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L’éducation thérapeutique d’un patient atteint de leucémie myéloïde chronique L’année 2001 a vu naître la première molécule d’une nouvelle génération de médicaments qui allaient métamorphoser l’arsenal thérapeutique en oncologie. L’imatinib a été le premier inhibiteur des tyrosine kinases à être commercialisé dans le monde entier. Cette thérapie ciblée a ouvert la voie à la découverte d’une centaine d’autres agents et a révolutionné la thérapie de la leucémie myéloïde chronique (LMC). Depuis, deux autres molécules se sont ajoutées au traitement de cette maladie : le dasatinib et le nilotinib. Ces trois molécules sont maintenant disponibles en officine. L a leucémie myéloïde chronique (LMC) est due à l’apparition d’une translocation d’un gène (ABL) du  chromosome 9 vers le chromosome 22. Cette trans- location forme le gène de fusion Bcr-Abl, aussi appelé le  chromosome de Philadelphie. Elle cause une production excessive de globules blancs dans le sang, principale- ment des blastes, et, par le fait même, entraîne une accu- mulation de ces cellules dans le sang 1-5 . Leucémie myéloïde chronique En France, environ 700 nouveaux cas de LMC sont diagnostiqués chaque année, dont 85 à 90 % en phase chronique. La LMC touche principalement les gens âgés de plus de 50 ans et plus fréquemment les hommes. Elle peut se présenter en trois phases : chronique, accé- lérée et blastique. La phase chronique est plus souvent asymptomatique et une leucocytose importante est habi- tuellement présente. Dans la phase accélérée, le clone devient instable et plusieurs anomalies chromosomiques peuvent s’installer rendant la maladie difficile à contrôler. La phase accélérée est la transformation en leucémie aiguë. Les cellules prolifèrent rapidement et deviennent résistantes aux traitements 1-5 . Quoique près de 60 % des patients sont asymptoma- tiques au moment du diagnostic, les signes et symptô- mes de la LMC incluent la fièvre, les sueurs nocturnes, la fatigue, la douleur abdominale, la pâleur, le purpura, l’hépatomégalie, la splénomégalie et un malaise généralisé. Les traitements visent à obtenir une réponse hémato- logique (détection de cellules dans le sang), cytogénétique (détection du chromosome) et moléculaire (détection des produits de transcription du gène Bcr-Abl) 1-5 . Gestion du traitement Les nouvelles thérapies ciblées comme l’imatinib bloquent la tyrosine kinase du gène Bcr-Abl et empêchent la trans- duction du signal et la propagation de la leucémie. Le trai- tement de première intention est l’imatinib. En cas d’into- lérance ou d’échec, le dasatinib et le nilotinib peuvent être tentés (tableau 1). © BSIP/Phototake/Nyu Frankl Leucémie myéloïde chronique. Tableau 1 : Utilisation des inhibiteurs des tyrosine  kinases dans la leucémie myéloïde chronique DCI Posologie Effets indésirables fréquents Imatinib 400 mg per os, 1 fois par jour (600 mg per os, en phase blastique ou accélérée) Prendre avec de la nourriture Neutropénie, thrombocytopénie, anémie, rétention hydrosodée (œdème péri-orbital), nausées, vomissements, augmentation des enzymes hépatiques, crampes musculaires, rash Dasatinib 70 mg per os, 2 fois par jour Thrombocytopénie, neutropénie, anémie, augmentation des enzymes hépatiques, diarrhée, rash, nausées, rétention liquidienne (épanchement pleural), céphalées Nilotinib 400 mg per os, 2 fois par jour Prendre à jeun Thrombocytopénie, neutropénie, anémie, augmentation des enzymes hépatiques, prolongation de l’intervalle QT 13 module 25 Éducation thérapeutique du patient atteint de cancer Actualités pharmaceutiques carnet de formation pharmaceutique continue 1 er trimestre 2012

L’éducation thérapeutique d’un patient atteint de leucémie myéloïde chronique

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L’éducation thérapeutique d’un patient atteint de leucémie myéloïde chroniqueL’année 2001 a vu naître la première molécule d’une nouvelle génération de médicaments

qui allaient métamorphoser l’arsenal thérapeutique en oncologie. L’imatinib a été le premier

inhibiteur des tyrosine kinases à être commercialisé dans le monde entier. Cette thérapie

ciblée a ouvert la voie à la découverte d’une centaine d’autres agents et a révolutionné

la thérapie de la leucémie myéloïde chronique (LMC). Depuis, deux autres molécules se

sont ajoutées au traitement de cette maladie : le dasatinib et le nilotinib. Ces trois molécules

sont maintenant disponibles en officine.

La leucémie myéloïde chronique (LMC) est due à l’apparition d’une translocation d’un gène (ABL) du chromosome 9 vers le chromosome 22. Cette trans-

location forme le gène de fusion Bcr-Abl, aussi appelé le chromosome de Philadelphie. Elle cause une production excessive de globules blancs dans le sang, principale-ment des blastes, et, par le fait même, entraîne une accu-mulation de ces cellules dans le sang1-5.

Leucémie myéloïde chroniqueEn France, environ 700 nouveaux cas de LMC sont diagnostiqués chaque année, dont 85 à 90 % en phase chronique. La LMC touche principalement les gens âgés de plus de 50 ans et plus fréquemment les hommes.Elle peut se présenter en trois phases : chronique, accé-lérée et blastique. La phase chronique est plus souvent asymptomatique et une leucocytose importante est habi-tuellement présente. Dans la phase accélérée, le clone devient instable et plusieurs anomalies chromosomiques peuvent s’installer rendant la maladie difficile à contrôler.

La phase accélérée est la transformation en leucémie aiguë. Les cellules prolifèrent rapidement et deviennent résistantes aux traitements1-5.Quoique près de 60 % des patients sont asymptoma-tiques au moment du diagnostic, les signes et symptô-mes de la LMC incluent la fièvre, les sueurs noctur nes, la fatigue, la douleur abdominale, la pâleur, le purpu ra, l’hépatomégalie, la splénomégalie et un malaise généralisé.Les traitements visent à obtenir une réponse hémato-logique (détection de cellules dans le sang), cytogénétique (détection du chromosome) et moléculaire (détection des produits de transcription du gène Bcr-Abl)1-5.

Gestion du traitementLes nouvelles thérapies ciblées comme l’imatinib bloquen t la tyrosine kinase du gène Bcr-Abl et empêchent la trans-duction du signal et la propagation de la leucémie. Le trai-tement de première intention est l’imatinib. En cas d’into-lérance ou d’échec, le dasatinib et le nilotinib peuvent être tentés (tableau 1).

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Leucémie myéloïde chronique.•

Tableau 1 : Utilisation des inhibiteurs des tyrosine kinases dans la leucémie myéloïde chronique

DCI Posologie Effets indésirables fréquents

Imatinib 400 mg per os, 1 fois par jour(600 mg per os, en phase blastique ou accélérée)Prendre avec de la nourriture

Neutropénie, thrombocytopénie, anémie, rétention hydrosodée (œdème péri-orbital), nausées, vomissements, augmentation des enzymes hépatiques, crampes musculaires, rash

Dasatinib 70 mg per os, 2 fois par jour

Thrombocytopénie, neutropénie, anémie, augmentation des enzymes hépatiques, diarrhée, rash, nausées, rétention liquidienne (épanchement pleural), céphalées

Nilotinib 400 mg per os, 2 fois par jourPrendre à jeun

Thrombocytopénie, neutropénie, anémie, augmentation des enzymes hépatiques, prolongation de l’intervalle QT

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Les effets indésirablesLes effets indésirables des nouvelles thérapies ciblées diffèrent de ceux de la chimiothérapie convention-nelle6-8. Certains justifient la consultation par le patient de l’équipe médicale qui le suit (encadré 1).• Les toxicités hématologiques (neutropénie, anémie, thrombocytopénie) sont fréquentes et résultent de la destruction des cellules leucémiques dans la moelle et le sang. Habituellement, les cytopénies se normalisent en deux ou trois semaines après le début de traitement. Des interruptions de traitements et des réductions de doses peuvent être nécessaires.• La rétention hydrosodée  localisée et  l’œdème périorbital sont particulièrement fréquents avec l’imatinib. En cas de réaction légère, une restriction en sel est proposée au patient. Une crème à base de cortico stéroïde ou de phényléphrine peut être utilisée. Dans des cas plus sévères, des diurétiques peuvent être utilisés. Le dasatinib, quant à lui, est susceptible de provoquer une rétention hydrosodée plus généralisée comme un épanchement pleural (toux, essoufflement, oppression thoracique). Le patient doit savoir reconnaître ces symptômes et aviser rapidement l’équipe soignante lors de leur appa-rition. Il peut également lui être demandé de se peser régulièrement et d’alerter les soignants si son poids augmente de plus de 2 ou 3 kg.• Les nausées et vomissements peuvent être évités avec l’imatinib, dès lors que le médicament est pris avec des aliments. La diarrhée est un effet secondaire très fréquent de la prise de dasatinib et de nilotinib. Aucune mesure préventive n’est requise d’emblée. Le lopé-ramide doit toutefois être instauré rapidement après le début des symptômes. Si les diarrhées se font plus impor-tantes (plus de 4 à 6 selles par jour ou des selles nocturnes), des doses élevées de lopéramide sont recommandées (1 comprimé toutes les 2 heures le jour et 2 comprimés toutes les 4 heures la nuit jusqu’à 12 heures sans selles). Enfin, si le patient présente du sang dans les selles, de la fièvre, des douleurs abdominales, des nausées impor-tantes et des vomissements, l’équipe soignante doit être rapidement prévenue8.• L’alopécie est rare avec ces médicaments, mais des changements dans la pigmentation des cheveux ont été rapportés avec l’imatinib. Ils peuvent ainsi devenir gris prématurément. • Les éruptions cutanées ont été rapportées chez 20 à 30 % des patients traités avec ces trois molécules. Le rash diffère de celui rapporté avec les inhibiteurs de l’EGFR (endothelial growth factor receptor), erlotinib et géfitinib, car il se présente surtout en forme de plaques et saillies au niveau des avant-bras et du tronc et est souvent accompagné de démangeaisons. Il peut être exacerbé par l’exposition au soleil.

Encadré 1. Quand adresser un patient traité pour une leucémie myéloïde chronique à son équipe soignante ?En cas de traitement par imatinib, dasatinib ou nilotinib, certains signes justifient la consultation par le patient de l’équipe médicale qui le suit :– œdème localisé ou périphérique ;– signes et symptômes de toxicité hématologique (faiblesse, ecchymoses, saignements, infections) ;– cellulite ;– insuffisance respiratoire ;– céphalées intenses ;– troubles de la vision ;– étourdissements ;– hyperglycémie ;– troubles hépatiques.

Les principales causes d’échec des thérapies ciblées sont l’inobservance •au traitement et les interactions médicamenteuses. Le rôle du pharmacien est, de ce fait, primordial dans le suivi des patients.

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Un traitement symptomatique à base de crèmes hydra-tantes, d’antihistaminiques et de corticostéroïdes topi-ques ou oraux est recommandé et généralement effi-cace. Des interruptions de traitement ou des réductions de doses d’inhibiteurs des tyrosine kinases sont parfois nécessaires. Des mesures préventives lors de l’amorce du traitement (appliquer une crème hydratante, éviter les produits irritants, utiliser des savons et démaquillants doux, etc.) peuvent aider à retarder et minimiser l’apparition du rash.• Des douleurs osseuses, musculaires et des crampes peuvent être provoquées par l’imatinib, le dasatinib et, plus rarement, par le nilotinib.L’imatinib est essentiellement en cause (25-50 % des patients). Les douleurs sont habituellement légères à modérées et ne requièrent pas d’ajustements de doses. Des analgésiques comme le paracétamol sont recom-mandés. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens peuvent être utilisés si le décompte plaquettaire est adéquat. Des supplémentations de calcium et de magnésium ont démontré leur efficacité pour traiter les crampes musculaires.Les inhibiteurs des tyrosine kinases Bcr-Abl sont métabo-lisés par l’isoenzyme 3A4 du cytochrome P450. Les médi-caments inducteurs de cet isoenzyme peuvent diminuer les concentrations plasmatiques du traitement et compro-met tre son activité. Inversement, les inhibiteurs puissants du CYP 3A4 peuvent augmenter les taux sériques et causer des effets indésirables majorés. Un suivi étroit est recommandé si l’utilisation concomitante des agents ne peut être évitée.

Le nilotinib est également inducteur et inhibiteur de plusieurs isoenzymes du CYP P450. De plus, il peut allonger l’intervalle QT. L’analyse du dossier est impor-tante avant d’administrer un nouveau médicament chez un patient recevant un inhibiteur des tyrosine kinases.

Observance du traitementLes principales causes d’échec des thérapies ciblées sont l’inobservance au traitement et les interactions médica-menteuses. Il a été démontré que seulement 26 % des patients avaient consommé au moins 90 % des doses prescrites et seulement 14 % en avaient pris au moins 80 %. La relation a également été établie entre l’inobser-vance et la résistance au traitement et aux mutations du gène Bcr-Abl9-10. Le rôle du pharmacien est, de ce fait, primordial dans le suivi des patients. n

Nathalie Letarte

Pharmacienne en oncologie, Département de pharmacie

du Centre hospitalier de l'Université de Montréal,

Professeure adjointe de clinique

à la Faculté de pharmacie de l’université de Montréal (Québec)

[email protected]

Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits

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Références

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