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20 CASA LE JOURNAL DE MONTRÉAL > SAMEDI 30 JUILLET 2011 UN PEU D’HISTOIRE D’origine écossaise, George Stephen était un magnat des chemins de fer qui a fait fortune aux États-Unis. Il a aussi fait des affaires au Canada en finançant le Canadien Pacifique vers les années 1880. Il fit bâtir la Villa Estevan, au confluent du fleuve Saint-Laurent et de la rivière Mitis, un superbe chalet de pêche où il pouvait vivre pleinement sa passion pour la pêche au saumon. En 1891, après avoir été fait lord – il devient alors Lord Mount Stephen –, il retourne en Angleterre et s’y installe définitivement. Comme il est absent, il prête son chalet à ses parents et amis, dont Elsie Reford qui est sa nièce. En 1918, Stephen fait don de sa villa, des dépendances et des fosses à saumon qui lui appartiennent à Elsie Reford. Elsie entreprend alors de faire ar- penter le terrain, fait agrandir la villa et engage des employés. En 1926, à l’âge de 54 ans, elle subit une opéra- tion pour lui enlever l’appendice et, pendant sa convalescence, son méde- cin lui déconseille la pêche, car il craint qu’elle n’ait plus la force de re- gagner la rive. « Pourquoi ne pas vous mettre au jardinage ! », lui a-t-il sug- géré, estimant sans doute qu’il s’agis- sait là d’un passe-temps plus indiqué pour occuper sa convalescence. Sur le terrain qui entoure sa villa, elle entre- prend alors la création d’un superbe jardin. À une certaine époque, aidée par son jardinier Wyndham Coffin et de quelques assistants, elle entretient un jardin et un domaine qui font plus de 17 hectares de superficie. En 1955, Elsie lègue ensuite la Villa Estevan et ses jardins à son fils Bruce. Son fils n’est pas aussi passionné par les plantes que sa mère et vend le tout au gouvernement du Québec en 1961. Henry Teuscher, concepteur des pre- miers aménagements du Jardin bota- nique de Montréal, fut en grande par- tie responsable de la reprise des jar- dins par le gouvernement québécois. Sans lui, les jardins de Métis auraient probablement disparu. En 1995, Alexander Reford, l’ar- rière-petit-fils de Eslie Reford, fonde une organisation à but non lucratif qui fait l’acquisition des Jardins de Métis. Au prix d’importants efforts, les jardins sont rénovés et remis dans leur état originel. Depuis, les Jardins de Métis se sont enrichis de nom- breux autres aménagements ainsi que d’un Festival International de jardins. Près de 100 000 personnes visitent les Jardins de Métis chaque été. LES PIVOINES DE L’ALLÉE ROYALE L’aménagement le plus représen- tatif des Jardins de Métis est sans contredit l’Allée royale, qui est constituée d’un sentier de pierres long de 90 mètres bordé par deux plates-bandes réalisées dans le plus pur style anglais. Cet aménagement a été réalisé par Elsie Reford vers la fin des années 1920. Au tout début de juillet, soit quelques semaines plus tard qu’à Montréal, c’est la flo- raison des pivoines qui donne le ton à cet aménagement. La collection d’Elsie Reford comptait à l’époque 42 espèces et cultivars et on re- trouve aujourd’hui dans les deux plates-bandes de l’Allée royale plus de 200 plants de pivoines ! La première mention des pivoines dans le journal d’Elsie date de 1930, soit quelques années après la réali- sation de l’Allée royale. Cette année- là, elle reçoit 862 pivoines, dont plu- sieurs plants des cultivars ‘Sarah Bernhardt’ et ‘Festiva Maxima’. Quelques années plus tard, elle fait une commande à la pépinière Barr & Sons en Angleterre. Elle y achète notamment la pivoine du Caucase, aussi appelée pivoine de Mlokose- witsch (Paeonia mlokosewitschii). Cette plante au nom étrange, donnée en l’honneur de Ludwick Mlokosie- wicz qui l’a découverte au début du 20e siècle, porte de jolies fleurs d’un jaune lumineux tout à fait charmant. Malgré sa courte période de florai- son, qui dure habituellement une di- zaine de jours, cette plante reste at- trayante toute la saison grâce à son dense feuillage vert légèrement teinté de gris porté par des tiges pourpres qui prennent une colora- tion verte avec le temps. La pivoine PHOTOS COURTOISIE FLEURS ET JARDINS ALBERT MONDOR Collaboration spéciale Les jardins de Métis [email protected] Situés à la porte de la Gaspésie, les Jardins de Métis sont réputés à travers toute l’Amérique du Nord pour leur histoire et leur grande beauté. Ces jardins sont l’œuvre d’Elsie Reford qui débuta leur création vers 1920. Elsie Reford

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2200 CCAASSAA LLEE JJOOUURRNNAALL DDEE MMOONNTTRRÉÉAALL > SAMEDI 30 JUILLET 2011

UN PEU D’HISTOIRED’origine écossaise, George Stephenétait unmagnat des chemins de fer quia fait fortune aux États-Unis. Il a aussifait des affaires au Canada en finançantle Canadien Pacifique vers les années1880. Il fit bâtir la Villa Estevan, auconfluent du fleuve Saint-Laurent et dela rivièreMitis, un superbe chalet depêche où il pouvait vivre pleinement sapassion pour la pêche au saumon.En 1891, après avoir été fait lord – ildevient alors Lord Mount Stephen –, ilretourne en Angleterre et s’y installedéfinitivement. Comme il est absent, ilprête son chalet à ses parents et amis,dont Elsie Reford qui est sa nièce. En1918, Stephen fait don de sa villa, desdépendances et des fosses à saumonqui lui appartiennent à Elsie Reford.Elsie entreprend alors de faire ar-penter le terrain, fait agrandir la villaet engage des employés. En 1926, àl’âge de 54 ans, elle subit une opéra-tion pour lui enlever l’appendice et,pendant sa convalescence, son méde-cin lui déconseille la pêche, car ilcraint qu’elle n’ait plus la force de re-gagner la rive. « Pourquoi ne pas vousmettre au jardinage! », lui a-t-il sug-géré, estimant sans doute qu’il s’agis-sait là d’un passe-temps plus indiqué

pour occuper sa convalescence. Sur leterrain qui entoure sa villa, elle entre-prend alors la création d’un superbejardin. À une certaine époque, aidéepar son jardinier Wyndham Coffin etde quelques assistants, elle entretientun jardin et un domaine qui font plusde 17 hectares de superficie.En 1955, Elsie lègue ensuite la VillaEstevan et ses jardins à son fils Bruce.Son fils n’est pas aussi passionné parles plantes que sa mère et vend le toutau gouvernement du Québec en 1961.Henry Teuscher, concepteur des pre-miers aménagements du Jardin bota-nique de Montréal, fut en grande par-tie responsable de la reprise des jar-dins par le gouvernement québécois.Sans lui, les jardins de Métis auraientprobablement disparu.En 1995, Alexander Reford, l’ar-rière-petit-fils de Eslie Reford, fondeune organisation à but non lucratifqui fait l’acquisition des Jardins deMétis. Au prix d’importants efforts,les jardins sont rénovés et remis dansleur état originel. Depuis, les Jardinsde Métis se sont enrichis de nom-breux autres aménagements ainsi qued’un Festival International de jardins.Près de 100000 personnes visitent lesJardins de Métis chaque été.

LES PIVOINESDE L’ALLÉE ROYALEL’aménagement le plus représen-tatif des Jardins de Métis est sanscontredit l’Allée royale, qui estconstituée d’un sentier de pierreslong de 90 mètres bordé par deuxplates-bandes réalisées dans le pluspur style anglais. Cet aménagementa été réalisé par Elsie Reford vers lafin des années 1920. Au tout débutde juillet, soit quelques semainesplus tard qu’à Montréal, c’est la flo-raison des pivoines qui donne le tonà cet aménagement. La collectiond’Elsie Reford comptait à l’époque42 espèces et cultivars et on re-trouve aujourd’hui dans les deuxplates-bandes de l’Allée royale plusde 200 plants de pivoines !La première mention des pivoinesdans le journal d’Elsie date de 1930,soit quelques années après la réali-sation de l’Allée royale. Cette année-là, elle reçoit 862 pivoines, dont plu-sieurs plants des cultivars ‘SarahBernhardt’ et ‘Festiva Maxima’.Quelques années plus tard, elle faitune commande à la pépinière Barr &Sons en Angleterre. Elle y achètenotamment la pivoine du Caucase,

aussi appelée pivoine de Mlokose-witsch (Paeonia mlokosewitschii).Cette plante au nom étrange, donnéeen l’honneur de Ludwick Mlokosie-wicz qui l’a découverte au début du20e siècle, porte de jolies fleurs d’unjaune lumineux tout à fait charmant.Malgré sa courte période de florai-son, qui dure habituellement une di-zaine de jours, cette plante reste at-trayante toute la saison grâce à sondense feuillage vert légèrementteinté de gris porté par des tigespourpres qui prennent une colora-tion verte avec le temps. La pivoine

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Les jardins de Mé[email protected]

Situés à la porte de la Gaspésie, les Jardins de Métis sont réputés à traverstoute l’Amérique du Nord pour leur histoire et leur grande beauté.Ces jardins sont l’œuvre d’Elsie Reford qui débuta leur création vers 1920.

Elsie Reford

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LLEE JJOOUURRNNAALL DDEE MMOONNTTRRÉÉAALL > SAMEDI 30 JUILLET 2011 2211CCAASSAA

du Caucase est disparue de l’Alléeroyale après quelques années, maiselle a été récemment réintroduitepar Patricia Gallant, qui est horticul-trice en chef des Jardins de Métis.On y retrouve également d’autresespèces de pivoines fort intéres-santes, comme la pivoine à feuillesténues (P. tenuifolia), dont la florai-son survient plus tôt que chez lesautres espèces, et la pivoine deVeitch (P. veitchii), aux doucesfleurs roses légèrement penchéescomme si elles étaient affectéesd’une certaine timidité. Le feuillagede cette dernière est aussi très at-trayant puisqu’il se compose de fo-lioles découpées en plusieurs lobesplus étroits et allongés que ceux desautres pivoines.En juillet et en août, c’est le fa-meux lis royal (Lilium regale), décou-vert en Chine et introduit en Europeen 1903 par Ernest Henry Wilson, quidonne un spectacle époustouflantdans l’Allée royale. Ce lis produit delongues fleurs blanches et roses, trèsparfumées, qui ont la forme de trom-pettes. Cette impressionnante florai-son est supportée par de solides tigesqui font approximativement 1,20 mè-tre de hauteur.

LES PAVOTS BLEUSLors de son introduction dans lesjardins anglais vers 1924 par FrankKingdon-Ward, le pavot bleu (Meco-nopsis betonicifolia) fut à l’origined’une véritable hystérie horticole !Tous les jardiniers de l’époque vou-laient cette plante dans leur jardin!Elsie en voulut elle aussi ! Il estpresque certain que Elsie Reford futla première à cultiver le pavot bleu auQuébec. Au Canada, seule Jennie But-chart, des célèbres Butchart Gardensde Victoria en Colombie-Britannique,semble l’avoir précédée.En 1933, Elsie sema des pavotsbleus achetés en Angleterre à troisendroits dans son jardin. Le succès futcomplet. Après une visite de son jar-din en 1941, Henry Teuscher écrivit :« Les pavots bleus de l’Himalaya – quenous avons d’ailleurs essayé en vaind’acclimater à Montréal – ont étéplantés en bordure d’une pessière.Certains pieds ne sont pas loin d’at-teindre deux mètres de hauteur etvont jusqu’à se propager d’eux-mêmes! Visiter ces jardins à la fin dejuin est une expérience inoubliable. »Les magnifiques pavots bleus sontles plus spectaculaires représentantsde la famille des papavéracées, maiségalement les plus difficiles à cultiver.Meconopsis betonicifolia, l’espèce laplus connue des jardiniers, forme versla fin de juin de splendides fleurs auxpétales d’un bleu ciel très lumineux.M. grandis possède des tiges qui attei-gnent 1 mètre de hauteur portantaussi de grandes fleurs bleues. Il estpossible de trouver sur le marché unevariété appelée ‘Miss Dickson’ dont lafloraison est blanche. On peut aussi

trouver sur le marché le M. x sheldo-nii, un hybride entre M. betonicifoliaet M. grandis. Comme ces plantes sontoriginaires du massif montagneux del’Himalaya, elles éprouvent beaucoupde difficulté à croître en zones 5 et 6où les étés peuvent être particulière-ment chauds et le couvert de neige in-constant durant l’hiver. En fait, les pa-vots bleus performent beaucoupmieux dans les régions situées enzone 3 ou 4. Ces végétaux préfèrentles terrains ombragés situés sous lesarbres au feuillage léger où le sol estacide, riche en humus et suffisammentdrainé. En période de croissance, cesplantes nécessitent une atmosphèrehumide et des arrosages réguliers.

D’AUTRES AMÉNAGEMENTSLes Jardins deMétis comprennentaussi quelques autres aménagementsqui ont été créés par Elsie Reford. L’unde ceux-ci est une grande rocaille danslaquelle poussent des géraniums vi-vaces (Geranium), des iris (Iris), des lis(Lilium), des rosiers (Rosa) ainsi quede nombreuses plantes couvre-sol,telles que des campanules (Campa-nula) et des œillets (Dianthus). Au cen-tre de cet aménagement, appelé HighBank, coule un joli ruisseau. On y re-trouve également un jardin alpin, com-prenant plusieurs centaines de plantsde gentianes (Gentiana) aux magni-fiques fleurs bleues. Finalement, unepartie boisée, ombragée et fraîche,abrite diverses plantes de sous-bois,dont certaines orchidées indigènes duQuébec ainsi qu’une impressionnantecollection de primevères (Primula).

LE FESTIVAL INTERNATIONALDE JARDINSInitié par Alexander Reford, le Fes-tival international de jardins se dé-roule chaque été depuis maintenantdouze ans sur le site même des Jar-dins de Métis. Le public peut ycontempler plusieurs aménagementspaysagers, tous plus singuliers et ori-ginaux les uns que les autres, crééspar des horticulteurs, des designerset des architectes paysagers prove-nant des quatre coins de la planète. LeFestival international de jardins se dé-roule jusqu’au 2 octobre 2011.Les Jardins de Métis sont situés à laporte de la Gaspésie, au 200, route132, à Grand-Métis, tout près de Mont-Joli. Pour obtenir des informationsconcernant la tarification et lesheures d’ouverture de ces jardins, cli-quez au www.jardinsdemetis.com.

Faites-moi parvenirune description des confé-rences et des expositionsoffertes par votre société

d’horticulture. Je ne pourrai toutesles mentionner, mais je choisiraicelles susceptibles d’intéresserle plus grand nombre de lecteurs.Vous pouvez m’envoyer uncourriel à l’adresse suivante :amondor@ journalmtl.com.