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FACULTÉ DES LETTRES A/ f r A/ L LECTURE SÉMIOLOGIQUE D'UNE OEUVRE D'ART: LA "SIESTE". DE JOAN MIRO JOSÉ LUIS UMANA Mémoire présenté pour 1'obtention du grade de maître ès arts (M.A.) ÉCOLE DES GRADUÉS UNIVERSITÉ LAVAL DÉCEMBRE 1992 ® droits réservés 1992 LIVRES RARES

Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

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Page 1: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

FACULTÉ DES LETTRES

A/f rA/ L

LECTURE SÉMIOLOGIQUE D'UNE OEUVRE D'ART: LA "SIESTE".DE JOAN MIRO

JOSÉ LUIS UMANA

Mémoireprésenté

pour 1'obtentiondu grade de maître ès arts (M.A.)

ÉCOLE DES GRADUÉS UNIVERSITÉ LAVAL

DÉCEMBRE 1992

® droits réservés 1992

LIVRES RARES

Page 2: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

Résumé

Nous avons analysé le tableau "La Sieste" de Joan Miré à partir de la sémiologie visuelle proposée par Fernande Saint-Martin. Cette analyse est divisée en deux parties: l'une correspond à l'analyse colorématique et l'autre à l'analyse syntaxique. Pour la première étape, nous avons élaboré une grille de 20 cases appliquée à l'oeuvre, qui nous a servi à réaliser les différentes études sur les rélations qui s'établissent entre les colorâmes. En ce qui concerne la deuxième étape, nous avons segmenté l'oeuvre en dix régions et ajouté des sous-régions selon le besoin de l'analyse. Celles-ci ont été étudiées par rapport à la couleur, la dimension, la texture, la vectorialité, l'implantation dans le plan et les frontières. Ce sont les notions sur les rapports topologiques, les lois gestaltiennes, les lois des interaction des couleurs et les différentes modalités perspectivistes qui nous ont aidé à étudier l'oeuvre.

Page 3: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

1

AVANT-PROPOS

J1 aimerais remercier ma directrice d'étude, Marie Carani

pour l'aide inestimable et pour m'avoir fait découvrir une

nouvelle façon d'approcher l'oeuvre d'art et surtout

1'histoire de l'art moderne. J'aimerais aussi remercier Mme.

Fernande Saint-Martin pour ses précieux commentaires. A M.

Roland Sanfaçon pour avoir accepté de lire et de corriger le

mémoire, mes remerciements. A Edith qui m'a corrigé la

grammaire et 1 ' orthographe. Et à tous ceux et celles qui

m'ont encouragé à poursuivre mes études.

A René-Philippe.

Page 4: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

11

TABLE DES MATIERES

Page

AVANT-PROPOS.......................................... i

TABLE DES MATIERES.................................... ii

ABREVIATIONS........................................... V

INTRODUCTION........................................... 1

1.0 CHAPITRE I PRESENTATION DELA SÉMIOLOGIE VISUELLE

1.1 Introduction................................ 9

1.2 La théorie de la Gestalt.................. 101.2.1 Le percept....................... 121.2.2 L'activité perceptive

comme telle...................... 151.2.3 L ' isomorphisme.................. 161.2.4 La profondeur.................... 191.2.5 La valeur relative de

1 ' expérience..................... 191.2.6 Invariance/mobilité............. 201.2.7 Figure/ fond...................... 221.2.8 La bonne forme.................. 24

1.3 Les rapports topologiques................. 29

1.4 Eléments constitutifsde la sémiologie visuelle................. 361.4.1 Le colorème...................... 361.4.2 Les variables visuelles

constitutives.................... 371.4.3 Les variables perceptuelles.... 40

1.5 Le plan originel........................... 43

1.6 Effets de distance et de perspective..... 46

1.7 Systèmes perspecti vis tes................... 50

1.8 Passages................................ 52

2.0 CHAPITRE II ANALYSE COLOREMATIQUE

2.1 Présentation de 1 'analyse................. 53

Page 5: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

Ill

2.2 Développement de 1 ’analyse................ 56

3.0 CHAPITRE III ANALYSE SYNTAXIQUE

3.1 Présentation de 1 'analyse................... 77

3.2 Les variables plastiques.................. 833.2.1 Les pôles chromatiques.......... 833.2.2 La texture....................... 89

3.3 Les variables perceptuelles............... 893.3.1 La dimension..................... 893.3.2 Les frontières/formes........... 903.3.3 La vectorialité................. 953.3.4 L'implantation dans

le plan........................... 100

3.4 Position et visées du producteur.......... 101

3.5 Les modes perspecti vis tes................. 102

3.6 Insertion des régions dansle plan originel........................... 111

3.7 Les rapports topologiques................. 115

3.8 Enoncés visuels............................ 118

CONCLUSION............................................. 121

BIBLIOGRAPHIE................ ......................... 125

ILLUSTRATIONS

Illustration A................................. 45Illustration B................................. 57Illustration C................................. 57Illustration D................................. 82Illustration E................................. 94Illustration F................................. 110Illustration G................................. 113

TABLEAUX

Tableau 1....................................... 59Tableau 2....................................... 60Tableau 3...................................... 61Tableau 4....................................... 62Tableau 5....................................... 63Tableau 6....................................... 64Tableau 7....................................... 65

Page 6: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

IV

Tableau 8....................................... 66Tableau 9....................................... 67Tableau 10...................................... 68Tableau 11...................................... 69Tableau 12...................................... 70Tableau 13...................................... 71Tableau 14...................................... 72Tableau 15...................................... 73Tableau 16...................................... 74Tableau 17...................................... 75Tableau 18...................................... 87Tableau 19...................................... 88Tableau 20...................................... 99

Page 7: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

V

ABREVIATIONS

HOR.

VER.

OHA.

ODY.

CCP.

CCP.

ARC.

FOC.

ORT.

ANG.

GER.

EDG.

EGD.

HSB.

HPB.

MAF.

MVP.

Horizontale

Verticale

Oblique harmonique

Oblique dysharmonique

Circulaire centrifuge

Circulaire centripète

Arcs de cercle

Focale

Orthogonale

Angulaire

En gerbes

Enveloppement droite/gauche

Enveloppement gauche/droite

Enveloppement haut sur bas

Enveloppement haut par le bas

Mouvement arrêté par frontières

Mouvement virtuel prolongé

Page 8: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

1

INTRODUCTION

Le but du mémoire

Ce mémoire se veut d'entrée de jeu une application de

la sémiologie visuelle de Fernande Saint-Martin, à 1'oeuvre

picturale. Notre approche constituera ainsi un nouveau

départ pour 11 analyse à partir d'une systématicité théorique

du fait pictural. Nous sommes ici à l'opposé d'une tradition

humaniste, "cette tradition voulant que les phénomènes

humains, contrairement aux phénomènes de la nature, soient

singuliers, individuels et ne puissent donc ni être soumis

Page 9: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

2

comme ceux de la nature à des méthodes exactes, ni être

généralisables"* *. Plus précisément, la sémiologie

topologique de Saint-Martin recherche avant tout ces valeurs

de constance et de globalité que l'on retrouve dans

1'analyse des phénomènes de la nature à travers des

approches systématiques développées dans les sciences

"pures". C'est ainsi que la sémiologie comme système

théorique devient une construction si l'on veut, un

construit, et un outil très important au plan de son

application sur des objets "déjà soumis à notre expérience",

mais aussi sur "tous les objets possibles de nature

supposée"*.

Ce regard systématique sur l'objet peinture nous amènera

à proposer un dialogue entre le champ visuel et notre

expérience sensorielle, culturelle et conceptuelle. On veut

apprendre à mieux organiser le champ visuel afin d'arriver

à une reconnaissance des énoncés visuels qui échappent de

prime abord à 1'analyste quand il soumet 1'oeuvre, sans

préavis, à une foule d'interprétations. Données aprioriques

d'ordre psychologique, sociologique, anthropologique,

historique, etc...

* Louis Hjelmslev, Prolégomènes à une théorie du langage.

Minuit, Paris, 1968, p.15-16.

* Louis Hjelmslev, op. cit.. p.26.

Page 10: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

3

Alors on atteindrait la signification par des moyens

purement "contextuels", en oubliant la structure interne des

oeuvres, la dynamique de leurs unités visuelles et

plastiques, c'est-à-dire leur intégration dans un champ

visuel spécifique. Il est donc impératif aujourd'hui pour

une nouvelle histoire de l'art de s'arrêter aux rapports

qu'entretiennent effectivement les éléments constitutifs du

tableau. C'est à partir de ces relations que l'on pourra

formuler des hypothèses éclairées sur les modes

d'organisation et de construction du pictural.

A cet égard, dans l'optique "topologique" qui sera

donc la nôtre, par définition même, le dynamisme des

rapports gestaltiens et topologiques, celui des pôles

chromatiques, est de toute première importance lorsque l'on

veut considérer l'oeuvre artistique comme étant une masse

d'énergie qui est structurée à la fois dans les profondeurs

et en surface, et qui se développe selon certaines

nécessités formelles intrinsèques.

Notre étude ne se veut donc pas une simple description

sommaire des éléments insérés sur ou dans cette surface, ni

un exercice d'application d'une grille d'analyse sémiotique.

Car l'utilisation d'une telle grille théorique ne constitue

pas seulement un outil de fragmentation de l'oeuvre pour en

Page 11: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

4

faire autre chose. Au contraire, cette grille saint-

martienne est proprement "opérationelle", c'est-à-dire

qu'elle peut nous aider à découvrir et à discuter les

formalismes et les mouvements directionnels qui sont

présents dans l'oeuvre, ainsi que les rapports existant

entre des zones minuscules du champ visuel appelées

colorâmes. D'ailleurs ces formes organisationelles sont

généralement demeurées inconnues dans les analyses

traditionnelles où auront surtout prédominé les éléments

figuratifs, si l'on veut les icônes nommables et

représentables, c'est-à-dire les éléments qui faisaient

directement référence aux objets réels.

On voudra plutôt se concentrer ici en priorité sur le

"champ spatial" qui existe entre ces figures, donc sur les

interval les et les variables qui les animent dans 1'espace

du tableau.

Les objectifs

En conséquence de ce choix nos objectifs de travail

sont les suivants :

a) démontrer une nouvelle possibilité de lecture de

1'espace pictural dans une perspective sémiologique;

b) reconnaître les structures internes de 1'oeuvre

Page 12: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

5

picturale;

c) présenter des énoncés possibles issus de 1'analyse

syntaxique;

d) déterminer les différentes étapes de cette analyse

syntaxique et leur viabilité opérationable;

e) définir les types d'espace organiques auxquels renvoie

l'oeuvre picturale.

Notre premier objectif concerne la possibilité de

"voir" l'oeuvre sous un angle différent. Le deuxième découle

du premier, en ce que toute la structure de 1'oeuvre devra

être analysée. Il faut déjà souligner que c'est de la

rencontre entre celui qui analyse et 1'oeuvre elle-même que

jaillira une structure propre. Comme troisième objectif, il

s'agit d'arriver à une synthèse syntaxique. Là, le concept

même d'énoncé visuel recouvre toutes les formes de rapports

que les régions et les sous-régions entretiennent entre

elles, sans négliger les relations entre le Plan Originel et

les différentes modalités perspectivistes élaborées par

1'homme.

Nous nous attardons ensuite à la viabilité de chacune

de ces étapes, c'est-à-dire à la manière originale dont

elles sont agencées dans une logique discursive qui leur est

propre. Enfin, comme dernier objectif, nous tentons de

Page 13: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

6

reconnaître les différents espaces organiques : visuel,

auditif, kinesthésique, postural, bucal, etc., auxquels

1'oeuvre renvoie. Pour sa part cette étape est très

importante sur le plan proprement dit de la signification en

sémiologie topologique car elle représente la voie d'accès

privilégiée à la constitution d'un sens, d'une sémantique

encore ancrée dans le syntaxique.

La méthodologie.

La sémiologie topologique de F. Saint-Martin est notre

référence méthodologique de base. Etant donné 1'ampleur ou

1'étendue même de cette analyse, nous avons choisi de faire

l'étude exhaustive d'une seule oeuvre picturale. Cette

analyse se divisera en deux parties ; l'une concernera

1'analyse colorématique et l'autre, 1'analyse syntaxique.

Pour 1'analyse colorématique, nous avons construit une

grille théorique en 20 cases qui est apposée à la surface de

l'oeuvre étudiée. Par commodité nous avons divisé cette

grille en sections, nommées alphabétiquement de A à T. Puis,

nous avons subdivisé chacune de ces cases de 1 à 5, les

numérotant dans le sens des aiguilles d’une montre. Chaque

numéro représente hypothétiquement un colorème, lequel est

décrit par rapport aux autres colorèmes qui 1'entourent.

Page 14: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

7

Ensuite, nous avons déterminé la vectorialité, la tonalité,

la luminosité de chacun de ces colorâmes, ainsi que les

types de liaison qui sont établis avec les colorâmes

adjacents.

Dans un second temps, nous avons déterminé

syntaxiquement le nombre de régions dans le champ pictural

considéré. Nous en avons reconnu 10, avec leurs sous-régions

respectives. Nous avons analysé cette segmentation à travers

les rapports topologiques et gestaltiens, rapports qui nous

aident à préciser et à déterminer les jonctions et les

disjonctions au sein du regroupement des colorâmes.

Le plus souvent possible, pour faciliter la lecture,

des diagrammes, des tableaux et des photos sont insérés

ponctuellement dans chaque chapitre selon leur pertinence.

Ils constituent des jalons clés dans la compréhension de

1'analyse

Le corpus.

Notre corpus est assez arbitraire. Nous avons choisi

une oeuvre de 1 ' espagnol Joan Miré "La Sieste", de 1925

(huile sur toile, 113x146 cm), qui comporte des éléments à

la fois figuratifs et abstraits. Cette complexité même de

Page 15: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

8

l'image surréaliste, appelle un mode de lecture qui prend en

charge en même temps des aspects figurai et formel du

tableau, ce qui est le lieu privilégié de la sémiotique

visuel 1e.

Page 16: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

9

CHAPITRE 1

Présentation de la sémiologie visuelle de F. Saint-Martin

1.1 Introduction

Il faut éclairer au départ les fondements théoriques de

la sémiologie visuelle de F. Saint-Martin sur lesquels nous

entendons élaborer notre étude.

La psychologie de la Gestalt et les travaux sur les

rapports topologiques chez 1 ’enfant de Jean Piaget, sont les

premiers fondements de 1'analyse topologique appliquée aux

oeuvres d'art. Il est certain qu'il faut ajouter aussi un

Page 17: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

10

nombre considérable d'études liées aux problèmes de la

perception (la neurophysiologie) ou de la définition d'une

philosophie de la connaissance système théorique

(1'épistémologie), ainsi que les écrits d* artistes, tel

Kandinsky et sa notion du plan originel.

1.2 La théorie de la Gestalt

Les travaux sur la théorie de la Gestalt sont restés

souvent oubliés des analystes visuels à cause de la mauvaise

interprétation de quelques principes fondamentaux, ce que

F. Saint-Martin met en lumière dans son ouvrage pionnier,

"La théorie de la gestalt et l'art visuel", paru en 1990.

Par ailleurs, les études sur l'intelligence artifi­

cielle et celles de la sémiologie visuelle ont contribué à

la réouverture récente du dossier et ont permis d'aborder

par la suite les principes mêmes de cette théorie,

principalement en ce qui concerne les mécanismes de

1'activité perceptive.

Pourquoi la sémiologie visuelle topologique a-t-elle

besoin des fondements proposés par la psychologie de la

Gestalt? La réponse est simple. C'est parce que 1'analyse

sémiologique de l'objet visuel se base dès l'abord sur la

Page 18: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

11

perception. Elle a besoin par conséquent de renseignements

précis sur les mécanismes dynamiques de cette activité

perceptive, afin de pouvoir avancer des hypothèses dans son

propre domaine, lesquelles permettront ensuite de construire

un système interprétatif structuré et organisé.

Plusieurs sémioticiens ont démontré depuis quelques

années que la sémiologie visuelle ne peut se fonder comme

démarche interprétative sur 1'approche iconologique de

Panofsky. Eco affirme, par exemple, "qu'un premier niveau du

langage visuel ne peut pas se fonder sur la simple ressem­

blance entre la représentation visuelle et l'objet auquel il

réfère"^. Pour sa part, 1'analyse greimassienne propose une

"grille de lecture du monde naturel", où la reconnaissance

des formes dans une oeuvre visuelle serait menée à travers

une analyse sémio-1inguistique du plan de 1’expression et du

plan du contenu. Cela dit on aura tout de même escamoté la

spatialité au profit du dire, le non-verbal aux impératifs

du verbal.

Il va de soi, que 1 ' obstacle pour arriver à une

véritable épistémologie de la sémiologie visuelle

résulterait ainsi, suggère Saint-Martin, de deux attitudes :

Fernande Saint-Martin, La théorie de Gestalt et l'art visuel, PUQ, Québec, 1990, p.2

3

Page 19: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

12

premièrement, d'une "ignorance de la véritable teneur des

propositions gestaltiennes" à la base du discours visuel, et

deuxièmement, au plan des fondements même du mode de lecture

du tableau, d'un "malentendu quant à 1 ' autonomie ou à la

spécificité des théories et leur rapport à la multidisci­

plinarité"^. Dans ce contexte, en vue de 1 ' élaboration d'une

sémiologie générale qui veut intégrer tous les systèmes de

signes, Saint-Martin réclame l'aide d'autres disciplines

pour 1'élaboration d'une systématicité théorique. C'est

pourquoi, comme point de départ, elle "entend éclairer

1'apport de la psychologie de la Gestalt à 1'analyse de

l'art visuel"^, pour déboucher, comme point d'arrivée, sur

les rapports et les réseaux syntaxiques instaurés entre eux

comme façon de voyager dans les soubassements de l'oeuvre.

1.2.1 Le percept

L'homme n'est pas seulement un être d'ordre

physiologique, il a aussi une nature psychologique. Il fait

connaissance avec lui-même et avec le monde extérieur à

travers les sens et la pensée. Il expérimente, il emmagasine

des expériences; il fabrique des codes qui 1'aideront à

Saint-Martin, op. cit., p.4

Saint-Martin, op. cit..5 p.l

Page 20: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

13

reconnaître et à comprendre les mondes intérieur et

extérieur.

Pour la sémiologie visuelle, la perception sensorielle

et plus particulièrement le visuel, sont donc d'une

importance capitale. Cependant il faut s'interroger sur la

façon dont se réalise concrètement le processus de

perception. Un premier aspect concerne la double face du

percept; il est objectif et subjectif à la fois. Il est

constitué par des structures physiologiques et psychologi­

ques et par le rapport d'interaction qu'elles instaurent

avec les stimuli extérieurs. C'est dire que le percept doit

être compris comme le résultat d'une dynamique qui se

réalise entre ces structures et la structure même du champ

visuel offrant des stimuli porteurs d'informations.

Là, l'aspect le plus important pour 1'approche

topologique, c'est "l'interprétation fonctionnelle de la

perception", c'est-à-dire comment la neurobiologie explique

ce phénomène clé de reconnaissance dans 1'organisme humain.

Dans le processus de perception, le percept est construit

par les stimuli extérieurs et le processus perceptuel

endogène. C'est à travers cette double complicité que le

percept est constitué. Donc, toute propriété d'un objet va

être prélevée par mon "intériorité perceptuelle",

Page 21: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

14

c'est-à-dire que l'objet est constitué par mon activité

intérieure, mais sans que celle-ci ne retienne toutes les

propriétés de cet objet. Car elle n'embrasse pas totalement

1e monde réel.

Autrement dit, le scientifique est confronté dans ce

processus de perception à des éléments "fuyants" qui sont en

constante transformation, qui échappent à son regard, malgré

le fait que 1'activité scientifique prétend connaître

"objectivement" les propriétés de ce monde réel. Il en

ressort de facto que la perception donnée par le sens commun

en fonction de la ressemblance iconique devient relativement

peu fiable, même si à travers la neurophysiologie, on peut

aller rechercher certains fondements scientifiques à cette

connaissance pour en savoir davantage.

Selon Saint-Martin, la sémiologie topologique peut

alors jouer un rôle important dans ces recherches sur les

mécanismes perceptuels en posant les bonnes questions

concernant les concepts et procédures, ainsi que les

variables visuelles, qui sont engagés dans la saisie et

1'évaluation du percept.

Page 22: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

15

1.2.2 L'activité perceptive comme telle

Dans ce contexte 11 activité perceptive n'est pas un

simple acte de perception; elle est proprement dynamique et

dépend de ce qu’offre au regard le champ sensoriel. Cela

dit, il y a deux éléments, difficiles à différencier, qui

interviennent dans cette activité: ce sont, "les schémas

conceptuels qui entrent dans la constitution des percepts

construits directement [...] et les autres cadres

conceptuels, plus ou moins abstraits, qui ne sont pas

parties prenantes du processus perceptif"®. Donc, en

topologie 1'expérience perceptuelle recouvrerait une

position "intermédiaire entre les stimuli et les concepts"?.

Cependant, d'après la psychologie de la gestalt, ce

système perceptif interviendrait là où il y a des "formes

prégnantes". Dans ce cas, selon Saint-Martin le percept

surgit d'un groupement de "forces" dans le champ visuel.

L'oeil humain se confronte à des ensembles en interaction

constante. En ce sens le terme "Gestalt", "sera utilisé pour

désigner une région du champ perceptuel qui, même si elle

est constituée de parties distinguables, se présente en

Saint-Martin, op. cit.. p.15

Saint-Martin, op. cit.. p.16.7

Page 23: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

16

vertu de 1'articulation de ces forces internes comme un tout

unifié et doté d'un équilibre particulier"8.

Pour saisir cette totalité, le spectateur doit être

conscient du processus perceptif qu'il assume lorsqu'il est

positionné devant une oeuvre visuelle. Ce n'est pas avec un

simple balayage du regard qu'il va trouver des zones

extrêmement complexes. C'est seulement dans la succession

des regards et par la connaissance des éléments insérés dans

l'oeuvre par le producteur qu'il pourra développer une

analyse qui retiendra la totalité de cette oeuvre, et non

seulement certaines parties hiérarchisées, lesquelles sont

le plus souvent des formes iconiques reconnaissables dès

1'abord.

1.2.3 L'isomorphisme

On a déjà souligné en passant l'interaction agissante

qui existe entre les éléments subjectifs et les éléments

objectifs dans le processus de perception. Pour l'expliquer,

il faut faire intervenir une valeur d'isomorphisme,

c'est-à-dire une hypothèse théorique "voulant que les

propriétés structurelles du champ dynamique où se réalisent

p. 24.Saint-Martin, op. cit.,

Page 24: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

17

les expériences de la perception externes soient en même

temps les propriétés structurelles de leurs corrélats

physiologiques"9.

Selon Saint-Martin, 1'interaction entre ces éléments

supposerait une certaine dynamique particulière entre les

structures psychologiques et les structures physiologiques.

L'hypothèse reste encore à vérifier empiriquement. Il est

tout de même fort juste de souligner que le "psychologique"

recouvre une dimension très complexe de notre expérience

émotive, vitale et sociale.

La théorie même de 1'isomorphie s'expliquerait en

regard de 1 'observation des déplacements visuels dans le

ragard, c'est-à-dire en vertu du mouvement dynamique qui se

réalise hic et nunc dans 1'activité perceptive. Ce caractère

dynamique, remarque Saint-Martin, a été occulté par toute la

culture occidentale, en présentant certains acquis de la

psychologie de la Gestalt, c'est-à-dire la notion même de

gestalt, celle de la "figure sur le fond" ou de la "bonne

forme", etc., comme des éléments insérés dans des cadres de

fonctionnement assez rigides. Au contraire, le caractère

dynamique propre de la perception se définit plutôt comme

P. 349 Saint-Martin, op. cit.,

Page 25: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

18

une relation interactive entre le champ visuel et 1'activité

perceptive. L'un ne peut opérer sans l'autre, car ce champ

se constitue via la perception proprement dite.

En fait, cette relation opère comme une saisie du

mouvement lui-même. Cette complicité inaliénable dynamise la

perception dans le champ visuel. Dans ce processus même

apparaissent des zones interreliées par des éléments

composants qui se présentent en continuité énergétique et

qui sont à la base de la sémiologie topologique.

Cependant, chaque percepteur construit son propre

schéma cognitif. Ce schéma sera indubitablement le reflet de

ses capacités sensibles et cognitives. D'autre part, comme

le souligne Saint-Martin, il faut aussi tenir compte de

"1'expérience passée" de ce percepteur qui peut conditionner

pour une part ses réactions, notamment en fonction de l'idée

de profondeur dans le tableau héritée de la culture

classique.

Page 26: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

19

1.2.4 La profondeur

La dynamique du mouvement visuel révélerait, ainsi

comment la figure apparaît d'entrée de jeu comme un champ

visuel entouré d'éléments spatiaux qui dynamisent cette

figure elle-même. L'un des éléments importants de

spatialisation dans la psychologie de la Gestalt est en ce

sens, "la profondeur comme alternative à la collision". Car

deux mouvements dans le champ ne se croisent jamais et, si

cela se produit, l'un d'eux fait nécessairement un pas en

arrière, constituant dès l'abord l'idée de profondeur.

Il s'agit dès 1 ors de l'un des "mécanismes

d'engendrement de la troisième dimension"; il jouera un rôle

particulièrement important dans la dynamique perceptuelle de

1'espace pictural, et a été identifié comme valeur

tridimensionel1e par 1'histoire de l'art occidentale. La

bidimensionnalité moderniste voudra en outre le contredire,

mais à partir d'un artificialité critique conceptuelle.

1.2.5 La valeur relative de 1 * expérience

Si on pousse encore plus loin cette problématique du

mouvement visuel, on note que "la perception exclut ce qui

offre une valeur négative pour le sujet [...] confirmant le

Page 27: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

20

caractère éminemment relatif de toute expérience de percep­

tion"^. C'est-à-dire que cette expérience est déterminée

par divers facteurs psychologique, physiologique, éthique ou

esthétique qui jouent des rôles importants dans

1'acquisition dynamique du savoir visuel, mais qui

contribuent aussi par la même occasion à le relativiser.

1.2.6 Invariance/mobi1ité

Un autre problème inhérent aux mouvements visuels est

soulevé par la proposition du psychologue américain de la

perception James J. Gibson concernant 1'invariance versus la

mobilité. Saint-Martin remarque que Gibson a été "profon­

dément préoccupé par 1'apparente contradiction qui surgit

entre la mobilité extrême des processus de perception et les

"constances" dont témoigne l'image perceptuelle que l'on se

fait communément de la réalité extérieure"^.

Comment expliquer cette impression de "constance"

ancrée dans notre image du réel, par rapport à la dynamique

de la perception? Gibson, pour sa part, remplace

1'isomorphie proposée gestaltistement par Kohler par une

Saint-Martin, op. cit., p.54.

Saint-Martin, op. cit., p.58.11

Page 28: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

21

espèce d'isomorphie "écologique". Selon Gibson, "les organes

sensoriels seraient dotés d'un double réseau fonctionnel,

dont l'un accueillerait les sensations et dont l'autre

effectuerait la perception"^, ce qui est une hypothèse

très difficile à vérifier expérimentalement d'après Saint-

Martin .

Le problème à résoudre se situerait dans la perception

elle-même: peut-on constater à travers l'expérience

perceptuelle des objets permanents et constants dans la

réalité? Si l'on veut rester dans le domaine du regard la

proposition de Gibson est plutôt, d'après Saint-Martin, une

position d'ordre métaphysique essentiellement, qui serait

liée au concept philosophique de constance et d'immuabilité

dans le temps.

Par contre, la psychologie de la Gestalt affirme

expérimentalement le contraire, à savoir "que des processus

permanents sont la source de mouvements et de changements

incessants dans le réel perçu"^. C'est en tout cas la

position que retiendra la sémiologie topologique.

Saint-Martin, op. cit., p.59.

13 Saint-Martin, op. cit.. p.64.

Page 29: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

22

1.2.7 Figure/fond

Un autre mouvement visuel d'un grand intérêt pour la

sémiologie visuelle est celui de 1'opposition de la figure

et du fond. Dans le tableau la figure est "la région plus

dense avec un contour plus ou moins précis, le reste sera le

fond"^. Mais ces deux éléments ne sont pas constants, ils

se transforment à travers la multiplicité des regards, on

l'a vu et démontré.

Ceux-ci découvrent des régions ou des zones qui

engendrent du changement. La figure perçue durant la

première centration acquiert un caractère différent en

relation avec les autres régions. La figure peut ainsi

devenir fond par rapport à une région avoisinante plus dense

et, inversement, le fond peut devenir figure par rapport à

une région avoisinante moins dense. On peut donc

(re)connaître plusieurs réversibilités.

Saint-Martin précise que "cet équilibre réversible

tient à ce que toute figure est dotée de forces

structurelles, contextuelles, qui s'actualisent différemment

P. 65.14 Saint-Martin, op. cit..

Page 30: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

23

sous 11 action de centrations qui parcourent toute la

région"*'’. Il va de soi que ces deux éléments sont dans une

interaction constante; on ne peut pas imaginer ou percevoir

la figure sans le fond ou le fond sans la figure. Ils sont

perçus "dans un même moment".

Ce rapport étroit entre figure et fond confirme que la

psychologie de la Gestalt ne survalorise pas le caractère

déterminant de la figure. Saint-Martin souligne cependant

que l'art visuel, depuis l'Impressionnisme, a réduit la

disjonction conventionnelle figure/fond. L'art moderne a

rejeté le statisme de la convention spatiale de la figure

sur le fond héritée de la pensée platonicienne. Mais malgré

cela, dans les tableaux modernes représentant toujours des

choses stables, à travers la vision fovéale et maculaire, on

peut privilégier des segments en les mettant en rapport avec

d'autres, ce qui permet de contourner la figure iconique

habituelle qui persiste à s'imposer implacablement au

regard.

Somme toute, dit Saint-Martin, "le message le plus

fondamental de la théorie de la Gestalt est que la

perception doit être définie avant tout comme engagée dans

15 Saint-Martin, op. cit., p.66-67.

Page 31: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

24

une fonction mobile, toujours partielle et constructive

d'ensembles toujours changeants"^.

1.2.8 La bonne forme

Le processus de perception n'admet pas seulement

1 * existence de "figures fortes", iconisées qui forment des

gestalts. Il existe aussi des gestalts qui sont élaborées à

partir de ce processus même et qui consistent en une

"pulsion de regroupement perceptuel des agrégats visuels".

Ce processus particulier permet de rapprocher les régions

moins précises à des gestalts visuelles plus fortes.

Cette pulsion de regroupement est animée d'entrée de

jeu par la dynamique de 1 ' activité perceptive, qui, bien

sûr, fait appel autant à des figures géométriques simples

qu'aux choses représentables issues du monde naturel ou du

monde artificiel. Cette activité perceptive n'a besoin que

d'un minimum de sens figurai pour reconnaître l'objet

représenté qui est lié à toute la totalité du champ visuel.

La psychologie de la Gestalt a observé d'ailleurs que

ces regroupements gestaltistes sont davantage facilités

p. 71.16 Saint-Martin, op. cit.,

Page 32: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

25

lorsqu'ils sont regroupés "dans des totalités simples,

régulières et fermées, qu'en ensembles irréguliers,

complexes et ouverts . Cette hypothèse s'explique ainsi :

si ces regroupements ne facilitent pas la tâche de les

regrouper dans des figures simples et régulières, alors le

percepteur aura résolument tendance à transformer ces

éléments pour faire "perceptuel 1 ement une figure définie et

régulière"*®, le plus souvent de l'ordre de 1'iconique.

Quelles sont à cet égard les formes de regroupement

privilégiées par la perception? Ce sont la régularité, la

symétrie, l'unité ou 1'intégration des parties, 1'harmonie,

le maximum de simplicité et la concision*®. Avec Saint-

Martin on arrive ainsi à définir un premier niveau

organisationnel des éléments visuels : c'est-à-dire le

concept de "la bonne forme" lié le plus souvent aux formes

géométriques simples.

En elle-même cette bonne forme est dès l'abord le

résultat de 1'expérience perceptuelle antérieure du sujet,

expérience qui est constituée à la fois par le contexte

Saint-Martin, op. cit. , p.75.

Saint-Martin, op. cit.. p.76.

p . 7 6 .19 Saint-Martin, op. cit..

Page 33: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

26

socio-culturel et par 1'apprentissage des schémas

conceptuels. Cette expérience préalable à 1'activité

perceptive est fondamentale dans la reconnaissance

pragmatique des bonnes formes. Saint-Martin explique en ce

sens que cette "loi de prégnance" doit donc être désignée

comme une "pression vers la gestalt" qui engage le trajet

toujours actif, mais approximatif, de la construction

perceptuelle de la bonne forme . Saint-Martin signale que

cette tendance à la boniformisation serait de facto

omniprésente chez le percepteur devant n'importe quel

stimulus figurai.

En sémiologie topologique, ces regroupements ou

boniformisations s'activent ensuite en regard des premiers

niveaux d’organisation du champ visuel que sont les rapports

topologiques, c'est-à-dire les relations de voisinage, de

séparation, d'enveloppement, d* emboîtement, d'ordre et de

continuité qui ont été identifiées théoriquement par la

sémiologie visuelle. La psychologie de la Gestalt aura

justement reconnu et installé quelques lois d'organisation

de ces regroupements perceptuels, à savoir la proximité, la

similitude, la similitude dans la direction commune, la

clôture et la bonne continuité, ce que reprendra et

20 Saint-Martin, op. cit.. p.78.

Page 34: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

27

développera aussi Saint-Martin dans son modèle d'analyse.

Dans son ensemble, le champ visuel est ainsi dynamisé

par l'activité perceptive du percepteur et par la richese

des éléments constitutifs qui sont insérés dans ce même

champ. A cette fin la boniformisation n’est pas une simple

appellation des objets reconnaissables, elle s'insère plutôt

dans une démarche "tensionnelle", où le processus de

perception doit comparer et évaluer les stimuli présents

dans le champ visuel, ainsi que "les aspect différents des

images visuelles mentales servant de bonnes formes"(81).

La reconnaissance proprement dite d'une bonne forme

s'établit donc à partir d'une activité complexe qui découle

du travail subjectif du percepteur. Mais s'il ne réussit pas

à constituer cette bonne forme, une tension désagréable

régnera en lui et alors il interprétera les stimuli visuels

présentés à son regard comme offrant de "mauvaises

gestalts". A cet égard, ce sont plus particulièrment les

formes ouvertes qui offrent plus de tension que les formes

fermées, quoique le percepteur tiendra à les

enfermer/renfermer en transformant la figure. Par exemple,

un triangle ouvert dans son sommet sera vu comme "mauvaise

gestalt" et sera transformé en fermant le sommet, créant dès

lors des triangles ou d'autres figures. Néanmoins, lorsque

Page 35: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

28

la boniformisation est accomplie, 1'expérience perceptuelle

primordiale est finie. Pour Saint-Martin, c'est un mécanisme

intrinsèque nécessaire, particulier à la perception des

choses.

Dans tout processus de regroupement perceptuel d'ordre

figurai, deux formes de tension différentes seraient

présentes chez le percepteur : "un besoin de construire

perceptuel 1 ement de bonnes formes, d'une part, un désir de

les contester comme simple redondance, d'autre part"2*.

D'où la complexité continue dans le temps et dans 1'espace

de cette position du spectateur-regardeur.

Saint-Martin fait remarquer en conséquence que la

qualité de 1'oeuvre artistique n'est pas synonyme de

1'existence de bonnes formes, ni d'équilibre entre celles-ci

ou de mauvaises gestalts. Ce critère d'appréciation

relèverait plutôt de la dynamique qui fait que le percepteur

prend conscience de ces structures sous-jacentes qui

l'aident à connaître les richesses du monde réel ou du monde

imaginaire.

p.lll.21 Saint-Martin, op. cit.,

Page 36: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

29

Saint Martin conclut en ce sens que "la description de

l'effet perceptuel de ces tensions entre bonnes et mauvaises

formes dans le champ visuel, selon les lois générales de

jonction et de disjonction explicitées par la théorie de la

Gestalt, constitue l'une des bases fondamentales de

1'analyse syntaxique"^ en sémiologie visuelle. Un autre

aspect aussi important prend en charge les relations

figurai es établies dans ce champ à partir de ces effets

perceptuels.

1.3 Les rapports topologiques

Pour Saint-Martin, les travaux de Jean Piaget sur les

rapports topologiques, liés aux structures spatiales

géométriques, sont fondamentaux. Cette topologie aura

notamment aidé les critiques et les historiens d'art à

remettre en question les critères constitutifs de 1'espace

euclidien de la Renaissance. Pierre Francastel soulignait

déjà en esquissant une notion de relativité spatiale :

"Je crois en un mot que les recherches de Piaget et de Wallon nous permettent de comprendre com­ment ce que crée chaque époque, ce n'est pas la représentation de 1'espace mais 1'espace lui- même, c'est-à-dire la vision que les hommes ont

22 Saint-Martin, op. cit., P. 112.

Page 37: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

30

du monde à un moment donné" .

Dans le même sens, selon Saint-Martin, les théories

sur l'épistémologie psychologique de Piaget ont renouvelé

radicalement notre approche de l'objet d'art.

Sémiotiquement, il serait vrai, comme le propose Piaget, que

nous sommes en interaction avec cet objet d'art, c'est-à-

dire que notre connaissance se fait à partir de l'action que

nous exerçons sur lui. Il s’agit ainsi d'une action

dialectique. De plus, 1'oeuvre d ' art renferme une

intentionalité: c'est le produit synthétique d' une

interaction entre cette oeuvre et le monde extérieur. En

cela, elle est esthétique, elle est connaissance virtuelle.

Cet objet s'active ensuite dans un univers de

signification où chacun de nous reconstruit de nouvelles

connaissances, en comparant, en évaluant, en associant cet

objet à notre expérience sensori-motrice et intellectuelle.

C'est ici qu'intervient le principe de la "bonne forme".

Mais si, en ce sens, cet objet d'art est une totalité,

comment peut-on espérer percer sa structure, comment peut-on

l'étudier sans toutefois privilégier dans l'analyse une

seule forme de représentation spatiale, par exemple "la

Pierre Francastel, Etudes de sociologie de l'art, ed. Denoël, Paris, 1970, p.143.

23

Page 38: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

31

perspective euclidienne" la plus traditionnelle, la plus

classique.

Comme le rappelle Saint-Martin, les travaux de Piaget

ont montré, au contraire, 1'existence de différentes façons

de représenter l'espace. La perspective linéaire géométrique

d'Alberti en serait une parmi d'autres. Elle n'est donc pas

un aboutissement nécessaire dans le développement

intellectuel de l'être humain, et ainsi la seule façon de

voir et d’expliquer le monde qui est le nôtre.

A ce sujet, Piaget nous enseigne plutôt que la première

forme de représentation de l’espace, nous la trouvons chez

le jeune enfant grâce aux rapports topologiques, et que ces

rapports vont subsister encore dans le dessin fait à l'âge

plus avancé du réalisme visuel. Pour sa part, Saint-Martin

rapproche ces dessins d'enfant tant de l'art primitif que de

l'art moderne. Elle souligne que l'art abstrait du 20e

siècle a privilégié ces mêmes types de rapport qui sont

d'entrée de jeu plus près de 1'expérience réelle de

l'espace. D'où sa volonté de faire des rapports topologiques

une variable essentielle de 1'analyse sémiotique visuelle et

1'intérêt de nous arrêter un moment sur la définition de ces

notions piagetiennes.

Page 39: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

32

Piaget souligne que le premier rapport élémentaire est

celui de voisinage, c'est-à-dire celui qui concerne "des

éléments perçus dans un même champ". Le deuxième rapport

consiste en leur séparation; "deux éléments voisins peuvent,

en effet, s'interpénétrer et se confondre en partie :

introduire entre eux un rapport de séparation consiste à les

dissocier, ou du moins à fournir un moyen de les

distinguer"^.

Le troisième rapport spatial vise la mise à l'ordre;

"il intervient très précocément,.... sans doute, lorsque le

regard ou le toucher du bébé parcourent une suite d'éléments

rangés de façon constante"^. Le quatrième rapport, c'est

1'entourage en une suite ordonnée ABC; là, 1'élément B est

perçu comme étant "entre A et C, ce qui constitue un

entourage à une dimension. Sur une surface, un élément peut-

être également perçu comme entouré par d'autres; tel le nez

encadré par le reste du visage"^.

De plus ces quatre rapports topologiques s'insèrent

dans le rapport plus global de continuité. C'est pourquoi,

Jean Piaget, La représentation de l'espace chez l'enfant, P.U.F., Paris, 1948, p.18.

Piaget, op. cit. p.18.

Piaget, op. cit., p.19 .26

Page 40: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

33

selon Saint-Martin, cette continuité serait le rapport "le

plus fondamental du champ spatial, puisqu'il questionne la

nature même, la cohérence et la densité des mises en

relation de tous les éléments entre eux"^.

Sémiotiquement parlant, en suivant Piaget, la

construction de 1'espace serait donc propre à 1'activité de

l'être humain en relation avec le réel. Ce n'est pas

seulement un donné sensoriel pur perçu par 1 'individu. Il

existerait conséquemment un écart entre la perception,

l'acte de perception et la représentation, avec comme

résultat que toute forme de représentation spatiale reste

toujours une (ré)organisation. C'est pour cela que la notion

d'espace est un pluriel chez Saint-Martin, et qu'il

existerait théoriquement plusieurs espaces à découvrir: un

espace postural, tactile, visuel, auditif, kinesthésique,

etc. .

Etant donné leur hétérogénéité, tous ces espaces sont

cependant difficiles à dissocier, puisqu'il faudrait dégager

objectivement les éléments formants de chacun d'eux. Cette

tâche est d'ailleurs rendue très ardue à cause de la nature

même de 1'expérience perceptive et intellectuelle du sujet.

27 Saint-Martin, Sémiologie du langage visuel. P.U.Q., Sillery, 1987 , p.78.

Page 41: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

34

On retiendra en tout cas que chaque centration visuelle est

ainsi pleine de dynamisme, qu'elle ne commence jamais à

zéro, qu'elle fait plutôt partie d'un processus extrêmement

complexe qui est l'objet même de la quête sémiotique.

Par exemple, la construction de 1 'espace se réalise dès

les premiers mois de la vie de l'enfant. C'est à partir de

là que le sujet commence un long processus perceptif et

expérimental. Par la suite, lorsqu'arrivera le moment de la

représentation, tant dans les sciences que les arts, c'est

cette expérience sensori-motrice et imaginaire qui s'ajou­

tera aux nouvelles expériences et à leurs relations avec le

réel .

Enfin, il faut dire aussi brièvement quelques mots sur

la profondeur. Selon Piaget, dans son troisième stade de

développement, l'enfant met en relation les objets, de telle

sorte qu'il va chercher un objet qui est éloigné de lui.

Mais ce n'est pas parce qu'il a déjà intégré une notion de

profondeur. En effet, pour que la profondeur soit perçue

visuellement, il faut satisfaire trois conditions sine qua

non: la superposition des objets ; le nombre important des

objets qui s'interposent entre 1'objectif perçu et le sujet;

les différentes vitesses de déplacements que nous observons

en bougeant notre tête ou tout notre corps, car seuls ces

Page 42: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

35

déplacements nous permettent d'évaluer la parallaxe des

AOobjets lointains . A défaut d'une notion substantialiste

de profondeur, c'est donc plutôt la topologie et ses

dynamismes singuliers qu'expérimente dès l'abord le jeune

enfant quand il entre en contact avec les objets de son

environnement immédiat.

Bref, les premières années de vie de l'enfant sont

déterminées par une activité subjective du monde. Puis,

c'est à partir de 1'expérience intellectuelle qu'il commence

à différencier le moi et le non-moi. C'est alors le

surgissement d'une prise de conscience du sujet et de sa

relation avec le monde environnant. Mais ce processus

n'aboutit pas nécessairement à la construction d’une

perspective dite "euclidienne", car celle-ci n'est jamais

parvenue à recouvrir tout 1'héritage occidental. Elle n'est

pas innée ; elle n'est qu'une forme de représentation parmi

d'autres.

D'ailleurs, "elle ne correspond pas à une expérience

réelle de l'espace"^, comme 1’avance la sémiotique

topologique, qui en appelle alors en priorité comme base

28

29

Piaget, op. cit.. p.43.

Piàget, op. cit.. p.46 .

Page 43: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

36

explicative à des variables d'ordre perceptuel et plastique

pour faire vraiment tout le tour de cette question de la

communication visuelle par/dans le tableau.

1.4 Eléments constitutifs de la sémiologie visuelle

1.4.1 Le colorème

C'est à la lumière de cet horizon "topologique" que

nous voulons aborder maintenant les différents éléments

syntaxiques qui constituent la sémiologie visuelle de

Fernande Saint-Martin. Voyons tout d'abord la définition de

l'unité de base du langage visuel, le colorème.

Selon Saint-Martin, cette notion est constituée de

variables visuelles obtenues via des centrations du regard

dans un champ visuel spécifique. "Le colorème se définit...

comme la zone du champ visuel linguistique, corrélative à

une centration et constituée par une masse de matière

énergétique regroupant un ensemble de variables visuel-

les"^. Le colorème est structuré en deux régions qui

correspondent "à la vision fovéale, plus précise, dense et

compacte, et des couches périphériques, moins denses, moins

claires et plus diffuses, correspondant à la vision maculai-

30 Saint-Martin, Sémiologie du langage visuel, p.6.

Page 44: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

37

re" . Ce n'est qu'en fonction de ces visions

fovéale/maculaire que le percepteur réussira à reconnaître

visuellement différentes zones, qui sont imperceptibles à la

vision périphérique, et à les relier dans une totalité. Le

colorème n'est pourtant pas une identité physique

déterminée, malgré son côté objectif qui 1 ' engage à être une

masse colorée mise sur une surface. Le colorème se forme

plutôt à partir d'une idée de "dépendance corrélative" à

l'égard d'autres colorâmes qui sont eux aussi observables à

travers 1'analyse colorématique.

1.4.2 Les variables visuelles constitutives

Les variables visuelles sont réparties en six

catégories : la couleur, la texture, la frontière, la dimen­

sion, 1'orientation et 1’implantation dans le plan. Les deux

premières sont des variables plastiques et les quatre

dernières sont des variables perceptuelles.

La couleur joue un rôle dynamique très important dans

les variables plastiques. Une couleur n'est jamais vue.

Certes on peut la nommer à travers des catégorisations

verbales, mais celles-ci ne rendent jamais compte des

31 Saint-Martin, op. cit., p. 6.

Page 45: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

38

changements et des mouvements qui interviennent dans la

formation d'une teinte quelconque. De plus, si la masse

colorée est objective, sa perception demeure subjective,

puisqu'elle est d'ordre psychologique : "percevoir une

couleur ou resssentir une sensation chromatique est un

phénomène d'ordre psychologique, issu d'une activité

cervicale dès le moment où le processus de la vue a été

déclenché par les stimulus lumineux mis en relation avec

l'appareil optique"^.

Selon les centrations du regard, cette relation

perceptive transforme le chromatisme d'une région ou d'un

colorème, de telle sorte qu'il se produit une série de

mutations au niveau de la masse colorée. La couleur que nous

assignons verbalement à une zone n'existe pas, "les termes

qui désignent les couleurs réfèrent à un concept de masse,

c'est-à-dire à tout ce qui participe de rouge ou de bleu,

mais cette couleur que nous voyons supposément dans notre

univers mental, isolée et égale à elle-même, n'a jamais

existé et n'existera jamais"^.

Saint-Martin, op. cit., p.29.

Saint-Martin, op, cit., p.28.33

Page 46: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

39

Au plan de la formation même des couleurs, s'inspirant

des américains Berlin et Kay, la sémiologie topologique

reconnaît 1'existence d'un certain nombre de pôles

chromatiques. Elle en désigne 13 : le rouge, le bleu, le

jaune le vert, l'orangé, le violet, l'ocre, le pourpre, le

brun, le rose, le blanc, le noir, le gris, qu'il faut

étudier chacun à partir de la chromaticité, de la

saturation, de la tonalité, de la luminosité et de la

complémentarité.

La deuxième variable plastique est la texture. C'est un

élément pluriel comme la couleur. Ces deux éléments sont

dans un rapport étroit, ils s ' inter-influencent; on ne peut

pas les isoler. Le support matériel, qu'il soit bois, verre,

métal ou tissu, va déterminer pour une bonne part les

différentes couches "texturées" d'une peinture. Saint-Martin

définit donc cette notion de texture comme une variable qui

intervient à la fois dans les profondeurs et à la surface du

tableau :

"on entend par texture une propriété de la masse colorée qui joue aussi bien dans ses profondeurs que sur la pellicule de surface par des inclinai­sons diverses et des disjonctions qui infléchissent différemment 1'absorption et la réfraction des rayons lumineux par des corps opaques, modifiant ainsi leurs effets chromatiques"^.

34 Saint-Martin, op. cit P. 65.

Page 47: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

40

1.4.3 Les variables perceptuelles

Les variables perceptuel 1 es relèvent des structures

psychologiques et physiologiques agissant sur les stimuli

externes. On en compte quatre : la dimension, la position

dans le plan, la vectorialité et les frontières ou contour

des formes.

La dimension est une étendue de masse perçue par

l’oeil; elle n'est pas mesurable. Elle se concrétise à

travers les différentes centrations; elle s'étire selon la

quantité de masse colorée et selon sa position par rapport

au Plan Originel identifié initialement par Kandinsky et

sémiotisé par Saint-Martin. La dimension se présente comme

une masse possédant les trois dimensions. Cette masse "se

définit comme le quotient de résistance de ses énergies du

champ ambiant qui agissent sur elle, lui imposant un certain

nombre de tensions vers des changements et mouvements

visuels"^. La dimension est ainsi très importante

lorsqu'on analyse des colorèmes distribués sur la totalité

du champ visuel.

p. 69.35 Saint-Martin, op. cit.,

Page 48: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

41

L'implantation dans le plan, comme son nom 1'indique,

est définie par rapport à la position occupée dans le plan.

Il s'agit de la relation entre les colorâmes quant à leur

positionnement dans les trois dimensions. Cette variable

perceptuelle est donc déterminée en relation avec la

hauteur, la largeur et la profondeur, par les paramètres des

côtés périphériques externes du champ visuel et par rapport

aux différents axes de la structure interne de ce champ.

Quant à la profondeur proprement dite comme phénomène

perceptuel d'implantation du regard, elle est directement à

1'origine de ces éléments physico-perceptuels . Car elle est

presqu* entièrement subjective, bien qu'elle recouvre une

partie physique, puisque les éléments de couleurs et de

textures agissent comme stimuli externes.

On reconnaît sémiotiquement à cet égard deux types de

profondeur : une profondeur optique et une profondeur

illusoire. La profondeur optique est déterminée par le

chromatisme des couleurs qui sont en interaction dans le

champ visuel. Saint-Martin définit cette première profondeur

comme une "perspective" véritable: "nous appellerons

perspective optique l'ensemble des réseaux de profondeur

défini dans le champ visuel par les dynamismes particuliers

des couleurs et tonalités et les organisations spatiales qui

Page 49: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

42

en découlent"^.

La profondeur illusoire relève par contre de certaines

conventions qui ont été élaborées arbitrairement par 1'homme

à travers son histoire depuis 1'Antiquité jusqu'à l'époque

moderne et qui sont devenues la base normative de la

reconnaissance iconique des objets tridimensionnels, peints

sur une surface bidimensionnelle. L'iconologie panofskienne

participe aussi de cette vision du monde.

Pour la sémiotique topologique cette notion

conceptuelle de profondeur ne crée donc pas des systèmes de

pensée qui sont coupés de 1'activité perceptive ou de

1'évolution des différentes cultures. La notion de

profondeur présente dans les différentes civilisations nous

1'enseigne, ainsi que les concepts mêmes qu'elles se font de

leur propre monde, soit imaginaire, soit réel.

Les deux dernières variables perceptuelles sont la

vectorialité et les frontières des formes.

La vectorialité est la tension et 1'orientation qu'un

colorème ou plusieurs col crèmes prennent dans le champ

P. 75.36 Saint-Martin, op. cit.,

Page 50: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

43

visuel. Une masse physique mise dans ce champ est pourvue

d'une énergie capable de provoquer des rayonnements. Cette

masse physique prend ainsi une orientation qui sera

déterminée à partir des rapports qu'elle établira d'entrée

de jeu avec le Plan Originel.

Selon Saint-Martin, "les frontières ou contours

correspondent à un changement qualitatif entre deux régions

voisines du champ visuel perceptible dans un ou plusieurs

colorâmes" . Ces contours peuvent être flous ou nets selon

l'élément qui participe et déclenche la séparation: par

exemple, si c'est une ligne nette ou si c'est une

dégradation de la couleur ou du changement de texture. Cette

variable perceptuelle participe au premier chef de la

construction des formes ouvertes ou fermées qui sont

inscrites dans le Plan Originel, dont on doit aussi

maintenant questionner les principes constitutifs pour aller

plus loin dans 1’analyse syntaxique.

1.5 Le plan originel

On l'a dit, c'est le peintre Wassily Kandinsky qui a

formulé pour la première fois les principes de base du Plan

Saint-Martin, op. cit., p.79.37

Page 51: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

44

Originel. Il était conscient que cet élément contribue à

1'engendrement de l'oeuvre plastique. Kandinsky définit le

Plan Originel comme étant "la limitation délibérée d'une

portion de l'univers sur laquelle la composition se

fera. Sémiotisant cette définition, Saint-Martin ajoute

"que cette portion de l'univers doit se présenter comme un

type défini de surface dont les particularités dépendront

des éléments qui l'engendrent"^.

On dira en conséquence que le Plan Originel commence et

se structure à partir de deux lignes verticales parallèles

et de deux lignes horizontales parallèles. Ainsi on tendra

à une forme fermée dotée de quatre angles d'où part une

énergie centripète qui dépend du format. De plus, puisque

cette structure distribue l'énergie vers le centre, la

sémiologie topologique propose, au lieu de le considérer

comme une surface bidimensionnelle, que "le plan originel

est une masse qui possède une courbe ondulante formée d'une

épaisseur ou d'un volume intérieur de densité variable,

selon le lieu que l'on considère"^.

Saint-Martin, Op. cit., p.102.

Saint-Martin, Op. cit., p.102.

Saint-Martin, Op. cit., p.126.40

Page 52: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

45

Cette énergie engendrée par les quatre coins et par les

côtés périphériques résulte alors en un système de deux

diagonales qui "engendrent deux groupes de deux triangles

superposés"^. On aura la diagonale harmonique et la diago­

nale dysharmonique et, en même temps, les triangles

harmoniques supérieur/inférieur et les triangles

dysharmoniques supérieur/inférieur, ces quatre triangles

formant un plan carré virtuel.

Illustration A: Les deux niveaux de 1'infrastructure du

plan originel.

En sémiologie topologique ces deux diagonales

constituent en ce sens le premier niveau de 1'infrastructure

du plan originel (v. illustration A). Le deuxième niveau est

formé par les axialités horizontale et verticale engendrées

41 Saint-Martin, Op. cit., p.126.

Page 53: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

46

par le mouvement décroissant des énergies des quatre angles

vers les régions centrales du plan (v. illustration A).

D’après Saint-Martin, cette axialité est une constante

objective qui est tributaire des énergies même de la

matière, si l'on veut du matériau sémiotique et de sa

distribution, et non le produit d’une élaboration du peintre

dans le processus de création. La conjugaison des axialités

horizontale et verticale avec les diagonales représente

ainsi la base opératoire du plan originel, et dirige le

regard vers les effets de distance et de perspective qui

jouent alors au niveau du champ visuel.

1.6 Effets de distance et de perspective

Saint-Martin appelle "perspectives", "les ensembles

organisés de marques sensibles, offrant les paramètres

définissant la distance et la profondeur dans les

représentations visuelles"^. Cependant, on parle encore

souvent de "perspective" en histoire de l'art en 1'associant

abusivement aux données de la seule géométrie euclidienne,

de telle sorte qu'on analyse le champ visuel en surévaluant

une perspective unique, c'est-à-dire qu'on procède comme si

p.149.42 Saint-Martin, op. cit.,

Page 54: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

47

le producteur artistique n'organisait l'espace pictural

qu'à partir d'une seule expérience spatiale, celle d'Alberti

et de ses disciples.

On s'est ainsi habitué à envisager la "perspective

linéaire" comme un système perspectiviste supérieur qui

engloberait tous les autres systèmes de représentation.

Pourtant des historiens d'art et des critiques, tels Erwin

Panofsky et Pierre Francastel, ont depuis longtemps insisté

sur le caractère relatif des systèmes perspectivistes, et

ont démontré que le choix d'une perspective donnée se fait

dans le contexte d'une culture, de la mentalité d'une époque

ou de toute la structure sociale d'une société. On reconnaît

encore depuis ces interventions que les perspectives

visuelles ont une fonction proprement symbolique, qu'elles

sont 1'expression d'une communauté de pensée et de la façon

dont les hommes, en collectivité, structurent 1'espace et le

temps.

En ce sens, en sémiotique topologique, la perspective

de la représentation est justement fondée sur des bases

sensorielles et conceptuelles. Car elle veut rendre compte

d'une pluralité d'expériences des producteurs artistiques,

en considérant que, depuis le début des temps, les hommes

ont voulu représenter leur monde intérieur/extérieur à

Page 55: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

48

travers différentes perspectives, donc à travers différentes

façons de voir ou de revoir ces deux mondes.

A cet égard, pour Saint-Martin, chaque individu serait

un spectateur unique, non seulement devant une oeuvre d'art,

mais aussi devant le spectacle du monde naturel. Cela est dû

à son caractère proprement égocentrique, c'est-à-dire à la

position que 1 'observateur a par rapport aux choses vues et

perçues. Cette position égocentrique oblige le spectateur à

multiplier les centrations pour avoir plus d'informations

sur l'objet, mais cela ne rend pas réelle pour autant sa

représentation des choses. Saint-Martin souligne à ce sujet

que 1'espace perceptif donne un discontinu énergétique

substantiel et que 1'espace de représentation a seulement

d'emblée une fonction symbolique.

Par conséquent, tout système de perspective nous

présenterait cet espace perceptif comme un lieu complexe de

mises à distance. En outre, Saint-Martin souligne justement

que;

"la perception de la distance dans les trois dimensions s'effectue à partir de 1'information sensorielle présentée par l'oeuvre picturale, et non pas à partir du souvenir d'une image visuelle mentale même si, dans certains cas les références peuvent s'établir entre la dimension proportione1 le de certains stimuli dans le tableau et le souvenir qui lui est associé dans

Page 56: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

49

1'expérience des objets de la réalité"^.

Autrement dit, c'est le tableau même qui nous transmet

les différentes informations que nous évaluons comme

percepteurs en termes sensoriels et conceptuels grâce à

l'activité perceptuelle. Même si ces informations existent,

et sont données à voir, elles ne forment pas en soi une

structure capable de rendre compte de l'organisation de

l'espace pictural en termes perspectivistes. C'est seulement

en regard de l'interaction entre l'objet d'art et le specta­

teur averti ou l'analyste qu'il est possible d'établir les

critères organisationels de la perception de l'espace et de

sa représentation.

Les systèmes perspectivistes s'organisent alors autour

"de deux axes principaux, selon qu'ils tendent à modéliser

une expérience spatiale proche du corps du locuteur/produc­

teur, ou à une grande distance de lui"^. La première

expérience se réfère à la hauteur et à la largeur, la

deuxième à la profondeur. On trouve ainsi de nouveau deux

types d'effets de profondeur: un effet topologique et un

effet illusionniste.

Saint-Martin, op. cit., p.150.

Saint-Martin, op. cit., p.151.44

Page 57: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

50

Le premier réfère "aux distances qui restent très

rapprochées du corps propre, dans la distance intime et la

distance personnelle"^. Par contre, les profondeurs

illusionnistes, on l'a démontré, "sont des mouvements

suggérés dans le champ visuel, non pas par des mécanismes

propres à la perception visuelle elle-même ou à la structure

des variables visuelles, mais plutôt par une interprétation

associative résultant d'un code d'apprentissage culturel

spécifique"^. En tout cas ce sont dès l'abord ces effets

de distance qui sont déterminants dans la mise en oeuvre des

différents systèmes de perspectives révélées par la

sémiologie visuelle.

1.7 Systèmes perspectivistes

La sémiologie topologique divise justement les systèmes

perspectivistes en trois blocs, chacun obéissant à deux

impératifs : un premier d'ordre sensoriel et un second

d'ordre conceptuel.

Le premier bloc contient les perspectives proxémiques

qui sont élaborées à "une distance proche de 1'organisme".

Saint-Martin, op. cit., p.154.

Saint-Martin, op. cit., p.157.46

Page 58: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

51

Il y a différentes perspectives proxémiques: les

perspectives optique, parallèle, arabesque ou à entrelacs,

focale, réversible, uniste, tachiste, en damier et les

perspectives microscopiques. Dans le deuxième bloc, on

retrouve les perspectives proxémiques relatives ou mixtes,

dont les perspectives sphérique, axiale, frontale, de

rabattement, cavalière, cubiste (analytique et synthétique),

projective, baroque et la perspective isométrique. Dans le

dernier bloc, on note les perspectives à distance lointaine,

telles que les perspectives linéaire, inversée, oblique,

atmosphérique, à vol d'oiseau, en étagements, en hauteur et

la perspective de l'anamorphose.

Inutile de s'attarder davantage sur un travail de

définition théorique de ces perspectives qui ont été

discutées à fond par F. Saint-Martin et Marie Carani^.

Nous y reviendrons ponctuellement au moment de l'analyse

syntaxique. Il suffit de préciser pour l'instant qu'un

réseau original s'établit entre plusieurs de ces

perspectives au plan d'une oeuvre particulière, ce que nous

tenterons de démontrer et d'organiser en termes d'énoncés

visuels.

Marie Carani, "Etudes sémiotiques sur la perspective", Cahiers du GRESAC, 1, département d'histoire, Université Laval, Québec, 1989.

Page 59: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

52

1.8 Passages

Une application pragmatique à une oeuvre visuelle peut

démontrer avantageusement 1'engrenage de ce système ou

modèle sémiotique d'analyse, dont nous venons de présenter

les éléments de base, tels qu’ils ont été formulés depuis

quelques années par Fernande Saint-Martin.

Page 60: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

53

CHAPITRE 2

L'analyse colorématique.

2.1 Présentation de 1'analyse

La sémiologie visuelle développée par Saint Martin est

divisée en trois parties : 1'analyse colorématique, 1'analyse

syntaxique proprement dite et 1’analyse sémantique.

L'analyse colorématique, comme son nom 1'indique,

réfère à 1’analyse des colorâmes. L'objectif de cette

analyse est de "reconnaître la dynamique et les tensions

propres aux premières unités de la perception avant qu'elles

ne soient insérées dans des structures syntaxiques plus

Page 61: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

54

élaborées"^.

De plus, 1'analyse colorématique rend compte de la

structure des colorâmes en tant que système organisé à

partir de certaines variables visuelles qui déterminent

leurs modes d'intégration, leurs potentialités d'expansion,

leurs vectorialités, leurs énergies vibratoires, etc...^.

Dans cette analyse, nous tenons compte de la

conjonction ou de la disjonction de ces colorâmes à travers

les rapports topologiques et les regroupements ou

disjonctions gestaltiens. Cela nous permet de construire des

énoncés structurels qui seront insérés ensuite dans l'étude

des régions et des sous-régions du champ visuel.

Il est certain par ailleurs que cette analyse

colorématique ne rend pas compte d'une division réelle de ce

champ. Néanmoins, elle nous sert à reconnaître ou à prendre

conscience de la dynamique des colorâmes qui sont situés à

l'extérieur ou en périphérie d'une zone figurale décrite

et désignée comme une "gestalt forte" et qui a été reconnue

généralement en termes strictement iconiques par les

49

Saint-Martin, sémiologie visuelle, p.246.

Sait-Martin, op. cit.. p.246.

Page 62: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

55

analystes. L'analyse colorématique nous permet ainsi de

saisir ces événements perceptifs jadis oubliés ou ignorés à

cause du désintéressement qu'on manifestait envers l'étude

de ces régions non lexicalisées et non désignatives du champ

visuel.

Dans ce contexte, l'analyse colorématique est le début

d'un long processus de restructuration qui annonce et

préside à l'analyse syntaxique. Ainsi, "regroupées dans

l'unité du colorème, ces variables visuelles sont déjà

insérées dans une structure syntaxique minimale, celle d'une

région topologique susceptible d'entrer en rapport

énergétique avec d'autres unités"^.

La reconnaissance de cette structure syntaxique

minimale est une nouvelle façon de voir pour deux raisons:

premièrement, l'analyste qui s'engage dans cette voie doit

délaisser toute une gamme de préjugés impressionnistes qui

ont été véhiculés depuis très longtemps en histoire et en

critique d'art sur la façon de regarder une oeuvre d'art;

deuxièment, il lui faut réapprendre à percevoir une oeuvre

d'art, c'est-à-dire qu'il ne doit surtout pas sous-estimer

toutes les zones, les régions ou les intervalles entre les

p.247-248.50 Saint-Martin, op. cit..

Page 63: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

56

figures nommables où le producteur artistique semblait ne

vouloir rien dire.

2.2 Développement de 1'analyse

Pour rencontrer ces attentes méthodologiques, nous

avons utilisé analytiquement une grille modélisante en 20

cases. Celles-ci sont nommées et désignées de A à T (v.

illustration B). Chacune de ces cases est aussi subdivisée

de 1 à 5 (v. illustration C) . En regard de cette grille,

nous avons ensuite interroger toute la surface du tableau

considéré de Joan Miro, La Sieste (1925), pour signaler les

différentes caractéristiques que contiennent ces cases ou

les colorâmes mis en oeuvre.

Dès l'abord, nous pouvons ainsi établir sémiotiquement

d'après la position qu'elles occupent dans le plan original,

que les cases A, E, P et T sont animées par 1 ' énergie

potentielle des coins. On peut encore adresser les données

suivantes. Les cases C, H, M et R se situent sur l'axe

vertical central. Les cases F, G, H, I, J, K, L, M, N et O

sont localisées sur l'axe horizontal central. Les cases P,

L, H, D, Q, M, I et E sont animées par la diagonale

harmonique ; les cases A, G, M, S, T, N, H et B, par la

diagonale dysharmonique. Les cases A, F, K et P sont situées

Page 64: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

57

sur le côté périphérique vertical gauche; les cases I, J, O

et T sur le côté périphérique vertical droit ; les cases A,

B, C, D et E sur le côté périphérique horizontal supérieur

et les cases P, Q, R, S et T sur le côté périphérique

horizontal inférieur.

_ A • C ft E

f 6 H I J

K L N 1 0

F 1 1 S T

Illustration B: grille en 20 cases appliquée à 1 * oeuvre

picturale. 1

4 5 2

3

Illustration C: Exemple d'une case subdivisée de 1 à 5

en suivant le mouvement des aiguilles d'une montre.

Page 65: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

58

DESCHPTK* DESCOLOREMES

A2->A1-A5-A3-B4 A3->A4-A5-A3 //A4->A1-A3-A5

A5->AH2-A3-A4 BHA1-B4-B5-B2-C1 B2->B1-B5-BK4

BHB4-B5-B2-C1 B4->S2-B1-B5-B3 B5->B1-B2-B3-B4

CBC2-C5-C4-B1-D1 C2-X3-C5-C1-D4 C3-XM-C5-C2-H1

C4->C1-C3-C5-B2 C5-XÜ-C2-C3-C4 DHD4-D5-D2-CI-E1

D2->E4-D1-D5-D3 D3->D4-D5-DH1D4->D1-D5-D3-C2 |

D5->D1-D2"D3-D4 EBD1-E2-E4-E5 E2->E3-E5-E3

E3->E2-E4-B5-J1 E4->E3-E1-E5-D2E5->E1-E2-E3-E4 |

F1->F2-F4-P5-A3-G1 F2->F1-F3-F4-G4-F5 F3->F2-F5-P4-K1

F4->P1-F3-P5 F5->F1-P2-P3-F4 GHB3-G4-G5-G2-PH1

G2-X51-G3-5H4 G3->L1-G4-G5-G2 G4->G5-G3-G1-P2

G5->G1-G2-C3-G4 Hl->52-H5-B4-C3-Gl-Bl H2->H1-B3-H5-I4

H3->H2-H4-H5-H1 H4->H1-H3-H5-G2 H5->M-fi3-B4

n->I2-I4-I5-DHl-Jl I2->I3-I1-I5-J4 C->I2-I4-I5-81

I4->I1-I3-I5-H2 //I5->I1-I2-I3-I4 JKJ2-J4-J5-E3-I1 J2->J1-J3-J5

J3->J2-J5-J4-01 J4->I2-J3-J1-J5 J5-M-J2-J3-J4

K1->K2-K4-K5-P3-L1 K2->K3-K1-K5-L4 K3->K2-K4-K5-P1

K4->K1-K3-K5 K5->R1-K2-KH4 L1->G3-L2-L4-L5-R1-H1

L2->H4-L3-L5-L1 L3->L4-L5-L2-Q1 L4->L1-L3-LH4

L5->L1-L2-L3-L4 H1->H3-LHH-H2-H4-H5 M2->H1-H3-HH4

H3->H2-H5-H4-R1 H4->H1-H3-H5-L2 M5->M1-M2-M3-H4

HHI3-H1-01-I2-H4-B5 H2-XJ4-HH5-I3 E3->Sl-!l4-85-12

$4->H2-HHH5 H5-IH2-IH4 OHEW3-O2-O4-05

02->01-03-05 03->T1-04-05-02 04-H11-03-05-H2

05-X11-02-03-04 P1->K3-Q1-P4-P2-P5 P2-W-P1-P3-P5

P3->P2-P4-P5 P4->P1-P3-P5P5->P1-P2-P3-P4 1

Q1->L3-PH1-Q2-C4-Q5 Q2->03-Q5-Ql-R4Q3->Q2-Q4-55 I

Page 66: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

(X-WQ5-P2 M-Q2-W R1->Q1-S1-H3-R2-R5-R4

R2->S4-R1-R3-R5 R3->R4-R2-R5 R4->Q2-R3-R1-R5

R5->R1-R2-R3-R4 SHNH1-T1-S2-S5-S4 S2->T4-S3-S1-S5

S3->S4-S2-S5 S4->R2-S1-S5-S3 S5->S1-S2-S3-S4

T1-X13-S1-T2-T4-Ï5 T2->T1-T3-T5T3->T2-T4-T5 I

Ï4->Ï1-T5-T3-S2 Î5->11-I2-T3-Î41

TAB. I: Cette description nous indique les

relations qui s'établissent entre les

colorâmes, notamment les différences entre

ceux qui sont situés sur les côtés

périphériques et ceux positionnés sur les

axialités verticales et horizontales du plan

originel.

Page 67: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

60

Vectomtitë

TAB. 2: Le prélèvement de la vectorialité au

sein des cases retenues est important pour

définir le type d'orientation dominante dans

1 'oeuvre. Nous observons dans ce tableau de

Miré que les mouvements verticaux virtuels se

succèdent dans plusieurs des cases du modèle.

Page 68: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

61

TiFEs K misais mu courais unans

assi

VOISINAGE SEPARATION ENVELOP. EMBOITE. REPETITION RECURRENCE JBXTAPOSL SOPERPOSL

Al-42 I

AH3 I X

13-A4 I XA1-A5 I

il-M %

Al-Bl X

&2-A5 I

13-A5 X

A3-F5 I

àH5 I

A2-B4 X

TAB. 3: La caractéristique principale qu'on

peut observer dans la case A c'est la prédomi­

nance des rapports de voisinage et de sépara­

tion. D'autre part, on remarque qu'un colorème

peut établir deux ou plusieurs types de liai­

son avec un autre colorème (A2-A3 et A3-A4).

Page 69: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

62

OSSI

VOISIliGE SEPARATU» BffELOP. EMBOITE. 8EPETIÏÏM RECOMICE JCIfâPO. SOPPER.

B1-B2 X

B1-B5 I

B1-B4 X

Bl-il • X

BMI X

B2-B5 X

B2-B3 X

B2-C4 X

B3-B4 X

B3-B5 I

BK1 X

B4-B5 X

B4-12 X

TAB. 4: Ce tableau nous montre la prédominance

des rapports de séparation et, en second lieu,

1'importance des rapports d’enveloppement.

Page 70: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

63

CMC

VOISHSGE SEPiRITIOH BiïELOP. EMBOITE. REPETITIOS RBcmsacE JOXTàPO. SOPKRP,

C1-C2 X X

C1-C4 X

CHS X

Cl-Dl X

Cl-Bl I I

CHS X

CHS I

C2-D4 X

CHS I -

CK4 %

CH1 % X

CHS I

C4-B2 X

TAB. 5: Les rapports de voisinage et de sépa­

ration sont dominants dans la case C. On

retrouve ensuite les liaisons de récurrence.

Page 71: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

64

OS»

V0ISUAGE SSP&RATKH EKVEL0P. EMBOIfl REPETÜK* RECIJRRHCE JffïîiPO. SOPfflP.

Di-n X

Dl-Cl X X

DI-D4 I

01-05 X

D1-D2 X

D2-D3 I

D2-D5 I

02-84 I

03-05 X

DK-M X

03-n X

M-D5 I X

D4-C2 X

TAB. 6: Les rapports de voisinage et de sépa­

ration sont les plus fréquents dans la case D.

Les rapports d'enveloppement suivent.

Page 72: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

65

OSI

V0IS1I10E mmm BÏBLOP. EMBOITE. REPETITION RECÜRREKE JOXTiPO. SOPERP.

BB1 I

E1-E4 i

I1-E5 X

E1-E2 i

E2-E5 X

E2-E3 X

E3-E4 X

E3-E5 X

E3-J1 I I

E4-85

BH2 X X

TAB. 7: La case E présente seulement trois

types de rapports. Le plus fréquent est celui

de séparation; interviennent ensuite l'enve­

loppement et le voisinage.

Page 73: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

66

OSE F

VMSUME SEPARATUM OTHLOP. EMBOITE. REPETITIOI RECÜRREKE ÎOXTAPO. SUPERP.

F1-A3 X X

Fl-Gl X

FI-F4 X

F1-P5 X

F1-P2 X

F2-F3 X

F2-F5 X

F2-G4 X

FMI X

B-F4 X

F3-F5 X

F4-F5 X

TAB. 8: Ce sont les rapports de séparation qui

dominent dans la case F. Les rapports de

voisinage viennent en seconde instance.

Page 74: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

67

086

foisn&GS SEPARATE* OffBLOP. EMBOITE. EXPETITE* BKORSEKE JOXTàPO. SGPXSP.

oi-n I

GHM

G1-G2 I

G2-G3 i

G2-G5 X

GHS i

GH4 X

G3-L1 X

GHM X

GHS X

G4-G5 X

TAB. 9: La case 0 nous présente trois types de

rapports, ceux de séparation, de voisinage et

de répétition.

Page 75: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

68

081

mam SEPARATE» DffKLOf. EMBOITE. REPETITK* RECÜRSEVCS jomro. S0PERP.

Hi-n X

HH4 I

B1-B5 i

81-82 i

82-14 X

82-83 X

82-85 X

82-MI X

B3HH X

82-15 X

84-85 X

TAB. 10: Les rapports de séparation et de

répétition sont déterminants dans la case H.

Page 76: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

69

OSI

ïoism SEPàRiTH* BiïELOP. EMBOITE. RXPEnmi SECOBREKS roxm S0PE8P.

M X X

n-H

n-G X

IH5 X

D-J4 X

G-B X

G-B X

B-n X

B-I4 X X

B-B X I X

H-B X X I

TAB. 11: La case I établit quatre types de

rapports: ceux de séparation, de voisinage, de

superposition et de répétition. Les liaisons

les plus fréquentes sont celles de séparation.

Page 77: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

70

CMU

fOISHàGi SEPARATES ESTELOP. EMBOITE. tEPEimtS IECQS8EKE mm SOPEHP.

JW4 X I X

JH2 X

J1-J5 X

32-03 I I

32-35 X

Jttl X X

J3-J4 X X

33-35 X X

34-35 X X

TAB. 12: La case J présente cinq types de rap­

ports, mais ce sont les rapports de voisinage

et de séparation qui se retrouvent le plus

souvent.

Page 78: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

71

OSI

ÏOBUSG! sepmmbx BiïKLOP. EMKHTK. Mpnraoi BBCOMEKK JUXT&PO. SOPKKP.

ki-li I X

KHM X X

KH2 X

KHS I

KH3 X

KHS X

I2-L4 X

K3-P1 X X

K3-H I X

KHS X

K4-K5 X

TAB. 13: La case K nous montre six types de

rapports, Ce sont quand même les rapports de

séparation qui la caractérisent le plus.

Page 79: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

72

oai

irasnKE SEPtiUUM mm. EMBOITE. RXPEHTIOI BSCOBSEKE mm. SOPERP.

ll-Hl I X

LH4 X

LH5 X

U-L2 X X

12-M4 i X

L2-L3 X X X

L2-L5 I I I X

L3-L4 I X

IH5 X X X

L3-Q1 X

L4-L5 X X X

TAB. 14: La case L offre une importante va­

riété de rapports. Les différents colorâmes

établissent ainsi six rapports dont cinq sont

dominants (le voisinage, la séparation, l’en­

veloppement, la récurrence et la superposi­

tion) .

Page 80: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

73

OSI

VOISHÎGE SXPttMH» BVKLOP. EMBOITE. REPHUH* SECURSEECE JtfXTàPO. SOPERP.

K1-H I X

Hl-Kt I X X X

M1-M5 X X X

M1-M2 X X I X

MH4 X X

H2-K3 X X

M2-K5 I X

khi I

K3-H4 X X

K3-» X

MHS X X I X

TAB. 15: Les différents colorèmes de la case H

établissent sept rapports. Les plus dominants

sont ceux de voisinage et de séparation.

Page 81: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

74è

OSI

yrasmcE SEPiim* BiïELOP. EMBOITE. REPEHTBI MC0B8BFC8 roxTiPO. SOPffiP,

11-01 X

1H4 i i

IMS X X X

EH2 X I

12-04 I I

1H3 X i

IMS I I X

13-81 X

I3HH I I

IMS I I X

IH5 X

IH3 X

TAB. 16: La case N supporte sept types de rapports.

Ceux de séparation sont présents dans huit liaisons, ils

couvrent la totalité de la case. Les rapports de voisi­

nage viennent en second lieu.

Page 82: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

75

OHO

VŒDBGE SEPARATE* DffBLOP. EMBOITE. REPETITE* R8CÜ8R8KE HJXTAP0. S0PERP.

01-04 I X

01-05 % X

01-02 X X

02-03 I X

02-05 I X I

03-T1 X X

03-04 X X

03-05 X X

04-05 I

TAB. 17: Les liaisons qui établissent les

différents colorèmes de la case O sont les

suivantes: les rapports de séparation (6), de

voisinage (5), d'enveloppement (3), d'emboîte­

ment (2), de récurrence (2) et de superposi­

tion (3).

Page 83: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

76

Pour aller plus loin dans cette analyse colorématique,

et par commodité méthodologique, il faut faire intervenir

dès maintenant 1'analyse syntaxique, car une bonne part de

celle-ci se déroule au plan même des colorâmes repérés dans

le tableau. On reprendra donc les résultats de 1'analyse

colorématique en les intégrant significativement dans

1'organisation syntaxique proprement dite de l'oeuvre

abordée, après avoir identifié les données de base de cette

composition.

Page 84: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

77

CHAPITRE 3

L'ANALYSE SYNTAXIQUE

3.1 Présentation de 1'analyse

L'analyse syntaxique se veut un système analogique

capable de rendre compte du processus d'organisation du

champ visuel, et cela dans les trois dimensions étant donné

la dynamique des variables visuelles qui en constituent la

base matérielle. Ces variables sont insérées dans le Plan

Originel par le producteur selon sa manière propre, donc

selon son point de vue spécifique, ce qui crée des écarts

Page 85: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

78

stylistiques importants entre chaque artiste, et d'emblée

entre chaque tableau et rend possible l'étude de textes

visuels particuliers.

Lorsqu'on introduit dès l'abord l'idée d'analogie, on

se réfère à ce qui distingue la sémiologie visuelle topolo­

gique de 1'analyse syntaxique verbale, où le processus de

reconnaissance des éléments signifiants se réalise à partir

d'une analyse strictement linéaire et irréversible. Ce qui

prévaut dans le verbal, ce sont les relations digitales

entre des éléments discrets, tels que "les unités morphéma-

tiques du langage verbal. La sémiologie visuelle propose

au contraire "1'introduction d* opérateurs qui puissent

rendre compte de la fonction spatiale, analogique et

continue du langage visuel. Ces opérateurs sont la clé

de 1 ' activité syntaxique, et de son déroulement dont on peut

rappeler les principales étapes.

La première étape de 1'analyse syntaxique consiste en

la division du champ visuel en segments ou en agglomérats de

colorèmes, c'est-à-dire en régions, à travers un balayage de

la vision périphérique. Malgré le caractère restreint de

Saint-Martin, op. cit., p.255.

Saint-Martin, op. cit., p.255.

Page 86: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

79

cette vision, elle prépare le terrain pour une étude

ultérieure qui pourrait segmenter davantage 1'oeuvre

abordée.

La vision périphérique se caractérise par la présence

de bâtonnets qui rend la perception des objets moins

précise ; elle réagit aux stimuli des ensembles dans un

mouvement de haut en bas et de gauche à droite, couvrant

donc tout le champ, notamment les périphéries, tandis que la

vision maculaire/fovéale est plus précise et fixe plus

centralement l'objet perçu. On ne peut cependant séparer ces

deux systèmes visuels, car ils interviennent toujours

dialectiquement dans le regard.

"La vision ambiante, (périphérique) sans la vision focale (maculaire/fovéale), serait limitée à la simple détection des changements survenant dans le monde extérieur. La vision focale, sans la vision ambiante, serait aussi infirme que celui qui tenterait d'examiner un tableau dans une pièce obscure avec un mince pinceau lumi­neux"53.

L'analyse syntaxique opère dès le stade de 1 'analyse

colorématique, puisqu'elle y décrit déjà certaines opéra­

tions d'ordre topologique ou gestaltien. C'est ainsi qu'à

partir de notre grille théorique en 20 cases appliquée à

Marc Jeannerod, Les deux mécanismes de la vision, "La recherche en neurobiologie" éd. du Seuil, Paris, 1977, p. 89.

53

Page 87: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

80

l'ensemble du champ visuel sélectionné, on a pu discuter et

analyser chaque colorème, repéré selon son étendue et son

énergie, en rapport avec les autres colorâmes de la surface.

Cela nous amène ensuite à établir des relations colorémati-

ques et à prolonger chacune des centrations effectuées, d'où

l’obligation qui s'ensuit d'agglomérer certains colorâmes de

façon à former une petite région ou de manière à visualiser

dans cet agglomérat une figure gestaltiste quelconque.

La sémiologie topologique propose différentes étapes à

cet égard. Tout d'abord, il faut différencier l'oeuvre d'art

en régions à partir de la vision périphérique, puis on doit

décrire ces différentes régions, ainsi que leurs relations,

en fonction des variables visuelles engagées, telles les

pôles chromatiques, la texture, la frontière, la vectoria-

lité et l'implantation dans le plan. Cette étape sert à

découvrir le type de vision sollicitée et les différents

systèmes de perspective que le producteur a utilisés.

Ensuite, il faut étudier les liaisons topologiques entre ces

régions à partir des mécanismes gestaltiens, tels que "la

reconnaissance de regroupements gestaltiens dotés, par

habitudes acquises, d'une fonction iconique; pression de la

bonne forme, émergences figure/fond, etc..

54 Saint-Martin, op. cit.. p.258.

Page 88: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

81

Par la suite, on peut s’arrêter aux rapports des

régions et des sous-régions avec 1'infrastructure du Plan

Originel. Ces rapports permettent à 1 ' analyste de déterminer

le dynamisme de la courbe spatiale du plan pictural:

"Cette description fait état 1) des énergies différentielles actuelles; 2) des énergies diffé­rentielles potentielles et virtuelles; et 3) de la production de modélisations spatiales spécifi­ques continues/di s conti nues"55.

Suit enfin l'étape de la segmentation de 1'oeuvre d'après la

quantité d'énergie dont sont dotées ces différentes régions.

Cette segmentation est un pas important vers un travail

syntaxique plus en profondeur, où l'on peut prendre en

charge les énoncés que pourraient produire les régions entre

elles. On en arrive alors à la "reconnaissance dans les

régions et sous-régions segmentées des arrangements de

variables visuelles liées à la spatialisation structurelle

des divers espaces organiques"55, identifiés par la topolo­

gie à la suite des recherches piagetiennes.

Pour notre analyse du tableau "La Sieste", de Miré,

nous avons donc établi 10 régions. Chacune de ces régions a

été subdivisée en sous-régions selon le besoin de 1'analyse

(v. illustration D).

Saint-Martin, op. cit., p.258-259.

Saint-Martin, op. cit., p.259.56

Page 89: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

82

Illustration D: segmentation du plan pictural en dix

régions et différenciation de celles-ci en sous-

régions, par vision maculaire/fovéale.

Page 90: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

I

82

11 lustration

régions et

régions, par

D: segmentation du plan pictural

différenciation de celles-ci en

vision maculaire/fovéal e .

en dix

sous-

rib anbEtiiEDtiE 4 obei/i 4

anbEbiçntiE

4

obeh

Page 91: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

83

3.2 Les variables plastiques

3.2.1 Les pôles chromatiques

Miré a utilisé cinq des treize pôles chromatiques

identifiés par la sémiologie visuelle de Saint-Martin.

Cependant, c’est le bleu qui est le plus présent. Nous avons

ainsi désigné par le numéro 7, la région où le pôle chroma­

tique du bleu pâle sature la totalité de la surface. Cette

saturation par le bleu (du ciel) implique une perception

tridimensionnelle liée au modèle naturaliste.

Les autres régions présentent par contre un degré

chromatique moins fort. RI, noir+gris; R2, blanc+bleu; R3,

bleu+noir; R4, jaune ; R5, brun ; R6= noir ; R7, bleu+blanc et

R8-R9-R10, noir.

Au plan de cette distribution même des pôles chromati­

ques, on note que le bleu+blanc est présent dans 20 cases

sur 20; le noir dans 7/20 cases ; le noir pâle et le bleu+-

noir dans 2/20 cases; le jaune et le brun dans 1/20 cases.

Les effets perceptuels qui sont générés par cette

distribution inégale sont déterminés d'abord par le pôle

chromatique dominant. On remarque que la présence du pôle

bleu+blanc suggère la présence d'une espèce de "fond"

Page 92: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

84

impliquant des profondeurs plus ou moins déterminées. Dans

1'ensemble de R7, ce pôle bleu+blanc subit des transforma­

tions selon la quantité ajoutée de blanc. Ces alternances

chromatiques créent des contours, ou bien délimités, ou en

dégradés, de telle sorte qu'on pourra établir ensuite dans

cette région 16 sous-régions en suivant le dégré de lumino­

sité, de tonalité, de texture, de vectorialité, etc.

Dans la région R2, le pôle blanc+bleu est organisé en

contour net, malgré la pénétration du bleu. Il établit un

carré virtuel avec un prolongement en faucille vers le côté

périphérique inférieur où une quantité de jaune est mélan­

gée, de telle sorte que la tonalité de la région 2 présente

des enclaves de tonalités différentes. Le b1anc+bleu+jaune

a un effet direct sur la figure en la rapprochant de la

surface et en faisant reculer en même temps le bleu+blanc.

Cependant, ces effets sont parfois contrecarrés par 1'hori­

zontale du sommet de cette figure qui accentue 1'axialité

horizontale centrale du Plan Originel, et par une diagonale

dysharmonique qui intervient au-dessous de cet axe horizon­

tal central. La figure de R2 est aussi contredite par la

vectorialité circulaire de R8. Par contre, la juxtaposition

de la couleur noire de RI la propulse vers le spectateur.

Page 93: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

85

Dans la région 3, le pôle chromatique bleu+noir combiné

avec d'autres variables visuelles crée l'effet d'un plan

intermédiaire. La région 3 s'établirait ainsi entre la

région 2, posée à 1'avant-plan, et la région 7, située dans

1'arrière-plan.

Quant aux deux petites régions (R4-R5) , leur effet

chromatique est moindre, voire minimal. Ces deux régions

sont influencées par la région 8 qui est constituée de deux

diagonales convergentes. L'une de celles-ci traverse les

frontières des deux petites régions en les rapprochant. Mais

c'est au niveau des couleurs jaune et brun qu'on va diffé­

rencier leurs positions respectives dans la profondeur : le

jaune de R4 faisant reculer le brun de R5.

La région 6 est caractérisée par le pôle noir peint en

aplat lisse. Elle est formée par des lignes en arabesque. La

façon dont elle est organisée nous oblige à 1 ' interpréter

comme étant un symbole numérique. On y reviendra 1 ors de

1'analyse gestaltienne.

Enfin, la région 1 est caractérisée par le pôle

chromatique noir, en touche frisée. Perceptuel 1 ement, elle

se trouve en avant à cause des ouvertures des touches

frisées qui laissent entrevoir le fond bleu. Mais elle est

Page 94: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

86

repoussée par la couleur blanche de R2.

Il faut remarquer encore le mélange de jaune et de bleu

dans les sous-régions 7b, 7a, 7h, 7k, 71; malgré la quantité

minimale de jaune, elles se différencient nettement du reste

de la région 7.

Page 95: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

dratiw

Chroia Sahaüon * lurinosité

Clair Foncé Rouge Bleu Jaune Oui Ion Forte Moyen.Faible J

Rouge

Bleu X I X I X

Jaune I X

Vert X

Orange

Violet

Ocre

Pourpre

Brun X X

Rose

Banc X I

loir X X

Gris X - X

TAB. 18: Nous présentons ici les différents

niveaux de chromatisme qui sont reconnaissa­

bles sur toute la surface. Ainsi nous consta­

tons que nous sommes en présence de quatre

pôles chromatiques : le bleu+blanc et dans

certaines sous-régions, le bleu+blanc+ jaune

qui donne un effet de vert selon la lumière

extérieure. Le jaune est foncé. Comme le brun,

le blanc+bleu et le noir sont soit de forte

saturation, soit de moyenne saturation à cause

de la présence du gris (RI)

Page 96: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

88

Tonalités

Régions Très assombri Pâli Très pâli Clair-obscur âsscdbri le s'ppligue pas

1 X

2 X

3 X

4 X

5 X

6 %

7 X

8 I

î I

10 I I

TAB. 19: Les dix régions repérées présentent

différents niveaux de tonalités. Ansi RI est

sombre; R2 est très pâle; R3 est sombre; R4

est pâle; R5 est sombre; R6, R8, R9, et RIO

sont très sombres et R7 pâle. Cependant cette

division est relative, puisqu'il y a dans ces

tonalités des différences, par exemple entre

R4 et R7, les deux sont pâles, mais leur

niveau de chromatisme est différent.

Page 97: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

89

3.2.2 La texture

"La Sieste" comporte une texture mâte, luisante, striée

et en boucle. Si on regarde attentivement les différentes

régions, on peut voir qu'elles présentent différents types

de texture. Dans R7, le traitement de la matière est par

touches striées, juxtaposées et superposées. Dans R2, il est

réalisé grâce à des touches aplaties et mates, avec une

certaine porosité au-dessous de l'axe horizontal central.

Dans RI, elles sont en boucle et superposées, laissant

passer la lumière, ce qui crée un effet de sphère. Dans R4,

R5 et R6, les surfaces sont aplaties et lisses. La région 3

présente par contre des touches tachetées avec un peu de

relief. Dans R8, R9 et RIO, ces touches sont luisantes.

3.3 Variables perceptuelles

3.3.1 La dimension

Par la vision périphérique, on peut découper les diffé­

rentes étendues qui occupent les régions repérées. On

remarque que quatre cases sont occupées par la région 1,

sept par la région 2, une par les régions 4, 5, 6 et 9,

trois par les régions 3, 8 et 10, alors que vingt cases

cependant, c'est-à-dire la totalité de la grille, sont

occupées par la région 7.

Page 98: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

90

Six des dix régions occupent partiellement plusieurs

cases, et seule la région 7 occupe au moins six cases

complètement. Ces dernières sont situées sur le côté

périphérique inférieur du champ visuel.

3.3.2 Les frontières/formes

On note en surface des formes géométriques réelles ou

virtuelles qui sont parfois déformées (v. illustration D).

Dans RI, on remarque à travers le mouvement circulaire de la

touche en boucle, un cercle avec un contour mal défini. R2

pourrait être un carré virtuel, augmenté d'un demi-cercle ou

d'un arc. R3 serait un polygone non convexe virtuel ou une

figure plane quelconque ouverte sur le côté périphérique

droit. R8 a une forme circulaire. R9 serait une figure

ondulée ouverte, RIO une forme non géométrique qui s'allonge

en diagonale, R4 et R5 des rectangles, tandis que R6 serait

une figure en arabesque fermée. Toutes ces régions présen­

tent ainsi des figures géométriques fermées ou semi-fermées.

Seule la région 7 présente des formes ouvertes.

Cependant, pour établir les frontières, il faut étudier

les sous-régions qui composent ces régions.

La sous-division R7b comporte un rectangle déformé qui

Page 99: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

91

se prolonge vers le côté périphérique supérieur; R7a

présente des formes ouvertes rectangulaires, verticales et

horizontales ; R7c montre des formes non définies ; R7d

présente une figure circulaire avec des contours dégradés,

R7e une figure circulaire avec des contours en pointillé,

R7f une figure rectangulaire déformée sur le côté périphéri­

que gauche.

R7g montre un polygone triangulaire virtuel; R7h est

constituée par une tête de femme, où les parties de son

visage sont définies par les traits fins du nez; R7 j est

caractérisée par 1 ' enlacement de trois cercles; R7i présente

une figure géométrique irrégulière; R7k a des formes

irrégulières fermées ; R71 comporte des formes circulaires et

triangulaires avec des contours dégradés ; R7m une forme

rectangulaire et R7n, R7o, R7p constituent des formes

triangulaires irrégulières.

La région 6 est sous-divisée en deux sous-régions avec

des formes en arabesque. Il faut signaler la présence de

deux figures qui font référence au nombre 12 dans le coin

supérieur droit.

Page 100: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

92

Toutes ces formes définies dans les différentes régions

n'ont cependant pas de caractéristiques similaires; elles se

présentent d'une manière virtuelle et irrégulière. Ce sont

les sous-régions situées dans la région 7 qui présentent au

premier chef des problèmes de frontières en se superposant

et en s'emboîtant les unes dans les autres, créant ainsi des

irrégularités. Les différentes régions qui offrent des

gestalts plus ou moins fortes s'inscrivent par contre comme

figures géométriques élémentaires et seule la région 7

présente les problèmes de frontière déjà évoqués.

En faisant plusieurs centrations, on se rend compte que

l'on peut élargir encore le nombre des sous-régions. Cela

dit, les frontières mêmes sont déterminées par la conjugai­

son d'autres variables visuelles, tant par rapport au Plan

Originel lui-même qu'à partir de la façon dont 1'artiste

réitère plastiquement dans une certaine mesure ce Plan

Originel.

La relation figure/fond qui s'établit entre les régions

se présente comme suit : par superposition dans R2-R7; par le

pôle chromatique dans R1-R7 et dans R1-R2; par la dimension

et les pôles chromatiques dans R4-R7 et dans R5-R7; par la

texture, le pôle chromatique et les frontières dans R3-R7.

Puis, la relation figure/fond entre les sous-régions

Page 101: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

93

s'organise de la manière suivante : par l'effet d'enveloppe­

ment dans R2a-R8b; par l'effet de contenant/contenu dans

R8b-R2aa et dans R8-R7i; par l'effet de volume dans R7h qui

avance vers l'avant.

De même, c'est par effets chromatiques, par effets de

texture et de frontières que la région 7 établit des

différences dans toute son étendue, comme l'effet chromati­

que qui se présente entre un bleu clair et un bleu foncé.

Grâce à l'effet de texture, cette région 7 se présente comme

striée, porose, pointillée, etc.. Par les frontières, les

contours y sont dégradés. Il y a aussi des superpositions et

des emboîtements, principalement dans R7f et dans R7e. Par

superposition, R2b est propulsée par la vectorialité de RIO

et par celle de l'axe horizontal central.

Page 102: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

94

Illustration E: Les différentes formes ouvertes et

fermées.

Page 103: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

95

3.3.3 La vectorialité

Les orientations que prennent les différentes régions

et les sous-régions sont déterminées pour une bonne part par

la façon de percevoir et d* analyser les différents éléments

du plan pictural. Il faut surtout considérer la manière dont

ce plan s'insère dans le Plan Originel.

Dans "La Sieste", on voit que 1 1 orientation que

prennent les régions et les sous-régions s'inscrit sur la

diagonale harmonique, c'est-à-dire que cette diagonale est

réitérée virtuellement par la liaison qui s'établit percep­

tuel lement entre les régions. Cela ne veut pas dire cepen­

dant qu'il existe un seul type d'orientation.

Si on analyse chaque région et chaque sous-région, on

comprend qu'elles présentent différents niveaux de vectoria­

lité. Dans la région 1, on assiste à un déploiement d'éner­

gie centrifuge par la re-création d'un rayonnement qui

atteint surtout les sous-régions R7k-R71 situées sur le plan

carré virtuel (AEBF).

La région 2 est superposée aux sous-régions R7k-R7a,

R7p, R7o. Sa vectorialité verticale et oblique accentue dans

un secteur réduit la diagonale harmonique. On saisit que le

Page 104: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

96

mouvement est arrêté par les contours nets des frontières

qui délimitent bien cette région.

Dans R3, on aperçoit une orientation oblique sur la

diagonale harmonique avec un prolongement virtuel sur le

côté périphérique supérieur. Ce mouvement se fusionne avec

les énergies de la sous-région 7d. Dans R4-R5, 1'orientation

s'inscrit sur la diagonale harmonique, principalement sur le

triangle harmonique supérieur. La vectorialité est unie ici

à celle de la sous-région 8b. Dans R6, on note le même

mouvement sur la diagonale harmonique arrêtée par des

frontières bien définies.

Des zones problématiques persistent pourtant, que nous

avions, dans notre première approche, attribuées à la région

6, comme si elles étaient des sous-régions. Ainsi, dans la

zone située entre R7n et R7c, 1'orientation se prolonge en

réitérant la diagonale dysharmonique avec décalage. La zone

située dans R7o présente un mouvement ondulatoire sur l'axe

horizontal central avec un prolongement virtuel sur la

diagonale harmonique. Dans la zone située entre R7n et R7i,

le mouvement est circulaire avec un prolongement horizontal

sur l'axe horizontal central.

Page 105: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

97

Dans RIO, le mouvement se poursuit en reitérant la

diagonale dysharmonique avec décalage. R9 présente une

orientation ondulatoire sur l'axe horizontal central avec un

prolongement virtuel sur la diagonale harmonique. R8 est

caractérisée par une orientation en diagonale qui se

poursuit grâce aux deux diagonales convergentes. L'une est

orientée vers le coin supérieur droit, l'autre vers le coin

inférieur droit, mais cette dernière est arrêtée par l'axe

horizontal central et par une forme circulaire. L'origine de

ces deux diagonales est une autre forme circulaire semi-

enveloppée par R2a, ce qui constitue ainsi un triangle

irrégulier virtuel.

Les sous-régions que nous avons définies en cours

d'analyse présentent aussi diverses orientations, selon leur

position. Dans les sous-régions 7a-7b et 7m, la direction

verticale est stoppée par des mouvements horizontaux ou par

la superposition qui surgit entre les deux sous-régions

concernées. La sous-région 7c présente un mouvement très

dynamique, soit une direction verticale se dirigeant vers la

diagonale harmonique. La sous-région 7f possède un mouvement

vertical qui enveloppe la sous-région 7e. Dans R7e, le

mouvement est fusionné avec celui de la sous-région 7f. On

assiste à une conflagration d'énergie produite par la

rencontre de deux mouvements.

Page 106: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

98

La sous-région 7g nous montre un mouvement horizontal et

vertical déterminé par les frontières qui s'établissent

entre R7h et R7f. La sous-région 7h offre comme particula­

rité un mouvement centripète qui se chevauche dans R4-R5 et

R7j. La sous-région 7i supporte un mouvement vertical qui

s'emboîte dans la sous-région 7 j. Dans la sous-région 7 j , on

remarque, par des procédés getstaltiens, trois cercles

entrelacés. Leur orientation est problématique à cause des

réseaux de lignes qui traversent ces trois cercles. Ces

réseaux prennent différentes orientations, verticale,

diagonale ou circulaire. La sous-région 7k présente deux

vecteurs, l'un vertical et l'autre diagonal, précisément sur

la diagonale dysharmonique. La sous-région 71 se présente

elle aussi avec deux orientations, qui sont toutefois diffé­

rentes ; l'une est circulaire centripète, l'autre est posée

en diagonale et s'enligne vers le côté périphérique supé­

rieur .

Page 107: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

99

I REGIONS COULEUR TONALITE TEXTURE FORME/CONTOUR VBCTORIMJTE DIMENSION

Bl->82 D D D D D D

R1->R3 D B D D D 0

Rl->84 D D D D D D

Rl-tiS D D D 0 D D

82->R3 D . D D L D D

R2-*4 D L L L L D

82->B5 D L L L L •

R3->R4 D D D L L ,

B3->85 D D D 1 L D

R2-W8 D D D L L D

R8->84 D L L L L D

R1HR2 D D D L D D

R4->R5 0 L L L L L

TAB. 20: Résultat global des jonctions/dis jonc­

tions entre les différentes régions selon cinq

variables visuelles.

Page 108: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

100

3.3.4 L'implantation dans le plan

Dans notre présentation initiale de la sémiologie

topologique, nous avons abordé les deux types de profondeur :

la profondeur optique et la profondeur illusoire. Dans "La

Sieste", on distingue la présence d'une profondeur optique

comme caractéristique principale. Les indices en sont une

absence de profondeur illusoire qui serait constituée par un

réseau de coordonnées fictives. D'ailleurs, on rencontre

plutôt une certaine uniformité dans la surface peinte via le

pôle chromatique bleu+blanc qui occupe presque entièrement

le champ visuel.

Cette uniformité, bien qu'elle n'élimine pas toute

perception du lointain, la rapproche par contre dans une

perspective proprement proxémique. Il existe cependant des

sous-régions qui présentent des problèmes quant à leur

positionnement dans le plan. Mais avant de parler de ces

sous-régions, on doit préciser le type de vision sollicité.

D'après notre grille de répartition (en 20 cases), on

constate que les cases D-E-I-J sont perçues à travers la

vision maculaire et fovéale. Les cases G-H-L-B-A relèvent

cependant d'une vision périphérique et maculaire. Les autres

cases sont perçues à travers la vision fovéale. On peut donc

Page 109: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

101

avancer que la totalité des sous-régions 7 présentent cette

caractéristique d'être perçues prioritairement par vision

fovéale.

3.4 Position et visées du producteur

Le producteur procéderait en ce sens selon diverses

visées réparties à la surface du tableau:

a) visée frontale : d'après les axes vertical et

horizontal, dans R2, R7e, R7f, R7b, R7a, etc;

b) visée perpendiculaire de bas en haut : dans

R7b, R7a, R7m, R7c, R7d et R7f;

c) visée angulaire de haut en bas : dans R3, R8a,

RIO;

d) visée angulaire de bas en haut : dans R7c, R7d,

R7m, R2;

e) visée angulaire du côté gauche vers le côté

droit : dans R2, R4, R5, R9, RIO, R8;

f) visée angulaire du côté droit vers la gauche :

dans R7k, R7h, R71;

g) visée angulaire oblique vers le haut : dans

R71, R7k, R4, R5, R7c;

h) visée angulaire oblique vers le bas: dans R3.

Page 110: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

102

3.5 Les modes perspectivistes

On signalera maintenant les différents modes perceptifs

auxquels Miré aurait eu recours, en spécifiant pour chacun

les mécanismes mis en oeuvre. Selon les visions maculaire et

périphérique, "La Sieste" s'organise de la manière suivante

au plan de regroupements perspectifs :

Perspective optique. Par juxtaposition, par le pôle chroma­

tique et par la vectorialité qui animent 1'enclave située

entre R7n et R7i et la sous-région R2a, ainsi que les

régions 4 et 5, la région 7 se présente obligatoirement

comme un fond. Aussi, par la texture et la position dans le

plan originel, RI provoque un éloignement des sous-régions

71 et 7k. Par juxtaposition de la couleur blanche dans R2 et

de la couleur noire dans RI, cette dernière s’éloigne du

regard.

Perspective parallèle: Ce mode de représentation opère par

la vectorialité, par la couleur, par la texture, dans R7b,

R7a, R7m, R7c, R7d, R7f, R7k, etc..

Perspective arabesque: Cette vision perspective passe par

l'effet volumétrique dans R7f, R7d, R7h, etc.

Perspective focale: Par le pôle chromatique, par la texture

et par la vectorialité, ce mode perspectif concerne toutes

les sous-régions de R7.

Perspective réversible: Selon les différentes centrations,

Page 111: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

103

on constate que dans R7h et R3, la position perspective se

situe soit à l’avant, soit à l'arrière, et vice-versa.

Perspective tachiste: On rencontre dans R7 des frontières

définies soit par une ligne contour, soit en dégradées ou

par des frontières diffuses. On trouve aussi que l’orienta­

tion verticale et l'orientation horizontale se succèdent en

alternance, comme les différentes tonalités du foncé au plus

clair qui sont mises en oeuvre par le producteur.

Perspective en damier: L'artiste réitère en surface le

deuxième niveau de l'infrastructure du Plan Originel, qui

est constitué par les axialités horizontale et verticale

centrale. Cette réitération est réalisée au moyen d'une

verticale centrale diffuse et d'une horizontale centrale

bien définie par une ligne, ce qui forme l'image et donne

l'énergie d'une croix.

Perspective microscopique: Tout se passe par effet de gros

plan dans R7, R2, RI et R3.

Perspective frontale: Un effet de verticalité frontale

rapproche les différentes sous-régions de R7.

Perspective de rabattement: On remarque des mouvements

verticaux parallèles surtout dans les rapports entre les

sous-régions R7a, R7m, R7b, R7c et R7f.

Perspective baroque: On note enfin l'enchevêtrement des

sous-régions de R7, par les contrastes chromatiques et la

vectorialité. Dans R7k joue la vectorialité de la diagonale

Page 112: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

104

dysharmonique et dans R71 celle de la diagonale harmonique.

"La Sieste" présenterait encore certaines difficultés

syntaxiques quant à la position occupée par les différentes

régions et sous-régions dans la profondeur. Nous avons

remarqué plus précisément 5 enclaves qui pourraient être

problématiques à cet égard: RI, R2b, R8, R3 et RIO.

L'enclave RI. L'ensemble est animé grâce à une perspec­

tive optique par superposition, par la dimension et par la

position dans le Plan Originel ; RI établit un rapport

topologique de voisinage avec R71 . Cependant par la variable

de la dimensionnaiité, cette région de forme circulaire

frisée fait reculer la sous-région R71 qui 1'entoure. Cette

région 1 recule dans la profondeur par l'effet des diagona­

les superposées qui ont tendance à 1'aplatir, qui réussis­

sent ainsi à réduire un peu l'effet de sphère que rendent

les touches matièrées en bouclier. Elle recule aussi par

rapport à la couleur blanche de la région 2, en ce que,

d'une part, au niveau de la couleur, la région blanche

avance sur la noire et que, d'autre part, possédant un

contour net en R2, elle avance par rapport au contour flou

de RI. Enfin, on remarque que RI avance par rapport à R71,

mais recule par rapport à R2. Il y a donc véritablement

effet de réversibilité.

Page 113: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

105

L'enclave R2. Cette région subit différents effets au

plan de sa réception. Elle est mise dans une perspective

microscopique qui demeure assez problématique. Tout d'abord

cette région se situe à trois niveaux de profondeur :

proche, demi-lointain et lointain. Ceci est dû à 1'inter­

vention de différents facteurs. Par rapport à la région 8,

elle est propulsée vers le lointain en raison de la vecto­

rial i té des diagonales de R8 qui est constituée par un point

noir (8a), ainsi que par deux diagonales convergentes qui se

rejoignent en R8b, et dont l'une rejoint l'axe horizontal

central (R8a), alors que l'autre traverse les frontières des

régions 4 et 5. On saisit que R2a recule sous la pression de

R8b. Il en est ainsi de R2a qui semi-enveloppe R8b; en même

temps, 2aa est contenue et enveloppée par R8 et 2a.

R2c se situe entre l'axe horizontal central du plan

pictural et la vectorialité de RIO qui se déplace en

diagonale vers la gauche. Ces deux vecteurs convergents

rapprochent à différents degrés les sous-régions 2c et 2b,

puisque R2c reste dans un plan intermédiaire. R2b s'avance

vers le premier plan, c'est-à-dire qu'elle se présente comme

la sous-région la plus proche du regardeur. Cela résulte de

la couleur claire, de la texture un peu tachetée et de la

forme en pointe qui génère cet effet de rapprochement vers

le spectateur. D'autre part, R2b s'emboîte dans R7o par une

Page 114: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

106

légère brume transparente, ce qui a pour résultat que R7o

est entraînée vers l'avant.

L ' enclave R8. Cet enclave est indissociable de 1'en­

clave R2. Cependant sa particularité réside dans sa vecto­

rial ité et dans sa forme en triangle irrégulier ouvert. On

a dit que la sous-région 8b est semi-enveloppée par R2a et

que toutes les deux reculent à cause de l'angle aigu formé

par ces diagonales ouvertes. Par contre, les deux petites

régions 4 et 5 sont en même temps propulsées vers l'avant,

à cause de leur situation sur la diagonale qui se déplace

vers le coin supérieur droit et qui traverse leurs frontiè­

res communes. Mais à cause de leurs petites dimensions,

elles se trouvent entre R2a et R7h.

L'autre rapport qu'on peut discuter, c'est celui qui

s'établit entre R8a et l'axe horizontal central. R8a et R8b

sont unies par une diagonale qui s'arrête précisément sur

cet axe, de telle sorte que cette liaison vectorielle étire

celui-ci dans sa partie droite, comme si elle le projetait

pour ainsi dire vers l'avant, alors qu'iL passe sous R2c à

gauche.

L ' enclave R3, qui est située dans une perspective

réversible, subit et fait subir des transformations aux

Page 115: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

107

autres régions. Par rapport à R7h, on l'a dit, grâce à un

effet volumétrique, elle situe la région 3 dans une position

oblique, en la rabattant vers 1'intérieur. D'autre part, la

sous-région 7d pénètre R3 en lui donnant comme effet le

mouvement d'un corps céleste. R3 se superpose ainsi à la

sous-région 7g qui, par ce fait même, recule. L'existence

d'un rapport de voisinage entre R3 et R8a est confirmé par

le fait que 8a étire 1'extrémité droite de l'axe horizontal

central vers 1'avant du plan pictural et vers le spectateur,

transférant ainsi cette proximité à la partie inférieure de

R3, alors que la partie supérieure qui rejoint 7d s'enfonce

dans la profondeur.

On peut aborder le dernier enclave, RIO. Cet enclave,

situé sur une diagonale, entre en rapport avec différentes

sous-régions. Dès l'abord, cette région noire condensée

semble mettre 1'ensemble de la surface dans un discontinu

spatial. Par contre, elle maintient des rapports de simila­

rité au niveau de la couleur avec RI R8, R6 et R9.

Voyons de plus près les différents rapports de RIO avec

ses voisins. Cet enclave se superpose aux sous-régions 7o,

7n, 7c et 7e. Cette densité superposée à R7n propulse cette

sous-région vers l'avant. Par contre R7c qui, dans un

premier temps, semblait se lire comme étant très proche du

Page 116: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

108

spectateur, subit une pression vers 1'arrière à cause de la

superposition de RIO et de R7e.

R7e qui est délimitée par une ligne interrompue, mais

quand même dotée d'une forte pression gestaltiste provenant

de la courbe fermée, subit une légère transformation à cause

de la vectorialité de l'extrémité droite de RIO qui en

descendant vers la droite, la fait reculer.

R7o est caractérisée par son effet atmosphérique, mais

ici, la texture tachetée et la couleur plus concentrée

contribuent inexorablement à avancer un peu R2b, tout en

faisant reculer par contre R9 qui a l'aspect d'une demi-

moustache .

Au plan de ces figures ou référents iconiques mêmes,

"La Sieste" supporterait d'ailleurs différents niveaux ou

degrés de figuration qui interviennent aussi comme facteurs

de jonctions/disjonctions syntaxiques. Aux formes irréguliè­

res, soient fermées, soient ouvertes, aux formes géométri­

ques, telles le carré, le rectangle, le triangle, etc.,

s'ajoutent des formes figuratives, semi-figuratives et semi-

abstraites qui complexifient la lecture de l'oeuvre. Une

tête de femme avec cheveux longs dans R7h, la demi-moustache

de R9 et une lune R2, dirigent l'attention dans le sens

Page 117: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

109

d'une iconographie facile et repérable en surface. Mais il

faut éviter le piège que présentent ces formes nommables qui

servent trop souvent à cacher plus qu'elles ne nous révè­

lent, et qui servent alors à masquer les énergies constitu­

tives du Plan Originel.

Page 118: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

110

10

9

8

7

6

5

4

3

2

1

à l'infini

1000 pieds

500 pieds

100 pieds

50 pieds

20 pieds

12 pieds

8 pieds

4 pieds

proxétni que

Illustration F: position des régions et sous-régions

dans la profondeur. Les disjonctions problématiques

sont marquées par des lignes discontinues.

Page 119: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

Ill

3.6 Insertion des régions dans le Plan Originel

L'insertion dans le P.O. se déroule selon certains

paramètres performatifs : accentuation sur l'axe horizontal

central du Plan Originel par R8 et R2; ponctuation du coin

supérieur gauche par une diagonale, formant ainsi un

triangle irrégulier; redoublement sur la diagonale dysharmo-

nique, mais en position de décalage, par RIO ; division

virtuel 1e de l'axe vertical central par R7; et enfin

réitération sur la diagonale dysharmonique dans une moindre

étendue par RI et R8.

On observe, selon les différentes modalités décrites

plus haut, que l'une des caractéristiques importantes du

plan pictural est 1'énergisation des différents axes.

Cependant celle-ci est inscrite en différents niveaux.

Ainsi l'axe horizontal du plan pictural est plus proche

du côté périphérique supérieur et il est accentué par une

ligne bien définie. Par contre, on remarque une division

virtuelle de l'axe vertical central par une texture porose.

Sur la diagonale dysharmonique, on observe le même

phénomène de réitération par le biais d'une ligne bien

définie, alors que le décalage y est plus prononcé, puisque

Page 120: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

112

la diagonale du plan pictural se déplace au-dessous de l'axe

horizontal central.

Sur la même diagonale dysharmonique, on note le

déplacement d'une diagonale dans RI, dont 1'élargissement ou

la dimension est limitée sur le plan pictural. Une autre

diagonale réitère aussi depuis la région 2 la diagonale

dysharmonique, mais dans une moindre importance. Ces deux

diagonales se déplacent au-dessus de l'axe horizontal

central, mais sur différents côtés : l'une sur le côté gauche

de l'axe vertical central ou sur le carré virtuel (ABEF),

l'autre, en traversant l'axe vertical central ce qui crée

une mini-infrastructure cruciforme.

Sur la diagonale harmonique, on observe le déplacement

d'une diagonale qui part de la zone centrale du plan

pictural pour aller vers le coin droit supérieur du Plan

Originel.

Seulement un coin est ponctué sur le côté périphérique

gauche supérieur par un triangle irrégulier (R71-R1).

On peut signaler aussi la réitération virtuelle des

quatre rectangles irréguliers formés par 1'infrastructure

cruciforme qui est intégrée dans le plan pictural. On

Page 121: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

113

reconnaît enfin la présence de deux super-régions dynami­

ques: A-B (v. illustration G).

Illustration G: Energétisation par le plan originel.

Page 122: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

114

Cette division en deux super-régions stoppe dans une

certaine mesure le mouvement vers le haut, soit verti­

calement, formant ainsi des axes verticaux parallèles, soit

diagonal ement, sur la diagonale harmonique, toujours vers le

haut. On note encore que ces mouvements vertical et diago­

nale sont stoppés par les frontières, comme dans les sous-

régions R7p et R7o où le mouvement est horizontal.

L'insertion de la structure du plan pictural dans le

Plan Originel présente enfin des liaisons topologiques et

gestaltiennes, principalement des rapports de succession qui

engendrent quelques liaisons virtuelles, lesquelles nous

obligent perceptivement à organiser des éléments géométri­

ques .

Dans R71, la liaison qui s'établit ainsi à partir de

cette sous-région avec le coin gauche supérieur du Plan

Originel nous oblige à voir un triangle irrégulier. Dans

R7k, par liaison avec R71, le côté périphérique gauche et

l'axe horizontal central nous engagent à voir un polygone

virtuel.

Page 123: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

115

3.7 Les rapports topologiques

La sémiologie visuelle de Fernande Saint-Martin propose

de reconnaître les signes suivants pour distinguer les

différents rapports topologiques qui se réalisent dans un

champ visuel : U = voisinage, association, fusion; * =

séparation; + = succession; - = continu; / = frontière ; « =

en avant ; » = en arrière ; fl = enveloppement ; n = semi-

enveloppement; n = semi-emboîtement ; et > = relation conte­

nant/ contenu.

On constate dans "La Sieste" que le voisinage entre les

sous-régions de la région 7 se réalise à travers, non

seulement le pôle chromatique bleu+blanc, mais aussi par la

texture et par la vectorialité que les regroupements des

colorèmes produisent. On remarque, par exemple, différents

voisinages : R7b U R7a; R7c U R7f ; R7a U R7m, etc..; des

séparations: RI * R71; R2 f R2a; R8 * R7k; R4 * R5; R3 f R7h

+ R7d; des semi-emboîtements : R7j n R4; R7h n R5; R7o n R2;

des semi-enveloppements: R2 fl R8b; des enveloppements: R2a

+ R8b fl R2aa; R7 j fl R4 * R5 ; des ordres de succession par

récurrence : R7b + R7a + R7m + R7c + R7f; par symétrie : R7e

+ RI; et par alternance: R7c + R7k + R7f.

Page 124: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

116

Les liaisons dans la profondeur des différentes sous-

régions de la région 7 en regard des autres régions produi­

sent aussi différents niveaux de profondeur. Ces sous-

régions subissent des transformations à cause de leur

rencontre avec d'autres régions très différenciées, certains

mouvements en boucle ou des effets volumétriques. On observe

en particulier, par récurrence, un rapport de succession

dans la profondeur de toutes les sous-régions de la région

7 .

En segmentant "La Sieste", nous avions remarqué 2

super-régions : A-B. La première (A) située au-dessus de

l'axe horizontal central est dotée d'une énergie plus forte

que B. La deuxième située sur le triangle dysharmonique

inférieur, est investie d'une énergie beaucoup moins forte.

Nous remarquons encore dans cette segmentation en

super-régions, quelques problèmes d'ordre perceptif qui sont

dûs à la complexité du plan pictural et à la façon dont ce

plan réitère en bonne partie 1'infrastructure du Plan

Originel.

Miré réitère avec un léger décalage le deuxième niveau

de 1'infrastructure du Plan Originel, c'est-à-dire les axes

vertical et horizontal centraux qui forment la figure cruci-

Page 125: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

117

forme. Là, seulement l'axe horizontal central est réitéré

par une ligne nette, tandis que l'axe vertical central est

ponctué par une texture porose, qui perd cependant cette

qualité lorsqu'elle touche à la partie supérieure du

tableau. Il faut remarquer par contre que l'axe horizontal

central est ponctué lui aussi par cette même texture qui

perdra sa qualité lorqu'elle arrivera dans le côté périphé­

rique droit du Plan Originel.

L'autre problème qui se pose, c'est celui de la

diagonale qui accentue la diagonale dysharmonique. Elle est

tracée au-dessous de l'axe horizontal central ; par consé­

quent, elle est en décalage très prononcé par rapport à la

diagonale dysharmonique du Plan Originel. C'est dire que

pour réaliser la segmentation désirée en super-régions, nous

avons dû écarter d'autres possibilités prégnantes de sens.

Une première : quatre super-régions situées sur les quatre

carrés virtuels que forment les axes vertical et horizontal.

Une deuxième : trois super-régions, l'une sur le rectangle

supérieur, l'autre sur le côté périphérique inférieur, la

dernière entre les deux super-régions. Nous leur avons

préféré des énoncés reposant sur une méta-reconstitution

bipartite.

Page 126: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

118

3.8 Enoncés visuels

Comme on l'a vu, la structure syntaxique de "La Sieste"

serait constituée de deux super-régions "A" et "B", dont

1'énergie serait différente. Là, SRA réactualise 1'axialité

horizontale, ainsi que les triangles supérieurs formés par

les deux niveaux de 1'infrastructure du Plan Originel,

tandis que SRB est plus diffuse.

La super-région "A" occuperait en gros les régions RI,

R2, R3, R4, R5, R6 et R8 ; la super-région "B", les sous-

régions de R7 situées sur le côté périphérique inférieur, la

sous-région 2b et la région 10.

Il faut souligner aussi que ces sous-régions de R7

subissent des transformations selon les rapports qu'on

entend établir avec les autres régions. Si en général R7

constitue le fond du plan pictural, il se passe néanmoins

autre chose. Car, partout où une sous-région de R7 est

visualisée, celle-ci subira différentes transformations,

soit en avançant vers le spectateur, soit en reculant par

rapport aux autres sous-régions de R7.

On peut donc formuler hic et nunc six énoncés visuels

à partir de l'examen des jonctions et disjonctions topologi-

Page 127: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

119

ques au sein des régions repérées:

1) Toutes les régions sont superposées à la région 7

2) R2 semi-enveloppe R8b

3) R2a et R8b enveloppent R2aa qui est contenue dans

R8b.

4) R3 semi-emboîte R7d

5) R8 semi-enveloppe R7i

6) R4 est juxtaposée à R5.

On peut ajouter que la région 7 est la plus complexe à

cause d'une moindre dose d'énergie. Elle intervient dans

toutes les autre régions et ces dernières l'influencent à

leur tour, de telle sorte qu’on observera généralement une

superposition des éléments figuratifs sur un fond constitué

par le pôle chromatique bleu+blanc.

De plus les régions présentent divers types d'espaces

organiques. On remarque dans R7, un renvoi à 1'espace

tactile par la texture et à 1'espace thermique par le pôle

chromatique bleu+blanc. La région 1 renvoie aux espaces

tactile et visuel; la région 2 à 1'espace kinesthésique; les

régions 4 et 5 à 1'espace visuel; la région 3 aux espaces

thermique et kinesthésique; la région 6 à 1'espace visuel.

Cette détermination des types d'espaces organiques auxquels

Page 128: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

120

renvoie 1'oeuvre reste toutefois des plus sommaires, car

nous touchons ici au point limite de 1 'analyse syntaxique et

au passage de frontière du syntaxique au pragmatique. Mais

c'est là une autre histoire, sur laquelle il faudra revenir

dans une recherche ultérieure.

Page 129: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

121

CONCLUSION

L'analyse sémiologique que nous venons de réaliser nous

a certes aidé à établir la possibilité d’un dialogue plus

fructueux entre le spectateur et 1 'oeuvre d’art. Il est

certain qu'il nous reste cependant beaucoup à faire dans la

compréhension même de 1'oeuvre picturale. A cet égard, est-

ce que le processus analytique supporté par la sémiologie

topologique est valable et fait avancer les choses au plan

de 1'interprétation visuelle? Il me semble que oui.

Page 130: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

122

Nous voulions présenter une nouvelle possibilité de

lecture de 1 'espace pictural. Le fait d'avoir interrogé les

différentes modalités perspectivistes et d'avoir démontré

par la suite que Miré avait privilégié dans "La Sieste" des

types de perspectives proxémiques, ainsi que des régions

présentant des enclaves problématiques quant au discontinu

spatial, par exemple R7 qui couvre presqu’entièrement la

surface, nous a permis d'avancer une interprétation de

1'espace motivé par les mécanismes gestaltiens.

Nous voulions aussi reconnaître les structures internes

de l'oeuvre. Nous avons donc établi deux super-régions, qui

en quelque sorte réitèrent les deux niveaux de 1'infras­

tructure du Plan Originel . Cela nous a conduit à émettre

quelques énoncés visuels possibles issus de l'oeuvre. Nous

en avons retenu six sur la base des rapports topologiques

qui s'établissent par superposition, par emboîtement, par

séparation, par voisinage, par enveloppement. Ces opérations

ne sont cependant pas définitives, puisqu'il faudrait

pouvoir comparer nos résultats avec ceux d'autres travaux de

recherche sur la même oeuvre.

De plus, au départ, le fait d'établir une grille

modélisante en 20 cases pour 1'analyse colorématique nous

avait permis, à travers la vision maculaire/fovéale,

Page 131: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

123

d'organiser une série de rapports de différenciation entre

les colorâmes ; par là nous avons fait la preuve que chaque

colorème a ses particularités en raison de 11 inévitable

processus de création qui ne permet pas de répéter avec

similitude une trace de pinceau. En outre, la position

qu'occupe chaque colorème dans le Plan Originel serait

importante pour 1 ’analyse des différentes relations que ces

colorèmes établissent à la surface du tableau.

Puis, au plan de 1'analyse syntaxique même, nous avons

déterminé dix régions par vision périphérique et des sous-

régions par vision maculaire/fovéale. Ces segmentations de

caractère opératoire étaient complexes. Nous avons saisi en

particulier qu’au niveau de la couleur, le pôle chromatique

bleu+blanc s'organise comme un fond dans "La Sieste", malgré

quelques incidents colorématiques. Au plan des rapports

topologiques, ce sont ceux de voisinage, de séparation et de

superposition qui ont été perçus comme les plus fréquents.

Quant aux rapports gestaltiens, ils nous obligeraient à

regarder l'oeuvre de gauche à droite, en raison de la

position et de 1'orientation de quelques éléments semi-

figuratifs .

Cette analyse sémiologique reste toutefois inachevée,

car elle n'inclut pas 1'analyse sémantique. Nous avions

Page 132: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

124

souligner dans notre introduction 1'impossiblité de présen­

ter à ce stade une telle analyse. Nous ne pouvons cependant

négliger de mentionner en terminant que "La Sieste" est en

rapport avec le monde du féminin d'un point de vue soit

sexuel, soit maternel. D'ailleurs nous savons en histoire de

l'art que Miré a peint, pendant cette époque, des sujets

faisant référence aux femmes et qu'il a travaillé aussi ce

thème dans ses sculptures et dans ses céramiques.

Elargissant notre perspective, nous pouvons encore

rattacher ce tableau aux intérêts surréalistes pour les

sujets concernant globalement la femme et l'érotisme, sans

oublier toutefois que chaque artiste surréaliste développait

cette préoccupation à partir d'un aspect assez différent.

C'est dans un projet de doctorat que nous voulons poursuivre

une telle analyse sémiotique pour pouvoir compléter les

trois étapes, colorématique, syntaxique et sémantique, de la

sémiologie topologique visuelle.

Page 133: Lecture sémiologique d'une œuvre d'art :La Sieste de Joan Miro

125

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