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FACULTÉ DES LETTRES
A/f rA/ L
LECTURE SÉMIOLOGIQUE D'UNE OEUVRE D'ART: LA "SIESTE".DE JOAN MIRO
JOSÉ LUIS UMANA
Mémoireprésenté
pour 1'obtentiondu grade de maître ès arts (M.A.)
ÉCOLE DES GRADUÉS UNIVERSITÉ LAVAL
DÉCEMBRE 1992
® droits réservés 1992
LIVRES RARES
Résumé
Nous avons analysé le tableau "La Sieste" de Joan Miré à partir de la sémiologie visuelle proposée par Fernande Saint-Martin. Cette analyse est divisée en deux parties: l'une correspond à l'analyse colorématique et l'autre à l'analyse syntaxique. Pour la première étape, nous avons élaboré une grille de 20 cases appliquée à l'oeuvre, qui nous a servi à réaliser les différentes études sur les rélations qui s'établissent entre les colorâmes. En ce qui concerne la deuxième étape, nous avons segmenté l'oeuvre en dix régions et ajouté des sous-régions selon le besoin de l'analyse. Celles-ci ont été étudiées par rapport à la couleur, la dimension, la texture, la vectorialité, l'implantation dans le plan et les frontières. Ce sont les notions sur les rapports topologiques, les lois gestaltiennes, les lois des interaction des couleurs et les différentes modalités perspectivistes qui nous ont aidé à étudier l'oeuvre.
1
AVANT-PROPOS
J1 aimerais remercier ma directrice d'étude, Marie Carani
pour l'aide inestimable et pour m'avoir fait découvrir une
nouvelle façon d'approcher l'oeuvre d'art et surtout
1'histoire de l'art moderne. J'aimerais aussi remercier Mme.
Fernande Saint-Martin pour ses précieux commentaires. A M.
Roland Sanfaçon pour avoir accepté de lire et de corriger le
mémoire, mes remerciements. A Edith qui m'a corrigé la
grammaire et 1 ' orthographe. Et à tous ceux et celles qui
m'ont encouragé à poursuivre mes études.
A René-Philippe.
11
TABLE DES MATIERES
Page
AVANT-PROPOS.......................................... i
TABLE DES MATIERES.................................... ii
ABREVIATIONS........................................... V
INTRODUCTION........................................... 1
1.0 CHAPITRE I PRESENTATION DELA SÉMIOLOGIE VISUELLE
1.1 Introduction................................ 9
1.2 La théorie de la Gestalt.................. 101.2.1 Le percept....................... 121.2.2 L'activité perceptive
comme telle...................... 151.2.3 L ' isomorphisme.................. 161.2.4 La profondeur.................... 191.2.5 La valeur relative de
1 ' expérience..................... 191.2.6 Invariance/mobilité............. 201.2.7 Figure/ fond...................... 221.2.8 La bonne forme.................. 24
1.3 Les rapports topologiques................. 29
1.4 Eléments constitutifsde la sémiologie visuelle................. 361.4.1 Le colorème...................... 361.4.2 Les variables visuelles
constitutives.................... 371.4.3 Les variables perceptuelles.... 40
1.5 Le plan originel........................... 43
1.6 Effets de distance et de perspective..... 46
1.7 Systèmes perspecti vis tes................... 50
1.8 Passages................................ 52
2.0 CHAPITRE II ANALYSE COLOREMATIQUE
2.1 Présentation de 1 'analyse................. 53
Ill
2.2 Développement de 1 ’analyse................ 56
3.0 CHAPITRE III ANALYSE SYNTAXIQUE
3.1 Présentation de 1 'analyse................... 77
3.2 Les variables plastiques.................. 833.2.1 Les pôles chromatiques.......... 833.2.2 La texture....................... 89
3.3 Les variables perceptuelles............... 893.3.1 La dimension..................... 893.3.2 Les frontières/formes........... 903.3.3 La vectorialité................. 953.3.4 L'implantation dans
le plan........................... 100
3.4 Position et visées du producteur.......... 101
3.5 Les modes perspecti vis tes................. 102
3.6 Insertion des régions dansle plan originel........................... 111
3.7 Les rapports topologiques................. 115
3.8 Enoncés visuels............................ 118
CONCLUSION............................................. 121
BIBLIOGRAPHIE................ ......................... 125
ILLUSTRATIONS
Illustration A................................. 45Illustration B................................. 57Illustration C................................. 57Illustration D................................. 82Illustration E................................. 94Illustration F................................. 110Illustration G................................. 113
TABLEAUX
Tableau 1....................................... 59Tableau 2....................................... 60Tableau 3...................................... 61Tableau 4....................................... 62Tableau 5....................................... 63Tableau 6....................................... 64Tableau 7....................................... 65
IV
Tableau 8....................................... 66Tableau 9....................................... 67Tableau 10...................................... 68Tableau 11...................................... 69Tableau 12...................................... 70Tableau 13...................................... 71Tableau 14...................................... 72Tableau 15...................................... 73Tableau 16...................................... 74Tableau 17...................................... 75Tableau 18...................................... 87Tableau 19...................................... 88Tableau 20...................................... 99
V
ABREVIATIONS
HOR.
VER.
OHA.
ODY.
CCP.
CCP.
ARC.
FOC.
ORT.
ANG.
GER.
EDG.
EGD.
HSB.
HPB.
MAF.
MVP.
Horizontale
Verticale
Oblique harmonique
Oblique dysharmonique
Circulaire centrifuge
Circulaire centripète
Arcs de cercle
Focale
Orthogonale
Angulaire
En gerbes
Enveloppement droite/gauche
Enveloppement gauche/droite
Enveloppement haut sur bas
Enveloppement haut par le bas
Mouvement arrêté par frontières
Mouvement virtuel prolongé
1
INTRODUCTION
Le but du mémoire
Ce mémoire se veut d'entrée de jeu une application de
la sémiologie visuelle de Fernande Saint-Martin, à 1'oeuvre
picturale. Notre approche constituera ainsi un nouveau
départ pour 11 analyse à partir d'une systématicité théorique
du fait pictural. Nous sommes ici à l'opposé d'une tradition
humaniste, "cette tradition voulant que les phénomènes
humains, contrairement aux phénomènes de la nature, soient
singuliers, individuels et ne puissent donc ni être soumis
2
comme ceux de la nature à des méthodes exactes, ni être
généralisables"* *. Plus précisément, la sémiologie
topologique de Saint-Martin recherche avant tout ces valeurs
de constance et de globalité que l'on retrouve dans
1'analyse des phénomènes de la nature à travers des
approches systématiques développées dans les sciences
"pures". C'est ainsi que la sémiologie comme système
théorique devient une construction si l'on veut, un
construit, et un outil très important au plan de son
application sur des objets "déjà soumis à notre expérience",
mais aussi sur "tous les objets possibles de nature
supposée"*.
Ce regard systématique sur l'objet peinture nous amènera
à proposer un dialogue entre le champ visuel et notre
expérience sensorielle, culturelle et conceptuelle. On veut
apprendre à mieux organiser le champ visuel afin d'arriver
à une reconnaissance des énoncés visuels qui échappent de
prime abord à 1'analyste quand il soumet 1'oeuvre, sans
préavis, à une foule d'interprétations. Données aprioriques
d'ordre psychologique, sociologique, anthropologique,
historique, etc...
* Louis Hjelmslev, Prolégomènes à une théorie du langage.
Minuit, Paris, 1968, p.15-16.
* Louis Hjelmslev, op. cit.. p.26.
3
Alors on atteindrait la signification par des moyens
purement "contextuels", en oubliant la structure interne des
oeuvres, la dynamique de leurs unités visuelles et
plastiques, c'est-à-dire leur intégration dans un champ
visuel spécifique. Il est donc impératif aujourd'hui pour
une nouvelle histoire de l'art de s'arrêter aux rapports
qu'entretiennent effectivement les éléments constitutifs du
tableau. C'est à partir de ces relations que l'on pourra
formuler des hypothèses éclairées sur les modes
d'organisation et de construction du pictural.
A cet égard, dans l'optique "topologique" qui sera
donc la nôtre, par définition même, le dynamisme des
rapports gestaltiens et topologiques, celui des pôles
chromatiques, est de toute première importance lorsque l'on
veut considérer l'oeuvre artistique comme étant une masse
d'énergie qui est structurée à la fois dans les profondeurs
et en surface, et qui se développe selon certaines
nécessités formelles intrinsèques.
Notre étude ne se veut donc pas une simple description
sommaire des éléments insérés sur ou dans cette surface, ni
un exercice d'application d'une grille d'analyse sémiotique.
Car l'utilisation d'une telle grille théorique ne constitue
pas seulement un outil de fragmentation de l'oeuvre pour en
4
faire autre chose. Au contraire, cette grille saint-
martienne est proprement "opérationelle", c'est-à-dire
qu'elle peut nous aider à découvrir et à discuter les
formalismes et les mouvements directionnels qui sont
présents dans l'oeuvre, ainsi que les rapports existant
entre des zones minuscules du champ visuel appelées
colorâmes. D'ailleurs ces formes organisationelles sont
généralement demeurées inconnues dans les analyses
traditionnelles où auront surtout prédominé les éléments
figuratifs, si l'on veut les icônes nommables et
représentables, c'est-à-dire les éléments qui faisaient
directement référence aux objets réels.
On voudra plutôt se concentrer ici en priorité sur le
"champ spatial" qui existe entre ces figures, donc sur les
interval les et les variables qui les animent dans 1'espace
du tableau.
Les objectifs
En conséquence de ce choix nos objectifs de travail
sont les suivants :
a) démontrer une nouvelle possibilité de lecture de
1'espace pictural dans une perspective sémiologique;
b) reconnaître les structures internes de 1'oeuvre
5
picturale;
c) présenter des énoncés possibles issus de 1'analyse
syntaxique;
d) déterminer les différentes étapes de cette analyse
syntaxique et leur viabilité opérationable;
e) définir les types d'espace organiques auxquels renvoie
l'oeuvre picturale.
Notre premier objectif concerne la possibilité de
"voir" l'oeuvre sous un angle différent. Le deuxième découle
du premier, en ce que toute la structure de 1'oeuvre devra
être analysée. Il faut déjà souligner que c'est de la
rencontre entre celui qui analyse et 1'oeuvre elle-même que
jaillira une structure propre. Comme troisième objectif, il
s'agit d'arriver à une synthèse syntaxique. Là, le concept
même d'énoncé visuel recouvre toutes les formes de rapports
que les régions et les sous-régions entretiennent entre
elles, sans négliger les relations entre le Plan Originel et
les différentes modalités perspectivistes élaborées par
1'homme.
Nous nous attardons ensuite à la viabilité de chacune
de ces étapes, c'est-à-dire à la manière originale dont
elles sont agencées dans une logique discursive qui leur est
propre. Enfin, comme dernier objectif, nous tentons de
6
reconnaître les différents espaces organiques : visuel,
auditif, kinesthésique, postural, bucal, etc., auxquels
1'oeuvre renvoie. Pour sa part cette étape est très
importante sur le plan proprement dit de la signification en
sémiologie topologique car elle représente la voie d'accès
privilégiée à la constitution d'un sens, d'une sémantique
encore ancrée dans le syntaxique.
La méthodologie.
La sémiologie topologique de F. Saint-Martin est notre
référence méthodologique de base. Etant donné 1'ampleur ou
1'étendue même de cette analyse, nous avons choisi de faire
l'étude exhaustive d'une seule oeuvre picturale. Cette
analyse se divisera en deux parties ; l'une concernera
1'analyse colorématique et l'autre, 1'analyse syntaxique.
Pour 1'analyse colorématique, nous avons construit une
grille théorique en 20 cases qui est apposée à la surface de
l'oeuvre étudiée. Par commodité nous avons divisé cette
grille en sections, nommées alphabétiquement de A à T. Puis,
nous avons subdivisé chacune de ces cases de 1 à 5, les
numérotant dans le sens des aiguilles d’une montre. Chaque
numéro représente hypothétiquement un colorème, lequel est
décrit par rapport aux autres colorèmes qui 1'entourent.
7
Ensuite, nous avons déterminé la vectorialité, la tonalité,
la luminosité de chacun de ces colorâmes, ainsi que les
types de liaison qui sont établis avec les colorâmes
adjacents.
Dans un second temps, nous avons déterminé
syntaxiquement le nombre de régions dans le champ pictural
considéré. Nous en avons reconnu 10, avec leurs sous-régions
respectives. Nous avons analysé cette segmentation à travers
les rapports topologiques et gestaltiens, rapports qui nous
aident à préciser et à déterminer les jonctions et les
disjonctions au sein du regroupement des colorâmes.
Le plus souvent possible, pour faciliter la lecture,
des diagrammes, des tableaux et des photos sont insérés
ponctuellement dans chaque chapitre selon leur pertinence.
Ils constituent des jalons clés dans la compréhension de
1'analyse
Le corpus.
Notre corpus est assez arbitraire. Nous avons choisi
une oeuvre de 1 ' espagnol Joan Miré "La Sieste", de 1925
(huile sur toile, 113x146 cm), qui comporte des éléments à
la fois figuratifs et abstraits. Cette complexité même de
8
l'image surréaliste, appelle un mode de lecture qui prend en
charge en même temps des aspects figurai et formel du
tableau, ce qui est le lieu privilégié de la sémiotique
visuel 1e.
9
CHAPITRE 1
Présentation de la sémiologie visuelle de F. Saint-Martin
1.1 Introduction
Il faut éclairer au départ les fondements théoriques de
la sémiologie visuelle de F. Saint-Martin sur lesquels nous
entendons élaborer notre étude.
La psychologie de la Gestalt et les travaux sur les
rapports topologiques chez 1 ’enfant de Jean Piaget, sont les
premiers fondements de 1'analyse topologique appliquée aux
oeuvres d'art. Il est certain qu'il faut ajouter aussi un
10
nombre considérable d'études liées aux problèmes de la
perception (la neurophysiologie) ou de la définition d'une
philosophie de la connaissance système théorique
(1'épistémologie), ainsi que les écrits d* artistes, tel
Kandinsky et sa notion du plan originel.
1.2 La théorie de la Gestalt
Les travaux sur la théorie de la Gestalt sont restés
souvent oubliés des analystes visuels à cause de la mauvaise
interprétation de quelques principes fondamentaux, ce que
F. Saint-Martin met en lumière dans son ouvrage pionnier,
"La théorie de la gestalt et l'art visuel", paru en 1990.
Par ailleurs, les études sur l'intelligence artifi
cielle et celles de la sémiologie visuelle ont contribué à
la réouverture récente du dossier et ont permis d'aborder
par la suite les principes mêmes de cette théorie,
principalement en ce qui concerne les mécanismes de
1'activité perceptive.
Pourquoi la sémiologie visuelle topologique a-t-elle
besoin des fondements proposés par la psychologie de la
Gestalt? La réponse est simple. C'est parce que 1'analyse
sémiologique de l'objet visuel se base dès l'abord sur la
11
perception. Elle a besoin par conséquent de renseignements
précis sur les mécanismes dynamiques de cette activité
perceptive, afin de pouvoir avancer des hypothèses dans son
propre domaine, lesquelles permettront ensuite de construire
un système interprétatif structuré et organisé.
Plusieurs sémioticiens ont démontré depuis quelques
années que la sémiologie visuelle ne peut se fonder comme
démarche interprétative sur 1'approche iconologique de
Panofsky. Eco affirme, par exemple, "qu'un premier niveau du
langage visuel ne peut pas se fonder sur la simple ressem
blance entre la représentation visuelle et l'objet auquel il
réfère"^. Pour sa part, 1'analyse greimassienne propose une
"grille de lecture du monde naturel", où la reconnaissance
des formes dans une oeuvre visuelle serait menée à travers
une analyse sémio-1inguistique du plan de 1’expression et du
plan du contenu. Cela dit on aura tout de même escamoté la
spatialité au profit du dire, le non-verbal aux impératifs
du verbal.
Il va de soi, que 1 ' obstacle pour arriver à une
véritable épistémologie de la sémiologie visuelle
résulterait ainsi, suggère Saint-Martin, de deux attitudes :
Fernande Saint-Martin, La théorie de Gestalt et l'art visuel, PUQ, Québec, 1990, p.2
3
12
premièrement, d'une "ignorance de la véritable teneur des
propositions gestaltiennes" à la base du discours visuel, et
deuxièmement, au plan des fondements même du mode de lecture
du tableau, d'un "malentendu quant à 1 ' autonomie ou à la
spécificité des théories et leur rapport à la multidisci
plinarité"^. Dans ce contexte, en vue de 1 ' élaboration d'une
sémiologie générale qui veut intégrer tous les systèmes de
signes, Saint-Martin réclame l'aide d'autres disciplines
pour 1'élaboration d'une systématicité théorique. C'est
pourquoi, comme point de départ, elle "entend éclairer
1'apport de la psychologie de la Gestalt à 1'analyse de
l'art visuel"^, pour déboucher, comme point d'arrivée, sur
les rapports et les réseaux syntaxiques instaurés entre eux
comme façon de voyager dans les soubassements de l'oeuvre.
1.2.1 Le percept
L'homme n'est pas seulement un être d'ordre
physiologique, il a aussi une nature psychologique. Il fait
connaissance avec lui-même et avec le monde extérieur à
travers les sens et la pensée. Il expérimente, il emmagasine
des expériences; il fabrique des codes qui 1'aideront à
Saint-Martin, op. cit., p.4
Saint-Martin, op. cit..5 p.l
13
reconnaître et à comprendre les mondes intérieur et
extérieur.
Pour la sémiologie visuelle, la perception sensorielle
et plus particulièrement le visuel, sont donc d'une
importance capitale. Cependant il faut s'interroger sur la
façon dont se réalise concrètement le processus de
perception. Un premier aspect concerne la double face du
percept; il est objectif et subjectif à la fois. Il est
constitué par des structures physiologiques et psychologi
ques et par le rapport d'interaction qu'elles instaurent
avec les stimuli extérieurs. C'est dire que le percept doit
être compris comme le résultat d'une dynamique qui se
réalise entre ces structures et la structure même du champ
visuel offrant des stimuli porteurs d'informations.
Là, l'aspect le plus important pour 1'approche
topologique, c'est "l'interprétation fonctionnelle de la
perception", c'est-à-dire comment la neurobiologie explique
ce phénomène clé de reconnaissance dans 1'organisme humain.
Dans le processus de perception, le percept est construit
par les stimuli extérieurs et le processus perceptuel
endogène. C'est à travers cette double complicité que le
percept est constitué. Donc, toute propriété d'un objet va
être prélevée par mon "intériorité perceptuelle",
14
c'est-à-dire que l'objet est constitué par mon activité
intérieure, mais sans que celle-ci ne retienne toutes les
propriétés de cet objet. Car elle n'embrasse pas totalement
1e monde réel.
Autrement dit, le scientifique est confronté dans ce
processus de perception à des éléments "fuyants" qui sont en
constante transformation, qui échappent à son regard, malgré
le fait que 1'activité scientifique prétend connaître
"objectivement" les propriétés de ce monde réel. Il en
ressort de facto que la perception donnée par le sens commun
en fonction de la ressemblance iconique devient relativement
peu fiable, même si à travers la neurophysiologie, on peut
aller rechercher certains fondements scientifiques à cette
connaissance pour en savoir davantage.
Selon Saint-Martin, la sémiologie topologique peut
alors jouer un rôle important dans ces recherches sur les
mécanismes perceptuels en posant les bonnes questions
concernant les concepts et procédures, ainsi que les
variables visuelles, qui sont engagés dans la saisie et
1'évaluation du percept.
15
1.2.2 L'activité perceptive comme telle
Dans ce contexte 11 activité perceptive n'est pas un
simple acte de perception; elle est proprement dynamique et
dépend de ce qu’offre au regard le champ sensoriel. Cela
dit, il y a deux éléments, difficiles à différencier, qui
interviennent dans cette activité: ce sont, "les schémas
conceptuels qui entrent dans la constitution des percepts
construits directement [...] et les autres cadres
conceptuels, plus ou moins abstraits, qui ne sont pas
parties prenantes du processus perceptif"®. Donc, en
topologie 1'expérience perceptuelle recouvrerait une
position "intermédiaire entre les stimuli et les concepts"?.
Cependant, d'après la psychologie de la gestalt, ce
système perceptif interviendrait là où il y a des "formes
prégnantes". Dans ce cas, selon Saint-Martin le percept
surgit d'un groupement de "forces" dans le champ visuel.
L'oeil humain se confronte à des ensembles en interaction
constante. En ce sens le terme "Gestalt", "sera utilisé pour
désigner une région du champ perceptuel qui, même si elle
est constituée de parties distinguables, se présente en
Saint-Martin, op. cit.. p.15
Saint-Martin, op. cit.. p.16.7
16
vertu de 1'articulation de ces forces internes comme un tout
unifié et doté d'un équilibre particulier"8.
Pour saisir cette totalité, le spectateur doit être
conscient du processus perceptif qu'il assume lorsqu'il est
positionné devant une oeuvre visuelle. Ce n'est pas avec un
simple balayage du regard qu'il va trouver des zones
extrêmement complexes. C'est seulement dans la succession
des regards et par la connaissance des éléments insérés dans
l'oeuvre par le producteur qu'il pourra développer une
analyse qui retiendra la totalité de cette oeuvre, et non
seulement certaines parties hiérarchisées, lesquelles sont
le plus souvent des formes iconiques reconnaissables dès
1'abord.
1.2.3 L'isomorphisme
On a déjà souligné en passant l'interaction agissante
qui existe entre les éléments subjectifs et les éléments
objectifs dans le processus de perception. Pour l'expliquer,
il faut faire intervenir une valeur d'isomorphisme,
c'est-à-dire une hypothèse théorique "voulant que les
propriétés structurelles du champ dynamique où se réalisent
p. 24.Saint-Martin, op. cit.,
17
les expériences de la perception externes soient en même
temps les propriétés structurelles de leurs corrélats
physiologiques"9.
Selon Saint-Martin, 1'interaction entre ces éléments
supposerait une certaine dynamique particulière entre les
structures psychologiques et les structures physiologiques.
L'hypothèse reste encore à vérifier empiriquement. Il est
tout de même fort juste de souligner que le "psychologique"
recouvre une dimension très complexe de notre expérience
émotive, vitale et sociale.
La théorie même de 1'isomorphie s'expliquerait en
regard de 1 'observation des déplacements visuels dans le
ragard, c'est-à-dire en vertu du mouvement dynamique qui se
réalise hic et nunc dans 1'activité perceptive. Ce caractère
dynamique, remarque Saint-Martin, a été occulté par toute la
culture occidentale, en présentant certains acquis de la
psychologie de la Gestalt, c'est-à-dire la notion même de
gestalt, celle de la "figure sur le fond" ou de la "bonne
forme", etc., comme des éléments insérés dans des cadres de
fonctionnement assez rigides. Au contraire, le caractère
dynamique propre de la perception se définit plutôt comme
P. 349 Saint-Martin, op. cit.,
18
une relation interactive entre le champ visuel et 1'activité
perceptive. L'un ne peut opérer sans l'autre, car ce champ
se constitue via la perception proprement dite.
En fait, cette relation opère comme une saisie du
mouvement lui-même. Cette complicité inaliénable dynamise la
perception dans le champ visuel. Dans ce processus même
apparaissent des zones interreliées par des éléments
composants qui se présentent en continuité énergétique et
qui sont à la base de la sémiologie topologique.
Cependant, chaque percepteur construit son propre
schéma cognitif. Ce schéma sera indubitablement le reflet de
ses capacités sensibles et cognitives. D'autre part, comme
le souligne Saint-Martin, il faut aussi tenir compte de
"1'expérience passée" de ce percepteur qui peut conditionner
pour une part ses réactions, notamment en fonction de l'idée
de profondeur dans le tableau héritée de la culture
classique.
19
1.2.4 La profondeur
La dynamique du mouvement visuel révélerait, ainsi
comment la figure apparaît d'entrée de jeu comme un champ
visuel entouré d'éléments spatiaux qui dynamisent cette
figure elle-même. L'un des éléments importants de
spatialisation dans la psychologie de la Gestalt est en ce
sens, "la profondeur comme alternative à la collision". Car
deux mouvements dans le champ ne se croisent jamais et, si
cela se produit, l'un d'eux fait nécessairement un pas en
arrière, constituant dès l'abord l'idée de profondeur.
Il s'agit dès 1 ors de l'un des "mécanismes
d'engendrement de la troisième dimension"; il jouera un rôle
particulièrement important dans la dynamique perceptuelle de
1'espace pictural, et a été identifié comme valeur
tridimensionel1e par 1'histoire de l'art occidentale. La
bidimensionnalité moderniste voudra en outre le contredire,
mais à partir d'un artificialité critique conceptuelle.
1.2.5 La valeur relative de 1 * expérience
Si on pousse encore plus loin cette problématique du
mouvement visuel, on note que "la perception exclut ce qui
offre une valeur négative pour le sujet [...] confirmant le
20
caractère éminemment relatif de toute expérience de percep
tion"^. C'est-à-dire que cette expérience est déterminée
par divers facteurs psychologique, physiologique, éthique ou
esthétique qui jouent des rôles importants dans
1'acquisition dynamique du savoir visuel, mais qui
contribuent aussi par la même occasion à le relativiser.
1.2.6 Invariance/mobi1ité
Un autre problème inhérent aux mouvements visuels est
soulevé par la proposition du psychologue américain de la
perception James J. Gibson concernant 1'invariance versus la
mobilité. Saint-Martin remarque que Gibson a été "profon
dément préoccupé par 1'apparente contradiction qui surgit
entre la mobilité extrême des processus de perception et les
"constances" dont témoigne l'image perceptuelle que l'on se
fait communément de la réalité extérieure"^.
Comment expliquer cette impression de "constance"
ancrée dans notre image du réel, par rapport à la dynamique
de la perception? Gibson, pour sa part, remplace
1'isomorphie proposée gestaltistement par Kohler par une
Saint-Martin, op. cit., p.54.
Saint-Martin, op. cit., p.58.11
21
espèce d'isomorphie "écologique". Selon Gibson, "les organes
sensoriels seraient dotés d'un double réseau fonctionnel,
dont l'un accueillerait les sensations et dont l'autre
effectuerait la perception"^, ce qui est une hypothèse
très difficile à vérifier expérimentalement d'après Saint-
Martin .
Le problème à résoudre se situerait dans la perception
elle-même: peut-on constater à travers l'expérience
perceptuelle des objets permanents et constants dans la
réalité? Si l'on veut rester dans le domaine du regard la
proposition de Gibson est plutôt, d'après Saint-Martin, une
position d'ordre métaphysique essentiellement, qui serait
liée au concept philosophique de constance et d'immuabilité
dans le temps.
Par contre, la psychologie de la Gestalt affirme
expérimentalement le contraire, à savoir "que des processus
permanents sont la source de mouvements et de changements
incessants dans le réel perçu"^. C'est en tout cas la
position que retiendra la sémiologie topologique.
Saint-Martin, op. cit., p.59.
13 Saint-Martin, op. cit.. p.64.
22
1.2.7 Figure/fond
Un autre mouvement visuel d'un grand intérêt pour la
sémiologie visuelle est celui de 1'opposition de la figure
et du fond. Dans le tableau la figure est "la région plus
dense avec un contour plus ou moins précis, le reste sera le
fond"^. Mais ces deux éléments ne sont pas constants, ils
se transforment à travers la multiplicité des regards, on
l'a vu et démontré.
Ceux-ci découvrent des régions ou des zones qui
engendrent du changement. La figure perçue durant la
première centration acquiert un caractère différent en
relation avec les autres régions. La figure peut ainsi
devenir fond par rapport à une région avoisinante plus dense
et, inversement, le fond peut devenir figure par rapport à
une région avoisinante moins dense. On peut donc
(re)connaître plusieurs réversibilités.
Saint-Martin précise que "cet équilibre réversible
tient à ce que toute figure est dotée de forces
structurelles, contextuelles, qui s'actualisent différemment
P. 65.14 Saint-Martin, op. cit..
23
sous 11 action de centrations qui parcourent toute la
région"*'’. Il va de soi que ces deux éléments sont dans une
interaction constante; on ne peut pas imaginer ou percevoir
la figure sans le fond ou le fond sans la figure. Ils sont
perçus "dans un même moment".
Ce rapport étroit entre figure et fond confirme que la
psychologie de la Gestalt ne survalorise pas le caractère
déterminant de la figure. Saint-Martin souligne cependant
que l'art visuel, depuis l'Impressionnisme, a réduit la
disjonction conventionnelle figure/fond. L'art moderne a
rejeté le statisme de la convention spatiale de la figure
sur le fond héritée de la pensée platonicienne. Mais malgré
cela, dans les tableaux modernes représentant toujours des
choses stables, à travers la vision fovéale et maculaire, on
peut privilégier des segments en les mettant en rapport avec
d'autres, ce qui permet de contourner la figure iconique
habituelle qui persiste à s'imposer implacablement au
regard.
Somme toute, dit Saint-Martin, "le message le plus
fondamental de la théorie de la Gestalt est que la
perception doit être définie avant tout comme engagée dans
15 Saint-Martin, op. cit., p.66-67.
24
une fonction mobile, toujours partielle et constructive
d'ensembles toujours changeants"^.
1.2.8 La bonne forme
Le processus de perception n'admet pas seulement
1 * existence de "figures fortes", iconisées qui forment des
gestalts. Il existe aussi des gestalts qui sont élaborées à
partir de ce processus même et qui consistent en une
"pulsion de regroupement perceptuel des agrégats visuels".
Ce processus particulier permet de rapprocher les régions
moins précises à des gestalts visuelles plus fortes.
Cette pulsion de regroupement est animée d'entrée de
jeu par la dynamique de 1 ' activité perceptive, qui, bien
sûr, fait appel autant à des figures géométriques simples
qu'aux choses représentables issues du monde naturel ou du
monde artificiel. Cette activité perceptive n'a besoin que
d'un minimum de sens figurai pour reconnaître l'objet
représenté qui est lié à toute la totalité du champ visuel.
La psychologie de la Gestalt a observé d'ailleurs que
ces regroupements gestaltistes sont davantage facilités
p. 71.16 Saint-Martin, op. cit.,
25
lorsqu'ils sont regroupés "dans des totalités simples,
régulières et fermées, qu'en ensembles irréguliers,
complexes et ouverts . Cette hypothèse s'explique ainsi :
si ces regroupements ne facilitent pas la tâche de les
regrouper dans des figures simples et régulières, alors le
percepteur aura résolument tendance à transformer ces
éléments pour faire "perceptuel 1 ement une figure définie et
régulière"*®, le plus souvent de l'ordre de 1'iconique.
Quelles sont à cet égard les formes de regroupement
privilégiées par la perception? Ce sont la régularité, la
symétrie, l'unité ou 1'intégration des parties, 1'harmonie,
le maximum de simplicité et la concision*®. Avec Saint-
Martin on arrive ainsi à définir un premier niveau
organisationnel des éléments visuels : c'est-à-dire le
concept de "la bonne forme" lié le plus souvent aux formes
géométriques simples.
En elle-même cette bonne forme est dès l'abord le
résultat de 1'expérience perceptuelle antérieure du sujet,
expérience qui est constituée à la fois par le contexte
Saint-Martin, op. cit. , p.75.
Saint-Martin, op. cit.. p.76.
p . 7 6 .19 Saint-Martin, op. cit..
26
socio-culturel et par 1'apprentissage des schémas
conceptuels. Cette expérience préalable à 1'activité
perceptive est fondamentale dans la reconnaissance
pragmatique des bonnes formes. Saint-Martin explique en ce
sens que cette "loi de prégnance" doit donc être désignée
comme une "pression vers la gestalt" qui engage le trajet
toujours actif, mais approximatif, de la construction
perceptuelle de la bonne forme . Saint-Martin signale que
cette tendance à la boniformisation serait de facto
omniprésente chez le percepteur devant n'importe quel
stimulus figurai.
En sémiologie topologique, ces regroupements ou
boniformisations s'activent ensuite en regard des premiers
niveaux d’organisation du champ visuel que sont les rapports
topologiques, c'est-à-dire les relations de voisinage, de
séparation, d'enveloppement, d* emboîtement, d'ordre et de
continuité qui ont été identifiées théoriquement par la
sémiologie visuelle. La psychologie de la Gestalt aura
justement reconnu et installé quelques lois d'organisation
de ces regroupements perceptuels, à savoir la proximité, la
similitude, la similitude dans la direction commune, la
clôture et la bonne continuité, ce que reprendra et
20 Saint-Martin, op. cit.. p.78.
27
développera aussi Saint-Martin dans son modèle d'analyse.
Dans son ensemble, le champ visuel est ainsi dynamisé
par l'activité perceptive du percepteur et par la richese
des éléments constitutifs qui sont insérés dans ce même
champ. A cette fin la boniformisation n’est pas une simple
appellation des objets reconnaissables, elle s'insère plutôt
dans une démarche "tensionnelle", où le processus de
perception doit comparer et évaluer les stimuli présents
dans le champ visuel, ainsi que "les aspect différents des
images visuelles mentales servant de bonnes formes"(81).
La reconnaissance proprement dite d'une bonne forme
s'établit donc à partir d'une activité complexe qui découle
du travail subjectif du percepteur. Mais s'il ne réussit pas
à constituer cette bonne forme, une tension désagréable
régnera en lui et alors il interprétera les stimuli visuels
présentés à son regard comme offrant de "mauvaises
gestalts". A cet égard, ce sont plus particulièrment les
formes ouvertes qui offrent plus de tension que les formes
fermées, quoique le percepteur tiendra à les
enfermer/renfermer en transformant la figure. Par exemple,
un triangle ouvert dans son sommet sera vu comme "mauvaise
gestalt" et sera transformé en fermant le sommet, créant dès
lors des triangles ou d'autres figures. Néanmoins, lorsque
28
la boniformisation est accomplie, 1'expérience perceptuelle
primordiale est finie. Pour Saint-Martin, c'est un mécanisme
intrinsèque nécessaire, particulier à la perception des
choses.
Dans tout processus de regroupement perceptuel d'ordre
figurai, deux formes de tension différentes seraient
présentes chez le percepteur : "un besoin de construire
perceptuel 1 ement de bonnes formes, d'une part, un désir de
les contester comme simple redondance, d'autre part"2*.
D'où la complexité continue dans le temps et dans 1'espace
de cette position du spectateur-regardeur.
Saint-Martin fait remarquer en conséquence que la
qualité de 1'oeuvre artistique n'est pas synonyme de
1'existence de bonnes formes, ni d'équilibre entre celles-ci
ou de mauvaises gestalts. Ce critère d'appréciation
relèverait plutôt de la dynamique qui fait que le percepteur
prend conscience de ces structures sous-jacentes qui
l'aident à connaître les richesses du monde réel ou du monde
imaginaire.
p.lll.21 Saint-Martin, op. cit.,
29
Saint Martin conclut en ce sens que "la description de
l'effet perceptuel de ces tensions entre bonnes et mauvaises
formes dans le champ visuel, selon les lois générales de
jonction et de disjonction explicitées par la théorie de la
Gestalt, constitue l'une des bases fondamentales de
1'analyse syntaxique"^ en sémiologie visuelle. Un autre
aspect aussi important prend en charge les relations
figurai es établies dans ce champ à partir de ces effets
perceptuels.
1.3 Les rapports topologiques
Pour Saint-Martin, les travaux de Jean Piaget sur les
rapports topologiques, liés aux structures spatiales
géométriques, sont fondamentaux. Cette topologie aura
notamment aidé les critiques et les historiens d'art à
remettre en question les critères constitutifs de 1'espace
euclidien de la Renaissance. Pierre Francastel soulignait
déjà en esquissant une notion de relativité spatiale :
"Je crois en un mot que les recherches de Piaget et de Wallon nous permettent de comprendre comment ce que crée chaque époque, ce n'est pas la représentation de 1'espace mais 1'espace lui- même, c'est-à-dire la vision que les hommes ont
22 Saint-Martin, op. cit., P. 112.
30
du monde à un moment donné" .
Dans le même sens, selon Saint-Martin, les théories
sur l'épistémologie psychologique de Piaget ont renouvelé
radicalement notre approche de l'objet d'art.
Sémiotiquement, il serait vrai, comme le propose Piaget, que
nous sommes en interaction avec cet objet d'art, c'est-à-
dire que notre connaissance se fait à partir de l'action que
nous exerçons sur lui. Il s’agit ainsi d'une action
dialectique. De plus, 1'oeuvre d ' art renferme une
intentionalité: c'est le produit synthétique d' une
interaction entre cette oeuvre et le monde extérieur. En
cela, elle est esthétique, elle est connaissance virtuelle.
Cet objet s'active ensuite dans un univers de
signification où chacun de nous reconstruit de nouvelles
connaissances, en comparant, en évaluant, en associant cet
objet à notre expérience sensori-motrice et intellectuelle.
C'est ici qu'intervient le principe de la "bonne forme".
Mais si, en ce sens, cet objet d'art est une totalité,
comment peut-on espérer percer sa structure, comment peut-on
l'étudier sans toutefois privilégier dans l'analyse une
seule forme de représentation spatiale, par exemple "la
Pierre Francastel, Etudes de sociologie de l'art, ed. Denoël, Paris, 1970, p.143.
23
31
perspective euclidienne" la plus traditionnelle, la plus
classique.
Comme le rappelle Saint-Martin, les travaux de Piaget
ont montré, au contraire, 1'existence de différentes façons
de représenter l'espace. La perspective linéaire géométrique
d'Alberti en serait une parmi d'autres. Elle n'est donc pas
un aboutissement nécessaire dans le développement
intellectuel de l'être humain, et ainsi la seule façon de
voir et d’expliquer le monde qui est le nôtre.
A ce sujet, Piaget nous enseigne plutôt que la première
forme de représentation de l’espace, nous la trouvons chez
le jeune enfant grâce aux rapports topologiques, et que ces
rapports vont subsister encore dans le dessin fait à l'âge
plus avancé du réalisme visuel. Pour sa part, Saint-Martin
rapproche ces dessins d'enfant tant de l'art primitif que de
l'art moderne. Elle souligne que l'art abstrait du 20e
siècle a privilégié ces mêmes types de rapport qui sont
d'entrée de jeu plus près de 1'expérience réelle de
l'espace. D'où sa volonté de faire des rapports topologiques
une variable essentielle de 1'analyse sémiotique visuelle et
1'intérêt de nous arrêter un moment sur la définition de ces
notions piagetiennes.
32
Piaget souligne que le premier rapport élémentaire est
celui de voisinage, c'est-à-dire celui qui concerne "des
éléments perçus dans un même champ". Le deuxième rapport
consiste en leur séparation; "deux éléments voisins peuvent,
en effet, s'interpénétrer et se confondre en partie :
introduire entre eux un rapport de séparation consiste à les
dissocier, ou du moins à fournir un moyen de les
distinguer"^.
Le troisième rapport spatial vise la mise à l'ordre;
"il intervient très précocément,.... sans doute, lorsque le
regard ou le toucher du bébé parcourent une suite d'éléments
rangés de façon constante"^. Le quatrième rapport, c'est
1'entourage en une suite ordonnée ABC; là, 1'élément B est
perçu comme étant "entre A et C, ce qui constitue un
entourage à une dimension. Sur une surface, un élément peut-
être également perçu comme entouré par d'autres; tel le nez
encadré par le reste du visage"^.
De plus ces quatre rapports topologiques s'insèrent
dans le rapport plus global de continuité. C'est pourquoi,
Jean Piaget, La représentation de l'espace chez l'enfant, P.U.F., Paris, 1948, p.18.
Piaget, op. cit. p.18.
Piaget, op. cit., p.19 .26
33
selon Saint-Martin, cette continuité serait le rapport "le
plus fondamental du champ spatial, puisqu'il questionne la
nature même, la cohérence et la densité des mises en
relation de tous les éléments entre eux"^.
Sémiotiquement parlant, en suivant Piaget, la
construction de 1'espace serait donc propre à 1'activité de
l'être humain en relation avec le réel. Ce n'est pas
seulement un donné sensoriel pur perçu par 1 'individu. Il
existerait conséquemment un écart entre la perception,
l'acte de perception et la représentation, avec comme
résultat que toute forme de représentation spatiale reste
toujours une (ré)organisation. C'est pour cela que la notion
d'espace est un pluriel chez Saint-Martin, et qu'il
existerait théoriquement plusieurs espaces à découvrir: un
espace postural, tactile, visuel, auditif, kinesthésique,
etc. .
Etant donné leur hétérogénéité, tous ces espaces sont
cependant difficiles à dissocier, puisqu'il faudrait dégager
objectivement les éléments formants de chacun d'eux. Cette
tâche est d'ailleurs rendue très ardue à cause de la nature
même de 1'expérience perceptive et intellectuelle du sujet.
27 Saint-Martin, Sémiologie du langage visuel. P.U.Q., Sillery, 1987 , p.78.
34
On retiendra en tout cas que chaque centration visuelle est
ainsi pleine de dynamisme, qu'elle ne commence jamais à
zéro, qu'elle fait plutôt partie d'un processus extrêmement
complexe qui est l'objet même de la quête sémiotique.
Par exemple, la construction de 1 'espace se réalise dès
les premiers mois de la vie de l'enfant. C'est à partir de
là que le sujet commence un long processus perceptif et
expérimental. Par la suite, lorsqu'arrivera le moment de la
représentation, tant dans les sciences que les arts, c'est
cette expérience sensori-motrice et imaginaire qui s'ajou
tera aux nouvelles expériences et à leurs relations avec le
réel .
Enfin, il faut dire aussi brièvement quelques mots sur
la profondeur. Selon Piaget, dans son troisième stade de
développement, l'enfant met en relation les objets, de telle
sorte qu'il va chercher un objet qui est éloigné de lui.
Mais ce n'est pas parce qu'il a déjà intégré une notion de
profondeur. En effet, pour que la profondeur soit perçue
visuellement, il faut satisfaire trois conditions sine qua
non: la superposition des objets ; le nombre important des
objets qui s'interposent entre 1'objectif perçu et le sujet;
les différentes vitesses de déplacements que nous observons
en bougeant notre tête ou tout notre corps, car seuls ces
35
déplacements nous permettent d'évaluer la parallaxe des
AOobjets lointains . A défaut d'une notion substantialiste
de profondeur, c'est donc plutôt la topologie et ses
dynamismes singuliers qu'expérimente dès l'abord le jeune
enfant quand il entre en contact avec les objets de son
environnement immédiat.
Bref, les premières années de vie de l'enfant sont
déterminées par une activité subjective du monde. Puis,
c'est à partir de 1'expérience intellectuelle qu'il commence
à différencier le moi et le non-moi. C'est alors le
surgissement d'une prise de conscience du sujet et de sa
relation avec le monde environnant. Mais ce processus
n'aboutit pas nécessairement à la construction d’une
perspective dite "euclidienne", car celle-ci n'est jamais
parvenue à recouvrir tout 1'héritage occidental. Elle n'est
pas innée ; elle n'est qu'une forme de représentation parmi
d'autres.
D'ailleurs, "elle ne correspond pas à une expérience
réelle de l'espace"^, comme 1’avance la sémiotique
topologique, qui en appelle alors en priorité comme base
28
29
Piaget, op. cit.. p.43.
Piàget, op. cit.. p.46 .
36
explicative à des variables d'ordre perceptuel et plastique
pour faire vraiment tout le tour de cette question de la
communication visuelle par/dans le tableau.
1.4 Eléments constitutifs de la sémiologie visuelle
1.4.1 Le colorème
C'est à la lumière de cet horizon "topologique" que
nous voulons aborder maintenant les différents éléments
syntaxiques qui constituent la sémiologie visuelle de
Fernande Saint-Martin. Voyons tout d'abord la définition de
l'unité de base du langage visuel, le colorème.
Selon Saint-Martin, cette notion est constituée de
variables visuelles obtenues via des centrations du regard
dans un champ visuel spécifique. "Le colorème se définit...
comme la zone du champ visuel linguistique, corrélative à
une centration et constituée par une masse de matière
énergétique regroupant un ensemble de variables visuel-
les"^. Le colorème est structuré en deux régions qui
correspondent "à la vision fovéale, plus précise, dense et
compacte, et des couches périphériques, moins denses, moins
claires et plus diffuses, correspondant à la vision maculai-
30 Saint-Martin, Sémiologie du langage visuel, p.6.
37
re" . Ce n'est qu'en fonction de ces visions
fovéale/maculaire que le percepteur réussira à reconnaître
visuellement différentes zones, qui sont imperceptibles à la
vision périphérique, et à les relier dans une totalité. Le
colorème n'est pourtant pas une identité physique
déterminée, malgré son côté objectif qui 1 ' engage à être une
masse colorée mise sur une surface. Le colorème se forme
plutôt à partir d'une idée de "dépendance corrélative" à
l'égard d'autres colorâmes qui sont eux aussi observables à
travers 1'analyse colorématique.
1.4.2 Les variables visuelles constitutives
Les variables visuelles sont réparties en six
catégories : la couleur, la texture, la frontière, la dimen
sion, 1'orientation et 1’implantation dans le plan. Les deux
premières sont des variables plastiques et les quatre
dernières sont des variables perceptuelles.
La couleur joue un rôle dynamique très important dans
les variables plastiques. Une couleur n'est jamais vue.
Certes on peut la nommer à travers des catégorisations
verbales, mais celles-ci ne rendent jamais compte des
31 Saint-Martin, op. cit., p. 6.
38
changements et des mouvements qui interviennent dans la
formation d'une teinte quelconque. De plus, si la masse
colorée est objective, sa perception demeure subjective,
puisqu'elle est d'ordre psychologique : "percevoir une
couleur ou resssentir une sensation chromatique est un
phénomène d'ordre psychologique, issu d'une activité
cervicale dès le moment où le processus de la vue a été
déclenché par les stimulus lumineux mis en relation avec
l'appareil optique"^.
Selon les centrations du regard, cette relation
perceptive transforme le chromatisme d'une région ou d'un
colorème, de telle sorte qu'il se produit une série de
mutations au niveau de la masse colorée. La couleur que nous
assignons verbalement à une zone n'existe pas, "les termes
qui désignent les couleurs réfèrent à un concept de masse,
c'est-à-dire à tout ce qui participe de rouge ou de bleu,
mais cette couleur que nous voyons supposément dans notre
univers mental, isolée et égale à elle-même, n'a jamais
existé et n'existera jamais"^.
Saint-Martin, op. cit., p.29.
Saint-Martin, op, cit., p.28.33
39
Au plan de la formation même des couleurs, s'inspirant
des américains Berlin et Kay, la sémiologie topologique
reconnaît 1'existence d'un certain nombre de pôles
chromatiques. Elle en désigne 13 : le rouge, le bleu, le
jaune le vert, l'orangé, le violet, l'ocre, le pourpre, le
brun, le rose, le blanc, le noir, le gris, qu'il faut
étudier chacun à partir de la chromaticité, de la
saturation, de la tonalité, de la luminosité et de la
complémentarité.
La deuxième variable plastique est la texture. C'est un
élément pluriel comme la couleur. Ces deux éléments sont
dans un rapport étroit, ils s ' inter-influencent; on ne peut
pas les isoler. Le support matériel, qu'il soit bois, verre,
métal ou tissu, va déterminer pour une bonne part les
différentes couches "texturées" d'une peinture. Saint-Martin
définit donc cette notion de texture comme une variable qui
intervient à la fois dans les profondeurs et à la surface du
tableau :
"on entend par texture une propriété de la masse colorée qui joue aussi bien dans ses profondeurs que sur la pellicule de surface par des inclinaisons diverses et des disjonctions qui infléchissent différemment 1'absorption et la réfraction des rayons lumineux par des corps opaques, modifiant ainsi leurs effets chromatiques"^.
34 Saint-Martin, op. cit P. 65.
40
1.4.3 Les variables perceptuelles
Les variables perceptuel 1 es relèvent des structures
psychologiques et physiologiques agissant sur les stimuli
externes. On en compte quatre : la dimension, la position
dans le plan, la vectorialité et les frontières ou contour
des formes.
La dimension est une étendue de masse perçue par
l’oeil; elle n'est pas mesurable. Elle se concrétise à
travers les différentes centrations; elle s'étire selon la
quantité de masse colorée et selon sa position par rapport
au Plan Originel identifié initialement par Kandinsky et
sémiotisé par Saint-Martin. La dimension se présente comme
une masse possédant les trois dimensions. Cette masse "se
définit comme le quotient de résistance de ses énergies du
champ ambiant qui agissent sur elle, lui imposant un certain
nombre de tensions vers des changements et mouvements
visuels"^. La dimension est ainsi très importante
lorsqu'on analyse des colorèmes distribués sur la totalité
du champ visuel.
p. 69.35 Saint-Martin, op. cit.,
41
L'implantation dans le plan, comme son nom 1'indique,
est définie par rapport à la position occupée dans le plan.
Il s'agit de la relation entre les colorâmes quant à leur
positionnement dans les trois dimensions. Cette variable
perceptuelle est donc déterminée en relation avec la
hauteur, la largeur et la profondeur, par les paramètres des
côtés périphériques externes du champ visuel et par rapport
aux différents axes de la structure interne de ce champ.
Quant à la profondeur proprement dite comme phénomène
perceptuel d'implantation du regard, elle est directement à
1'origine de ces éléments physico-perceptuels . Car elle est
presqu* entièrement subjective, bien qu'elle recouvre une
partie physique, puisque les éléments de couleurs et de
textures agissent comme stimuli externes.
On reconnaît sémiotiquement à cet égard deux types de
profondeur : une profondeur optique et une profondeur
illusoire. La profondeur optique est déterminée par le
chromatisme des couleurs qui sont en interaction dans le
champ visuel. Saint-Martin définit cette première profondeur
comme une "perspective" véritable: "nous appellerons
perspective optique l'ensemble des réseaux de profondeur
défini dans le champ visuel par les dynamismes particuliers
des couleurs et tonalités et les organisations spatiales qui
42
en découlent"^.
La profondeur illusoire relève par contre de certaines
conventions qui ont été élaborées arbitrairement par 1'homme
à travers son histoire depuis 1'Antiquité jusqu'à l'époque
moderne et qui sont devenues la base normative de la
reconnaissance iconique des objets tridimensionnels, peints
sur une surface bidimensionnelle. L'iconologie panofskienne
participe aussi de cette vision du monde.
Pour la sémiotique topologique cette notion
conceptuelle de profondeur ne crée donc pas des systèmes de
pensée qui sont coupés de 1'activité perceptive ou de
1'évolution des différentes cultures. La notion de
profondeur présente dans les différentes civilisations nous
1'enseigne, ainsi que les concepts mêmes qu'elles se font de
leur propre monde, soit imaginaire, soit réel.
Les deux dernières variables perceptuelles sont la
vectorialité et les frontières des formes.
La vectorialité est la tension et 1'orientation qu'un
colorème ou plusieurs col crèmes prennent dans le champ
P. 75.36 Saint-Martin, op. cit.,
43
visuel. Une masse physique mise dans ce champ est pourvue
d'une énergie capable de provoquer des rayonnements. Cette
masse physique prend ainsi une orientation qui sera
déterminée à partir des rapports qu'elle établira d'entrée
de jeu avec le Plan Originel.
Selon Saint-Martin, "les frontières ou contours
correspondent à un changement qualitatif entre deux régions
voisines du champ visuel perceptible dans un ou plusieurs
colorâmes" . Ces contours peuvent être flous ou nets selon
l'élément qui participe et déclenche la séparation: par
exemple, si c'est une ligne nette ou si c'est une
dégradation de la couleur ou du changement de texture. Cette
variable perceptuelle participe au premier chef de la
construction des formes ouvertes ou fermées qui sont
inscrites dans le Plan Originel, dont on doit aussi
maintenant questionner les principes constitutifs pour aller
plus loin dans 1’analyse syntaxique.
1.5 Le plan originel
On l'a dit, c'est le peintre Wassily Kandinsky qui a
formulé pour la première fois les principes de base du Plan
Saint-Martin, op. cit., p.79.37
44
Originel. Il était conscient que cet élément contribue à
1'engendrement de l'oeuvre plastique. Kandinsky définit le
Plan Originel comme étant "la limitation délibérée d'une
portion de l'univers sur laquelle la composition se
fera. Sémiotisant cette définition, Saint-Martin ajoute
"que cette portion de l'univers doit se présenter comme un
type défini de surface dont les particularités dépendront
des éléments qui l'engendrent"^.
On dira en conséquence que le Plan Originel commence et
se structure à partir de deux lignes verticales parallèles
et de deux lignes horizontales parallèles. Ainsi on tendra
à une forme fermée dotée de quatre angles d'où part une
énergie centripète qui dépend du format. De plus, puisque
cette structure distribue l'énergie vers le centre, la
sémiologie topologique propose, au lieu de le considérer
comme une surface bidimensionnelle, que "le plan originel
est une masse qui possède une courbe ondulante formée d'une
épaisseur ou d'un volume intérieur de densité variable,
selon le lieu que l'on considère"^.
Saint-Martin, Op. cit., p.102.
Saint-Martin, Op. cit., p.102.
Saint-Martin, Op. cit., p.126.40
45
Cette énergie engendrée par les quatre coins et par les
côtés périphériques résulte alors en un système de deux
diagonales qui "engendrent deux groupes de deux triangles
superposés"^. On aura la diagonale harmonique et la diago
nale dysharmonique et, en même temps, les triangles
harmoniques supérieur/inférieur et les triangles
dysharmoniques supérieur/inférieur, ces quatre triangles
formant un plan carré virtuel.
Illustration A: Les deux niveaux de 1'infrastructure du
plan originel.
En sémiologie topologique ces deux diagonales
constituent en ce sens le premier niveau de 1'infrastructure
du plan originel (v. illustration A). Le deuxième niveau est
formé par les axialités horizontale et verticale engendrées
41 Saint-Martin, Op. cit., p.126.
46
par le mouvement décroissant des énergies des quatre angles
vers les régions centrales du plan (v. illustration A).
D’après Saint-Martin, cette axialité est une constante
objective qui est tributaire des énergies même de la
matière, si l'on veut du matériau sémiotique et de sa
distribution, et non le produit d’une élaboration du peintre
dans le processus de création. La conjugaison des axialités
horizontale et verticale avec les diagonales représente
ainsi la base opératoire du plan originel, et dirige le
regard vers les effets de distance et de perspective qui
jouent alors au niveau du champ visuel.
1.6 Effets de distance et de perspective
Saint-Martin appelle "perspectives", "les ensembles
organisés de marques sensibles, offrant les paramètres
définissant la distance et la profondeur dans les
représentations visuelles"^. Cependant, on parle encore
souvent de "perspective" en histoire de l'art en 1'associant
abusivement aux données de la seule géométrie euclidienne,
de telle sorte qu'on analyse le champ visuel en surévaluant
une perspective unique, c'est-à-dire qu'on procède comme si
p.149.42 Saint-Martin, op. cit.,
47
le producteur artistique n'organisait l'espace pictural
qu'à partir d'une seule expérience spatiale, celle d'Alberti
et de ses disciples.
On s'est ainsi habitué à envisager la "perspective
linéaire" comme un système perspectiviste supérieur qui
engloberait tous les autres systèmes de représentation.
Pourtant des historiens d'art et des critiques, tels Erwin
Panofsky et Pierre Francastel, ont depuis longtemps insisté
sur le caractère relatif des systèmes perspectivistes, et
ont démontré que le choix d'une perspective donnée se fait
dans le contexte d'une culture, de la mentalité d'une époque
ou de toute la structure sociale d'une société. On reconnaît
encore depuis ces interventions que les perspectives
visuelles ont une fonction proprement symbolique, qu'elles
sont 1'expression d'une communauté de pensée et de la façon
dont les hommes, en collectivité, structurent 1'espace et le
temps.
En ce sens, en sémiotique topologique, la perspective
de la représentation est justement fondée sur des bases
sensorielles et conceptuelles. Car elle veut rendre compte
d'une pluralité d'expériences des producteurs artistiques,
en considérant que, depuis le début des temps, les hommes
ont voulu représenter leur monde intérieur/extérieur à
48
travers différentes perspectives, donc à travers différentes
façons de voir ou de revoir ces deux mondes.
A cet égard, pour Saint-Martin, chaque individu serait
un spectateur unique, non seulement devant une oeuvre d'art,
mais aussi devant le spectacle du monde naturel. Cela est dû
à son caractère proprement égocentrique, c'est-à-dire à la
position que 1 'observateur a par rapport aux choses vues et
perçues. Cette position égocentrique oblige le spectateur à
multiplier les centrations pour avoir plus d'informations
sur l'objet, mais cela ne rend pas réelle pour autant sa
représentation des choses. Saint-Martin souligne à ce sujet
que 1'espace perceptif donne un discontinu énergétique
substantiel et que 1'espace de représentation a seulement
d'emblée une fonction symbolique.
Par conséquent, tout système de perspective nous
présenterait cet espace perceptif comme un lieu complexe de
mises à distance. En outre, Saint-Martin souligne justement
que;
"la perception de la distance dans les trois dimensions s'effectue à partir de 1'information sensorielle présentée par l'oeuvre picturale, et non pas à partir du souvenir d'une image visuelle mentale même si, dans certains cas les références peuvent s'établir entre la dimension proportione1 le de certains stimuli dans le tableau et le souvenir qui lui est associé dans
49
1'expérience des objets de la réalité"^.
Autrement dit, c'est le tableau même qui nous transmet
les différentes informations que nous évaluons comme
percepteurs en termes sensoriels et conceptuels grâce à
l'activité perceptuelle. Même si ces informations existent,
et sont données à voir, elles ne forment pas en soi une
structure capable de rendre compte de l'organisation de
l'espace pictural en termes perspectivistes. C'est seulement
en regard de l'interaction entre l'objet d'art et le specta
teur averti ou l'analyste qu'il est possible d'établir les
critères organisationels de la perception de l'espace et de
sa représentation.
Les systèmes perspectivistes s'organisent alors autour
"de deux axes principaux, selon qu'ils tendent à modéliser
une expérience spatiale proche du corps du locuteur/produc
teur, ou à une grande distance de lui"^. La première
expérience se réfère à la hauteur et à la largeur, la
deuxième à la profondeur. On trouve ainsi de nouveau deux
types d'effets de profondeur: un effet topologique et un
effet illusionniste.
Saint-Martin, op. cit., p.150.
Saint-Martin, op. cit., p.151.44
50
Le premier réfère "aux distances qui restent très
rapprochées du corps propre, dans la distance intime et la
distance personnelle"^. Par contre, les profondeurs
illusionnistes, on l'a démontré, "sont des mouvements
suggérés dans le champ visuel, non pas par des mécanismes
propres à la perception visuelle elle-même ou à la structure
des variables visuelles, mais plutôt par une interprétation
associative résultant d'un code d'apprentissage culturel
spécifique"^. En tout cas ce sont dès l'abord ces effets
de distance qui sont déterminants dans la mise en oeuvre des
différents systèmes de perspectives révélées par la
sémiologie visuelle.
1.7 Systèmes perspectivistes
La sémiologie topologique divise justement les systèmes
perspectivistes en trois blocs, chacun obéissant à deux
impératifs : un premier d'ordre sensoriel et un second
d'ordre conceptuel.
Le premier bloc contient les perspectives proxémiques
qui sont élaborées à "une distance proche de 1'organisme".
Saint-Martin, op. cit., p.154.
Saint-Martin, op. cit., p.157.46
51
Il y a différentes perspectives proxémiques: les
perspectives optique, parallèle, arabesque ou à entrelacs,
focale, réversible, uniste, tachiste, en damier et les
perspectives microscopiques. Dans le deuxième bloc, on
retrouve les perspectives proxémiques relatives ou mixtes,
dont les perspectives sphérique, axiale, frontale, de
rabattement, cavalière, cubiste (analytique et synthétique),
projective, baroque et la perspective isométrique. Dans le
dernier bloc, on note les perspectives à distance lointaine,
telles que les perspectives linéaire, inversée, oblique,
atmosphérique, à vol d'oiseau, en étagements, en hauteur et
la perspective de l'anamorphose.
Inutile de s'attarder davantage sur un travail de
définition théorique de ces perspectives qui ont été
discutées à fond par F. Saint-Martin et Marie Carani^.
Nous y reviendrons ponctuellement au moment de l'analyse
syntaxique. Il suffit de préciser pour l'instant qu'un
réseau original s'établit entre plusieurs de ces
perspectives au plan d'une oeuvre particulière, ce que nous
tenterons de démontrer et d'organiser en termes d'énoncés
visuels.
Marie Carani, "Etudes sémiotiques sur la perspective", Cahiers du GRESAC, 1, département d'histoire, Université Laval, Québec, 1989.
52
1.8 Passages
Une application pragmatique à une oeuvre visuelle peut
démontrer avantageusement 1'engrenage de ce système ou
modèle sémiotique d'analyse, dont nous venons de présenter
les éléments de base, tels qu’ils ont été formulés depuis
quelques années par Fernande Saint-Martin.
53
CHAPITRE 2
L'analyse colorématique.
2.1 Présentation de 1'analyse
La sémiologie visuelle développée par Saint Martin est
divisée en trois parties : 1'analyse colorématique, 1'analyse
syntaxique proprement dite et 1’analyse sémantique.
L'analyse colorématique, comme son nom 1'indique,
réfère à 1’analyse des colorâmes. L'objectif de cette
analyse est de "reconnaître la dynamique et les tensions
propres aux premières unités de la perception avant qu'elles
ne soient insérées dans des structures syntaxiques plus
54
élaborées"^.
De plus, 1'analyse colorématique rend compte de la
structure des colorâmes en tant que système organisé à
partir de certaines variables visuelles qui déterminent
leurs modes d'intégration, leurs potentialités d'expansion,
leurs vectorialités, leurs énergies vibratoires, etc...^.
Dans cette analyse, nous tenons compte de la
conjonction ou de la disjonction de ces colorâmes à travers
les rapports topologiques et les regroupements ou
disjonctions gestaltiens. Cela nous permet de construire des
énoncés structurels qui seront insérés ensuite dans l'étude
des régions et des sous-régions du champ visuel.
Il est certain par ailleurs que cette analyse
colorématique ne rend pas compte d'une division réelle de ce
champ. Néanmoins, elle nous sert à reconnaître ou à prendre
conscience de la dynamique des colorâmes qui sont situés à
l'extérieur ou en périphérie d'une zone figurale décrite
et désignée comme une "gestalt forte" et qui a été reconnue
généralement en termes strictement iconiques par les
49
Saint-Martin, sémiologie visuelle, p.246.
Sait-Martin, op. cit.. p.246.
55
analystes. L'analyse colorématique nous permet ainsi de
saisir ces événements perceptifs jadis oubliés ou ignorés à
cause du désintéressement qu'on manifestait envers l'étude
de ces régions non lexicalisées et non désignatives du champ
visuel.
Dans ce contexte, l'analyse colorématique est le début
d'un long processus de restructuration qui annonce et
préside à l'analyse syntaxique. Ainsi, "regroupées dans
l'unité du colorème, ces variables visuelles sont déjà
insérées dans une structure syntaxique minimale, celle d'une
région topologique susceptible d'entrer en rapport
énergétique avec d'autres unités"^.
La reconnaissance de cette structure syntaxique
minimale est une nouvelle façon de voir pour deux raisons:
premièrement, l'analyste qui s'engage dans cette voie doit
délaisser toute une gamme de préjugés impressionnistes qui
ont été véhiculés depuis très longtemps en histoire et en
critique d'art sur la façon de regarder une oeuvre d'art;
deuxièment, il lui faut réapprendre à percevoir une oeuvre
d'art, c'est-à-dire qu'il ne doit surtout pas sous-estimer
toutes les zones, les régions ou les intervalles entre les
p.247-248.50 Saint-Martin, op. cit..
56
figures nommables où le producteur artistique semblait ne
vouloir rien dire.
2.2 Développement de 1'analyse
Pour rencontrer ces attentes méthodologiques, nous
avons utilisé analytiquement une grille modélisante en 20
cases. Celles-ci sont nommées et désignées de A à T (v.
illustration B). Chacune de ces cases est aussi subdivisée
de 1 à 5 (v. illustration C) . En regard de cette grille,
nous avons ensuite interroger toute la surface du tableau
considéré de Joan Miro, La Sieste (1925), pour signaler les
différentes caractéristiques que contiennent ces cases ou
les colorâmes mis en oeuvre.
Dès l'abord, nous pouvons ainsi établir sémiotiquement
d'après la position qu'elles occupent dans le plan original,
que les cases A, E, P et T sont animées par 1 ' énergie
potentielle des coins. On peut encore adresser les données
suivantes. Les cases C, H, M et R se situent sur l'axe
vertical central. Les cases F, G, H, I, J, K, L, M, N et O
sont localisées sur l'axe horizontal central. Les cases P,
L, H, D, Q, M, I et E sont animées par la diagonale
harmonique ; les cases A, G, M, S, T, N, H et B, par la
diagonale dysharmonique. Les cases A, F, K et P sont situées
57
sur le côté périphérique vertical gauche; les cases I, J, O
et T sur le côté périphérique vertical droit ; les cases A,
B, C, D et E sur le côté périphérique horizontal supérieur
et les cases P, Q, R, S et T sur le côté périphérique
horizontal inférieur.
_ A • C ft E
f 6 H I J
K L N 1 0
F 1 1 S T
Illustration B: grille en 20 cases appliquée à 1 * oeuvre
picturale. 1
4 5 2
3
Illustration C: Exemple d'une case subdivisée de 1 à 5
en suivant le mouvement des aiguilles d'une montre.
58
DESCHPTK* DESCOLOREMES
A2->A1-A5-A3-B4 A3->A4-A5-A3 //A4->A1-A3-A5
A5->AH2-A3-A4 BHA1-B4-B5-B2-C1 B2->B1-B5-BK4
BHB4-B5-B2-C1 B4->S2-B1-B5-B3 B5->B1-B2-B3-B4
CBC2-C5-C4-B1-D1 C2-X3-C5-C1-D4 C3-XM-C5-C2-H1
C4->C1-C3-C5-B2 C5-XÜ-C2-C3-C4 DHD4-D5-D2-CI-E1
D2->E4-D1-D5-D3 D3->D4-D5-DH1D4->D1-D5-D3-C2 |
D5->D1-D2"D3-D4 EBD1-E2-E4-E5 E2->E3-E5-E3
E3->E2-E4-B5-J1 E4->E3-E1-E5-D2E5->E1-E2-E3-E4 |
F1->F2-F4-P5-A3-G1 F2->F1-F3-F4-G4-F5 F3->F2-F5-P4-K1
F4->P1-F3-P5 F5->F1-P2-P3-F4 GHB3-G4-G5-G2-PH1
G2-X51-G3-5H4 G3->L1-G4-G5-G2 G4->G5-G3-G1-P2
G5->G1-G2-C3-G4 Hl->52-H5-B4-C3-Gl-Bl H2->H1-B3-H5-I4
H3->H2-H4-H5-H1 H4->H1-H3-H5-G2 H5->M-fi3-B4
n->I2-I4-I5-DHl-Jl I2->I3-I1-I5-J4 C->I2-I4-I5-81
I4->I1-I3-I5-H2 //I5->I1-I2-I3-I4 JKJ2-J4-J5-E3-I1 J2->J1-J3-J5
J3->J2-J5-J4-01 J4->I2-J3-J1-J5 J5-M-J2-J3-J4
K1->K2-K4-K5-P3-L1 K2->K3-K1-K5-L4 K3->K2-K4-K5-P1
K4->K1-K3-K5 K5->R1-K2-KH4 L1->G3-L2-L4-L5-R1-H1
L2->H4-L3-L5-L1 L3->L4-L5-L2-Q1 L4->L1-L3-LH4
L5->L1-L2-L3-L4 H1->H3-LHH-H2-H4-H5 M2->H1-H3-HH4
H3->H2-H5-H4-R1 H4->H1-H3-H5-L2 M5->M1-M2-M3-H4
HHI3-H1-01-I2-H4-B5 H2-XJ4-HH5-I3 E3->Sl-!l4-85-12
$4->H2-HHH5 H5-IH2-IH4 OHEW3-O2-O4-05
02->01-03-05 03->T1-04-05-02 04-H11-03-05-H2
05-X11-02-03-04 P1->K3-Q1-P4-P2-P5 P2-W-P1-P3-P5
P3->P2-P4-P5 P4->P1-P3-P5P5->P1-P2-P3-P4 1
Q1->L3-PH1-Q2-C4-Q5 Q2->03-Q5-Ql-R4Q3->Q2-Q4-55 I
(X-WQ5-P2 M-Q2-W R1->Q1-S1-H3-R2-R5-R4
R2->S4-R1-R3-R5 R3->R4-R2-R5 R4->Q2-R3-R1-R5
R5->R1-R2-R3-R4 SHNH1-T1-S2-S5-S4 S2->T4-S3-S1-S5
S3->S4-S2-S5 S4->R2-S1-S5-S3 S5->S1-S2-S3-S4
T1-X13-S1-T2-T4-Ï5 T2->T1-T3-T5T3->T2-T4-T5 I
Ï4->Ï1-T5-T3-S2 Î5->11-I2-T3-Î41
TAB. I: Cette description nous indique les
relations qui s'établissent entre les
colorâmes, notamment les différences entre
ceux qui sont situés sur les côtés
périphériques et ceux positionnés sur les
axialités verticales et horizontales du plan
originel.
60
Vectomtitë
TAB. 2: Le prélèvement de la vectorialité au
sein des cases retenues est important pour
définir le type d'orientation dominante dans
1 'oeuvre. Nous observons dans ce tableau de
Miré que les mouvements verticaux virtuels se
succèdent dans plusieurs des cases du modèle.
61
TiFEs K misais mu courais unans
assi
VOISINAGE SEPARATION ENVELOP. EMBOITE. REPETITION RECURRENCE JBXTAPOSL SOPERPOSL
Al-42 I
AH3 I X
13-A4 I XA1-A5 I
il-M %
Al-Bl X
&2-A5 I
13-A5 X
A3-F5 I
àH5 I
A2-B4 X
TAB. 3: La caractéristique principale qu'on
peut observer dans la case A c'est la prédomi
nance des rapports de voisinage et de sépara
tion. D'autre part, on remarque qu'un colorème
peut établir deux ou plusieurs types de liai
son avec un autre colorème (A2-A3 et A3-A4).
62
OSSI
VOISIliGE SEPARATU» BffELOP. EMBOITE. 8EPETIÏÏM RECOMICE JCIfâPO. SOPPER.
B1-B2 X
B1-B5 I
B1-B4 X
Bl-il • X
BMI X
B2-B5 X
B2-B3 X
B2-C4 X
B3-B4 X
B3-B5 I
BK1 X
B4-B5 X
B4-12 X
TAB. 4: Ce tableau nous montre la prédominance
des rapports de séparation et, en second lieu,
1'importance des rapports d’enveloppement.
63
CMC
VOISHSGE SEPiRITIOH BiïELOP. EMBOITE. REPETITIOS RBcmsacE JOXTàPO. SOPKRP,
C1-C2 X X
C1-C4 X
CHS X
Cl-Dl X
Cl-Bl I I
CHS X
CHS I
C2-D4 X
CHS I -
CK4 %
CH1 % X
CHS I
C4-B2 X
TAB. 5: Les rapports de voisinage et de sépa
ration sont dominants dans la case C. On
retrouve ensuite les liaisons de récurrence.
64
OS»
V0ISUAGE SSP&RATKH EKVEL0P. EMBOIfl REPETÜK* RECIJRRHCE JffïîiPO. SOPfflP.
Di-n X
Dl-Cl X X
DI-D4 I
01-05 X
D1-D2 X
D2-D3 I
D2-D5 I
02-84 I
03-05 X
DK-M X
03-n X
M-D5 I X
D4-C2 X
TAB. 6: Les rapports de voisinage et de sépa
ration sont les plus fréquents dans la case D.
Les rapports d'enveloppement suivent.
65
OSI
V0IS1I10E mmm BÏBLOP. EMBOITE. REPETITION RECÜRREKE JOXTiPO. SOPERP.
BB1 I
E1-E4 i
I1-E5 X
E1-E2 i
E2-E5 X
E2-E3 X
E3-E4 X
E3-E5 X
E3-J1 I I
E4-85
BH2 X X
TAB. 7: La case E présente seulement trois
types de rapports. Le plus fréquent est celui
de séparation; interviennent ensuite l'enve
loppement et le voisinage.
66
OSE F
VMSUME SEPARATUM OTHLOP. EMBOITE. REPETITIOI RECÜRREKE ÎOXTAPO. SUPERP.
F1-A3 X X
Fl-Gl X
FI-F4 X
F1-P5 X
F1-P2 X
F2-F3 X
F2-F5 X
F2-G4 X
FMI X
B-F4 X
F3-F5 X
F4-F5 X
TAB. 8: Ce sont les rapports de séparation qui
dominent dans la case F. Les rapports de
voisinage viennent en seconde instance.
67
086
foisn&GS SEPARATE* OffBLOP. EMBOITE. EXPETITE* BKORSEKE JOXTàPO. SGPXSP.
oi-n I
GHM
G1-G2 I
G2-G3 i
G2-G5 X
GHS i
GH4 X
G3-L1 X
GHM X
GHS X
G4-G5 X
TAB. 9: La case 0 nous présente trois types de
rapports, ceux de séparation, de voisinage et
de répétition.
68
081
mam SEPARATE» DffKLOf. EMBOITE. REPETITK* RECÜRSEVCS jomro. S0PERP.
Hi-n X
HH4 I
B1-B5 i
81-82 i
82-14 X
82-83 X
82-85 X
82-MI X
B3HH X
82-15 X
84-85 X
TAB. 10: Les rapports de séparation et de
répétition sont déterminants dans la case H.
69
OSI
ïoism SEPàRiTH* BiïELOP. EMBOITE. RXPEnmi SECOBREKS roxm S0PE8P.
M X X
n-H
n-G X
IH5 X
D-J4 X
G-B X
G-B X
B-n X
B-I4 X X
B-B X I X
H-B X X I
TAB. 11: La case I établit quatre types de
rapports: ceux de séparation, de voisinage, de
superposition et de répétition. Les liaisons
les plus fréquentes sont celles de séparation.
70
CMU
fOISHàGi SEPARATES ESTELOP. EMBOITE. tEPEimtS IECQS8EKE mm SOPEHP.
JW4 X I X
JH2 X
J1-J5 X
32-03 I I
32-35 X
Jttl X X
J3-J4 X X
33-35 X X
34-35 X X
TAB. 12: La case J présente cinq types de rap
ports, mais ce sont les rapports de voisinage
et de séparation qui se retrouvent le plus
souvent.
71
OSI
ÏOBUSG! sepmmbx BiïKLOP. EMKHTK. Mpnraoi BBCOMEKK JUXT&PO. SOPKKP.
ki-li I X
KHM X X
KH2 X
KHS I
KH3 X
KHS X
I2-L4 X
K3-P1 X X
K3-H I X
KHS X
K4-K5 X
TAB. 13: La case K nous montre six types de
rapports, Ce sont quand même les rapports de
séparation qui la caractérisent le plus.
72
oai
irasnKE SEPtiUUM mm. EMBOITE. RXPEHTIOI BSCOBSEKE mm. SOPERP.
ll-Hl I X
LH4 X
LH5 X
U-L2 X X
12-M4 i X
L2-L3 X X X
L2-L5 I I I X
L3-L4 I X
IH5 X X X
L3-Q1 X
L4-L5 X X X
TAB. 14: La case L offre une importante va
riété de rapports. Les différents colorâmes
établissent ainsi six rapports dont cinq sont
dominants (le voisinage, la séparation, l’en
veloppement, la récurrence et la superposi
tion) .
73
OSI
VOISHÎGE SXPttMH» BVKLOP. EMBOITE. REPHUH* SECURSEECE JtfXTàPO. SOPERP.
K1-H I X
Hl-Kt I X X X
M1-M5 X X X
M1-M2 X X I X
MH4 X X
H2-K3 X X
M2-K5 I X
khi I
K3-H4 X X
K3-» X
MHS X X I X
TAB. 15: Les différents colorèmes de la case H
établissent sept rapports. Les plus dominants
sont ceux de voisinage et de séparation.
74è
OSI
yrasmcE SEPiim* BiïELOP. EMBOITE. REPEHTBI MC0B8BFC8 roxTiPO. SOPffiP,
11-01 X
1H4 i i
IMS X X X
EH2 X I
12-04 I I
1H3 X i
IMS I I X
13-81 X
I3HH I I
IMS I I X
IH5 X
IH3 X
TAB. 16: La case N supporte sept types de rapports.
Ceux de séparation sont présents dans huit liaisons, ils
couvrent la totalité de la case. Les rapports de voisi
nage viennent en second lieu.
75
OHO
VŒDBGE SEPARATE* DffBLOP. EMBOITE. REPETITE* R8CÜ8R8KE HJXTAP0. S0PERP.
01-04 I X
01-05 % X
01-02 X X
02-03 I X
02-05 I X I
03-T1 X X
03-04 X X
03-05 X X
04-05 I
TAB. 17: Les liaisons qui établissent les
différents colorèmes de la case O sont les
suivantes: les rapports de séparation (6), de
voisinage (5), d'enveloppement (3), d'emboîte
ment (2), de récurrence (2) et de superposi
tion (3).
76
Pour aller plus loin dans cette analyse colorématique,
et par commodité méthodologique, il faut faire intervenir
dès maintenant 1'analyse syntaxique, car une bonne part de
celle-ci se déroule au plan même des colorâmes repérés dans
le tableau. On reprendra donc les résultats de 1'analyse
colorématique en les intégrant significativement dans
1'organisation syntaxique proprement dite de l'oeuvre
abordée, après avoir identifié les données de base de cette
composition.
77
CHAPITRE 3
L'ANALYSE SYNTAXIQUE
3.1 Présentation de 1'analyse
L'analyse syntaxique se veut un système analogique
capable de rendre compte du processus d'organisation du
champ visuel, et cela dans les trois dimensions étant donné
la dynamique des variables visuelles qui en constituent la
base matérielle. Ces variables sont insérées dans le Plan
Originel par le producteur selon sa manière propre, donc
selon son point de vue spécifique, ce qui crée des écarts
78
stylistiques importants entre chaque artiste, et d'emblée
entre chaque tableau et rend possible l'étude de textes
visuels particuliers.
Lorsqu'on introduit dès l'abord l'idée d'analogie, on
se réfère à ce qui distingue la sémiologie visuelle topolo
gique de 1'analyse syntaxique verbale, où le processus de
reconnaissance des éléments signifiants se réalise à partir
d'une analyse strictement linéaire et irréversible. Ce qui
prévaut dans le verbal, ce sont les relations digitales
entre des éléments discrets, tels que "les unités morphéma-
tiques du langage verbal. La sémiologie visuelle propose
au contraire "1'introduction d* opérateurs qui puissent
rendre compte de la fonction spatiale, analogique et
continue du langage visuel. Ces opérateurs sont la clé
de 1 ' activité syntaxique, et de son déroulement dont on peut
rappeler les principales étapes.
La première étape de 1'analyse syntaxique consiste en
la division du champ visuel en segments ou en agglomérats de
colorèmes, c'est-à-dire en régions, à travers un balayage de
la vision périphérique. Malgré le caractère restreint de
Saint-Martin, op. cit., p.255.
Saint-Martin, op. cit., p.255.
79
cette vision, elle prépare le terrain pour une étude
ultérieure qui pourrait segmenter davantage 1'oeuvre
abordée.
La vision périphérique se caractérise par la présence
de bâtonnets qui rend la perception des objets moins
précise ; elle réagit aux stimuli des ensembles dans un
mouvement de haut en bas et de gauche à droite, couvrant
donc tout le champ, notamment les périphéries, tandis que la
vision maculaire/fovéale est plus précise et fixe plus
centralement l'objet perçu. On ne peut cependant séparer ces
deux systèmes visuels, car ils interviennent toujours
dialectiquement dans le regard.
"La vision ambiante, (périphérique) sans la vision focale (maculaire/fovéale), serait limitée à la simple détection des changements survenant dans le monde extérieur. La vision focale, sans la vision ambiante, serait aussi infirme que celui qui tenterait d'examiner un tableau dans une pièce obscure avec un mince pinceau lumineux"53.
L'analyse syntaxique opère dès le stade de 1 'analyse
colorématique, puisqu'elle y décrit déjà certaines opéra
tions d'ordre topologique ou gestaltien. C'est ainsi qu'à
partir de notre grille théorique en 20 cases appliquée à
Marc Jeannerod, Les deux mécanismes de la vision, "La recherche en neurobiologie" éd. du Seuil, Paris, 1977, p. 89.
53
80
l'ensemble du champ visuel sélectionné, on a pu discuter et
analyser chaque colorème, repéré selon son étendue et son
énergie, en rapport avec les autres colorâmes de la surface.
Cela nous amène ensuite à établir des relations colorémati-
ques et à prolonger chacune des centrations effectuées, d'où
l’obligation qui s'ensuit d'agglomérer certains colorâmes de
façon à former une petite région ou de manière à visualiser
dans cet agglomérat une figure gestaltiste quelconque.
La sémiologie topologique propose différentes étapes à
cet égard. Tout d'abord, il faut différencier l'oeuvre d'art
en régions à partir de la vision périphérique, puis on doit
décrire ces différentes régions, ainsi que leurs relations,
en fonction des variables visuelles engagées, telles les
pôles chromatiques, la texture, la frontière, la vectoria-
lité et l'implantation dans le plan. Cette étape sert à
découvrir le type de vision sollicitée et les différents
systèmes de perspective que le producteur a utilisés.
Ensuite, il faut étudier les liaisons topologiques entre ces
régions à partir des mécanismes gestaltiens, tels que "la
reconnaissance de regroupements gestaltiens dotés, par
habitudes acquises, d'une fonction iconique; pression de la
bonne forme, émergences figure/fond, etc..
54 Saint-Martin, op. cit.. p.258.
81
Par la suite, on peut s’arrêter aux rapports des
régions et des sous-régions avec 1'infrastructure du Plan
Originel. Ces rapports permettent à 1 ' analyste de déterminer
le dynamisme de la courbe spatiale du plan pictural:
"Cette description fait état 1) des énergies différentielles actuelles; 2) des énergies différentielles potentielles et virtuelles; et 3) de la production de modélisations spatiales spécifiques continues/di s conti nues"55.
Suit enfin l'étape de la segmentation de 1'oeuvre d'après la
quantité d'énergie dont sont dotées ces différentes régions.
Cette segmentation est un pas important vers un travail
syntaxique plus en profondeur, où l'on peut prendre en
charge les énoncés que pourraient produire les régions entre
elles. On en arrive alors à la "reconnaissance dans les
régions et sous-régions segmentées des arrangements de
variables visuelles liées à la spatialisation structurelle
des divers espaces organiques"55, identifiés par la topolo
gie à la suite des recherches piagetiennes.
Pour notre analyse du tableau "La Sieste", de Miré,
nous avons donc établi 10 régions. Chacune de ces régions a
été subdivisée en sous-régions selon le besoin de 1'analyse
(v. illustration D).
Saint-Martin, op. cit., p.258-259.
Saint-Martin, op. cit., p.259.56
82
Illustration D: segmentation du plan pictural en dix
régions et différenciation de celles-ci en sous-
régions, par vision maculaire/fovéale.
I
82
11 lustration
régions et
régions, par
D: segmentation du plan pictural
différenciation de celles-ci en
vision maculaire/fovéal e .
en dix
sous-
rib anbEtiiEDtiE 4 obei/i 4
anbEbiçntiE
4
obeh
83
3.2 Les variables plastiques
3.2.1 Les pôles chromatiques
Miré a utilisé cinq des treize pôles chromatiques
identifiés par la sémiologie visuelle de Saint-Martin.
Cependant, c’est le bleu qui est le plus présent. Nous avons
ainsi désigné par le numéro 7, la région où le pôle chroma
tique du bleu pâle sature la totalité de la surface. Cette
saturation par le bleu (du ciel) implique une perception
tridimensionnelle liée au modèle naturaliste.
Les autres régions présentent par contre un degré
chromatique moins fort. RI, noir+gris; R2, blanc+bleu; R3,
bleu+noir; R4, jaune ; R5, brun ; R6= noir ; R7, bleu+blanc et
R8-R9-R10, noir.
Au plan de cette distribution même des pôles chromati
ques, on note que le bleu+blanc est présent dans 20 cases
sur 20; le noir dans 7/20 cases ; le noir pâle et le bleu+-
noir dans 2/20 cases; le jaune et le brun dans 1/20 cases.
Les effets perceptuels qui sont générés par cette
distribution inégale sont déterminés d'abord par le pôle
chromatique dominant. On remarque que la présence du pôle
bleu+blanc suggère la présence d'une espèce de "fond"
84
impliquant des profondeurs plus ou moins déterminées. Dans
1'ensemble de R7, ce pôle bleu+blanc subit des transforma
tions selon la quantité ajoutée de blanc. Ces alternances
chromatiques créent des contours, ou bien délimités, ou en
dégradés, de telle sorte qu'on pourra établir ensuite dans
cette région 16 sous-régions en suivant le dégré de lumino
sité, de tonalité, de texture, de vectorialité, etc.
Dans la région R2, le pôle blanc+bleu est organisé en
contour net, malgré la pénétration du bleu. Il établit un
carré virtuel avec un prolongement en faucille vers le côté
périphérique inférieur où une quantité de jaune est mélan
gée, de telle sorte que la tonalité de la région 2 présente
des enclaves de tonalités différentes. Le b1anc+bleu+jaune
a un effet direct sur la figure en la rapprochant de la
surface et en faisant reculer en même temps le bleu+blanc.
Cependant, ces effets sont parfois contrecarrés par 1'hori
zontale du sommet de cette figure qui accentue 1'axialité
horizontale centrale du Plan Originel, et par une diagonale
dysharmonique qui intervient au-dessous de cet axe horizon
tal central. La figure de R2 est aussi contredite par la
vectorialité circulaire de R8. Par contre, la juxtaposition
de la couleur noire de RI la propulse vers le spectateur.
85
Dans la région 3, le pôle chromatique bleu+noir combiné
avec d'autres variables visuelles crée l'effet d'un plan
intermédiaire. La région 3 s'établirait ainsi entre la
région 2, posée à 1'avant-plan, et la région 7, située dans
1'arrière-plan.
Quant aux deux petites régions (R4-R5) , leur effet
chromatique est moindre, voire minimal. Ces deux régions
sont influencées par la région 8 qui est constituée de deux
diagonales convergentes. L'une de celles-ci traverse les
frontières des deux petites régions en les rapprochant. Mais
c'est au niveau des couleurs jaune et brun qu'on va diffé
rencier leurs positions respectives dans la profondeur : le
jaune de R4 faisant reculer le brun de R5.
La région 6 est caractérisée par le pôle noir peint en
aplat lisse. Elle est formée par des lignes en arabesque. La
façon dont elle est organisée nous oblige à 1 ' interpréter
comme étant un symbole numérique. On y reviendra 1 ors de
1'analyse gestaltienne.
Enfin, la région 1 est caractérisée par le pôle
chromatique noir, en touche frisée. Perceptuel 1 ement, elle
se trouve en avant à cause des ouvertures des touches
frisées qui laissent entrevoir le fond bleu. Mais elle est
86
repoussée par la couleur blanche de R2.
Il faut remarquer encore le mélange de jaune et de bleu
dans les sous-régions 7b, 7a, 7h, 7k, 71; malgré la quantité
minimale de jaune, elles se différencient nettement du reste
de la région 7.
dratiw
Chroia Sahaüon * lurinosité
Clair Foncé Rouge Bleu Jaune Oui Ion Forte Moyen.Faible J
Rouge
Bleu X I X I X
Jaune I X
Vert X
Orange
Violet
Ocre
Pourpre
Brun X X
Rose
Banc X I
loir X X
Gris X - X
TAB. 18: Nous présentons ici les différents
niveaux de chromatisme qui sont reconnaissa
bles sur toute la surface. Ainsi nous consta
tons que nous sommes en présence de quatre
pôles chromatiques : le bleu+blanc et dans
certaines sous-régions, le bleu+blanc+ jaune
qui donne un effet de vert selon la lumière
extérieure. Le jaune est foncé. Comme le brun,
le blanc+bleu et le noir sont soit de forte
saturation, soit de moyenne saturation à cause
de la présence du gris (RI)
88
Tonalités
Régions Très assombri Pâli Très pâli Clair-obscur âsscdbri le s'ppligue pas
1 X
2 X
3 X
4 X
5 X
6 %
7 X
8 I
î I
10 I I
TAB. 19: Les dix régions repérées présentent
différents niveaux de tonalités. Ansi RI est
sombre; R2 est très pâle; R3 est sombre; R4
est pâle; R5 est sombre; R6, R8, R9, et RIO
sont très sombres et R7 pâle. Cependant cette
division est relative, puisqu'il y a dans ces
tonalités des différences, par exemple entre
R4 et R7, les deux sont pâles, mais leur
niveau de chromatisme est différent.
89
3.2.2 La texture
"La Sieste" comporte une texture mâte, luisante, striée
et en boucle. Si on regarde attentivement les différentes
régions, on peut voir qu'elles présentent différents types
de texture. Dans R7, le traitement de la matière est par
touches striées, juxtaposées et superposées. Dans R2, il est
réalisé grâce à des touches aplaties et mates, avec une
certaine porosité au-dessous de l'axe horizontal central.
Dans RI, elles sont en boucle et superposées, laissant
passer la lumière, ce qui crée un effet de sphère. Dans R4,
R5 et R6, les surfaces sont aplaties et lisses. La région 3
présente par contre des touches tachetées avec un peu de
relief. Dans R8, R9 et RIO, ces touches sont luisantes.
3.3 Variables perceptuelles
3.3.1 La dimension
Par la vision périphérique, on peut découper les diffé
rentes étendues qui occupent les régions repérées. On
remarque que quatre cases sont occupées par la région 1,
sept par la région 2, une par les régions 4, 5, 6 et 9,
trois par les régions 3, 8 et 10, alors que vingt cases
cependant, c'est-à-dire la totalité de la grille, sont
occupées par la région 7.
90
Six des dix régions occupent partiellement plusieurs
cases, et seule la région 7 occupe au moins six cases
complètement. Ces dernières sont situées sur le côté
périphérique inférieur du champ visuel.
3.3.2 Les frontières/formes
On note en surface des formes géométriques réelles ou
virtuelles qui sont parfois déformées (v. illustration D).
Dans RI, on remarque à travers le mouvement circulaire de la
touche en boucle, un cercle avec un contour mal défini. R2
pourrait être un carré virtuel, augmenté d'un demi-cercle ou
d'un arc. R3 serait un polygone non convexe virtuel ou une
figure plane quelconque ouverte sur le côté périphérique
droit. R8 a une forme circulaire. R9 serait une figure
ondulée ouverte, RIO une forme non géométrique qui s'allonge
en diagonale, R4 et R5 des rectangles, tandis que R6 serait
une figure en arabesque fermée. Toutes ces régions présen
tent ainsi des figures géométriques fermées ou semi-fermées.
Seule la région 7 présente des formes ouvertes.
Cependant, pour établir les frontières, il faut étudier
les sous-régions qui composent ces régions.
La sous-division R7b comporte un rectangle déformé qui
91
se prolonge vers le côté périphérique supérieur; R7a
présente des formes ouvertes rectangulaires, verticales et
horizontales ; R7c montre des formes non définies ; R7d
présente une figure circulaire avec des contours dégradés,
R7e une figure circulaire avec des contours en pointillé,
R7f une figure rectangulaire déformée sur le côté périphéri
que gauche.
R7g montre un polygone triangulaire virtuel; R7h est
constituée par une tête de femme, où les parties de son
visage sont définies par les traits fins du nez; R7 j est
caractérisée par 1 ' enlacement de trois cercles; R7i présente
une figure géométrique irrégulière; R7k a des formes
irrégulières fermées ; R71 comporte des formes circulaires et
triangulaires avec des contours dégradés ; R7m une forme
rectangulaire et R7n, R7o, R7p constituent des formes
triangulaires irrégulières.
La région 6 est sous-divisée en deux sous-régions avec
des formes en arabesque. Il faut signaler la présence de
deux figures qui font référence au nombre 12 dans le coin
supérieur droit.
92
Toutes ces formes définies dans les différentes régions
n'ont cependant pas de caractéristiques similaires; elles se
présentent d'une manière virtuelle et irrégulière. Ce sont
les sous-régions situées dans la région 7 qui présentent au
premier chef des problèmes de frontières en se superposant
et en s'emboîtant les unes dans les autres, créant ainsi des
irrégularités. Les différentes régions qui offrent des
gestalts plus ou moins fortes s'inscrivent par contre comme
figures géométriques élémentaires et seule la région 7
présente les problèmes de frontière déjà évoqués.
En faisant plusieurs centrations, on se rend compte que
l'on peut élargir encore le nombre des sous-régions. Cela
dit, les frontières mêmes sont déterminées par la conjugai
son d'autres variables visuelles, tant par rapport au Plan
Originel lui-même qu'à partir de la façon dont 1'artiste
réitère plastiquement dans une certaine mesure ce Plan
Originel.
La relation figure/fond qui s'établit entre les régions
se présente comme suit : par superposition dans R2-R7; par le
pôle chromatique dans R1-R7 et dans R1-R2; par la dimension
et les pôles chromatiques dans R4-R7 et dans R5-R7; par la
texture, le pôle chromatique et les frontières dans R3-R7.
Puis, la relation figure/fond entre les sous-régions
93
s'organise de la manière suivante : par l'effet d'enveloppe
ment dans R2a-R8b; par l'effet de contenant/contenu dans
R8b-R2aa et dans R8-R7i; par l'effet de volume dans R7h qui
avance vers l'avant.
De même, c'est par effets chromatiques, par effets de
texture et de frontières que la région 7 établit des
différences dans toute son étendue, comme l'effet chromati
que qui se présente entre un bleu clair et un bleu foncé.
Grâce à l'effet de texture, cette région 7 se présente comme
striée, porose, pointillée, etc.. Par les frontières, les
contours y sont dégradés. Il y a aussi des superpositions et
des emboîtements, principalement dans R7f et dans R7e. Par
superposition, R2b est propulsée par la vectorialité de RIO
et par celle de l'axe horizontal central.
94
Illustration E: Les différentes formes ouvertes et
fermées.
95
3.3.3 La vectorialité
Les orientations que prennent les différentes régions
et les sous-régions sont déterminées pour une bonne part par
la façon de percevoir et d* analyser les différents éléments
du plan pictural. Il faut surtout considérer la manière dont
ce plan s'insère dans le Plan Originel.
Dans "La Sieste", on voit que 1 1 orientation que
prennent les régions et les sous-régions s'inscrit sur la
diagonale harmonique, c'est-à-dire que cette diagonale est
réitérée virtuellement par la liaison qui s'établit percep
tuel lement entre les régions. Cela ne veut pas dire cepen
dant qu'il existe un seul type d'orientation.
Si on analyse chaque région et chaque sous-région, on
comprend qu'elles présentent différents niveaux de vectoria
lité. Dans la région 1, on assiste à un déploiement d'éner
gie centrifuge par la re-création d'un rayonnement qui
atteint surtout les sous-régions R7k-R71 situées sur le plan
carré virtuel (AEBF).
La région 2 est superposée aux sous-régions R7k-R7a,
R7p, R7o. Sa vectorialité verticale et oblique accentue dans
un secteur réduit la diagonale harmonique. On saisit que le
96
mouvement est arrêté par les contours nets des frontières
qui délimitent bien cette région.
Dans R3, on aperçoit une orientation oblique sur la
diagonale harmonique avec un prolongement virtuel sur le
côté périphérique supérieur. Ce mouvement se fusionne avec
les énergies de la sous-région 7d. Dans R4-R5, 1'orientation
s'inscrit sur la diagonale harmonique, principalement sur le
triangle harmonique supérieur. La vectorialité est unie ici
à celle de la sous-région 8b. Dans R6, on note le même
mouvement sur la diagonale harmonique arrêtée par des
frontières bien définies.
Des zones problématiques persistent pourtant, que nous
avions, dans notre première approche, attribuées à la région
6, comme si elles étaient des sous-régions. Ainsi, dans la
zone située entre R7n et R7c, 1'orientation se prolonge en
réitérant la diagonale dysharmonique avec décalage. La zone
située dans R7o présente un mouvement ondulatoire sur l'axe
horizontal central avec un prolongement virtuel sur la
diagonale harmonique. Dans la zone située entre R7n et R7i,
le mouvement est circulaire avec un prolongement horizontal
sur l'axe horizontal central.
97
Dans RIO, le mouvement se poursuit en reitérant la
diagonale dysharmonique avec décalage. R9 présente une
orientation ondulatoire sur l'axe horizontal central avec un
prolongement virtuel sur la diagonale harmonique. R8 est
caractérisée par une orientation en diagonale qui se
poursuit grâce aux deux diagonales convergentes. L'une est
orientée vers le coin supérieur droit, l'autre vers le coin
inférieur droit, mais cette dernière est arrêtée par l'axe
horizontal central et par une forme circulaire. L'origine de
ces deux diagonales est une autre forme circulaire semi-
enveloppée par R2a, ce qui constitue ainsi un triangle
irrégulier virtuel.
Les sous-régions que nous avons définies en cours
d'analyse présentent aussi diverses orientations, selon leur
position. Dans les sous-régions 7a-7b et 7m, la direction
verticale est stoppée par des mouvements horizontaux ou par
la superposition qui surgit entre les deux sous-régions
concernées. La sous-région 7c présente un mouvement très
dynamique, soit une direction verticale se dirigeant vers la
diagonale harmonique. La sous-région 7f possède un mouvement
vertical qui enveloppe la sous-région 7e. Dans R7e, le
mouvement est fusionné avec celui de la sous-région 7f. On
assiste à une conflagration d'énergie produite par la
rencontre de deux mouvements.
98
La sous-région 7g nous montre un mouvement horizontal et
vertical déterminé par les frontières qui s'établissent
entre R7h et R7f. La sous-région 7h offre comme particula
rité un mouvement centripète qui se chevauche dans R4-R5 et
R7j. La sous-région 7i supporte un mouvement vertical qui
s'emboîte dans la sous-région 7 j. Dans la sous-région 7 j , on
remarque, par des procédés getstaltiens, trois cercles
entrelacés. Leur orientation est problématique à cause des
réseaux de lignes qui traversent ces trois cercles. Ces
réseaux prennent différentes orientations, verticale,
diagonale ou circulaire. La sous-région 7k présente deux
vecteurs, l'un vertical et l'autre diagonal, précisément sur
la diagonale dysharmonique. La sous-région 71 se présente
elle aussi avec deux orientations, qui sont toutefois diffé
rentes ; l'une est circulaire centripète, l'autre est posée
en diagonale et s'enligne vers le côté périphérique supé
rieur .
99
I REGIONS COULEUR TONALITE TEXTURE FORME/CONTOUR VBCTORIMJTE DIMENSION
Bl->82 D D D D D D
R1->R3 D B D D D 0
Rl->84 D D D D D D
Rl-tiS D D D 0 D D
82->R3 D . D D L D D
R2-*4 D L L L L D
82->B5 D L L L L •
R3->R4 D D D L L ,
B3->85 D D D 1 L D
R2-W8 D D D L L D
R8->84 D L L L L D
R1HR2 D D D L D D
R4->R5 0 L L L L L
TAB. 20: Résultat global des jonctions/dis jonc
tions entre les différentes régions selon cinq
variables visuelles.
100
3.3.4 L'implantation dans le plan
Dans notre présentation initiale de la sémiologie
topologique, nous avons abordé les deux types de profondeur :
la profondeur optique et la profondeur illusoire. Dans "La
Sieste", on distingue la présence d'une profondeur optique
comme caractéristique principale. Les indices en sont une
absence de profondeur illusoire qui serait constituée par un
réseau de coordonnées fictives. D'ailleurs, on rencontre
plutôt une certaine uniformité dans la surface peinte via le
pôle chromatique bleu+blanc qui occupe presque entièrement
le champ visuel.
Cette uniformité, bien qu'elle n'élimine pas toute
perception du lointain, la rapproche par contre dans une
perspective proprement proxémique. Il existe cependant des
sous-régions qui présentent des problèmes quant à leur
positionnement dans le plan. Mais avant de parler de ces
sous-régions, on doit préciser le type de vision sollicité.
D'après notre grille de répartition (en 20 cases), on
constate que les cases D-E-I-J sont perçues à travers la
vision maculaire et fovéale. Les cases G-H-L-B-A relèvent
cependant d'une vision périphérique et maculaire. Les autres
cases sont perçues à travers la vision fovéale. On peut donc
101
avancer que la totalité des sous-régions 7 présentent cette
caractéristique d'être perçues prioritairement par vision
fovéale.
3.4 Position et visées du producteur
Le producteur procéderait en ce sens selon diverses
visées réparties à la surface du tableau:
a) visée frontale : d'après les axes vertical et
horizontal, dans R2, R7e, R7f, R7b, R7a, etc;
b) visée perpendiculaire de bas en haut : dans
R7b, R7a, R7m, R7c, R7d et R7f;
c) visée angulaire de haut en bas : dans R3, R8a,
RIO;
d) visée angulaire de bas en haut : dans R7c, R7d,
R7m, R2;
e) visée angulaire du côté gauche vers le côté
droit : dans R2, R4, R5, R9, RIO, R8;
f) visée angulaire du côté droit vers la gauche :
dans R7k, R7h, R71;
g) visée angulaire oblique vers le haut : dans
R71, R7k, R4, R5, R7c;
h) visée angulaire oblique vers le bas: dans R3.
102
3.5 Les modes perspectivistes
On signalera maintenant les différents modes perceptifs
auxquels Miré aurait eu recours, en spécifiant pour chacun
les mécanismes mis en oeuvre. Selon les visions maculaire et
périphérique, "La Sieste" s'organise de la manière suivante
au plan de regroupements perspectifs :
Perspective optique. Par juxtaposition, par le pôle chroma
tique et par la vectorialité qui animent 1'enclave située
entre R7n et R7i et la sous-région R2a, ainsi que les
régions 4 et 5, la région 7 se présente obligatoirement
comme un fond. Aussi, par la texture et la position dans le
plan originel, RI provoque un éloignement des sous-régions
71 et 7k. Par juxtaposition de la couleur blanche dans R2 et
de la couleur noire dans RI, cette dernière s’éloigne du
regard.
Perspective parallèle: Ce mode de représentation opère par
la vectorialité, par la couleur, par la texture, dans R7b,
R7a, R7m, R7c, R7d, R7f, R7k, etc..
Perspective arabesque: Cette vision perspective passe par
l'effet volumétrique dans R7f, R7d, R7h, etc.
Perspective focale: Par le pôle chromatique, par la texture
et par la vectorialité, ce mode perspectif concerne toutes
les sous-régions de R7.
Perspective réversible: Selon les différentes centrations,
103
on constate que dans R7h et R3, la position perspective se
situe soit à l’avant, soit à l'arrière, et vice-versa.
Perspective tachiste: On rencontre dans R7 des frontières
définies soit par une ligne contour, soit en dégradées ou
par des frontières diffuses. On trouve aussi que l’orienta
tion verticale et l'orientation horizontale se succèdent en
alternance, comme les différentes tonalités du foncé au plus
clair qui sont mises en oeuvre par le producteur.
Perspective en damier: L'artiste réitère en surface le
deuxième niveau de l'infrastructure du Plan Originel, qui
est constitué par les axialités horizontale et verticale
centrale. Cette réitération est réalisée au moyen d'une
verticale centrale diffuse et d'une horizontale centrale
bien définie par une ligne, ce qui forme l'image et donne
l'énergie d'une croix.
Perspective microscopique: Tout se passe par effet de gros
plan dans R7, R2, RI et R3.
Perspective frontale: Un effet de verticalité frontale
rapproche les différentes sous-régions de R7.
Perspective de rabattement: On remarque des mouvements
verticaux parallèles surtout dans les rapports entre les
sous-régions R7a, R7m, R7b, R7c et R7f.
Perspective baroque: On note enfin l'enchevêtrement des
sous-régions de R7, par les contrastes chromatiques et la
vectorialité. Dans R7k joue la vectorialité de la diagonale
104
dysharmonique et dans R71 celle de la diagonale harmonique.
"La Sieste" présenterait encore certaines difficultés
syntaxiques quant à la position occupée par les différentes
régions et sous-régions dans la profondeur. Nous avons
remarqué plus précisément 5 enclaves qui pourraient être
problématiques à cet égard: RI, R2b, R8, R3 et RIO.
L'enclave RI. L'ensemble est animé grâce à une perspec
tive optique par superposition, par la dimension et par la
position dans le Plan Originel ; RI établit un rapport
topologique de voisinage avec R71 . Cependant par la variable
de la dimensionnaiité, cette région de forme circulaire
frisée fait reculer la sous-région R71 qui 1'entoure. Cette
région 1 recule dans la profondeur par l'effet des diagona
les superposées qui ont tendance à 1'aplatir, qui réussis
sent ainsi à réduire un peu l'effet de sphère que rendent
les touches matièrées en bouclier. Elle recule aussi par
rapport à la couleur blanche de la région 2, en ce que,
d'une part, au niveau de la couleur, la région blanche
avance sur la noire et que, d'autre part, possédant un
contour net en R2, elle avance par rapport au contour flou
de RI. Enfin, on remarque que RI avance par rapport à R71,
mais recule par rapport à R2. Il y a donc véritablement
effet de réversibilité.
105
L'enclave R2. Cette région subit différents effets au
plan de sa réception. Elle est mise dans une perspective
microscopique qui demeure assez problématique. Tout d'abord
cette région se situe à trois niveaux de profondeur :
proche, demi-lointain et lointain. Ceci est dû à 1'inter
vention de différents facteurs. Par rapport à la région 8,
elle est propulsée vers le lointain en raison de la vecto
rial i té des diagonales de R8 qui est constituée par un point
noir (8a), ainsi que par deux diagonales convergentes qui se
rejoignent en R8b, et dont l'une rejoint l'axe horizontal
central (R8a), alors que l'autre traverse les frontières des
régions 4 et 5. On saisit que R2a recule sous la pression de
R8b. Il en est ainsi de R2a qui semi-enveloppe R8b; en même
temps, 2aa est contenue et enveloppée par R8 et 2a.
R2c se situe entre l'axe horizontal central du plan
pictural et la vectorialité de RIO qui se déplace en
diagonale vers la gauche. Ces deux vecteurs convergents
rapprochent à différents degrés les sous-régions 2c et 2b,
puisque R2c reste dans un plan intermédiaire. R2b s'avance
vers le premier plan, c'est-à-dire qu'elle se présente comme
la sous-région la plus proche du regardeur. Cela résulte de
la couleur claire, de la texture un peu tachetée et de la
forme en pointe qui génère cet effet de rapprochement vers
le spectateur. D'autre part, R2b s'emboîte dans R7o par une
106
légère brume transparente, ce qui a pour résultat que R7o
est entraînée vers l'avant.
L ' enclave R8. Cet enclave est indissociable de 1'en
clave R2. Cependant sa particularité réside dans sa vecto
rial ité et dans sa forme en triangle irrégulier ouvert. On
a dit que la sous-région 8b est semi-enveloppée par R2a et
que toutes les deux reculent à cause de l'angle aigu formé
par ces diagonales ouvertes. Par contre, les deux petites
régions 4 et 5 sont en même temps propulsées vers l'avant,
à cause de leur situation sur la diagonale qui se déplace
vers le coin supérieur droit et qui traverse leurs frontiè
res communes. Mais à cause de leurs petites dimensions,
elles se trouvent entre R2a et R7h.
L'autre rapport qu'on peut discuter, c'est celui qui
s'établit entre R8a et l'axe horizontal central. R8a et R8b
sont unies par une diagonale qui s'arrête précisément sur
cet axe, de telle sorte que cette liaison vectorielle étire
celui-ci dans sa partie droite, comme si elle le projetait
pour ainsi dire vers l'avant, alors qu'iL passe sous R2c à
gauche.
L ' enclave R3, qui est située dans une perspective
réversible, subit et fait subir des transformations aux
107
autres régions. Par rapport à R7h, on l'a dit, grâce à un
effet volumétrique, elle situe la région 3 dans une position
oblique, en la rabattant vers 1'intérieur. D'autre part, la
sous-région 7d pénètre R3 en lui donnant comme effet le
mouvement d'un corps céleste. R3 se superpose ainsi à la
sous-région 7g qui, par ce fait même, recule. L'existence
d'un rapport de voisinage entre R3 et R8a est confirmé par
le fait que 8a étire 1'extrémité droite de l'axe horizontal
central vers 1'avant du plan pictural et vers le spectateur,
transférant ainsi cette proximité à la partie inférieure de
R3, alors que la partie supérieure qui rejoint 7d s'enfonce
dans la profondeur.
On peut aborder le dernier enclave, RIO. Cet enclave,
situé sur une diagonale, entre en rapport avec différentes
sous-régions. Dès l'abord, cette région noire condensée
semble mettre 1'ensemble de la surface dans un discontinu
spatial. Par contre, elle maintient des rapports de simila
rité au niveau de la couleur avec RI R8, R6 et R9.
Voyons de plus près les différents rapports de RIO avec
ses voisins. Cet enclave se superpose aux sous-régions 7o,
7n, 7c et 7e. Cette densité superposée à R7n propulse cette
sous-région vers l'avant. Par contre R7c qui, dans un
premier temps, semblait se lire comme étant très proche du
108
spectateur, subit une pression vers 1'arrière à cause de la
superposition de RIO et de R7e.
R7e qui est délimitée par une ligne interrompue, mais
quand même dotée d'une forte pression gestaltiste provenant
de la courbe fermée, subit une légère transformation à cause
de la vectorialité de l'extrémité droite de RIO qui en
descendant vers la droite, la fait reculer.
R7o est caractérisée par son effet atmosphérique, mais
ici, la texture tachetée et la couleur plus concentrée
contribuent inexorablement à avancer un peu R2b, tout en
faisant reculer par contre R9 qui a l'aspect d'une demi-
moustache .
Au plan de ces figures ou référents iconiques mêmes,
"La Sieste" supporterait d'ailleurs différents niveaux ou
degrés de figuration qui interviennent aussi comme facteurs
de jonctions/disjonctions syntaxiques. Aux formes irréguliè
res, soient fermées, soient ouvertes, aux formes géométri
ques, telles le carré, le rectangle, le triangle, etc.,
s'ajoutent des formes figuratives, semi-figuratives et semi-
abstraites qui complexifient la lecture de l'oeuvre. Une
tête de femme avec cheveux longs dans R7h, la demi-moustache
de R9 et une lune R2, dirigent l'attention dans le sens
109
d'une iconographie facile et repérable en surface. Mais il
faut éviter le piège que présentent ces formes nommables qui
servent trop souvent à cacher plus qu'elles ne nous révè
lent, et qui servent alors à masquer les énergies constitu
tives du Plan Originel.
110
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
à l'infini
1000 pieds
500 pieds
100 pieds
50 pieds
20 pieds
12 pieds
8 pieds
4 pieds
proxétni que
Illustration F: position des régions et sous-régions
dans la profondeur. Les disjonctions problématiques
sont marquées par des lignes discontinues.
Ill
3.6 Insertion des régions dans le Plan Originel
L'insertion dans le P.O. se déroule selon certains
paramètres performatifs : accentuation sur l'axe horizontal
central du Plan Originel par R8 et R2; ponctuation du coin
supérieur gauche par une diagonale, formant ainsi un
triangle irrégulier; redoublement sur la diagonale dysharmo-
nique, mais en position de décalage, par RIO ; division
virtuel 1e de l'axe vertical central par R7; et enfin
réitération sur la diagonale dysharmonique dans une moindre
étendue par RI et R8.
On observe, selon les différentes modalités décrites
plus haut, que l'une des caractéristiques importantes du
plan pictural est 1'énergisation des différents axes.
Cependant celle-ci est inscrite en différents niveaux.
Ainsi l'axe horizontal du plan pictural est plus proche
du côté périphérique supérieur et il est accentué par une
ligne bien définie. Par contre, on remarque une division
virtuelle de l'axe vertical central par une texture porose.
Sur la diagonale dysharmonique, on observe le même
phénomène de réitération par le biais d'une ligne bien
définie, alors que le décalage y est plus prononcé, puisque
112
la diagonale du plan pictural se déplace au-dessous de l'axe
horizontal central.
Sur la même diagonale dysharmonique, on note le
déplacement d'une diagonale dans RI, dont 1'élargissement ou
la dimension est limitée sur le plan pictural. Une autre
diagonale réitère aussi depuis la région 2 la diagonale
dysharmonique, mais dans une moindre importance. Ces deux
diagonales se déplacent au-dessus de l'axe horizontal
central, mais sur différents côtés : l'une sur le côté gauche
de l'axe vertical central ou sur le carré virtuel (ABEF),
l'autre, en traversant l'axe vertical central ce qui crée
une mini-infrastructure cruciforme.
Sur la diagonale harmonique, on observe le déplacement
d'une diagonale qui part de la zone centrale du plan
pictural pour aller vers le coin droit supérieur du Plan
Originel.
Seulement un coin est ponctué sur le côté périphérique
gauche supérieur par un triangle irrégulier (R71-R1).
On peut signaler aussi la réitération virtuelle des
quatre rectangles irréguliers formés par 1'infrastructure
cruciforme qui est intégrée dans le plan pictural. On
113
reconnaît enfin la présence de deux super-régions dynami
ques: A-B (v. illustration G).
Illustration G: Energétisation par le plan originel.
114
Cette division en deux super-régions stoppe dans une
certaine mesure le mouvement vers le haut, soit verti
calement, formant ainsi des axes verticaux parallèles, soit
diagonal ement, sur la diagonale harmonique, toujours vers le
haut. On note encore que ces mouvements vertical et diago
nale sont stoppés par les frontières, comme dans les sous-
régions R7p et R7o où le mouvement est horizontal.
L'insertion de la structure du plan pictural dans le
Plan Originel présente enfin des liaisons topologiques et
gestaltiennes, principalement des rapports de succession qui
engendrent quelques liaisons virtuelles, lesquelles nous
obligent perceptivement à organiser des éléments géométri
ques .
Dans R71, la liaison qui s'établit ainsi à partir de
cette sous-région avec le coin gauche supérieur du Plan
Originel nous oblige à voir un triangle irrégulier. Dans
R7k, par liaison avec R71, le côté périphérique gauche et
l'axe horizontal central nous engagent à voir un polygone
virtuel.
115
3.7 Les rapports topologiques
La sémiologie visuelle de Fernande Saint-Martin propose
de reconnaître les signes suivants pour distinguer les
différents rapports topologiques qui se réalisent dans un
champ visuel : U = voisinage, association, fusion; * =
séparation; + = succession; - = continu; / = frontière ; « =
en avant ; » = en arrière ; fl = enveloppement ; n = semi-
enveloppement; n = semi-emboîtement ; et > = relation conte
nant/ contenu.
On constate dans "La Sieste" que le voisinage entre les
sous-régions de la région 7 se réalise à travers, non
seulement le pôle chromatique bleu+blanc, mais aussi par la
texture et par la vectorialité que les regroupements des
colorèmes produisent. On remarque, par exemple, différents
voisinages : R7b U R7a; R7c U R7f ; R7a U R7m, etc..; des
séparations: RI * R71; R2 f R2a; R8 * R7k; R4 * R5; R3 f R7h
+ R7d; des semi-emboîtements : R7j n R4; R7h n R5; R7o n R2;
des semi-enveloppements: R2 fl R8b; des enveloppements: R2a
+ R8b fl R2aa; R7 j fl R4 * R5 ; des ordres de succession par
récurrence : R7b + R7a + R7m + R7c + R7f; par symétrie : R7e
+ RI; et par alternance: R7c + R7k + R7f.
116
Les liaisons dans la profondeur des différentes sous-
régions de la région 7 en regard des autres régions produi
sent aussi différents niveaux de profondeur. Ces sous-
régions subissent des transformations à cause de leur
rencontre avec d'autres régions très différenciées, certains
mouvements en boucle ou des effets volumétriques. On observe
en particulier, par récurrence, un rapport de succession
dans la profondeur de toutes les sous-régions de la région
7 .
En segmentant "La Sieste", nous avions remarqué 2
super-régions : A-B. La première (A) située au-dessus de
l'axe horizontal central est dotée d'une énergie plus forte
que B. La deuxième située sur le triangle dysharmonique
inférieur, est investie d'une énergie beaucoup moins forte.
Nous remarquons encore dans cette segmentation en
super-régions, quelques problèmes d'ordre perceptif qui sont
dûs à la complexité du plan pictural et à la façon dont ce
plan réitère en bonne partie 1'infrastructure du Plan
Originel.
Miré réitère avec un léger décalage le deuxième niveau
de 1'infrastructure du Plan Originel, c'est-à-dire les axes
vertical et horizontal centraux qui forment la figure cruci-
117
forme. Là, seulement l'axe horizontal central est réitéré
par une ligne nette, tandis que l'axe vertical central est
ponctué par une texture porose, qui perd cependant cette
qualité lorsqu'elle touche à la partie supérieure du
tableau. Il faut remarquer par contre que l'axe horizontal
central est ponctué lui aussi par cette même texture qui
perdra sa qualité lorqu'elle arrivera dans le côté périphé
rique droit du Plan Originel.
L'autre problème qui se pose, c'est celui de la
diagonale qui accentue la diagonale dysharmonique. Elle est
tracée au-dessous de l'axe horizontal central ; par consé
quent, elle est en décalage très prononcé par rapport à la
diagonale dysharmonique du Plan Originel. C'est dire que
pour réaliser la segmentation désirée en super-régions, nous
avons dû écarter d'autres possibilités prégnantes de sens.
Une première : quatre super-régions situées sur les quatre
carrés virtuels que forment les axes vertical et horizontal.
Une deuxième : trois super-régions, l'une sur le rectangle
supérieur, l'autre sur le côté périphérique inférieur, la
dernière entre les deux super-régions. Nous leur avons
préféré des énoncés reposant sur une méta-reconstitution
bipartite.
118
3.8 Enoncés visuels
Comme on l'a vu, la structure syntaxique de "La Sieste"
serait constituée de deux super-régions "A" et "B", dont
1'énergie serait différente. Là, SRA réactualise 1'axialité
horizontale, ainsi que les triangles supérieurs formés par
les deux niveaux de 1'infrastructure du Plan Originel,
tandis que SRB est plus diffuse.
La super-région "A" occuperait en gros les régions RI,
R2, R3, R4, R5, R6 et R8 ; la super-région "B", les sous-
régions de R7 situées sur le côté périphérique inférieur, la
sous-région 2b et la région 10.
Il faut souligner aussi que ces sous-régions de R7
subissent des transformations selon les rapports qu'on
entend établir avec les autres régions. Si en général R7
constitue le fond du plan pictural, il se passe néanmoins
autre chose. Car, partout où une sous-région de R7 est
visualisée, celle-ci subira différentes transformations,
soit en avançant vers le spectateur, soit en reculant par
rapport aux autres sous-régions de R7.
On peut donc formuler hic et nunc six énoncés visuels
à partir de l'examen des jonctions et disjonctions topologi-
119
ques au sein des régions repérées:
1) Toutes les régions sont superposées à la région 7
2) R2 semi-enveloppe R8b
3) R2a et R8b enveloppent R2aa qui est contenue dans
R8b.
4) R3 semi-emboîte R7d
5) R8 semi-enveloppe R7i
6) R4 est juxtaposée à R5.
On peut ajouter que la région 7 est la plus complexe à
cause d'une moindre dose d'énergie. Elle intervient dans
toutes les autre régions et ces dernières l'influencent à
leur tour, de telle sorte qu’on observera généralement une
superposition des éléments figuratifs sur un fond constitué
par le pôle chromatique bleu+blanc.
De plus les régions présentent divers types d'espaces
organiques. On remarque dans R7, un renvoi à 1'espace
tactile par la texture et à 1'espace thermique par le pôle
chromatique bleu+blanc. La région 1 renvoie aux espaces
tactile et visuel; la région 2 à 1'espace kinesthésique; les
régions 4 et 5 à 1'espace visuel; la région 3 aux espaces
thermique et kinesthésique; la région 6 à 1'espace visuel.
Cette détermination des types d'espaces organiques auxquels
120
renvoie 1'oeuvre reste toutefois des plus sommaires, car
nous touchons ici au point limite de 1 'analyse syntaxique et
au passage de frontière du syntaxique au pragmatique. Mais
c'est là une autre histoire, sur laquelle il faudra revenir
dans une recherche ultérieure.
121
CONCLUSION
L'analyse sémiologique que nous venons de réaliser nous
a certes aidé à établir la possibilité d’un dialogue plus
fructueux entre le spectateur et 1 'oeuvre d’art. Il est
certain qu'il nous reste cependant beaucoup à faire dans la
compréhension même de 1'oeuvre picturale. A cet égard, est-
ce que le processus analytique supporté par la sémiologie
topologique est valable et fait avancer les choses au plan
de 1'interprétation visuelle? Il me semble que oui.
122
Nous voulions présenter une nouvelle possibilité de
lecture de 1 'espace pictural. Le fait d'avoir interrogé les
différentes modalités perspectivistes et d'avoir démontré
par la suite que Miré avait privilégié dans "La Sieste" des
types de perspectives proxémiques, ainsi que des régions
présentant des enclaves problématiques quant au discontinu
spatial, par exemple R7 qui couvre presqu’entièrement la
surface, nous a permis d'avancer une interprétation de
1'espace motivé par les mécanismes gestaltiens.
Nous voulions aussi reconnaître les structures internes
de l'oeuvre. Nous avons donc établi deux super-régions, qui
en quelque sorte réitèrent les deux niveaux de 1'infras
tructure du Plan Originel . Cela nous a conduit à émettre
quelques énoncés visuels possibles issus de l'oeuvre. Nous
en avons retenu six sur la base des rapports topologiques
qui s'établissent par superposition, par emboîtement, par
séparation, par voisinage, par enveloppement. Ces opérations
ne sont cependant pas définitives, puisqu'il faudrait
pouvoir comparer nos résultats avec ceux d'autres travaux de
recherche sur la même oeuvre.
De plus, au départ, le fait d'établir une grille
modélisante en 20 cases pour 1'analyse colorématique nous
avait permis, à travers la vision maculaire/fovéale,
123
d'organiser une série de rapports de différenciation entre
les colorâmes ; par là nous avons fait la preuve que chaque
colorème a ses particularités en raison de 11 inévitable
processus de création qui ne permet pas de répéter avec
similitude une trace de pinceau. En outre, la position
qu'occupe chaque colorème dans le Plan Originel serait
importante pour 1 ’analyse des différentes relations que ces
colorèmes établissent à la surface du tableau.
Puis, au plan de 1'analyse syntaxique même, nous avons
déterminé dix régions par vision périphérique et des sous-
régions par vision maculaire/fovéale. Ces segmentations de
caractère opératoire étaient complexes. Nous avons saisi en
particulier qu’au niveau de la couleur, le pôle chromatique
bleu+blanc s'organise comme un fond dans "La Sieste", malgré
quelques incidents colorématiques. Au plan des rapports
topologiques, ce sont ceux de voisinage, de séparation et de
superposition qui ont été perçus comme les plus fréquents.
Quant aux rapports gestaltiens, ils nous obligeraient à
regarder l'oeuvre de gauche à droite, en raison de la
position et de 1'orientation de quelques éléments semi-
figuratifs .
Cette analyse sémiologique reste toutefois inachevée,
car elle n'inclut pas 1'analyse sémantique. Nous avions
124
souligner dans notre introduction 1'impossiblité de présen
ter à ce stade une telle analyse. Nous ne pouvons cependant
négliger de mentionner en terminant que "La Sieste" est en
rapport avec le monde du féminin d'un point de vue soit
sexuel, soit maternel. D'ailleurs nous savons en histoire de
l'art que Miré a peint, pendant cette époque, des sujets
faisant référence aux femmes et qu'il a travaillé aussi ce
thème dans ses sculptures et dans ses céramiques.
Elargissant notre perspective, nous pouvons encore
rattacher ce tableau aux intérêts surréalistes pour les
sujets concernant globalement la femme et l'érotisme, sans
oublier toutefois que chaque artiste surréaliste développait
cette préoccupation à partir d'un aspect assez différent.
C'est dans un projet de doctorat que nous voulons poursuivre
une telle analyse sémiotique pour pouvoir compléter les
trois étapes, colorématique, syntaxique et sémantique, de la
sémiologie topologique visuelle.
125
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