOIR PLUS : Fiche de lecture 1/3 : LE MONOPOLE : QUI ET POURQUOI ? 2/3 : DE LA PLANIFICATION AU MARCHE

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

2

SECTION 1 : STRUCTURES DE MARCHE.

Objectif 1 : découvrir les différentes structures de marchés

Les modalités selon lesquelles se rencontrent offreurs et demandeurs d'un bien diffèrent selon

les STRUCTURES DE MARCHE, qui influencent la formation des prix. Nous avons vu lors de

la leçon précédente que les économistes classiques avaient adopté une classification

dichotomique de ces structures : d'une part la CONCURRENCE (qualifiée de "pure" ou

"parfaite"), et d'autre part le MONOPOLE.

Cette classification a prévalu jusqu'au début des années 1930; mais suite aux travaux

d'Edward CHAMBERLIN1 et de Joan ROBINSON2, elle a été progressivement étendue pour

tenir compte de la réalité économique, où les marchés prennent souvent des formes

intermédiaires entre la concurrence et le monopole ; en même temps, on a cessé de

considérer la concurrence parfaite comme un "must", le régime le plus satisfaisant du point

de vue social.

LA CONCURRENCE PARFAITE … UNE UTOPIE ???

Rappelons les caractéristiques d'un marché de concurrence parfaite : ATOMICITE DE

L'OFFRE ET DE LA DEMANDE, TRANSPARENCE DU MARCHE, HOMOGENEITE DES PRODUITS, MOBILITE

DES FACTEURS.

si le marché peut fréquemment être considéré comme « atomique » dans le cas de la

demande, il n'en va pas de même du côté de l'offre, où des entreprises se retrouvent

en position dominante, ou recherchent cette position ;

la transparence n'est pratiquement jamais réalisée ; en particulier, les

consommateurs sont généralement mal informés sur le prix des biens ; les producteurs

peuvent profiter de cette ignorance pour augmenter impunément leurs tarifs ;

différenciation et hétérogénéité caractérisent la plupart des biens de consommation et

des services utilisés par les ménages ; le producteur d'une marque déterminée jouit d'un

certain « monopole » ; bien que cette situation soit précaire face à la concurrence, elle lui

permet néanmoins d'exercer une certaine influence sur les prix ;

la mobilité est loin d'être parfaite : différentes barrières empêchent l'accès au marché

des candidats producteurs : accès à la profession, disponibilité des capitaux, numerus

clausus, positions dominantes, ... En outre, si le capital (financier) est assez mobile, il

n'en va pas de même du facteur travail, notamment pour cause de formation et de

qualification.

1 Edward CHAMBERLIN (1899-1967), économiste américain, Theory of Monopolistic Competition (1933)

2 Joan ROBINSON (1903-1983), économiste britannique, The Economics of Imperfect Competition (1933)

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

3

DU MODELE DE CONCURRENCE AU MONDE REEL

Résumons nos constatations :

dans la réalité, les positions dominantes sont légion3, et les entreprises doivent anticiper

les actions et réactions de leurs concurrents ;

Les entreprises en position dominante sont dites PRICE-MAKERS.

les agents ne sont pas parfaitement informés ; l’information est souvent asymétrique et

coûteuse, et le prix sert parfois de seule référence pour juger de la qualité d’un produit ;

dans la réalité, les externalités4 impliquent que les transactions ne tiennent pas compte

de tous les coûts et de tous les bénéfices ; de même, certains marchés peuvent ne pas

exister (on parle de marchés manquants, souvent comblés par les services publics),

alors que dans le modèle d’équilibre général, tous les marchés sont supposés exister ;

enfin, si les marchés concurrentiels assurent une allocation efficace des ressources, la

répartition des revenus qui en découle peut être socialement inacceptable.

STRUCTURES REELLES DE MARCHES « IMPARFAITS »

TABLEAU DE STACKELBERG5

Dem. offre Un seul vendeur Quelques vendeurs Grand nombre ..

Un seul acheteur Monopole bilatéral Monopsone contrarié Monopsone

Quelques acheteurs Monopole contrarié Oligopole bilatéral Oligopsone

Grand nombre Monopole Oligopole Concurrence parfaite

Type Condition(s) non respectées Commentaires

Monopole/Duopole Atomicité 1/2 offreur(s)

Oligopole Atomicité Quelques offreurs

Concurrence monopolistique Homogénéité Marques

Oligopole différencié Atomicité + homogénéité Quelques offreurs

Ces situations seront analysées à la section 4.

3 « Catégorie intermédiaire entre la concurrence parfaite et le monopole, l'oligopole admet un nombre très varié de situations, ce

qui rend difficile une théorie unifiée simple ; il faut envisager la diversité des poids relatifs des divers concurrents et celle des

comportements compétitifs. L'oligopole peut recouvrir aussi bien des collusions, dont la description relève du monopole, qu'une

concurrence à couteaux tirés. À cet égard, il convient de noter que la concentration sur un marché donné ne réduit pas

nécessairement la concurrence. (…) Sur les grands marchés internationaux, la structure est définitivement oligopolistique, et le

pays d'origine des oligopoles est le plus souvent les États-Unis. En face, les gouvernements européens semblent avoir renoncé, au

moins pour le moment, à sauvegarder l'atomicité des marchés ; au contraire, pour mieux résister à la concurrence internationale,

ils ont été amenés à favoriser la concentration en oligopoles » (Encyclopaedia Universalis, article par M. LUTFALLA,

www.universalis.fr) 4 Une externalité (ou effet externe) est un avantage ou un inconvénient (sans compensation monétaire) résultant pour une tierce

personne d’une opération économique entre d’autres agents ; ce problème sera exposé dans la leçon 4. 5 Baron Heinrich von STACKELBERG (1905-1946), économiste allemand, Marktform und Gleichgewicht (structures de marché

et équilibre) (1934).

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

4

SECTION 2 : CONTOURNER LE MARCHE ?

Objectif 2 : observer comment la fixation autoritaire des prix entraîne des perturbations sur

le marché.

POURQUOI « EVITER » LES MECANISMES DU MARCHE ?

Le mécanisme du marché concurrentiel a suscité de très nombreuses critiques, notamment

parce qu'il ne prend pas en compte la notion de « justice sociale ». Ainsi, l'optimum de

Pareto (ou « walrasso-paretien ») peut parfaitement être atteint, alors que nombre de

consommateurs ne peuvent s'offrir certains biens parfois essentiels, pour cause de contrainte

budgétaire, tandis que d’autres, mieux nantis, nourrissent leur chat de caviar ou de foie gras.

Dès lors, certains ont imaginé CONTOURNER LE MARCHE, voire instaurer un système éludant les

mécanismes que nous avons décrit. L'idée est qu'un bon leader, armé d'une batterie

d'ordinateurs, peut planifier l'économie, et faire ainsi mieux que le marché.

L'exemple des pays de l’Europe orientale, et en particulier de l'ex-URSS6, a été

particulièrement édifiant à cet égard : toutes leurs économies ont été pendant des décennies

(URSS : 1917-1991) organisées comme des économies de pénurie, en ce sens que la

planification, en imposant des prix délibérément trop bas pour des biens courants, a créé des

excès de demande, et donc un rationnement des demandeurs.

Par ailleurs, des interventions étatiques peuvent très bien créer des excès d'offre,

comme la PAC7 dans l’Union Européenne (UE) : pour protéger les revenus des agriculteurs,

on a fixé des prix planchers qui n'incitent nullement à restreindre l'offre, puisque le

producteur est sûr d’écouler toute sa production à ce prix, d’où alors la nécessité d’une

politique de QUOTAS8. Et encore faut-il que la demande soit au rendez-vous9.

Il est intéressant de se pencher à présent sur l'une ou l'autre application de la loi de l'offre et

de la demande : fixation autoritaire des prix, rationnement, fiscalité indirecte.

6 Un organisme d’Etat, le GOSPLAN, y décidait de toute l’activité économique, par le biais de plans quinquennaux qui imposaient

à toutes les entreprises des objectifs de production purement quantitatifs, sans tenir compte des besoins réels et des préférences des

consommateurs. Le plan décidait également de l’affectation des travailleurs, du niveau des salaires et des prix. Dans ce cadre, la

monnaie nationale ne représentait qu’une simple unité de compte, et non un pouvoir d’achat réel. 7 PAC : Politique Agricole Commune, accordant des aides aux agriculteurs afin d’assurer la compétitivité de l’agriculture

européenne, la sécurité des approvisionnements et un revenu décent pour les agriculteurs. En 2012, plus de 40% du budget de

l’UE y était consacré, au détriment d’autres affectations, nécessitant une réforme … douloureuse. 8 Quotas qui font d’ailleurs l’objet d’un … marché, certains agriculteurs les revendant à d’autres.

9 Un exemple typique : suite aux manifestations d’éleveurs en août 2015, le gouvernement français a fixé un prix plancher pour le

porc ; résultat : deux grands industriels refusent de participer à la cotation, qui est suspendue ; ils préfèrent le porc allemand ou

espagnol, moins cher, et les éleveurs français se retrouvent avec des animaux … invendables et coûteux.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

5

LA FIXATION AUTORITAIRE DE PRIX PLAFONDS

Un gouvernement veut garantir l’accès des moins nantis à certains produits de base, en fixant

d'autorité les prix maximum de vente (prix plafond). Prenons par exemple le cas du pain, et

imaginons que dans un contexte concurrentiel, son prix naturel d'équilibre soit de 1,25 €.

Notre gouvernement, estimant ce prix « socialement » trop élevé, le ramène arbitrairement à

1 €. La conséquence première sera que les boulangers vont fabriquer moins de pain (voir

plus du tout, si le prix fixé se situe SOUS la courbe d’offre, qui est une courbe de Cm) ; il y

aura distorsion entre l'offre et la demande (RATIONNEMENT DES DEMANDEURS : QS < QD).

p

S

E

1,25 €

D

1,00 €

QS QD Q

Pour tenter de résoudre ce problème, le gouvernement dispose en fait de trois solutions : LA

COERCITION, LA PLANIFICATION GENERALE DES PRIX, OU LE SUBVENTIONNEMENT.

Un dictateur peut se contenter d'imposer aux boulangers de produire un certain quota de

pains, en faisant fusiller ou emprisonner les récalcitrants ; il ne restera alors aux boulangers

qu'à essayer d'adapter leurs coûts au nouveau prix, en réduisant la qualité de leurs produits,

en exploitant leurs ouvriers, ... Cette solution « politiquement incorrecte » pénalisera tout un

secteur de l'économie ; QUI demain voudra encore devenir boulanger ?

La seconde solution consiste à étendre le contrôle des prix sur les inputs (farine, produits

laitiers, matériel, énergie, salaires,...), et, pour ne pas les pénaliser outre mesure, sur les

produits alternatifs. Comme on le voit, cette solution tend effectivement vers une

PLANIFICATION GENERALE DES PRIX, y compris ceux des facteurs de production. Le marché

n'a plus alors aucun rôle à jouer dans la formation des prix. Cette solution implique une

surveillance totale de l'économie à l'aide d'une armée de fonctionnaires, afin d'éviter tout

dérapage. En outre, la fixation arbitraire des prix modifie la perception qu'ont les

consommateurs des prix relatifs, et donc leur comportement.

La troisième solution, qui apparaît à d'aucuns comme la plus simple, consiste à PAYER AUX

BOULANGERS UNE SUBVENTION égale à la différence entre le prix fixé et le prix naturel du

marché, soit 0,25 €. Remarquez que si c'est le producteur qui reçoit la subvention, c'est en

fait le consommateur qui est subventionné.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

6

p

S

E

1,25 €

Subv. D

1,00 €

QS1 QS2 QD Q

On constate que malgré la subvention (pour atteindre le prix naturel du marché), il reste un

excès de demande (QS a augmenté, mais QD n’a pas baissé). La question se pose dès lors

de savoir quels vont être les consommateurs comblés : les lève-tôt, ou les copains du

boulanger ? Ce qui est classique dans ce cas, c'est l'apparition d'un marché noir où le pain

pourra être acheté, mais à un prix supérieur à 1,25 € (c’est une application de la notion de

surplus du consommateur). De plus, le subventionnement génère des problèmes d'ordre

macro-économique, en particulier celui des finances publiques dans son ensemble ;

lorsqu'il s'agit de subsidier des produits de base, largement consommés, on se heurte à la

difficulté du mode de financement : soit il faut pénaliser d'autres secteurs, ou les agents à

haut revenu, par une fiscalité excessive, soit les pouvoirs publics recourent à l'endettement,

surtout extérieur, et les conséquences à long terme sur les variables macro-économiques

agitent tôt ou tard le spectre de la VERITE DES PRIX10.

Face à cet excès de demande, le rationnement, par exemple à l'aide de cartes, tel qu'on l'a

connu en temps de guerre, apparaît comme une issue socialement correcte, car il a le mérite

de réduire a priori les effets de l'inégale distribution des richesses. Par contre, il présente

l'énorme désavantage de restreindre la liberté de choix des individus : chacun reçoit une

carte de rationnement pour les différents produits disponibles, y compris pour ceux qu'il

n'apprécie pas. Un palliatif peut être trouvé, en transformant la carte en points d'achat et en

fixant ainsi en quelque sorte le montant du revenu que le consommateur peut affecter aux

produits rationnés ; leur prix est fixé non seulement en argent, mais aussi en points ; si l'on

constate qu'un produit est trop demandé, il suffit de monter son prix en termes de points, ce

qui n’est rien d’autre qu’un mécanisme de marché !!!

Ce système n'empêche pas le développement d'un marché parallèle qui ne présente pas

que des inconvénients, dans le sens où il incite les individus à travailler pour obtenir l'argent

nécessaire à ces achats complémentaires. Les problèmes posés par le marché noir sont

d'une part qu'il détourne des ressources productives du circuit normal, en y appauvrissant la

qualité de la production, et d'autre part qu'il accentue les inégalités sociales.

Le PLAFONNEMENT DES PRIX reste pour nos politiciens une mesure séduisante, car elle donne

l'impression que chacun peut ainsi s'offrir le bien ou le service concerné. Mais qu'en est-il

réellement ?

10

L’application de la « vérité des prix » sur des denrées alimentaires a par exemple généré de violentes émeutes au Maroc et en

Tunisie en 1981 et 1984. Ce problème y reste d’actualité. En Tunisie, en 2010, la part de la subvention sur les principaux

produits alimentaires variait de 30% à près de 60% (30% sur la baguette, 56% sur la semoule ; Institut National de la Statistique

de Tunisie, juin 2013). En janvier 2014, le FMI (Fonds Monétaire International, leçon 9) recommandait encore à l’Algérie de

supprimer les subventions aux produits alimentaires et énergétiques.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

7

LE LEURRE DU CONTROLE DES LOYERS11

Dans nombre de grandes villes de par le monde, des lois régissent le CONTROLE DES LOYERS.

Le cas est classique : la forte demande de logements, face à une offre souvent insuffisante,

fait monter les loyers à un niveau intolérable pour les classes défavorisées, voire même pour

les classes moyennes. Les responsables politiques fixent pour certaines catégories

d’immeubles un loyer-plafond (p2 dans notre graphique), permettant aux moins nantis de se

loger décemment. Néanmoins, en pratiquant de la sorte, on crée artificiellement de la rareté

(QD-QS) : = pénurie de logements !

p

S D S S’

E

p1

D

p2

QS QD Q QS* QS QD Q

Effet à court terme Effet à long terme

Pire : le problème va s'aggraver à long terme (graphique de droite). En effet, alors que

l'offre de logements est rigide à court terme, elle devient élastique à long terme (S ► S’) ; la

quantité d'appartements offerts au prix p2 baisse, car sans incitation les propriétaires ne sont

pas encouragés à investir à ce prix ; la pénurie se généralise (QD-QS*) ; on se rend compte

que les locataires en place jouissent d'une sorte de rente de situation, tandis que les

propriétaires des immeubles au loyer non régulé bénéficient d’une rente au sens ricardien du

terme12, ce qui induit une inégalitaire répartition des richesses à leur profit.

En outre, il n’est pas rare, dans cette situation, de voir le propriétaire dont le bien se libère

« inciter » les candidats locataires à lui verser un dessous de table (pas-de-porte) pour être

l’heureux élu !!! La loi pénalise ainsi les plus pauvres, ceux qui n'ont pas les moyens de

payer un loyer élevé ou de s'acheter une habitation, les obligeant à s’installer en périphérie

avec chaque jour des heures passées en trajets inconfortables13.

On suivra avec intérêt l’expérience à nouveau menée à Paris dès 2015, où 25% des loyers de logements non

sociaux vont être plafonnés. Notre modèle prédit d’abord un afflux massif de candidats locataires, une rente de

situation pour ceux qui ont un bail, un désintérêt des propriétaires pour leur bien, et à terme une modification dans

la structure de l’offre de logements. Les politiciens, sûrs de leur fait, n’en ont évidemment cure …

11

Lisez à ce sujet l’article du Wall Street Journal du lundi 21 mai 1994, reproduit à la page suivante. 12

Dans ses « Principes d’économie politique et de l’impôt » (1817), Ricardo expose sa théorie de la rente foncière : la croissance

durable de la population et donc de la production (alimentaire) fait monter le prix de la terre (qui devient relativement plus rare par

rapport aux autres biens), et des loyers versés aux propriétaires, qui s’accaparent un part plus importante des revenus au dé triment

du reste de la population. Ce principe peut être aisément transposé dans nos économies contemporaines, notamment en matière de

loyer dans les grandes zones urbaines, ou encore de prix de matières premières se raréfiant (pétrole, …). Sur de longues pér iodes,

il induit une répartition du revenu plus inégalitaire, pouvant engendrer des problèmes économiques, politiques et sociaux. 13

Une solution consiste à construire du logement public à loyer modéré, mais en général le problème d’excès de demande subsiste

et une forme d’injustice risque d’apparaître dans l’attribution de ces logements.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

8

Portefeuille de lecture/3 : le contrôle des loyers

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

9

Objectif 3 : analyser comment les taxes créent des effets pervers

LES EFFETS PERVERS DES TAXES SUR LA PRODUCTION

Jusqu'à présent, nous avons parlé du prix d'un bien en supposant qu'il était issu du

mécanisme de l'offre et de la demande. Or, dans la réalité, le prix à la consommation

inclut les taxes indirectes, imposées par les pouvoirs publics ; certaines de ces taxes

frappent directement la production, d'autres la transaction (telle la TVA). Pour comprendre

comment ces taxes vont affecter l'équilibre, voyons le marché d'un bien, où le prix d’équilibre

se situe à p1, et supposons que le gouvernement instaure sur ce produit une taxe fixe à la

consommation d'un montant t ceteris paribus.

p

D S D A S

p1+t

E p2 E

p1

p2-t

QD QS Q* Q

On comprend que le prix à la consommation ne va pas se fixer à (p1 + t), car à ce niveau, il y a un déséquilibre en

quantité (QS > QD), même en supposant que la taxe n'affecte en rien la courbe d'offre. La taxe réduisant les

quantités demandées, les producteurs vont devoir réduire leur production, en descendant sur leur courbe d'offre (

). Les producteurs vont recevoir un prix inférieur à p1 (p2-t), tandis que les consommateurs paient un prix p2,

inférieur à (p1+t) . = part de la taxe supportée par les producteurs.

La mesure dans laquelle p2 excède p1 dépend des élasticités respectives des

courbes.

Ainsi, si la courbe de demande est très inélastique, ou si la courbe d'offre est très élastique, le nouveau prix p2

incorporera la quasi-totalité de la taxe t ; dans ce cas, on dit parfois que les producteurs sont insensibles à la fiscalité.

C'est là une erreur de raisonnement, car les quantités demandées étant moindres qu'auparavant, les producteurs se

retrouvent avec des capacités excédentaires ; à plus long terme, la capacité de cette industrie sera réduite, afin de

retrouver un taux de return normal sur le capital ; les facteurs non mobiles (par exemple, les travailleurs peu

qualifiés) verront leurs revenus diminuer, ou subiront le chômage. Aussi longtemps que la taxe persiste, les

investissements dans cette branche resteront en dessous de leur seuil optimal. Une taxe à la production produit des

effets identiques; là aussi, le fardeau fiscal est partagé entre offreurs et demandeurs.

Les courbes de demande des biens indispensables sont relativement inélastiques, et la loi d’Engel montre

l’importance de ces biens dans les budgets modestes ; les taxes (TVA , …) sur ces biens seront dans une large mesure

économiquement à charge du consommateur, et sont de ce fait INJUSTES pour les ménages les moins bien nantis.

C’est pourquoi les biens alimentaires sont en général peu taxés, pour ne pas pénaliser les familles modestes … mais

les riches se nourrissent alors aussi à bon compte.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

10

UNE ALLOCATION DES RESSOURCES NON OPTIMALE

Il est maintenant intéressant d'utiliser les outils vus à la leçon 2, à savoir les SURPLUS DU

CONSOMMATEUR ET DU PRODUCTEUR, pour encore mieux comprendre les effets négatifs d'une

taxe. En reprenant le graphique précédent, nous constatons que la recette fiscale encaissée

par l'Etat est égale au montant de la taxe [p2- (p2-t)] multiplié par les quantités vendues

OQ*, soit la somme des rectangles B et D.

Or, sur un marché concurrentiel (prix p1), nous avions défini le surplus du

consommateur comme étant l'aire (A+B+C) et le surplus du producteur comme

étant l'aire (D+E+F).

A

p

S

p2 C

E D

p2-t F

Q* Q

+ = TAXE = surplus restant au consommateur

+ = perte de surplus. = surplus restant au producteur

L'application de la taxe fait passer une partie de ces surplus (B+D) dans la poche de l'Etat, mais engendre en

outre la perte de l'aire C pour le consommateur et celle de E pour le producteur, ce qui rend les pertes de bien-être

des agents supérieurs à la recette fiscale. Les agents ne peuvent réaliser l'intégralité des avantages qu'ils ont à

participer au marché, et celui-ci alloue les ressources de manière moins efficace.

Un dernier exemple typique est l’idée souvent émise de taxer très fortement les produits

de luxe, tels les fourrures, ou les voitures de sport, ce qui apparaît à la fois comme une

décision de bon sens (les riches ont de quoi payer) et comme un acte de justice sociale

(transfert des riches vers les pauvres). Mais que prédit notre modèle en cette matière ?

SI la demande pour ces types de biens est relativement élastique et que l'offre est relativement inélastique

(rigide), la charge fiscale reposera surtout sur les épaules des fabricants, et donc de leurs travailleurs! Voilà le

paradoxe : notre taxe sur les produits de luxe peut in directement frapper ... des ouvriers ! La situation sera

évidemment toute autre si la demande est relativement inélastique.

B

D

B

D

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

11

SECTION 3 : LES MARCHES IMPARFAITS

Objectif 4 : étudier le principe de la discrimination des prix.

Note : le problème traité ici est celui du monopole discriminant. Le raisonnement peut

toutefois s'appliquer à d'autres formes de concurrence imparfaite.

DISCRIMINATION PAR LES PRIX : CLIENTS « DIFFERENTS » = PRIX DIFFERENTS !

La discrimination par les prix consiste essentiellement à imposer des prix différents par

catégories d’acheteurs, et ce pour un même bien ou service. Par exemple, les cinémas

vendent des billets à prix réduit aux étudiants ; les chemins de fer accordent des réductions

aux familles nombreuses, aux jeunes, aux retraités ... La discrimination se base donc sur les

caractéristiques particulières des demandes des acheteurs. La discrimination parfaite

consisterait à vendre chaque unité à un prix différent, en faisant payer à chaque acheteur le

prix le plus élevé qu'il est réellement prêt à payer. Il s'agit là d'une notion théorique utile,

mais qui n'existe pas dans la réalité.

Pour qu’une telle discrimination soit possible, il faut que le bien soit vendu sur des marchés

séparés, soit géographiquement, soit temporellement (exemples : tarifs basse ou haute

saison pratiqués en tourisme, tarifs semaine/week-end...), soit d'ordre socio-économique,

différentes catégories d'acheteurs ayant des revenus et des comportements différents.

DISCRIMINATION & MAXIMISATION DU PROFIT

On peut évidemment se poser la question du « pourquoi ? », car à première vue, une telle

discrimination semble aller à l'encontre de l'objectif de maximisation du profit (baisse de prix

= baisse de profit !). En fait, il n'en est rien : une discrimination bien étudiée peut au

contraire augmenter le profit du producteur ; celui-ci aura intérêt à segmenter son

marché en catégories de consommateurs ayant des caractéristiques de demande différentes.

BUT : CAPTER UNE PARTIE AU MOINS DU SURPLUS DU CONSOMMATEUR !

Diverses stratégies sont possibles. Ainsi, on peut imposer le même prix de base à tous les

consommateurs, tout en accordant des réductions à ceux qui achètent des quantités

importantes. Il est également possible aux entreprises de regrouper leur clientèle en

différentes catégories, et à imposer un prix différent à chacun des groupes ainsi

définis.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

12

Exemples : les cinémas appliqueront des tarifs spéciaux aux retraités et aux étudiants,

sachant que ces groupes de personnes disposent de revenus moins élevés ; une compagnie

aérienne peut proposer des billets à prix réduit pour ceux qui partent le vendredi ou le

samedi et reviennent le dimanche ; ce sont probablement des touristes, qui n’accepteront pas

de payer le prix plein. Voyons comment un exploitant de cinéma peut accroître sa recette à

partir de la demande de deux catégories de consommateur :

Prix unitaire Etudiants et retraités Autres

QD RT Rm QD RT Rm

5,00 0 0 0 1 5 5

4,40 0 0 0 2 9 4

4,00 0 0 0 3 12 3

3,50 1 3,50 3,50 4 14 2

3,00 2 6 2,50 4 12 -2

2,50 2 5 -1 4 10 -2

Ce tableau montre qu'en pratiquant un prix normal de 3,50 € et un prix de 3 € pour les étudiants et les retraités,

le vendeur maximise sa recette totale à 20 € ; résultat avec un prix unique à 3,50 : RT=17,50 ; voyez le

raisonnement en recette marginale (Rm)14.

Attention : il n'est pas question d'accorder des réductions de prix qui, en accroissant les quantités demandées,

amèneraient le producteur à supporter des coûts marginaux croissants supérieurs aux recettes marginales ainsi

dégagées (en devant par exemple organiser une séance supplémentaire).

Prix du billet : 3,50 € - Etudiants et retraités : 3 € ; cette affiche ne constitue pas une

marque de philanthropie de la part de l'exploitant du cinéma, mais bien la recherche d'un

meilleur profit. Autre exemple : dans les magasins de prêt-à-porter, les nouvelles collections

sont mises en vente au prix fort, et le commerçant sait toutefois qu'il n'écoulera pas toute la

collection à ce prix ; qu'importe, puisque la saison se clôturera par des soldes, qui constituent

une forme de discrimination. La demande de ceux qui veulent être « à la mode » est

relativement inélastique, puisqu'ils sont prêts à « mettre le prix » ; par contre, ceux qui

accordent moins d'importance au fait de porter des vêtements dernier cri ont une demande

plus élastique, plus sensible au prix, et ils achèteront lors des soldes.

Toute discrimination repose sur l'élasticité-prix de la demande.

14

Nous avons vu le raisonnement à la leçon 2 : tant que la recette marginale (Rm) reste supérieure au coût marginal (Cm), le profit

. Dans le cas d’un cinéma, le Cm (le coût d’un spectateur supplémentaire) est en principe nul. Donc, tant que Rm > 0, le profit

s’accroît. Le tableau montre bien que pour chaque catégorie de spectateurs, le prix correspondant au profit optimal est celui qui

donne une Rm encore positive.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

13

Objectif 5 : découvrir la nature du marché oligopolistique.

LES MARCHES OLIGOPOLISTIQUES

a) Nous avons défini l’oligopole comme un marché sur lequel évolue un petit nombre

de firmes15, face à un très grand nombre de demandeurs. On parlera :

d’OLIGOPOLE DIFFÉRENCIÉ, lorsque les produits ne sont pas homogènes ;

d’OLIGOPOLE ASYMÉTRIQUE (PRICE LEADERSHIP), lorsqu’une entreprise domine les autres et

d’OLIGOPOLE MÉLANGÉ, s’il y a plusieurs price leaders.

Les entreprises oligopolistiques sont souvent des unités de grande taille, diversifiées,

planifiant et organisant leur croissance ; le progrès technique, la mondialisation et les

imperfections du marché obligent ces entreprises à s'adapter constamment, pour assurer leur

survie à long terme. Il est en général nécessaire qu’elle atteigne et maintenir une taille

suffisante, soit par autocroissance, soit fusions/absorptions, ce qui renforce le caractère

oligopolistique du marché.

L'économiste K.W. ROTHSCHILD16 a écrit que la théorie de l'oligopole a beaucoup à

apprendre de l'ouvrage « De la Guerre » de CLAUSEWITZ17 Les problèmes auxquels ont

à faire face les entreprises en situation d'oligopole sont comparables à ceux qui se posent aux

stratèges militaires. En effet, avant d'opter pour une stratégie déterminée, les experts

militaires doivent toujours se préoccuper des réactions des adversaires potentiels ou réels. Il

en va de même dans les marchés oligopolistiques ; chacun doit surveiller ou prévoir les

réactions des autres. Question : comment analyser les décisions des agents ?

Pour comprendre cela18, imaginons que l’approvisionnement en eau d’un village soit assuré

par deux sociétés, A et B, disposant chacune d’une source (DUOPOLE) ; supposons pour la

facilité du raisonnement que pomper cette eau ne leur coûte rien (le coût marginal d’un litre

d’eau est nul). La demande d’eau s’établit comme suit, aux différents prix ; les coûts étant

nuls, la recette totale cumulée des deux firmes est égale aux quantités demandées x le prix.

Prix/m³ Quantités D Recette totale

30 50 1.500

25 70 1.750

20 90 1.800

17 100 1.700

15 110 1.650

10 130 1.300

5 150 750

15

On utilise un indice de concentration, qui exprime la part de marché totale des quatre plus grandes sociétés du secteur. On

considère qu’il y a oligopole si ce taux atteint au moins 40%. 16

Kurt Wilhelm ROTHSCHILD (1914-2010), économiste autrichien, Price Theory and Oligopoly, in Economic Journal, 1947. 17

Karl von CLAUSEWITZ (1780-1831), général et théoricien militaire prussien, Vom Kriege (1832) 18

Cet exemple est tiré et adapté de G. MANKIW et M. TAYLOR, op. cit., p 411.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

14

Le profit maximum conjoint est atteint pour un prix de 20/m³. Nos deux firmes auraient donc intérêt à

s’entendre et agir en situation monopolistique, en produisant chacune 45 m³ et en encaissant un profit de 900, au

détriment des consommateurs, puisque le prix de vente est de loin supérieur au coût marginal ! Toutefois, chacune

a tendance à poursuivre son intérêt individuel ! Mettons nous à la place du PDG de A : B produit 45 m³, je vais en

produire 55, mais pour vendre les 100 m³, le prix chute à 17. N’empêche : je vais réaliser un profit de (55 x 17) = 935

(au lieu de 900). Comme il y a de fortes chances que le PDG de B raisonne de la même manière (appât du gain

oblige), la production va passer à 110 m³, et le prix va tomber à 15/m³ ! Dans ce cas, le profit de chaque firme tombe

à 825 (au lieu de 900). Intuitivement, nous comprenons qu’ils ne vont pas poursuivre cette guerre des prix.

Comment expliquer leur stratégie ???

LA THEORIE DES JEUX ET LE DILEMME DU PRISONNIER

Objectif 5 : appréhender les notions de la théorie des jeux et ses applications à l’oligopole.

La THEORIE DES JEUX est une METHODE D'ANALYSE DES SITUATIONS D'INTERACTIONS

STRATEGIQUES, conçue par John von NEUMANN19. Cette théorie peut sans problème

s'appliquer à toutes sortes de jeux : situation à caractère politique ou social, conflit entre

entreprises, ...

Règles Stratégies Gain

Environnement économique, politique, social

maximisation du profit

législations

courbe de demande

technologie, coût des facteurs de production

Actions possibles sur

la production

les prix

la publicité …

Bénéfices ou

pertes

Sur un marché oligopolistique, chaque entreprise sait que son profit dépend de sa production,

mais aussi de celle des autres. Chaque fois qu’elle prend une décision, elle doit s’interroger

quant aux réactions des autres firmes. Un jeu bien connu, le « DILEMME DU PRISONNIER »,

décrit certaines situations fondamentales du duopole, cas particulier d’oligopole (exemple :

Boeing – Airbus, …) ; il démontre notamment la difficulté de maintenir la coopération entre

les protagonistes.

Imaginons la situation suivante : le fringant Rudy et la belle Hélène ont été pris par la police

en flagrant délit de vol de voiture, pour lequel la peine encourue est de trois ans de prison.

Mais … il y a un cadavre dans le coffre, sans que les policiers n’aient là une preuve de leur

culpabilité. L'idéal serait que l'un des deux complices au moins avoue.

19

John von NEUMANN (1903-1957), mathématicien americano-hongrois, pionnier de la conception des premiers ordinateurs et

du « numérique » ; l’architecture « von Neumann » est toujours utilisée aujourd’hui. Theory of Games and Economic Behavior

(1944 - avec Oskar MORGENSTERN, économiste américain, 1902 - 1977). Les prix Nobel 2005 Robert AUMANN (1930 –

Université hébraïque Jérusalem) et Thomas SCHELLING (1921 – Université du Maryland) ont développé une théorie de

« décision interactive », extension de la théorie des jeux, pour expliquer les conflits économiques.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

15

Les policiers les enferment dans des pièces séparées, et leur expliquent la situation : compte

tenu des soupçons qui pèsent sur eux, s'ils avouent le meurtre, ils prendront 15 ans de

prison. Si l'un avoue, en dénonçant l'autre, sa peine sera ramenée à un an, tandis que l'autre

écopera de 30 ans. Si aucun n'avoue, ils prendront 3 ans pour le vol de voiture. Ainsi sont

fixés les règles du jeu, les stratégies (avouer ou nier) et les « gains » (les années

de prison). Construisons la matrice des gains :

STRATEGIES DE RUDY STRATEGIES D'HELENE

AVOUER NIER

AVOUER HELENE 15 ans 30 ans

RUDY 15 ans 1 an

NIER HELENE 1 an 3 ans

RUDY 30 ans 3 ans

Chaque prisonnier se trouve ainsi confronté à un dilemme. Si chacun nie, ils ne prendront

que 3 ans. Mais voilà : l'autre niera-t-il ? CHACUN SE POSE DONC LA QUESTION DE L’ATTITUDE

DE L’AUTRE. Pour résoudre ce dilemme, il faut trouver l'équilibre du jeu, le concept le plus

utilisé étant celui de John F. NASH20. On appelle équilibre de NASH une configuration de

stratégies telle qu'aucun joueur n'a intérêt à modifier la sienne, étant donné celles adoptées

par les autres. Donc Hélène doit prendre la meilleure décision possible, compte tenu de la

décision de Rudy ; il en va de même pour ce dernier, mutatis mutandis.

Ce jeu présente un équilibre particulier appelé équilibre en stratégies dominantes; un

joueur dispose d'une telle stratégie, si parmi celles qu'il peut choisir, elle constitue sa

meilleure réponse, quoi que fasse l'autre joueur. Hélène a intérêt à avouer, quelle que soit la

décision de Rudy ; de même, Rudy a intérêt à avouer, quelle que soit la stratégie d'Hélène ;

pour comprendre cela, examinons par exemple la situation du point de vue d'Hélène : elle

sait que sa sanction dépend de la décision de son complice :

s'il avoue, elle a aussi intérêt à avouer (sanction : 15 ans au lieu de 30) ;

s'il nie, elle a intérêt à avouer (sanction : 1 an au lieu de 3).

Chacun de nos prisonniers va ainsi avouer sa culpabilité, et sera condamné à 15 ans, ce qui

ne représente pas pour eux la meilleure solution, mais chacun sait que l'autre a tout intérêt à

avouer, pour éviter le pire (30 ans). Même s’ils se sont « promis-juré » de ne jamais avouer

s’ils étaient pris, la logique individuelle refera surface et les poussera à avouer. On voit bien

qu’une coopération est difficile, car irrationnelle du point de vue de chacun.

20

John F. NASH (1928-2015), mathématicien américain, professeur au MIT, prix Nobel d’économie 1994. Atteint de

schizophrénie depuis 1957, sa vie a fait l’objet d’un film : « un homme d’exception » (2001).

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

16

APPLICATION DE LA THEORIE DES JEUX : EXEMPLE GEOPOLITIQUE21

Le dilemme du prisonnier a été appliqué à toutes sortes de problèmes. N. G. MANKIW (op.

cit.) cite notamment la course aux armements et la publicité. Au temps de la guerre froide,

l’URSS et les USA (mais vous pouvez prendre d’autres pays en conflit latent) se sont posés la

question : course à l’armement (A) ou désarmement (D) ? Construisons la matrice des

gains :

USA

URSS

Armer Désarmer

A risque de guerre USA = faiblesse + risque URSS = puissance et protection

D URSS = faiblesse + risque USA = puissance et protection

Paix probable

On voit que si, par exemple, l’URSS s’arme, les USA ont intérêt à en faire autant pour éviter

de perdre à coup sûr une suprématie militaire ; si l’URSS désarme, les USA sont encore plus

gagnants. En tenant le même raisonnement, chaque pays a intérêt à s’armer au maximum.

Objectif 6 : examiner quelques stratégies possibles en oligopole.

COLLUSION ENTRE LES ENTREPRISES

Pour échapper à l’incertitude et dans l’espoir de maximiser leur profit, les firmes peuvent

opter pour la collusion ; elles agissent alors collectivement comme un monopole et se

partagent les profits qui en découlent. Les TRUSTS22 et les CARTELS représentent les formes

les plus usitées. Le trust est une agglomération de capitaux groupés sous une même

direction, suite à des opérations de fusion entre entreprises ; souvent la direction commune

est assurée par une société holding, ou société de portefeuille.

Au sein d'un cartel23, chaque entreprise conserve son indépendance juridique et financière,

mais passe avec d'autres entreprises du secteur des accords sur le prix24, ou une fourchette

de prix, sur les quantités produites (quotas), ou sur la répartition géographique des ventes.

21

Cités par G. MANKIW & M. TAYLOR, op. cit., pp 425 et svtes. R. AUMANN démontre que durant la guerre froide, la

possession d’un arsenal nucléaire a évité une 3ème

guerre mondiale. Par ailleurs, le problème du désarmement n’était pas de savoir

combien « l’autre » détruisait de missiles atomiques, mais combien il lui en restait. Lors des négociations de Genève sur le

désarmement (1985), les responsables américains firent appel à des spécialistes de la théorie des jeux afin de définir les meilleures

stratégies. 22

Exemples : acier : US Steel ; électricité, média : General Electric ; voitures, chimie, atome, … : Mitsubishi. 23

Le cartel le plus « célèbre » est celui du pétrole, l’OPEP (organisation des pays exportateurs de pétrole), qui toutefois ne

regroupe pas tous les pays producteurs ; par exemple, USA, Russie, Norvège, Grande-Bretagne n’en font pas partie. Il y en eu

d’autres, tels que celui du café (pays exportateurs d’Amérique latine et d’Afrique) ou du cacao, tous ayant échoué à contrôler les

prix. Dans le privé, citons De Beers, conglomérat diamantaire sud-africain, dont la domination sur le marché mondial a nettement

diminué ces dernières années. 24 A. Smith écrivait déjà dans la Richesse des Nations : « Les membres d'une même industrie se rencontrent rarement par plaisir

ou pour se divertir, mais leur conversation aboutit invariablement sur une conspiration contre l'intérêt général ou sur un accord

pour augmenter leur prix. » (www.toupie.org/Citations/Smith.htm)

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

17

Le problème majeur de tout cartel est que chacun de ses membres a intérêt à tricher ; si tous

les membres du cartel limitent leur production de manière à fixer le prix, alors le « dernier

membre » va se comporter en « passager clandestin » ; il a intérêt à accroître sa

production et donc son profit, pendant que les autres supportent le prix de la collusion en

limitant leur production.

Poussés par les lobbies de consommateurs, les USA25 puis l’Europe ont adopté des mesures

anti-cartel, prévoyant des amendes exorbitantes aux contrevenants. En Europe notamment,

le concept même de marché unique est incompatible avec l’idée d’un partage géographique

du marché. Malgré ces interdictions et les lourdes amendes, les cartels sont une réalité, ainsi

que vous le lirez en page 18.

La Commission Européenne lutte contre les cartels en utilisant la théorie des jeux, et plus

particulièrement le dilemme du prisonnier. En effet, lorsqu’elle décèle une suspicion de

cartel, elle promet aux repentants des amendes très réduites, comptant ainsi sur leurs aveux.

Et ça marche … En fin 2013, les 4 principaux grossistes en crevettes de la mer du Nord ont

été « dénoncés » par l’un d’entre eux, mis « sous pression », et ont écopé d’une amende de

29 millions d’euros pour s’être entendus sur les prix et les zones de chalandise sur le dos des

consommateurs.

PRICE COMPETITION …

De nombreuses controverses existent quant aux comportements d’entreprises

oligopolistiques. Voyons quelques exemples. Des producteurs imposent contractuellement

des prix de vente à leurs distributeurs, pour empêcher la concurrence entre eux. Légal ou

pas ?... Pas trop, semble-t-il ! Justifié ? Economiquement, pourquoi pas ! Le producteur

souhaite que les distributeurs offrent un niveau de service qu’une guerre des prix risquerait

de détériorer !

Quand sur un marché oligopolistique restreint un concurrent entre et arrive à se faire une

petite place, les grosses entreprises en place ont tendance à pratiquer des baisses de prix,

(prix de prédation). Anti-concurrentiel ou pas ? Oui, si cette politique vise à sortir au plus

vite le nouvel entrant. Mais est-ce si profitable ? A voir, car pour satisfaire la demande, elles

vont devoir produire plus (coûts en hausse), et donc risquer des pertes …

Dernier exemple : les ventes liées. Quand Microsoft intègre son navigateur internet dans son

système d’exploitation, pratique-t-il une vente liée - le consommateur étant obligé d’acheter

les 226 ? Le but est ici d’évincer d’autres producteurs de navigateurs, quand on sait que plus

de 90% des PC sont équipés de Windows ! Est-ce toujours le cas ? Les économistes sont

partagés sur la question.

25

Et depuis longtemps… en effet, aux USA, le « Sherman Anti-trust Act » de 1890 interdit aux dirigeants de firmes concurrentes

de parler de la fixation des prix, où qu’ils se rencontrent (sic !). 26

Une action d’atteinte à la concurrence a été intentée par le Gouvernement américain à Microsoft en 1998. Le juge estima que

Microsoft avait abusé de son pouvoir de marché, et il ordonna sa scission en deux entreprises, l’une vendant les systèmes

d’exploitation, l’autre les logiciels. Le jugement fut réformé en appel, et le Gouvernement passa finalement un accord : Microsoft

acceptait des restrictions sur ses pratiques, mais en étant autorisée à intégrer son navigateur à Windows.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

18

Les cartels sont une réalité !!!

Portefeuille de lecture/4 : les cartels

http://www.lecho.be/actualité

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

19

… NON-PRICE COMPETITION & LOBBYING

Les stratégies envisagées jusqu’ici étaient basées sur le prix et la maximisation du profit.

Les producteurs de produits différenciés seront tentés de jouer chacun de leur côté,

en accentuant les différenciations premières : c'est là la philosophie du « non price

competition » ; voyons cela par l’exemple :

les firmes automobiles basent leur publicité plus sur des concepts tels que la ligne, le

confort, la sécurité, l'équipement, la consommation, plutôt que sur le seul prix de vente.

Cela satisfait-il toutefois le consommateur ? Pas nécessairement !

alors que les « monopoles publics » de télévision maintiennent des programmes à faible

audience (programmes culturels, musique classique, sports peu populaires, programmes

éducatifs, ...), les chaînes à caractère oligopolistique standardisent leurs

programmes « pour faire de l'audimat »27 : le nivellement par le bas aux heures de

grande écoute, les quelques rares émissions intéressantes après 23 h. Explication : si

5% de la population veut de la culture et 95% une série, les quelques chaînes

qui se partagent le marché passeront toutes une série, car chacune sait qu'elle peut

espérer faire à cette occasion plus de 5 points d'audimat. Le monopole fournit un produit

pour la minorité, l'oligopole ignore cette même minorité.

Enfin, les oligopoles puissants agissent sur le plan politique ; citons Rothschild28 : « The

oligopolistic struggle for position and security includes political action of all sorts right up to

imperialism. The inclusion of these ‘non-economic’ elements is essential for a full explanation

of oligopoly behaviour and price ». Ils rémunèrent de nombreux lobbyistes qui font pression

sur les gouvernements et les parlementaires afin que soient votées des lois en leur faveur ou

au contraire que ne soient pas votées des lois contraignant leurs activités29.

Objectif 7 : examiner quelques problèmes posés par la non-transparence du marché

(information imparfaite)

INFORMATION IMPARFAITE

Que se passe-t-il lorsque l’hypothèse de la transparence du marché (agents économiques

parfaitement informés) est levée ? Est-ce là une cause importante de dysfonctionnement

du modèle, et si oui, avec quels types d’erreurs ? Voyons quelques éléments de réponse.

L’INFORMATION EST UN BIEN pour lequel il existe un marché, les agents étant prêts à payer

pour en obtenir. Nous vivons dans une « économie de l’information », dont le traitement

est indispensable ; les responsables marketing étudient les marchés potentiels, les banquiers

doivent juger de la solvabilité des emprunteurs, ….

27

Dès que le budget d’une chaîne publique dépend également de la publicité, on assiste au même phénomène, qui est encore

accentué par l’existence de chaînes thématiques payantes. 28

Kurt Wilhelm ROTHSCHILD, Price Theory and Oligopoly, in Economic Journal, 1947, p 319 29

On dénombre à Bruxelles au moins 15.000 personnes travaillant dans ce domaine (http://www.brusselsmetropolitan.eu)

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

20

Toutefois, ce marché est imparfait ; l’information étant un bien assez différent de

beaucoup d’autres ; il y a, bien plus que sur d’autres marchés, un problème de crédibilité vis-

à-vis du « vendeur »: son information est-elle exhaustive et fiable ?

INFORMATION ASYMETRIQUE30

Supposons que je veuille vous vendre la maison que j’ai fait construire voici 20 ans, dans

laquelle je vis depuis lors. Elle recèle certainement des imperfections, voire quelques défauts

« cachés » ; je les connais, vous non. Et si je vous vends ma voiture, est-ce parce que je

souhaite changer de modèle, ou parce que c’est une mauvaise voiture qui me cause bien des

soucis ? Je le sais, pas vous ! Le vendeur que je suis détient plus d’informations que

l’acheteur. Les économistes disent qu’il y a là une INFORMATION ASYMETRIQUE ; ces cas

sont nombreux : à l’embauche, le candidat se connaît mieux que son futur employeur, qui lui

sait des choses sur la vraie nature du travail … ; l’emprunteur en sait plus sur ses capacités

de remboursement que le prêteur, qui connaît mieux les termes du contrat, …

MARCHES ETROITS & SELECTION ADVERSE

Quel est l’impact de ce phénomène sur le marché ? Réponse : les offreurs comme les

demandeurs risquent d’être moins nombreux que sur un marché transparent : on parle de

MARCHE ETROIT. Tel peut être le marché des voitures d’occasion : l’acheteur incapable de

faire la distinction entre une « bonne » et une « mauvaise » voiture renoncera à en acheter

une. Conséquence : si les acheteurs sont rares, la demande va baisser, et donc, toutes

choses égales par ailleurs, le prix aussi31. Un prix bas va inciter certains propriétaires de

voitures en bon état à ne pas vendre32, et la qualité moyenne des voitures d’occasion sur le

marché va diminuer ; on appelle cela un EFFET DE SELECTION ADVERSE (la sélection des

biens sur le marché va à l’encontre de l’intérêt des acheteurs). Autre exemple sur le marché

de l’assurance : si une compagnie d’assurance augmente ses primes, les « bons » clients

(ceux qui n’ont pas ou très peu de sinistres) risquent de résilier leur contrat, et la structure

de la clientèle évoluera défavorablement pour cette compagnie.

Pour éviter ces distorsions, une solution consiste pour le vendeur à convaincre l’acheteur

potentiel que le produit est bon, via un « signalement ». Le vendeur de voitures d’occasion

(professionnel) donnera une garantie qui rassurera l’acheteur ; celui-ci pense alors que le

vendeur ne lui refilera pas un « mauvais » véhicule, car l’application de la garantie lui

coûterait très cher. L’agent non informé peut aussi agir pour obtenir l’information, par

exemple en demandant que le véhicule soit contrôlé par un expert. Et si le vendeur refuse ...

30

Cette notion apparaît dans un article de l’économiste US Georges AKERLOF (1940 – prix Nobel 2001) publié dans le Quarterly

Journal of Economics en 1970, The market for « lemons » (lemon = voiture d’occasion). 31

Cela explique partiellement pourquoi certains biens, comme les voitures, perdent très vite de la valeur. 32

Cela correspond à une courbe de demande coudée, telle que l’a montré G. Akerlof ; une telle courbe est relativement élastique

au-dessus d’un certain prix p1, et devient inélastique en-dessous ; le prix peut baisser, les quantités demandées n’augmentent plus.

(Robert Hall and Charles Hitch, « Price Theory and Business Behaviour », Oxford Economic Papers, 1939, pp.12 à 45)

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

21

ALEA MORAL33

L’aléa moral décrit une situation dans laquelle un agent économique, isolé d’un risque, est

amené à se comporter d’une manière différente que s’il était exposé à ce risque, autrement

dit d’une manière inadaptée voire malhonnête. Exemples :

l’assurance : l’assuré n’est nullement incité, a priori, à éviter le dommage ;

l’entreprise : l’actionnaire n’est pas responsable du comportement non éthique de la

société dont il tire des bénéfices ; le producteur subventionné augmentera sa production,

ou ne fera pas les restructurations nécessaires …

Le problème est une asymétrie d’informations, qui peut être temporelle : nous reportons sur

les générations futures les problèmes que nous ne voulons pas résoudre aujourd’hui.

Les produits dérivés fournissent un bon exemple. Pour faire simple, dans un système d’assurance « logique », les

agents assurent ce qu’ils ont, par exemple leur voiture. Avec les « dérivés », il est possible d’assurer un bien que l’on

ne possède pas. Le fils de mon voisin vient d’obtenir son permis, s’est acheté une rutilante voiture, et roule comme

un fou… Je vais « assurer sa voiture », car il y a de fortes chances qu’il la « crashe ». Si tel est le cas, j’empoche la

valeur de la voiture. Si j’ai conseillé à 50 de mes amis de faire pareil, la compagnie d’assurance paiera 52 fois la

valeur du sinistre. Deux questions : pourquoi cela est-il autorisé ? Réponse : parce que le système n’est pas régulé.

Pourquoi est-ce possible ? Réponse : « parce que des gens vont gagner du fric» : les courtiers empochent les

commissions, les compagnies d’assurance font au départ de plantureux bénéfices, et les bonus de leurs patrons et

cadres sup grimpent en flèche … Rien n’arrête le système, sauf un beau jour la faillite … Comme nous le verrons,

c’est là une des causes de la crise dite des « subprimes », qui déstabilise notre système économique depuis 2008, et

trouve son origine aux USA dès le milieu des années 1990 dans les pratiques bancaires et assurancielles. Entre 2000

et 2008, la plupart des CEO des grandes banques et compagnies d’assurance US se sont « fait » entre 300 et 600

millions de $ !

Depuis cette crise, l’Etat belge garantit les dépôts bancaires des épargnants à concurrence de 100.000 € par

personne et par banque. Cette mesure, apparemment bonne, n’incite pas les épargnants à s’inquiéter de la solidité

des banques dans lesquelles ils placent. Pire, ceux qui disposent de montants importants ont réparti leurs comptes

sur plusieurs banques, de manière à garantir le total de leurs avoirs. Il y a bien aléa moral. Quand à nombre de

banquiers, ils savent qu’ils sont « trop grands pour faire faillite », autre aléa moral.

Les solutions sont d’abord d’ordre légal. L’Etat légifèrera pour contrôler les banques34, ou

encore pour responsabiliser les administrateurs et les actionnaires des sociétés. On appelle

cela des INCITATIONS35. C’est sans aucun doute dans cette fonction de « régulateur » que

l’Etat justifie ses interventions au sein d’une économie libérale.

Les solutions peuvent être contractuelles : les compagnies d’assurance intègreront dans leurs

contrats des clauses de non intervention ou des pénalités dès lors qu’elles constateront des

abus, … .

33

L’expression est due à Adam SMITH (« moral hazard »). 34

Par exemple pour les empêcher de devenir « trop grandes pour faire faillite » (too big to fail). 35

En fait, tout est incitation : lorsque l’Etat dérégule les marchés financiers, comme dans les années 1980, il donne des incitations

… qui vont dans le mauvais sens !

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

22

FICHE 1/3 : LE MONOPOLE

Adam SMITH écrivait déjà dans la « Richesse des Nations » : « en créant constamment une certaine pénurie sur le marché (...) les monopoleurs vendent leurs marchandises bien au-dessus du prix naturel (...) ». Monopole vient du grec (monos = un seul et polos = vendeur). D'une manière générale, on admet qu'une entreprise se trouve en situation de MONOPOLE lorsqu'elle est la seule à vendre un produit déterminé, et qu'elle n'a donc pas de concurrents directs.

Les MONOPOLES PUBLICS Le monopole naît bien souvent d'une décision des pouvoirs publics, qui accordent à une entreprise publique ou privée une concession, un droit d'exploitation, en fixant ainsi des barrières légales ou réglementaires à l'entrée des producteurs sur le marché. Ces situations sont essentiellement justifiées comme suit : les infrastructures à mettre en œuvre sont d'une telle importance qu'aucune firme ne s'y risquerait à

priori dans un régime concurrentiel ;

un service de base doit être assuré au public ; la compression permanente des coûts recherchées par

les entreprises concurrentielles risquerait de réduire ou de supprimer ce service ;

la course au profit et à la compression des coûts de production pourraient générer, dans certains

domaines « sensibles », des procédés de production ou de commercialisation néfastes au

consommateur.

La première explique, en partie du moins, les monopoles existant dans les chemins de fer, les télécommunications classiques, la distribution d'électricité, d'eau ou de gaz, la télédistribution. D'ailleurs, au-delà des coûts de ce type d'infrastructure, on imagine mal l'impact sur l'environnement de plusieurs sociétés distributrices d'électricité tirant chacune leurs lignes à travers les campagnes d'une même région ! La seconde permet d'expliquer les monopoles présents dans le domaine des transports en commun ou de la distribution du courrier. La troisième amène les pouvoirs publics non pas à créer de véritables monopoles, mais à réglementer sévèrement la concurrence dans certains secteurs, notamment en instaurant des « numerus clausus » (officines pharmaceutiques, études notariales,...) Les difficultés financières de nombreux états européens, et la volonté, née du Traité de Maastricht36, de renforcer la concurrence au sein l’Union Européenne, ont ouvert de solides brèches dans les monopoles classiques ; dans certains cas, on s'est contenté de privatiser des sociétés auparavant publiques; dans d'autres, des monopoles ont été brisés (transport aérien; téléphonie mobile, poste), bien que les activités restent souvent réglementées par la législation et/ou de sévères cahiers des charges. D'aucuns le regrettent, mais la tendance est claire : une partie au moins de l'opinion publique considère que les entreprises monopolistiques, surtout étatiques, ne rendent pas toujours le service attendu, tout en bénéficiant de rentes de situation mal perçues en temps d'austérité.

DES MONOPOLES PRIVES ? Au niveau du secteur privé, les véritables monopoles sont rares (et combattus par la loi) ; on trouve au plus souvent des quasi-monopoles, c’est-à-dire des firmes contrôlant plus de 90% du marché. Certaines disposent de licences ou de brevets quasi incontournables (ex. : Polaroïd, Windows). D’autres ont réussi à s’imposer comme « incontournables » par des stratégies diverses, surtout dans des domaines des technologies de pointe ; citons notamment GOOGLE, AMAZON, …

36

Traité de Maastricht (1992), qui a précisé les conditions du passage à l’Euro – voyez la leçon 9.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

23

FICHE 2/3 : DE LA PLANIFICATION AU MARCHE.

Source : Time, 15/01/1990, par John Borrell, in M. Parker, C.D. Fluet et R. Bade, Introduction à la microéconomie moderne, éd. du renouveau

pédagogique (ERPI), 1992, p 134.

La Roumanie fut de 1945 à 1989 un pays communiste37 à économie planifiée où l’Etat décidait de tout, y compris du nombre de pains produits par notre boulanger, sans tenir compte de la demande effective. Mais un planificateur ne peut faire disparaître les pressions de l’offre et de la demande. Dans un système concurrentiel, si la courbe d’offre du marché est croissante au prix, il n’en va pas de même de la courbe d’offre des entreprises, qui est elle parfaitement élastique au prix du marché (pour cause d’atomicité). p Ce schéma nous montre la demande D de pain, ainsi que l’offre au prix p1, qui est le prix minimal auquel on peut p2 D produire le pain. La droite rouge indique la quantité fixée par le plan. Si le prix fixé par le plan est inférieur à p2, p1 il y a rationnement des demandeurs, d’où le système de rationnement dont parle l’article. Quand la dictature communiste s’est écroulée et que le système a changé, la loi de l’offre et de la demande a 2.000 4.000 Q joué, et le boulanger a doublé sa production, satisfaisant la demande. On peut évidemment se demander pourquoi ce boulanger n’en a pas profité pour augmenter son prix. La réponse est simple : s’il le fait, un autre boulanger pourrait profiter de l’aubaine en s’installant dans le village, et en vendant le pain au prix p1, capter ainsi toute la clientèle.

37

La dictature de Nicolae Ceaucescu (1918-1989), le « Génie des Carpates », était probablement la pire d’Europe centrale ; elle

est tombée en décembre 1989 et lui et son épouse Elena ont été rapidement exécutés suite à un « procès populaire ».

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

24

RESUME

1. Dans le monde réel, les conditions de concurrence parfaite sont très rarement rencontrées : des entreprises ont une taille telle qu’elles influent sur le marché ; les produits ne sont pas homogènes (marques, …), les agents (en particulier les demandeurs) ne sont pas parfaitement informés ; enfin, les facteurs sont loin d’être parfaitement mobiles. Entre concurrence parfaite et monopole existent d’autres structures de marché : duopole, oligopole, concurrence monopolistique. Nous retrouvons également des situations identiques du côté de la demande : monopsone, oligopsone. 2. Un planificateur disposant des informations nécessaires peut-il faire mieux que le mécanisme de marché ? Nous avons montré que la fixation autoritaire de prix plafond ou plancher, et à fortiori un système de planification des prix, éventuellement complété par des subventions aux producteurs, créait en général un excès de demande sur les biens concernés, ou autrement dit, des pénuries. Ces mesures peuvent aboutir à des résultats radicalement contraires à ceux recherchés. Les taxes (à la production ou à la consommation) imposées par les pouvoirs publics provoquent également des déséquilibres, réduisent les avantages que les agents retirent de l'échange et ne permettent plus au marché d'allouer efficacement les ressources. 3. La discrimination par les prix se caractérise par la vente à prix différents d'un même bien. Pour que cette discrimination soit possible, il faut que les marchés concernés soient séparés. La segmentation du marché en catégories de consommateurs bien identifiées, et l'application de prix différenciés vont permettre à l'entrepreneur d'augmenter son profit, en absorbant une partie au moins du surplus du consommateur. Le raisonnement est basé encore une fois sur la notion d'élasticité-prix de la demande. 4 L’entreprise OLIGOPOLISTIQUE est en général une firme de taille importante, susceptible d’influencer par sa politique prix-quantités les autres entreprises présentes sur le marché. Deux éléments essentiels caractérisent cette situation : d’une part, ces firmes tendent à se rendre maître de la demande et des prix (pratique des prix administrés) ; d’autre part, elles œuvrent dans un univers incertain ; cette incertitude porte surtout sur la clairvoyance et les possibilités de réaction des rivaux. 5. Ces situations d’interdépendance peuvent être analysées grâce à la théorie des jeux conçue par von NEUMANN. Un jeu se définit par ses règles, ses stratégies, et les gains que l’on peut en tirer. Dans l’oligopole, les règles résultent de l’environnement économique, politique et social ; les stratégies sont les actions possibles (prix, produits, …), et les gains sont les profits ou les pertes. Un jeu présente un équilibre en stratégies dominantes dès lors qu’un joueur dispose d’une stratégie qui constitue sa meilleure réponse, quoi que fassent les autres. Dans un jeu de duopole, lorsque les entreprises s’approprient le marché par collusion, ce type d’équilibre les conduit apparemment à tricher par rapport aux termes de l’entente, sauf si elles sont convaincues que l’autre dispose de mesures de rétorsion efficaces et est prêt à les mettre en œuvre. 6. Pour échapper à l’incertitude, les entreprises oligopolistiques ont tendance à opter pour la collusion, en formant des cartels qui amènent en fin de compte à une situation de monopole. La réussite d’un cartel tient à l’autodiscipline de ses membres. La théorie des jeux nous montre que chaque membre du cartel a a priori intérêt à « tricher ». Dans certaines situations, les firmes mettent en œuvre des stratégies de « non-price compétition », en mettant en exergue des arguments de vente autres que le prix. Enfin, les entreprises oligopolistiques protègent leurs profits par des barèmes à l’entrée dans la branche : prix limites, fidélisation de la clientèle, prolifération des marques. 7. Les marchés dont la transparence est imparfaite connaissent aussi des dysfonctionnements (par rapport au modèle de base). L’information est un bien apparemment comme un autre, et les agents sont prêts à payer pou l’obtenir. Néanmoins se pose la question de la qualité de cette information. Souvent, elle est asymétrique, dans la mesure où le vendeur dispos d’éléments « cachés » inconnus de l’acheteur. En résulte un phénomène de marché étroit, des acheteurs potentiels du bien concerné préférant s’abstenir. Autre source de dysfonctionnement : l’aléa moral. Pour solutionner ces problèmes, les agents disposent d’outils tels les contrats ; ceux-ci comporteront des clauses visant à la bonne exécution par chacune des parties de leurs obligations respectives.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

25

QUESTIONS DE REVISION ET PROBLEMES

NOTIONS A MAÎTRISER : équilibre offre - demande, oligopole, oligopsone, concurrence monopolistique, oligopole différencié, cartel, « non-price compétition », marché étroit, effet de sélection adverse, aléa moral

QCM (source : wps.pearsoned.com) 1. Une structure de marché oligopolistique prévaut lorsque : a) Les entreprises sont en concurrence sur le marché en s’alignant sur la hausse ou sur la baisse de prix pratiquées par les autres entreprises. b) Seul un petit nombre d'entreprises produit la plupart ou la totalité de la production du marché. c) Les entreprises s'efforcent constamment de réduire leurs coûts, afin de réaliser des profits plus élevés que leurs concurrents d) Tout ce qui précède.

2. Une entreprise oligopolistique doit soigneusement examiner son prix, ses quantités produites, sa publicité et ses décisions d’investissement, car,

a) Ses stratégies affecteront la rentabilité de ses concurrents, et les réactions de ses concurrents aux stratégies mises en œuvre auront une incidence sur la rentabilité de l'entreprise.

b) Si l'entreprise devient très rentable, des concurrents vont émerger, ce qui baissera les prix sur le marché.

c) Une fois que les choix sont faits, il est coûteux de changer de stratégie.

d) Aucune de ces réponses.

3. Un équilibre de NASH est atteint dans un marché oligopolistique lorsque

a) chaque entreprise prend la meilleure décision compte tenu de son prix de marché et de la technologie de production.

b) chaque entreprise prend des décisions optimales en fonction des actions de ses concurrents..

c) chaque entreprise prend des décisions optimales indépendamment des actions de ses concurrents.

d) chaque entreprise prend des décisions optimales en fonction des informations qu’elle a recueillies sur l’intelligence de ses concurrents.

4. Le dilemme du prisonnier peut être appliqué à l’oligopole lorsque :

a) Il est interdit d’entrer en collusion pour réaliser des profits plus élevés.

b) Un comportement coopératif se traduirait par un profit plus faible ; les entreprises se font alors concurrence jusqu'à atteindre un profit nul.

c) Quelle que soit la stratégie de l’entreprise 1, l'entreprise 2 pratique une concurrence agressive, même si la coopération permet d’atteindre des profits plus élevés.

d) Réponses 1 et 2.

5. Un cartel peut réussir à fixer un prix du marché supérieur à celui résultant d’un marché concurrentiel lorsque :

a) La collusion explicite et des accords formels sont légaux.

b) La demande pour le bien ou le service est inélastique.

c) Les membres ne dévient pas de l’accord et ne produisent pas une quantité supérieure au niveau convenu.

d) Tout ce qui précède.

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

26

6. Une entreprise en situation oligopolistique prendra les meilleures décisions :

a) Compte tenu de sa demande du marché et de ses fonctions de coût.

b) Compte tenu des prévisions de croissance du marché et des investissements futurs dans la technologie.

c) Compte tenu de la demande de marché, de la technologie et les coûts des inputs.

d) Compte tenu de son anticipation des stratégies de ses concurrents et de leurs réactions à sa stratégie.

7. A votre avis, lorsque des économistes s’opposent tant à l’annulation de la dette des pays pauvres qu’à l’accroissement de l’aide, ils invoquent un concept économique qui est :

a) aléa moral

b) passage clandestin

c) malhonnêteté

d) sélection adverse

Questions 1. Si le gouvernement impose une taxe spéciale de 5.000 € sur les voitures de sport, le prix payé par les acheteurs augmentera-t-il de 5.000 €, plus, ou moins ? Pourquoi ? Expliquez en terme d’élasticité des courbes d’offre et de demande. (**) 2. Le parlement décide d'imposer une taxe de 0,25 € sur les carburants, dans le but de réduire la pollution atmosphérique : (**) la taxe doit-elle être imposée aux producteurs ou aux consommateurs ? Pourquoi ? la demande de carburant étant relativement inélastique, la mesure sera-t-elle efficace ? Pourquoi ? les consommateurs de carburant sont-ils avantagés ou désavantagés par cette taxe ? même question pour les travailleurs de l'industrie pétrolière. Expliquez. est-ce à priori, sur le plan purement économique un bon moyen ? A court terme ? A long terme ?

Discutez. (pistes de réflexion : substitution, compétitivité d’énergies alternatives, …) 3. Sur le marché du fromage belge, les producteurs se plaignent du prix trop bas qui les met en difficulté. Le gouvernement les entend et décide d’imposer un prix plancher supérieur. (***) a) à l’aide d’un diagramme O-D, montrez les effets de cette situation. Y a-t-il excédent ou pénurie de fromage ? Qui est rationné : producteurs ou consommateurs ? b) les producteurs de fromage se plaignent alors que leurs revenus ont diminué. Est-ce possible et pourquoi ? c) le prix des fromages italiens baisse ; conséquences ? c) le gouvernement décide alors d’acheter tous les stocks restants au prix plancher, pour les revendre à prix très faible dans des pays pauvres. Qui gagne ? Qui en fait les frais ? Est-ce là un bon signal pour les producteurs ? Conséquences ? (pistes de réflexion : production laitière, cheptel, surfaces agricoles, …) 4. Commentez ces graphiques. Les évolutions de l’O et de la D (graphique de gauche) expliquent-elles les variations de prix sur le marché mondial (graphique de droite) ? (***) (piste de réflexion : qu’est-ce qui « fait » le prix du pétrole ?).

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

27

5.

Vers l’Avenir, 30/07/2015

L’Europe avait instauré depuis 1984 des quotas laitiers (limitation de la production de lait). Ces quotas ont pris fin le 31 mars 2015, l’argument étant une demande mondiale en forte expansion, notamment de la part de pays émergents (Chine, …). Comment pouvez-vous expliquer les problèmes rencontrés par les éleveurs, notamment au regard de l’évolution du prix du lait présentée sur ce graphique ? (pistes de réflexion : structure du marché, nature de l’offre – cheptel, pâturages, … ; voyez notamment http://www.bcz-cbl.be/www/index.php?lang=fr et http://www.cra.wallonie.be ) (***) 6. Livrez-vous via internet à une analyse économique du marché du café en dosettes. Selon vous, quelle est la structure de ce marché ? Argumentez. 7. L’OPEP est un cartel : (**) pourquoi ses membres se réunissent-ils régulièrement pour fixer des quotas de production ? pourquoi ce cartel n’a-t-il pas toujours fonctionné correctement ? 8. Les grandes équipes de football forment un oligopsone sur le marché des joueurs. Quel pourrait être leur objectif en matière de politique salariale ? Pourquoi un tel objectif est-il difficile à atteindre ? (**) 9. Le tableau ci-dessous décrit l’impact des tarifs douaniers dans les relations commerciales entre les USA et le Mexique (en milliards de $). (***)

USA

Mexique

TARIF élevé bas

Élevé USA = + 20 MEX = + 20

USA = + 10 MEX = + 30

Bas USA = + 30 MEX = + 10

USA = + 25 MEX = + 25

Quelle est la stratégie dominante pour chacun des participants ? Quel est dans ce cas l’équilibre de

NASH ? Commentez et justifiez. La signature en 1993 de l’Accord de Libre-échange entre les deux pays (ALENA), prévoyant une baisse

simultanée des tarifs douaniers, se justifie-elle au vu de ce tableau ?

ECOLE SUPERIEURE DES AFFAIRES

Marc FIEVET – leçons d’économie leçon 3

28

10. Les pouvoirs publics ont deux solutions pour aider les pauvres : leur donner de l’argent ou leur fournir des colis alimentaires gratuits. Discuter du pour et du contre de ces solutions, notamment en termes d’asymétrie d’information et d’aléa moral. Vous pouvez aussi vous appuyer sur les réflexions de la leçon1 à propos de J. Rawls et aussi celle d’Amartya Sen (à rechercher). (***) 11. Etendons le champ de nos investigations. A propos d’asymétrie d’information et de signalement, comment pouvez-vous interpréter les deux situations suivantes38 () : Ne connaissant pas trop bien ses goûts, vous offrez comme cadeau d’anniversaire à votre petite amie

une enveloppe avec de l’argent, en lui disant qu’elle pourra ainsi s’acheter ce qui lui plaît ; elle vous quitte !

ses parents lui donnent comme cadeau d’anniversaire une enveloppe avec de l’argent, en lui disant de s’acheter ce qui lui plaît ; elle est contente !!! (et on se dit que les femmes sont bien compliquées, alors que le problème s’explique « économiquement »).

Réponses au QCM : 1) a ; 2) a ; 3) b ; 4) c ; 5) d ; 6) d ; 7) a)

38

Vous vous demandez sans doute ce qu’une telle question fait dans un cours d’économie. Gary BECKER (1930-2014),

économiste américain, prix Nobel 1992, a élargi le champ d’étude de la micro-économie à de nombreux comportements humains.

Il estime par exemple que les criminels agissent rationnellement dans les situations où les bénéfices de leurs crimes excèdent la

probabilité d’une peine de prison ou d’une amende. Il s’est aussi intéressé à l’« économie de la famille ». Par exemple, il constate

qu’aux USA, les divorces dans les familles riches sont proportionnellement moins nombreux que dans les familles pauvres, car le

coût en est très élevé. De même, il explique la baisse du taux de fertilité par deux phénomènes : d’une part, les femmes ont investi

en « capital humain » (elles ont fait des études) et veulent rentabiliser en travaillant ; pour elles, le coût d’opportunité d’élever un

enfant augmente et d’autre part, le return sur éducation augmente, d’où le désir d’offrir à ses enfants une éducation coûteuse.