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L’engagement des travailleurs du mouvement coopératif de Québec Mémoire Jovan Guénette Maîtrise en sociologie Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada © Jovan Guénette, 2018

L'engagement des travailleurs du mouvement coopératif de Québec · 2018-07-11 · Sans toi, mon projet n’aurait certainement pas avancé aussi rapidement. ... Cette recherche

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L’engagement des travailleurs du mouvement coopératifde Québec

Mémoire

Jovan Guénette

Maîtrise en sociologieMaître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Jovan Guénette, 2018

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L’engagement des travailleurs du mouvement coopératifde Québec

Mémoire

Jovan Guénette

Sous la direction de :

Daniel Mercure, directeur de recherche

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Résumé

Le mouvement coopératif a subi, au fil des années, une institutionnalisation qui a

contribué, pour certains auteurs, à sa banalisation. Ce modèle se retrouverait piégé dans

une réponse à des préoccupations auxquelles ni le marché ni l’État n’arrivent à répondre.

Cela apporte une dissonance entre la manière que les coopératives sont perçues et leur

mission, qui vise en partie un changement social.

Au même moment, le milieu de l’emploi subit une transformation, qui amène une plus

grande mobilisation des travailleurs dans l’entreprise. On fait alors plus appel à leur

subjectivité. Les entreprises doivent travailler sur leur fonctionnement interne pour

s’assurer de l’engagement de ses travailleurs. Du côté des coopératives, les quelques

études sur le sujet montrent que les travailleurs sont plus satisfaits de leur travail en

raison de la mission sociale de l’entreprise. Ceux-ci seraient donc plus engagés envers

leur travail en raison de sa mission qui est tournée vers la communauté plutôt que vers le

marché.

En interrogeant douze travailleurs de quatre coopératives de la ville de Québec, cette

étude tente de voir de quelle manière, et envers quoi, les travailleurs du mouvement

coopératif s’engagent.

Les résultats de cette étude montrent que les travailleurs du mouvement coopératif sont

bel et bien engagés envers la structure coopérative. Ils se sentent plus engagés envers leur

travail dans une coopérative en raison de l’attachement envers leurs collègues de travail,

de la participation qu’ils ont au processus décisionnel, de l’idée de conseiller les clients

plutôt que de tenter de leur vendre un produit et de l’absence d’une grande hiérarchie qui

fait que les employés se sentent plus près de leurs superviseurs. En plus de l’organisation

interne à l’entreprise, c’est aussi l’appartenance de l’entreprise à la communauté locale

qui fait que les travailleurs s’y sentent engagés.

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Abstract

The Cooperative movement was institutionalized along the years which contributed, for

some authors, to its trivialization. This model would find himself trapped in a response to

concerns on which neither the market nor the State are able to answer. This brings discord

between the way people perceive the cooperatives and their mission, which aim, in part, a

social change.

At the same time, workplaces are undergoing changes, which brings a bigger

mobilization of workers into companies. We call on their subjectivity. Organizations have

to work on their internal function to make sure of the commitment of their workers. On

the cooperatives side, the few studies on this topic show that the workers are more

satisfied with their job because of the social agenda of the company. They would be more

committed to their work because of its mission, which aims the community, rather than

the market.

By interrogating twelve workers from four cooperatives of Quebec City, this study

wishes to see in which ways, and over what, the workers of the cooperative movement

are committed.

The results of this study show that the workers of the cooperative movement are indeed

committed to the cooperative structure. They feel more committed to their work in a

cooperative because of the attachment to colleagues, the participation in the decision-

making process, the idea of giving advice to customers rather than trying to sell them a

product, and the lack of a large hierarchy which makes the employees feel closer to their

supervisors. In addition to the internal organization of the company, the belonging of the

company to the local community also makes the workers more committed to it.

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Table des matièresRésumé...............................................................................................................................IIIAbstract..............................................................................................................................IVTable des matières..............................................................................................................................VListe des acronymes.........................................................................................................VIIRemerciements................................................................................................................VIIIIntroduction..........................................................................................................................1Chapitre 1 :Le mouvement coopératif québécois................................................................31.1. Qu'est-ce qu'une coopérative?.......................................................................................31.2. Historique du mouvement coopératif québécois...........................................................51.2.1. Le début du 19e siècle : L’économie solidaire...........................................................51.2.2. Du milieu du 19e siècle à 1930 : L’essor du modèle coopératif…………………… 71.2.3. De 1930 à 1980 : Le nationalisme économique.......................................................101.2.4. De 1980 à aujourd'hui : La nouvelle économie sociale...........................................151.3. L’autonomie des coopératives……………………………………………………….191.4. Coopération et changement social..............................................................................20Chapitre 2 : L'engagement au travail.................................................................................232.1. Les différents modèles coopératifs.............................................................................232.1.1. Les coopératives de consommation.........................................................................242.1.2. Les coopératives de travail.......................................................................................262.1.3. Les coopératives de solidarités................................................................................292.1.4. Les coopératives de travailleurs actionnaires..........................................................302.2. Le travail dans les coopératives et les milieux autogérés...........................................302.3. Les difficultés quant à l'engagement dans le milieu coopératif..................................332.4. Les études sur l'engagement au travail.......................................................................372.4.1. Le post-fordisme et le contrôle des attitudes...........................................................392.4.2. Les études sur l'engagement dans le travail.............................................................442.5. Comment appréhender l'engagement dans le milieu coopératif?...............................50Chapitre 3 : Méthodologie.................................................................................................553.1. Échantillon..................................................................................................................553.2. Sollicitation des répondants........................................................................................583.3. Déroulement de l’entrevue..........................................................................................583.4. Le corpus des répondants............................................................................................613.4.1. Mountain Equipment Co-op (MEC)........................................................................613.4.2. La Barberie...............................................................................................................623.4.3. La librairie Pantoute.................................................................................................633.4.4. La Coop Zone..........................................................................................................633.5. Limites de l'étude........................................................................................................65Chapitre 4 : Travailler dans une coopérative, de l'embauche à la démission.....................674.1. Obtenir un emploi dans une coopérative....................................................................674.1.1. Postuler à l'emploi....................................................................................................694.1.2. La formation.............................................................................................................704.2. La fondation d'une coopérative...................................................................................714.3. Les connaissances sur le modèle coopératif...............................................................734.3.1. Les sept principes coopératifs..................................................................................74

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4.3.2. Un modèle qui n'est pas parfait................................................................................804.3.3. La participation aux instances..................................................................................844.4. Le sentiment d'appartenance à la coopérative.............................................................874.5. L'avenir après la coopérative......................................................................................89Chapitre 5 : L'engagement dans le milieu coopératif........................................................925.1. Le changement organisationnel..................................................................................925.1.1. Le comportement proactif/interactif........................................................................935.1.2. Le comportement réactif..........................................................................................945.1.3. Le comportement inactif..........................................................................................945.2. Les différentes cibles d'engagement...........................................................................955.2.1. S'engager envers la profession.................................................................................965.2.2. S'engager envers ses collègues de travail..............................................................1005.2.3. S'engager envers ses supérieurs.............................................................................1035.2.4. S'engager envers l'entreprise..................................................................................1065.2.5. S'engager envers les buts ou les valeurs de l'organisation.....................................1105.2.6. S'engager envers le modèle coopératif...................................................................1145.2.7. S'engager envers la communauté...........................................................................1195.3. Les types d'engagements...........................................................................................1235.3.1. L'engagement affectif.............................................................................................1235.3.2. L'engagement en continu.......................................................................................1255.3.3. L'engagement normatif..........................................................................................1275.4. Les différentes façons de s'engager dans le modèle coopératif................................1295.5. L'entreprise coopérative : un emploi de passage?.....................................................1325.6. L'économie locale.....................................................................................................134Conclusion.......................................................................................................................137Bibliographie....................................................................................................................141Annexe 1 : Formulaire d’entente.....................................................................................146Annexe 2 : Annonce de recrutement................................................................................147Annexe 3 : Schéma d’entrevue........................................................................................148Annexe 4 : Formulaire de consentement.........................................................................151

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Liste des acronymes

ACI : Alliance Coopérative Internationale

AG : Assembléegénérale

CA : Conseil d’administration

CCQ : Conseil de la Coopération du Québec

CES : Chantier sur l’économie sociale

CQCM : Conseil québécois de la coopération et de la mutualité

COCES : Comité d'orientation et de concertation sur l'économie sociale

CSC : Conseil supérieur de la coopération

MEC : Mountain Equipment Co-op

NMP : Nouveau modèle productif

PME : Petites et moyennes entreprises

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Remerciements

Je tient d’abord à remercier Nancy Jeannotte pour ses multiples corrections et tout le

soutien qu’elle m’a offert dans ma maîtrise. Sans toi, mon projet n’aurait certainement

pas avancé aussi rapidement. Merci mon amour!

Je remercie bien entendu Daniel Mercure pour ses commentaires, qui, chaque fois, m’ont

amené à recalibrer mon étude et à l’améliorer. Je n’aurais pu espérer une meilleure

direction à mon mémoire.

Je remercie, bien entendu, toutes les personnes qui ont accepté de participer à ma

recherche. Merci de m’avoir donné de votre temps. Merci aussi à celles et ceux qui ont

partagé mon annonce de recrutement, et qui ont ainsi facilité mon terrain. Sans vous,

celui-ci ne se serait probablement jamais terminé.

Merci aux différentes coopératives qui ont accepté de participer à l’étude. Même si

certaines sections de cette étude peuvent sembler critiques à votre endroit, il n’en reste

pas moins que vous êtes de bonnes entreprises qu’il me fait plaisir d’encourager.

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Introduction

Depuis l’avènement du capitalisme, plusieurs projets collectifs, ponctuels ou durables, se

sont formés pour pallier des problèmes causés par ce système ou en développer des

alternatives (D’Amours, 2000). Parmi ces projets, on retrouve les coopératives, qui ont

comme particularité de permettre une participation démocratique à l’entreprise, une égalité

entre les participants et une redistribution des profits générés (Favreau, 2010). Dans

l’idéologie coopérative, on retrouve des penseurs qui visent à réformer le capitalisme et

d’autres à l’abolir (Vaillancourt, 2008). Ces entreprises apparaissent pour certains comme

une réponse aux lacunes du système, en offrant des services dans des communautés qui ne

seraient pas assez rentables pour le marché. Pour d’autres, il s’agit d’amener un

changement social, en réaffirmant l’importance de prendre des décisions en groupe,

localement, etc.

Plus récemment, le milieu coopératif a vécu une institutionnalisation qui l’a amené à

prendre une place à la marge de la société de consommation (D’Amours, 2000). Loin d’être

vu comme un espace de changement social, le milieu coopératif est surtout vu, par les États,

comme une solution aux problèmes structurels de l’entreprise (insertion sur le marché du

travail des individus marginalisés, offre de services auxquels ni la sphère publique ni la

sphère privée ne répond efficacement, etc.). Il peut donc être difficile pour le milieu

coopératif d’amener un changement social s’il est enfermé dans cette réponse à des besoins

issus du secteur lucratif ou du secteur public (Favreau, 2010). Cette recherche cherche à

voir si les valeurs coopératives tendent à dépasser les murs des entreprises, en partant du

discours des travailleurs de ce mouvement. En étudiant l’engagement des travailleurs du

modèle coopératif, cette étude tente de voir si le mouvement coopératif vise une implication

des travailleurs qui se limite à l’entreprise, ou qui a aussi une visée sociale plus large. Plus

précisément, cette étude tente de répondre aux questions suivantes : envers quoi les

travailleurs du milieu coopératif se sentent-ils engagés et s'impliquent-ils? De quelle

manière cet engagement et cette implication ont-ils changé depuis leur embauche dans une

coopérative? Est-ce que le fait de travailler dans le milieu coopératif se traduit par d’autres

formes d’engagements à l’extérieur de l’entreprise coopérative?

Pour répondre à ces questions, ce mémoire commence par présenter plus largement le

mouvement coopératif et son processus d’institutionnalisation au Québec. Cela permettra

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au lecteur de mieux saisir les transformations qu’a subies le mouvement coopératif et la

manière dont il a été influencé par les choix économiques pour devenir ce qu’il est

aujourd’hui. C’est le thème du chapitre 1.

Au chapitre 2, je commence par présenter l’état des connaissances scientifiques sur le

modèle coopératif, et les problèmes qui peuvent habiter ce type d’entreprise. J’entre ensuite

plus largement dans le cas du travail dans le milieu coopératif, puisque les travailleurs de ce

mouvement sont la population de cette étude. Or, étant donné le manque de données sur le

travail en milieu coopératif, je dois faire un détour sur les études sur le bénévolat et le

travail en général pour bien conceptualiser le travail en milieu coopératif, et ce que peut

représenter l’engagement dans une coopérative.

Je présente ensuite, au chapitre 3, le choix de la méthode de recherche et mon corpus de

répondants. J’ai décidé d’effectuer des entrevues semi-dirigées avec des travailleurs de

quatre coopératives ciblées de la ville de Québec. Le choix de ces coopératives, le

déroulement des entrevues ainsi que l’outil de collecte sont présentés à ce chapitre.

J’expose ensuite le profil des répondants et les limites de mon échantillon.

Au chapitre 4, je présente les données provenant des douze entretiens effectués avec des

travailleurs du mouvement coopératif. Je présente ces données selon le parcours du

travailleur, soit du moment qu’il a postulé à l’emploi jusqu’à ses projets après son passage

dans l’entreprise, en passant par ses connaissances du modèle coopératif et son attachement

à l’entreprise.

Par la suite, je reprends les données recueillies pour les mettre en relation avec les théories

de l’engagement au travail lors du chapitre 5. Cela me permet de remarquer différentes

cibles à l’engagement des travailleurs, et les différents buts de cet engagement. Je divise

ensuite l’engagement envers le modèle coopératif en quatre catégories, selon l’intention de

quitter des répondants et la cible de l’engagement (interne ou externe à l’entreprise).

En conclusion, je reviens sur les questions de recherche pour y apporter des éléments de

réponse et synthétiser ce que ce mémoire nous apprend sur le mouvement coopératif. Je

termine ensuite en proposant d’autres pistes d’étude possibles pour développer plus de

connaissances sur l’engagement envers le modèle coopératif.

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Chapitre 1 :Le mouvement coopératif québécois

1.1. Qu'est-ce qu'une coopérative?

Dès le 13e siècle, des organisations se forment pour promouvoir une solidarité et des

rapports plus humains. Mais, ce n’est qu’au 19e siècle que le développement de ces projets

s'accentue, à la suite de la révolution industrielle, pour lutter contre les effets néfastes du

capitalisme naissant (Jeantet, 2009). Au cœur de ces organisations, on retrouve une

préoccupation pour l'humain plutôt que l'enrichissement. Les coopératives en font partie.

Ce sont des entreprises apparues d'abord au 18e siècle en Angleterre. Elles ont été théorisées

à maintes reprises et différents projets, de différentes natures, font partie de ce qu'on appelle

le mouvement coopératif. Une partie des coopératives a une origine religieuse, avec l'idée

de charité chrétienne envers les travailleurs (Jeantet, 2009). Elles ont été théorisées par Le

Play. Parmi les différents courants fondateurs de ce mouvement, on retrouve le libéralisme.

Dans ces projets, la coopérative sert à créer un capitalisme raisonnable. Elle est axée sur la

participation. En opposition, on retrouve une idéologie plus radicale. On y voit la

coopérative comme une forme de solidarité. Ces groupes défendent l'idée de République.

Les individus s'organisent par eux-mêmes, valorisent leurs talents et leur sens des

responsabilités. Il y a ensuite la théorie socialiste et communiste. Au Québec, les premières

coopératives sont apparues au début du 20e siècle. Différentes initiatives ont cependant pris

place avant la fondation des coopératives telles que nous les connaissons aujourd'hui.

Avant d'entrer plus en détail dans l'histoire des coopératives au Québec, prenons d'abord le

temps d'expliquer ce qu'est une coopérative. Il s'agit d'une initiative, parmi d'autres, qui a

pour but de venir en aide ou d'offrir des services à une population en particulier, qui est

lésée par le système dominant, ou tout simplement laissée de côté. Les coopératives font

partie de ce qui est appelé l'économie sociale et solidaire1. Cette catégorie, selon Quarter

(1992) est un secteur où est placé tout ce qui se situe entre la sphère privée marchande et la

sphère publique, dont les coopératives. Ce type d'économie, par sa valeur sociale et de

solidarité, s'oppose à l'économie dominante (l'économie de marché) qui est vue comme

étant séparée du social et fonctionnant sous le modèle de la concurrence plutôt que de la

coopération.1 J'utilise le terme d'économie sociale et solidaire dans le but de traiter des initiatives locales dans son

ensemble. Au Québec, on parle habituellement d'économie sociale, mais j’élargis ce terme pour lui donner une valeur plus globale, puisque dans certains pays, on parle d'économie solidaire plutôt que d'économie sociale.

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Dans les sociétés préindustrielles, l'idée d'économie sociale n'existait pas, puisque toute

l'économie était sociale (D'Amours, 2000). Celle-ci était encastrée dans les relations

sociales. L'idée de marché existait, mais son rôle restait secondaire. Il était aux côtés des

principes de réciprocité, de redistribution et d'administration domestique. C'est la modernité

qui va amener une séparation entre les sphères économique et politique. L'autorégulation du

marché amène l'autonomisation de la sphère économique. En ce sens, « L’histoire de

l'économie sociale recoupe celle de la modernité et se présente comme une tentative de

réencaster l'économique dans le social. » (D'amours, 2000 : 5). Par exemple, les services

offerts par l'économie sociale et solidaire sont différents de ceux offerts par l'État. Favreau

et Molina (2011) donnent l'exemple des coopératives en santé, qui sont en opposition aux

services de santé fournis par l'État. Les coopératives vont s'implanter là où il y a des

besoins, alors que les autres vont s'implanter là où il y a assez de demandes.

Favreau définit l'économie sociale comme le fait de « s'associer pour entreprendre

autrement » (Favreau, 2010 : 65). Cette définition tient compte à la fois de la dimension

sociale (associer), économique (entreprendre) et politique (autrement) de l'économie

sociale. Cette définition reste d'ailleurs très ouverte et montre l'éventail de projets politiques

différents pouvant faire partie de l'économie sociale. Ces différents projets peuvent à la fois

être parallèles ou entrer en conflit les uns avec les autres, ce que nous montrerons plus tard.

Les différents auteurs ne sont cependant pas d'accord sur ce qui doit être intégré et exclu de

l'économie sociale. Par exemple, D'Amours (2000) et Vaillancourt (2008) considèrent que

les associations qui offrent gratuitement leurs services en font partie, alors que Favreau

(2008, 2010) considère qu'elles ne peuvent en faire partie, puisqu'elles ne sont pas viables

économiquement. Il exclut les associations non marchandes, puisqu'elles sont dépendantes

de l'État. Puisque ces associations nécessitent une subvention pour survivre, elles ne

peuvent être aussi autonomes qu'une association qui n'aurait pas besoin de cette subvention.

Ainsi, l'économie sociale est une catégorie complexe. Cette énorme catégorie pose

problème dans l'analyse des données, puisqu'elle inclut à la fois de grosses compagnies

comme la Caisse Populaire Desjardins et de petits organismes à but non lucratif (OBNL)

de moins de cinq employés. Le milieu coopératif, bien qu'une simple partie de l'économie

sociale est tout aussi complexe.

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1.2. Historique du mouvement coopératif québécois

Pour bien cerner le développement du milieu coopératif au Québec, un historique des

différents projets sera d'abord effectué. Celui-ci est divisé en plusieurs parties. Comme le

mouvement coopératif prend racine dans (et en réponse à) l'économie de marché, son

développement est connexe aux transformations économiques qu'on retrouve dans la

société. Cette section est donc divisée en différentes parties, correspondant chacune à une

étape du développement de l'État libéral (Gagné, 1985).

1.2.1. Le début du 19 e siècle : L'économie solidaire

En France, les premières coopératives sont des coopératives de métier, qui se développent

après la révolution de 1848, mais sont ensuite dissoutes sous Napoléon III (Sainsaulieu et

Tixier, 1983). Elles vont se multiplier pendant la Commune de Paris, mais elles vont mourir

avec elle. Elles vont ensuite se reconstituer avec les syndicats, dans des secteurs où le

métier est vu comme une valeur et un mode de travail, et où le capital nécessaire n'est pas

très important (comme l'imprimerie). Ensuite, elles vont se développer là où le métier peut

être maintenu, contre le taylorisme. La production de masse va cependant jouer contre elles.

Elles vont alors s'orienter vers l'artisanat et le secteur tertiaire supérieur, parce que « Face à

une déqualification, la création d'un collectif sous forme coopérative permet de retrouver

une image professionnelle valorisante. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983 : 29).

L'économie sociale, en tant que « projet révolutionnaire qui se veut une alternative à la

régulation marchande » (D'Amours, 2000 : 5) n'a pas vraiment pris place au Québec. Les

coopératives et les autres projets faisant partie de l'économie sociale et solidaire y sont

arrivés plus tard. On retrouve tout de même de premières initiatives, qui se font en réponse

au capitalisme libéral. Les ouvriers se dotaient d'institutions pour parvenir à combler leurs

besoins. Les initiatives du début du 19e siècle étaient pratiquement exclusives aux ouvriers

et aux artisans urbains. Il s'agit des services de secours mutuels. Avec ces services, nous

entrons déjà dans une logique différente de l'économie sociale, qui est de fournir un « projet

adaptatif qui cherche à corriger les effets néfastes de la régulation marchande

concurrentielle » (D'Amours, 2000 : 6). Nous sommes déjà sortis de l'idée d'alternative. Ces

services naissent en réaction aux effets du capitalisme pour pallier ses manquements et

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limiter ses abus. Par le fait même, ils développent des modalités d'adaptation au système

capitaliste (D'Amours, 2000).

Ces services refusent le membership aux marchands, aux professions libérales et aux

membres du clergé. Pour une cotisation mensuelle2, ils fournissent de l'aide aux membres et

à leur famille en cas de chômage, de maladie, d'accident, d'invalidité ou de vieillesse

(Vaillancourt, 2008). Elles ont aussi un vaste volet d'activités culturelles dans le but de

renforcer les liens sociaux entre les membres. Par exemple, on se rend aux funérailles d'un

membre; on lui rend visite à l'hôpital s'il est malade, etc. (Lévesque, 2007). Pour Benoît

Lévesque, ces services font partie de l'économie solidaire. Ils fonctionnaient sous un mode

de démocratie participative et délibérative et les activités économiques et sociales y étaient

fortement interdépendantes. Ils étaient ancrés dans les collectivités locales et fonctionnaient

selon un rapport de proximité. Ces services refusaient de se fédérer, mais gardaient un lien

vertical entre eux. Ils n'ont cependant pas perduré, puisque leur modèle de gestion était

inadéquat en raison de leur trop petite taille et des différents conflits internes. De plus,

puisqu'il n'y avait alors aucune reconnaissance juridique3, les poursuites judiciaires qu'elles

ont encourues leur ont coûté très cher et ont entravé leur développement. À partir de 1890,

certaines sociétés vont se transformer et ressembler davantage à une compagnie

d'assurance, en offrant des services graduels et une cotisation selon le risque encouru.

« Beaucoup plus tard, le Conseil supérieur de la coopération hésitera à reconnaître la

"nature coopérative" de ces mutuelles considérant que leurs pratiques commerciales se

distinguaient peu de celles des compagnies d'assurance. » (Lévesque, 2007: 5) Nous avons

ici affaire à des initiatives locales qui avaient pour but de coopérer en tant que membre d'un

même groupe, mais qui n'ont pu perdurer en raison d'un manque de reconnaissance de

l'État.

Ces services sont surtout apparus à Montréal, qui était alors la porte d'entrée de

l'immigration. Les immigrants étaient contraints d'accepter les pires conditions et les pires

rémunérations pour survivre. L'énergie du mouvement ouvrier était donc axée sur la survie :

« Si les sociétés de secours mutuels favorisent le maintien des liens de solidarité, "elles ne

permettent pas d'espérer une reconquête" économique » (Lévesque, 2007 : 6). Pour que ces

2 Selon Lévesque (2007), la cotisation est uniforme pour tous les membres. Cependant, selon Vaillancourt (2008), celle-ci dépendrait de la capacité de payer de chaque famille. Il est possible que les deux auteurs aient raison et que différents services aient un fonctionnement différent.

3 La première loi sur ce type de services est arrivée en 1899. (Lévesque, 2007)6

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services entraînent un réel changement dans la condition de la classe ouvrière, ils auraient

dû, selon Lévesque, s'allier avec d'autres groupes sociaux ou bien avec des élites.

1.2.2. Du milieu du 19 e siècle à 1930 : L’essor du modèle coopératif

Cette période est marquée par un changement dans le rôle de l'État. Alors qu'on était

autrefois dans l'État libéral, qui prône un état minimal, qui n'a comme rôle que de s'assurer

du respect des contrats (Gagné, 1985), on entre dans ce que Gilles Gagné va appeler l'État

assuranciel. L'État crée alors des lois pour assurer au minimum la survie de la population

(lois sur l'eau potable, l'hygiène publique, les épidémies, le travail des enfants, le

financement des écoles, les normes alimentaires, etc.). L'État offre aussi des assurances, où

il met une partie de l'argent qui lui est fourni par les taxes. « [L']État va devoir alors

accroître progressivement ses compétences et ses responsabilités dans le domaine de la

reproduction de la force de travail parce qu'il reviendra au pouvoir politique de faire en

sorte que le mode de production du profit soit aussi un mode de reproduction de la

société. » (Gagné, 1985 : 38) L'État a ici le rôle d'intervenir dans la vie sociale, mais ne

redistribue pas la richesse. On considère le marché comme la meilleure forme de

redistribution. Tout en respectant la distribution que fait le marché de la richesse, on prend

une partie du salaire excédentaire au prolétariat, pour s'assurer qu'il le gère bien. C'est par le

salaire que la population entre finalement dans la consommation. Dans ce nouvel État, des

lois vont être faites pour permettre à des initiatives locales de s'institutionnaliser et de

survivre. Plusieurs coopératives voient le jour, dont des coopératives agricoles, de pêcheurs,

d'alimentation, d'habitation et d'épargnes (Larose, 2001). En 1865, elles obtiennent leur

première loi constitutive. Parmi tous ces projets, lors de cette période, deux types de

coopératives prennent une part importante du marché au Québec : les coopératives

agricoles et les caisses populaires.

Les coopératives agricoles

Pour Benoît Lévesque (2007), les services de secours mutuels ont montré la limite de la

solidarité, qui n'a pas été suffisante pour affronter les risques créés par le capitalisme. De

plus, bien que ces services maintiennent des liens de solidarité, ils ne permettent pas à

l'ouvrier une reconquête de ses conditions. Les initiatives locales présentes dans le monde

rural ont cependant réussi à s'implanter au cours des transformations sociales : « Les

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initiatives associatives dans les milieux ruraux, notamment dans le monde agricole,

porteront plutôt sur la transformation d'une agriculture en difficulté, l'occupation du

territoire et le problème de l'exode rural, vers les États-Unis et les villes. » (Lévesque,

2007 : 6) Les premières initiatives vont se faire par les anglophones, qui développeront des

mutuelles d'assurance incendie. Il y a eu plusieurs tentatives différentes pour ce genre de

service, mais elles n’ont pas porté fruit. C'est dans les campagnes francophones qu'on va

voir naître l'économie sociale avec les sociétés d'agriculture et les cercles agricoles. Les

sociétés d’agriculture vont permettre l'achat en commun de grains, d'animaux et

d'instruments. On en retrouve une par comté, et deux ou trois pour les plus grands comtés.

Les cercles agricoles, eux, sont une forme d'éducation populaire. Les deux différents

groupes de sociétés ont été en conflit, car ils étaient reliés à une vision différente du

développement de l'agriculture. D'abord, il y a « celle d'une agriculture plus traditionnelle

soutenue par le clergé et la petite bourgeoisie traditionnelle et celle d'une agriculture plus

orientée vers le marché et soutenue par une autre fraction de la petite bourgeoisie »

(Lévesque, 2007 : 6). D'un côté on retrouve les libéraux avec les sociétés d'agriculture et de

l'autre les conservateurs avec les cercles agricoles, qui veulent rester séparés de l'État. Ces

initiatives ont l'avantage, contrairement aux services de secours mutuels, d'avoir un projet

de société rassembleur, ce qui va leur permettre d'obtenir, d'un côté, l'aide du clergé, et, de

l'autre, l'aide de la nouvelle petite bourgeoisie.

En 1883, on voit naître la première coopérative de fabrication de beurre et de fromage,

créée grâce à l'achat par des agriculteurs d'une fabrique privée. Entre 1889 et 1900, 40

autres sont formées, mais Benoît Lévesque prévient qu'il est difficile de dire à quel point

ces entreprises sont coopératives, puisque leur loi n'est votée qu'en 19024. Les coopératives

agricoles se multiplient par la suite. Entre 1909 et 1920, 311 sont mises sur pied, dont 257

entre 1913 et 1919 (Lévesque, 2007). Celles-ci s'occupent de l'écoulement des produits

agricoles; de l'achat des biens nécessaires à la production et de la transformation du lait. Il

existe des tensions idéologiques entre les coopératives, car le ministre de l'Agriculture

garde un fort contrôle sur ces entreprises, et que la branche liée au clergé « vise le maintien

des "traits catholiques et français de la société rurale" » (Lévesque, 2007 : 15). Le ministre

oblige une fusion, faisant naître la Coopérative fédérée du Québec, qui, en 1930, perd son

caractère démocratique et est alors dirigée par un ancien fonctionnaire dévoué au ministre.

L'Union catholique des cultivateurs tente, à cette époque, de fonder des coopératives4 Loi des syndicats coopératifs agricoles.

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agricoles qui vont échapper au ministre de l'Agriculture et forme le Comptoir coopératif.

Ces services auront obtenu une reconnaissance de l'autorité publique très rapidement, ce qui

leur aura permis de perdurer et de mieux s'implanter. Ici, le début d'institutionnalisation, qui

était manquant pour les services de secours mutuels, permettra l'émergence d'un modèle

entrepreneurial viable et différent du modèle dominant.

Les caisses populaires

En 1900, est fondée, par Alphonse Desjardins, une première caisse populaire. Celle-ci est

une expérimentation et est créée sans attendre sa reconnaissance juridique. Le territoire visé

par cette caisse est le Canada français. On choisit la paroisse comme lieu d'ancrage de la

caisse locale, ce qui permet de faciliter le repérage des personnes honnêtes et d'avoir l'appui

du curé en tant que leader moral. Les débuts de la caisse se font lentement. En 1913, on

n'en compte que 23 au Québec, alors qu'en 1916, il y en a alors 136, et ensuite 187 en 1920

(Lévesque, 2007). Cette expansion est due au soutien des évêques, qui voient la caisse

comme l’œuvre sociale et chrétienne par excellence. Un peu partout au Québec, le clergé

milite en faveur des caisses : « Sur les 160 caisses, on retrouvait parmi les dirigeants 140

prêtres (114 étant curés) dont 116 comme présidents de la caisse. [Ceux-ci sont en] croisade

contre les changements sociaux, économiques et culturels qui accompagnent le

développement du capitalisme industriel et l'urbanisation »(Lévesque, 2007 : 13). La caisse

était aussi une forme de nationalisme, et amenait l'espoir que le Canadien français

rejoindrait la grande industrie. Malgré l'absence d'aide de l'État dans les caisses populaires

au départ, l'aide d'une autre autorité sociale, le clergé, aura permis à cette initiative, comme

pour les coopératives agricoles, de perdurer et d'offrir un contre-projet de société.

Dans les premières années de sa fondation, le Mouvement Desjardins est cependant situé

surtout dans les milieux ruraux francophones et catholiques. Durant les vingt premières

années de Desjardins, 47 caisses ont fait faillite, ce qui représente 25 % de toutes les caisses

(Lévesque, 2007). Alphonse Desjardins, le fondateur, meurt au début des années 1920,

avant qu'il n'ait eu le temps de structurer le réseau des caisses. La relève sera faite par des

prêtres qui s'occupaient de l'organisation des caisses depuis un bon moment, avec l'aide de

quelques laïques. L'administration du Mouvement Desjardins tente de résister à l'idée d'une

union régionale par crainte de perdre son autonomie locale, mais des lois sont votées en

1925 et 1930 pour obliger l'union régionale.

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1.2.3. De 1930 à 1980 : Le nationalisme économique

Avec la crise, on voit se développer un rôle plus important pour l'État. Il devient un État

protecteur et a maintenant le rôle de planifier les grandes politiques de développement, tant

économique que social. Gagné (1985) parle de l'État keynésien. On voit alors apparaître un

État qui va intervenir pour s'assurer de la stabilité du système. Les anciens programmes

vont être universalisés; on investit dans les infrastructures, les services publics, et ainsi de

suite. La société va alors s'assurer de pallier aux problèmes que le système apporte. On est

alors sorti des lois du marché, puisque c'est l'État qui crée les conditions et, par le fait

même, un marché interne. Au Canada, c'est alors l'État, avec le Wagner act, qui va

s'occuper de la santé, de l'éducation, des infrastructures, de l'emploi, des assurances, etc.

plutôt que l'entreprise privée (Larose, 2001). Le tout va s'accélérer à la fin de la guerre :

On reconvertit partiellement l'appareil martial de production vers laconsommation privée et les publicités télévisées se substituent aux propagandesguerrières. La production massive appelle la consommation massive et celle-ciexige l'uniformisation des besoins. En retour, cette uniformisation s'appuie surun standard minimal, un "panier de base" de la consommation que les politiquesgouvernementales assurent à tous par une certaine redistribution des revenus.(Simard, 1979 : 23)

On voit alors apparaître deux entités différentes, qui s'occupent toutes deux de l'économie :

d'un côté l'État, et de l'autre, le marché. Dans ce nouveau modèle, l'économie sociale va se

professionnaliser et se bureaucratiser, comme c'est le cas pour Desjardins. En 1932, l'État

va accepter de subventionner Desjardins, mais à condition que les unions régionales se

dotent d'une fédération provinciale. On centralise alors le Mouvement Desjardins par

l'intervention de l'État. Les syndicats et le milieu de la coopération entrent dans une logique

distincte : on ne vise plus une sortie du capitalisme, mais une humanisation de celui-ci par

les services de l'État.

D'abord, la crise amène un essor du milieu coopératif grâce au programme de restauration

sociale lancé par les jésuites de l'École sociale populaire (Vaillancourt, 2008). Le milieu

coopératif sert ici de frein à l'intervention de l'État et il est une manière de dénoncer les

abus du capitalisme, tout en s'opposant au communisme et au socialisme. La doctrine

sociale de l'Église valorise le modèle coopératif, pourvu que les initiatives respectent les

balises corporatiste, nationaliste et catholique (Vaillancourt, 2008).

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De 1933 à 1944, 724 caisses sont fondées, et 8 % de la population québécoise est alors

membre. Pour ce qui est des coopératives agricoles, on passe de 215 en 1938 à 600 en

1951, regroupant alors la moitié des agriculteurs du Québec (Lévesque, 2007). Vont refaire

surface : des coopératives de pêche en 1938, d'électricité (43 entre 1945 et 1952), de

consommation, d'habitation, et des coopératives étudiantes. Les coopératives sont alors

promues par l'Église, les syndicats catholiques, les médias, les nationalistes et même par la

Chambre de commerce. L'éducation coopérative devient une préoccupation. On distribue

des dépliants; des cours d'université sur la coopération se donnent à Québec et Montréal. En

1939, le père Georges-Henri Lévesque fonde le Conseil supérieur de la coopération (CSC)5.

Ce conseil sert à « assurer la coordination et le rayonnement, préciser et diffuser la doctrine

coopérative, présenter un front uni par rapport aux pouvoirs publics et même penser son

développement » (Lévesque, 2007 : 18). Ce conseil se bat aussi contre les fausses

coopératives (Simard et Allard, 2013). Le père Lévesque, avec le CSC, amène une première

tentative de théorisation canadienne-française de la pensée coopératiste. Il y prône une

tendance laïque, et milite en faveur de coopératives non-confessionnelles. Cela amène des

divisions dans le milieu coopératif, et en 1942, la Fédération des caisses populaires s'en

retire.

Ce que Simard et Allard (2013) appellent la révolution coopérative a mené à la révolution

tranquille : « En effet, la révolution coopérative se définit aussi comme la montée en

puissance, au cours des années trente, d'un modèle économique se proposant comme une

solution de remplacement crédible à un libéralisme défaillant et comme un rempart contre

le communisme. » (Simard et Allard, 2013 : 4) Le krach de 1929 relance la coopération au

Québec, alors qu'on cherche des remèdes à la crise. Pour le père Lévesque, le modèle

coopératif sert à se démarquer du capitalisme et du communisme. Dans la revue Ensemble!,

qu'il fonde, il ne va pas contre le système, mais contre la place du Canada français dans le

système : « Il y avait en effet, parmi les rédacteurs de la revue Ensemble!, une ambition

clairement exprimée : celle de l'affranchissement économique du Canada français par la

coopération. » (Simard et Allard, 2013 : 24) Il est contre le capitalisme, car il ne vise que le

profit. Mais il ne peut accepter le socialisme à cause de Marx et des luttes des classes. La

coopération est du socialisme, mais sans la condamnation du profit. Il ne peut se dire

socialiste catholique, car cela ne marche pas avec l'Église. Lévesque exige des coopératives

5 Le CSC deviendra plus tard le Conseil de la Coopération du Québec (CCQ), puis le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM)

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non confessionnelles, ce qui entraîne de la colère : « À partir, pourrions-nous dire, de la

création du Conseil supérieur de la coopération en 1939, la droite nationaliste catholique et

corporatiste canadienne-française n'en finit plus d'être sur la défensive en réclamant le

maintien du statut confessionnel, non seulement des coopératives de production, mais, plus

globalement encore, de l'ensemble des institutions francophones. » (Simard et Allard,

2013 : 49) Les caisses populaires vont refuser de participer au CSC avant 1957. Ce n'est

qu'en 1961 avec le pape Jean XXIII que la non-confessionnalisation est vue comme

appropriée et opportune.

Il y a alors, à cette époque, une tension entre une centralisation des coopératives et le fait de

garder leur autonomie. Les deux sont reliés à deux conceptions différentes de la

coopération. La première est la coopération en tant que finalité, et l'autre comme moyen,

dans le but d'une émancipation collective et d'un ordre social-chrétien. Cette dernière vision

provient de l'école de Montréal et des HEC, qui voient la coopération comme un moyen

pour le Canadien français de lutter contre le pouvoir anglo-saxon, la culture américaine et

le libéralisme politique et religieux.

Les syndicats ouvriers vont fournir les services que les caisses populaires ne fournissent

toujours pas. On va alors voir apparaître une première caisse d'économie chez les pompiers

(1945), les policiers (1946) et l'usine Canadair (1952). « Ces fondations révèlent le refus

des Caisses populaires Desjardins de sortir du cadre paroissial et de répondre à des

demandes qui s'éloignent du modèle du crédit productif pour les petits producteurs. »

(Lévesque, 2007 : 21) En 1949, une première caisse d'établissement rural va être fondée

dans le but de répondre aux besoins auxquels les caisses populaires refusent de répondre,

comme l'octroi de prêts d'une valeur importante à long terme.

À partir de 1950, plusieurs projets coopératifs vont fermer. Les coopératives de pêcheurs

vont survivre grâce au soutien de l'État, mais le nombre de coopératives de consommation

et d'habitation va diminuer. Dans le milieu étudiant, les coopératives vont fermer, ainsi que

des coopératives forestières. « [C]ette baisse de régime s'accompagne d'une perte d'intérêt

pour la coopération de la part des intellectuels et des universitaires. » (Lévesque, 2007 : 25)

Avec le début de la Révolution tranquille arrive l'État providence, qui s'était déjà développé

ailleurs bien avant, mais qui arrive à son apogée au Québec avec la fin du gouvernement de

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Duplessis, et, par le fait même, du cléricalisme. Cette Révolution tranquille est amenée par

les premiers technocrates du Québec : « Contre le matérialisme des grandes affaires et

l'abrutissement de l'ouvrier aux mains du capitaliste, contre la concurrence qui écrase les

petits, qui déprécie les Canadiens-français, qui favorise les Anglais, les technocrates

détiennent la solution : on va étatiser le développement du capitalisme, sans menacer le

capital lui-même. » (Simard, 1979 : 32) On est alors dans un plein développement et l'État

social va devenir l'acteur principal en santé, en éducation, dans les services sociaux et dans

le développement économique. Le nationalisme moderne, contrairement au nationalisme

traditionnel, se fait autant dans le monde urbain et rural (Vaillancourt, 2008). Le

mouvement syndical va jouer son rôle en défendant les salariés. On réclame de nouveaux

services et l'extension des services à tout le territoire. Des citoyens et les syndicats

revendiquent plus de participation et une démocratisation des services. On tente de

s'organiser selon le mode de l'autogestion dans les différents services. L'État s'axe un peu

plus sur le local, avec les CLSC, et différentes agences sont créées pour la population, qu'on

pense aux Cliniques juridiques populaires, à l'Office de protection du consommateur, aux

droits du logement, etc. (Larose, 2001) L'élite traditionnelle et le monde rural sont rejetés

dans l'opposition.

L'État force la participation pour ne pas que le peuple se révolte. On consulte sur tout. Cette

technocratisation du pouvoir a cependant un effet pervers. Le peuple se désintéresse du

pouvoir et de la démocratie, car il n'a plus les «compétences» pour la pratiquer :

Personne, même les défenseurs de la participation institutionnalisée, n'oseaujourd'hui affirmer que les objectifs avoués de ces mécanismes –représentativité, débat démocratique, égalité des chances pour les groupesparticipants – ont été atteints. Au mieux, on prétend que les structures ne sontpas au point, que les gens n'y sont pas habitués, tandis que d'autres, lesChambres de commerce par exemple, suggèrent simplement de mettre fin auxessais en diagnostiquant l'échec, et la mort de l'efficacité. (Simard, 1979 : 40)

Le développement régional ne fonctionne pas puisque « les citoyens se butent aux normes

et autres impératifs venus d'en haut, aux influences occultes de la vieille politique de

patronage, au bloc des "technocrates-experts-qui-possèdent-l'information" » (Simard,

1979 : 40). L'État prend en main la régionalisation en créant des Conseils Régional de

Développement (CRD) dans le but de rationaliser le développement. Ce début de

planification technocratique commence, selon Jean-Jacques Simard, en 1962 et se poursuit

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sur toute la décennie. Cependant, la population reste attachée aux normes et aux valeurs

traditionnelles. Dans la nouvelle vision technocratique dominante, le technicien est vu

comme rationnel, alors que la population, elle, est émotive. Il faut donc liquider cette

émotivité par la consultation.

Dans ce nouveau modèle, on voit naître deux dynamiques coopératives :

Le premier projet, que soutiennent surtout les fédérations et les coopératives desgénérations précédentes, est encore celui du nationalisme économique supportépar le gouvernement peu importe le parti au pouvoir. Le second projet mis del'avant par les initiatives de la société civile dans le domaine des conditions devie et de la création d'emploi, questionne le nationalisme économique au nomd'un projet alternatif de société qui est lui-même pluriel comme le sont lesnouveaux mouvements sociaux (jeunes, femmes, étudiants, contre-culturels,autogestionnaires). (Lévesque, 2007 : 35)

Différents auteurs (D'Amours, 2000; Harrisson et Gervais, 2007; Martin-Roy, 2009) vont

parler de l'ancienne et de la nouvelle économie sociale. La première est le mouvement

coopératif qui s'insère dans la Révolution tranquille et qui servait auparavant d'instruments

de promotion du Canadien français. Ce mouvement voit la coopération comme « une

formule juridique qui épouse les objectifs du système dans lequel elle évolue » (Lévesque,

1991 : 20). Par exemple, le Mouvement Desjardins va faire partie, en 1962, de la Société

Générale de financement, servant à financer des entreprises. Dix ans plus tard, Desjardins

va se donner ses propres outils pour investir dans les entreprises par elle-même. En 1963,

l'État révise la loi sur les caisses d'épargne, permettant ainsi à Desjardins d'acquérir des

obligations d'autres coopératives; et en 1969, la nouvelle loi va permettre aux caisses

d'acquérir des actions ordinaires d'entreprises financières (Lévesque, 2007) et d'ainsi

acquérir la Banque d'économie du Québec. C'est en 1979 que Desjardins devient finalement

la première institution financière au Québec.

Pour ce qui est de la nouvelle économie sociale, elle relève des mouvements sociaux. On y

critique l'organisation sociale, qui est devenue trop tayloriste et bureaucratisée (Larose,

2001).

Dans la vallée de la Matapédia, les gens qui participaient aux travaux duB.A.E.Q ont proposé la création de fermes communautaires. À Cabano, lescitoyens ont entrepris de construire une usine où ils détiendraient un certainpouvoir de décision, pas d'exiger des consultations permanentes avec quelqueministère pendant qu'on décidait de leur sort. Les Opérations-Dignité ne visent

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pas la participation du peuple aux œuvres gouvernementales, mais la vie et lasurvie des villages envisagées dans un contexte de plus grande autonomie faceau gouvernement et face aux compagnies. (Simard, 1979 : 152)

Cette nouvelle génération de coopératives conteste les coopératives majeures qui sont

engagées dans le nationalisme économique. Par exemple, le Mouvement Desjardins, qui ne

prête qu'environ 0,5 % de ses actifs aux coopératives, est critiqué. On critique aussi les

autres coopératives qui achètent des entreprises capitalistes sans même les transformer en

coopérative. On y retrouve les magasins Cooprix et les comptoirs alimentaires, comme lieu

de résistance aux géants de l'alimentation; les coopératives de travail, comme critique du

travail taylorisé, etc. (D'Amours, 2000) : « On se retrouve ainsi en présence de groupes qui,

avec les moyens du bord, se décident à prendre leur propre univers à bras-le-corps et, pour

reprendre les termes heureux de Léon Dion "cherchent à modeler eux-mêmes et dès

maintenant le cours des choses en ce qui les concerne". » (Simard, 1979 : 152). Simard

parle ici d'une utopie d'autodétermination : « Des facteurs de production, c'est la terre qu'on

veut collectivement s'approprier avant le capital. La solution, c'est le contrôle

communautaire des ressources de l'environnement immédiat et leur exploitation

parcimonieuse pour le bénéfice des membres de la communauté d'abord. » (Simard, 1979 :

160) Les communautés, à partir de cette période, commencent à se développer dans une

perspective locale. Ces communautés contestent l'approche dominante du développement

régional et sa formule top-down. Elles remettent en question les programmes nationaux

mur-à-mur, standardisés sur tout le territoire, avec aucune considération vis-à-vis les

différences régionales (Favreau, 2008).

1.2.4. De 1980 à aujourd'hui : La nouvelle économie sociale

On voit apparaître un changement dans le rôle de l'État dans les années 1980. Le modèle

intégré de développement, qui fonctionnait depuis 1929 s'écroule. L'État national va ouvrir

ses marchés; on déréglemente le privé; on privatise les services publics, tout cela dans le

but de réduire le rôle de l'État. Gagné (1985) va parler, à partir de cette période, de l'État

commercial ouvert. En même temps qu'on coupe dans les services publics, on investit et on

offre des tarifs préférentiels pour attirer les capitaux dans le pays. Chaque pays est alors en

concurrence avec le reste du monde. Pour augmenter son rendement, il faut mettre les

autres pays en chômage. Le keynésianisme fonctionne toujours, mais on l'applique de

manière différente. On aide ce qui fonctionne bien, et on laisse tomber le reste. Dans cette

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transformation du système, le taux de chômage augmente, et on voit apparaître différentes

initiatives locales pour contrer l'appauvrissement de la population (jardins communautaires,

banques alimentaires, cuisines collectives, etc.). L'intérêt pour le local s’accroît.

Certaines décisions de l'État permettent alors de montrer le réel intérêt qu'il a pour le milieu

coopératif. Dans les années 1980, l’État va subventionner les coopératives laitières, par

crainte qu'elles ne soient reprises par des étrangers si une entreprise capitaliste s'en empare.

En 1980, la coopérative Les Pêcheurs Unis fait faillite, car, contrairement à ce que faisait

l'État par le passé, elle n'a pas financé la coopérative pour la sauver. En 1982, les Magasins

Coop vont faire faillite, car l'État a préféré investir dans Provigo, une entreprise privée

québécoise, qui avait un montage financier plus intéressant. Ces différentes actions de l'État

laissent voir que « la coopération était privilégiée non pour elle-même mais comme

instrument de contrôle économique des entreprises par des Québécois » (Lévesque, 2007 :

32). Les différentes faillites de coopératives vont aussi amener des questionnements au

sujet de la solidarité des différentes fédérations présentes dans le Conseil des coopératives

du Québec (CCQ) : « L'intercoopération ne s'est révélée d'aucun secours pour les

coopératives en difficulté alors que certaines fédérations en ont profité pour augmenter leur

part de marché. » (Lévesque, 2007 : 33) Le CCQ, dans les années 1980, a un Conseil

d'Administration (CA) composé à 75 % de membres provenant des secteurs de l'assurance

et de l'épargne, alors que 90 % des coopératives non financières n'y sont pas représentées.

Sur 1055 coopératives répertoriées au Québec à cette époque (en retirant les coopératives

d'épargne et de crédit), 730 ne sont pas regroupés en fédération. Certains secteurs

coopératifs, comme l'agroalimentaire, sont aussi en forte concurrence, ce qui amène à

douter qu'on puisse parler d'une économie coopérative dominante.

Dans les années 1990, l'économie sociale, après que le terme a cessé d'être utilisé pendant

pratiquement tout le 20e siècle, revient à la suite de la Marche des femmes en 1995. Cette

marche a d'abord amené les États généraux sur la coopération par le CCQ, et ensuite le

chantier sur l'économie sociale (CES).

De 1995 jusqu'à 1998, moment de la loi du gouvernement, quatre définitions de l'économie

sociale, définies par différents groupes, ont vu le jour6. D'abord, une première définition,

pour la Marche des femmes, a été rédigée par le Comité de la Fédération des femmes du

6 Toute l'information de ce paragraphe se retrouve dans un tableau dans le texte de D'Amours, 2000 : 18.16

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Québec (FFQ). On a ici comme objectif de reconnaître le travail des femmes dans le

développement du lien social, de créer des emplois permanents et à long terme pour les

femmes, de créer une alternative à l'exclusion des femmes du marché, et de répondre aux

besoins des personnes et des collectivités. À la suite de la marche, le gouvernement crée le

Comité d'orientation et de concertation sur l'économie sociale (COCES), qui crée une

nouvelle définition avec le Mouvement des femmes et des représentants de trois ministères.

L'économie sociale a ici comme objectif de fournir à la fois des biens et services de qualité,

et des emplois de qualité. En continuité avec ce comité, le CES est mis en place, avec une

nouvelle définition, rédigée conjointement par des représentants de mouvements sociaux et

du secteur privé. Les objectifs de l'économie sociale sont alors une rentabilité sociale (par

un développement démocratique et la promotion de valeurs sociales), un éventail plus large

de services et la création d'emplois. Finalement, à la suite du Chantier, le Gouvernement du

Québec fait rédiger une nouvelle définition, par des fonctionnaires, sans aucun représentant

de la société civile. L'unique objectif de l'économie sociale devient alors le développement

de l'emploi.

Ainsi, le travail de définition de l'économie sociale par les différents acteurs a amené

quelque chose de bien différent de ce qui était au départ revendiqué par la Marche des

femmes de 1995. D'abord, le COCES va rejoindre la définition des femmes, et va même

jusqu'à considérer les organismes communautaires comme faisant partie de l'économie

sociale. C'est la définition du gouvernement du Québec de 1997 qui change complètement

la donne. Le gouvernement reprend la même définition « mais précise assez rapidement que

la politique de soutien au développement local et régional n'a pas pour mission de soutenir

l'ensemble des composantes de l'économie sociale, mais seulement celles qui appartiennent

aux marchés solvables » (D'Amours, 2000 : 15). Cette définition va exclure une partie du

communautaire qui repose principalement sur le financement public. Pour ce qui est de ce

qui entre dans la catégorie économie sociale, le financement va surtout aller aux groupes

œuvrant dans la réinsertion à l'emploi, la lutte à la pauvreté, le travail précaire, et ainsi de

suite. Si on ne permet pas un emploi durable à une population qui n'en a pas, alors on

n'obtient que des prêts ou des garanties de prêts.

L'économie sociale a donc été orientée vers les secteurs émergents. Une partie du

communautaire refusera cependant d'en faire partie, car ces organismes veulent être

subventionnés et préfèrent être considérés comme groupe communautaire autonome. On17

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met aussi à jour la loi sur les coopératives en créant les coopératives de solidarité7. Trois

composantes se retrouvent dans l'économie sociale telle que définie par le CES : les

coopératives et les mutuelles, les associations à activité économique, les fonds de

travailleurs et autres entreprises syndicales.

Depuis 1996, l'économie sociale est reconnue tant par le gouvernement québécois que par

les médias et le milieu académique. Cependant, l'approche du gouvernement a des limites :

on ne considère l'économie sociale comme sociale que si elle apporte des solutions aux

problèmes sociaux. Cela est critiqué par le milieu de l'économie sociale, car elle oublie que

les problèmes sociaux sont créés par le marché qui n'est pas en mesure de gérer les

externalités qu'il provoque. Cette définition amène une distinction entre la sphère

économique et sociale; distinction que l'économie sociale tente de défaire. Par contre, avec

la définition que s'est donnée le gouvernement du Québec, pour avoir accès au financement,

l'économie sociale est tenue d'être rentable à court terme, et d'utiliser une main-d’œuvre qui

est souvent exclue du marché du travail depuis longtemps (D'Amours, 2000). Cela pose

alors un très gros problème pour les différentes initiatives : la recherche de financement.

Pour obtenir du financement de l'État, il faut créer de l'emploi et être rentable très

rapidement, ce qui n'est pas aussi facile pour l'économie sociale que pour l'entreprise

privée. Ainsi, le processus d'institutionnalisation a servi à insérer l'économie sociale et

solidaire dans un large projet social d'aide aux sans-emplois. Avec diverses mesures,

l'économie sociale québécoise sert alors de porte d'entrée pour une population marginalisée

dans le monde du travail. Ainsi, malgré la définition inclusive et fédératrice que le CES

s'est donnée, les avancés se font surtout sur la base de chaque organisation. Les différents

projets ne se reconnaissent pas « dans le "mouvement" dit de l'économie sociale porté par le

Chantier et ne sont pas ou n'en sont plus parties prenantes » (Favreau, 2010 : 102).

En 2013, le Québec met à jour la loi cadre sur l’économie sociale. Celle-ci a, comme la

précédente, une tonalité marchande et insiste sur la viabilité économique (Defourny et

Nyssens, 2017). D’ailleurs, parmi les six objectifs du Plan d’action gouvernemental en

économie sociale 2015-2020, on retrouve les deux objectifs suivants : valoriser la réponse

des entreprises d’économie sociale aux défis du vieillissement démographique et

encourager l’insertion socioprofessionnelle au sein des entreprises d’économie sociale.

7 Les différents types de coopératives, dont les coopératives de solidarité, sont expliqués au chapitre 218

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1.3. L'autonomie des coopératives

On comprend donc que l'État a besoin d'institutionnaliser l'économie sociale dans une

perspective de création d'emploi, et que l'économie sociale a besoin de cette

institutionnalisation pour obtenir une forme de reconnaissance, et le financement nécessaire

à la réussite de sa mission. Cependant, cette institutionnalisation, basée uniquement sur la

variable de l'employabilité, apporte différents problèmes à l'intérieur de l'économie sociale,

notamment dans les coopératives. Au Québec, l'économie sociale a tout de même la chance

d'avoir un financement mixte, provenant autant des pouvoirs publics que de l'économie

sociale. Les fonds proviennent à la fois de subventions gouvernementales que du

Mouvement Desjardins (Greffe, Dupuis et Pflieger, 1983). Cependant, on ne finance que ce

qui n'est pas risqué; c'est-à-dire des entreprises dont l'efficacité et la rentabilité ont déjà été

confirmées. Il en est de même pour les fonds provenant du Mouvement Desjardins (Greffe,

Dupuis et Pflieger, 1983). Ainsi, les prêts vont surtout se retrouver entre les mains des

coopératives agricoles, de consommation, de pêches et d'habitation, alors que les petites

coopératives vont avoir de la difficulté à obtenir un prêt de la caisse. Elles vont d'ailleurs

souvent avoir une plus grande facilité avec une banque.

Cependant, comme le présentent Greffe, Dupuis et Pflieger (1983), le danger d'accepter le

financement de tiers partis par les entreprises d'économie sociale est de perdre une partie de

son autonomie. Le pouvoir public, lorsqu'il finance, va obliger un certain rendement ou

viser certains programmes spécifiques, empêchant l'organisation d'innover :

En recherchant l'autonomie, la coopérative ou l'association refuse d'emblée lesrègles du marché financier qui, dans ces conditions, ne peut que les rejeter. Plusque de réseaux financiers traditionnels inadaptés, mieux vaut parler d'uneinadaptation de l'économie sociale aux réseaux de financement, et reconnaîtreque l'économie sociale est victime d'une contradiction de fond entre autonomieet dépendance. (Greffe, Dupuis et Pflieger, 1983 : 58)

Cela mène à une banalisation de l'économie sociale (Greffe, Dupuis et Pflieger, 1983;

Favreau, 2010) qui n'est alors perçue que comme un sous-ensemble dans le marché

(D'Amour, 2000).

La définition ressortie du CES vise d'abord les entreprises, et non pas les associations. On y

parle d'une économie sociale qui est sujette aux sanctions plus ou moins immédiates du

marché, et non pas d'une économie sociale qui serait plus dépendante de l'aide de l'État.

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Dans le processus d'évaluation défini par le CES, l'économie prime sur le social dans les

objectifs qu'il s'est donnés : « Le Chantier de l'économie sociale ne remet pas en question la

dominance des rapports marchands, qu'il désire au mieux domestiquer et civiliser; on est

loin d'une volonté de changement social et, dans le meilleur des cas, il s'agit de régulation,

non d'alternative. » (Tremblay, 2002 : 20) Dans cette logique, les initiatives locales doivent

faire face à différentes embûches. Pour fonctionner, elles doivent obtenir l'appui des

communautés locales et des grands réseaux sectoriels. Comme bailleurs de fonds, elles

doivent se tourner à la fois vers le public et le privé. Cependant, « Plusieurs organisations

n'arrivent pas à faire reconnaître l'ensemble des dimensions de leur action, si bien que

certains de leurs projets n'obtiennent pas le financement approprié » (Klein et Champagne,

2011 : 175). Cela rend l'innovation très difficile, puisque les bailleurs de fonds refusent de

financer ce qui n'entre pas dans le cadre d'un programme particulier. « Ainsi, pour innover,

il est nécessaire de sortir des sentiers battus, mais hors des sentiers, le financement

demeure, tantôt aléatoire, tantôt conditionnel à des indicateurs de réussite qui ne tiennent

compte ni de l'envergure des défis ni du temps nécessaire pour les relever. » (Klein et

Champagne, 2011 : 175) Dans les milieux ruraux, l'importance d'intégrer des gens exclus

du milieu du travail est encore plus grande en raison du haut taux de chômage. Les élites

locales ont cependant un rôle primordial dans la réussite des projets. Un conflit dans la

communauté peut facilement amener une fermeture de l'organisation.

1.4. Coopération et changement social

Malgré toutes ces limites, pour certains auteurs, comme Louis Favreau, c'est le milieu

coopératif qui est le plus à même d'apporter un changement social. « C'est par la

participation économique, c'est-à-dire en "créant de la richesse" ou en "générant du capital",

mais en le liant à la réponse à des besoins (contrairement à l'entreprise capitaliste, qui crée

de la richesse en la liant de façon indissociable à la recherche du maximum de profit). »

(Favreau, 2010 : 18) Il y aurait, depuis la crise de 2008, un retour vers le milieu coopératif

en raison d'une perte de confiance dans le système économique. Ce serait, pour Jean-

François Draperi, le mouvement coopératif qui « semble le mieux placé pour garantir le

rattachement de l'économie au territoire » (Favreau et Molina, 2011 : 15). Les projets

coopératifs des mouvements sociaux seraient en mesure d'apporter des alternatives aux

entreprises capitalistes. Cependant, bien que le mouvement coopératif ait du poids sur le

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plan économique, il n'en a pas sur le plan politique (Favreau et Molina, 2011). Pour devenir

une alternative, il doit prendre une place plus grande dans le débat public et éviter de se

banaliser en ne devenant qu'une forme d'entreprise parmi tant d'autres. Par contre, le souci

qu’ont les coopératives de s'assurer de leur viabilité économique les empêche de prendre le

temps de revendiquer de front comme d'autres groupes (Favreau, 2010). Pour éviter de se

banaliser, ces entreprises doivent montrer que la démocratie ne s'arrête pas à leur porte

(Favreau, 2008). Les coopératives permettraient malgré tout une relocalisation à la suite

d’une délocalisation causée par la mondialisation.

Le milieu coopératif serait ainsi, selon Favreau, un élément essentiel de la sortie du

capitalisme. Favreau a cependant une idée claire de ce qu'est le capitalisme : « Soyons clair

sur une chose : le capitalisme, ce n'est pas tout le secteur privé. C'est un mode d'exploitation

du travail et des ressources réalisés par de grandes sociétés détenues par des actionnaires

institutionnels disposant de grands moyens. » (Favreau, 2010 : 49) Les petites et moyennes

entreprises (PME) ne feraient donc pas partie du capitalisme, puisqu'elles ne dictent pas les

règles du jeu comme les firmes multinationales, qui ont un lobby puissant sur le pouvoir. Le

milieu coopératif et les PME seraient en marge du capitalisme, puisqu'ils appartiennent « à

des systèmes marchands localisés » (Favreau, 2010 : 49). Par sortie du capitalisme, il

entend une sortie du fondamentalisme du marché. Il faut oublier la croissance infinie et

penser au développement. Pour ce faire, il est nécessaire de coopérer plutôt que de se

concurrencer, d'être plus démocratique, de sortir de la privatisation des biens sociaux; et

surtout de sortir de la crise écologique, économique et sociale. En restant neutres, le

mouvement coopératif, et toute l'économie sociale se sont neutralisés et ne se défendent

plus contre le modèle capitaliste.

Ainsi, le milieu coopératif offre un secteur économique non capitaliste avec un potentiel

alternatif. Ces alternatives, selon Favreau, se font cependant en dehors de

l'institutionnalisation et avec les mouvements sociaux. Les mouvements sociaux donnent

des militants au milieu coopératif, et le milieu coopératif va, en échange, permettre la

construction d'alternatives. Mais il précise qu'« [a]ucun de ces réseaux ne se reconnaît dans

le "mouvement" dit de l'économie sociale portée par le Chantier et ne sont pas ou n'en sont

plus parties prenantes » (Favreau, 2010 : 102). Ainsi, pour arriver à un changement social,

il faudrait une restructuration complète, qui toucherait même les multinationales. En

attendant cette restructuration, « [l]a conscience d'une communauté des petites gens sert21

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avant tout, actuellement, à s'élever contre les solidarités corporatives, géographiques ou

administratives qui sont si chères aux élites libérales et technocratiques » (Simard, 1979 :

173).

Avec le temps, les citoyens ont fini par apprendre le langage technocratique et l'utilisent

pour s'opposer au gouvernement et à l'industrie. Mais en contrepartie, l'institutionnalisation

et l'expansion de certains projets d'économie sociale ont apporté un débalancement : « On

comprend la vulnérabilité des comités de citoyens à abandonner certains de leurs objectifs

les plus radicaux, puisqu'il est facile aux gouvernements, ou même aux entreprises, de

satisfaire bien des attentes immédiates. » (Simard, 1979 : 177) En grandissant, certaines

coopératives ont modifié leur structure et sont devenues de grosses business, qui peuvent,

sur plusieurs points, ne plus sembler bien différentes de l'entreprise privée (Vaillancourt,

2008; Greffe, Dupuis et Pflieger, 1983). Par le fait même, de plus petits projets ont de la

difficulté à perdurer et doivent faire des choix, notamment celui de réduire les conditions de

travail des travailleurs (Quarter, 1992).

C'est pourquoi il m’apparaît intéressant de s'attarder au mouvement coopératif du point de

vue des personnes y occupant un emploi, d'autant plus que de nouveaux projets coopératifs

émergent année après année. Les coopératives représenteraient 12% des emplois dans le

groupe du pays des G20, et plus de 250 millions d’emplois dans le monde (Richez-Battesti

et Defourny dans Defourny et Nyssens, 2017). Depuis les années 2000, il y aurait en

moyenne la création d'environ 160 coopératives par année au Québec, dont un peu moins

de la moitié correspondent au nouveau modèle : les coopératives de solidarité (Arteau et

Brassard, 2008). Ces coopératives seraient surtout fondées dans des secteurs en émergence,

ce qui est compréhensible considérant la tendance qu'a prise l'économie sociale. Ainsi, avec

toute l'institutionnalisation que le secteur coopératif a subie, existe-t-il toujours une partie

idéologique à l'intérieur de celui-ci? Et ce sentiment est-il différent selon le type de

coopérative et la place que le travailleur y occupe? La recherche a pour but de découvrir si

les coopératives sont toujours une forme alternative d’organisation ou bien si, ancrées dans

la logique de la création d'emploi, elles ne sont devenues qu'un outil institutionnel parmi

d'autres pour réduire le taux de chômage. Le prochain chapitre entrera plus en détail dans la

littérature sur le travail dans le milieu coopératif et les théories sur le monde du travail.

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Chapitre 2 : L'engagement au travail

2.1. Les différents modèles coopératifs

Puisque cette recherche touche différents modèles de coopératives, avant d'entrer plus à

fond dans le sujet d'enquête, il est important de d'abord différencier les différents types.

Plusieurs modèles existent au Québec, mais ils ne sont pas tous utiles à l'étude. Voici

d'abord une brève présentation des différents types exclus de l'étude, et pourquoi ils le sont.

Il existe d'abord les coopératives d'habitation. Les membres sont ici les locataires d'un

logement, qui est la propriété de la coopérative. Le principe de cette coopérative est de

gérer le logement à l'interne et d'amener une vie commune. Ce modèle se retrouve

cependant exclu de l'étude, puisque, comme il s'agit d'une coopérative gérant la vie

commune d'un logement, la coopérative n'a pas de travailleur permanent. Elle ne fait appel

à des travailleurs qu'en cas de besoin pour des réparations, si personne parmi les membres

n'est apte ou n'a pas les connaissances nécessaires pour les effectuer. Les personnes se

trouvant à travailler pour elle sont donc à contrat, ou bien des membres qui donnent de leur

temps et ne sont pas rémunérés.

Ensuite, nous avons les coopératives financières, qui sont fédérées sous le Mouvement

Desjardins. Les coopératives financières sont un modèle distinct, mais, dans leur

fonctionnement, elles ne sont pas bien différentes des coopératives de consommation.

Ainsi, au lieu d'intégrer une caisse Desjardins à l'enquête, chose qui a été mainte fois

étudiée et qui est très documentée, j'ai préféré exclure ce modèle. Bien entendu, les caisses

Desjardins possèdent des travailleurs, mais en raison de ses différentes filiales, et de sa très

forte syndicalisation contrairement aux autres coopératives, il serait difficile de la traiter

dans ce mémoire sans en faire un cas à part.

J’exclus ensuite les regroupements fonctionnant sous un modèle coopératif, puisque leur

mission ne touche pas des usagers individuels comme le font les autres coopératives, mais

qu'ils fédèrent des collectivités. Il serait difficile de les placer sur le même pied d'égalité

qu'une coopérative locale. D'ailleurs, leur nombre de travailleurs peut être très minime,

voire inexistant.

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Finalement, on retrouve aussi les coopératives de production. Mais, tout comme les

coopératives financières peuvent être associées aux coopératives de consommation, les

coopérations de production ont un fonctionnement semblable aux coopératives de travail.

Cette recherche analyse quatre différents types de coopératives : les coopératives de

consommation, les coopératives de travail, les coopératives de solidarité et les coopératives

de travailleur actionnaire. Les coopératives étudiées fonctionnent toutes avec trois

différentes instances de gouvernance. D'abord, l'Assemblée générale (AG), pour les

membres, qui permet de définir les grandes orientations de la coopérative. Ensuite, le

Conseil d'administration (CA), qui veille à ce que la coopérative serve les intérêts des

membres en administrant l'entreprise dans le respect des orientations de l'AG. Finalement,

il y a la Direction générale, qui est responsable de la gestion quotidienne des opérations de

la coopérative.

2.1.1. Les coopératives de consommation

Les coopératives de consommation sont des coopératives qui ont comme mission de fournir

des produits et des services accessibles, de qualité et au meilleur prix possible. Le client

peut devenir membre, et ainsi avoir une part sociale de la coopérative lui permettant d'avoir

un contrôle sur les produits et les services développés. Ces coopératives ont un très grand

nombre de membres, puisque n'importe qui, à tout moment, peut devenir membre et ainsi

avoir droit de vote lors de l'AG. L'individu devenant membre a droit à une part des surplus

annuels de la coopérative, qui lui est versée sous forme de ristourne selon le montant qu'il a

dépensé dans la coopérative au cours de l'année financière. Pour bien comprendre le rôle du

membre dans ce modèle, on peut se fier au manifeste du CSC de 1940 : « Dans une

coopérative le peuple ne gère pas lui-même directement. Il choisit des experts pour

accomplir cette gestion, mais en se réservant le droit de les diriger et de les contrôler

comme aussi de diriger et de contrôler la marche générale de l'entreprise (par l'assemblée

générale et le bureau des directeurs). » (Simard et Allard, 2013 : 257)

Ces premières coopératives étaient des coopératives agricoles, qui avaient pour but d'aider

les fermiers à contrôler leur marchandise (Quarter, 1992) : « La formule coopérative

s'ajustait extrêmement bien à l'idéologie dominante de l'époque : nationalisme traditionnel,

méfiance à l'égard du capitalisme, anticommunisme intégral et corporatisme modéré; elle se

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prêtait également fort bien à la sauvegarde du pouvoir des élites traditionnelles. »

(Labrecque, 1986 : 197) Contrairement aux coopératives ouvrières, elles n'avaient pas de

contrôle démocratique des membres. Elles demeuraient sous le contrôle de l'élite local qui

contrôlait le CA. Elles s’appuyaient sur la doctrine de l'Église. On ne voulait cependant pas

d'un projet global :

Même chez les leaders de la coopération, on n'espérait ni ne souhaitait mettreen place des organisations qui engloberaient toute l'économie, qu'il s'agisse decoopératives de consommation ou d'autres; c'est plutôt la formation d'un secteurcoopératif qui était proposée, comme instrument de promotion économique desCanadiens français, de défense contre les abus d'un capitalisme qu'on ne voulaitcependant pas éliminer ou comme rempart contre le communisme. (Labrecque,1986 : 199)

Selon Labrecque, ce modèle aurait dû mourir dans les années 1960, lorsqu'on donna à l'État

la fonction de s'occuper du développement économique. Mais, la logique anti-capitaliste

apparaît, avec les magasins Cooprix. À la fin des années 1960, la fédération des magasins

coop veut ouvrir dans les milieux urbains pour concurrencer l'entreprise privée : « Le

caractère distinctif des établissements issus de la Fédération se situe dans la lignée du

consumérisme : protection accordée au consommateur, membre ou non, par l'information

sur les produits, suppression de certains procédés manipulateurs de marketing. »

(Labrecque, 1986 : 200) On vise à avoir un client informé et rationnel dans une grande

surface. Il s'agit d'une vision critique modérée, qui coïncide avec la montée du nationalisme

québécois. Une autre voie aux magasins Cooprix apparaît au même moment, qui rompt

avec le modèle traditionnel. Ce sont des commerces plus petits et les membres, au nombre

restreint, font le travail qui est ailleurs fait par le personnel. Dans ce modèle, « les produits

sont vendus au prix coûtant, une cotisation uniforme défrayant les coûts d'opération, et

aucune ristourne n'est distribuée. » (Labrecque, 1986 : 200) Ce modèle refuse la

consommation et le capitalisme et exclut la possibilité pour la coopérative d'accumuler du

capital. Il s'agit des clubs coopératifs de consommation.

Dans les mêmes années, Métro et Provigo arrivent sur le marché et viennent montrer que

les coopératives ne sont pas les seules à avoir un caractère québécois et francophone. Le

nationalisme économique peut aussi se faire ailleurs que dans les coopératives. Les

coopératives restent l'expression d'une solidarité, mais « [i]l y a tout lieu de croire […] que

les valeurs de l'action collective, indispensables à la formation et au maintien des

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coopératives, perdent actuellement du terrain au profit de l'action individuelle et de la

recherche de la réussite personnelle. » (Labrecque, 1986 : 204) La confiance dans leur

réussite s'est cependant émoussée avec l'incapacité d'intégrer les jeunes dans les

organisations.

En 1982, la fédération des magasins coop fait faillite. Cela entraîne des fermetures et la

vente de coopératives locales. Cet échec est marqué par « l'incapacité de résister à une

concurrence trop inégale des grandes entreprises privées, que celles-ci fonctionnent sur le

mode de succursales, de franchises ou à partir de regroupements d'épiciers indépendants. »

(Labrecque, 1986 : 195) À ce moment, il y a l'entrée de Super Carnaval dans le marché

québécois de l'alimentation, ce qui amène un changement de culture économique. Face à ce

changement, les coopératives de consommation ont été incapables de maintenir ou de

reconstruire leur propre culture économique.

Le caractère non capitaliste a amené trop de tension, et le marxisme-léninisme a tué

certains projets. Depuis, on reste méfiant envers le capitalisme, mais sans vouloir le

supprimer. On veut que les coopératives prennent plus de place, mais sans avoir un

monopole coopératif ou étatique. Les coopératives sont vues par les membres comme

devant d'abord aider les gens qui ont des difficultés financières. « [D]ans les grandes

coopératives, les rapports employeurs/employés tendent à calquer ceux qui existent dans

l'entreprise privée; pour les dirigeants, les coopératives sont au service des membres, et les

employés de leur côté ne semblent pas attribuer de mérite particulier au caractère coopératif

des organisations pour lesquelles ils travaillent. » (Labrecque, 1986 : 210) Dans la

recherche de Labrecque, tous les employés interrogés ont dit qu'ils voient leur coopérative

comme une entreprise comme les autres, même s'ils en sont tous membres.

2.1.2. Les coopératives de travail

Les coopératives de travail fonctionnent différemment des coopératives de consommation.

Elles sont gérées démocratiquement par les membres travailleurs, qui en sont les

propriétaires collectivement. Pour être membre, on doit être un travailleur embauché par la

coopérative. Le membership de ce modèle est donc limité à ses travailleurs, et dans certains

cas, à d'anciens travailleurs. Le but principal de cette coopérative est de fournir des emplois

aux membres en générant une activité économique. Cela permet aux salariés d'avoir un

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contrôle sur leurs conditions de travail et tout ce qui touche leur milieu de travail. Ce

modèle fonctionne davantage dans une perspective d'autogestion d'une entreprise par ses

travailleurs. Ce sont des coopératives plus idéalistes, où les travailleurs visent un contrôle

de leur travail, plutôt qu'une soumission au management (Quarter, 1992). Pour devenir

membre, on doit avoir traversé la période de probation en tant que membre auxiliaire

(Réseau COOP, 2013).

Ce modèle manquerait cependant de vision à long terme, puisque les membres travailleurs

n'auraient pas nécessairement intérêt à trouver de nouveaux membres, puisque cela

diviserait les profits par plus de membres (Levac, 2011). Selon Levac, les travailleurs

seraient moins enclins à investir dans leur coopérative dans une vision à long terme

puisqu'ils n'en profiteraient pas directement, car ces profits iraient aux futurs travailleurs.

Les travailleurs auraient plus d’intérêt à se partager les bénéfices entre eux, sous forme de

hausse de salaire ou de prime, qu’à les mettre en réserve (Richez-Battesti et Defourny dans

Defourny et Nyssens, 2017). Les travailleurs plus âgés ont d’ailleurs moins d’intérêt à

investir dans la coopérative, puisqu’ils n’en obtiendront aucun bénéfice à leur retraite : « En

particulier, plus le travailleur est âgé ou proche d’un départ éventuel, plus son horizon

temporel pour jouir de bénéfices futurs liés à un investissement sera réduit en comparaison

d’une possibilité immédiate de rémunération accrue de son travail. » (Richez-Battesti et

Defourny dans Defourny et Nyssens, 2017 : 93) De plus, les travailleurs courent un risque

que des actionnaires externes n’auraient pas : « les travailleurs n’ont pas la possibilité de

répartir leur force de travail entre différents emplois et donc de diversifier leurs risques

comme peuvent le faire des capitalistes qui répartissent aisément leurs investissements en

capital entre diverses sociétés. » (Richez-Battesti et Defourny dans Defourny et Nyssens,

2017 : 93)

Ce modèle apporte cependant des bénéfices aux travailleurs, en leur permettant de

s’identifier davantage à leur entreprise et à sa réussite. Ils perçoivent d’ailleurs une plus

grande possibilité de tirer un avantage financier par leur participation. Cela permet aussi

aux travailleurs de développer et de conserver des capacités entrepreneuriales. Malgré des

débuts plus laborieux, les entreprises gérées par les travailleurs de 10 à 100 employés

obtiendraient de meilleurs scores que les entreprises capitalistes de même taille (Richez-

Battesti et Defourny dans Defourny et Nyssens, 2017). Cependant, au-delà de 100

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travailleurs, elles ne se distingueraient plus, au niveau de leur performance, des entreprises

capitalistes.

La plus vieille coopérative de ce titre qui existe au Québec est l'imprimerie Harpell à

Montréal. Au moment de prendre sa retraite, Harpell a transformé son entreprise en

coopérative dans le but de laisser le contrôle à ses employés. Quelques cas ont tenté

l'expérience, mais le phénomène reste assez rare : « Others have walked down that path, but

evidence suggests that idealism will not inspire many owners to convert their enterprise to

cooperative ownership. Conversions result from favourable government policies that

provide incentives to both owners and interested workers. » (Quarter et Hannah dans

Quarter et Melnyk 1989 : 75) Souvent, les gouvernements vont se commettre à l'achat par

les employés lorsque la fermeture risque d'être un danger pour la communauté, sinon on ne

tentera rien.

Les coopératives forestières fonctionnent aussi selon ce modèle. Dans le cas des reprises

d'entreprises, ce type de coopératives a plus de mal à perdurer, puisqu'elles se forment

surtout dans des secteurs à bas capital, pour éviter une fermeture. Les ouvriers n'ont pas

nécessairement les moyens de capitaliser l'entreprise adéquatement. La coopérative doit

alors chercher du financement à l'externe, à haut taux d'intérêt. Elle est parfois obligée de

donner un droit de vote aux investisseurs pour les intéresser dans le projet. Les travailleurs

perdent alors leur contrôle sur l'entreprise (Quarter, 1992).

Il s'agit d'un modèle qui, bien que pouvant sembler idéal pour un travailleur, demande

beaucoup d'implication puisque « les employés doivent conjuguer une vision de salarié,

orientée vers le maintien de la qualité des emplois, une vision de gestionnaire, orientée vers

la rentabilité de l'entreprise, et celle d'entrepreneur, orientée vers la recherche de

perspectives de développement » (Bisson, 2013 : 1). Dans ce modèle, la direction générale

embauche les employés de la coopérative. Les employés, eux, élisent les administrateurs en

AG et les administrateurs engagent (et congédient) la direction générale. L'autogestion de

ce modèle dépend de la capacité des employés de gérer leur coopérative par eux-mêmes, et

de s'assurer d'un fonctionnement down-top. Dans le cas d'un directeur général prenant

énormément de place, la structure démocratique peut être remise en cause.

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L'idéal de ces coopératives pose parfois problème. Comme certaines entreprises ont l'idée

de donner un salaire égal à tout employé, certains emplois peuvent se retrouver payés

beaucoup plus cher dans le secteur privé. Pour cette raison, très peu de gens avec des

habiletés managériales veulent y travailler (Quarter dans Quarter et Melnyk, 1989). En

raison des manques de fonds et des difficultés de développement, les travailleurs doivent

souvent donner énormément de temps.

2.1.3. Les coopératives de solidarités

Ces coopératives sont un modèle mixte qui existe depuis le changement de la loi sur les

coopératives de 1998. Elles ont été créées pour permettre une plus grande solidarité entre

différents groupes ayant des intérêts distincts pour un même projet. Les coopératives de

solidarités font partie du mouvement des coopératives sociales qui se forment sous des

noms différents dans différents pays occidentaux (Richez-Battesti et Defourny dans

Defourny et Nissens, 2017). En plus de l’idéal démocratique, ces coopératives lient la

poursuite des intérêts des membres avec la poursuite des intérêts de la communauté dans

son ensemble ou d’un groupe cible spécifique. Le premier intérêt des coopératives sociales

n’est pas les membres, mais le groupe cible extérieur aux membres ou bien l’intérêt plus

large de toute une communauté. Pour cette raison, les lois pour ce modèle limitent la

distribution des bénéfices de manière plus stricte que pour les autres types de coopératives.

Les coopératives de solidarités sont gérées démocratiquement et conjointement par

différents groupes ayant des objectifs communs, qui participent tous à la prise de décisions.

Pour ce faire, ces coopératives ont différents types de membres, qui ont tous une

représentation égale au conseil d'administration. Il peut s'agir d'un travailleur, d'un client,

d'un fournisseur ou d'un partenaire du projet. Cela permet aux décisions de refléter les

visions communes de l'ensemble des personnes concernées par le projet. Deux catégories

de membre sont nécessaires selon la loi pour fonder une coopérative de solidarité (Réseau

COOP, 2013). Ce modèle peut être considéré comme un mixte entre une coopérative de

consommation et une coopérative de travail. On laisse le client de la coopérative participer

aux débats et s'impliquer dans la coopérative, comme pour une coopérative de

consommation, mais contrairement à celle-ci, on s'assure une représentation des

29

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travailleurs. Elle résout les problèmes qu'on peut trouver dans les coopératives de travail,

mais sans ignorer que les travailleurs sont un groupe distinct de membres8 (Quarter, 1992).

2.1.4. Les coopératives de travailleurs actionnaires

Contrairement aux autres types de coopératives, ce modèle correspond à des entreprises qui

n'ont pas été fondées sous un modèle coopératif. Il s'agit d'entreprises boursières ordinaires,

mais dont les travailleurs ont acquis un bloc d'action et le gèrent selon les principes de la

coopération. Ce modèle est souvent formé lorsque le fondateur d'une entreprise décide de

léguer son entreprise. Il a alors la possibilité de vendre ses actions à ses employés pour

qu'ils reprennent le flambeau de l'entreprise. Ainsi, les employés s'assurent une

représentativité au CA de l'entreprise. Bien entendu, l'efficacité de cette structure

coopérative dépend du pourcentage d'actions que les employés possèdent. S'ils sont

majoritaires, le fonctionnement peut être très semblable à une coopérative de travail

ordinaire. S'ils sont minoritaires, ce modèle ressemble davantage à une méthode de

consultation des salariés avant une prise de décision, pour leur assurer une plus grande

participation à la gestion.

2.2. Le travail dans les coopératives et les milieux autogérés

Le but de cette recherche est de regarder si le milieu coopératif arrive à élargir la

coopération à des niveaux extérieurs à sa structure interne. On peut en effet se demander si

le milieu coopératif amène une prise de décision locale au-delà de la sphère coopérative.

Plusieurs études (Simard, 1979; Sainsaulieu et Tixier, 1983; Favreau, 2008) montrent que

les coopératives sont en mesure de tendre vers une réelle démocratisation, mais que cette

dernière ne parvient pas à s'élargir au-delà de la coopérative : « Le problème qui reste

néanmoins posé est celui de leur généralisation. Une chose est de bâtir un petit monde

différent dans un espace à part, une autre est d'en tirer les conclusions à l'échelle des

grandes organisations ou de la démultiplication d'expériences particulières. » (Sainsaulieu

et Tixier, 1983: 14) Ainsi, le milieu coopératif n'arriverait qu'à créer différents vases clos de

démocratisation et de coopération, dans une société globale axée sur la compétition et

l'accumulation (Sainsaulieu, 1997; Favreau, 2008).

8 Quarter ne parle bien entendu pas tout à fait de ce modèle, qui n'existait pas lorsqu'il a écrit son texte. J'utilise ici une critique qu'il appose aux coopératives de consommation : « Is it possible to create a democratic organization which ignores the workers as a distinct membership group? » (Quarter, 1992 : 32)

30

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Pour Sainsaulieu, les modèles d'entreprises démocratiques ont trois principes : « l'abolition

du capitalisme privé; l'installation de structures de démocratie directe pour gérer le travail

par assemblées générales et commissions multiples; et enfin la recherche d'une plus grande

justice dans la distribution des salaires, des responsabilités et du pouvoir de chaque

travailleur sur la conception de sa tâche » (Sainsaulieu, 1997 : 97). Cependant, ces

principes font face à différentes impasses, dont la difficulté de la prise de décision en

groupe, les problèmes liés aux habitudes hiérarchiques et la difficulté à surmonter les

différences. De plus, les objectifs sociaux de l'entreprise démocratique peuvent être

difficiles à conjuguer dans les impératifs de production économique imposés par l'économie

de marché (Sainsaulieu, 1997). Pour toutes ces raisons, il va de soi que l'élargissement des

valeurs de coopération et de démocratisation est difficile (Simard, 1979; Sainsaulieu et

Tixier, 1983; Favreau, 2008; Vaillancourt, 2008) et qu'il existe différents blocages à ces

valeurs différentes des valeurs dominantes : « Il ne suffit pas en effet d'inventer des

institutions généreuses égalitaires et participatives, pour que leur mise en œuvre échappe à

l'épreuve du feu des fonctionnements quotidiens. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983 : 11-12)

Webb l'énonce très bien : « so long has the Cooperative movement forms a "State within a

State", and the Cooperative system is surrounded by an individualist and competitive

society, it is impossible to assert dogmatically that democratic control would be an effective

alternative to individual profit-making in lowering the price and improving the quality of

commodities. » (Webb, 1891 : 209) Pour Webb, tant que la coopérative recherche le profit,

tant bien même que le manager est élu, il ne peut s'agir d'une structure démocratique,

puisque la recherche de profit ne peut être faite pour le bien de tous. La structure

coopérative continue donc la compétition malsaine entre les entreprises. La seule chose que

les coopératives auraient réussie, c'est à diminuer le profit du manager, mais sans réussir à

réellement augmenter le salaire du travailleur manuel.

Pour arriver à créer quelque chose de nouveau, le respect des règlements généraux n'est pas

suffisant : « Alors que les statuts ne prévoient que des assemblées annuelles, des réunions

des organes de décision tous les deux mois, le projet autogestionnaire et les incertitudes

vécues par l'organisation impliquent un système de réunions beaucoup plus fréquentes.

Cette nécessité pour la survie entraîne la naissance d'une structure formelle inventée –

réunions diverses, conseils de gestion – qui n'est aucunement reliée aux structures légales

de l'association. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983 : 104) Ainsi, le fonctionnement collectif en

31

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vient à être caractérisé par une quasi-absence de règles écrites. La régulation se fait alors de

manière relativement autonome, par les attentes quant aux rôles de chacun, qui ne figurent

pas dans les documents officiels.

De ce fait, même si un collectif de travail est fondé, celui-ci n'échappe pas à la bureaucratie,

aux différents rituels, etc. Il est difficile de changer les comportements sociaux, et les

mouvements sociaux ne deviennent que très rarement institutionnels. Même si le modèle

d'autogestion semble fonctionner, il dure généralement peu longtemps et finit par tomber :

« S'il y a tant de difficultés à faire durer ces expériences alors que partout elles renaissent

des cendres des précédentes, c'est que le fonctionnement collectif met en cause des ressorts

profonds de la structure et de la dynamique sociale des sociétés contemporaines. »

(Sainsaulieu et Tixier, 1983 :18) Les projets peuvent s'appuyer sur des structures

démocratiques pour s'organiser, mais ce modèle a des limites. Des relations de pouvoir

existent tout de même, qui peuvent venir détruire les projets démocratiques : « Le niveau

culturel nécessaire à la compréhension du fonctionnement, le jeu autour de l'accès à

l'information pertinente et la capacité d'une vue d'ensemble sur l'organisation nécessaire à

une prise de décision font que, même si physiquement il y a accès possible aux lieux du

pouvoir, en réalité le pouvoir reste inchangé. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983:67)

Même lorsque l'entreprise arrive à une culture du fonctionnement en collectif, celle-ci se

développe en îlot (Sainsaulieu, 1997), que ce soit dans une grande ou une petite entreprise.

La culture créée dans l'organisation, ou dans le groupe faisant partie de l'organisation, ne

continue pas à l'extérieur. Il y a résistance culturelle de l'extérieur : « Ces types de

régulations culturelles des ensembles organisés ont, en effet, pour trait commun de ne

fonctionner que sur la domination d'acteurs forts au détriment des autres groupes

marginaux, en retrait, novateurs, émergents, apprentis, étrangers, constituant en définitive la

majorité des gens au travail. » (Sainsaulieu, 1997 : 246) Pour devenir des communautés

plus larges, les solidarités collectives doivent s'appuyer sur des valeurs et des normes qui

sont lentement élaborées dans les groupes.

Prenant en compte ces critiques, l'idée de cette recherche n'est pas de savoir si le milieu

coopératif arrive à changer les mentalités, mais de regarder s'il tente, en partie, d'élargir la

coopération à des niveaux extérieurs à sa structure interne. Il est d'ailleurs intéressant de

regarder si l'implication apparaît comme une contrainte pour les travailleurs du milieu

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coopératif puisque, comme le dit si bien Gower, « the key issue in the business world is not

ownership but control. Large modern corporations, whether owned in a capitalistic mode or

a cooperative mode, are controlled by management. » (cité dans Quarter et Melnyk, 1989 :

180)

2.3. Les difficultés quant à l'engagement dans le milieu coopératif

Si l'on entre plus en détail dans la sphère du travail en milieu coopératif, on remarque que

la plupart des études touchant à cette sphère du modèle coopératif ont été faites en Europe

et ne présentent que très rarement et brièvement la particularité du Québec. Alors qu'en

Europe, le milieu coopératif s'est développé avec le désir de réformer le capitalisme ou de

l'abolir (Sainsaulieu et Tixier, 1983), les premiers projets au Québec se sont développés

dans l'optique de permettre à une population (les Canadiens français) d'obtenir une part du

capital, ce qu'elle ne pouvait faire autrement (Sainsaulieu et Tixier, 1983). Ce n'est que plus

tard, dans les années 1970 et 1980, que les projets coopératifs, basés sur l'idée

d'autogestion, se sont réellement développés au Québec (Vaillancourt, 2008). Lévesque

(2007) voit ces années comme l'apogée du mouvement coopératif au Québec. Les

coopératives étaient très présentes dans le discours public; plusieurs ont pu se développer

pendant cette période, ce qui fait qu'encore aujourd'hui, avec Desjardins, le Québec est vu,

à l'international, comme un berceau pour la coopération (Lévesque, 2007; Favreau, 2010).

Cependant, on a aussi montré qu'il existe plusieurs projets différents dans cette catégorie

qu'on appelle « coopérative ». En 1985, après trois tentatives ratées de créer un mouvement

international des coopératives, l’Alliance Coopérative Internationale (ACI) est fondée. Des

principes coopératifs, partagés par tous sont alors votés. Ceux-ci sont loin d’être fixes,

puisqu’ils ont été modifiés à trois reprises (Richez-Battesti et Defourny dans Defourny et

Nyssens, 2017). Tout de même, les 7 principes adoptés en 1995 prévalent encore

aujourd’hui. Comme premier principe, il y a l'adhésion volontaire et ouverte à tous, sans

discrimination. Deuxièmement, il doit y avoir un pouvoir démocratique exercé par les

membres, ce qui signifie que les gens qui ont été élus sont responsables devant les

membres. Troisièmement, il doit y avoir une participation économique des membres, ce qui

signifie que les excédants doivent être redonnés en ristourne ou mis en réserve pour le

projet coopératif. Quatrièmement, la coopérative doit être autonome et indépendance; c'est-

à-dire que les ententes signées et la recherche de fonds doivent se faire de manière à33

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préserver les pouvoirs des membres et l'indépendance de la coopérative. Cinquièmement, la

coopérative doit viser l'éducation, la formation et l'information des membres sur la nature et

les avantages de la coopération. Sixièmement, il doit y avoir coopération entre les

coopératives, dans le but d'offrir de meilleurs services et d’œuvrer ensemble. Finalement, la

coopérative doit s'engager envers la communauté, en contribuant au développement durable

de celle-ci dans les orientations approuvées par les membres. Mais au-delà de ces principes,

qui restent très ouverts sur ce qui peut être considéré comme une coopérative, il existe des

distinctions énormes entre, d'un côté, une grosse entreprise avec plusieurs filières comme

Desjardins et, de l'autre, une petite coopérative autogestionnaire. Puisque différents types

de coopératives existent au Québec, il est difficile d'y appliquer des recherches faites à

l'international, où, lorsqu'on parle de projets coopératifs, on désigne des entreprises très peu

hiérarchisées, avec tout au plus trois échelles salariales et où les travailleurs (mais pas

nécessairement tous) sont propriétaires de leur entreprise (Sainsaulieu et Tixier, 1983). Ici,

cette réalité ne correspond qu'à un type de coopérative : les coopératives de travailleurs, qui

peuvent tout de même être très inégalitaires9. Même si le pouvoir informel peut amener

certains problèmes dans le projet collectif, les coopératives se sont tout de même montrées

viables à long terme, et même davantage que l'entreprise privée, avec un taux de survie plus

élevé (Favreau, 2008). Néanmoins, la question demeure : est-ce que le milieu coopératif est

bel et bien en mesure d'amener un changement social ? Les tentatives d'autogestion dans les

coopératives, lorsque le pouvoir informel ne vient pas changer la nature du projet, semblent

fonctionner, mais au-delà de ce milieu, est-ce que les coopératives suscitent un réel

changement social dans la communauté ?

Les réformes qui ont eu lieu dans le monde du travail amènent de nouvelles structures de

communication, une décentralisation des pouvoirs, un droit à la formation, des horaires plus

souples, un enrichissement des tâches, etc. mais ne touchent pas aux structures

d'organisation. Il s'agit d'une approche individualiste. On rend le travailleur plus satisfait,

plus expressif et plus créatif au travail, mais on n'entre pas dans la dimension collective du

travail (Sainsaulieu et Tixier, 1983). En créant un vrai modèle participatif, laissant place à

la discussion, on permet la création d'alliances, qui viennent perturber l'équilibre du

9 Bisson (2013) donne l'exemple d'un ancien fondateur d'une coopérative, il y a 15 ans, qui est aujourd'hui directeur général de sa coopérative et participe à toutes les décisions. Même si l'AG est l'instance souveraine, le fait que l'ancien fondateur soit directeur et assiste aux séances du CA fait que les nouveaux membres n'osent aller à l'encontre de ses décisions.

34

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pouvoir. Cela peut venir remettre en cause la suprématie des anciens, et peut amener de la

résistance.

En démocratisant l'entreprise, on rend l'employé plus loyal envers celle-ci, et il y a moins

de risque qu'il quitte l'entreprise en raison de la communauté qui est créée (Levac, 2011).

En effet, les entreprises issues de l’économie sociale et solidaire « attirent des salariés dont

les motivations intrinsèques ou pro-sociales – liées à la volonté de contribuer à la mission

sociale de l’organisation, à travers la production de services de qualité par exemple – sont

relativement plus importantes que les motivations extrinsèques (telles qu’obtenir un salaire

élevé ou d’autres avantages individuels, ou éviter une conséquence négative comme une

sanction). » (Petrella dans Defourny et Nyssens, 2017 : 342) Les travailleurs sont prêts à y

travailler pour un salaire moins élevé, mais les motivations intrinsèques doivent être

nourries au fil du temps, sinon ça ne suffit pas. De manière générale, les salariés de

l’économie sociale sont plus satisfaits de leur travail que les employés d’entreprises

traditionnelles, même si le salaire est plus bas, que les conditions de travail sont moins

bonnes ou que la charge de travail est plus lourde. Les avantages obtenus sont non

monétaires : une plus grande autonomie; une plus grande variété de tâches à accomplir; une

plus grande possibilité de formations et de développement professionnel; et une meilleure

reconnaissance des efforts.

Il est possible d'avoir un modèle coopératif, tout en acceptant le modèle capitaliste :

« Plusieurs milliers d'entreprises, associations, coopératives centrés sur la production de

biens et de services refusent explicitement le modèle hiérarchique des rapports de

production, tout en acceptant le défi du marché et de la concurrence. » (Sainsaulieu et

Tixier, 1983 : 46) Tout de même,

Comparée aux principes d'organisation scientifique du travail qui règne dans lesgrandes organisations bureaucratiques, une telle structure est radicalementdifférente. On n'y trouve, en effet, théoriquement pas de hiérarchie descendantefondée sur l'expertise, l'ancienneté ou le privilège de castes et de classes. Il n'y apas de division entre travail intellectuel et travail manuel d'exécution puisque lesuffrage universel envoie qui se présente et qui est élu aux diverses assembléeset commissions de gestion, réflexion et conception. Il n'y a pas non plus enthéorie de pouvoir directorial venant d'ailleurs (le capital, l'État, le Parti),puisque les chefs sont élus, contrôlés, rotatifs et responsables devant l'A.G. etqu'ils fonctionnent selon un principe collégial de conseil. (Sainsaulieu et Tixier,1983:49)

35

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Cependant, avec la double instance de l'AG et du CA, Sainsaulieu et Tixier expliquent que

le réel pouvoir des membres est surtout un pouvoir de contrôle. Il s'agit, pour eux, d'un

modèle qui ressemble beaucoup plus au modèle parlementaire, puisque la délégation se fait

à deux degrés. L'AG élit le CA, qui élit des dirigeants. Les personnes élues tirent leur

pouvoir du fait qu'elles sont les seules personnes présentes dans les structures de rencontre.

Il arrive alors que le directeur soit un fondateur de la coopérative. Dans certains cas, il

occuperait ce poste depuis plus de 15 ans. Le rôle du CA peut alors se transformer en rôle

de validation des décisions du directeur général. En raison de la professionnalisation de

certaines organisations, si les personnes sur le CA manquent de compétences ou

d’expertise, il est alors difficile pour la structure démocratique de contrôler les décisions

prises par la direction (Petrella dans Defourny et Nyssens, 2017). Dans quelques

coopératives, les anciens travailleurs ont le droit de vote, même s'ils n'y travaillent plus. La

majorité n'est alors même plus dans les mains de ceux qui y travaillent : « À un modèle

théorique de circulation des mandats, où chacun peut se présenter aux fonctions de

direction, où le conseil d'administration est renouvelé par tiers tous les ans, se substituent

des alliances stables de membres anciens qui ont réalisé ensemble un appareillage collectif

du pouvoir et qui en verrouillent l'accès. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983 : 62) Sans qu'il y ait

de licenciement, des personnes qui contestent finissent par quitter l'entreprise. Lorsqu'une

personne remet en doute d'autorité d'un groupe, il peut être fait bouc émissaire de tous les

problèmes. Les conflits font que la personne finit par partir, s'il est impossible de

s'expliquer. En cas de différends, on a souvent tendance à remettre la solution à des

délégués experts, ce qui peut finir par redonner naissance à une hiérarchie classique, et faire

renaître un collectif purement revendicatif, ou à laisser les militants reprendre les choses en

main, ce qui amène l'AG à ne fonctionner que par les militants, et où la masse moins

informée est incapable de s'y faire entendre.

Il est difficile de faire fonctionner l'AG efficacement : « L'expression se réduit souvent à

quelques ténors ou s'allonge en discussions interminables. Les décisions importantes sont

alors renvoyées soit à des commissions de spécialistes ou de permanents plus au courant

des affaires, soit à des tendances militantes de partis ou de syndicats qui s'efforcent de tout

régler dans les coulisses de la grande scène collective. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983 : 220)

Elle finit par être épuisante pour tous, amenant les chefs charismatiques à prendre la parole

et à s'affronter devant une masse passive. « Plus le collectif fonctionne longtemps, plus il36

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tend ainsi à faire émerger des solidarités opposées dont le résultat est soit d'augmenter le

pouvoir des hiérarchies technocratiques, soit de forcer à recourir à l'arbitrage tout-puissant

des appareils syndicaux ou politiques; en d'autres termes à en revenir à une base contrôlée

par une sorte d'élite de délégués militants. » (Sainsaulieu et Tixier, 1983 :220-221)

L'élargissement des comités et autres instances fait qu'on est finalement plus ou moins sûr

du pouvoir des instances officielles : « Si les assemblées offrent théoriquement le droit à la

parole, s'y faire enntendre (sic) peut relever d'une épreuve de force. » (Sainsaulieu et Tixier,

1983 :264)

2.4. Les études sur l'engagement au travail

Avec toutes les difficultés inhérentes aux mouvements coopératifs, il apparaît intéressant

d'étudier l'engagement des travailleurs du milieu coopératif. En étudiant leur implication et

leur engagement, je crois être en mesure de voir si les travailleurs s'enferment dans un vase

clos de différence, ou s'ils s'impliquent en dehors de leur coopérative, dans différents

projets susceptibles d'amener une parcelle de changement social.

Les recherches sur le modèle coopératif traitent cependant très peu de l'engagement. Pour

comprendre l'engagement, il faut entrer dans le bénévolat et le don de soi. L'engagement

est, selon Donzelot, « ce par quoi chacun est sollicité pour devenir producteur de lien

social » (Citation dans Fortin et al., 2007 : 45). Le récit des bénévoles se fait par point de

rupture et de continuité dans leur pratique. Dans le premier cas, le bénévole affirme sa

singularité. Il rompt avec le groupe ou sa situation passée. Le bénévolat est le signe du

changement et permet de vivre plus conformément à ses valeurs. La rupture est voulue, et

n'est pas subie. Dans d'autres cas, l'individu recherche de la sociabilité. Il s'engage pour

trouver des pairs ou un groupe semblable. La rupture signe la perte de son réseau. Ici, sa

singularité se trouve dans l'appartenance à une collectivité : « Le but de l'engagement est

d'abord la recherche d'un groupe avant l'affirmation de sa singularité, même si celle-ci

trouve ainsi le moyen de s'exprimer. » (Fortin et al., 2007 : 50) Ensuite, l'individu peut

s'engager dans la finalité de l'organisation, pour contribuer à une cause. Dans ce cas-ci, le

bénévolat est au service d'un idéal de valeur. Dans ces cas, la personne va souvent avoir de

nombreux engagements depuis longtemps. La communauté est présente, mais plus large. Il

s'agit de la communauté humaine. Finalement, l'individu peut s'impliquer envers des autrui

significatifs. Son engagement sert de prolongement à ses rôles sociaux. Lorsqu'on parle37

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d'engagement, il faut d'abord questionner et demander pour qui on le fait (Fortin et al.,

2007).

Bien que l’engagement provienne de l’individu, les organisations peuvent avoir recours à

des pratiques pour amener les individus à s'engager. Joule et Beauvois (2006) affirment que

la stratégie est de créer les conditions pour amener de nouveaux comportements. Un

engagement réel ne peut être amené par un élément externe. Par exemple, si un individu

accepte de faire quelque chose en raison de la rémunération, il sera moins engagé que

quelqu'un qui le fait sans rémunération. « L'engagement correspond, dans une situation

donnée, aux conditions dans lesquelles la réalisation d'un acte ne peut être imputable qu'à

celui qui l'a réalisé. » (Joule et Beauvois, 2006 : 60) Le fait d'avoir des récompenses

désengage les individus. Ainsi, selon eux, les bénévoles seraient plus dévoués. Lorsqu'on

est vraiment engagé, on l'exprime par des justifications d'ordre interne (par exemple, être

bon pour le faire) plutôt que d'ordre externe (comme une rémunération). Mais, pour

s'attribuer des raisons internes, il doit y avoir un contexte de liberté. Si on le fait par

soumission, on ne va pas chercher une raison d'ordre interne. Ainsi, si récompense il y a,

elle doit venir après coup, lorsque la personne est déjà engagée dans le projet. Si elle arrive

au moment où l'on s'y attend le moins, alors elle ne désengagera pas, mais elle va renforcer

l'engagement. Ainsi, « Partir du principe que les personnes travaillent essentiellement pour

de l'argent, ou pour une quelconque récompense externe, peut se révéler particulièrement

réducteur et toute politique allant dans ce sens échoue dans l'obtention d'une plus grande

implication » (Neveu dans Neveu et Thévenet, 2002 : 32). Le danger serait ici que le salarié

soit plus motivé par la récompense que par la qualité du travail.

Pour adhérer à un groupe, être membre n'est pas suffisant. Il faut aussi y participer (Orfali,

2010). Les organisations utilisent d'ailleurs des techniques pour amener cette participation :

« L'offre d'engagement des organisations est précisément cette offre à devenir acteur, c'est-

à-dire à devenir celui qui peut agir sur des incertitudes de l'organisation » (Giraud, 2011 :

152). Lorsqu'on adhère à un groupe, l'engagement se fait vis-à-vis des autres membres du

groupe. L'engagement peut aussi venir modifier les influences de l'individu. Ainsi, « si

l'engagement dans un acte non problématique ne modifie pas toujours les attitudes reliées à

cet acte, il les rend, en revanche, systématiquement plus résistantes aux influences et donc

aux possibilités de changements ultérieurs » (Joule et Beauvois, 2002 : 89). Joule et

Beauvois donnent l'exemple d'un homme raciste qui signe une pétition raciste. Le fait38

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d'avoir signé la pétition ne le rend pas plus raciste, mais va le rendre plus résistant au

discours antiraciste. La nouvelle action fait qu'il est encore plus engagé qu'au départ.

L'engagement peut se perpétuer autant par fidélité à la cause, aux personnes qui y sont

associées, à la loyauté envers l'organisation ou par loyauté envers l'engagement lui-même

(Giraud, 2011). Par exemple, on peut rester dans l'organisation même si des décisions ne

nous plaisent pas. Parfois, on va refuser des rivalités dans le but de rester en communauté.

Ce n'est pas le signe d'une absence d'engagement, mais d'un engagement masqué, qui se fait

pour la communauté (Giraud, 2011).

2.4.1. Le post-fordisme et le contrôle des attitudes

Très peu de sociologues du travail se sont intéressés au travail dans les coopératives, et

encore moins au Québec. La sociologie du travail a cependant fait ses marques et montre

l'importance qu'a prise, au fil des transformations de l'entreprise, l'idée d'accomplissement

de soi par le travail (Durand, 2004; Giraud, 2011) et la nécessité que le travail ait un sens

(Ughetto, 2005; Autissier et Wacheux, 2007; Mercure et Vultur, 2010). Ce qui est appelé le

Nouveau modèle productif (NMP) amène une évaluation constante des salariés. On évalue

autant le respect des normes managériales que la capacité à coopérer. En général, le salarié

n'est plus rémunéré selon ses qualifications, mais bien selon ses compétences : « la

compétence est spécifique à une entreprise, tandis que la qualification est un ensemble de

ressources mobilisables dans une diversité de situations » (Durand, 2004:113). Dans

l'ensemble des compétences évaluées, on retrouve aussi l'attitude de l'individu, puisque

l'entreprise évalue à la fois les savoir-faire et les savoir-être : « L'employeur ne rémunère

plus le poste, ou, pour être plus précis, il ne rémunère plus de la même façon tous les

salariés occupant le même poste : il rémunère chaque individu selon la manière dont il tient

le poste. » (Durand, 2004 : 114) On s'assure de la diversité des compétences d'un individu

par l'évaluation.

Ce modèle vient donner une place des plus importantes à l'individu par les multiples

évaluations. Ces évaluations vont aussi toucher aux attitudes des salariés. L'employeur à un

désir de contrôler l'attitude et le comportement de l'employé (Durand, 2004). Ainsi,

l'implication de l'ouvrier dans l'entreprise est mesurée par son comportement. On regarde

s'il fait preuve d'initiative ou attend des ordres, s'il accepte un travail flexible et du temps

supplémentaire, etc.

39

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Ces évaluations comportementales visent l'épanouissement des individus au travail en

sollicitant l'initiative, la créativité et l'autonomie. Mais, contrairement au taylorisme, le

bienfait est purement subjectif puisqu'il n'engendre pas d'augmentation de salaire. On

n'engage plus uniquement un employé, mais l'entièreté d'un individu. Son travail fait ici

partie de sa vie et est utilisé dans un désir d'accomplissement de soi, et non plus dans un but

de survivance. Durand note d'ailleurs que le travail, bien que plus difficile, est plus

plaisant : « La grande majorité de ceux qui disposent d'un emploi (stable ou précaire)

travaillent plus dur qu'hier, soit à travers un alourdissement de la charge de travail, soit à

travers un allongement de la durée du travail, mais se déclarent en général plus satisfaits

qu'autrefois par leur travail. » (Durand, 2004 : 16-17) Le NMP amène une intégration de

plus en plus forte des compétences humaines dans le travail. Pour son fonctionnement, une

forte implication subjective au travail et une autonomie responsable de la part des employés

sont nécessaires (Mercure et Vultur, 2010). Pour ce faire, il y a multiplication des occasions

d'apprentissage et de transfert des connaissances. L'implication subjective au travail et

l'autonomie responsable sont conjuguées à un fort engagement envers l'entreprise.

Dans le NMP, on voit de plus en plus de travail atypique10, et l'horaire de travail est souvent

allongé. Les horaires de travail au Québec ont de plus en plus tendance à s'éloigner de

l'horaire normal de jour (Mecure et Vultur, 2010), ce qui est lié à l'augmentation de l'horaire

rotatif (alternance des horaires de jour, de soir et de nuit et des horaires irréguliers, donc

continuellement modifiés). On voit une emprise accrue du travail sur le temps de la vie à

l'extérieur du travail. Les pressions temporelles font que le travail se poursuit souvent à

domicile. Mercure et Vultur parlent d'une disparition des frontières de temps et d'espace

séparant le travail des autres sphères de la vie. Les personnes devant concilier le travail et la

famille sont cependant plus critiques des normes faisant appel à un investissement élevé en

ressources personnelles aux fins du travail (Mercure et Vultur, 2010). Pour ce qui est du

travail atypique, il comporte des avantages pour plusieurs travailleurs, puisque cela facilite

la conciliation travail-famille. Ce type de travail correspond aux valeurs partagées par

certains travailleurs, qui recherchent une autonomie dans l'aménagement du temps de

10 Mercure et Vultur (2010) donnent cette définition de l'emploi atypique : « Par emploi atypique, nous entendons des emplois associés aux statuts qui ne correspondent pas à la définition traditionnelle du salarié : une personne qui travaille pour un seul employeur dans une relation de subordination, sur les lieux de l'entreprise et pour une durée indéterminée. L'emploi atypique comprend donc le travail à temps partiel et à durée déterminée, le travail temporaire et occasionnel, le travail sur appel, parfois accompagné d'une astreinte, le travail obtenu par l'intermédiaire d'une agence de placement, de même que l'emploi à titre de travailleur indépendant ou autonome. » (p.36)

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travail. Les jeunes, par exemple, recherchent de plus en plus un emploi atypique, puisqu'ils

ne sont pas toujours intéressés par un travail permanent. Il s'agit d'une forme d'évitement

volontaire du travail salarié. Ils ont tendance à rechercher un autre mode de vie au travail,

avec une plus grande souplesse sur l'horaire de travail et le rythme de vie. Ils ont intériorisé

la carrière nomade. Ils attendent d'une entreprise qu'elle offre un environnement

professionnel riche en apprentissages. Cependant, même si certains occupent ces emplois

par choix, d'autres y sont contraints en raison des conditions du marché du travail et de la

volonté des employeurs (Mercure et Vultur, 2010).

Dans l'étude de Mercure et Vultur (2010), les catégories d'emplois les plus susceptibles de

vivre de l'insécurité économique et de se retrouver sans emploi sont celles qui classent le

plus le travail comme la valeur la plus importante. Pour les plus qualifiés, le travail est

identifié comme l'une des valeurs les plus importantes, mais elle n'est pas en première

position. Le travail est important comme gratification, pour le salaire ou la réalisation

personnelle. Mais d'autres espaces, comme la famille, viennent compléter la réalisation de

soi. Le travail a une valeur prépondérante pour la population active québécoise, mais n'est

généralement pas la priorité absolue. Il arrive généralement au 2e rang, après la vie de

couple et familiale, et est suivi d'assez près par les loisirs et les amis.

De plus, dans leur typologie des éthos du travail présents au Québec, Mercure et Vultur

présentent différents types qui tendent à se réaliser par le travail. D'abord, le

professionnaliste, qui utilise le travail pour son épanouissement personnel; ensuite

l'égotéliste, qui tente de se réaliser autant dans le travail que dans les autres sphères de sa

vie; et l'harmoniste, qui se sert du travail comme complément pour avoir de nouvelles

relations sociales. Cependant, la réalisation au travail n'est possible que pour les personnes

ayant un bon emploi qui permet cette réalisation. C'est d'ailleurs le problème de l'éthos de la

résignation :

Porteur d'une tendance culturelle qui fait appel à une forte expressivité danstoutes les sphères de l'existence, le résigné aspire à une plus grande cohérenceentre ses sphères de vie, sphères qui devraient s'imbriquer et concourir àl'expression et à la construction de son individualité. Les réalités structurellesdu marché du travail font toutefois que cette attente est une utopie, sesexigences d'expressivité ne pouvant être comblées par les emplois auxquels il aaccès. (Mercure et Vultur, 2010 : 172-173)

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Étant donné que sa quête de sens ne peut être comblée par sa situation professionnelle, il se

résigne à n'accorder qu'une finalité économique au travail. Mercure et Vultur (2010) notent

d'ailleurs un changement dans la vision du travail au Québec. On est passé d'une vision du

travail comme un devoir à une quête d'autoréalisation et de libre-choix. Ils notent que

« même pour les types d'éthos chez qui les finalités traditionnelles du travail sont les plus

fortes, ces significations prennent une coloration de plus en plus individualiste » (Mercure

et Vultur, 2010 : 220).

« [I]l y a remise en cause du paradigme taylorien de productivité, développement de la

polyvalence, stabilisation d'équipes autonomes de fabrication, intellectualisation de la

production, expérimentation de nouvelles techniques de mobilisation de la force de

travail. » (Thuderoz, 1995 : 328) Dans le NMP, l'entreprise redécouvre les vertus de la

participation des salariés. Cela est avantageux pour le management, car ça assure que les

employés honorent leur contrat au-delà du strict minimum : « Recourir à ces dispositifs,

c'est tenter de rendre mieux conforme la prestation salariale, en qualité, en intensité, en

conscience professionnelle ou en compétence, aux attentes du management. » (Thuderoz,

1995 : 331) L'engagement vise donc le dévouement des salariés et permet d'éviter la

contestation. Le paradoxe est cependant qu'au même moment où l'on favorise la

participation, on ferme des entreprises et on relocalise sans consultation : « C'est en effet au

moment où certaines entreprises s'offrent à devenir des "entreprises citoyennes" soucieuses

de leur environnement ou désireuses de conjuguer innovation et modernisation des relations

sociales que d'autres – ou les mêmes! – licencient brutalement leurs salariés, délocalisent

des productions, ferment des sites. » (Thuderoz, 1995 : 332) Selon Durand (2004), en

parlant en termes de projets, les entreprises font oublier aux salariés la relation de

subordination dans laquelle ils se trouvent. Ainsi, la relocalisation d'une usine apparaît

comme un nouveau projet plutôt que comme un choix capitaliste.

L'entreprise, dans ce nouveau modèle, apparaît comme une société en soi. Elle encourage

les projets et se pose à la fois comme système culturel, symbolique et imaginaire. Mais, en

même temps, la prise de décision locale disparaît et les impératifs deviennent

internationaux. Thuderoz parle d'un individualisme coopératif : « d'un côté, un

affaiblissement des anciennes formes de vie communautaire au profit d'une nouvelle

appartenance productive, autour de la technique, du produit et de sa qualité, de l'autre côté,

des aspirations fortes à la promotion individuelle, sur fond d'un surcroît de coopération42

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dans le travail » (Thuderoz, 1995 : 345). Dans ce modèle, les salariés disent qu'ils

travaillent en équipe, mais sont indifférents à quitter leurs compagnons de travail :

[T]out se passe comme si l'individu estimait que son devenir était désormaisdissocié de son ou de ses groupes d'appartenance, que sa relation au collectifétait devenue purement instrumentale et que la thématique du projet personnell'emportait sur celle de la volonté collective. […] Cet individualisme sera doncdit coopératif, car il mêle étroitement le souci de l'individu de se réaliser luimême […] et sa volonté d'agir, avec d'autres individus, pour réaliser un projet.(Thuderoz, 1995 : 346)

Dans la recherche de Thuderoz, sur les travailleurs de sites sidérurgiques et automobiles,

plus de la moitié des répondants considéraient que l'amélioration de leur sort dépendait

principalement de leurs efforts personnels, plutôt que de l'action syndicale. D'ailleurs, selon

Gautrat, les employés de l'entreprise d'aujourd'hui « sont persuadés, à tort ou à raison, que

la survie de leur entreprise dépend des prix de revient des produits qu'elle fabrique et que

l'obstacle à leurs revendications est bien davantage dû au marché qu'à la politique anti-

sociale des directions » (Gautrat dans Sainsaulieu , 1990 : 235).

Les actionnaires font croire aux salariés que la durée de leur emploi dépend de leur

efficacité. On fait du chantage sur la fermeture ou la vente d'un établissement ou d'une

filiale qui ne serait pas assez productives ou profitables. : « Ici, les managers et

l'encadrement jouent sur cette menace effective pour mieux mobiliser l'ensemble des

salariés, puisque tous sont "sur le même bateau". La seule issue pour ne pas couler et

disparaître est de faire mieux que l'unité concurrente, au grand bénéfice des principaux

actionnaires. » (Durand, 2004 : 107) Ainsi, l'atteinte des objectifs de l'entreprise ne permet

pas seulement une prime, mais elle permet de conserver son emploi. Comme la coopération

contribue à l'atteinte de ces objectifs, les employés sont forcés à coopérer. L'idée du

management participatif, en rompant avec le taylorisme, a créé du communautaire dans

l'entreprise à un niveau autre que celui du contre-pouvoir (Gautrat dans Sainsaulieu, 1990).

Lapointe et al. (2003) nous mettent cependant en garde : une plus grande participation dans

l'entreprise n'égale pas une démocratie salariale. L'entreprise conserve des inégalités dans

les droits et les pouvoirs dans les relations de travail : « Une tendance à la démocratisation

de l'entreprise signifierait une participation directe qui accorde aux travailleurs des pouvoirs

réels sur leur travail et une participation syndicale à la gestion, à la condition que le

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syndicat dispose d'un projet autonome et indépendant, de ressources internes et externes

fortes, d'une démocratie interne active et vivante. » (Lapointe et al., 2003 : 341)

2.4.2. Les études sur l'engagement dans le travail

Avant 1960, on étudiait peu l'engagement dans le milieu du travail, sauf en psychologie et

en sociologie (Klein et al. dans Klein, Becker et Meyer, 2013). Mais, dans ces deux

disciplines, il n'y avait pas de définition de l'engagement, puisque, selon Howard Becker,

elles n'en avaient pas besoin. L'intérêt de la sociologie et de la psychologie envers cet objet

d'étude était de voir comment les individus adhèrent à des actions collectives par leur

engagement dans des institutions sociales.

C'est dans les années 1960, jusqu'au début des années 1970, que l'engagement dans le

milieu du travail commence à avoir plus d'attention. Dans ces années, Becker publie une

étude sur la loyauté des employés. D'autres études se font sur les attitudes et le changement

d'attitude, et l'on voit des questionnements sur la manière que la perception de la

récompense et sa difficulté d'obtention influencent l'attachement à l'organisation (Klein et

al. dans Klein, Becker et Meyer, 2013). On commence à distinguer des types

d'engagements, et plusieurs auteurs font des typologies de types d'engagements.

Du début des années 1970 à la moitié des années 1980, on voit une continuité et une

nouvelle perspective basée sur une vue attitudinale de l'engagement : « The attitudinal

perspective focuses on how individuals identify or relate to the commitment target. » (Klein

et al. dans Klein, Becker et Meyer, 2013 : 6) On voit alors beaucoup d'études sur

l'engagement et l'intention de quitter des travailleurs.

De la moitié des années 1980 aux années 2000, les études portent leur attention sur la

compréhension de l'engagement selon plusieurs cibles. Au lieu d'étudier l'engagement

envers l'organisation, on étudie l'engagement envers une cible. La psychologie prend une

place plus grande dans cet objet d'étude; on laisse une plus grande place au rôle du cognitif

dans l'explication de la formation et de l'influence de l'engagement. En 1991, Meyer et

Allen présentent leurs trois types d'engagements (affectif, normatif, en continu). Les

recherches récentes visent une clarification et une intégration de ces types. On tente de

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distinguer et d'articuler les liens entre l'engagement et les construits qui y sont liés, comme

l'identification et la motivation.

Ce qu'on remarque, c'est que plusieurs auteurs voient l'engagement de différentes façons.

Certains, souvent en psychologie, le voient comme une attitude. Pourtant, « Being

committed to a target is distinct from the summary judgment of how favourable (or

unfavourable) one views that target. » (Klein et al. dans Klein, Becker et Meyer, 2013 : 9)

Un individu n'a pas besoin d'avoir une vision favorable d'une chose pour y être engagé.

D'autres voient l'engagement comme une force. Les antécédents de l'engagement créent de

la pression, qui lient l'individu à la cible. D'autres vont le voir comme un lien.

L'engagement serait un état psychologique reflétant la force de notre lien à la cible

d'engagement. Mais, les liens ne sont pas tous de l'engagement. Par exemple, l'attachement

à la cible est distinct de l'engagement. D'autres, dont Howard Becker, voient l'engagement

comme un investissement ou un échange. Il serait de nature économique, comportementale,

sociale ou une combinaison de tout cela. Cependant, pour Klein et al., l'investissement ou

l'échange sont des antécédents de l'engagement, dans le sens qu'ils amènent de

l'engagement, mais ce n'est pas de l'engagement en soi. D'autres chercheurs le voient

comme une identification, c'est-à-dire l'identification d'un individu à une organisation.

D'autres le voient comme une congruence entre les buts ou les valeurs de l'individu et de la

cible de l'engagement. Ceci ressemble plus à un antécédent de l'engagement, comme pour

l'identification. Il est possible d'être engagé sans qu'il y ait de concordance entre les valeurs

et les buts. Cela facilite l'engagement, mais ce n'est pas une condition nécessaire. D'autres

voient l'engagement comme une motivation : « Motivation is typically defined as a set of

internal and external forces that initiate behaviour and determine its form, direction,

intensity, and duration. » (Klein et al. dans Klein, Becker et Meyer, 2013 : 15) Comme

l'engagement est parfois vu comme une force, sa démarcation d'avec la motivation n'est

souvent pas claire. La motivation est un résultat de l'engagement, mais pas l'engagement en

soi. Quelqu'un peut être très engagé, mais peu motivé. D'autres voient l'engagement en

continu, c'est-à-dire le désir ou l'intention de continuer, ou un non-désir de sortir de la cible.

Par exemple, une étude de ce type définirait l'engagement comme le désir de vouloir

demeurer membre de l'organisation. Pourtant, le désir de rester est un résultat de

l'engagement, et non pas un élément de celui-ci.

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Les différents chercheurs ont une vision différente de ce qu'est l'engagement. Comme les

entreprises ne recherchent plus d'employés qui passeraient leur vie dans la même entreprise,

on ne peut plus s'attendre à ce qu'un employé soit engagé à long terme envers une

entreprise. Des études montraient que pour que les employés soient engagés envers

l'organisation, l'organisation devait s'engager envers eux (Meyer dans Klein, Becker et

Meyer, 2013). À la fin des années 1990, on pense que l'engagement des employés est mort.

Mais, un tel changement dans les entreprises ne peut se faire sans l'engagement des

employés. Le changement organisationnel a le potentiel de réduire l'engagement, mais il a

besoin de l'engagement pour s'implanter. L'engagement n'est donc pas mort ou malade, il

apparaît sous différentes formes. Il réside dans l'individu. C'est « an internal force (mindset)

that binds an individual to a target (social or nonsocial) and/or to a course of action of

relevance to that target. » (Meyer dans Klein, Becker et Meyer, 2013 : 40) Il peut être

influencé par des facteurs internes (comme la personnalité, les valeurs) ou externes

(normes, expériences de travail). Cette force est expérimentée comme un état d'esprit

conscient : « This mindset can be one of desire (affective commitment), obligation

(normative commitment), perceived cost (continuance commitment), or some combination

of these. The nature of the mindset has important implications for the quality of the

relationship with a target and/or of the ensuing behaviour. » (Meyer dans Klein, Becker et

Meyer, 2013 : 39) Par exemple, l'engagement est de meilleure qualité quand les parties

s'engagent les unes envers les autres par un désir plutôt que par une obligation ou la peur de

ce qu'elles pourraient perdre. Un individu devrait avoir plus envie d'aller au-delà du terme

spécifique d'un engagement quand il choisit librement un champ d'action que lorsqu'il sent

de la pression ou se sent piégé. Même si l'état d'esprit est conscient, il peut y avoir des

influences inconscientes pour justifier des décisions passées ou pour maintenir une image

de soi stable, par exemple. Mais l'attitude est compatible avec le comportement. Elle est

considérée comme une manifestation de l'état d'esprit de l'engagement.

Pour Meyer, l'engagement est une force qui lie quelqu'un à une cible. On ne peut arriver à

le mesurer en raison de sa complexité, et il ne faut pas se limiter à ne mesurer que les états

d'esprit. Pour d’autres auteurs, on peut et on doit mesurer la force de l'engagement. Celle-ci

se voit dans le sens du devoir et les obligations. Mais, pour Meyer, le sens du devoir et les

obligations sont un reflet de l'état d'esprit. Au final, l'essence de l'engagement reste un trou

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noir. Il s'agit d'un objet qu'on ne peut mesurer directement, mais seulement indirectement

via des états d'esprit.

Malgré les multiples perspectives où l'engagement a été étudié, il reste un seul et unique

concept : l'engagement : « commitment, whether defined as a bond or a force, is a

unidimensionnal concept that can result from and be shaped by multiple factors, be directed

at multiple targets, and be experienced in multiple ways (e.g. different mindsets) with

different consequences. » (Klein, Becker et Meyer, 2013 : 429) Même si son noyau est

unidimensionnel, plusieurs aspects du phénomène sont multidimensionnels. Certains ont

tenté de mettre des variables en relation avec l'engagement, dont l'âge, le genre et

l'éducation, mais leur corrélation s'est toujours montrée faible ou inconsistante. Il manque

cependant de recherches qualitatives pour voir ce que l'engagement signifie dans une

culture.

Dans le post-fordisme, l'engagement au travail se fait en complément de celui-ci. Il s'agit de

préparer les réunions, de préparer ses propres évaluations, bref de tout ce qui déborde du

temps de travail rémunéré. Pour que l'individu s'engage, le travail doit avoir un sens pour

lui. Lorsque l'emploi amène trop de pression pour de la rapidité, « [l']impression est de ne

plus y trouver personnellement de sens à investir et de voir les finalités de l'activité se vider

de leur contenu pour se réduire à l'intérêt du seul employeur » (Ughetto, 2005 : 141). Pour

Meyer et Allen, un employé engagé correspond à « one who stays with the organization

through thick and then, attends work regularly, puts in a full day (and maybe more),

protects company assets, shares company goals, and so on » (Meyer et Allen, 1997 : 3).

On peut penser qu'un individu est engagé, alors qu'il ne l'est pas vraiment. Par exemple, si

un jeune employé obtient rapidement des promotions, mais qu'ensuite il stagne, il est

engagé puisqu'il ne quitte pas l'entreprise, mais il ne le fait pas nécessairement pour

l'entreprise, mais parce qu'il n'aurait pas ce qu'il a déjà gagné ailleurs. C'est pourquoi il faut

étudier l'engagement selon ses différentes entités. Meyer et Allen divisent l'engagement

attitudinal et comportemental. Il est important d'étudier l'attitude, puisque les intentions de

l'individu influent sur son comportement. Ainsi, un individu qui a l'intention de quitter une

entreprise va moins s'impliquer envers celle-ci que quelqu'un qui désire y rester

(Koslowsky, 1991). On ne peut étudier l'engagement des personnes sans prendre en compte

leurs intentions.

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Dans un contrat, selon Giraud (2011), la seule forme d'engagement est la soumission.

Cependant, dans un contrat de travail, il est possible de résister par l'absentéisme ou autre.

Ainsi, le travail est plus que de la soumission volontaire. L'engagement peut être implicite,

comme lorsqu'une personne fait la même chose chaque jour. Lorsqu'elle cesse de le faire,

l'engagement est rompu. L'engagement, dans ce cas-ci, se construit sous forme de routine :

« L'engagement n'a pas besoin d'avoir été dit pour exister et être opposable à celui qui est

alors perçu comme quelqu'un qui se défausse, qui fait défection, qui trahit. » (Giraud,

2011 : 74)

Dans la branche de la psychologie du travail, les auteurs vont s'intéresser aux attitudes des

individus qui favorisent la citoyenneté organisationnelle. L'individu qui fait preuve de

citoyenneté organisationnelle est engagé dans l'organisation; il est satisfait de son travail et

s'implique dans son groupe de travail. L’individu faisant preuve d'entraide : « désigne chez

une personne la volonté d'assister les membres de son organisation lorsque ceux-ci

rencontrent des difficultés ponctuelles dans leur activité professionnelle » (Paillé, 2008a :

146). Cet individu fait preuve d'esprit d'équipe; ce qui correspond à « la volonté d'une

personne de ne pas se plaindre en tolérant les inconvénients et les abus inévitables générés

dans l'exercice d'une activité professionnelle » (Podsakoff, 2000 cité dans Paillé, 2008a :

146). Dans cette lignée, l'engagement peut se faire envers de multiples cibles, dont le

groupe de travail, le supérieur, les valeurs du groupe, etc. L'implication au travail est ici « la

manière dont un employé considère son activité professionnelle comme une dimension

importante pour lui et qui contribue à donner du sens à son existence » (Paillé, 2008a :

147). Un individu qui s'implique dans son travail va effectuer la tâche avec soin et va

intervenir rapidement en cas d'imprévu. Il va fournir un effort pour la qualité et la

productivité, tout en ayant un intérêt au travail.

Il existe plusieurs dimensions différentes à la citoyenneté organisationnelle. Organ (1988

présenté dans Jena et Goswami, 2014) en voit cinq. D'abord, il y a l'altruisme, qui est le fait

d'aider les autres avec le travail. Ensuite la courtoisie, qui est le fait d'aider à prévenir un

problème relié au travail. Il y a aussi l'esprit sportif, qui est de tolérer les inconvénients

inévitables et ce qui est imposé au travail sans se plaindre et remplir un grief. Il y a ensuite

la vertu civique, qui est la participation responsable dans le processus politique de

l'organisation (comme la participation aux réunions). Finalement, il y a la conscience, qui

est d'aller au-delà du minimum requis dans le rôle qui est attribué à l'individu au sein de48

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l'organisation. Pour avoir une bonne citoyenneté organisationnelle, il faut avoir une vision

plus collective et mettre du temps à aider les autres plutôt que se concentrer uniquement sur

ses objectifs personnels.

Comme l'engagement est lié au système de valeurs acquis lors du processus de

socialisation, il est nécessaire d'étudier la place que prend le travail pour la personne ciblée

(Gadbois, 1973). L'engagement affectif est « le fait pour une personne de s'identifier aux

valeurs de son organisation, de faire des efforts importants dans son travail pour contribuer

à sa réussite et enfin de vouloir en rester membre » (Paillé, 2008b : 26). Ainsi, un individu

qui a un attachement émotionnel envers son organisation va être engagé, puisqu'il s'identifie

à cette organisation.

Dans la branche de la sociologie du travail, les auteurs vont plutôt tenter de trouver ce qui,

dans l'organisation, amène l'individu à s'impliquer. Une personne impliquée ne correspond

pas nécessairement à l'idéal que l'entreprise se fait de l'implication : « Les personnes

impliquées sont celles qui posent des questions, voire contestent fortement ce qui se passe.

Cet engagement n'est pas de la discipline ou de la soumission aux règles […] » (Thévenet

dans Neveu et Thévenet, 2002 : 11). L'implication ne peut résulter de l'entreprise : « Seules

les personnes peuvent s'impliquer. La seule chose que l'entreprise peut faire, c'est satisfaire

aux conditions nécessaires de l'implication mais il dépendra toujours des personnes qu'elles

soient suffisantes. » (Thévenet dans Neveu et Thévenet , 2002 : 12) Pour faciliter

l'implication, les actions de l'entreprise doivent être cohérentes, elle doit s'engager vis-à-vis

de l'individu et permettre aux employés de considérer l'entreprise comme la leur. En ce

sens, l'implication n'est pas de la satisfaction puisque les choix cohérents n'amènent pas

toujours de la satisfaction. Ainsi, « une personne très impliquée dans son poste a plus de

chances d'être soit très satisfaite, soit très insatisfaite (en fonction de son degré de réussite),

alors qu'une personne non impliquée est susceptible d'avoir des réactions émotionnelles

moins extrêmes vis à vis des mêmes expériences de travail » (Peyrat-Guillard dans Neveu

et Thévenet, 2002 : 87).

Le problème des études sur l'engagement et l'implication sont la redondance des termes

utilisés (Charles-Pauvers et Peyrat-Guillard, 2012). Différents concepts, selon les auteurs,

renvoient à la même dimension. Pour cette raison, il est difficile de lier ensemble

différentes recherches touchant à l'implication ou à l'engagement au travail. Certains

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auteurs ont tenté de venir à bout de cette redondance en créant de nouveaux instruments et

de nouvelles définitions, mais comme les autres études ne vont pas nécessairement dans ce

sens, la redondance perdure. Certains auteurs laissent tomber des éléments, d'autres en

rajoutent. Certains vont même utiliser un même terme (celui d'attitude par exemple) pour

refléter des choses différentes (Charles-Pauvers et Peyrat-Guillard, 2012). Neveu a proposé

de distinguer l'implication et l'engagement, mais d'autres auteurs, comme Morrow, ont tout

intégré dans le concept d'implication. D'autres recherches vont utiliser le concept

d'engagement organisationnel pour faire référence aux mêmes éléments que Morrow

(Charles-Pauvers et Peyrat-Guillard, 2012). Cela oblige les auteurs travaillant sur

l'implication (ou l'engagement) à justifier leur terminologie et à délimiter ce qu'ils utilisent

dans ces concepts. Lapalme et Doucet (2004) ont d'ailleurs remarqué que plusieurs auteurs

ne prennent pas la peine de préciser ce qui entre et n'entre pas dans leurs différentes cibles.

2.5. Comment appréhender l'engagement dans le milieu coopératif?

Ainsi, le concept d'engagement correspond à différents éléments selon les recherches.

Comme le disait Becker « [c]e concept a été appréhendé de façon rudimentaire, utilisé

selon les besoins, sans explication ni examen de ses caractéristiques ou de ce à quoi il fait

référence. Comme il en est souvent ainsi avec les concepts non analysés, utilisés selon

l'envie, il recouvre un large panel de significations, laissant la porte ouverte aux

ambiguïtés. » (Becker, 2006 : 2) Dans les études sur le travail, l'engagement correspond au

fait de s'installer dans une carrière et d'y rester. Dans la sphère de l'économie sociale,

l'implication au travail est définie comme un accès, pour les salariés, à l'information, la

consultation et la participation (Zago-Kach, 2004). Dans ce cas-ci, le fait de participer

correspond à la capacité d'influence sur l'administration, que ce soit en recommandant des

gens pour l'élection ou en désignant des membres.

La plupart des chercheurs sur le travail utilisent les termes d'engagement et d'implication11

comme des synonymes (Charles-Pauvers et Commeiras dans Neveu et Thévenet, 2002).

Pour ma part, j'apporte une distinction entre les deux termes en me basant sur quelques

travaux. Je définis l'implication par l'action que les individus entreprennent (Neveu et

Thévenet, 2002) envers un objectif ou un projet dicté par l'organisation. Cette action peut à11 Il en est de même en anglais, où la plupart des auteurs vont à la fois parler d'«involvement» et de

«commitment» comme désignant la même chose (Charles-Pauvers et Commeiras dans Neveu et Thévenet,2002)

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la fois être délibérée, ou être contrainte, comme lorsqu'on parle d'implication contrainte

(Durand, 2004). En comparaison, l'engagement renvoie à une forme d'identification de

l'individu (Joule et Beauvois, 2006; Giraud, 2011). Il ne peut être basé sur une rémunération

incitant à commettre un acte, car il est intériorisé par l'individu (Neveu dans Neveu et

Thévenet , 2002). Celui-ci est engagé dans ce qu'il entreprend lorsqu'il y croit, même s'il ne

l'est que de manière ponctuelle et que cet engagement ne durera pas (Giraud, 2011). Par

exemple, dans le cas des coopératives, un individu peut être engagé dans l'idée d'une plus

grande démocratisation du pouvoir, mais ne pas s'impliquer dans un projet allant dans ce

sens. En contrepartie, un individu peut s'impliquer sur un CA alors qu'il n'en a pas vraiment

envie. Il est alors impliqué dans sa coopérative, mais peut ne pas réellement s'engager dans

son implication, qu'il voit comme une contrainte. S'il est engagé, alors l'individu croit en ce

qu'il fait et ne le justifie pas par des éléments externes (Joule et Beauvois, 2006).

Les études sur le travail relatent différentes échelles d'implications et d'engagements des

travailleurs (Charles-Pauvers et Commeiras dans Neveu et Thévenet, 2002) avec des cibles

différentes. Ces échelles sont construites dans le but de voir si les travailleurs sont

impliqués dans les projets de la direction (Charles-Pauvers et Commeiras dans Neveu et

Thévenet, 2002). Or, dans le cas du milieu coopératif, la structure de pouvoir est différente

et les objectifs sont décidés collectivement (Favreau, 2010); on y vise, le plus possible, à

respecter la marge d'autonomie et les projets individuels dans l'entreprise (Sainsaulieu et

Tixier, 1983). J'effectuerai donc une recherche plus exploratoire dans le but de laisser la

porte ouverte à des éléments de l'implication et de l'engagement pouvant être important

pour le milieu coopératif, mais que les différentes échelles ne prennent pas en compte.

Les études sur l'engagement au travail font aussi état de l'engagement envers l'organisation,

qui serait distinct de l'engagement envers les valeurs, les politiques et les objectifs

spécifiques d'une organisation (Klein et al. dans Klein, Becker et Meyer, 2013). Les

premiers intérêts d'étudier l'engagement au niveau organisationnel sont apparus en raison de

la détérioration de la relation employeur-employé et de l'augmentation du turn-over (Meyer

dans Klein, Becker et Meyer, 2013). Les chercheurs cherchaient alors des solutions à ces

problèmes. Mowday et al. (1982, présenté dans Meyer, 2013) montrent qu'en plus de rester

dans l'entreprise, les employés engagés ont plus de chance de partager les buts et les valeurs

de l'organisation et d'effectuer des efforts dans l'intérêt de l'organisation. L'intérêt de

l'engagement pour ces chercheurs était qu'il amenait un taux plus bas de turnover et un51

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degré plus haut d'effort et de performance, ce qui contribue à l'efficacité de l'organisation.

Le danger pour l'engagement organisationnel est cependant que les organisations sont

moins capables, ou veulent moins, apporter de soutien que dans le passé : « In their efforts

to cut costs, increase flexibility, and improve efficiencies, organizations have cut jobs,

increased workloads, and made other changes that undermine the trust to maintain

reciprocal commitment from employees. » (Meyer dans Klein, Becker et Meyer, 2013 : 42)

Même quand l'entreprise va bien, des postes peuvent être supprimés. Cela réduit

l'engagement en raison de l'environnement de travail qui reste incertain. La perception

d'une injustice dans le travail peut amener une perte d'engagement. À l'opposé, les

employés dont les valeurs sont compatibles avec l'organisation développent un plus fort

engagement que ceux dont les valeurs entrent en conflit. En ce sens, tout changement

venant changer le noyau des valeurs de l'organisation a la possibilité de réduire

l'engagement des employés. Dans le milieu coopératif, où les valeurs et les orientations sont

décidées collectivement, on peut supposer que l'engagement envers l'organisation est plus

ferme.

D'autres chercheurs parlent aussi de l'engagement envers une action, qui diffère des autres

types d'engagements. Il ne se fait pas envers une organisation ou une personne en

particulier. Selon Neubert et Wu (Klein, Becker et Meyer, 2013), l'engagement envers

l'organisation risque de faire émerger un engagement envers les buts, le changement et les

normes. Mais, d'un autre côté, si l'on est engagé envers l'organisation, le changement dans

ses valeurs ou sa culture peut engendrer un faible engagement. L'engagement envers une

action amène une intention d'agir. Ces chercheurs la définissent comme « a bond to a

particular and identifiable action or the actions necessary to achieve a particular target. »

(Neubert et Wu dans Klein, Becker et Meyer, 2013 : 188) Il y en a quatre types :

Niveau de la cible

Individuelle De groupe/organisationnelle

Tangibilitéde la cible

Tangible Engagement envers les buts Engagement envers le changement

Intangible Engagement envers les valeurs Engagement envers les normes dugroupe

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Pour cette recherche, j'appliquerai la suggestion de Morrow (Lapalme et Doucet, 2004),

c'est-à-dire que je vais m'intéresser à l'engagement (et l'implication) en fonction de

différentes cibles pour faciliter l'analyse. Il existe plusieurs cibles à l'engagement dans le

travail, qui changent un peu selon les auteurs. Pour Meyer et Allen (1997), dont le modèle

semble le plus souvent utilisé, il existe l'engagement dans le groupe de travail, envers le

manager, dans l'occupation, dans la profession, dans la carrière et envers le syndicat. À cela

s'ajoute l'engagement en dehors du travail qui peut aussi venir jouer sur le comportement au

travail. Pour eux, l'étude de l'engagement est l'étude de l'engagement des employés envers

le top management. Pour y arriver, ils font un tableau.

Cible de l'engagementNature de l'engagement

Affective En continu Normative

Organisation

Top management

Unité de travail

Manager de l'unité

Groupe de travail

Team leader

Cette manière de faire est intéressante, mais dans la structure coopérative, le management

n'a pas la même place, puisque ce sont les membres qui décident des orientations. Ainsi,

pour avoir un schéma plus global pour le milieu coopératif, il est nécessaire de garder cette

relation avec le management, qui peut être tout aussi importante, mais aussi la relation avec

les membres ou le CA, qui risquent d'avoir un rôle beaucoup plus important que dans une

entreprise privée à but lucratif.

Il est cependant important de différencier les différentes natures de l'engagement. Meyer et

Allen les analysent selon l'intention de rester des salariés d'entreprise. La sphère affective

touche à la joie quant au fait de travailler pour l'organisation et le sentiment d'appartenance

de l'individu. Ainsi, l'individu reste parce qu'il se sent bien dans l'entreprise. Pour ce qui

touche l'engagement en continu, l'individu est engagé et reste dans l'entreprise puisqu'il

serait compliqué pour lui de la quitter. Ainsi, le sacrifice serait plus grand en quittant

l'organisation qu'en y restant. Finalement, l'engagement normatif correspond à ce qui a été

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intégré par l'individu. Dans ce cas-ci, l'individu reste dans l'organisation par loyauté envers

celle-ci. Pour bien comprendre l'engagement des travailleurs du milieu coopératif,

j'utiliserai le concept de Becker (2006). Il me sera nécessaire d'analyser le système de

valeurs des individus, dans le but de savoir quelle chose est désirée, et quelle perte leur fait

peur dans le but de voir l'autre côté de l'engagement, c'est-à-dire l'élément qui les incite à

rester dans ce cadre de valeurs. Becker donne l'exemple d'un musicien qui est reconnu

comme digne de confiance. Il accepte tous les contrats, à moins de ne pas être disponible.

Cela lui permet d'être rémunéré. Mais, avec le temps, il n'a plus besoin d'accepter tous les

contrats. Cependant, il continue à le faire pour ne pas perdre son titre de musicien digne de

confiance.

J'espère ainsi, par ce projet, pouvoir répondre à la question suivante : envers quoi les

travailleurs du milieu coopératif se sentent-ils engagés et s'impliquent-ils, et de quelle

manière cet engagement et cette implication ont-ils changé depuis leur embauche dans une

coopérative?

Cette question générale me permet d’aborder la sous-question suivante : est-ce que le fait

de travailler dans le milieu coopératif se traduit par d’autres formes d’engagements à

l’extérieur de l’entreprise coopérative?

Je serai ainsi capable de voir si les travailleurs s'impliquent au-delà de leur coopérative ou

si, comme bien des recherches le montrent, la plus grande coopération entre les acteurs et la

tentative de démocratisation se limitent à la structure interne de la coopérative (Sainsaulieu

et Tixier, 1983; Favreau, 2008). Comme on retrouve, dans les principes coopératifs,

l’intercoopération, l’éducation sur les avantages de la coopération et l’engagement envers la

communauté, l’engagement des travailleurs du milieu coopératif devrait avoir changé

depuis qu’ils sont partie prenante de ce modèle. C’est pourquoi j’accorde une importance à

la manière que l’engagement a évolué depuis leur embauche. Par le fait même, je serai en

mesure de vérifier si l'implication des travailleurs dans le milieu coopératif relève d'un

choix individuel, ou est une contrainte provenant de l'organisation. Je tenterai de discerner

si l'implication des travailleurs se fait dans un désir de l'individu de s'engager, ou provient

d'une contrainte du « management » coopératif.

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Chapitre 3 : Méthodologie

3.1. Échantillon

Pour arriver à répondre aux deux questions de recherche, douze entrevues semi-dirigées ont

été effectuées avec des travailleurs aux tâches et profils différents provenant de quatre

coopératives situées à Québec. Il s'agit de coopératives ayant un lieu de vente dans la

capitale, mais qui peuvent avoir des comptoirs à l'extérieur de la ville et leur siège social à

l'extérieur de Québec. Pour tenter d'avoir une vue d'ensemble avec uniquement quatre

coopératives, j'ai choisi des coopératives qui ont toutes comme particularité d'offrir leur

produit de vente dans un lien direct avec le client, mais qui fonctionnent sous des modèles

différents. J'ai donc effectué des entrevues semi-dirigées avec trois employés de chaque

coopérative, pour un total de douze entrevues. Pour choisir les coopératives, j'ai consulté le

répertoire des coopératives du gouvernement du Québec pour la Capitale-Nationale.12 J'ai

ensuite sélectionné les différentes coopératives qui pouvaient s'avérer intéressantes et qui

correspondaient aux critères déjà énumérés. J'ai ensuite visité les différents sites Internet de

ces coopératives pour m'assurer qu'elles se présentent publiquement comme des

coopératives, qu'elles sont bien en service et qu’elles possèdent un local. J'ai ainsi choisi

trois coopératives, en m'assurant qu'elles étaient de modèles différents. Une quatrième

coopérative a ensuite été choisie dans le but d’intégrer une organisation plus grande que les

trois premières coopératives.

La première coopérative choisie est la Coopérative des brasseurs professionnels de Saint-

Roch, plus connue sous le nom de la Barberie. Cette entreprise est une brasserie. En plus

d'embouteiller et de distribuer sa bière dans différents commerces, la coopérative tient

également un bar de dégustation. Elle fonctionne sous le mode d'une coopérative de travail

et a été ouverte en 199713, tout juste avant le changement de la loi sur les coopératives

(Lévesque, 2007). Il s'agit donc d'une coopérative née pendant une période de transition,

plus axée sur le modèle de l'autogestion que ses prédécesseures (Vaillancourt, 2008).

12 Ce répertoire est disponible à l'adresse suivante : http://www.economie.gouv.qc.ca/objectifs/informer/cooperatives/page/repertoires-9757/?tx_igaffichagepages_pi1%5Bmode%5D=single&tx_igaffichagepages_pi1%5BbackPid%5D=68&tx_igaffichagepages_pi1%5BcurrentCat%5D=

13 Leur date d'ouverture est indiquée sur leur site web au : http://www.labarberie.com/entreprise_presentation.php#.VOy9NfmG-QA

55

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Comme deuxième coopérative, j'ai choisi les librairies Pantoute, une librairie indépendante

possédant un point de vente dans le quartier Saint-Roch et un autre dans le Vieux-Québec.

Il s'agit d'une coopérative de travailleurs actionnaires. Cette librairie indépendante est

devenue une coopérative en 2014, lorsque les propriétaires ont vendu leur entreprise, qui a

été achetée par leurs employés.14 Ceux-ci sont maintenant actionnaires de l'entreprise et

gèrent leur bloc d'actions selon les principes d'une coopérative. La majorité des actions est

cependant entre les mains de deux personnes qui occupent la direction générale de la

coopérative. Contrairement aux autres coopératives de l'enquête, celle-ci n'a pas été fondée

sous le modèle coopératif, mais l'est devenue après un peu plus de quarante ans de

service.15 Ce modèle permet aux employés de travailler plus activement à la gestion de leur

entreprise, et notamment de se présenter au CA de la librairie. Son fonctionnement est un

peu plus complexe que celui d'une coopérative de travail comme la Barberie. Les membres

travailleurs de la librairie doivent, en AG, élire les membres du CA de la coopérative, qui

sont chargés de gérer la coopérative, ce qui comprend notamment le remboursement du prêt

qui a été obtenu pour permettre l'achat des actions. De plus, l'AG doit nommer des

représentants qui siègent au CA de la librairie, avec la direction générale et des

représentants des actionnaires externes de l'entreprise.

La troisième coopérative choisie est la Coop Zone, coopérative étudiante de l'Université

Laval.16 C'est une coopérative de consommation créée en 1987, dans le but d'offrir des

biens et des services d'ordre pédagogique, intellectuel et d'usage personnel sur le campus

universitaire. Son siège social est situé dans le pavillon Maurice-Pollack, sur le campus

universitaire. La Coop Zone possède aussi quatre autres points de vente. L'un est situé dans

le pavillon Ferdinand-Vandry (situé sur le campus universitaire). Un autre point de vente se

trouve dans le quartier Saint-Roch pour fournir du matériel d'artiste et informatique aux

étudiants en art à la Fabrique, un autre pavillon de l'Université Laval se trouvant à

l'extérieur du campus universitaire. La Coop Zone est aussi présente dans le Cégep

Limoilou, avec un point de vente au campus de Québec, et un autre au campus de

Charlesbourg. Cette coopérative a connu des difficultés financières au cours de son histoire.

Dans son histoire récente, elle a senti le besoin, lors de sa planification stratégique de 2009,

14 http://www.lapresse.ca/le-soleil/affaires/actualite-economique/201404/10/01-4756540-la-librairie- pantoute-vendue-a-ses-employes.php

15 Un bref historique est disponible sur leur site Internet dans la section «À propos» : http://www.librairiepantoute.com/tout-nouveau-tout-beau/

16 Un bref historique de la coop est disponible sur leur site web: https://www.zone.coop/la-cooperative.html56

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de diversifier ses activités en raison notamment de la forte concurrence dans le milieu du

livre et de la diminution de la vente des notes de cours en raison du virage numérique. Elle

a alors ouvert une filiale alimentaire : Zon'Orange.17 Ayant fait ses débuts en 2014,

Zon'Orange possède aujourd'hui deux cafétérias dans deux pavillons du campus de

l'Université Laval, deux autres cafétérias dans des écoles de la Commission scolaire des

Découvreurs et une dernière cafétéria dans le collège Mérici.

Finalement, une quatrième coopérative a été étudiée pour la recherche. Il s'agit du

Mountain Equipment Co-op (MEC), coopérative d'équipement de plein air canadienne. Ce

commerce est une grosse coopérative de consommation très centralisée. Bien qu'elle

possède plusieurs magasins partout au Canada, la totalité n'est enregistrée que sous une

coopérative, possédant des points de vente à différents endroits.18 Il s'agit d'une coopérative

qui n'est pas née au Québec, mais s'y est implantée plus tard, et, par sa centralisation, ne

permet pas vraiment une gestion locale. J'ai intégré cette coopérative à la recherche dans le

but de confronter les données à une vision plus large de la coopération. Il sera ainsi

intéressant de voir si l'engagement est le même dans une coopérative qui n'est pas

québécoise ou si l'engagement se fait sur des bases différentes.

Ces quatre coopératives me permettent d'avoir une image d'ensemble de l'implication et de

l'engagement des travailleurs du milieu coopératif. D'abord, il s'agit de coopératives de

tailles différentes. Comme petites coopératives, nous avons la Barberie et la librairie

Pantoute, comptant respectivement 20 et 30 employés environ. Nous avons aussi la Coop

Zone, de taille moyenne, qui compte 131 employés réguliers.19 Finalement, il y a le MEC,

avec 2 666 employés répartis partout au Canada.20 De plus, la recherche présente trois

différents modèles de coopératives : les coopératives de travail, de travailleurs actionnaires

et de consommation. Nous avons ainsi deux coopératives où les employés ont un certain

contrôle de leurs conditions de travail, et deux autres qui n'ont pas nécessairement ce17 L'information concernant Zon'Orange provient de son Site Internet : https://zonorange.ca/18 Pour bien comprendre la particularité du MEC, prenons l'exemple du Mouvement Desjardins ici au

Québec. Desjardins possède une multitude de caisses populaires, mais chaque caisse populaire est une coopérative différente, ayant ses propres membres et sa propre AG. L'ensemble de ces petites caisses coopératives est ensuite représenté nationalement par le Mouvement Desjardins, qui fédère les différentes caisses. Dans le cas de MEC, il s'agit d'une unique coopérative pancanadienne. Ainsi, le comptoir de ventede Québec n'est pas une coopérative en elle-même, et il n'existe qu'une seule AG pour l'ensemble des magasins MEC. Le magasin de Québec n'a pas sa propre AG, et les membres de Québec ne peuvent prendre de décision localement sur leur magasin.

19 Cette information provient directement du Site Internet de la coopérative : https://www.zone.coop/la-cooperative/a-propos-de-la-cooperative/structure.html

20 Cette information provient du rapport annuel 2017-2018 du MEC.57

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contrôle. Malheureusement, malgré le désir initial de cette enquête, aucune coopérative de

solidarité correspondant aux critères établis et souhaitant participer à l’enquête n’a été

trouvée.

Bien qu’une entrevue puisse prendre plusieurs formes, j’ai opté pour le modèle de

l’entretien semi-dirigé puisque cette manière de mener une entrevue implique un certain

nombre de thèmes préétablis qui sont abordés lors de l’entretien. Ce type d’entretien permet

donc de suivre un fil conducteur avec les participants, tout en leur laissant la possibilité

d’aborder des aspects qui n’apparaissent pas nécessairement dans le guide d’entretien.

L’entrevue semi-dirigée est donc plus enrichissante pour permettre de recueillir davantage

de profondeur permettant de mieux comprendre les manières et les justifications de

l’implication des travailleurs du mouvement coopératif.

3.2. Sollicitation des répondants

Avant de débuter la collecte de données, la direction de chacune des coopératives a été

contactée par téléphone. L'étude leur était présentée, et il leur a ensuite été demandé de

signer une autorisation de diffusion de l'annonce de recrutement.21 L'annonce de

recrutement22 était ensuite affichée dans la coopérative ou envoyée par courriel aux

employés si la direction avait une liste de diffusion interne. La très grande majorité des

répondants ont participé à l'enquête après avoir été sollicités par courriel. Pour d'autres

répondants, la sollicitation a eu lieu de la part d'un tiers, après qu'une connaissance leur ait

parlé de la recherche. Après un premier courriel de réponse à l’annonce de la part des

répondants, un deuxième courriel, expliquant plus en détail le déroulement de l'entrevue,

était envoyé, en spécifiant les possibilités pour une prise de rendez-vous. À tout moment

dans le processus, les répondants pouvaient décider d'annuler leur participation à l'enquête.

La sollicitation des répondants ainsi que la collecte des données ont eu lieu de février à

décembre 2016.

21 Pour un exemple de l’entente, voir l’annexe 1.22 Une copie de l’annonce de recrutement se trouve à l’annexe 2.

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3.3. Déroulement de l'entrevue 23

Les entrevues ont eu lieu en personne, dans le lieu choisi par les répondants. Ces entrevues

ont parfois eu lieu directement dans un local de la coopérative pour laquelle ils travaillent,

dans un local de l'Université Laval, dans un café ou au domicile du répondant. Comme il

s'agit d'une recherche qualitative, la plupart des questions étaient ouvertes, et il va de soi

que plus une personne avait de choses à dire sur son travail et sur son implication, plus

l'entrevue pouvait être longue. Cela fait en sorte que la durée de chaque entrevue varie

considérablement. L'entrevue la plus courte a duré environ 35 minutes, et la plus longue

entrevue a duré environ 1 heure 45 minutes.

Dans le but de cerner le plus possible tout ce qui peut toucher à l'implication et à

l'engagement des travailleurs du milieu coopératif, j'ai questionné les répondants à la fois

sur leur adhésion aux valeurs coopératives, sur leur embauche dans leur entreprise et

finalement sur leur travail.

Bien entendu, j'ai commencé les entrevues en présentant la recherche et en expliquant ses

objectifs. Je faisais ensuite signer le formulaire de consentement24, en précisant que leur

nom ne serait pas divulgué, et que l'enregistrement ne serait consulté que par moi. Je leur

rappelais ensuite que leur nom ne figurerait sur aucun document, et qu'ils étaient libres de

se retirer de l'enquête à tout moment. Mes premières questions portaient sur leur situation

professionnelle. Je leur demandais depuis quand ils travaillaient pour leur entreprise, et les

différents postes qu'ils y ont occupés. Je me suis ensuite informé à savoir s'ils y travaillaient

à temps plein ou partiel, et s’ils travaillaient autant qu’ils le souhaitaient à la coopérative. Je

leur posais ensuite une question qui est centrale à l’analyse de leur engagement :

percevaient-ils leur emploi pour la coopérative comme temporaire ou souhaitaient-ils y

faire carrière, et pour quelles raisons.

Une fois cette information obtenue, je les ai questionnés sur leur adhésion aux valeurs

coopératives dans le but de voir à quel point les différents principes relatifs au modèle

coopératif sont intériorisés par les travailleurs de ce milieu. De cette façon, j'entendais

dégager une part de leur engagement et de leur implication pour ce modèle. Cela m'a

permis de voir s'ils ont un attachement pour le modèle coopératif, ou uniquement pour

23 Le schéma d’entrevue se trouve à l’annexe 3.24 Pour un exemple du formulaire de consentement, voir l’annexe 4.

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l'entreprise, nonobstant cette appartenance au milieu coopératif. Je les questionnais d'abord

dans le but de connaître leur expérience du milieu coopératif avant leur embauche. Ensuite,

sur ce qui fait, selon eux, que l'entreprise pour laquelle ils travaillent est une coopérative.

J'ai ainsi pu voir s'ils connaissent les différents principes d'une coopérative. Je m'informais

ensuite à savoir la différence qu'il y a, selon eux, entre travailler pour une coopérative ou

une entreprise traditionnelle.

Ensuite, en les questionnant sur leur embauche, je visais à mieux comprendre comment une

coopérative sélectionne ses employés. Je les questionnais d'abord sur ce qui les a poussés à

postuler pour cet emploi, pour voir si le fait que l'entreprise était une coopérative avait une

incidence au départ. Ensuite, je les interrogeais sur le déroulement de leur embauche.

Comment s'est déroulée la formation? Est-ce que la coopérative mettait l’accent sur des

éléments différents d'une entreprise traditionnelle dans la sélection des employés; ont-ils eu

une période d'essai, de combien de temps ? Finalement, je leur demandais ce qui fait, selon

eux, qu'ils ont été choisis plutôt qu'un autre, dans le but de mieux cerner les critères de

sélection de la coopérative. Cela devait permettre de saisir si la coopérative sélectionne

davantage des personnes pour leur expérience dans le métier, ou pour leur expérience dans

la culture coopérative.

J'entrais ensuite plus précisément dans leur travail, en les questionnant sur ce qui a changé

chez eux depuis qu'ils travaillent pour une coopérative, notamment sur l'importance qu'ils

accordent à leur emploi en ce moment. Se sentent-ils plus soutenus? Est-ce qu'ils trouvent

que la culture au travail est différente? Est-ce que leur vision de ce qu'est une coopérative a

changé depuis qu'ils y travaillent?

Subséquemment, je les questionnais sur leur engagement et leur implication depuis qu'ils

travaillent pour leur coopérative. Je tentais de voir ce que leur groupe de travail,

l'organisation, le CA, les membres, le milieu coopératif, le milieu commercial et la

communauté locale représentaient pour eux. Ensuite, je les questionnais sur la manière dont

ils s'engagent envers ces différents acteurs. Ainsi, je tentais d'avoir un schéma d'ensemble

des profils de l'implication et de l'engagement des répondants et d’être capable d'observer

comment le fait de travailler dans une coopérative a fait évoluer leur engagement, ou (peut-

être) l'a fait naître.

60

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Finalement, je terminais l'entrevue sur quelques informations personnelles (âge, état

matrimonial, s'ils ont des enfants, leur revenu annuel, leur niveau de scolarité, etc.), puisque

ces données expliquent une partie des variations entre les répondants. Chaque entretien a

ensuite été retranscrit en attribuant un nom codé aux répondants.

3.4. Le corpus des répondants

Les données de la présente étude proviennent donc de 12 répondants, ayant travaillé dans

l'une des quatre coopératives à l'étude et ayant accepté de participer à l'enquête. Voici donc

leur description générale.

3.4.1. Mountain Equipment Co-op (MEC)

Les trois répondants du MEC sont deux travailleurs et une travailleuse, tous trois à temps

partiel. Ils travaillaient au MEC en même temps qu'ils poursuivaient leurs études. Ils étaient

tous déjà membres du MEC, en tant que consommateur, avant leur embauche. Les trois

avaient moins de 25 ans, étaient célibataires sans enfant, et avaient un salaire annuel de

moins de 15 000 $. Voici, plus en détail, la description de ces trois participants.

Charles25 était employé au MEC depuis quelques mois au moment de l'entrevue. Il occupait

le poste de conseiller au plancher et à l'entrepôt. Étudiant à la maîtrise, son emploi au MEC

permettait de couvrir ses dépenses. Comme autre source de revenus, Charles avait aussi des

contrats de recherche à l'Université. Malgré son affection pour MEC, il ne se voyait pas y

travailler à très long terme. Il aspirait plutôt à faire de la recherche dans son domaine

d'étude.

Annie travaillait au MEC depuis un peu plus de deux ans au moment de l'entrevue. Elle

était conseillère sur le plancher du magasin. Elle était étudiante au bac à temps plein au

moment de l'entrevue, et travaillait autour de 20 heures par semaine au MEC. Elle voyait

cet emploi comme temporaire. Pour elle, la souplesse que MEC permettait était parfaite

durant ses études, mais elle ne se voyait pas y travailler à plus long terme. Au moment de

l'entrevue, Annie avait déjà l'intention de quitter l'entreprise, puisqu'elle allait terminer ses

études et quitter la ville de Québec.

25 Tous les noms utilisés sont fictifs.61

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Le troisième répondant de cette coopérative, Étienne, était nouvellement embauché au

MEC depuis quelques semaines. Il était lui aussi conseiller sur le plancher. Il était étudiant

au bac à l'Université Laval et occupait un autre emploi dans le communautaire au moment

de l'entrevue. Il voyait ces deux emplois comme complémentaires, lui permettant de

combler, par le travail, deux de ses passions. Il ne se voyait pas faire carrière chez MEC,

mais se disait pouvoir y rester environ quelques années, pendant ses études.

3.4.2. La Barberie

Dans le cas de la Barberie, nous avons deux travailleuses et un travailleur. Les trois

employés travaillaient à temps plein au moment de l'entrevue, mais ils avaient une situation

d’emploi différente.

Simon travaillait à la Barberie depuis environ 5 ans au moment de l'entrevue. Il occupait le

poste de barman. Il était membre de la coopérative et siégeait au CA. Il travaillait à temps

plein à la Barberie, mais aurait aimé avoir plus d'heures de travail hors de la saison estivale.

Comme la Barberie offre moins de travail hors de la haute saison, il ne pouvait pas

travailler autant qu’il le souhaitait toute l’année malgré son statut de travailleur à temps

plein. Il n'avait pas d'autre emploi pour compenser ce manque au moment de l'entrevue. Il

disait qu’il aimerait continuer à travailler à long terme à la Barberie, mais que s'il n'arrivait

pas à avoir plus de travail, il se pourrait qu'il se tourne vers un autre domaine. Simon avait

entre 40 et 54 ans, était célibataire et n'avait pas d'enfant. Son salaire annuel était entre

15 001 $ et 30 000 $. Il détenait un DEC.

Au moment de l'entrevue, Laurence travaillait à la Barberie depuis quelques mois. Elle était

serveuse. Contrairement aux autres répondants de cette coopérative, elle n'était pas une

employée permanente, mais saisonnière. Elle avait été embauchée pour la période estivale,

où l'entreprise a un besoin plus grand de personnel. Son statut ne lui permettait pas d'être

membre de la Barberie, bien qu'elle y travaillait à temps plein. Pour obtenir cette

possibilité, elle devrait obtenir un poste permanent. Elle a dit être prête à travailler pour la

Barberie durant un autre été, mais elle ne se verrait pas y travailler à l'année. Laurence avait

entre 25 et 39 ans et était célibataire sans enfant. Elle détenait une maîtrise au moment de

l'entrevue et son salaire annuel était de moins de 15 000 $.

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Myriam travaillait au MEC depuis à peu près 8 ans au moment de l'entrevue. Elle y

occupait un poste de direction, et était à la fois serveuse. Ses années d'expérience dans la

coopérative l'ont amenée à effectuer plusieurs postes différents dans la gestion de la

coopérative. Elle souhaitait faire carrière à la Barberie. Myriam avait entre 25 et 39 ans au

moment de l'entrevue. Elle était célibataire et n'avait pas d'enfant. Elle détenait un bac et

avait un revenu annuel se situant entre 45 001 et 60 000 $.

3.4.3. La librairie Pantoute

Les trois répondants de la librairie Pantoute sont des hommes qui travaillent à temps plein

comme libraire. Les trois travaillent au magasin de la rue Saint-Jean. Ils ont tous été

embauchés avant que la librairie ne devienne une coopérative et sont membres de la

coopérative.

Denis travaille pour la librairie depuis plus de 15 ans. Il a travaillé la plus grande partie de

sa vie pour cette entreprise et souhaite y finir sa carrière. Il siégeait sur le CA de la

coopérative au moment de l'entrevue. Il avait entre 40 et 54 ans et était célibataire, sans

enfant. Il détenait un bac et avait un revenu annuel entre 30 001 $ et 45 000 $.

Marc travaillait pour Pantoute depuis un peu plus de 5 ans au moment de l'entrevue. Il ne

pensait pas terminer sa vie professionnelle à la librairie, mais souhaitait y rester encore

longtemps, puisque c'est un milieu de travail qu'il apprécie. Il avait entre 25 et 39 ans, était

célibataire et n'avait pas d'enfant. Il détenait un bac et avait un salaire annuel entre 15 001 $

et 30 000 $.

Guillaume travaillait lui aussi pour la librairie depuis plus de 5 ans. Il disait envisager de

plus en plus l'idée de passer sa vie professionnelle chez Pantoute. Ce travail le passionnait,

et à moins d'obtenir un poste en enseignement dans son domaine, il n'envisageait pas de

quitter l'entreprise. Il avait entre 25 et 39 ans, et était conjoint de fait au moment de

l'entrevue. Il n'avait pas d'enfant, et le revenu annuel de son ménage était entre 45 001 $ et

60 000 $. Guillaume détenait une maîtrise.

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3.4.4. La Coop Zone

Pour la Coop Zone, nous avons trois répondants, avec une situation d'emploi très différente.

L'un d'un à un poste de direction, un autre est à temps partiel, et un autre n'était plus en

emploi au moment de l'entrevue, mais pensait retourner travailler à la coopérative.

Benoît occupait un poste de direction pour la Coop Zone depuis plus de 15 ans. Il souhaitait

terminer sa vie professionnelle dans cette entreprise. Il était membre de la coopérative

depuis qu'il y travaille. Il avait plus de 55 ans, était marié et avait des enfants majeurs. Il

était propriétaire de son logement, et avait un revenu annuel de plus de 75 000 $. Benoît

détenait un certificat en administration.

Frédéric travaillait pour la Coop Zone depuis quatre ans. Il a occupé plusieurs postes durant

ces années, mais était conseiller à l'informatique au moment de l'entrevue. Il étudiait au

Cégep et travaillait à la coopérative à temps partiel durant l'année scolaire, et à temps plein

durant l'été. La Coop Zone était pour lui un emploi durant ses études, qu'il se voyait

conserver pendant encore quelques années peut-être, mais pas au-delà. Il est devenu

membre de la coopérative quelques années après y avoir été embauché, pour obtenir de

meilleurs prix lorsqu'il achète à la coopérative. Frédéric avait entre 18 et 24 ans, était

célibataire et n'avait pas d'enfant. Son revenu annuel personnel était de moins de 15 000 $,

mais, comme il vivait chez ses parents, le revenu de son ménage était de plus de 75 000 $.

Maxime est le seul répondant de l'enquête qui ne travaillait pas dans une coopérative au

moment de l'entrevue. Il avait cependant travaillé à la Coop Zone pendant environ deux

ans. Contrairement aux deux autres répondants de cette coopérative, il ne travaillait pas au

magasin du pavillon Maurice-Pollack, mais à la succursale de Saint-Roch. Pour cette

raison, son expérience dans la coopérative est différente des autres, et c'est pourquoi il a été

ajouté à l'enquête. Aussi, bien qu'il ne travaillait plus à la Coop Zone au moment de

l'entrevue, il envisageait l'idée de retourner y travailler. La Coop Zone était sa deuxième

expérience dans une coopérative, ayant déjà travaillé pour la coopérative étudiante de son

cégep par le passé. Il travaillait à temps partiel, avec quelques quarts à temps plein dans les

débuts de session, lorsque le magasin était plus achalandé. Pour lui, la Coop Zone était un

emploi d'appoint, puisqu'il travaillait à son compte. Maxime avait quitté cet emploi pour se

concentrer sur ses contrats en tant que travailleur autonome, mais envisageait l'idée d'y

retourner s'il n'obtenait pas plus de contrats. On lui avait offert un poste permanent à temps64

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plein à la coopérative, ce qu'il a refusé pour se concentrer sur ses projets. Il était membre de

la coopérative avant d'y travailler, puisqu'il consommait déjà dans la coopérative. Maxime

avait entre 25 et 39 ans. Il était conjoint de fait et avait des enfants. Le revenu annuel de son

ménage se situait entre 15 001 $ et 30 000 $. Il détenait un DEC, avait commencé un bac et

avait complété plusieurs formations avec emploi Québec et au privé.

3.5. Limites de l'étude

Bien que le corpus de répondants soit tout de même varié, on remarque certaines limites à

l'étude. D'abord, le fait qu'il n'y ait que trois répondantes sur douze empêche de voir s'il y a

bel et bien une différence entre les façons de s'impliquer selon le sexe. Il ne sera donc pas

possible de voir si les femmes et les hommes prennent une place différente dans le modèle

coopératif.

La différence en âge est cependant assez variée, avec quatre répondants de moins de 25 ans,

cinq entre 25 et 39, deux de 40 à 54 ans, et un de 55 ans et plus. Cependant, c'est lorsqu'on

regarde les profils pour chaque coopérative qu'on remarque une homogénéité des

répondants. Ainsi, pour la coopérative MEC, nous avons trois répondants de jeune âge,

travaillant à temps partiel pendant leurs études. En comparaison, à la librairie Pantoute,

nous avons trois répondants d'âge moyen à un peu plus avancé, qui travaillent à temps plein

et qui souhaitent continuer à travailler pour l'entreprise. Ainsi, bien que l'enquête ait une

bonne variété de répondants, à l'intérieur de chaque coopérative, on ne touche pas

réellement à une variété de types de travailleurs, ce qui fait qu'on ne peut espérer avoir une

vision globale de l'engagement dans chacune de ces coopératives. L'analyse de

l'engagement dans le modèle coopératif est donc limitée à ce corpus, et comporte des

lacunes. Le lecteur doit garder en tête que d'autres profils de répondants que ceux ayant

participé à l'enquête peuvent exister dans d'autres coopératives, et même dans les

coopératives présentées. L'analyse plus générale du modèle coopératif est aussi limitée,

puisque les quatre coopératives ont une organisation relativement différente, ce qui ne

permet pas de généraliser les résultats à d’autres coopératives.

D'ailleurs, il est à noter que les répondants ayant accepté de participer à l'étude ont eux-

mêmes, par leur désir de participer, un profil particulier. Les échanges de courriel avec

d'autres employés des coopératives montrent que le simple fait d'évoquer une étude sur

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l'engagement dans le milieu coopératif fait qu'une partie des employés ne se sent pas

interpellée par l'étude, puisqu'elle ne se sent pas assez engagée dans leur travail, ou envers

le mouvement coopératif. Nous avons donc affaire à un corpus de répondants qui est soit

fortement engagé dans son entreprise ou envers le modèle, ou souhaite échanger sur son

travail. D'autres personnes, moins intéressées à discuter de leur travail, ont tout simplement

décliné la demande de participation. Or, ces employés, quoi que possiblement moins

engagés, ou accordant une moins grande importance à leur entreprise, ou au modèle

coopératif, sont tout de même des travailleurs de ce modèle. Il faut donc garder en tête que

d'autres individus, qui peuvent avoir, pour toutes sortes de raisons, moins d'intérêt à

participer à une telle étude font aussi partie du mouvement coopératif et font vivre ce

modèle par leur travail à l'intérieur de celui-ci.

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Chapitre 4 : Travailler dans une coopérative, de l'embauche à la

démission

La collecte de données a permis d'obtenir un parcours assez global du travail dans une

coopérative. Bien entendu, il s'agit du parcours individuel de quelques personnes, et l'on ne

peut en faire un schéma général de ce qu'est le travail en milieu coopératif. Cependant, les

entrevues ont permis de cerner, en partie, les manières de faire et de travailler dans chacune

des coopératives ciblées. Ce chapitre analysera l'organisation du travail de chaque

organisation, à partir de ce qui est ressorti des entrevues avec les travailleurs de ces

coopératives. Ce chapitre se divise donc en quelques parties, toutes relatives à une

différente étape du parcours professionnel d'un employé dans la coopérative. D'abord,

l'obtention de l'emploi; suivi de la fondation de la coopérative (pour les répondants de la

librairie Pantoute); viennent ensuite les connaissances que les employés ont développées

sur le mouvement coopératif, et leur appartenance à leur coopérative. Finalement, leur

avenir après la coopérative est abordé.

4.1. Obtenir un emploi dans une coopérative

Pour la plupart des répondants à l'étude, le fait que l'entreprise soit une coopérative n'avait

pas beaucoup d'importance au moment de postuler à un poste.

Dans le cas des répondants du MEC, les participants à l’enquête souhaitaient y travailler en

raison de sa notoriété et des conditions de travail des employés. Le fait que ce soit une

coopérative est un élément important, mais ce n'est pas l'élément majeur. Charles, par

exemple, était client du MEC et considérait y avoir toujours reçu de bons services. Il avait

des amis qui y travaillaient et avait entendu parler des avantages offerts aux employés, ce

qui l'a poussé à poser sa candidature pour cette entreprise au moment où il se cherchait un

emploi. Annie y a postulé d'abord pour son intérêt pour le plein air. Comme Charles, elle

trouvait que l'équipe de travail avait l'air géniale lors de ses achats en tant que membre. Elle

souhaitait travailler dans un magasin de plein air, et MEC l'intéressait plus qu'un autre

magasin en raison de la relation avec les employés et du fait que ce soit une coopérative.

Étienne, pour sa part, dit lui aussi avoir postulé en raison de son intérêt pour le plein air, et

des valeurs de MEC qu'on lui avait déjà présentées.

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À la Barberie, les répondants souhaitaient y travailler aussi en raison de la notoriété du

commerce. Le fait que l'entreprise était une coopérative n'était cependant pas la raison

principale. Simon, par exemple, était client de la Barberie et a décidé de postuler à un poste

lorsqu'il cherchait à changer d'emploi en raison des valeurs du commerce qu'il aimait. Il dit

adorer la clientèle de la Barberie, contrairement à celles d'autres milieux de la restauration.

Il n'était cependant pas au courant que la Barberie était une coopérative avant de soumettre

sa candidature. Pour Laurence, elle était cliente régulière du salon de dégustation et

connaissait plusieurs employés et clients réguliers. Elle souhaitait y travailler en raison de

sa proximité avec ce milieu, le fait qu'elle savait que ce serait un emploi payant et qu'elle

voulait relever le défi de travailler à la Barberie, même si cela est exigeant en raison du

roulement de clientèle. Elle souhaitait aussi voir le fonctionnement d'une coopérative de

l'intérieur. Dans le cas de Myriam, elle venait tout juste d'arriver à Québec et avait été deux

fois à la Barberie en tant que cliente. En se cherchant un emploi, elle a vu l'appel d'offres

d'un poste à la Barberie qui convenait à ses études et a soumis sa candidature. C'est son

intérêt pour la bière de micro-brasserie qui l'a poussé à postuler pour ce poste.

C'est à la coop Zone que les répondants semblent le plus accorder une importance au fait

que l'entreprise soit une coopérative au moment de l'embauche. Benoît, par exemple, dit ne

pas être intéressé par un travail de gestion dans une entreprise privée. Il est venu travailler à

la coopérative Zone parce qu'il cherchait de nouveaux défis, et que la coopérative avait des

difficultés financières à ce moment. Maxime a quant à lui appliqué par intérêt pour le

modèle et pour le magasin Zone sur le boulevard Charest. Il souhaitait retravailler dans une

coopérative étudiante, ce qu'il avait déjà fait pendant ses études collégiales. En même

temps, le fait que ce soit un magasin d'art l'intéressait. Pour Frédéric, par contre, le modèle

coopératif avait peu d'intérêt à ce moment. Il se cherchait un emploi et a utilisé un tuyau

d'une connaissance y travaillant pour être embauché.

À la librairie Pantoute, comme les répondants ont commencé à y travailler avant le

changement au modèle coopératif, il va de soi que le modèle coopératif n'avait pas d'intérêt

pour eux à ce moment. Les trois répondants souhaitaient y travailler parce que le milieu du

livre les intéressait, et qu'ils ne souhaitaient pas travailler dans une librairie à bannière. Les

répondants ont choisi cette librairie en particulier en raison de la place qu'elle occupe dans

le milieu culturel et des librairies indépendantes.

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4.1.1. Postuler à l'emploi

La manière de postuler à un emploi est différente selon la coopérative. De plus, la

procédure peut différer selon le poste à combler dans l'entreprise. Ce qui ressort de la

manière de postuler sera présenté par coopérative, avec les disparités selon le poste occupé.

Au MEC, il est nécessaire de postuler en ligne. La personne voulant obtenir un emploi doit

remplir un formulaire directement sur le Site Internet de MEC, en précisant les postes

qu'elle aimerait y occuper ainsi que les villes où elle souhaite travailler. Le postulant doit

joindre son CV et une lettre de motivation expliquant son intérêt à travailler au MEC.

Lorsqu'un magasin cherche des employés, cette liste est consultée pour convoquer en

entrevue les personnes qui semblent correspondre aux critères. Obtenir un emploi chez

MEC peut donc prendre un certain temps, puisqu'il est toujours possible de soumettre sa

candidature, mais qu'il n'y a pas toujours de vague d'embauche. Les trois répondants du

MEC ont attendu entre un et quatre mois avant d'obtenir un appel du MEC de Québec.

MEC procède ensuite à une courte entrevue téléphonique, et finalement une entrevue en

personne. Cette dernière entrevue, selon les répondants, cherche surtout à voir l'intérêt de la

personne pour le plein air. On demande quel sport la personne pratique, ce qu'elle aimerait

pratiquer, un endroit où elle voudrait voyager, etc. L'entrevue comprend aussi quelques

mises en situation sur le travail.

À la librairie Pantoute, les trois répondants ont appliqués directement en magasin. Ils ont

ensuite été appelés pour une entrevue et ils ont dû répondre à un questionnaire, dans le but

d'évaluer leurs connaissances littéraires et du milieu libraire. Ce questionnaire permet à

l'entreprise de cibler la personne qui est la plus apte à occuper l'emploi, et de voir les

formations qui seront nécessaires au nouvel employé.

À la Barberie, l'embauche varie un peu selon le poste. Pour presque tous les postes, il est

demandé de postuler par courriel, et la personne est ensuite appelée pour une entrevue si

elle est sélectionnée. Pour le service par contre, les intéressés doivent se présenter au salon

de dégustation, pour avoir une première rencontre avec la direction. Pour être embauché,

Simon a déposé son CV. Il a ensuite répondu à un questionnaire par courriel, suivi d'un

questionnaire au téléphone, et finalement il a eu une entrevue. Par la suite, on lui a fait

passer un test pratique pour voir ses aptitudes en tant que barman. Simon relate que

l'entrevue avait plusieurs questions sur le modèle coopératif et des mises en situation.69

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Simon et Laurence sont d'accord qu'il faut déjà avoir une bonne expérience en service avant

de travailler à la Barberie.

Chez la coop Zone, l'embauche se fait sur le Site Internet ou en magasin, lorsque des postes

sont disponibles. Dans le cas de Benoît, il a postulé directement à un poste de direction qui

devait être pourvu. Frédéric, lui, a postulé par courriel, à la suite d'une référence qu'il avait

obtenue pour l'emploi par quelqu'un qui y travaillait déjà. Étant donné le besoin de

personnel, il a été embauché sur-le-champ. Maxime a quant à lui posé sa candidature par le

formulaire qui se trouve en ligne, sur le Site Internet. Il a ensuite été convoqué pour une

entrevue, qui était, selon lui, « exactement comme dans n'importe lequel autre magasin là

finalement » (Maxime, Zone). La seule question concernant le modèle coopératif lors de

cette entrevue aurait été de se faire demander s'il était membre de la coopérative.

4.1.2. La formation

Une fois le nouvel employé choisi, ce dernier est formé pour apprendre le métier. Cette

formation de base à l'emploi varie d'une coopérative à l'autre.

Chez Zone, les employés de plancher commencent le travail sans réellement être formés.

C'est au fil de leur travail qu'ils développent des aptitudes leur permettant de travailler à de

nouveaux postes plus complexes. Frédéric, par exemple, a commencé par s'occuper de

préparer les commandes Internet dans l'entrepôt. Au fil de son travail, il a acquis des

connaissances lui ayant permis de changer de poste à plusieurs reprises, sans jamais avoir

vraiment été formé : « Dès la première année, ils m'ont mis à la facturation en arrière. Et

quand ils ont vu que je faisais bien les choses, bien j'ai commencé à répondre au téléphone,

puis à régler les problèmes de comptes, puis de facturations. » (Frédéric, Zone) Il précise

cependant que le processus d'embauche est plus rigoureux pour les personnes qui

souhaitent y travailler toute l'année. Dans son cas, il a été embauché pour une période

déterminée, mais la coopérative a décidé de le garder puisqu'il travaillait bien. Maxime, lui,

dit qu'il a suivi une petite formation pour apprendre à faire la caisse, ainsi que quelques

formations en informatique qu'Apple oblige les vendeurs à suivre.

À la librairie Pantoute, les nouveaux employés commencent par apprendre comment

fonctionne la caisse et le système informatique. Ils sont à l'essai pour l'entreprise pendant

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une période de trois mois, le temps de voir s'ils ont ce qu'il faut pour être libraire. Durant

cette période, ils apprennent les rudiments du métier, au fil de leurs quarts de travail. Selon

les trois répondants, le processus d'embauche n'a pas changé depuis que la librairie est

devenue une coopérative de travailleurs actionnaires.

Dans le cas de la Barberie, comme les employés choisis sont déjà expérimentés, les

nouveaux employés ont au départ très peu de formation. Il s'agit d'une petite formation pour

apprendre le fonctionnement de la caisse et les différentes sortes de bière. Laurence a

trouvé cette façon de faire assez difficile : « Tu es un peu garrochée. En fait, je pense que

mon premier, premier chiffre, c'était un 5 à 7 un jeudi. Ça, c'est le plus gros chiffre de la

semaine genre. Et ils m'avaient garroché un peu sur la terrasse là. "OK go, montre-nous ce

que tu es capable de faire". » (Laurence, Barberie) Après ce premier quart de travail, elle est

entrée sur l'horaire régulier. Pour les postes autres que le service, il y a certaines formations

obligatoires pour assurer la sécurité des employés. Myriam précise par exemple que la

personne à la production doit suivre une formation sur l'utilisation du chariot élévateur.

Chez MEC, les nouveaux employés, qui entrent par vague d'embauche lors des saisons de

grand achalandage, ont une fin de semaine de formation avant leur premier quart de travail.

Lors de cette fin de semaine, ils apprennent plusieurs choses. Il y a un volet sur la

coopérative : l'histoire de MEC, ses fondements, les causes qu'elle soutient, etc. Il y a

ensuite un volet santé et sécurité au travail, ainsi que le fonctionnement du magasin. Par la

suite, au fil de leur emploi, les employés ont accès à plusieurs activités de formation, que ce

soit pour vendre dans un différent département ou en technique de plein air. Charles donnait

l'exemple d'une sortie de trois jours en camping. Ces activités ne sont pas payées, mais tout

le matériel est fourni. L'employé qui participe n'a qu'à apporter sa nourriture.

4.2. La fondation d'une coopérative

Seuls les répondants provenant de la librairie Pantoute étaient présents lors de la fondation

de leur coopérative. Dans les trois autres coopératives, les employés ont joint leur

coopérative bien après sa fondation. La librairie est aussi un cas à part, puisque les

employés ont vécu un grand changement organisationnel. Ils ont été embauchés et ont

travaillé plusieurs années dans une librairie à but lucratif, et ce n'est que très récemment que

la structure a changé et que les employés se sont regroupés sous le modèle coopératif.

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Les anciens propriétaires de la librairie souhaitaient vendre pour ainsi prendre leur retraite.

Le souci était cependant que la librairie Pantoute reste une librairie indépendante et ne

devienne pas une librairie à bannière :

Le monde de la librairie au Québec est un peu fragilisé depuis quelques années.[…] puis quand les anciens propriétaires ont voulu fermer, bien ont vouluvendre en fait, ils avaient beaucoup de mal à trouver des acheteurs parce que çacoûte cher et personne dans le milieu du livre a beaucoup d'argent. Doncpersonne n’avait les moyens d'acheter ça à eux tout seuls. De se regrouper pourformer une coopérative et acheter ensuite, non seulement ça allait dans le sensquand ils ont fondé la librairie […] et si on ne formait pas une coopérative, çadevenait soit un Renaud-Bray qui achetait la librairie ou ça devenait ahahah unmagasin de chaussure ou je ne sais pas quoi. (Marc, Pantoute)

La librairie a un fonctionnement particulier : « La majorité des actions est détenue par deux

employés qui forment une entreprise. Donc c'est elles, les deux collègues, qui ont acheté la

majorité des actions, donc elles sont propriétaires en majorité. Mais 18 à 19 libraires ont

formé une coopérative pour acheter le reste des actions. » (Denis, Pantoute) Deux

employées ont donc acheté l'équivalent des actions pour être majoritaires. Le reste des

employés a été approché par l'extérieur pour former une coopérative de travailleurs

actionnaires. Après mûre réflexion, ils ont accepté et les employés ont emprunté pour

acheter le restant du bloc d'actions qui appartenait aux deux propriétaires : « Quand la

solution s'est présentée, j'ai dit oui tout de suite […] C'était la solution pour moi de

continuer à faire ce que je faisais de mieux avec euh le métier que j'aime. Et c'est aussi la

façon aussi de ne pas être acheté par quelqu'un qui peut-être n'avait pas les mêmes visions

que nous on avait. » (Denis, Pantoute). Pour Guillaume aussi, la coopérative représentait

l'avenue la plus efficace pour perpétuer l'héritage de Pantoute. C'est un modèle qui a permis

à l'entreprise de conserver sa liberté. Il y a trois types d'actionnaires différents dans

l'entreprise : des investisseurs externes, les deux copropriétaires qui ont une majorité

d'actions et le reste des employés qui détiennent le reste des actions sous une formule

coopérative : « Ça fait qu'on a davantage, bon, lors de CA, lors de réunions, etc. on peut

pousser davantage pour qui on souhaite qui nous représente. Qui on souhaite que cette

personne là, bon, va avoir son mot à dire sur toutes les décisions qui vont être prises à

l'interne. Où l'argent va aller, comment ça va être dépensé » (Marc, Pantoute). La culture

coopérative s'imprègne bien, mais très lentement. Il est difficile pour les membres de se

rencontrer pour permettre la préparation d'une restructuration interne puisque le magasin est

ouvert tous les jours.72

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4.3. Les connaissances sur le modèle coopératif

Les répondants, même s'ils provenaient d'une même coopérative, avaient un niveau de

connaissances différent de ce qu'est le modèle coopératif. Lorsqu'il leur a été demandé ce

qu'étaient les principes coopératifs selon eux, aucun répondant n'a réellement été capable de

les nommer. Ils ont nommé certains principes qui étaient importants pour l'entreprise pour

laquelle ils travaillaient, mais ces principes n'étaient pas nécessairement en rapport avec le

modèle. Voici tout de même ce que les répondants considèrent comme étant les principes

d'une coopérative :

Pour les répondants, une coopérative est une entreprise créée par les gens du milieu pour

répondre à des besoins spécifiques (Benoît et Maxime, Zone; Annie, MEC). Dans le cas des

coopératives de travail, par exemple, leur but premier est de fournir du travail aux membres

(Simon et Myriam, Barberie). La coopérative ne vise donc pas à accaparer une plus grande

part du marché pour augmenter ses profits (Maxime, Zone; Simon, Barberie). Lorsqu’on

fait partie de la direction, il faut comprendre qu'on travaille pour quelqu'un d'autre et qu'il

ne s'agit pas de notre entreprise (Benoît, Zone). Le DG n’a donc pas de pouvoir sur

l’entreprise (Simon, Barberie). Pour devenir membre, il faut payer une part, ce qui permet

d’obtenir des prix bénéfiques et d’être propriétaire d’une partie de l’entité (Frédéric et

Maxime, Zone; Simon, Barberie; Guillaume, Pantoute; Charles, Annie et Étienne, MEC).

Contrairement à une entreprise traditionnelle, elle a comme principe le partage et la

collaboration (Frédéric, Zone; Laurence, Barberie). Ainsi, elle ne doit pas profiter de ses

membres, mais redistribuer ce qu’elle gagne par des ristournes ou par des prix avantageux

(Frédéric, Zone). Une entreprise coopérative fonctionne selon des règles démocratiques

(Benoît, Zone; Marc, Pantoute; Charles et Étienne, MEC). Les membres peuvent donc

s’exprimer lors des AG (Frédéric, Zone; Laurence, Barberie; Denis, Pantoute; Annie, MEC)

selon le principe d’un membre équivaut à un vote (Simon, Barberie; Marc, Pantoute).

L’entreprise se doit d’être transparente, puisque rien ne doit être caché aux membres

(Simon et Myriam, Barberie). Elle doit aussi viser le plus possible une équité entre les

différents corps de travailleurs (Myriam, Barberie; Guillaume, Pantoute; Charles, MEC).

Les représentants de la coopérative sont redevables aux membres (Charles et Étienne,

MEC). Une coopérative se doit aussi de donner à sa communauté (Charles et Annie, MEC).

Le but d'une coopérative « c'est de mettre en commun autant son argent, […] le temps et les

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expertises […] puis le but c'est de travailler en communauté pour monter un projet sans

qu'il y ait de hiérarchie » (Charles, MEC).

4.3.1. Les sept principes coopératifs

Cette section présente les sept principes coopératifs, et la manière dont l'entreprise

coopérative y répond, d'après l'information ressortie des questions sur le fonctionnement de

la coopérative. Nous remarquerons alors que certains répondants connaissent certains des

principes coopératifs, puisqu'ils ont donné des réponses allant dans ce sens, mais que leur

vision d'une coopérative comprend des principes beaucoup plus précis que ce que l’on

retrouve dans la réalité.

1 er principe : L'adhésion volontaire et ouverte à tous

Ce principe est assez simple. Dans toutes les coopératives étudiées, l'adhésion était en effet

ouverte à tous. Tout travailleur peut devenir membre à la Barberie, pourvu qu'il ait un poste

permanent. Simon précise qu'il n'y a que le Directeur général qui ne peut devenir membre,

mais que la Barberie travaille à changer ce règlement pour qu'il puisse le devenir.

Tout client peut devenir membre de la coop Zone; et toute personne peut devenir membre

de MEC et ainsi pouvoir acheter. Cette adhésion est aussi volontaire, puisque personne n'est

forcé de devenir membre. Une personne peut très bien travailler chez Pantoute ou à la

Barberie sans être membre de la coopérative. Denis l'explique très bien pour sa

coopérative : « Il y en a qui étaient là au moment de la formation et qui ont préféré attendre.

Il y en a qui ont embarqué plus tard, il y en a qui réfléchissent encore, et il y en a qui

n’embarquent pas. » (Denis, Pantoute) Une personne peut aussi acheter chez Zone sans

avoir à devenir membre de la coopérative. La grande distinction de ce principe se voit

cependant chez MEC. Un client ne peut acheter s'il n'est pas membre et les travailleurs

doivent être membre s'ils veulent travailler chez MEC.

2 e principe : Un pouvoir démocratique exercé par les membres

Chacune des coopératives répond à ce principe puisqu'elles ont toutes une AG pour décider

des grandes orientations et elles élisent toutes un CA parmi les membres pour gérer la

coopérative. Il existe cependant une différence dans la fréquence de ces assemblées selon le

type de coopérative. Alors que les membres de la Barberie et de la librairie Pantoute parlent74

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de trois à quatre AG par année, la coop Zone et MEC se limitent à une instance par année.

Cela est peut-être dû au plus petit nombre de membres des coopératives de travail, qui

permettent une prise de décision plus facile en groupe. De plus, comme cette AG est

réservée aux travailleurs, ils ont peut-être plus intérêt à se rencontrer souvent pour

échanger.

Chez Pantoute, l'AG élit un CA pour gérer la coopérative de travailleurs actionnaires et des

représentants pour siéger au CA de la librairie. Les membres ont un plein contrôle sur leur

coopérative, mais comme des personnes externes possèdent aussi des parts de l'entreprise,

ils n'ont pas le plein contrôle des décisions prises au CA de la librairie.

À la Barberie, le CA prend la plupart des décisions, et consulte les membres au besoin en

AG. Simon précise qu'il a le droit de vote sur absolument toutes les décisions qui sont

prises dans l'entreprise, et que le CA est beaucoup plus démocratique que dans une

entreprise privée : « Si je suis sur le CA, c'est parce qu'on a jugé que c'était bon de m'avoir

sur le CA. Pas parce que j'ai juste fait l'application puis que n'importe qui peut y aller. »

(Simon, Barberie) Pour Laurence, le processus décisionnel coopératif est mieux, puisqu'il

se trouve plus près de la base :

Tu sais souvent les décisions vont vraiment euh… révéler ce qui est importantpour nous en tant que serveur ou en tant qu'employé tu sais justement. Si tu asquelqu'un qui prend une décision, qui fait des choix, tu sais, pour l'entreprise,mais qui n’est pas sur le plancher ou qui ne voit pas vraiment comment çamarche, bien des fois ça n’a juste pas rapport, tu sais. […] Tandis que dans unecoop comme ça, les gens qui prennent les décisions, ils travaillent sur leplancher donc ils savent précisément c'est quoi qu'on a de besoins et qu'est-cequi marche, qu'est-ce qui marche pas tu sais, ça fait que c'est pratique.(Laurence, Barberie)

Même si elle n'est pas membre et qu'elle n'a aucun poids dans la décision définitive, elle

sent que son opinion est écoutée et prise en compte à la Barberie.

Chez Zone, l'AG élit un CA, qui élit un comité exécutif. Dans les règlements, il est stipulé

que la majorité du comité doit être constitué d'étudiants. Le comité exécutif doit ensuite

embaucher et superviser le directeur général. Benoît mentionne la transparence de Zone,

qui montre l'ouverture de la coopérative envers les membres. En raison de ce

fonctionnement, Benoît considère que la gestion d'une entreprise privée est beaucoup plus

simple :75

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Parce que ce qui te guide, c'est l'argent. Puis si ce n’est pas l'argent, je penseque la personne ne comprend pas ce qu'elle doit faire là, parce qu'uneentreprise, par définition, elle est là pour faire des bénéfices. Ici, ce qui te guide,bien tu as trois pôles. Tu as l'économique, tu as le social, puis tu asl'environnement, et il n’y a rien qui est priorisé par rapport à un, ça fait que c'estbeaucoup plus complexe. Combien d'argent devrait faire la Coop? […]Combien tu redonnes au milieu? […] Ce n’est pas clair, tu sais. Ça fait que tufais un peu d'un, tu fais un peu de l'autre, mais c'est plus complexe. (Benoît,Zone).

Au MEC, les membres ont la possibilité d'élire les membres du CA par Internet, en raison

de l'étendue territoriale de la coopérative. Il s'agit de la seule coopérative qui permet une

élection à distance. Outre l'élection du CA, il est plus difficile pour les membres d'exercer

leur pouvoir puisque l'AG a lieu à Vancouver.

3 e principe : La participation économique des membres

Dans chacune des coopératives, le membre débourse un montant pour obtenir une part de la

coopérative et en tire par la suite des avantages. La seule exception est la librairie Pantoute,

qui, en raison de sa jeunesse, n'a pas eu le temps de développer des avantages aux

membres. Pour la coop Zone, on parle de rabais sur la facture lors de l'achat; chez MEC, les

membres reçoivent une ristourne à la fin de l'année financière selon le montant dépensé, et

à la Barberie, les travailleurs ont droit à un retour sous forme de salaire à la fin de l'année

financière.

À la coop Zone, Benoît parle de la finalité des coopératives, qui est la grande différence

avec l'entreprise privée : « C'est-à-dire qu'au lieu que ce soit un ou des individus plus

limités qui s'enrichissent, bien tu essaies de faire quelque chose de mieux pour la société. »

(Benoît, Zone) Frédéric mentionne que les membres ont droit à un service lorsqu'ils ont un

problème avec un ordinateur par exemple, sans débourser : « ça nous fait plaisir de les

servir sur le coin du comptoir sans leur faire payer quoi que ce soit » (Frédéric, Zone).

4 e principe : Autonomie et indépendance

Chacune des coopératives est autonome. Elles peuvent appartenir à certains mouvements ou

à certaines fédérations, mais cela est toujours selon le choix des membres. Il est d'ailleurs

possible pour les membres de se désaffilier d'une fédération si elle ne répond plus à un désir

des membres. Cela a été le cas de la coop Zone, qui s'est désaffiliée de la coop fédérée il y a

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quelques années. Ce sont les membres qui ont décidé librement de ne plus faire partie de

cette fédération.

5 e principe : Éducation, formation et information des membres sur la nature et les avantages de la coopération

Chaque coopérative éduque ses membres de différentes façons. À la Barberie, une

répondante a dit que chaque année, les membres avaient la possibilité de participer à des

ateliers de formation continue sur la coopération. Chaque mois, les employés reçoivent

aussi une infolettre présentant les nouvelles de la coopérative et un bulletin financier. Chez

MEC, lors de leur entrée en poste, les nouveaux employés suivent une formation sur

l'avantage MEC quant à son modèle de gestion, etc. À la librairie Pantoute, les membres

sont en ce moment même en train d'apprendre ce qu'est un modèle coopératif puisque leur

coopérative est toujours en création. À chaque rencontre, les membres en apprennent un

peu plus sur les obligations d'une coopérative et la gestion de ce modèle d'entreprise. La

Coop Zone a, quant à elle, financé la création d'une chaire de recherche sur les

coopératives.

À la Barberie, Simon affirme avoir participé à des conférences sur le fonctionnement des

coopératives de travail et des formations plus général sur les coopératives. Myriam, pour sa

part, dit que plusieurs formations sont offertes en lien avec l'économie sociale. Cela leur

permet d'échanger avec d'autres milieux : « C'est le fun. On entend parler, admettons, de

comment ils font ailleurs. Moi j'aime bien ça savoir comment ils font ailleurs, parce que ma

seule expérience, c'est ici. Puis on est plusieurs à avoir comme seule expérience coop la

Barberie. Ça fait que c'est le fun entendre parler les autres comment qu'ils gèrent tel défi ou

comment justement, comment ils fonctionnent. » (Myriam, Barberie)

À la coop Zone, Maxime a amené des critiques au principe d'éducation, de formation et

d'information des membres et de la manière dont la coopérative y répond. Il explique

n'avoir jamais été mis au courant de la tenue des AG et n'avoir même jamais rencontré le

CA même s'il travaillait à la coopérative. D'ailleurs, il dit ne pas avoir été formé pour

expliquer aux clients ce qu'est une coopérative : « Imprimer une carte coop puis la vendre,

c'est le plus que… c'est le plus que j'ai eu de formation sur la coopérative là finalement ou

le modèle coopératif finalement. » (Maxime, Zone) Frédéric, pour sa part, dit qu'il n'a lui

aussi pas été formé sur ce qu'est une coopérative par la coop Zone : « C'est sûr qu'à

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l'intérieur du travail, on n’est pas formé sur c'est quoi une coopérative. On est formé sur

c'est quoi le travail. » (Frédéric, Zone) Benoît a pour sa part soulevé que la coop Zone a

financé la mise sur pied de la Chaire en développement coopératif dans la faculté des

sciences de l'administration, pour permettre aux étudiants d'administration d'apprendre le

modèle coopératif lors de leurs études : « Mais tu sais, on se disait que les étudiants qui

sortaient de la faculté d'administration, ils savaient même pas c'est quoi une coop. […] Ça

fait que l'objectif, c'est de dire, de la Chaire, c'est de créer des outils pour les autres profs

pour enseigner le modèle coopératif à l'intérieur de leurs cours. » (Benoît, Zone) La coop

Zone permet en ce sens l'éducation sur le modèle coopératif.

6 e principe : Coopération entre les coopératives

La Barberie et la coop Zone offrent toutes deux des rabais particuliers aux coopératives. La

librairie Pantoute n'a toujours pas d'entente de ce type, mais Denis, membre du CA, trouvait

que ce serait une excellente idée. Chez MEC, par contre, s'ils font de l'intercoopération, rien

n'est sorti des trois entrevues.

La Barberie, lorsqu'elle doit faire appel à des professionnels (construction, électricité, etc.)

décide aussi de favoriser des entreprises coopératives pour ce genre de contrat : « Les

premières personnes avec qui on va faire affaire, ça va être des coops, si ce n’est pas coop,

et bien c'est définitivement local et dans la communauté assez immédiate. » (Simon,

Barberie) La Barberie est aussi souvent consultée, en raison de sa notoriété, par des

personnes qui veulent fonder des coopératives de travail. Elle est membre du Réseau

COOP.26 Myriam dit aussi que la Barberie est membre de la table des micro-brasseries

coopératives et qu'une bière coopérative a été brassée par ces différentes coopératives :

« C'est quand même plaisant là, boire de la bière brasser coop, mais par plus qu'une micro.

[…] Elle était brassée en collaboration là. Une fois elle a été brassée ailleurs, une fois elle a

été brassée ici. Puis il y a physiquement quelqu'un de chaque brasserie coop qui venait la

brasser. » (Myriam, Barberie)

À la coop Zone, Frédéric mentionne que l'entreprise offre un prix spécial aux coopératives

qui font affaire avec eux : « On leur fait des prix spéciaux à cause que c'est pour de

26 Le Réseau de la coopération du travail du Québec (Réseau COOP) est une coopérative de solidarité qui a pour mission de favoriser le développement du plus grand nombre possible de coopératives de la coopération du travail. (http://www.reseau.coop)

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l'entraide là. On ne leur fait pas nécessairement le prix membre ou le prix entreprise. On

leur fait un prix coopérative. » (Frédéric, Zone)

À la Librairie Pantoute, le modèle coopératif est trop jeune pour qu'on ait développé des

liens avec d'autres coopératives, mais ils ont cependant eu de l'aide pour partir sous ce

modèle : « On a eu de l'aide de Desjardins, truc sur les coopératives, le mouvement des

coopératives quelque chose. Ils nous ont greffé quelqu'un qui nous a coachés. Puis il nous a

aidés à nous promener dans cette affaire-là, à monter le truc. On est toujours coaché. »

(Denis, Pantoute).

La coopération peut cependant être plus simple à faire avec des entreprises privées qu'avec

d'autres entreprises coopératives. Par exemple, un répondant dit qu'il serait plus simple pour

sa coopérative de faire affaire avec un magasin de plein air privé qu'avec le MEC en raison

de sa gestion qui est en partie à Vancouver.

7 e principe : Engagement envers la communauté

Les quatre entreprises étudiées sont très engagées dans la communauté. La Barberie

participe à plusieurs festivals pour démocratiser la bière de micro-brasserie et le modèle

coopératif; la coop Zone s'implique dans différents projets de développement durable sur le

campus de l'Université Laval; MEC organise beaucoup d'activités dans la ville pour inciter

les gens à bouger; et la librairie Pantoute fait rayonner la culture dans la ville de Québec.

La Barberie participe à différents regroupements dans le quartier Saint-Roch. Myriam

précise que la Barberie tente, le plus possible, d'acheter local.

La coop Zone redonne beaucoup à l'Université Laval en créant des événements sur le

campus. Avec sa nouvelle division qu'est Zon'Orange, la coop s'engage aussi envers les

producteurs locaux.

La librairie Pantoute s'engageait envers la communauté bien avant de devenir une

coopérative. Denis parle de ses débuts à la librairie ainsi : « Quand je suis arrivé, il y avait

déjà aussi cette forme de promotion là de la culture, de la littérature, parce que c'était la

seule librairie où il se faisait des lancements de livre en librairie. C'est la seule où il se

faisait des causeries. C'est-à-dire qu'on invitait des auteurs à venir parler de leurs œuvres, et

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ça, c'est important pour la culture, c'est important pour la ville, et c'est important pour la

littérature au Québec. » (Denis, Pantoute)

MEC redonne pour sa part une partie de ses profits à la communauté :

Chaque magasin redonne un certain pourcentage de leur profit à lacommunauté. Souvent, c'est des activités, des fois c'est de la promotion de…disons de certains milieux. […] Il y a une redistribution euh… genre desconcours pour redistribuer de l'argent à des organismes qui eux font de lapréservation et de la sensibilisation à l'environnement. Puis nous (lesemployés), c'est nous qui amenons les choix pour euh, de ces organismes-là.[…] Admettons, toi, tu viens faire une présentation puis nous, les employés,ensemble, on vote après pour l'organisme qu'on préférerait avoir (Charles,MEC)

4.3.2. Un modèle qui n'est pas parfait

Malgré leur appartenance au modèle coopératif et le fait qu'ils avaient un parti pris envers

le modèle, la plupart des répondants avaient des critiques à formuler. Certaines de ces

critiques étaient envers le modèle en général, et d'autres envers la manière que leur

coopérative appliquait ce modèle. Ces critiques montrent certaines limites et certaines

difficultés que peut avoir le modèle coopératif, notamment dans l'élargissement de ses

valeurs.

Les répondants du MEC doutaient, par exemple, de la possibilité pour une aussi grande

entreprise de rester près de ces membres. Même s'ils aiment le modèle coopératif, ils ne

considèrent pas que ce modèle est fait pour une entreprise telle que MEC. Malgré les

valeurs de MEC qu'ils apprécient, les répondants ne sont pas prêts à considérer MEC

comme une coopérative :

Moi, je trouve moyennement ça une coop. […] C'est tellement de grossescoopératives. Tu sais, c'est basé sur des modèles coopératifs, mais… est-ce quec'est réellement une coopérative, tu sais? […] C'est un moyen, je pense,d'attacher les gens à leur travail puis à rendre plus productif ton milieu detravail, au final, tu sais. Ce n’est pas nécessairement comme, admettons, unecoopérative de solidarité. […] Ce n’est pas du tout ça, tu sais. […] Ça, c'étaitplus coopératif, tu sais. (Charles, MEC)

Annie partage aussi cette opinion : « ils ont aussi les éléments d'une coop. Mais je pense

que c'est plus la gestion interne des employés puis le… le marketing qui fait que je, ce n’est

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pas une coop comme je vois une coop à mes yeux. » (Annie, MEC) Ils critiquent d'ailleurs

la prise de décision, qui est beaucoup trop éloignée de la base et le fait qu'ils ne peuvent pas

participer à certaines décisions, comme le déménagement du magasin par exemple, qu'ils

ont appris au même moment que la population, par les médias : « Pour le déménagement, il

n’y a personne qui a été consulté pour ça là. Ça, j'ai trouvé ça vraiment plate justement.

Comme coopérative j'ai trouvé que c'était vraiment une lacune immense que ni les

employés ni les membres qui viennent ont été réellement consultés là. C'est les médias qui

apprenaient ça à tout le monde chaque fois. » (Charles, MEC). Selon lui, certaines décisions

de MEC viennent changer sa nature et sont prises par les gestionnaires, sans consultation

des membres. MEC est ainsi passé d'un magasin de plein air à un magasin général :

Au départ, c'est vraiment que de l'escalade. Après, c'est devenu plein air. […]Là, ils se sont dit, bien ce qu'on veut plutôt, c'est inciter les gens à aller dehors.Ça fait que là ils ont entré encore plus de produits de plein air en général. Puislà, après ça […] ils se sont dit, bon, là ce qu'on aimerait, c'est le plus possible desuivre le membre et non son activité. Donc au lieu de juste avoir des… des trucspour son activité de plein air, on va avoir des trucs de sa vie de tous les jours.Tu sais, pour pouvoir vraiment, tu sais, pas encadrer, mais, disons couvrir lesbesoins du membre, de sa vie, tu sais. […] Ça fait en sorte que maintenant on ades pantalons de yoga, des tapis de yoga, des affaires euh… des vêtementsdécontractés. Puis avec une coupe de plus en plus euh… comment dire, stylisée.Donc on perd un peu de l'essence du MEC. Et ça, en fait, ça n'a pas été voté parpersonne, tu sais. C'est les membres de la haute direction qui ont décidé de faireça. Donc, à un certain égard […] pour voter le, les membres de la hautedirection, on peut considérer ça comme une coopérative, mais sinon lesorientations de la coopérative ne sont pas décidées par les membres du tout là.(Charles, MEC)

Annie nuance cependant cette vision du MEC : « Tu sais, moi ce que je trouve aussi de

MEC c'est quand il y a une décision, ils prennent bien le temps de nous en parler, de dire tu

sais, on pense à ça, à déménager, pour avoir plus d'espace, avoir du stationnement. […] ça

fait que tu sais, ils ne font pas ça dans le dos du monde non plus. Je ne sens pas

nécessairement que j'ai un poids décisionnel parce qu'ils font juste nous informer de ce qui

s'en vient. » (Annie, MEC) Ainsi, bien que les employés n'aient pas été consultés, ils

auraient à tout le moins été informés de l'éventualité d'un déménagement.

À la Barberie, les critiques portent surtout sur la proximité des membres, qui peut créer

certains conflits. Simon, par exemple, parle de la difficulté parfois de travailler avec

certaines personnes : « Tu sais, on a beau être une coopérative de travail, ça ne veut pas dire

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que tout le monde est bien fin, bien smart tout le temps. Il y a des gens qui sont chiants, il y

a des gens qui sont égoïstes, il y a de l'hypocrisie, il y a du tire la couverte de mon bord qui

arrive. » (Simon, Barberie) Par la petite structure, certains membres peuvent en venir à

prendre énormément de place dans l'entreprise, ce qui ne favorise pas la participation des

autres : « Il y en a toujours quelques-uns que, parce qu'ils sont les plus anciens […] Bien il

y a des gens qui vraiment peuvent se placer un peu partout en fait. […] Puis euh c'est ça, si

ça demande juste quelques membres pour l'élire, et bien ça va vite là. » (Laurence,

Barberie) Simon mentionne aussi les avantages donnés aux membres, qui peuvent amener

des problèmes : « Je pense que le défaut de donner des avantages aux membres aussi, c'est

que les gens vont devenir membres seulement pour quelques avantages, ce qui est chiant.

Tu sais, ça veut dire qu'ils vont faire fi de beaucoup de choses seulement pour avoir certains

avantages. » (Simon, Barberie) Il y aurait donc parfois des membres qui ne s'impliquent pas

dans la structure, n'en voyant pas l'intérêt.

À la librairie Pantoute, on est surpris de la complexité du modèle, et l'on pensait que celui-

ci allait être plus efficace : « J'avais vraiment l'impression que, que tout le monde pouvait

par exemple, avait une idée, quelque chose ou un, un point à soulever, que je pouvais le

faire un peu en tout temps puis tout ça. Puis, bon. J'ai réalisé ensuite que ce n’était pas le

cas. Que bon, il fallait passer pas nos représentants, puis bon que c'était voté en réunion qui

ont lieu trois fois par année. Bon, ce peut quand même être un processus qui est long. »

(Marc, Pantoute) Les répondants remarquent qu'il est difficile pour les membres de se

rencontrer pour prendre des décisions, et que pour cette raison, les choses n'avancent pas

aussi vite qu'on le pensait au départ : « Réunir 4 personnes, tu as pas idée comment c'est

dur. Imagine en réunion générale […] Parce que le dimanche matin, c'est la seule

possibilité. Et il y en a qui aiment mieux manger des crêpes avec leur amoureux que de

venir au CA. » (Denis, Pantoute)

À la coop Zone, Maxime critiquait la centralisation des décisions dans le magasin du

pavillon Maurice-Pollack. L'équipe de travail des autres magasins serait ainsi assujettie à

des décisions externes, ce qui ne facilite pas l'efficacité sur place. Ces employés ne seraient

d'ailleurs pas au courant de qui sont les administrateurs, et du moment des instances.

Maxime dit n'avoir jamais entendu parler des AG : « j'imagine qu'il y a un conseil

d'administration parce que je me dis qu'une coopérative doit marcher de cette façon-là, que

les membres ont accès à ça et donnent les directions au directeur général. Mais je ne le sais82

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pas, tu sais, je ne peux pas te le dire. Je n’en ai jamais vu, tu sais, ni entendu parler. »

(Maxime, Zone) Pour lui, la coopérative Zone n'est pas vraiment différente d'une entreprise

privée : « C'était très peu transparent. Ça aurait été, en fait, honnêtement, j'aurais été

exemple, dans un magasin Zone, exemple, puis il n’y aurait pas eu de part de membre et ça

n’aurait rien changé pour moi, tu sais. J'aurais été payé comme salaire minimum, puis avec

une minuscule commission, tu sais. » (Maxime, Zone) Comparativement à son emploi

passé dans une autre coopérative où il avait droit à des rabais, ces avantages ne sont offerts

que pour les employés permanents chez Zone : « C'est-à-dire que moi, travailler là bas,

j'avais aucun, aucun avantage, puis même sûrement j'avais moins d'avantages que si

admettons j'étais allé travailler dans une boutique informatique. » (Maxime, Zone) Selon

lui, la part de membre chez la coop Zone, qui offre des rabais, équivaut à une carte fidélité

d'un autre magasin. Il relate aussi que la coop Zone s'élargit dans beaucoup trop de projets,

dont l'alimentaire, ce qui n'a pas du tout rapport avec sa mission première. Benoît, pour sa

part, critique le manque de compétence des personnes sur le CA :

Ils ne sont pas là parce qu'ils sont compétents. […] Ils sont là parce qu'ils sontpopulaires. Mais ils gèrent une entreprise de 35 millions. Ils gèrent la destinéede plein d'employés. […] Il faudrait avoir des mesures où, si tu te présentes auConseil d'Administration, tu es capable de lire un état des résultats, tu as uneexpérience, ça peut être multiple, exemple quelqu'un qui est en ressourceshumaines, quelqu'un en marketing. Chacun à son expérience, mais tu apportesquelque chose à l'organisation. Il y a un des derniers CA un moment donné, tusais, ça faisait quatre fois qu'on répondait au même membre parce qu'il necomprenait pas l'écriture comptable. Là, un moment donné, la personne elle dit,moi je ne connais rien là dedans. C'est parce que ça fait deux ans que tu es ici.Moi ma réponse, si tu n'es pas assez compétent pour comprendre ça, tu n'es pascompétent pour être ici. (Benoît, Zone)

Certains membres avaient aussi des critiques plus générales du modèle, notamment des

grandes fédérations des coopératives. La coop Zone s'en est d'ailleurs désaffiliée, ne se

sentant plus représentée par cette instance. Cela a créé des frictions avec le reste du

mouvement coopératif. Benoît critique en ce sens les gens qui voient le modèle coopératif

comme un dogme. Pour lui, quelque chose n'est pas nécessairement bon parce que c'est une

coopérative. Certaines coopératives abusent et font de la mauvaise concurrence à d'autres

coopératives, ce qui est contraire au concept même de la coopération. Benoît parle d'ailleurs

des problèmes de certaines coopératives : « le gros des problèmes des entreprises […] c'est

que les gens s'approprient, les travailleurs s'approprient l'organisation. Parce qu'ils ont fait

des gros efforts, etc., etc. puis la considèrent comme la leur plutôt que celle des membres, et83

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là ça fait une distorsion sur euh, par exemple, des orientations stratégiques, sur les

investissements. » (Benoît, Zone) Selon lui, une grande part de la fraude et des difficultés

financières dans les entreprises coopératives se retrouvent à ce niveau, lorsque le directeur

général s'approprie le bien mutuel.

Benoît critique aussi le modèle, qui peut se montrer assez cruel : « Il est cruel sur, au niveau

de sa gouvernance, il y a très peu de reconnaissance au bout. Quand un étudiant ne se fait

pas élire, je trouve ça tellement dommage et c'est cruel de la manière dont ça se passe. Il

peut avoir passé trois ou quatre ans et donner de son temps, et à part avoir une ligne dans le

procès-verbal, il n’y a rien. » (Benoît, Zone) Selon lui, le milieu manque de mémoire

envers les sacrifices et les compromis qui ont été faits par les travailleurs et les personnes

qui s'y impliquent.

D'autres ont critiqué la loi coopérative, qui ne permet pas réellement une prise en charge

locale des décisions. Dans les faits, pour y arriver, il est nécessaire d'en faire beaucoup plus.

Il y aurait donc des entreprises qui se présentent comme des coopératives, puisqu'elles

respectent la loi, mais qui n'en sont pas vraiment en raison de la généralité de ces normes

minimales. Le modèle serait aussi beaucoup trop politisé : « On le voit dans les médias là,

c'est le sommet, puis c'est les grosses affaires internationales, mais on oublie le membre.

Celui qui l'a fait ce mouvement-là, il n’est pas là. » (Benoît, Zone)

4.3.3. La participation aux instances

La participation aux instances est variable des répondants d'une coopérative à l'autre.

D'abord, les travailleurs des coopératives de consommation semblent moins intéressés par

les instances que ceux des coopératives de travail. Cela est probablement dû au plus grand

contrôle décisionnel que peuvent avoir les travailleurs d'une coopérative de travail.

À la coopérative Zone, sauf le répondant gestionnaire, les deux autres n'ont jamais participé

à aucune instance de la coopérative, bien qu'ils en soient membres. Pour Frédéric, les

changements qu'il souhaite apporter à la coopérative concernent l'organisation de son

travail, et ces changements ne se votent pas en AG, qui prend des décisions plus larges,

mais dans son équipe de travail :

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Je vous dirais que les changements à la structure que je propose, je peux le fairesur mon quart de travail avec mon gérant […]. Donc, de me présenter àl'assemblée générale, ce serait comme mélanger mon opinion à travers unemasse, ce qui n’est pas nécessairement avantageux. C'est, ça peut êtreavantageux pour des clients qui observent des changements qui pourraient êtreapportés et qui peuvent l'apporter, mais moi comme je vous dis, je peux le fairesur une base régulière. (Frédéric, Zone)

Il participe donc aux changements organisationnels de l'entreprise, mais pas par les

instances officielles. Pour Maxime, il sent un sentiment d'appartenance très grand au

magasin de la basse-ville, mais pas à la coop Zone en général. Comme l'instance a lieu au

pavillon Maurice-Pollack, il ne sent pas l'envie de se déplacer pour y assister, même s'il sait

qu'il y a droit. Il a l'impression que la haute-ville prend des décisions pour la basse-ville, et

qu'il ne fait pas partie du magasin de la haute-ville : « du secteur Charest finalement, je

sentais plus un truc coopératif entre les gens, tu sais […] sauf qu’on dirait que ça allait, plus

haut, c'était des boss tu sais. Ce n’est pas plus haut c'est un conseil d'administration qui

dirige le directeur général, c'était, c'était un directeur général qui décide, tu sais, puis qu'ils

font ce qu’ils veulent avec la coopérative, tu sais. » (Maxime, Zone) Il rêverait tout de

même d'y amener une délégation de membres de la basse-ville pour montrer leur

mécontentement : « J'ai fantasmé de pouvoir aller à l'assemblée générale pour pouvoir

comme parler du point de vue [des travailleurs du magasin de la basse-ville]. […] Il n’y a

pas de moment où est-ce que même des employés à temps plein disaient on va aller, on va

aller en parler en assemblée générale. » (Maxime, Zone)

Chez MEC, aucun des répondants n'a assisté à une instance, tout simplement parce que

celle-ci a lieu à Vancouver. Même s'ils avaient un intérêt à y participer, cet intérêt n'est pas

assez grand pour effectuer le voyage. Ils votent tous cependant pour les membres du CA, ce

qui se fait en ligne. Mais les trois répondants avouent ne pas accorder beaucoup d'intérêt

aux instances de la coopérative, qu'ils considèrent comme trop éloignées de leur base

locale. Charles, par exemple, préfère s'impliquer à l'extérieur de son travail : « Je

m'implique déjà trop à l'extérieur du travail, ça fait que jamais je ne m’impliquerai au

travail, tu sais. C'est comme… je n’ai pas le temps, tu sais. Si je ne m’impliquais pas à

l'extérieur, est-ce que je m'impliquerais à l'intérieur? Peut-être. » (Charles, MEC)

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À la Barberie, les deux membres participaient à toutes les instances. Laurence n'y avait bien

entendu pas droit, n'étant pas membre de la coopérative. Elle aurait cependant aimé pouvoir

participer davantage :

Je pense que j'avais aussi un peu cette vision-là au lieu de, ah bien, je vais êtreemployée dans une coop, ça fait que même si je ne suis pas membre, je vaisquand même participer, je vais avoir l'impression de m'impliquer tu sais, maisen fait, je pense que comme on n’est pas membre, c'est un peu une job commeune autre. Dans le sens où on n’a pas vraiment l'impression d'être impliquédans, dans les processus décisionnels ou dans quoi que ce soit tu sais. On estconsidéré, mais on n’est pas vraiment impliqué.(Laurence, Barberie)

Les deux autres s'impliquaient amplement, voyant une grande utilité aux instances pour y

prendre des décisions et faire évoluer la coopérative : « Bien, c'est le moment le plus

important pour jouer son rôle de membre. Ça fait que je ne vois pas comment un membre

pourrait ne pas être à l'assemblée générale. » (Myriam, Barberie) Si ce n'était pas de la

coop, Myriam ne croit pas qu'elle se serait présentée sur un CA : « Je ne pensais pas non

plus être jamais sur un CA. Là je suis sur un CA depuis [plusieurs années]. » (Myriam,

Barberie) Elle dit aussi s'impliquer dans plusieurs comités à la Barberie. L'AG est

importante pour « prendre le pouls de l'état financier, l'état coopératif, où on en est, avec ce

qui se passe, de voir les dernières décisions qui sont prises […] qu'est-ce qu'on veut, où est-

ce qu'on va […] pouvoir rejeter certaines décisions qui sont prises. » (Simon, Barberie)

Simon et Myriam s'y impliquaient d'ailleurs beaucoup pour faire valoir leur point de vue.

Au-delà des instances, il y a aussi l'implication hors instance : « Je dépanne l'ordinateur du

bar […] je vais coller des affiches pour un événement » (Simon, Barberie). Ce sont des

tâches qu'il dit faire, car il veut que la Barberie se porte bien.

À la librairie Pantoute, les trois répondants ont tous assistés à toutes les AG depuis le début

de la coopérative. Bien qu'il n'y ait pas assez d'instances à leur goût, ils y voient une utilité

pour gérer leur prêt et développer la coopérative. Celle-ci est toujours en création et les

instances sont, en plus d'un lieu de prise de décision, un lieu d'apprentissage sur le modèle

coopératif. Ils y apprennent de nouveaux éléments à chaque rencontre et les administrateurs

tentent d'informer les membres dans un souci de transparence. Le changement de modèle

leur permet d'ailleurs une meilleure participation à la vie de l'entreprise : « Il y a une

souplesse qu'on n’avait pas, à cause du modèle. Là, le modèle est un peu plus souple. Qui

permet beaucoup plus, moins de pression sur certaines choses, qui permet de travailler,

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d'être léger et de faire ce qu'on aime faire et de bien le faire. Et, il y a un aspect que moi je

ne voyais pas. On parle chiffre. On nous embarque dans le truc, tu sais. […] L'année passée

on était à ça, maintenant on est à ça. On n’avait pas ça avant! » (Denis, Pantoute)

4.4. Le sentiment d'appartenance à la coopérative

Il est surprenant de voir à quel point tous les répondants semblent très bien intégrés à leur

équipe de travail. Plusieurs parlent même de leur équipe de travail comme étant une grande

famille. Ces rapports dépassent souvent le cadre du travail. Bien entendu, il existe certaines

différences dans cette communauté selon la coopérative et les répondants. Ces distinctions

seront présentées.

À la Barberie, l'entreprise semble être une seule et même famille. Même les employés non

membres semblent y être intégrés, comme Laurence le montre : « Je pense que les gens

sont beaucoup plus proches, il y a souvent des partys de gang, c'est tous des amis de longue

date. » (Laurence, Barberie) Tous les répondants se sentent appartenir à l'entreprise et

accordent une importance à leurs collègues. Laurence voit cependant sa situation différente

de celles des autres, puisqu'elle n'est que saisonnière : « C'est sûr qu'on va juste rester au

niveau de c'est le fun, on s'entend tous bien, puis il n’y a pas de problème, tu sais. Mais

j'imagine que quand ça fait 6, 7, 8 ans que tu es dans une coop et que tu prends des

décisions avec le même monde, bien c'est sûr que tu les connais bien les employés et je le

vois bien qu'il y a des… des mésententes entre des gens, et que ce n’est pas tout le monde

qui s'apprécie autant que la saisonnière peut aimer tout le monde. » (Laurence, Barberie)

Bien que la proximité peut créer certaines frictions, les employés ont intérêt à rester

informer et à faire de leur mieux étant donné la proximité de leurs collègues. Ils travaillent

fort tous ensemble et veulent être fiers de ce qu'ils accomplissent. Myriam, pour sa part,

trouve que le profil des travailleurs est assez homogène : « je travaille avec des gens […]

qui ont quand même les mêmes valeurs que moi pas mal souvent là. Tu sais, même dans

mes loisirs, ça se reflète. Tu sais, c'est vraiment euh, on se ressemble beaucoup beaucoup. »

(Myriam, Barberie)

Chez MEC, certaines affinités semblent se créer parmi certains employés : « C'est

probablement la place où j'ai travaillé que j'ai le mieux connectée avec mes collègues. »

(Étienne, MEC) Comme le nombre d'employés est plus grand, cette affinité ne se produit

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pas nécessairement avec tout le monde, mais avec une bonne partie des collègues

immédiats. De plus, ces affinités semblent dépasser les échelons. Les répondants ont tous

mentionné la proximité de leurs supérieurs. Ceux-ci ne sont pas exclus de la communauté :

« Ils essaient quand même de garder ça assez horizontal. Tu sais, les superviseurs viennent

dîner avec nous autres.[…] Tu sais, les superviseurs sont sur le plancher avec nous. Ils ne

restent pas souvent dans leurs bureaux. » (Charles, MEC). Cependant, il peut être quand

même ardu de s'intégrer à cette communauté : « Ça a pris un certain temps de bien

m'intégrer. C'est vraiment un groupe qui sont très… un noyau très dur en fait. Puis des gens

qui se connaissent vraiment bien, puis ça a été un peu plus long pour s'intégrer à l'équipe. »

(Charles, MEC) Comme Charles, Annie a trouvé l'entrée à la coopérative un peu difficile :

« C'est que le milieu du plein air, c'est assez intimidant. […] Tu sais, c'est beaucoup show

off de qui qui en sait le plus puis qui a fait les trips le plus hot, tu sais. Ça m'a pris du temps

avant de me sentir moins intimidée par le monde qui était full connaisseur et quand même

show off. » (Annie, MEC) Le fait d'être entouré de personnes qui partagent sa passion

semble cependant créer un très grand sentiment d'appartenance à la coopérative : « Tous

mes collègues, genre telle personne va faire de l'escalade de glace, eille, viens-tu? Ou on

part en canot en fin de semaine, viens-tu? C'est tout le temps connaître des gens qui ont les

mêmes intérêts que toi aussi là. » (Annie, MEC) Annie sent cependant qu'elle pourrait être

plus attachée à un plus petit milieu de travail : « Quand tu es dans un plus petit milieu, moi

en tout cas, je trouve que je me sens plus concernée, je me sens plus chez nous. » (Annie,

MEC)

À la librairie Pantoute, les répondants mentionnent tous que la librairie est leur famille,

mais avec quelques divergences. Pour l'un, il s'agit du magasin pour lequel il travaille. Il

précise que plusieurs collègues sont devenus des amis. Cependant, bien qu'il y ait des

échanges constants entre les employés des deux magasins, il se sent moins près des

travailleurs de la basse-ville, qui ne partagent pas son quotidien. À propos du magasin dans

Saint-Roch, il dit : « J'aime moins le milieu, j'aime moins le euh… c'est comme si je

m'éloignais. C'est comme des cousins ahahah. J'imagine que je m'y ferais, mais je ne pense

pas que j'aimerais quitter ma famille pour aller habiter avec des cousins. » (Marc, Pantoute)

Malgré la proximité des deux magasins, la distance semble amener certains problèmes dans

la création d'une communauté coopérative plus large. Pour Guillaume, il n'y a pas vraiment

de différence entre les deux magasins : « C'est la même équipe, c'est la même gestion, c'est

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la même gang […] l'esprit Pantoute est le même. […] Et pour nous, ce n’est pas, ce n’est

pas une bannière, tu sais, c'est la maison mère et la petite sœur. C'est le même Pantoute,

c'est la même famille. » (Guillaume, Pantoute) Denis aussi ne voit pas de différence entre la

communauté des deux magasins. Lorsqu'il s'est fait demander ce qu'il perdrait en quittant

l'entreprise, il a répondu ceci : « Ce que je perdrais, je vais te dire, c'est cette communauté-

là de gens qui, depuis 10 ans, sont à peu près les mêmes. Avec qui j'ai, avec qui j'ai créé des

liens super forts. » (Denis, Pantoute)

Chez Zone, on remarque la même difficulté. Maxime a mentionné qu'il se sentait très près

de ses collègues et de ses supérieurs du magasin de Saint-Roch et qu'ils constituaient une

grande équipe. Cependant, le rapport n'est pas le même avec le haut de la pyramide qui se

retrouve en haute-ville. Ces derniers sont vus comme gérant de l'extérieur, et imposant des

décisions au magasin de la basse-ville sans les consulter. Il y a bel et bien une communauté

d'appartenance, mais elle a lieu dans le magasin, et non dans la coopérative. On retrouve la

même chose au pavillon Maurice-Pollack, où les répondants semblent très près de leurs

collègues, mais ne mentionnent pas les autres magasins présents dans la ville de Québec.

Frédéric précise d'ailleurs qu'il n'aimerait pas travailler dans un autre magasin que celui du

Maurice-Pollack : « Dans le fond, admettons le magasin central, toute la structure est là. Ça

fait qu’admettons, quelqu'un qui travaille au centre ville, qui a un problème avec la vente

d'ordinateur se retrouve à appeler, ça met des délais, puis ce n’est pas quelque chose que

j'aime faire. Si je suis avec un client et il y a une situation problématique, le technicien, je

peux aller le voir en bas tout de suite, ou l'appeler, lui en parler et il va monter. » (Frédéric,

Zone) Bien que ce soit une seule et même coopérative, les communautés diffèrent d'un

magasin à l'autre, et certains se sentent assujettis aux décisions prises par le centre.

Les répondants sentent donc une appartenance au magasin pour lequel ils travaillent, mais,

dans le cas des coopératives ayant plusieurs lieux de vente, cette appartenance ne semble

pas dépasser le cadre du magasin pour lequel ils travaillent. Ils sont cependant très attachés

à leurs collègues de travail, peu importe la coopérative, auxquels ils réfèrent parfois en

terme de membre d’une seconde famille.

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4.5. L'avenir après la coopérative

Ce sentiment d'appartenance au milieu coopératif, jumelé aux conditions de travail, fait que

tous les répondants se sentent satisfaits de leur travail et veulent y demeurer le plus

longtemps possible. Bien entendu, plusieurs répondants ne se voyaient pas travailler à long

terme pour cette entreprise, mais le fait de la quitter semble tout de même provoquer

certaines craintes. Dans cette section, j’ai divisé les répondants en deux catégories : ceux

qui sont de passage dans le modèle coopératif et ceux qui souhaitent y demeurer.

Tous les répondants de la librairie Pantoute semblaient vouloir demeurer dans la

coopérative, à moins d'obtenir un poste plus intéressant, comme devenir professeur.

Cependant, on appréhendait cette possibilité tout de même de manière négative, et l'on ne

se sentait pas prêt à partir pour l'instant. Pour Denis, qui a passé plusieurs années dans

l'entreprise, il ne se voyait pas quitter l'entreprise puisque, même s'il en avait l'opportunité,

il n'aurait pas le temps de reconstruire ce qu'il a construit chez Pantoute : « Si jamais ça

fermait […] je ferais autre chose que libraire, je ne serais pas capable de refaire ça comme

ça. » (Denis, Pantoute) Marc aussi ne croyait pas être capable de retrouver les conditions

gagnantes de Pantoute dans une autre librairie.

Chez MEC, les trois répondants étaient de passage dans l'entreprise. Pour Annie, le MEC

était parfait comme emploi étudiant, mais elle ne s'y voyait pas y travailler à long terme, à

moins de pouvoir obtenir un poste en particulier dans l'entreprise : « Ils appellent ça

outreach coordinator. C'est ceux qui s'occupent des événements puis des formations. Ce

poste-là est vraiment plus intéressant et dans ma branche. Mais tu sais, il y a une personne

qui le fait puis… c'est juste si la personne s'en va que quelqu'un d'autre est embauché. »

(Annie, MEC). Même si elle déménageait, elle avait la possibilité d'être transférée à un

autre magasin, mais ne voulait pas le faire pour travailler dans son domaine.

À la Barberie, les deux membres souhaitaient demeurer dans le modèle coopératif, alors

que Laurence n'était que de passage. Simon aimerait bien y rester, mais il dit que cela va

dépendre de ce qu'il pourra obtenir comme poste dans l'entreprise :

J'aimerais continuer à travailler à long terme, par contre j'ai plafonné, si tuveux, dans, au service. […] Je n’ai pas accès à de super bons chiffres. Et àmoins que d'autres personnes lâchent au-dessus de moi, j'ai atteint euh, tu saispas mal mon plafond là de ce que je peux faire. Donc à cause de cette raison là,

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ça se peut que ce soit temporaire. Mais idéalement, j'aurais un poste dereprésentant ou quelque chose d'autre pour me recycler à la Barberie. J'aimeraisça rester à la Barberie. (Simon, Barberie)

Chez la coop Zone, les deux employés étaient de passage, et le gestionnaire, Benoît,

souhaitait y demeurer. Même s'il ne se voyait pas conserver cet emploi à très long terme,

Frédéric se voyait continuer à y travailler pendant plusieurs années encore, le temps de ses

études. Bien qu'il avait l'expérience pour travailler ailleurs, il ne se voyait pas travailler

dans les conditions de travail d'autres compagnies : « Parce que la coop Zone, c'est une

petite entreprise. Tout le monde se connaît là-dedans. Vu que ça fait 4 ans que je suis là, j'ai

quand même une réputation qui a été établie. J'ai l'impression que... j'ai déjà regardé pour

d'autres emplois […] puis c'est toujours de très grosses entreprises comparées à la coop.

[…] Je ne sentirais pas un sentiment d'appartenance tant que ça. » (Frédéric, Zone) Son

plan était donc de travailler à la coopérative, jusqu'à ce qu'il termine ses études et puisse

travailler dans son domaine. Benoît précisait pour sa part qu'il souhaite terminer sa carrière

chez Zone et qu'on lui avait récemment offert un emploi avec un plus gros salaire dans une

autre entreprise, mais qu'il a refusé. Même s'il avait la possibilité de devenir plus riche

ailleurs, il aimait sa liberté chez Zone et croit fondamentalement à sa mission : « Je veux

bien gagner ma vie, mais pour moi l'important c'est ma liberté aussi. C'est, euh, gestionnaire

d'une entreprise privée, ça peut être très éphémère si tu ne rencontres pas les exigences des

actionnaires. Pour une coopérative, il faut que tu rendes compte des besoins. Il y a un

facteur humain qui est peut-être un peu plus important. Il y a comme un, comment je

pourrais dire, un équilibre entre l'économique et le social. » (Benoît, Zone) Dans le cas de

Maxime, il n'y travaillait plus au moment de l'entrevue, puisqu’il avait décidé de se

concentrer sur ses contrats, mais n'hésiterait pas à y retourner : « Je préfère faire ma job à

moi, tu sais. Je ne serais pas malheureux de retourner là-bas, mais ce serait pas euh, ce

serait pas un, tu sais, j'aimerais mieux faire quelque chose pour moi, tu sais, finalement. »

(Maxime, Zone)

Ainsi, on remarque que les répondants ont tous un sentiment d'appartenance à leur

entreprise. Même s'ils ne souhaitent pas nécessairement y passer l'entièreté de leur vie

professionnelle, ils se sentent inclus et le fonctionnement de leur entreprise fait que, malgré

certaines difficultés, ils s'y sentent parties prenantes. Cependant, on a aussi pu voir que cet

attachement à l'entreprise n'amène pas nécessairement une participation aux différentes

instances démocratiques qu'offrent les coopératives. Pour voir ce qu'il en est réellement de91

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l'engagement dans le milieu coopératif, le prochain chapitre analysera l'engagement des

répondants envers les différentes sphères qui ont été présentées dans le chapitre 2. Nous

pourrons ainsi voir plus précisément de quelle manière s'impliquent les travailleurs en

dehors des instances officielles que sont l'AG et le CA.

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Chapitre 5 : L'engagement dans le milieu coopératif

Au cours des entrevues, j'ai pu remarquer que les répondants s'engageaient envers

différentes cibles et que cet engagement se faisait pour différentes raisons et de différentes

manières. Ce chapitre abordera d'abord la question du changement organisationnel dans les

coopératives étudiées et la réponse des répondants face à ce changement. Ensuite, les

différentes cibles d'engagement que les entrevues ont permis de saisir seront abordées,

suivies des trois différents types d'engagements. Une typologie des différentes manières de

s'engager dans le mouvement coopératif sera aussi présentée. Subséquemment,

l’importance qu'occupe leur coopérative chez les individus en faisant partie, par leur

intention de quitter sera abordée. Finalement, ce chapitre terminera par un retour plus large

sur la sphère de l'économie sociale et solidaire.

5.1. Le changement organisationnel

Les entreprises à l'étude étaient toutes, d'une certaine façon, en transformation. MEC était

sur le point de déménager du quartier Saint-Roch au quartier Lebourgneuf; la Barberie était

en restructuration de sa mission depuis le départ du dernier membre fondateur; les

employés de Pantoute étaient toujours en création de leur coopérative; et la coop Zone était

en train de se redéfinir en raison du virage numérique dans le marché du livre et des notes

de cours. Les travailleurs ont différentes façons de réagir à ces changements

organisationnels. On peut ainsi tenter d'appliquer le modèle d'Ackoff (1981) sur les

interactions et les changements entrepreneuriaux. Cet auteur discerne quatre types de

planificateurs dans les organisations, axés, selon le cas, sur le passé, le présent ou le futur.

Passé Présent Future

Réactif + - -

Inactif - + -

Proactif - - +

Interactif ± ± ±

Le comportement réactif est nostalgique du passé. Il n'aime pas ce qui se fait en ce moment

et où l'organisation se dirige. Les individus adoptant ce comportement veulent retourner à

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ce qu'il y avait avant. L'inactif est satisfait des choses comme elles le sont présentement. Il

ne veut pas retourner à un stade précédent et il n'aime pas ce que les choses sont en train de

devenir. Les individus adoptant ce comportement vont tenter de prévenir le changement.

Leur but est la survie et la stabilité. Même si la situation actuelle n'est pas nécessairement

parfaite, elle est vue comme assez bonne ou aussi bonne qu'il est raisonnable de l'être. En

cas de crise, ils ne feront rien et vont blâmer ceux qui ont fait quelque chose. Ils vont

préférer se débarrasser de ce qui est néfaste plutôt que de tenter de l'améliorer.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ils sont très actifs, puisque le fait d'empêcher les

choses de se produire demande beaucoup de travail. Pour ce qui est du comportement

proactif, les individus dans ce comportement ne veulent pas retourner à un ancien modèle

ou laisser les choses comme elles le sont. Ils voient le futur comme étant mieux que le

passé ou le présent, et veulent accélérer le changement et exploiter ce qu'il amène. Pour ce

qui est du comportement interactif, les individus de ce type, contrairement aux autres, ne

croient pas que le futur est hors de contrôle. Il dépend de ce qu'on fait maintenant et de ce

qu'on a fait avant. Ils veulent un futur désirable et inventent des façons de l'amener. Ces

comportements sont tous des formes d'engagement envers les changements

organisationnels dans l'entreprise. Bien que le fonctionnement en AG découle davantage

d'un comportement interactif, ce n'est pas l'unique comportement face au changement

organisationnel qu'on retrouve dans le milieu coopératif.

5.1.1. Le comportement proactif/interactif

La plupart des comportements quant aux changements organisationnels dans les entreprises

ciblées semblent provenir de comportements proactif ou interactif. Ces deux

comportements sont cependant difficiles à différencier. Benoît, par exemple, accordait

beaucoup d'importance à l'environnement et au développement durable lors de l'entrevue. Il

est cependant difficile de dire si ce changement vers le développement durable pour lequel

il s’engage provient d'un comportement interactif, puisqu'il travaille à créer un avenir

meilleur, plus écologique, ou s'il s'agit plutôt d'un comportement proactif, puisque le

développement durable est à la mode actuellement, et qu'il l'est d'autant plus dans la sphère

de l'économie sociale. Les entrevues effectuées ne permettent pas de trancher si les

répondants ont davantage un comportement proactif ou interactif. Il est difficile de dire s'ils

surfent sur une vague ou tentent de la contrôler. Pour cette raison, amener une description

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plus poussée de ces deux comportements demeure ardu. Cependant, les entrevues ont

permis de voir que ces deux comportements ne sont pas les seuls qu'on peut retrouver dans

le milieu coopératif. Malgré l'espace de discussion plus grand que le mouvement coopératif

offre, la forme de gestion de ces entreprises peut amener certains comportements réactifs,

puisqu'une minorité peut ne pas être d'accord avec les changements organisationnels de

l'entreprise. De plus, certaines personnes, plutôt que de viser un changement

organisationnel, visent d'abord et avant tout le maintien de l'entreprise comme elle est

présentement. C'est ce qui sera analysé plus en détail.

5.1.2. Le comportement réactif

Des comportements réactifs ont été aperçus dans deux coopératives : le MEC et la Coop

Zone. Chez MEC, un répondant a critiqué certains changements qui se sont effectués dans

la coopérative au cours des dernières années. Il s'agit de la polémique entourant le

changement de logo et l'élargissement du MEC de magasin d'escalade à un magasin plus

largement de plein air, et plus récemment le déménagement du magasin de Québec :

[MEC], c'était des gens qui étaient amateur d'escalade dans les rocheuses puisqu'ils trouvaient qu'il y avait pas beaucoup d'équipement d'escalade […] auCanada. […] Ce qu'ils se sont dit, c'est qu'on allait aller en acheter plus puis onva revenir avec notre caravane. […] On va en acheter un peu plus là-bas [auxÉtats-Unis] puis on va les vendre à un prix un peu plus cher pour qu'on puissealler en racheter. […] Ça fait que ça a commencé dans une camionnette. […] Audépart, c'est vraiment que de l'escalade. Après, c'est devenu plein air. […] Doncon perd un peu de l'essence du MEC. (Charles, MEC)

À la Coop Zone, un répondant a quant à lui critiqué un virage de la coopérative, qui

cherche à prendre une plus grande part du marché plutôt qu'à se tenir à sa mission de base,

soit fournir des services aux étudiants : « J'ai l'impression que la coopérative est en train de

[…] délaisser son, sa mission de fournir du matériel informatique, pas du matériel

informatique, mais du matériel étudiant, parce que même là, je sais qu'il y a des projets

d'ouvrir des euh, des cafétérias » (Maxime, Zone). Ces deux répondants évoquent un désir

que leur coopérative retourne à ce qu'elle était par le passé.

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5.1.3. Le comportement inactif

Le changement organisationnel qui s'est opéré dans la librairie Pantoute relève, en partie,

d'un comportement inactif. Bien que l'idée pour les employés de se regrouper sous un

modèle coopératif peut sembler relever d'un comportement interactif, les entrevues

montrent qu'à la base, l'idée de se regrouper ne vise pas la prise de contrôle de son

entreprise, mais bien de conserver la liberté et la tradition de la librairie. En ce sens, ce

changement organisationnel m’apparaît comme un comportement inactif. Bien qu'il soit

aussi teinté d'un comportement interactif, celui-ci semble arriver en deuxième lieu, puisque

l'idée de base est la conservation de la tradition, et des choses comme elles se faisaient

avant la vente :

« C'était la solution pour moi de continuer à faire ce que je faisais de mieuxavec euh le métier que j'aime. Et c'est aussi la façon de ne pas être acheté parquelqu'un qui peut-être n'avait pas les mêmes visions que nous on avait. »(Denis, Pantoute)

« De se regrouper pour former une coopérative et acheter ensuite, nonseulement ça allait dans le sens quand ils ont fondé la librairie […] Je pense quec'est la continuité de ce que c'était au départ le fait qu'on soit une coopérativemaintenant. » (Marc, Pantoute)

« En étant propriétaire, dans le fond, majoritaire de la librairie, bien ça nouspermettait évidemment de perpétuer ça justement et de garder cette liberté-làqui nous tient quand même à cœur. » (Guillaume, Pantoute)

Ce changement semble cependant avoir fait naître des comportements interactifs dans la

coopérative, puisque les employés ont pris conscience du rôle qu'ils peuvent jouer et de leur

nouvelle liberté décisionnelle dans l'entreprise, liberté avec laquelle ils disent tous profiter.

5.2. Les différentes cibles d'engagement

Les entrevues font ressortir différentes cibles à l'engagement des travailleurs du mouvement

coopératif. Certaines personnes s'engagent envers leur métier, envers leurs collègues,

envers leurs supérieurs, envers l'organisation ou envers les buts et les valeurs de

l'organisation. D'autres personnes vont aussi plus largement s'engager envers le modèle

coopératif et le changement social. Bien entendu, une même personne peut s'engager envers

plusieurs cibles. Ces différentes cibles, et la manière que les répondants s'engagent envers

elles seront présentées.

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5.2.1. S'engager envers la profession

Les répondants de la librairie Pantoute, comparativement à ceux des autres coopératives,

accordent une importance à leur profession. Ils semblent très engagés envers le métier de

libraire : « C'est vraiment un métier où on est là pour la passion. Tu peux pas être libraire

pendant des années si tu manges pas des livres. » (Guillaume, Pantoute) C'est pour

continuer ce métier que Denis souhaitait que Pantoute devienne une coopérative : « C'était

la solution pour moi de continuer à faire ce que je faisais de mieux avec euh le métier que

j'aime. » (Denis, Pantoute) Guillaume dit aimer cet emploi parce qu'il lui permet

d'entretenir sa passion : « Il y a l'aspect de défi, oui, de dépassement, qui est, je pense,

important dans tous les emplois, mais il y avait, et c'était bien important pour moi aussi,

l'idée d'être capable d'entretenir cette passion-là. » (Guillaume, Pantoute) L'entreprise lui

offre d'ailleurs la possibilité d'entretenir sa passion par le métier de libraire, mais aussi par

les autres tâches qui peuvent accompagner ce métier : « Depuis Pantoute, on rédige des

articles pour des journaux, pour des magazines, on participe à des émissions de radio, à des

émissions de télé, donc ça nous ouvre aussi cette, ce portail-là pour diffuser notre passion,

notre métier. » (Guillaume, Pantoute) Marc évoque aussi cet élément : « Je découvre des

choses à tous les jours. J'ai la chance de rencontrer des gens passionnants, que ce soit des

auteurs ou des gens qui sont avides de découvrir. Ça fait que tu sais, oui, pour le salaire, ce

serait facile de trouver mieux, mais pour tout ce qui est à côté, pour tous les avantages, pour

moi ça me convient vraiment beaucoup. » (Marc, Pantoute) Après avoir passé plusieurs

années dans la librairie, Guillaume a de la difficulté à se voir faire autre chose comme

métier :

Des nouveautés, c'est pas à chaque semaine, c'est à chaque jour. J'auraisl'impression, disons, de retomber un peu des nues. De voir, bon là, il rentre plusde nouveautés de livres. Je me sentirais un peu comme un orphelin […] Et avecle milieu, avec tout ce que ça suppose aussi de pouvoir bon, discuter de, je saispas, de Cicéron à brûle-pourpoint avec un client qui tripe sur le monde romain à9h30 le soir. C'est pas tous les milieux où on peut avoir aussi cet aspect là,stimulant, puis culturel toujours, tu sais. (Guillaume, Pantoute)

Le métier de libraire, par sa nature, amène aussi certaines tâches que les répondants font

avec plaisir : « Être un libraire, tu sais, c'est assez aimer son métier pour être justement,

dire, bien là, il faut poser des roues sur un meuble, bien on va poser des roues sur un

meuble. Il faut changer des ampoules, bien on va changer des ampoules. […] Il n'y a pas

personne qui nous force à le faire, c'est de notre propre chef parce qu'on aime l'entreprise. »97

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(Guillaume, Pantoute) Marc mentionne aussi certaines tâches devant être faites par un

libraire : « Il n'y a pas quelqu'un qui est à la caisse, quelqu'un qui… Il y a une rotation et

tout le monde fait de tout. Tout le monde va laver le plancher éventuellement, tout le monde

va placer un livre éventuellement, tout le monde va faire de la caisse » (Marc, Pantoute). Il

mentionne que c'est l'un des éléments importants du métier de libraire : « On essaie toujours

de faire en sorte que tout le monde soit un peu sur le même pied d'égalité au niveau des

tâches à faire, au niveau que personne ne soit obligé de faire le travail ingrat toute la

journée, puis qu'on en fasse deux heures, puis qu'ensuite ce soit quelqu'un d'autre, peu

importe la hiérarchie. » (Marc, Pantoute)

À la Barberie, Myriam accorde une grande importance à la profession qu'elle occupe :

« Un meilleur emploi pour bien du monde, ça veut dire un poste admettons […] à temps

plein dans une plus grosse place, ou avec des fonctions plus précises dans une plus grosse

place avec un plus gros salaire, mais moi il me manquerait beaucoup trop le côté service.

Pour moi, le mix de mes deux postes ensemble, c'est comme vraiment parfait. » (Myriam,

Barberie) Elle accorde aussi une importance à cet emploi parce qu'il lui permet de mettre en

pratique ce qu'elle a appris pendant ses études : « Jusqu'à avant ça, j'ai gardé un emploi

quand même assez longtemps […], mais que… j'aurais pu avoir juste mon DEC en sciences

humaines puis ça aurait été suffisant pour le faire là. J'avais hâte de mettre en application ce

que, mes études dans le fond. » (Myriam, Barberie) Le modèle lui permet aussi, en un sens,

d'être propriétaire d'une entreprise, ce qu'elle ne se voit pas faire à son propre compte : « À

la base, je suis pas quelqu'un qui me partirait en affaire. [...] Moi, ça me permet d'avoir une

entreprise, si je peux dire, sans, sans être à mon compte. […] Ça fait que je possède une

Ahahah! Une coop avec d'autres mondes super fins que j'estime et que j'apprécie, alors que

je pensais pas du tout, jamais, avoir mis de l'argent, mettre de l'argent dans une entreprise. »

(Myriam, Barberie) Elle qualifie son emploi à la Barberie comme étant son emploi de rêve.

Laurence, pour sa part, voulait y travailler en raison du défi que ça représentait pour elle :

« J'avais envie d'avoir ce défi-là parce que c'est très exigent et c'est un gros challenge quand

même travailler dans un bar quand ça roule autant et qu'il y a une grosse terrasse là. J'avais

le goût de me donner ce défi-là, je pense. » (Laurence, Barberie) Dans le cas de Simon, son

attachement à son travail est né de son implication : « J'ai réalisé que l'implication, comme

ça, au travail, ça donne un attachement que j'avais pas dans mes autres emplois. J'ai tout le

temps travaillé pour euh vivre, tu sais, pas jamais vécu pour travailler. […] Ça veut dire que

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n'importe quel job ferait l'affaire. Là, j'ai plus envie de travailler ailleurs depuis que je suis à

la coop. » (Simon, Barberie)

Dans le cas de Zone, Maxime n'accordait pas une importance particulière à ses tâches, mais

bien à la clientèle : « La clientèle qu'on a est plus jeune, est plus dynamique, est comme

euh, peut-être plus ouverte d'esprit, est plus éduquée, tu sais. […] J'ai l'impression que dans

les coopératives étudiantes, comme je te disais tantôt, c'est les ambiances qui sont cool. »

(Maxime, Zone) Il mentionnait cependant la flexibilité qu'il avait au travail comme étant

bénéfique : « Je me suis occupé justement de la caisse, de l'entrepôt, des arts, des arts puis

des euh de l'informatique. Ce qui veut dire que, tu sais, je touchais à tout […] Moins tu me

gardes longtemps au même poste, mieux c'est là. » (Maxime, Zone) Pour Frédéric, c'est la

fidélité des membres envers le commerce qui est venu le toucher dans son travail : « Quand

il y a un client qui vient me voir, qui est satisfait de mon service puis qui aime ça

encourager la coop, automatiquement, ça vient me chercher un peu plus. Ça m'encourage à

l'aider mieux. […] Le monde qui reviennent nous voir et qui sont fidèles à la coopérative,

c'est le fun. » (Frédéric, Zone) Il accordait une importance particulière au fait d'être reconnu

dans son travail : « Quand je travaille bien, j'aime ça être reconnu pour mon travail. […]

J'aime ça quand mon implication est reconnue. J'aime ça bien me forcer puis j'aime ça

quand, c'est ça, quand le monde l'apprécie. » (Frédéric, Zone) Il disait en faire plus que ce

qu'on lui demandait : « J'ai toujours fait plus que juste le travail qui m'était assigné. »

(Frédéric, Zone) Il mentionnait que la structure fait cependant qu'il ne serait pas supposé

toucher à un autre département : « Je me permets un peu de déborder de mes tâches, mais

en étant vendeur informatique, je suis juste supposé admettons faire du service

informatique. Mais en connaissant le reste, je me permets d'en faire un peu plus. »

(Frédéric, Zone) Il aime son travail en partie en raison du département dans lequel il

travaille : « L'informatique, c'est quelque chose qui me passionne, et c'est quelque chose

que je connais vraiment beaucoup. » (Frédéric, Zone) Même s'il ne se voyait pas faire ce

travail toute sa vie, il dit aimer le service à la clientèle : « J'aime ça aider les personnes, et le

service aux clients c'est quelque chose qui me, qui me tient très à cœur. Ça fait que je suis

content quand les clients viennent me voir, quand j'établis une réputation et quand ils sont

satisfaits du service que je procure. » (Frédéric, Zone) Il s'impliquait d'ailleurs dans le

changement de l'organisation du travail dans le but d'améliorer le service qu'il peut offrir :

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J'ai de la misère des fois avec la structure de l'entreprise. C'est quelque chosequ'on retravaille beaucoup en ce moment aussi. Principalement à cause que,admettons qu'on vient porter un ordinateur en service technique, des chosescomme ça, ça peut prendre admettons 4 à 5 jours, mais il y a des choses quemoi je serais capable de faire tout de suite avec le client, mais que je ne suis pasautorisé à faire vu que je ne suis pas technicien. Ça fait que j'ai poussébeaucoup pour que ça change, et c'est en train de se faire heureusement.(Frédéric, Zone)

Benoît accordait pour sa part une plus grande importance à ses tâches, par son rôle de

gestionnaire. Pour lui, son rôle de gestionnaire dans le milieu coopératif lui allait, car le

modèle plus ouvert lui permet une liberté dans son travail qu'il ne croit pas pouvoir avoir

dans une entreprise privée : « Si j'y croyais pas fondamentalement, j'aurais fait le, j'aurais

fait le pas vers l'argent, si tu veux. Et quand les offres d'emploi, c'est drôle, ils étaient tous

comme ça. Ils me disaient tous, écoute, tu vas voir, tu vas devenir pas mal plus riche, tu

sais. Toujours la question salariale, rémunération. Moi, c'est pas ça qui m'intéresse. Je veux

bien gagner ma vie, mais pour moi l'important c'est ma liberté aussi. » (Benoît, Zone) Il

mentionnait cependant qu'il pourrait aimer autant son travail dans une entreprise privée :

« Comme gestionnaire, si j'ai fait le choix d'y aller, probablement. Tu sais, si je suis capable

d'inculquer mes valeurs, ma philosophie de gestion, puis euh, de dire oui j'ai un défi puis il

faut j'atteigne le défi, oui. » (Benoît, Zone)

Au MEC, par la nature du travail occupé par les répondants, ils n'accordaient pas une

grande importance aux tâches effectuées. Cependant, dans le cas d'Annie, elle accordait une

grande importance à son travail en raison de sa grande passion pour le plein air : « C'est le

plein air d'abord qui m'a attirée. […] Ils engagent du monde crinqué de plein air, puis ils

font juste parler sur ce qu'ils savent, ça fait que c'est motivant comme emploi. » (Annie,

MEC) Par sa passion pour le plein air et la flexibilité qu'elle avait au travail, elle se sentait

engagée dans son travail au MEC :

Le truc qui est le fun, tu sais, comme je te disais, on fait des rotations dans lesdépartements. Ça fait qu’une journée, tu peux être aux chaussures, une journéeau camping, l'autre journée tu peux être aux caisses. Ça fait que je sens jamaisque je suis tannée parce que je bouge tout le temps. […] Je me tanne pas et j'aile goût d'aller travailler là. Puis tu sais, il y a toujours des petites affairescomme : eille, on a reçu tel réchaud camping, je vais faire une petiteprésentation rapide, tu sais. C'est tout le temps crinqué sur le toujours enapprendre plus, tu sais. (Annie, MEC)

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Dans le cas de Charles, il ne se sentait pas engagé dans sa tâche au MEC, mais expliquait

comment un employé peut y être attaché :

Admettons on a un collègue qui a une fabrique de ski, qui fabrique ses propresskis puis qui vraiment est un type, un expert en fait. Ça fait que lui il donne desformations de ski. Il est payé pour faire cette formation-là. Donc si MEC trouveque tu es assez bon dans ce que tu fais puis que ça vaut la peine que, tu sais queça apporte un plus aux employés puis à la connaissance des produits ou del'expertise disons, bien ils te payent pour faire la formation puis ils donnent lescongés nécessaires aux gens qui veulent suivre la formation. (Charles, MEC)

Charles mentionnait aussi ses conditions de travail chez MEC, qui sont mieux qu'ailleurs.

5.2.2. S'engager envers ses collègues de travail

Chez tous les répondants, on voit une forme d'engagement envers les collègues de travail.

On travaille bien, et en équipe, pour le bien de l'équipe de travail.

Maxime, à la coop Zone, remarque qu'il a perdu un réseau social en quittant l'entreprise,

qu'il retourne voir en tant que client de la coopérative : « À la coopérative par contre, c'était

du monde que je voyais à tous les jours, puis que, comme, qui m'étaient sympathiques. […]

À chaque fois que je retourne, parce que je retourne encore acheter, tu sais, je suis rendu là

environ une fois par semaine, puis je fais mon tour, puis je jase avec eux, ça fait que, je

pense, la chose que j'ai perdue le plus, c'est justement comme un contact social finalement

avec l'équipe qui était là, tu sais. » (Maxime, Zone) Il aimait l'organisation du travail de la

coopérative, qui favorise l'entraide entre collègues de travail : « Tout le monde s'entraidait,

des affaires de mêmes. Puis, tu sais, quand on avait un rush à la caisse, quelqu'un de

l'informatique venait nous aider. On était comme une gang qui faisait marcher le bateau, tu

sais. Plus que comme un petit maillon dans la chaîne, puis qu'on avait notre petit poste à

nous et qu'on devait pas déroger de ça. » (Maxime, Zone) Frédéric avait aussi le même

sentiment dans le magasin sur le campus : « Sur le plancher de vente, on est très, on est très

lié là. C'est des personnes avec qui je m'entends très très bien et on est toujours prêts à

s'aider les uns les autres quand on a des problèmes. » (Frédéric, Zone) Le même

engagement entre les collègues se retrouvait dans les bureaux, comme le mentionne

Benoît : « En fait, les gens restent parce qu'ils ont, à quelque part, les mêmes valeurs que

toi. Donc, ça fait comme une belle chimie. On sait pour qui on travaille, pour quoi on

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travaille. C'est ça. Personne s'enrichit ici dans le fond. On se dit qu'il faut avoir du plaisir.

Le plaisir à rencontrer les exigences des membres aussi là. » (Benoît, Zone)

Le partage des valeurs coopératives fait que souvent, les personnes qui travaillent ensemble

se ressemblent, ce qui favorise les liens : « Je travaille avec des gens […] qui ont quand

même les mêmes valeurs que moi pas mal souvent là. Tu sais, même dans mes loisirs, ça se

reflète. Tu sais, c'est vraiment euh, on se ressemble beaucoup, beaucoup. » (Myriam,

Barberie) Dans l'embauche du nouveau personnel, il faut d'ailleurs que les nouveaux

partagent ces valeurs du reste de l'équipe : « On veut que ça fit, tu sais. Sans qu'on est pas

toute pareil là, mais, il faut que ça fit avec l'équipe. On veut que le monde… partage, puis

de donner leur opinion puis tout ça. Ça fait que c'est sûr qu'on essaie de prendre du monde

qui sont capables de donner leurs opinions, mais qui sont capables d'écouter les autres,

même s'ils seront pas nécessairement directeurs du département. » (Myriam, Barberie) Le

fait que la Barberie possède un salon de dégustation aide aussi à la cohésion entre

collègues : « En plus, on a un salon de dégustation là. On est une coop, puis en plus on a un

lien d'après travail sur les lieux du travail là. » (Myriam, Barberie) Simon précisait qu'il

aime le fait que l'équipe de travail se gère par elle-même plutôt qu'avec un supérieur : « Si

quelqu'un tire de la patte, c'est entre nous autre qu'il faut le dire. On a pas à dire au patron :

hey patron, il tire de la patte. Le chialage se passe entre nous autres. Les décisions sont

prises entre nous autres, ce qui est vraiment génial. » (Simon, Barberie) Laurence aimait

aussi que les problèmes soient réglés entre collègues de travail plutôt que par le supérieur :

« Si tu as quelque chose à apprendre, quelque chose que tu fais pas comme il faut

admettons, qu'ils ont envie de te dire de faire différemment, bien c'est tes collègues de

travail avec qui tu travailles qui vont te le dire, puis ils vont te le dire gentiment. […] Ça

passe bien tu sais, versus un boss qui vient te voir, tu sais, à la fin de ton chiffre. »

(Laurence, Barberie) C'est d'abord et avant tout la proximité de l'équipe qui fait qu'elle

aimait autant son travail : « C'est la cohésion, là, de la gang qui est le fun. Le fait que tout le

monde soit proche, puis, euh, super sympathique les uns avec les autres. » (Laurence,

Barberie) Simon était aussi de cet avis : « Il y a une complicité que j'ai jamais eue ailleurs.

Je veux dire avec tous les autres employés. » (Simon, Barberie) Même si la proximité peut

parfois amener des conflits, comme la communication se fait de manière horizontale, les

problèmes semblent se régler plus facilement : « J'étais pas à l'aise avec certaines, certains,

certaines de mes collègues, donc ça créait un climat de travail qui était un peu difficile. […]

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Et puis éventuellement j'ai réussi à régler ce problème-là à travers la communication qui se

serait peut-être pas passée dans un autre environnement. » (Simon, Barberie) Cette

communication fait que la gestion de l'horaire de travail à la Barberie est plus simple

qu'ailleurs selon lui : « Tu sais, on se lance à aider. Les remplacements sont souvent faits

super facilement. » (Simon, Barberie)

Au MEC, les répondants étaient attachés à leurs collègues en raison de la passion qu'ils

partageaient pour le plein air. Annie, par exemple, aimait être entourée de personnes qui

partagent sa passion pour le plein air. Pour Étienne, : « C'est quelque chose qui me

passionne d'être avec des gens qui me ressemblent un peu. » (Étienne, MEC) Étienne

précisait aussi que l'ouverture de l'équipe faisait qu'il se sentait plus attaché à ses collègues

qu'ailleurs : « Les gens sont toujours en train d'offrir, genre si tu as des questions, hésites

pas, je suis là pour t'aider […] et souvent quand tu cherches quelque chose, il y a quelqu'un

qui arrive et qui vient t'aider. Tandis que j'ai travaillé à d'autres endroits, puis euh, quand tu

leur poses une question, tu te fais répondre, bien, va checker toi-même. » (Étienne, MEC)

Cette plus grande souplesse serait possible, selon lui, parce que les employés seraient moins

stressés au travail : « Quand je suis arrivé, ça m'a surpris à quel point les gens euh ils

semblaient pas pressés, en train de courir partout, à avoir, tu sais, des gens stressés, c'est un

peu moins agréable à côtoyer. Bien, vraiment, ça m'a surpris à quel point les gens étaient

relaxes. […] Je pense qu'il y a peut-être plus d'employés qu'ailleurs pour faire la même job,

donc les gens ont pas besoin de courir partout et de se sentir débordés. » (Étienne, MEC)

À la librairie, le sentiment d'appartenance envers les collègues semble s'être accentué

depuis le changement organisationnel :

Je sens qu'il y a un sentiment d'appartenance dans le milieu de la librairie, de lapart des employés qui en font partie parce qu'ils ont vraiment l'impressiond'appartenir à une famille. Et ça se sent, juste dans les initiatives qui sont prises,de par les employés qui ont envie de faire des heures supplémentaires parexemple juste pour pouvoir faire une vitrine. C'est quelque chose que j'ail'impression que c'était beaucoup moins avant que ça devienne une coopérativelà. (Marc, Pantoute)

Il mentionnait sa proximité avec ses collègues de travail : « Beaucoup de collègues sont

devenus plus que des collègues, des amis. Euh, qu'on se voit en dehors du… S'il y a un

collègue qui fait de la danse puis il monte un spectacle, c'est sûr qu'on va essayer d'y aller

tout le monde. » (Marc, Pantoute) Selon Denis, c'est ce lien fort entre collègues de travail103

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qui a permis la création de la coopérative : « Je te dirais que depuis 10 ans, le noyau de

libraires à temps plein, de libraires qui sont là, a été stable. Donc il s'est créé un lien entre

les libraires, et ce lien-là a fini par définir un peu le travail qu'on faisait. » (Denis, Pantoute)

Avec le changement au modèle coopératif, ce sentiment d'appartenance qui a été possible

grâce à la stabilité du personnel s'est accentué : « Cette appartenance-là à la librairie, c'est

sûr que ça a doublé là. Quand on a des idées et tout, tout se met en branle plus rapidement.

Les idées vont plus vite, se réalisent plus vite. Euh… et je pense que la communication se

fait beaucoup mieux. Je ne dis pas qu'elle se faisait mal avant, mais le noyau de… des

coopérants ont vraiment fait sentir le fait que la librairie leur appartenait. » (Denis,

Pantoute) L'engagement envers les collègues vient cependant, en premier lieu, de la passion

pour la culture qui est partagée par les employés : « Le premier lien, c'est de promouvoir la

culture, et ça, ce lien-là est fort pour tout le monde. […] Je pense que ce que ça a fait, ça a

solidifié ces liens-là et cette confiance-là entre les employés qui ont des spécialités ou des

intérêts qui sont différents des nôtres, à plus échanger. » (Denis, Pantoute)

5.2.3. S'engager envers ses supérieurs

Les employés du modèle coopératif semblent engager envers leurs supérieurs. Cependant,

ce n'est pas un engagement comme on pourrait le voir dans une structure traditionnelle. Les

répondants ne semblent pas engagés envers ceux-ci parce qu'ils sont en haut de la hiérarchie

et qu’ils leur doivent du respect, mais bien parce qu'ils font partie des collègues du travail.

S'engager envers ses supérieurs est ainsi une manière d'arriver à ce que le collectif

fonctionne bien et aille dans le bon sens.

Chez Zone, Maxime mentionnait la différence qu'il voyait dans sa relation avec ses

supérieurs entre les milieux coopératifs où il a travaillé et les entreprises traditionnelles :

J'ai déjà travaillé moi dans des magasins […] qui appartenaient à desparticuliers. Puis, l'ambiance était moins bonne je trouve que dans les coops.[…] Tu sais, les gens ont peut-être, peut-être un sentiment un peu plus deliberté, ou du moins de, qu'on leur fait confiance vu qu'il y a comme pas de vraigrand patron, tu sais. […] Mes supérieurs, ceux qui étaient justement les gérantsde plancher étaient très gentils, puis c'était très agréable de travailler en leurcompagnie. (Maxime, Zone)

Frédéric, lui, mentionnait la souplesse de la hiérarchie, qui facilite les rapports : « Si j'ai un

problème avec un technicien admettons, je peux descendre en bas et parler directement104

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avec lui. Le fait que la structure ne sois pas très hiérarchique, ça fait qu'on peut directement

aller à la personne qu'on a besoin de voir quand on veut. » (Frédéric, Zone)

À la Barberie, la relation particulière avec les superviseurs fait partie de leurs valeurs

comme entreprise : « On embauche des supérieurs immédiats avec euh des qualités de, de

travail d'équipe, puis d'écoute, puis de… Puis on a une de nos valeurs, de la Barberie, qui

n'est pas nécessairement une valeur des coops, mais qui est euh leadership partagé. »

(Myriam, Barberie) Cette manière de faire est remarquée par Laurence : « On se sent

beaucoup moins, on sent pas tant de hiérarchie, tu sais. C'est sûr qu'il y a de la hiérarchie au

niveau des serveurs parce qu'il y a toujours un premier serveur, un deuxième serveur, un

troisième serveur. […] Mais tu sens moins un boss admettons. Il y a un gérant, mais tu te

sens beaucoup moins dans une job avec une grosse hiérarchie d'employés, tu sais. »

(Laurence, Barberie) Simon partageait aussi cette opinion : « Il n'y a pas, la hiérarchie est

euh humaine si on veut. Il y a pas de patron qui, juste parce qu'il est patron, prend des

décisions. Si je suis sur le CA, c'est parce qu'on a jugé que c'était bon de m'avoir sur le CA.

Pas parce que j'ai juste fait l'application puis que n'importe qui peut y aller. » (Simon,

Barberie)

Au MEC, Étienne précisait ceci : « J'ai l'impression que la compagnie fait plus attention à

ses employés. Ils tiennent plus à ce que les gens soient contents de travailler. » (Étienne,

MEC) Annie, quant à elle, disait qu'« Il y a beaucoup de rétroaction, de sondages sur nous

[…] sur nos chefs d'équipe, des trucs comme ça. Ils sont peut-être un petit peu plus euh…

ils vont peut-être un peu plus chercher le feedback des employés qu'un magasin normal

là. » (Annie, MEC) Annie aimait l'expérience qu'elle a eue avec la direction du magasin : «

Ils sont vraiment compréhensifs. Si tu es en période d'examen et tu es dans le jus, ils vont

pas te donner d'heures. Ils sont vraiment, c'est humain comme place là, tu sais. J'ai pas peur

d'aller voir mes boss, j'ai pas peur de leur demander justement. » (Annie, MEC) Charles se

sentait lui aussi assez près des superviseurs : « Ils essaient quand même de garder ça assez

horizontal. Tu sais, les superviseurs viennent dîner avec nous autres. […] Les superviseurs

sont sur le plancher avec nous, ils restent pas souvent dans leurs bureaux. » (Charles, MEC)

Chez Pantoute, les répondants remarquaient une différence dans leur relation avec les

supérieurs depuis leur changement organisationnel : « Il y a une certaine hiérarchie quand

même à l'intérieur du système, mais euh, à l'intérieur de cette hiérarchie-là, que là, toutes

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nos voies comptent finalement. Donc, en se votant des représentants […] qui vont gérer ça

au mieux puis, bon, qu'on ne soit pas tenu comme dans une autre entreprise par exemple à

l'écart des décisions. » (Marc, Pantoute) Guillaume, par exemple, évoquait le changement

vers le modèle coopératif en ces termes : « Le principe d'ouverture, d'aller chercher les

gens, il y a quelque chose de très sain là-dedans, ne serait-ce que la souplesse de la

hiérarchie qui n'est pas aussi stricte, qui n'est pas aussi fermée. Il y a comme une possibilité,

je sais pas, de polyvalence, d'évolution là-dedans qui, à mon avis, est plus saine. […] Il y a

une haute direction, bien sûr, mais il y a une place un peu plus grande justement, je pense,

pour la participation et l'expertise de chacun. » (Guillaume, Pantoute) Il mentionnait que

certaines décisions sont moins centralisées, et qu'il sentait avoir a une plus grande place

dans le processus décisionnel : « Je me sens justement peut-être un peu plus proche de, du

processus décisionnel. D'au moins avoir justement une voix à dire, bon qu'est-ce que je

veux que Pantoute soit, où est-ce qu'on veut qu'on s'en aille. » (Guillaume, Pantoute) Les

rapports avec la direction générale semblaient aussi appréciés par les répondants : « Il y a

justement un aspect hiérarchie qui est là pour les nécessités de l'organisation, mais qui est

pas présent dans la relation interpersonnelle. Si j'ai quelque chose qui marche pas, je peux

aller m'asseoir avec ma patronne et dire, là, ça n'a pas de bon sens, il faut changer ça. Et je

ne me ferai pas dire, oui, mais là, tu es un simple employé puis prends ta place. Non, on va

discuter, on va voir, tu sais, qu'est-ce qu'on a comme solution. » (Guillaume, Pantoute)

Selon Denis, cette ouverture n'est pas seulement due au modèle coopératif. Cette ouverture

vient aussi du fait que les deux directrices sont d'anciennes employées, qui ont travaillé sur

le plancher comme libraires avec les employés actuels : « Le fait que les deux filles avaient

déjà été des employées, ça aide à la communication aussi. » (Denis, Pantoute) Cette plus

grande proximité facilite l'implication des employés dans des projets qu'ils ont pour

l'entreprise :

Quand on est passé à la coopérative, bien disons que ça a redonné le souffle àcertains de ces projets-là que nous on caressait comme employés, de changer unsystème d'exploitation, de faire quelques rénovations, quelques réorganisationsdans la disposition des trucs. Bien ça a redynamisé ça, parce que tout d'un coup,on n'a plus eu cette barrière-là. Ça a été nous qui prenons la décision et donc,bien à partir de là, c'était donc un peu plus facile, un peu plus évident d'aller del'avant avec certains trucs. (Guillaume, Pantoute)

Pour Marc, cette proximité avec la direction était très importante : « Je n'aurais pas voulu

travailler dans un Renaud-Bray où on ne voit pas les patrons. Je vais prendre une bière avec

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mes patrons parce que, justement, on est plus proche là. » (Marc, Pantoute) Denis va même

plus loin. Il dit ne pas être en mesure de voir les deux directrices séparées de la

coopérative : « Ce qui est différent, c'est la légèreté d'avoir toute une équipe, plutôt qu'un

boss. À l'époque du boss, c'était difficile d'avoir une idée, d'aller demander, de pas l'avoir

tout de suite. […] On travaillait avant pour satisfaire le boss, là on travaille pour satisfaire

toute la gang. » (Denis, Pantoute)

5.2.4. S'engager envers l'entreprise

Dans les deux coopératives de travail, les répondants étaient très engagés envers

l'entreprise. À la Barberie, cet engagement dépassait le cadre du travail : « Le monde, ils le

savent que je l'aime mon entreprise Ahah! J'en parle euh, j'en parle beaucoup, je parle des

projets, je parle des événements au bar, je les partage sur Facebook, tu sais. » (Myriam,

Barberie) Laurence a postulé à cet emploi en raison de l'appartenance qu'elle avait déjà

avec ce milieu en tant que cliente : « J'étais comme une cliente régulière, je connaissais tous

les employés depuis longtemps, je connais, tu sais, la plupart de mes bons amis aussi c'est

des clients réguliers là-bas. Je connaissais l'ambiance aussi, tu sais. Je savais déjà que le

monde était vraiment sympathique. » (Laurence, Barberie) Elle accordait une plus grande

importance à son travail à la Barberie qu'aux autres emplois qu'elle a occupés dans sa vie,

mais elle ne croyait pas que ce soit parce qu'il s'agit d'une coopérative. C'est en raison de sa

proximité avec ses collègues et l'horizontalité du commerce. Cette horizontalité fait qu'elle

avait plus envie de bien faire son travail : « C'est pas comme si t'avais un boss qui allait

venir, justement, te dire : telle affaire, peux-tu ne pas le faire comme ça? Parce que lui il l'a

vue ou un employé l’a dit. Mais là, tout le monde le sait, tu sais, parce que l'autre personne

ouvre, parce que tout le monde prend les décisions ensemble. […] C'est sûr que j'accorde

bien plus d'importance à bien faire les choses parce que ça se dit. » (Laurence, Barberie)

Elle mentionnait la plus grande humanité de ce commerce, par rapport à d'autres : « J'ai

vraiment l'impression qu'on est vraiment considéré en tant qu'être humain avant d'être

employé, tu sais. Plus que dans n'importe quel autre job. Je me sens beaucoup moins

comme un numéro de série que dans d'autres travails. » (Laurence, Barberie) Cette

démocratisation au travail, qui fait que Laurence se sentait considérée par l'entreprise, fait

aussi qu'elle a développé un intérêt pour ce travail, ce qu'elle n'a pas eu dans d'autres

emplois :

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Je me sentais jamais concernée dans mes autres jobs, tu sais. Si je travaillaisdans un café et il manque de telle affaire ou de telle affaire, ça marche pas bien,je m'en foutais un peu parce que je suis pas impliquée, je suis pas considérée, çafait que je me considérerai pas non plus, tu sais. J'avais comme un peu uneespèce de rébellion contre le fait de me soucier de quoi que ce soit de labusiness, tu sais. Parce qu'il y avait un boss qui souvent vivait une espèce depower trip. Ça fait que c'est comme, si tu as des soucis, gère les tout seul. Maisla coop, vraiment, je me sens super impliquée par les problèmes. Comme onreçoit le picoleur là, qui est comme une infolettre à chaque semaine de voici cequi se passe, voici ce qu'il faut arranger. Je me connais, j'ai l'impression quedans mes autres jobs, je l'aurais même pas lu là. Mais là, je le lis, s'il y a desaffaires à changer, et bien, j'ai envie de le faire. » (Laurence, Barberie)

Simon accordait lui aussi une grande importance à son travail et souhaitait y rester. Il

avouait s'impliquer à la Barberie d'une manière qu'il n'aurait jamais fait dans une autre

entreprise :

Mon implication est recommandée, reconnue, pas exigée en ce moment, ce quidevrait, mais on travaille là dessus. Ça veut dire que je peux, je me considèrepresque obligé de participer à des choses auxquelles je ne participerais pasnécessairement dans une entreprise qui n'est pas une coop. Comme par exempledes corvées annuelles, des participations comme le CA. Tu sais, je me sentiraisaucunement intéressé par le CA d'une entreprise commerciale. (Simon,Barberie)

Même si, dans sa façon de parler, on pourrait penser que l'entreprise l'oblige à s'impliquer,

il précise que ce n'est pas le cas : « Je suis intéressé parce que la coop rend ça intéressant.

J'ai envie de le faire par envie d'implication aussi. » (Simon, Barberie) Tout comme

Laurence, il a de la difficulté à dire si c'est le fait que le commerce soit une coopérative qui

le rend aussi intéressant :

J'aime beaucoup l'endroit. Je pense pas que c'est nécessairement parce que c'estcoopératif. Je pense que l'endroit est comme il est un peu parce que c'estcoopératif, mais mon, mon changement vient pas juste de ça. J'adore laBarberie, je suis un fier ambassadeur de la Barberie tout le temps. […] Chaquefois que j'ai représenté la Barberie dans des événements, j'ai tout le temps ététrès content de le faire. Puis ceux qui me voient derrière le bar le soir à laBarberie considèrent que je suis dans mon élément, ce qui n'était pas tout letemps le cas. (Simon, Barberie)

L'implication dans l'entreprise implique du temps bénévole, ce qu'il acceptait de faire sans

problème parce qu'il y croyait : « On fait toutes des heures qui sont pas payées. Moi sur le

CA, je suis pas payé. […] C'est à peu près 7 heures par mois que je donne à la Barberie en

étant sur le CA qui n'est pas rémunéré. » (Simon, Barberie) Il précisait que « Si c'était pas108

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une coop, je le ferais pas. Quoi que je l'ai déjà fait dans d'autres jobs, mais c'est parce que

l'atmosphère était vraiment sympathique, puis que je voulais améliorer les conditions de

travail là. Mais, en fait, ça pourrait peut-être répondre à la question, j'ai jamais fait ça avec

plaisir autant, avant d'être à la Barberie. » (Simon, Barberie)

Les trois répondants de Pantoute étaient très attachés à la librairie. Leur attachement venait,

en partie, de la notoriété de l’entreprise : « La librairie Pantoute, bien c'est comme une

institution au Québec. […] Il y a des Français, des Belges qui nous connaissent. Alors

travailler, tout libraire, en fait, rêve de travailler chez Pantoute souvent parce que,

justement, à cause de l'aura qu'il y a, que la librairie a acquis au fil des ans. » (Marc,

Pantoute) Denis voyait aussi Pantoute comme une librairie à part : « Quand je suis entré

chez Pantoute, c'était la seule librairie que je me voyais travailler. » (Denis, Pantoute) Ils y

étaient engagés avant le changement organisationnel, mais la nature coopérative semble les

accrocher encore plus à l'entreprise : « On a peut-être plus envie, ou, disons de, de

participer au-delà des heures de travail, je parle, ou de travailler sur des projets, ou faire des

heures sup, ou de donner de son temps parce que ça nous appartient, tu sais. » (Guillaume,

Pantoute) Marc mentionnait pour sa part ceci : « C'est sûr que j'accorde plus d'importance

qu'avant. Je pense que tout le monde fait un peu mieux son travail qu'avant aussi. À envie

de mieux le faire. » (Marc, Pantoute) Denis voyait le changement comme une continuité de

ce qu'était Pantoute : « Moi, je suis déjà, je travaille déjà pour Pantoute, qui pour moi est

toute dans ma vie là. C'est ça. Et je suis dévoué à la librairie, à mes collègues. Dans ma tête,

il y a bien des années, on est déjà une communauté. Une communauté, un club, une gang.

C'est la même chose que la coop. » (Denis, Pantoute) Il a pris la décision de s'impliquer sur

le CA de la coopérative pour mieux comprendre cette structure et pouvoir l'expliquer aux

autres : « J'ai voulu déjà faire partie du CA parce que je voulais comprendre. […] Je veux

être sûr que tout le monde comprenne aussi. […] Je veux comprendre, pour que les autres

comprennent et pour savoir où on s'en va. » (Denis, Pantoute)

Chez les coopératives de consommation, on peut remarquer de l'engagement envers

l'entreprise, mais elle semble plus faible. Cependant, comparés à d'autres emplois que les

répondants ont occupés par le passé, ils se sentaient beaucoup plus attachés à l'entreprise

coopérative : « Si on me demande de parler de ma job, ça va être plus positif que si on me

le demandait quand je travaillais dans d'autres emplois où j'ai travaillé. » (Étienne, MEC) Il

faut cependant préciser que, dans le cas de MEC par exemple, les employés n’étaient que109

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de passage. Bien qu'ils aiment l'entreprise, leur engagement envers celle-ci reste cependant

limité. Étienne par exemple disait ici : « Je trouve que c'est une belle entreprise. Peut-être

que j'aimerais ça m'impliquer un moment donné, tout dépendant d'où me mène ma vie. »

(Étienne, MEC) Les répondants étaient engagés envers l'entreprise, en tant que client, avant

d'y travailler : « Les employés avaient toujours l'air vraiment souriants, vraiment

accueillants, puis à chaque fois que j'allais chez MEC j'étais contente d'y aller. » (Annie,

MEC) Les rabais offerts par MEC aux employés font que ceux-ci restent fidèles à

l'entreprise : « Je consomme plus chez MEC qu'avant. Mais euh je consomme plus chez

MEC parce que j'ai un rabais puis que je suis là 25 heures par semaine. Ça fait que je finis

toujours par me trouver quelque chose. » (Annie, MEC)

Dans le cas de la coop Zone, tout comme au MEC, l'ambiance de travail amène un intérêt

pour l'entreprise : « En fait, j'aime la clientèle qui était là. En fait, nous c'était une clientèle

et étudiante et surtout artistique. Plus tout ce qui était du centre-ville, donc c'était très

dynamique. » (Maxime, Zone) Maxime aimait le magasin, auquel il était très attaché : « Ce

que moi je trouve vraiment bien avec coopérative Zone, surtout sur Charest en bas, en fait,

c'est un magasin d'artiste. Qui est vraiment euh, qui est de très bonne qualité quand même

là. […] C'est quand même un service de proximité, parce qu'on a pas besoin d'aller

admettons à Fleur de Lys. […] C'est un excellent magasin d'art, donc les gens de Québec

passent par là, tu sais. » (Maxime, Zone) Il disait avoir rencontré beaucoup d'artistes qu'il

suit maintenant grâce à la coopérative : « J'ai rencontré d'autres, d'autres artistes que je vois

encore en fait qui sont devenus dans mon cercle de connaissance artistique si on peut dire.

Que j'ai rencontré à la coopérative. » (Maxime, Zone) Pour Frédéric, son engagement

envers l'entreprise découlait de la réputation qu'il y a obtenue au fil des années et du fait

qu'il s'agit d'une petite entreprise : « La coop Zone, c'est une petite entreprise. Tout le

monde se connaît là dedans. […] J'ai l'impression que, j'ai déjà regardé pour d'autres

emplois. Est-ce que mon horaire correspondrait mieux, est-ce que je serais mieux payé

ailleurs, puis c'est toujours des très grosses entreprises comparées à la coop. C'est sûr qu'à

la longue, peut-être, mais en rentrant là, moins. Je sentirais pas un sentiment d'appartenance

tant que ça à autre chose. » (Frédéric, Zone) C'est aussi les services qu'il était en mesure de

procurer qui font qu'il souhaitait rester chez Zone :

Je fais une comparaison vite avec le magasin Best Buy. J'ai des amis quitravaillent là bas et j'ai déjà considéré ça comme emploi. Puis ils ont

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absolument le droit de faire aucun service au client. Admettons que je vends unordinateur, j'aime pas vendre quelque chose que je le sais que le client varevenir avec avec des problèmes. J'aime vraiment pas ça. Et quand il revientavec des problèmes, j'aime ça l'aider parce que c'est comme ma responsabilitéen tant que telle, vu que c'est moi qui a recommandé ce produit-là. Admettonsmon ami au Best Buy, s'il vend un ordinateur, quand le client revient avec desproblèmes, il doit lui vendre une garantie ou le diriger vers le soutien techniquedirectement. Il y a une structure très établie, et quand tu déroges de cettestructure-là, il y a des conséquences qui se rattachent tout de suite. Ça fait quec'est comme, vu que c'est plus petit, puis vu qu'on est assez autonome, je peuxfaire un peu ce que je veux avec les clients. (Frédéric, Zone)

5.2.5. S'engager envers les buts ou les valeurs de l'organisation

Tous les répondants semblaient accorder de l'importance aux valeurs de leur organisation.

Parfois, ils étaient mêmes critiques de leur entreprise parce qu'elle ne travaillait pas assez

dans le sens de ses valeurs.

Les répondants de la Barberie montrent bien l’importance qui est accordée aux valeurs de

l’entreprise : « Je dirais la transparence puis de donner beaucoup d'information et nos, la

communication, la transparence, donner beaucoup d'info à nos membres, c'est vraiment

important. […] C'est ce qui fait que les gens se sentent plus concernés, embarquent plus et

mettent plus d'énergie puis sont plus motivés. Ici, c'est vraiment ça. Le monde est avide

d'information. Tu sais, ils veulent pas qu'un client en sache plus que nous autres. »

(Myriam, Barberie) Son intérêt pour l'entreprise, et le modèle, fait qu'elle a choisi de

s'impliquer sur le CA. Simon, quant à lui, souhaitait y travailler avant tout en raison des

valeurs du commerce : « Honnêtement, il y avait rien à voir avec le modèle coopératif.

C'était une belle place avec des belles valeurs que j'aimais. […] C'est une clientèle qui a une

tête sur les épaules d'habitude. Qui vient pas là pour foutre le trouble. C'est une clientèle qui

vient pour apprécier la bière, jaser. On n’a pas de plancher de danse, on n’a pas de shooter,

donc ça limite beaucoup le … » (Simon, Barberie)

Dans les coopératives de consommation, certains répondants critiquaient les buts de

l'entreprise, qui ne seraient plus de répondre à un besoin des membres, mais d'accaparer une

plus grande part du marché. Cependant, ces coopératives ont quand même une mission qui

n'est pas tournée vers le profil, ce qui fait que les répondants se sentaient mieux dans ce

modèle. Maxime, par exemple, expliquait qu'il sentait pouvoir être lui-même chez Zone :

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J'ai jamais été poussé à vendre plus que ce que moi je voulais. Tu sais, lapersonne passait et j'y donnais le meilleur service possible, mais j'essayais pasd'y pousser du stock. Et je le disais à mes patrons. Moi, je veux pas faire ça, jeveux pas juste essayer d'y vendre le plus de cossins possible, puis ils onttoujours respecté ça, puis je me suis jamais fait reprocher de, de pas vendre àoutrance, tu sais. […] Je sentais que j'avais le droit de, tant que je faisais un bontravail, tu sais, je pouvais être comme je voulais finalement dans la coopérative.(Maxime, Zone)

Il se sentait fidèle à ce magasin : « Les ordinateurs que j'ai achetés, je les ai achetés aux

coopératives Zone. Puis, je peux même te dire que la journée que mon ordinateur va briser,

peu importe je suis où au Québec, je risque de revenir quand même à la coopérative sur

Charest parce que, parce que, tu sais, je les connais puis parce que c'est une coopérative. »

(Maxime, Zone) Dans le cas de Benoît, il accordait une grande importance aux valeurs de

transparence de Zone : « C'est pas tous les organismes […] qui sont aussi transparents que

nous autres. C'est-à-dire donner les états financiers, les rendre publics même sur le site

Web. Ça démontre une très grande forme d'ouverture puis de transparence envers les

membres, tu sais. Il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de cachette. On ne veut pas qu'il y ait de

cachette. » (Benoît, Zone) Dans son cas, il s'engageait dans l'entreprise (et dans le

mouvement coopératif) parce qu'il croit en ses valeurs :

Je crois à certaines valeurs. […] On m'a demandé à plusieurs reprises detravailler pour une entreprise privée ce que j'ai refusé parce qu'il y a, il y a toutela question d'intérêt collectif. […] C'est la finalité. Pourquoi tu le fais? C'estpour le collectif. Parce que tu peux faire de l'argent, tu payes de l'impôt, tupayes un loyer, tu payes des employés, tu payes des taxes, etc. Ça fait que c'estla même chose qu'une autre entreprise. C'est la finalité qui est toute ladifférence. C'est-à-dire qu'au lieu que ce soit un ou des individus plus limitésqui s'enrichissent, bien tu essaies de faire quelque chose de mieux pour lasociété. (Benoît, Zone)

Il mentionnait d'ailleurs l'évaluation du travail, qui correspond mieux à un bon modèle

d'affaires pour lui : « Leur base de dire qu'ils [les gestionnaires d'entreprises privées] sont

bons ou qu'ils sont pas bons, de mérite, c'est le nombre d'heures qu'ils font. Moi, c'est plus

sur le résultat. […] L'avantage de le voir de cette façon-là, c'est que ça rend les gens très

imputables. […] Je pense que tout le monde est intelligent, ils sont de bonne foi, mais

souvent, l'imputabilité des gens, ils ont de la misère avec ça. » (Benoît, Zone) Il ne croyait

cependant pas que c'est un modèle de gestion propre au milieu coopératif, mais que la

coopérative le facilite : « Le modèle coopératif accepte ce modèle de fonctionnement là,

que peut-être l'entreprise accepterait pas. Non, tu rentres le plus tôt possible, tu sors le plus112

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tard possible, s'il le faut, tu travailles le soir et les fins de semaine. » (Benoît, Zone) Il

mentionnait que la motivation, dans ce modèle ne peut être monétaire : « Tu n'as pas de

rémunération sur le bénéfice, ça fait qu'il faut que tu cherches ta, ta motivation, ta

valorisation personnelle ailleurs que dans l'argent. Moi, je la retrouve dans l'humain. »

(Benoît, Zone)

Chez MEC, malgré les critiques que les répondants pouvaient avoir sur la gouvernance de

la coopérative, ils accordaient tout de même une très grande importance aux valeurs de

l’entreprise. C'est d'ailleurs l'une des principales raisons pour laquelle ils ont voulu

travailler pour cette entreprise : « J'ai l'impression que comme entreprise, c'est plus tourné

vers des valeurs moins euh monétaires Ahah. J'ai moins l'impression qu'on est là pour faire

de l'argent, pour vendre à tout prix, mais plus pour conseiller les membres, essayer de faire

une différence dans la communauté là. » (Étienne, MEC) Ce sont les valeurs de l'entreprise

et l'engagement que MEC prend pour la communauté qui font qu'Étienne aimait cette

entreprise : « Ce qui fait que j'aime l'entreprise, c'est pour l'espèce d'esprit d'on veut essayer

d'améliorer le monde là, tu sais. Pour l'environnement, la communauté, le bénévolat qu'ils

encouragent, essayer d'intéresser le monde à bouger plus, à sortir dehors. » (Étienne, MEC)

Pour lui, le fait que l'entreprise rejoigne ses valeurs fait qu'il s'y sentait plus engagé :

« Admettons que j'ai besoin de parler du magasin, bien je vais être plus euh convaincu que

si, je sais pas comment dire… Je me sens plus fidèle au magasin admettons. Parce que,

pour toutes les raisons que j'ai dit là. […] Comme le recyclage, ils sont vraiment, ils font

vraiment plus de recyclage, ils donnent un pourcent de profit à des causes

environnementales » (Étienne, MEC). Charles, quant à lui, aimait que MEC ne l’oblige pas

à vendre à pression aux clients : « Le but en fait de travailler dans une coopérative pour moi

c'était justement de permettre aux gens d'avoir un service et non d'avoir une personne qui

leur vend un truc tu sais. » (Charles, MEC) Il relatait une de ses expériences de travail

passé : « Quand j'étais chez [nom d'une entreprise], c'était rendu tellement agressif la vente

à pression que… je trouvais ça complètement ridicule. Ça m'achalait en criss là. C'est vrai

là, c'est ben ben le fun quand tu vois ton chèque de paye puis tu as un salaire genre de 20 $

de l'heure là, mais criss que c'est de la marde là. Moi je trouve ça inhumain autant pour

l'employé, surtout pour l'employé puis d'ailleurs l'acheteur en fait. » (Charles, MEC) Annie

accordait elle aussi une importance à cet aspect de MEC : « Je peux voir que MEC, dans ce

qu'elle fait, c'est pas juste vendre du stock de plein air pour faire de l'argent, tu sais. Il y a

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beaucoup d'énergie de dépenser pour tous les événements. Les courses, festivague,

festivélo, festineige, tout ça. On voit le côté euh implication dans la communauté qui est

présent et qui fait la différence. » (Annie, MEC) Elle préférait aussi la manière dont la

vente se passe chez MEC : « On se le fait dire aussi en formation. Essaie pas de vendre

quelque chose pour vendre quelque chose, tu sais. Ment pas au membre pour lui vendre

quelque chose. Dis-lui pas de la schnout si tu sais pas c'est quoi, va poser des questions. Ils

sont beaucoup axés sur la sincérité et ça, je trouve que ça fait une différence quand je

travaille. » (Annie, MEC) Elle précisait que la mentalité de MEC à propos de ses employés

est de « les former le plus possible, puis s'ils ne connaissent pas la réponse, on veut qu'ils

aient les ressources pour aller les chercher. Ça fait que je trouve ça le fun de comme pas

avoir l'impression de dire n'importe quoi aux membres. De savoir pour vrai de quoi je

parle » (Annie, MEC). Ce sont les formations qu'offre MEC qui l'ont vraiment marquée :

« Ce qui m'a frappé à la formation au début, c'est, Oh my god! Ils me mettent pas sur le

plancher sans que je sache rien! C'est la première job de ma vie qui me donne une

formation avant de, tu sais, une job de service à la clientèle, c'est la première fois que je me

faisais former autant avant d'être sur le plancher. » (Annie, MEC) Pour Charles, c'est le côté

éthique et environnemental de la compagnie qui l’a marqué : « On m'avait jamais parlé que

des superviseurs allaient superviser des usines pour voir s'il y avait des enfants qui

travaillaient dedans euh systématiquement. […] Je pense que c'est vraiment, ils sont

vraiment vraiment rares les… les entreprises qui font autant pour l'environnement, mais

surtout pour les milieux humides et la conservation privée. » (Charles, MEC)

À la librairie Pantoute, les valeurs importantes de l'entreprise pour les répondants sont

celles relatives aux librairies indépendantes. Les trois répondants ne se voyaient pas

travailler dans une librairie à bannière, puisqu'ils y perdraient leur liberté en tant que

libraires :

Ce qui moi me frappait et que je trouvais qui était bien central et bienimportant, c'est la liberté. La liberté de dire moi j'aime ça ce bouquin là, mêmesi on en a une copie, même si on le vend une fois par année, je le montre quandmême parce que moi, j'aime ce bouquin-là. Si euh, un client me demandel'opinion sur un bouquin que j'ai moins aimé, bien de dire, ah, bien oui, c'estbon, puis vous allez voir, puis parce qu'il faut vendre je sais pas 100 copies decelui-là absolument parce qu'il faut faire nos chiffres à la fin du mois. Nonon. Sije l'ai pas aimé, bien je vais avoir l'honnêteté, la liberté de dire : écoute, je l'aipas aimé. De manquer une vente, mais d'établir une relation de confiance quifait que lui va revenir me voir. (Guillaume, Pantoute)

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Guillaume ne voyait d'ailleurs pas les autres librairies indépendantes comme des

compétiteurs. Les compétiteurs de Pantoute seraient plutôt les librairies à bannière :

« D'avoir cette espèce de passion commune là, bien ça crée vraiment un esprit de corps qui

est là. Il y a, oui, une compétition, mais elle est très saine, et elle est vraiment encore

justement, basée sur une amitié, je dirais, avec les autres, les autres librairies. » (Guillaume,

Pantoute) Il en était de même pour Marc, qui précisait qu'il ne se verrait pas travaillé dans

un Archambault ou un Renaud-Bray.

5.2.6. S'engager envers le modèle coopératif

Le modèle coopératif prennait une certaine importance pour tous les répondants. Leur

engagement envers celui-ci dépend cependant de chaque personne. Pour la plupart, bien

qu'ils accordaient une importance à ce modèle et l'encourageraient dans leur achat, ils ne le

faisaient pas en raison du manque de proximité des coopératives dans leur milieu de vie ou

leur quartier.

Myriam, par exemple, n'accordait pas une plus grande importance au modèle coopératif,

mais aux valeurs d'une entreprise. Cependant, elle précisait que le fait d'être une

coopérative vient changer tout le reste, notamment les valeurs de l'entreprise :

Il y a sûrement des gens avec qui c'est super le fun travailler qui ont les mêmesvaleurs sans être une coop là, mais il y en a peut-être moins Ahahah! Peut-êtreque ça change pas tant, tant que ça, mais ça change tellement tout dansl'entreprise qu'on le sent souvent. Ça change qu'est-ce qu'on va commanditer, çachange, ça change un million d'affaires. Ça fait que dans le fond, on le vit toutle temps même si on y pense pas tout le temps. Même si on l'a pas tout le tempsdans tête qu'on est une coop. (Myriam, Barberie)

Simon partageait à peu près la même idée sur le modèle coopératif : « Il y a quelque chose

qui est assez unique à travailler dans un endroit qui est une coop, pas juste parce que c'est

une coop, mais indirectement c'est parce que c'est une coop. Tout le monde s'implique, les

clients qui savent que c'est une coop sont… sont un peu enchantés, il y a une espèce de

fidélité qui est venue, on le voit. » Simon, Barberie) Myriam encourageait le milieu

coopératif en participant à des événements par le biais de la Barberie et en parlant de la

coopérative à d'autres, notamment du fonctionnement de la Barberie. Elle mentionnait

cependant que la Barberie en fait plus pour le milieu coopératif qu'elle même : « Tu sais, on

est un point de dépôt de la coopérative la Mauve pour les paniers bio. On en achète un115

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panier bio, on le fait tirer parmi nos clients. Moi, je n'ai pas de panier bio de La Mauve. »

(Myriam, Barberie) Pour Laurence, le fait que les décisions soient prises par les personnes

sur le plancher était ce qui importe le plus dans la structure coopérative : « Tu sais, souvent

les décisions vont vraiment euh… révéler ce qui est important pour nous en tant que

serveur ou en tant qu'employé, tu sais, justement. Si tu as quelqu'un qui prend une décision,

qui fait des choix, tu sais, pour l'entreprise, mais qui n'est pas sur le plancher ou qui ne voit

pas vraiment comment ça marche, bien des fois ça a juste pas rapport, tu sais. » (Laurence,

Barberie) Elle accordait une importance au fait que ce soit une coopérative en raison de la

cohésion que le modèle crée : « Je pense que ça me fait plaisir de travailler dans un

environnement qui est une coop. Justement, je sens qu'il y a beaucoup plus de cohésion

entre les employés et entre les membres, tu sais. Et les non-membres là. Euh… j'ai

l'impression qu'il y a plus un environnement de famille aussi là. » (Laurence, Barberie) Sa

connaissance du commerce était sa raison principale d'y travailler, mais le fait que ce soit

une coopérative avait aussi une importance : « Ça me disait de vivre l'expérience d'une

coopérative et d'en savoir un peu plus. Tu sais, de voir à quoi ça a l'air de l'intérieur là. »

(Laurence, Barberie) Maintenant qu'elle a travaillé dans ce type d'entreprise, elle se

demande si elle va réussir à trouver un autre emploi avec d'aussi belles conditions : « C'est

sûr qu'une fois que tu as vécu, peut-être, le modèle de la coopérative, bien les autres

modèles de travail qui sont pas des coops, c'est peut-être toujours un peu décevant après

avoir vécu cette expérience-là. » (Laurence, Barberie) Elle a avoué ne pas connaître les

coopératives à Québec. Pour cette raison, elle ne savait pas si elle encourageait réellement

le modèle en dehors de cet emploi. Dans le cas de Simon, au-delà des liens de sa

coopérative d'habitation et de la Barberie avec d'autres coopératives, il disait ne pas être en

lien avec d'autres coopératives au moment de l’entrevue.

Au MEC, Étienne trouvait que le modèle était bien en soi : « Je me dis que s'il y a une

personne à la tête, puis c'est fait pour l'enrichir lui, bien tu fais plaisir à une personne.

Tandis que si tu as un groupe de personnes, bien tu fais plaisir à plusieurs personnes. »

(Étienne, MEC) Cependant, les valeurs que MEC met de l'avant sont plus importantes pour

lui que le fait que ce soit une coopérative : « Je sais que c'est une coopérative MEC, mais

ça, c'est… ça change rien. Si je travaille pour une compagnie puis que les valeurs de la

compagnie… Est-ce que c'est influencé par le fait que c'est une coopérative? Peut-être,

mais c'est pas parce que c'est une coopérative que ça a changé rien pour moi. » (Étienne,

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MEC) Annie avait elle aussi le même avis : « Le fait que ce soit une coop, c'est pas

nécessairement cet aspect-là qui m'a attirée, mais tu sais c'était le plus là. Tu sais, je me

disais entre travailler chez MEC ou travailler genre [nom d'une grande chaîne de magasins],

le MEC est clairement plus cool, puis tu as l'impression qu'ils s'occupent plus de ses

employés aussi. » (Annie, MEC) Charles, pour sa part, accordait une grande importance au

modèle coopératif : « Essentiellement, ma vie tourne pas mal autour du milieu coopératif et

communautaire. » (Charles, MEC) Il était en lien avec plusieurs coopératives, dont il

utilisait les services : « Le mot coopérative m'accroche et m'habite quand même donc,

normalement, je vais préférer aller là plutôt qu'à un autre. » (Charles, MEC)

Chez Zone, Maxime avait une bonne connaissance du modèle coopératif et souhaitait

l'encourager :

Le modèle, moi, à la base, me plaît. Que, que tout le monde soit propriétaire unpeu et soit responsable un peu de ça. Je trouve que, tu sais, puis exemple, lesprofits soient redistribués dans, dans la communauté ou du moins pour fairepour que le magasin aille mieux finalement, tu sais. Je suis membre deMountain Equipment Coop, tu sais. Puis, même si je sais qu'ils ont pas tout letemps les meilleurs deal, tu sais, ça me, je me sens impliqué d'aller acheter, enfait. De faire grandir cette communauté-là, tu sais. […] Puis exemple, quandj'apprends qu'ils veulent déménager un magasin ailleurs, puis tu sais, ça vientme toucher, puis, tu sais, j'ai envie d'écrire, de dire je suis pas d'accord, tu sais,je suis un membre puis je suis pas d'accord. Mais travailler dans unecoopérative, ça vient juste à avoir un, on peut dire mettre un peu plus le pieddedans, tu sais. J'aime mieux travailler justement à faire grandir un projetcommun que de faire grandir les, l'argent de quelqu'un en particulier, tu sais.[…] J'ai peut-être plus l'impression de travailler justement un peu dans quelquechose qui, qui m'appartient d'un côté, tu sais. Que d'être un employé àquelqu'un, tu sais. (Maxime, Zone)

C'est par le fait que le commerce est une coopérative qu'il trouvait sa motivation au travail :

« Même si j'étais pas impliqué, ou si j'avais pas de rabais employé spécial, mais j'avais

quand même l'impression de travailler pour les étudiants, que de travailler euh, que de

travailler pour un patron. […] Moi, je savais que je travaillais dans une coopérative, et c'est

ce qui me motivait. » (Maxime, Zone) Il disait avoir moins aimé travailler dans certains

projets, même si les tâches l'intéressaient davantage parce qu'il travaillait justement pour

quelqu'un : « Tu sais, j'aimais travailler là, mais tu sais, je me disais pas, hey, je vais faire

grandir l'entreprise. […] Tu sais, je vais le faire, je vais aimer le faire, si j'aime faire ça,

mais genre, je peux pas me dire, je me suis jamais senti appelé à faire grandir une

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compagnie qui n'était pas mienne, tu sais. » (Maxime, Zone) Frédéric, pour sa part, disait

encourager du mieux qu'il le peut le modèle coopératif, mais que sa situation financière ne

lui permettait pas nécessairement :

C'est sûr que coopérative ou non, on a pas nécessairement toujours autantd'argent qu'on aimerait avoir. Ça fait que quand on magasine quelque chose, onmagasine pour des prix qui sont avantageux. Je vais toujours avoir le réflexe parcontre d'aller voir c'est quoi les prix qui sont disponibles pour nous, mais si unitem est la moitié du prix ailleurs, c'est sûr que je vais être tenté d'aller leprendre ailleurs. […] Je dirais qu'on regarde toujours les prix ailleurs, mais onessaie autant que possible de rester dans les coopératives, mais c'est sûr qu'enétant consommateur, on essaie d'avoir ce qui est à notre avantage aussi.(Frédéric, Zone)

Benoît, pour sa part, avait une grande affection pour le modèle coopératif, mais il posait

certaines limites à sa vision du modèle : « Je ne vois pas le modèle coopératif comme un

dogme. Beaucoup de monde, le modèle, c'est crois ou meurs. Nonon, une entreprise privée,

c'est viable, c'est correct. Et un OSBL, c'est correct aussi. C'est un instrument que les gens

se sont donné, ils ont choisi un modèle plus qu'un autre. » (Benoît, Zone) Même s'il avait

plusieurs critiques envers le modèle, il disait y croire profondément : « J'y crois. Je la

critique beaucoup. […] Il y a un politicien qui avait dit ça. Je pense c'était un premier

ministre ou whatever. C'est un très mauvais système, mais c'est le meilleur que je connaisse.

Je trouve que c'est un beau modèle qu'on devrait utiliser ailleurs. » (Benoît, Zone) Il disait

tenter d'encourager le plus possible le modèle coopératif dans ses achats, mais il y posait

une limite :

Ça prend deux choses pour que je prenne le modèle coopératif. Je le prendraispas s'ils sont pas équivalents ou meilleurs. […] Mais c'est sûr que j'ai un petitpenchant. […] Moi j'ai des convictions, puis je vis à la campagne, puis quandj'achète à ma petite quincaillerie du coin, et le dépanneur qui faisait officed'épicerie avant, je le sais que ça me coûte plus cher qu'ailleurs, mais j'y vaisparce que si je fais pas ça et qu'ils s'en vont, bien, je vais probablement… Tusais, c'est un peu une culture coopérative ça aussi. Donner un service, lemonsieur te connaît, tu as besoin d'aide, il va t'aider. La quincaillerie, je saispas, sur Père Bertrand, il va pas t'aider lui. Ça ça, c'est pas nécessairement descoopératives, mais c'est un peu le milieu, se prendre en charge. (Benoît, Zone)

Il mentionnait aussi l'importance que les employés du modèle coopératif endossent les

valeurs de la coopérative, puisqu'ils ont un rôle d'ambassadeurs du modèle : « Je pense,

travailler dans une coop, principalement c'est, un, faut que ça touche tes valeurs, faut tu en

sois passionné, puis faut que tu t'amuses. Si tu as pas ça, tu sais, va travailler […] où118

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quelqu'un va te donner 2$ de l'heure de plus ou je sais pas trop quoi. […] Ça devient

comme un peu aussi des ambassadeurs. Tu sais, si tu dis la coop c'est nul, c'est plate puis

c'est des écolos machins, ça te fait pas des bons ambassadeurs. » (Benoît, Zone)

À la librairie Pantoute, les répondants étaient toujours en train d'apprivoiser le modèle, mais

certains, dont Guillaume, y voyaient une bonne voie pour l'avenir : « J'ai vraiment

l'impression de voir là un modèle qui pourrait être très porteur pour l'avenir. Et qui, de par

sa structure, de par sa, la philosophie que ça sous-entend, quelque chose qui, je pense,

pourrait amener beaucoup de solutions à un monde capitaliste qui est à mon avis gangrené

par justement une espèce de poursuite néolibérale à outrance et tout ce que ça sous-

entend. » (Guillaume, Pantoute) Même si Pantoute est à la bourse et qu'ils y sont

actionnaires, il voyait une différence entre ce modèle et le modèle traditionnel :

Oui dans la coopérative on est actionnaire, mais il y a ce, comme je disais, cecôté plus humain, plus ouvert. C'est pas seulement quelque chose qui nousgénère des profits. C'est notre entreprise, c'est quelque chose dans lequel ons'implique, quelque chose dans lequel on a à cœur. Donc, je me dis, si onpouvait avoir des modèles de ce genre-là plus largement, quand on pense à toutle stress, à tous les montants de dépression, de burnout, parce que justement lesgens se sentent pris dans un cadre, parce qu'ils sentent qu'ils sont pas soutenus.(Guillaume, Pantoute)

Les trois répondants étaient déjà très engagés dans leur entreprise, et ce changement

organisationnel est venu accentuer cet engagement : « D'avoir la possibilité d'être dans une

coopérative, bien ça donne pratiquement un second souffle. Il y a vraiment quelque chose

qui devient très proche, très personnel, très vibrant au-delà de ça, et en résulte, je dirais, oui,

une espèce d'optimisme. » (Guillaume, Pantoute) Marc considérait que le modèle coopératif

lui a permis d'avoir de nouvelles responsabilités dans l'entreprise : « On m'a accordé plus de

responsabilités. Je, comme je me sens plus impliqué, justement [nom de sa nouvelle

responsabilité] c'est assez récent. […] Bon, c'est une responsabilité que j'ai l'impression que

j'aurais jamais eue auparavant. Puis là on est une coopérative puis chaque, il y a un lien de

confiance qui s'est établi, ce qui a permis ça. » (Marc, Pantoute) Le changement de modèle

a aussi pris une importance pour Denis : « En fait, la coop, c'est ce qui a entretenu mon,

mon appartenance à Pantoute. » (Denis, Pantoute) Guillaume tentait de consommer le plus

possible dans des coopératives, ce qu'il faisait par exemple en faisant son épicerie au IGA

coop. Au-delà de cette coopérative par contre, il ne consommait pas vraiment dans d'autres

coopératives : « C'est plus une question de proximité parce que j'en ai pas vraiment autour119

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de moi. Par contre, avoir la possibilité, c'est sûr que c'est un modèle que j'avoue vouloir

encourager de plus en plus parce que je l'aime bien. » (Guillaume, Pantoute) Marc avait

aussi la même approche : « Je vais toujours privilégier quand il s'agit d'acheter par exemple

des trucs, n'importe quoi, bien si je vois une coopérative, je vais être content d'y aller, puis

je vais les privilégier. » (Marc, Pantoute) Denis, pour sa part, n'accordait pas plus

d'importance au modèle coopératif depuis : « Le fait que je suis dans une coop, est-ce que

je vais dire ah! Je vais acheter mon café dans une coop? Pour le moment non. Parce que, je

suis paresseux et que, là où je vais acheter, là où je consomme, c'est sur mon chemin. »

(Denis, Pantoute)

5.2.7. S'engager envers la communauté

Certains répondants s'engageaient aussi dans leur communauté. Cependant, le fait de

travailler pour une coopérative ne semble pas amener les individus à s'engager davantage

pour leur communauté. C'est par leurs tâches dans l'entreprise que les employés en viennent

à s'engager dans la communauté, mais cet engagement se fait en tant que représentants de

l'entreprise, et non à titre personnel. Les personnes qui s'engagent dans la communauté

personnellement, sans leur entreprise, le faisaient déjà par le passé, avant d'y travailler.

Ainsi, bien que les entreprises coopératives s'engagent envers la communauté, elles ne

semblent pas faire naître un désir de s'engager chez ses travailleurs. La coopérative peut

apporter des contacts et un plus grand réseautage dans la communauté, permettant au

travailleur de s'impliquer davantage ou de s'impliquer dans des projets plus structurants,

mais elle ne semble pas faire naître cet intérêt. Si l'individu n'a pas d'abord un intérêt à

s'engager, son engagement ne risque pas de dépasser le cadre de son travail.

Dans le cas d'Étienne, par exemple, il travaillait pour un organisme communautaire au

même moment qu'il travaillait au MEC. Il précisait cependant ceci : « Je t'avouerais que si

j'étais pas payé, je l'aurais pas fait, mais encore une fois, je partage l'idée puis je trouve, je

trouve que, admettons, je mets mes efforts à travailler là. » (Étienne, MEC) Ainsi, il

s'engageait envers un organisme, mais ne se sentait pas prêt à le faire bénévolement. Son

engagement envers l'organisme ne dépassait pas le cadre de son travail, même s'il y mettait

du cœur. Cependant, les valeurs qu'il aimait chez MEC s'appliquaient à sa vie de tous les

jours : « J'essaie de faire attention à ce que je jette, faire du recyclage puis tout ça. Puis pas

tirer de cochonneries dans l'environnement quand ce serait pas mal plus facile que de le

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traîner pendant une heure dans une randonnée, des choses de même. » (Étienne, MEC) Il

s'engageait aussi informellement, d’un à un, envers des amis ou des connaissances qui ont

besoin de lui. Sinon, il participait à l'organisation d'activités de plein air.

Annie était quant à elle impliquer dans le communautaire. Le MEC, par son ancrage dans la

communauté, lui a permis de connaître les organismes du quartier, ce qui fait qu'elle se

sentait plus familière avec le milieu. Même si elle a quitté son emploi au MEC, elle voulait

continuer son engagement communautaire : « Je sais que je veux travailler dans le milieu

communautaire aussi, rester dans cette dynamique là. Je sais que c'est une mentalité qui me

rejoint beaucoup. Ça fait que j'y crois puis je veux passer ma vie là dedans. » (Annie, MEC)

Elle disait d'ailleurs s'impliquer dans les marchés de proximité.

Charles, pour sa part, était très impliqué dans la communauté, ce qui fait qu'il s'impliquait

moins dans son travail : « Je m'implique déjà trop à l'extérieur du travail, ça fait que jamais

je m'impliquerai au travail, tu sais. C'est comme… j'ai pas le temps, tu sais. Si je

m'impliquais pas à l'extérieur, est-ce que je m'impliquerais à l'intérieur? Peut-être. »

(Charles, MEC) Il était très impliqué dans différents projets, que ce soit au sujet de

l'environnement, de cuisines collectives, etc. :

Je pense qu'on a de la difficulté à vivre en communauté dans la vie actuellementpar plusieurs problématiques d'ordre macro-social et micro-social. Je pense quec'est important de prendre connaissance de son environnement social et naturel,puis d’œuvrer pour une meilleure qualité de vie sociale et personnelle.Ensemble pour améliorer ces conditions-là. Puis je pense que c'est ens'impliquant et en faisant des actions concrètes qu'on apprend mieux et qu'onréussit vraiment à entrer en communication, en rapport avec les autres et avec lanature, puis permettre des changements à l'échelle locale. […] Je pense quec'est essentiel, ce serait essentiel que tout le monde s'implique dans quelquechose dans sa communauté pour le bien-être de tout le monde, parce qu'on viten communauté, on devrait réagir ensemble en communauté plutôt que de sefier sur d'autres pour agir. (Charles, MEC)

Comme le modèle coopératif demande beaucoup de temps, certains répondants disaient

qu'ils aimeraient s'engager dans d'autres causes, mais qu'ils n'en avaient pas le temps.

À la librairie Pantoute, les répondants s'engageaient dans la communauté, mais cet

engagement restait en lien avec leur métier de libraire : « Je suis l'un des combattants sur la

ligne de front pour que l'indépendance du commerce reste, et pour que l'amour du livre

reste aussi. Pour que l'amour de la littérature, de la lecture, de la culture reste. » (Guillaume,121

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Pantoute) Cela implique de prendre la parole dans l'espace public, pour faire rayonner la

culture : « Je participe à des émissions de radio, des choses comme ça, qui sont liées à la

librairie directement. […] Ça découle toujours de Pantoute évidemment que ce soit la radio,

que ce soit justement ces trucs-là. […] C'est toujours un libraire de chez Pantoute qui vient

donner son expertise de libraire. » (Guillaume, Pantoute) Il en est de même pour Marc, bien

qu'il mentionnait avoir fait du bénévolat par le passé, son engagement communautaire est

aujourd'hui en lien direct avec son travail de libraire : « J'organise des conférences à la

librairie, je participe à des causeries et tout ça, mais pas à l'extérieur. » (Marc, Pantoute)

Pour Denis, c'est la librairie qui a fait naître cet engagement :

Mon nom est reconnu, et un moment donné, ça a débloqué sur d'autres choses.Ils font des colloques sur la lecture en jeunesse, ils m'ont demandé d'aller fairedes ateliers. […] Salon du livre de… Trois-Rivières, deux fois on m'a demandéd'aller faire un atelier, alors maintenant, c'est reconnu. Quand il y a [unfestival], Radio-Canada, CKRL me demandent de faire des entrevues. CKRL, jeparticipe à une émission […]. Et c'est grâce à Pantoute si je suis un spécialiste,si je suis reconnu. (Denis, Pantoute)

Son engagement était d'abord et avant tout personnel : « Personnellement, je t'avouerais que

je suis pas très engageant à d'autres causes, je l'ai jamais été. […] Je pense que cette cause,

je m'y suis engagé dans la coop, parce qu'elle m'était personnelle, et purement égoïste. Je

voulais que ça survive pour ce que c'était, et, évidemment, pour moi, pour la conserver. »

(Denis, Pantoute)

Pour Myriam, la Barberie a fait naître son implication : « Je suis pas quelqu'un qui s'est

impliqué, admettons au cégep ou à l'université ou dans des comités même au secondaire.

[Alors que maintenant] j'ai des comités là à l'interne. » (Myriam, Barberie) Bien qu'elle ne

s'impliquait pas en dehors du cadre de son travail, celui-ci lui a fait connaître le milieu

communautaire. Elle avait le projet de s'impliquer, en faisant du bénévolat, ce qu'elle ne

faisait pas en raison de son implication à la Barberie, qui lui demandait trop de temps : «

J'aimerais ça là faire du bénévolat. […] J'essaie de choisir, puis à la Barberie, quand même,

vu que je suis sur le CA, bien j'ai des rencontres de CA. Je suis sur le club social, c'est

bénévole. J'ai des rencontres de club social aussi. En faisant du service […] Je suis pas chez

nous à 5h30 là, je suis à la maison à 8h30 à peu près. » (Myriam, Barberie) Elle pouvait

aussi participer, en tant que serveuse, à des événements auxquels la Barberie participe,

comme les festivals de bière. Dans le cas de Laurence, elle a avoué ne pas s'impliquer en ce

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moment, car ses emplois lui demandaient trop de temps. Elle s'était cependant impliquée

souvent, par le passé dans des causes qui lui tiennent à cœur et par du bénévolat. Simon,

pour sa part, a déjà fait du bénévolat pour un organisme et s'impliquait dans sa coopérative

d'habitation. Depuis qu'il était à la Barberie, il s'impliquait surtout à son travail. Il précisait

cependant que son implication au travail a changé sa manière de voir l'engagement : « Ça

m'a allumé sur les fonctionnements en fait de d'autres causes. Que c'était pas juste un cri

d'alerte, que c'était pas juste un désir de changement souvent. C'est tout un processus qui est

mis en place donc, c'est… puis c'est jamais ponctuel en fait. » (Simon, Barberie)

Maxime mentionnait quant à lui qu'il ne s'impliquait pas vraiment dans la communauté,

mais que, pour qu'un emploi l'accroche, il devait avoir une mission sociale : « J'ai travaillé

pendant 5 ans dans le même camp de vacances. […] Là, ça, j'ai vraiment senti un mega

attachement. […] Ça fait que oui, je peux être attaché à plus, mais la coopérative fait que je

reste attaché plus que… Mais reste que c'est peut-être une mission sociale aussi, tu sais.

[…] C'est peut-être ça qui fait que je m'accroche plus que la mission de faire du cash pour

le patron, tu sais. » (Maxime, Zone) Il mentionnait être très politisé depuis quelques années,

mais que cela ne l'amenait pas à s'impliquer dans des organismes locaux : « Moi, la façon

que je m'implique, c'est que je consomme dans ce genre d'endroits là. […] Je vais faire

l'effort de payer pour, pour qu'une coopérative reste, reste active puis forte là. » (Maxime,

Zone) Au moment de l'entrevue, il avait le projet de fonder une coopérative d'habitation :

« C'est quand même quelque chose que je veux développer parce que j'aime le système que

tout le monde soit égaux. » (Maxime, Zone) Frédéric, pour sa part, faisait beaucoup de

bénévolat dans la communauté. Il avait d'ailleurs monté un camp pour jeunes en difficulté.

Il a commencé à s'engager au secondaire, parce que c'était obligatoire, et il y a pris goût :

« Au début, on le fait parce qu'on est obligé et qu'on veut passer le PEI, mais si on est

ouvert à aller un peu plus loin, on réalise à quel point ça peut être important. » (Frédéric,

Zone) Il mentionnait continuer à s'engager de son propre chef depuis que ce ne lui est plus

exigé : « Depuis que c'est plus quelque chose qui est obligatoire, on réalise qu'on ne le fait

plus. […] Ça fait que c'est là qu'on réalise qu'on a beaucoup de temps libre et qu'on pourrait

faire quelque chose de plus avec ça. » (Frédéric, Zone) Pour ce qui est de Benoît, son

implication à l'extérieur du travail se faisait dans le développement durable : « Je suis sur le

comité de développement durable de l'Université Laval. J'y crois. […] Ça me donne rien

personnellement, ça me donne, en fait, de façon pécuniaire. Moi, ce que ça me donne, c'est

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de dire, bien, regarde, on a arrêté de gaspiller la nature, tu sais. » (Benoît, Zone) Il

s'engageait beaucoup à l'université, envers les étudiants par exemple, qu'il aide à monter des

projets. Par le passé, il s'est aussi impliqué sur plusieurs CA d'organismes.

5.3. Les types d'engagements

En plus de s'effectuer envers des cibles différentes, les entrevues ont permis de voir que les

répondants ont différentes raisons de s'engager envers l'entreprise ou envers les valeurs de

celle-ci. Bien entendu, un même répondant peut avoir différents types d'engagements,

puisque son engagement peut avoir différents motifs. Ces raisons s'insèrent dans les trois

types d'engagements de Meyer et Allen (1997), soit l'engagement affectif, normatif et en

continu.

5.3.1. L'engagement affectif

La plupart des répondants semblent s'engager de manière affective dans leur entreprise. Ils

y sont attachés et ont envie de bien faire leur travail pour le bien du groupe.

Au MEC, les répondants s'engageaient de manière affective envers l'entreprise, en raison de

l'importance qu'ils accordaient aux valeurs véhiculées par MEC : « J'ai l'impression que

c'est vraiment proche de mes valeurs, puis maintenant que je travaille là, je peux dire oui,

ça représente bien. Je me sens à ma place. » (Étienne, MEC) Ils se sentaient mieux traités

comme employés dans cette entreprise que dans d'autres emplois qu'ils ont occupés. Les

formations sont aussi un élément central qui fait que les répondants aimaient

particulièrement cette entreprise : « Tu en apprends sur ce que tu conseilles après aux

membres et ça te donne un méchant sentiment d'attachement parce qu'après tu es : Wouhou!

C'est quoi les formations qu'ils vont sortir? » (Annie, MEC) Le fait d’offrir un service aux

clients plutôt que de tenter de vendre le plus possible semble aussi un élément important

pour les répondants du MEC : « Moi ce que je voulais, c’était donner ce service-là aux

membres et non leur vendre des bebelles. » (Charles, MEC)

On retrouve aussi ces éléments chez Maxime et Frédéric à la coop Zone, qui aimaient le fait

de conseiller les clients plutôt que de chercher à conclure une vente. Maxime, pour sa part,

aimait la clientèle du magasin, ce qui lui faisait mieux apprécier son travail : « Dans un

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magasin d'art, tu jases tout le temps de peinture, de trucs comme ça, des affaires de même.

C'est des conversations qui m'intéressent quand même plus que, je sais pas trop, de

travailler dans n'importe quel autre commerce de détail. » (Maxime, Zone) Pour Benoît, qui

n'avait pas un lien direct avec la clientèle, c'est surtout sa relation avec les cadres qui fait

qu'il affectionnait autant l'entreprise. Il accordait aussi une importance aux projets que la

coopérative mettait de l'avant : « Dans Zon’Orange, notre division, le projet, c'est d'avoir

notre propre production maraîchère et notre propre production animale. Tu sais, ça

m'allume là, tu sais. Il y a toujours le côté un peu entrepreneurial, mais changer un peu les

choses. » (Benoît, Zone)

À la Barberie, les répondants sentaient un attachement affectif à l'entreprise en raison du

contrôle qu'ils ont sur les décisions : « Il y a une complicité que j'ai jamais eue ailleurs, je

veux dire avec tous les autres employés, que ce soit la production… Euh, il y a une

reconnaissance aussi que tu as rarement dans le milieu du service. » (Simon, Barberie)

Simon disait d'ailleurs qu'il s'impliquait à la Barberie pour les raisons suivantes : « Euh… le

bien commun de la Barberie. Mon bien ainsi que le bien des autres à la Barberie. » (Simon,

Barberie) Cet engagement fait qu'ils se donnent beaucoup plus à ce travail qu'ils le feraient

ailleurs : « Personnellement, je suis quelqu'un qui va se dire. Oui, c'est bon pour

l'entreprise, c'est bon pour la coop, bien ok ça devient une priorité, on le fait » (Myriam,

Barberie) Pour Simon, c'est aussi la clientèle du commerce qui fait qu'il s'y sentait aussi

attaché : « C'est vraiment une clientèle que… enviable. Je pense que la plupart des bars et

restaurants aimeraient ça avoir ce genre de clientèle. » (Simon, Barberie) Même Laurence,

qui n'était pas membre, sent une différence : « J'avais déjà travaillé dans un bar qui n'était

pas une coopérative. Puis euh, justement là, c'était tenu hyper serré, puis je trouve qu'il y

avait beaucoup plus de stress et beaucoup plus de conflits de pouvoir, justement là pour une

job qui était tout aussi exigeante. C'est hyper exigeant là travailler à la Barberie, mais ça

peut, ça peut se faire en toute douceur là Ahah! » (Laurence, Barberie) Elle disait accorder

plus d'importance à son travail à la Barberie en raison de sa relation avec les personnes qui

y travaillent.

Chez Pantoute, l'engagement affectif se voit par l'importance que les répondants

accordaient au métier de libraire et des possibilités que leur offre l'entreprise : « J'aime

partager des livres. Donc, que ce soit à la librairie ou en dehors de la librairie, je continue à

le faire. » (Marc, Pantoute) Guillaume, par exemple, précisait qu'il a essayé beaucoup125

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d'autres métiers avant de trouver cette voie : « J'ai roulé ma boss comme un peu n'importe

qui malheureusement des sciences humaines. Des fois il faut le faire avant de trouver et

d'avoir l'opportunité de travailler justement dans la librairie qui est un modèle, une

entreprise qui me correspond énormément. » (Guillaume, Pantoute) Marc, pour sa part,

disait que la plupart des employés sont prêts à faire des heures supplémentaires parce qu'ils

se sentent appartenir à ce milieu : « Les gens, mes collègues de travail, on est heureux

souvent de faire des heures supplémentaires parce que, justement, on sent qu'on le fait pour

nous autant que pour l'entreprise. » (Marc, Pantoute) Dans le cas de Denis, on voit son

affection envers l'entreprise lorsqu'il parle du changement organisationnel : « Pantoute, si

elle voulait survivre comme librairie indépendante, il fallait qu'elle se crée [la coopérative].

Alors oui, j'ai été celui qui a été de l'avant et qui a… j'ai ramassé les gens et j'ai participé à

tous les comités. » (Denis, Pantoute)

5.3.2. L'engagement en continu

On remarque chez certains répondants une forme d'engagement en continu, même si ce

n'est pas l'unique forme d'engagement de ceux-ci. Certains éléments de leur discours nous

font remarquer qu'en plus de s'engager de manière affective, ils le font aussi en continuité,

en raison de ce qu'ils ont acquis dans l'entreprise et qu'ils ne pensent pas pouvoir obtenir

ailleurs.

Dans la coopérative Zone, nous pouvons considérer que Maxime a une forme d'engagement

en continu, puisque son intérêt à travailler pour la coopérative Zone venait de l’expérience

qu’il avait acquise dans une autre coopérative étudiante et qu'il souhaitait y trouver les

mêmes conditions. Dans le cas de Frédéric, même s'il ne voyait pas son emploi comme un

emploi à long terme, il s'engageait tout de même en continu : « J'ai quand même une

réputation qui a été établie. » (Frédéric, Zone) C'est d'ailleurs entre autres en raison de cette

réputation qu'il disait ne pas souhaiter travailler dans un autre magasin d'informatique. Dans

le cas de Benoît, il avouait ne pas avoir changé d'emploi parce qu'il aime la liberté qu'il a

chez Zone, qu'il considérait ne pas pouvoir obtenir facilement dans une autre entreprise :

« Le dernier emploi qu'on m'a offert, je doublais de salaire. Ok, là j'ai dit, je suis-tu obligé

d'aller dans les 5 à 7 puis de jouer au golf? Puis on m'a dit, bien oui. » (Benoît, Zone) Il

souhaitait terminer sa carrière chez Zone : « Il me reste à peu près 8 ans à travailler. Moi,

c'est clair. J'ai dit moi c'est Zone, puis après ça, je m'en vais à la maison puis je fais des

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meubles. C'est ça ma vision de ma vie là. » (Benoît, Zone) Malgré les difficultés que peut

vivre Zone dans les dernières années, il a décidé de continuer son engagement : « Tu sais, il

y a beaucoup de bouleversement dans le commerce de détail, puis j'ai eu l'offre au même

moment. Puis là, je me suis dit, qu'est-ce que je fais? Là j'ai dit, je scraperai pas [X] ans, j'ai

essayé de bâtir quelque chose depuis [X] ans. » ((Benoît, Zone)

L'idée de ne plus travailler pour cette entreprise est difficile pour ces répondants en raison

de ce qu'ils ont acquis depuis qu'ils y travaillent. Pour d'autres, cela ne concerne pas

seulement les acquis, mais la situation du commerce, qu'ils considèrent différentes

qu'ailleurs : « Je perdrais pas juste mon emploi, je perdrais des collègues qui sont devenus

des amis pour beaucoup. Ce serait une grosse perte. Comme je dis, ce serait difficile de

retrouver ce même type de librairie de quartier, pas trop loin de chez moi. […] Je sais

même pas si je serais capable de retrouver ça dans le milieu du livre. » (Marc, Pantoute) Il

en est de même pour Denis, qui a passé de nombreuses années dans l'entreprise et qui ne se

voyait pas avoir la même possibilité dans une autre entreprise : « J'ai une réputation. Et

maintenant, je la regarde cette section-là, c'est moi. J'aurais pas cette occasion-là. C'est pas

vrai. Je pourrais peut-être avoir dans une autre entreprise cette opportunité-là, mais pas

comme ça. Ça prendrait du temps, mais là, j'ai créé à l'intérieur même de Pantoute, j'ai créé

quelque chose qui me ressemble. Alors, je ne me vois pas aller travailler ailleurs. »(Denis,

Pantoute)

Dans le cas de Myriam, elle se demandait si l'existence de son poste serait possible dans

une autre entreprise : « À la base, sûrement que mon poste existerait même pas si on était

pas une coop. Parce que je suis pas sûre qu'avec 31 employés, il y aurait quelqu'un [à mon

poste]. » (Myriam, Barberie) De plus, son implication au CA lui a fait découvrir une forme

d'engagement qu'elle ne connaissait pas, ce qui lui manquerait : « Tracer [le chemin d’une

entreprise], ça me manquerait. Je pensais pas, avant de venir travailler ici, mais là ça me

manquerait vraiment beaucoup. » (Myriam, Barberie)

Comme les répondants du MEC étaient tous de passage, aucun élément lors des entrevues

n'a montré ce type d'engagement. Cela ne veut cependant pas dire que ce type n'existe pas

dans cette coopérative. Un plus gros échantillon aurait fort probablement trouvé des

éléments d'engagement correspondant à cette catégorie.

127

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5.3.3. L'engagement normatif

Ce type d'engagement est plus difficile à cerner, mais certains répondants semblent aussi

s'engager de manière normative, par loyauté envers l'entreprise qui leur offre un travail ou

par ce qu'on pourrait qualifier d'un devoir moral. C'est le cas des répondants de Pantoute

par exemple et de certains répondants des autres coopératives.

Pour Myriam, l'attente première de son emploi était de travailler dans son domaine

d'expertise : « D'avoir un… un emploi qui me fait travailler un petit peu plus par rapport à

mes études là. […] J'avais comme attente d'appliquer des affaires que j'avais vues à l'école,

puis d'aller plus loin que dans mon ancien poste là. […] C'est ça, juste d'utiliser mon savoir

un peu plus, d'avoir un poste un peu plus challengeant que ce que j'avais avant. » (Myriam,

Barberie) Plus tard, elle rajoute : « C'est la première fois que je travaille dans ce pourquoi

j'ai étudié, puis ça me tient vraiment à cœur. Ça fait que c'est deux trucs que je fais avec

passion et avec beaucoup d'énergie et d'ardeur. » (Myriam, Barberie) Pour ce qui est de

Laurence, travailler à la Barberie était un défi : « J'avais envie d'avoir ce défi-là parce que

c'est très exigeant et c'est un gros challenge quand même travailler dans un bar quand ça

roule autant et qu'il y a une grosse terrasse là. J'avais le goût de me donner ce défi-là, je

pense. » (Laurence, Barberie) Dans ces deux cas, on remarque un désir de dépassement au

travail par rapport à d'autres emplois occupés.

Dans le cas de Guillaume, on voit ce type d'engagement dans l'intérêt qu'il porte à l'aspect

commercial de son emploi : « Le commerce, ça a toujours été quelque chose que j'ai vécu,

et c'est quelque chose que j'ai trouvé effectivement en travaillant chez Pantoute. Donc, il y a

l'aspect de défi, oui, de dépassement, qui est, je pense, important dans tous les emplois.

Mais il y avait, et c'était bien important pour moi aussi, l'idée d'être capable d'entretenir

cette passion-là. » (Guillaume, Pantoute) Il disait que ce corps de métier lui correspond

parfaitement en raison de l'aspect commercial qui l'anime et de sa passion pour la

littérature. Cependant, il précisait que, bien que ces éléments lui amènent un plus grand

attachement à l'entreprise, cela ne l'amène pas à s'engager davantage puisque : « Sans

vouloir me jeter des fleurs, j'ai toujours été quelqu'un qui se donnait à 110. » (Guillaume,

Pantoute) Il est peut-être plus motivé par ce travail, ce qui lui est bénéfique, mais son

engagement, selon lui, ne serait pas différent qu'ailleurs. Pour ce qui est de Marc, il disait

qu'il s'implique parce que le travail prend une grande place dans sa vie : « J'ai envie que ce

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soit bien fait, envie d'aller plus loin, de… vu que c'est pas juste un travail, que c'est aussi

une passion, je déborde du travail parce que ça occupe une bonne partie de ma vie. […]

Puis aussi le désir d'avoir peut-être plus de responsabilités et tout ça. » (Marc, Pantoute)

Denis, pour sa part sentait un devoir de s'engager pour cette entreprise qui lui a donné

l'opportunité de développer sa carrière et son expertise dans le domaine du livre : « La plus

grande chance de ma vie, c'est la confiance qu'ont eue les patrons après 2 ou 3 mois, quand

ils ont vu que je m'intéressais à [un domaine littéraire]. Ils m'ont dit : veux-tu t'en occuper?

Et là, ça a été le début de ce que je suis. » (Denis, Pantoute) Il précisait que pour cette

raison, il s'est toujours fortement engagé envers l'entreprise : « J'ai dit oui à tous les

événements extérieurs, les heures sup, à remplacer quelqu'un. […] Récemment, c'est sûr

que j'en fais moins d'heures sup. […] Il y a des jeunes, c'est à leur tour. » (Denis, Pantoute)

Pour lui, le modèle coopératif dans Pantoute lui permet de continuer de faire son travail :

« Moi la coop, je veux juste qu'elle survive. […] Qu'on paye notre emprunt et qu'on puisse

travailler. De cette manière-là comme on travaille. Moi je vais être bien heureux. » (Denis,

Pantoute) On remarque dans ces cas une envie de s'engager envers l'entreprise en raison de

la passion et des opportunités qu'elle a permises à ses employés.

Étienne, pour sa part, précisait qu'il ne se sent pas plus engagé au MEC, étant donné qu'il

tente de toujours donner son meilleur : « Je pense pas que j'accorde plus d'importance,

parce que quand je m'engage dans quelque chose, j'essaie de donner le mieux que je peux. »

(Étienne, MEC) Annie, quant à elle, disait ceci : « Je considère que c'est central dans ma vie

ma job. […] Je me sens investi dans ce milieu-là. Tu sais, je m'en vais travailler là. »

(Annie, MEC) Benoît accordait aussi un certain devoir à son travail : « Je suis assez sévère

comme gestionnaire sur les attentes que mon patron ou mes patrons ont. Surtout sur les

résultats. Ils sont moins durs envers moi que je peux l'être envers moi-même. Hum, peut-

être parce que je suis un, j'ai un gros ego, puis comme gestionnaire je veux réussir. »

(Benoît, Zone) Frédéric, pour sa part, a fait part de ce qu’il recherchait dans son emploi :

« Je m'attends à être valorisé. Quand je travaille bien, j'aime ça être reconnu pour mon

travail. Peu importe que ce soit une coopérative ou non, j'aime ça quand mon implication

est reconnue. J'aime ça bien me forcer, puis j'aime ça quand, c'est ça, quand le monde

l'apprécie. » (Frédéric, Zone) Il précise : « J'ai toujours fait plus que juste le travail qui

m'était assigné. » (Frédéric, Zone) Nous avons ici certains répondants qui montrent qu'ils

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accordent une importance en soi à leur travail et à l'idée de bien faire leur travail. Leur

engagement est ici normatif, puisqu'ils sentent le devoir de s'engager dans leur travail.

On peut voir que les répondants ayant ce type d'engagement ne disent pas s'engager dans

l'entreprise parce qu'ils l'aiment ou parce qu'ils y gagnent quelque chose, mais tout

simplement parce qu'ils ont comme valeur de s'engager au maximum dans ce qu'ils

entreprennent ou qu'ils se sentent redevables envers l'entreprise qui leur a donné une

opportunité.

5.4. Les différentes façons de s'engager dans le modèle coopératif

L’engagement selon différentes cibles et selon différents types qui a été présenté permet

d’effectuer des regroupements. On arrive alors à quatre différents types de personnes

s’engageant dans le milieu coopératif. Bien entendu, il s'agit d'idéaux types, et aucun des

répondants ne correspond tout à fait à l'un de ces types. Il s'agit d'une grille d'analyse

permettant de voir de quelles manières différentes personnes peuvent s'engager dans le

milieu coopératif.

Cette typologie est divisée selon un premier axe, qui est l'appartenance au mouvement

coopératif. Cet axe correspond au fait de vouloir, ou non, demeurer dans l’entreprise

coopérative. On y retrouve, d’un côté, des personnes qui ne sont que de passage dans une

coopérative et, de l’autre, des personnes qui souhaitent y faire carrière. En effet, le temps

qu'une personne souhaite passer dans une entreprise change sa manière de s'impliquer. Ce

n'est pas un phénomène propre aux coopératives puisque, comme il a été exposé au chapitre

deux, les études sur l'engagement au travail se sont longtemps penchées sur l'intention de

quitter des employés. Il y est dit qu'un employé qui a l'intention de quitter l'entreprise risque

de moins s'impliquer dans son travail et d'y effectuer le strict minimum. Les entrevues nous

ont en effet fait voir que les personnes qui ne sont que de passage s’impliquent de manière

différente que celles qui souhaitent y faire carrière. Cependant, cela ne permet pas de dire

que les employés de passage en font moins. Les entrevues montrent que ces répondants, par

rapport aux autres, s'engagent de manière différente. Le but n’est pas de quantifier ou de

mesurer l’engagement, mais de déceler la forme qu’il prend.

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Comme deuxième axe, nous avons la cible de l'engagement. L’engagement peut être interne

à l’entreprise, c’est-à-dire qu’il se fait à l’intérieur de l’organisation, ou externe à

l’entreprise. Dans ce second cas, l’engagement ne se fait pas pour l’entreprise, mais pour

quelque chose (une cause par exemple) qui lui est extérieur. En effet, certains répondants

sont très engagés envers leur entreprise, mais ne seront pas impliqués à l'extérieur de celle-

ci. En comparaison, d'autres répondants ont un engagement limité dans leur travail, mais

s'engagent envers d'autres causes qui leur tiennent à cœur. Cet engagement externe peut

être, selon le cas, en concordance avec les valeurs de l’entreprise ou opposées à celles-ci.

Avec ces deux axes, on arrive à créer quatre types distincts de personnes qui s’impliquent

dans le milieu coopératif :

De passage dans une coopérative Souhaite y faire carrière

Engagement interne àl'entreprise

Engagement dans son travail au jourle jour

Engagement et implication pourle bien de l'entreprise

Engagement externe àl'entreprise

Engagement envers une causesociale

Engagement selon les valeurscoopératives

Parmi les répondants qui ne sont que de passage dans l'entreprise, on retrouve deux types

de répondants : ceux qui s'engagent au jour le jour dans leur travail et ceux qui s'engagent

envers une cause extérieure à l'entreprise. En effet, les répondants de passage dans leur

coopérative ne sont pas vraiment impliqués dans leur travail au-delà des tâches qu'ils ont à

effectuer. Ils ne participent pas à des comités au travail et ne mentionnent pas participer à

des activités organisées par l'entreprise. Cependant, cela ne signifie pas qu'ils ne sont pas

engagés dans leur entreprise. En effet, en raison de l'affection qu'ils ont pour l'entreprise

(notamment pour le modèle coopératif), ils s'engagent tout de même intensément dans leur

travail au quotidien. C'est le cas par exemple de Laurence, qui disait faire son possible pour

améliorer ses façons de faire pour le bien de l'entreprise. C'est aussi le cas de Frédéric, qui

disait travailler sur l'organisation du travail pour ainsi être en mesure de mieux servir les

clients. Ce dernier ne s'impliquait pas dans les instances officielles de la coopérative Zone,

mais il s'impliquait tout de même dans son travail dans le but de le rendre plus efficace. On

ne peut donc pas dire que ces répondants, qui n'investissent pas les structures officielles de

l'entreprise, ne sont pas engagés envers l'entreprise. Ils le sont, mais c'est un engagement

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qui est moins structuré et qui se vit plus au jour le jour, par les défis qu'ils tentent de relever

au quotidien pour améliorer leur efficacité ou l'ambiance au travail.

D'autres répondants de passage s'engagent pour leur part davantage à l'extérieur de leur

coopérative qu'à l'intérieur de celle-ci. C'est le cas par exemple de Charles qui était

impliqué dans plusieurs causes sociales, mais qui précisait ne pas être intéressé à

s'impliquer à son travail. Pour ces répondants, la coopérative est un emploi comme les

autres, mais qui a l'avantage de rejoindre davantage leurs valeurs sociales. Ainsi, ils ne

s'impliquent pas dans leur travail puisqu'ils ne s'y voient pas à long terme, mais s'y sentent

tout de même parties prenantes puisque l'entreprise véhicule les mêmes valeurs qu'eux.

Plutôt que de s'impliquer dans une structure formelle de leur entreprise, ces répondants vont

préférer s'impliquer à l'extérieur de celle-ci. C'est le cas par exemple d'Étienne, qui organise

ses propres activités de plein air plutôt que de participer à l'organisation des activités du

MEC. C'est aussi le cas d'Annie, qui s'est fait des contacts avec le milieu communautaire

grâce au MEC, mais qui ne s'est pas impliquée envers ces organismes par le biais du MEC.

À l'opposé, nous avons les employés qui souhaitent continuer à travailler dans leur

coopérative. Certains d'entre eux s'impliquent pour le bien-être de l'entreprise pour laquelle

ils travaillent, et d'autres vont plutôt s'engager plus largement envers les valeurs qu'ils

associent au modèle de l'entreprise. Les employés de cette catégorie s’impliquant à

l'intérieur de l'entreprise le font différemment que ceux qui ne sont que de passage. Cette

différence est due au fait que ces employés s'impliquent dans l'entreprise au-delà des tâches

courantes au jour le jour. C'est le cas par exemple de Denis, qui s'est impliqué dans le

changement organisationnel de l'entreprise pour le bien de celle-ci. C'est aussi le cas de

Myriam et Simon, qui s'impliquent dans différents comités à la Barberie. Cette implication

vise avant tout l'entreprise, mais est beaucoup plus large que leur poste de travail. On peut

aussi placer Guillaume et Marc dans cette catégorie, qui acceptent de participer à des

conférences pour la librairie. Bien que cette tâche ait aussi une visée culturelle, qui est de

faire rayonner la culture dans la ville de Québec, ces répondants le font en tant que libraires

de chez Pantoute, et non à titre personnel. Il s’agit d’un engagement qui est pris au-delà de

leur tâche de libraire, mais qui reste tout de même associé à la librairie. Les employés

précisent d'ailleurs qu'ils ne le feraient pas si ce n'était pas de Pantoute. Dans la même idée,

on peut placer les répondants de la Barberie, qui ont pour tâche de représenter la Barberie

dans les festivals. Cette tâche de représentation a pour but de faire découvrir la bière de132

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micro-brasserie, mais elle ne peut être séparée du poste occupé à la Barberie. Ainsi, ce type

d'engagement ne peut vraiment être considéré comme un engagement externe à la

coopérative, même s’il s’effectue physiquement à l’extérieur des murs de l’entreprise.

Finalement, comme dernier type, nous avons les répondants qui souhaitent rester dans leur

coopérative et qui s'impliquent à l'extérieur de celle-ci. Le répondant de l'échantillon qui

correspond le mieux à ce type est Benoît. Celui-ci est bien impliqué dans son entreprise,

mais son implication dépasse le cadre de son emploi. En effet, son implication se fait aussi

dans d'autres projets extérieurs à la coopérative Zone, mais qui y restent associés par les

valeurs véhiculées, dont le développement durable et la gouvernance locale. Ces

engagements ne concernent pas le poste qu'il occupe à la coopérative, et, contrairement à

l'organisation de conférence par les libraires de Pantoute ou le fait de représenter la

Barberie dans un festival, ces engagements sont pris à titre personnel, et non en tant que

gestionnaire dans la coopérative Zone. Son implication dans d'autres comités ou d'autres

projets se fait plutôt en raison de l'adhérence qu'il a envers le modèle coopératif et les

valeurs véhiculées par celui-ci. Ces engagements, en ce sens, ne peuvent être vus comme

étant dissociés de son travail dans une coopérative, mais comme y étant complémentaires.

Cette implication est différente de celle envers les causes sociales puisque l'implication

envers une cause n'est pas vue comme séparée de l'implication au travail. Les différents

projets auxquels il est impliqué, que ce soit à l'extérieur de Zone ou à l'intérieur, sont vus

comme étant une implication vers un même but. À l’opposé, dans le cas de Charles,

l'implication qu'il pourrait avoir chez MEC est plutôt vue, pour lui, comme une implication

au jour le jour, ou qui ne dépasse pas le cadre de l'entreprise, alors que l'implication à

l'extérieur de l'entreprise est vue comme dépassant le cadre de l'entreprise. Il voit

l'engagement au travail comme opposé à son engagement, alors que Benoît le voit comme

complémentaire. On pourrait dire, pour simplifier, que l'engagement envers une cause

sociale permet à l'individu de s'impliquer dans quelque chose qui l'anime, alors que

l'engagement selon les valeurs coopératives permet de dépasser l'engagement au travail.

5.5. L'entreprise coopérative : un emploi de passage?

La typologie telle que présentée laisse penser que la division est simple entre les personnes

qui souhaitent faire carrière dans leur coopérative et celles qui n'y sont que de passage. Or,

la réalité est tout autre et est en fait assez complexe. Tous les répondants se sentaient inclus133

Page 142: L'engagement des travailleurs du mouvement coopératif de Québec · 2018-07-11 · Sans toi, mon projet n’aurait certainement pas avancé aussi rapidement. ... Cette recherche

dans leur entreprise, mais ce ne sont en effet pas tous les répondants qui pensaient y passer

leur vie professionnelle. Cependant, on ne semble pas quitter l'entreprise coopérative

comme n'importe quelle autre entreprise. On peut diviser les répondants en trois

catégories : ceux qui ont l'intention de rester dans l'entreprise, ceux qui pensent la quitter

pour de meilleures conditions de travail ou un meilleur salaire, et ceux qui pensent la quitter

pour travailler dans un autre domaine.

Benoît, Denis et Myriam ne souhaitaient pas quitter leur entreprise. Ils ne se voyaient pas

obtenir un emploi plus satisfaisant ailleurs. Pour ces trois personnes, le choix était clair : ils

souhaitaient continuer à y travailler le plus longtemps possible et seraient tristes de devoir

quitter l'entreprise si cela arrivait.

Dans le cas de Simon, celui-ci précisait qu'il pourrait quitter la Barberie s'il n'arrivait pas à

y obtenir de meilleures conditions de travail. C'est aussi le cas de Marc et Guillaume, qui

précisaient que, même s'ils affectionnent particulièrement leur travail et l'entreprise, ils

pourraient trouver un emploi avec de meilleures conditions et un meilleur salaire ailleurs.

C'est par contre un changement qu'ils ne souhaitaient pas devoir effectuer en raison du

sentiment d'appartenance qu'ils ont envers leur entreprise.

Finalement, nous avons les autres répondants, qui pensaient quitter l'entreprise pour

travailler dans un autre domaine. C'est le cas de Charles, d’Étienne et de Frédéric qui visait

à travailler dans leur domaine d’études. À cela s'ajoute Maxime, qui a quitté l'entreprise

pour travailler à son compte et Annie qui a quitté le MEC pour le communautaire. Ces

employés obtiennent une bonne expérience de travail dans le milieu coopératif, qu'ils

affectionnent, mais ne pensent pas nécessairement y faire carrière.

Le lecteur attentif remarquera que Laurence n'a été placée dans aucune de ces catégories.

Cela s'explique par le fait qu'elle n'avait qu'un poste saisonnier à la Barberie. Elle aurait

d'ailleurs difficilement pu continuer à long terme si elle l'avait voulu, puisque son contrat

terminait à la saison creuse et qu'elle aurait dû attendre d'avoir un autre, ou plusieurs autres

contrats avant l'obtention d'un poste permanent. Ainsi, sa décision de rester ou non dans

l'entreprise n'était pas un choix qui provenait uniquement d'elle, mais aussi de sa condition

dans l'entreprise.

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Tout de même, même si les conditions d'emplois font que, pour la plupart des répondants, le

travail dans une coopérative n'est que passager, on voit qu'il laisse des traces. Chez Annie,

par exemple, le MEC lui a permis d'avoir des contacts dans des organisations

communautaires et de connaître ce milieu, ce qui fait qu'elle se sent plus apte à s'impliquer

maintenant. Pour Maxime, c'est son premier travail dans une coopérative qui lui a donné le

goût d'appliquer à la coop Zone. Cela lui a fait voir que c'est un modèle qu'il apprécie, et

qu'il a envie d'encourager. Même s'il préfère travailler à son compte, il précise qu'il

retournerait travailler à la coop Zone avant de postuler dans une entreprise à but lucratif.

5.6. L'économie locale

Cette façon de voir l'emploi en milieu coopératif et d'autres éléments du discours des

répondants montrent qu'en fait, chez les répondants, le modèle coopératif apparaît plus

comme un outil pour se réunir en communauté locale qu'une idéologie. En effet, l'idéologie,

en elle-même, est plus large que le modèle coopératif. L'idéologie est basée sur la proximité

et sur les petites structures. Ainsi, bien que les répondants aiment le milieu coopératif, ils

semblent préférer les petites entreprises, même si elles ne fonctionnent pas selon le modèle

coopératif, que les grosses entreprises, coopératives ou pas. Les grosses coopératives, pour

leur part, sont vues comme des entités qui utilisent l'idéologie coopérative pour assurer

l'engagement et l'adhésion des travailleurs à leur modèle : « Je pense que c'est autant que ça

crée l'ambiance de travail plus intéressante parce que tu t'impliques. C'est très néolibéral

comme truc, je pense. C'est une nouvelle manière de faire la responsabilisation de tes

employés puis de l'attacher à ta… enfin autant à ton produit qu'à ton magasin, qu'à ta filiale

là. » (Charles, MEC) Même une coopérative comme Zone, qui est somme toute assez

modeste, peut apparaître comme trop grosse, comparée à de petites entreprises de

proximité : « Coop Zone, admettons. Tu sais, même, je préfère aller dans des plus petites

librairies, en tout cas. » (Charles, MEC) Par le fait même, d'autres entreprises locales,

même si elles ne sont pas coopératives, sont considérées comme faisant partie de l'idéal

local et indépendant : « Moi je vais pas chez Walmart, et je vais pas chez ClubPrice. […]

Moi j'ai des convictions, puis je vis à la campagne, puis quand j'achète à ma petite

quincaillerie du coin, et le dépanneur […] je le sais que ça me coûte plus cher qu'ailleurs,

mais j'y vais parce que si je fais pas ça et qu'ils s'en vont, bien je vais probablement, tu sais,

c'est un peu une culture coopérative ça aussi. Donner un service. » (Benoît, Zone)

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Guillaume a aussi une vision semblable : « On avait notamment la librairie générale

française qui était notre voisin, qui était juste à côté, qui a fermé ses portes il y a quelques

années. Et les gens disaient, ah, mais oui, c'est pas votre compétiteur? Il est juste à côté.

Nous, notre compétiteur, c'est les grandes chaînes. Je veux dire, la librairie générale

française, c'est des collègues. C'est des confrères libraires. » (Guillaume, Pantoute)

On en revient ainsi aux théories sur le monde du travail. Certaines entreprises utiliseraient

le modèle coopératif non pas dans l'idée d'une redéfinition du modèle économique et de la

gestion de l'entreprise, mais dans le but de ressembler à une entreprise sociale, et ainsi

s'assurer une plus grande implication de ses travailleurs, tout en apparaissant plus humaine.

Cependant, dans les faits, de telles entreprises ne seraient pas bien différentes d'une

entreprise à but lucratif : « J'ai plus l'impression que la coopérative est venue s'installer à

côté de l'Université pour avoir des clients étudiants plus que c'est les étudiants qui ont

ouvert une coopérative pour avoir accès à du matériel d'art de qualité pas cher, tu sais. Puis

c'est la mentalité qui reste comme ça, tu sais. On parle tout le temps en termes de client.

Oui, mais c'est pas des clients, c'est tes membres à toi, tu sais, c'est eux les respon… c'est

eux les propriétaires, tu sais. » (Maxime, Zone) La structure est quelque peu différente,

mais la finalité, elle, ne serait pas différente parce que les dirigeants sont formés ou

habitués aux entreprises marchandes. Ainsi, les grandes coopératives, malgré leur respect

des principes coopératifs, apporteraient une concurrence déloyale aux plus petites

coopératives : « On s'est désaffilié de notre fédération en 2007. […] C'était rendu que les

coops étaient au service de la fédération, et non pas l'inverse. […] Ça a monté en haut au

Mouvement Desjardins. Un moment donné, ils voulaient même plus nous donner

d'assurances collectives parce que les gens de la fédération siégeaient avec les gens du

Mouvement Desjardins puis ont dit, bien regarde, on va se venger un peu de Zone. »

(Benoît, Zone) Elles auraient donc un avantage sur les plus petites coopératives en raison

de leur grosseur, tout en retirant des bénéfices par le fait qu'elles sont des coopératives.

Ainsi, on en revient aux idées de Favreau (2008 et 2010). Les entreprises de changement

social ne sont pas toutes nécessairement des coopératives ou des organismes sans but

lucratif. De petites entreprises, qui n'ont pas les moyens de décider les règles du jeu et qui

sont ancrées dans le local font aussi partie de ce changement. Les répondants le montrent

bien, puisqu'ils préfèrent encourager de petites entreprises locales que de grosses

entreprises, même si ces grosses entreprises sont des coopératives. La critique du modèle136

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économique par les travailleurs du mouvement coopératif ne semble pas tant axée sur la

gestion des profits, mais sur une critique plus large de la mondialisation et de son modèle

de gouvernance, qui n'est pas axé sur la communauté locale :

Quand on entend parler des actionnaires à la bourse, ces gens-là qui possèdentune partie de l'entreprise, mais qui ne sont pas à l'intérieur, eux, tout ce qu'ilsvoient, c'est le profit. Donc peu importe la manière dont on va forcer lesemployés, peu importe la manière dont on va appliquer un plan d'action qui estrigide, qui est implacable, qu'on va forcer, même, un patron à être plus dur quemême eux voudraient l'être. […] Quand on pense à tout le stress, à tous lesmontants de dépression, de burnout, parce que justement les gens se sentent prisdans un cadre, parce qu'ils sentent qu'ils sont pas soutenus, parce qu'ils ont pascette voie au chapitre, là. (Guillaume, Pantoute)

On peut voir que le modèle coopératif n'est pas vu comme une solution aux externalités

produites par un capitalisme global, mais comme un moyen d'arriver à un modèle ou une

structure plus axée sur le local.

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Conclusion

Cette recherche montre que le milieu coopératif, malgré l’institutionnalisation qu’il a subie

au courant des années (comme cela a été exposé dans le chapitre un) a tout de même gardé

sa perspective de changement social. En effet, le discours de douze travailleurs de quatre

coopératives de la ville de Québec le montre par l’engagement que ceux-ci ont envers le

modèle coopératif et les valeurs qu'il véhicule. Cependant, pour bien cerner la particularité

de l’engagement envers le modèle coopératif, il est nécessaire de revenir aux deux

questions de recherche.

D’abord, cette recherche visait à répondre à cette question générale : envers quoi les

travailleurs du milieu coopératif se sentent-ils engagés et s'impliquent-ils, et de quelle

manière cet engagement et cette implication ont-ils changé depuis leur embauche dans une

coopérative?

Les entrevues ont permis de montrer que l’engagement des travailleurs dans le modèle

coopératif n’est pas, à première vue, différent de l’engagement qu’on peut retrouver dans

une entreprise traditionnelle. On y retrouve les trois types d’engagements (affectif, en

continu et normatif) tels que théorisés par Meyer et Allen en 1997. En effet, les travailleurs

s’engagent dans l’entreprise parce qu’ils y sont attachés, parce qu’ils auraient beaucoup à

perdre en la quittant, ou encore par un sentiment de devoir moral envers elle.

Par contre, les cibles de l’engagement semblent différer de celles qu’on retrouve dans les

études sur des entreprises traditionnelles. Cela reste cependant à approfondir,

puisqu’aucune entreprise à but lucratif n’a été incluse dans cette recherche. Ainsi, cette

distinction n’a pu être observée directement. C’est plutôt les résultats de mon étude qui

diffèrent de ce qu’on retrouve dans la littérature. Ainsi, même si l’attachement à la

profession reste semblable, les valeurs véhiculées par le modèle coopératif (ou, du moins,

par des petites entreprises) font que les travailleurs se sentent plus à l’aise dans leur rôle,

notamment dans le fait d’avoir pour tâche de conseiller le client (ou le membre) plutôt que

celui de tenter de conclure une vente. De la même manière, le fait que les employés

partagent les mêmes valeurs, qui ont été adoptées en groupe (dans le cas des coopératives

de travail par exemple), fait que l’attachement envers les collègues de travail semble plus

grand que dans une entreprise traditionnelle. Le rapport aux superviseurs est aussi vu de

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manière différente, puisque les prérogatives ne sont pas dictées par celui-ci, mais par le

collectif. Ainsi, le superviseur ou le gestionnaire est vu, dans bien des cas, comme un

collègue, au même titre que les employés au même niveau hiérarchique. En ce sens,

l’engagement des travailleurs du milieu coopératif se fait davantage envers l’entreprise et la

communauté de cette entreprise qu’envers le supérieur immédiat.

Les entrevues ont d’ailleurs montré que, contrairement à leurs emplois passés, la plupart

des répondants se sentent beaucoup plus engagés envers l’entreprise coopérative qu’envers

une autre entreprise. Cela est dû aux valeurs véhiculées par l’entreprise coopérative et à la

proximité des personnes dans ce milieu. Pour cette raison, les coopératives plus grosses

semblent avoir un peu plus de difficulté à susciter l’engagement des travailleurs,

puisqu’elles peuvent apparaître moins ancrées dans la communauté locale. Cependant, les

valeurs qu’elles véhiculent permettent tout de même aux employés de développer un

sentiment de loyauté envers l’entreprise, même s’ils sentent qu’ils pourraient se sentir plus

engagés dans un plus petit milieu de travail, coopératif ou non. Le fait d’offrir une bonne

opportunité d’engagement dans l’entreprise coopérative fait que certaines personnes, qui ne

se sont jamais impliquées dans leur travail par le passé, vont avoir le goût de le faire dans

cette entreprise, faisant naître une nouvelle forme d’engagement chez ces individus.

Cet engagement qui peut être créé dans la coopérative nous amène à la deuxième question

de ce mémoire : est-ce que le fait de travailler dans le milieu coopératif se traduit par

d’autres formes d’engagements à l’extérieur de l’entreprise coopérative?

Malheureusement, le faible échantillonnage de cette recherche m’empêche de donner une

réponse claire à cette question. Il me permet cependant de développer certaines pistes de

réponses à celle-ci. Parmi les répondants, ceux qui s’impliquaient à l’extérieur de leur

coopérative le faisaient déjà avant de travailler pour la coopérative. En ce sens, le fait de

travailler dans une coopérative, pour eux, n’a pas suscité d’autres formes d’engagements à

l’extérieur de l’entreprise coopérative. Dans certains cas, par contre, le travail dans la

coopérative implique de s’engager à l’extérieur de la coopérative (dans des festivals de

bière pour la Barberie ou des émissions de radio pour la librairie Pantoute, par exemple).

Cependant, cette implication dans la communauté ne peut être vue comme étant détachée

de la coopérative, puisque celle-ci est effectuée en tant qu’employé de la coopérative. En ce

sens, il ne s’agit pas d’un engagement à l’extérieur de la coopérative, mais bien d’un

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engagement pour la coopérative, qui a lieu à l’extérieur des murs de l’entreprise. Ainsi, la

réponse que je peux donner à cette question est la suivante : le milieu coopératif semble

fournir, dans bien des cas, les outils nécessaires aux employés pour qu’ils soient en mesure

de s’engager dans la communauté, à l’extérieur de la coopérative. Cependant, l’engagement

dans le travail, qui peut prendre plus de place que dans une entreprise à but lucratif en

raison du fort sentiment d’appartenance de l’employé, fait que celui-ci ne semble pas

trouver le temps de s’impliquer à l’extérieur de la coopérative, même si les outils sont à sa

disposition pour le faire. Dans ces conditions, certains répondants ont dû faire le choix entre

s’impliquer dans l’entreprise ou s’impliquer à l’extérieur de celle-ci, puisque faire les deux

demanderait un trop fort investissement. En ce sens, le défi du milieu coopératif est

d’arriver à mieux arrimer l’engagement au travail avec l’engagement dans la communauté.

Parmi les douze répondants, seul l’un d’entre eux (Benoît) semble être arrivé à bien

effectuer cet arrimage. Cependant, il s’agit aussi du répondant ayant travaillé le plus

longtemps dans le milieu coopératif, occupant un poste de gestionnaire et ayant le meilleur

salaire. Plus qu’une raison de personnalité, cette capacité pourrait être basée sur sa classe

sociale et son expérience dans le modèle coopératif, ce qui ne serait pas nécessairement

possible pour un employé sur le plancher.

Le cas des répondants de la librairie Pantoute permet aussi de nuancer les résultats de cette

étude. En effet, les éléments d’engagements provenant des travailleurs de cette coopérative

semblent avoir été présents avant le changement institutionnel. Même s’ils disent se sentir

plus engagés depuis qu’ils se sont regroupés sous le modèle coopératif, ils associent, dans

les faits, peu d’éléments nouveaux à leur travail depuis le changement structurel. De plus, il

ne faut pas oublier que ce changement organisationnel, en plus d’apporter une structure

coopérative, a aussi amené une direction plus jeune et plus ouverte. Il est ainsi difficile de

savoir si le seul changement à la direction aurait été suffisant pour développer ce plus fort

sentiment d’appartenance. Pour cette raison, on peut penser qu’une entreprise à but lucratif

bien ancrée dans sa communauté locale et s’assurant de la participation de la communauté

aux décisions pourrait amener autant d’engagements qu’une entreprise coopérative. Une

autre étude, qui approfondirait davantage cette question permettrait de voir s’il y a bel et

bien une distinction entre l’engagement des travailleurs d’entreprises coopératives

comparativement à d’autres modèles de regroupements non coopératifs.

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Annexe 1 : Formulaire d’entente

Cette recherche est effectuée dans le cadre du projet de mémoire de maîtrise de Jovan Guénette,dirigé par Monsieur Daniel Mercure, du département de Sociologie de l’Université Laval.

Nature de l'étudePar son fonctionnement particulier, il est possible que les travailleurs du milieu coopératifs'engagent de manière différente que dans d'autres entreprises. Pour le vérifier, cette recherche acomme objectif de mieux comprendre l’engagement envers le milieu coopératif des travailleursqui y prennent part et l’évolution de cet engagement.

Pour ce faire, des entrevues individuelles avec des travailleurs de coopératives de travail et deconsommation seront effectuées.

Risques, inconvénients et avantages pour le participantLa participation à la recherche n'engage aucun risque connu. Cette recherche est une excellenteoccasion pour les participants de mettre en perspective, en toute confidentialité, ce qu’ils viventdans leur sphère professionnelle.

Diffusion des résultatsLes résultats de la recherche pourront être ultérieurement l’objet de publications dans desrevues, de conférences ou d’autres formes de diffusion.

SignaturesEn tant que représentant(e) de la coopérative, je consens à la diffusion de l’annonce derecrutement de la recherche intitulée : « L’engagement des travailleurs du milieu coopératifde Québec ».

_______________________________ _______________Nom de la coopérative Date

__________________________________ _______________Signature du représentant Poste occupé par le représentant

Coordonnées du chercheur :Jovan GuénetteTéléphone : (581) XXX-XXXXCourriel : [email protected]

Ce projet a été approuvé par le Comité d'éthique de la recherche de l'Université Laval :N° d'approbation 2015-274 A-1/12-10-2016

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Annexe 2 : Annonce de recrutement

Annonce de recrutement :L’engagement des travailleurs du milieu coopératif de Québec

Dans le cadre de mon mémoire de maîtrise en sociologie, dirigé par monsieurDaniel Mercure, je réalise une enquête sur l’engagement des travailleurs du milieucoopératif. L’objectif de cette recherche est de voir envers quoi et de quelle manière lestravailleurs du mouvement coopératif s’impliquent.

Je cherche donc à rencontrer des personnes travaillant dans des entreprisesfonctionnant sous le modèle coopératif. La participation au projet de recherche prendra laforme d’un entretien enregistré d’une durée approximative d'une heure. Durant cetteentrevue, vous serez questionné sur votre implication au travail, votre connaissance dumilieu coopératif et votre attachement à la coopérative.

Le lieu et la date de l’entrevue seront fixés à votre convenance et selon vosdisponibilités, en dehors de vos heures de travail. La confidentialité des entrevues estassurée et celles-ci seront traitées de manière à ce que les participants ne puissent pas êtrereconnus. Ceux-ci sont libres de refuser de répondre aux questions et peuvent librementdécider de mettre fin à leur participation à tout moment. La participation à la recherchen’implique aucun risque connu et sera une occasion pour les participants de mettre enperspective leur vécu au travail.

Pour toute information supplémentaire ou pour signaler votre intérêt à participer àl’enquête, veuillez me contacter par courriel ou par téléphone :

__________________________Jovan Guénette

[email protected]

Ce projet a été approuvé par le Comité d'éthique de la recherche de l'Université Laval :N° d'approbation 2015-274 A-1/12-10-2016

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Annexe 3 : Schéma d’entrevue

Note : les questions contenant un «*» à la suite de leur numéro ne sont posées qu'auxparticipants provenant de la librairie Pantoute. Puisque cette entreprise est devenue unecoopérative en 2014, les répondants y travaillant depuis plus d'un an ont vécu lechangement organisationnel. Ces questions portent toutes sur ce changement, qui n'a pas eulieu pour les autres répondants.

IntroductionPrésentation de la recherche; explication et signature du formulaire de consentement.

Questions générales sur votre emploi1. Depuis quand travaillez-vous pour cette entreprise?2. Quel est votre poste?

2.1. Avez-vous occupé d'autres postes dans cette entreprise? Lesquels?2.2. Êtes-vous à temps plein ou à temps partiel?

2.2.1. S'il est à temps partiel : quelle est votre autre occupation?3. Aimeriez-vous passer le reste de votre vie professionnelle dans cette entreprise?

3.1. Pourquoi?3.2. a) Dans le cas d’un emploi vu comme temporaire :

Qu’est-ce qui devrait changer pour que vous vouliez y rester?3.2. b) Dans le cas d’un emploi vu comme permanent :

Si l'on vous offrait un meilleur emploi ailleurs, que feriez-vous?

Votre connaissance du modèle coopératif4. Est-ce votre première expérience dans une coopérative?5. Pouvez-vous me dire ce qui, selon vous, fait que l’entreprise où vous travaillez est une coopérative?

5.1. Quels sont les principes devant être appliqués pour qu'une entreprise soitune coopérative, selon vous?5.2. De quelles manières ces principes se présentent-ils dans votre emploi?

6. Qu’est-ce que ça signifie, pour vous, de travailler dans une coopérative?7. Croyez-vous que votre travail se déroule différemment parce qu’il s’agit d’une coopérative?

7.1 Par rapport à vos emplois passés, qu'est-ce qui est différent?7.2.* Depuis que l'entreprise pour laquelle vous travaillez est devenue une

coopérative, est-ce que le travail se déroule différemment?

Votre embauche dans l'entreprise8. Qu’est-ce qui vous a poussé à postuler pour cet emploi?

8.1. Quelles étaient vos attentes?9. Comment avez-vous postulé pour cet emploi?10. Comment s’est déroulée votre embauche? (Entrevue, période de formation, etc.)

10.1. Au moment de l’entrevue, qu’est-ce qu’on vous a demandé sur vous?10.2. Comment s’est déroulée votre formation pour ce travail?

10.3.* Croyez-vous que le processus d'embauche de nouveau personnel est différent depuis que l'entreprise est devenue une coopérative?

11. Selon vous, pourquoi avez-vous été embauché plutôt qu’un autre?

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12. Trouvez-vous que, tant au moment de l'entrevue que de votre formation, l'entreprise mettait l'accent sur des éléments que vous ne croyez pas qu’une autre entreprise aurait pris en compte? Si oui, pouvez-vous en donner des exemples?

Votre attachement à la coopérative13. Parlez-vous de votre travail avec des proches à l’extérieur de la coopérative?

13.1. Comment en parlez-vous?14. Y a-t-il eu un changement en vous depuis que vous travaillez pour une coopérative? Si oui, lequel ou lesquels?15. a) Depuis que vous travaillez pour cette entreprise, en comparaison à vos emplois passés, diriez-vous que vous accordez plus ou moins d’importance qu’avant à votre travail?Pourquoi?15. b) * Depuis que l'entreprise est devenue une coopérative, diriez-vous que vous accordez plus ou moins d’importance qu’avant à votre travail? Pourquoi?16. Vous sentiriez-vous autant attaché à une autre entreprise? Pourquoi?17. Si vous deviez quitter cette entreprise pour une autre, qu’est-ce que ça vous ferait?

17.1. Que perdriez-vous?17.2. Vous sentez-vous plus soutenu à votre travail que dans vos emplois

passés? De quelle façon?17.3.* Vous sentez-vous plus soutenu à votre travail depuis que l'entreprise

est devenue une coopérative? De quelle façon?18. Considérez-vous que la culture au travail y est différente qu’ailleurs? Si oui, en quoi?

18.1.*Considérez-vous que la culture au travail est différente depuis que l'entreprise est devenue une coopérative? Si oui, en quoi?

19. Est-ce que votre vision d’une coopérative a changé depuis votre embauche/que l'entreprise est devenue une coopérative? Expliquez.

Votre implication au travail20. Comment réagiriez-vous si vous vous retrouviez dans un groupe de travail différent?

20.1. Comment voyez-vous votre relation avec vos collègues?21. Avez-vous l’impression d'effectuer des tâches qui ne sont pas en lien avec votre poste?

21.1. Lesquelles et pourquoi les faites-vous?21.2. Est-ce que vous effectuez des tâches en dehors du temps de travail où

vous êtes payé?21.2.1. Lesquelles et pourquoi les faites-vous?21.3.* Y a-t-il eu un changement à ces pratiques depuis que l'entreprise est

devenue une coopérative?22. Est-ce que votre travail vous a amené à côtoyer d'autres milieux coopératifs?

22.1. Si oui, lesquels et à quelle occasion?23. Est-ce que votre travail vous a amené à côtoyer d'autres acteurs du milieu commercial dans lequel œuvre votre entreprise?24. Êtes-vous membre de votre coopérative? Si oui, depuis votre embauche ou avant?

24.1. Qu’est-ce que ça implique pour vous d'être membre?Questions uniquement pour les personnes membres de la coopérative :

25. Est-ce que vous assistez aux Assemblées générales? À quelle fréquence?25.1. Pourquoi?25.2. Y prenez-vous la parole?

25.2.1. Pourquoi/à quel moment?26. Avez-vous déjà siégé sur le Conseil d’Administration?

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26.1. Est-ce que ça vous a déjà intéressé ou vous intéresserait? Pourquoi?27. Vous sentez-vous concerné par les problèmes de l’entreprise?28. Êtes-vous impliqué en dehors de votre coopérative, que ce soit pour une cause, un organisme, un parti ou autre?

28.1. Si oui, à quel endroit? Pour quelle raison? Depuis quand?29. Diriez-vous que le fait de travailler pour une coopérative a changé votre manière de vous engager envers d’autres causes? En quoi?30. Au-delà de votre emploi, que faites-vous pour le milieu coopératif?

30.1. Avez-vous des relations avec d’autres coopératives?30.1.1. Êtes-vous membre d'autres coopératives?30.1.2. Êtes-vous clients d'autres coopératives?30.2. Depuis que vous travaillez pour une coopérative, est-ce que vous

consommez plus dans des coopératives qu'avant?31. Participez-vous à des projets qui ont lieu dans la ville ou la région?

Profil social32. À quelle tranche d'âge appartenez-vous? 18-24 ans, 25-39 ans, 40-54 ans, 55 et plus33. Quel est votre état matrimonial?34. Avez-vous des enfants?35. Êtes-vous propriétaire ou locataire de votre logement?36. Quel est le revenu annuel de votre ménage, parmi ces catégories : moins de 15 000 $; 15 001- 30 000 $; 30 001-45 000 $; 45 001- 60 000 $; 60 001- 75 001 $; 75 000 $ et plus37. Quel est votre niveau de scolarité?

Pour terminer38. Y a-t-il des éléments que vous considérez important que je n’aie pas abordés?

Remerciement.

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Annexe 4 : Formulaire de consentement

Cette recherche est effectuée dans le cadre du projet de mémoire de maîtrise de Jovan Guénette,dirigé par Monsieur Daniel Mercure, du département de Sociologie de l’Université Laval.

Avant d’accepter de participer à ce projet de recherche, veuillez prendre le temps de lire et decomprendre les renseignements qui suivent. Ce document vous explique le but de ce projet derecherche, ses procédures, avantages, risques et inconvénients. Nous vous invitons à posertoutes les questions que vous jugerez utiles à la personne qui vous présente ce document.

Nature de l'étudePar son fonctionnement particulier, il est possible que les travailleurs du milieu coopératifs'engagent de manière différente que dans d'autres entreprises. Pour le vérifier, cette recherche acomme objectif de mieux comprendre l’engagement envers le milieu coopératif des travailleursqui y prennent part et l’évolution de cet engagement.

Déroulement de la participationVotre participation à la recherche consiste à prendre part à une entrevue individuelle d’unedurée d’environ une heure qui portera sur les éléments suivants :

information sur vous et votre emploi; vos connaissances du mouvement coopératif; votre embauche dans l'entreprise; votre attachement à l'entreprise; votre implication au travail et hors travail.

Risques, inconvénients et avantages pour le participantLa participation à la recherche n'engage aucun risque connu. Cette recherche est une excellenteoccasion pour les participants de mettre en perspective, en toute confidentialité, ce qu’ils viventdans leur sphère professionnelle.

Participation volontaire et droit de retraitLe participant est libre de participer à ce projet de recherche et peut en tout temps décider des’en retirer sans avoir à se justifier et sans subir de préjudice quelconque. S’il décide de mettrefin à sa participation, il peut communiquer avec le chercheur aux coordonnées indiquées dansce document. Tous les renseignements personnels concernant le participant seront alors détruits.Le participant peut refuser de répondre à une ou plusieurs questions.

Confidentialité et gestion des donnéesLes mesures suivantes seront appliquées pour assurer la confidentialité des renseignementsfournis par les participants :

Les noms et prénoms des participants ne paraîtront sur aucun rapport; les résultats individuels des participants ne seront jamais communiqués; les données physiques seront conservées au domicile du chercheur et les données

électroniques sur l’ordinateur personnel du chercheur; les données seront conservées sous clé et codifiées; les matériaux de la recherche, incluant les données et les enregistrements, seront

détruits deux ans après la publication de la recherche. Les données seront donc détruitesau plus tard au courant de l'année 2019.

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Page 160: L'engagement des travailleurs du mouvement coopératif de Québec · 2018-07-11 · Sans toi, mon projet n’aurait certainement pas avancé aussi rapidement. ... Cette recherche

Diffusion des résultatsLes résultats de la recherche pourront être ultérieurement l’objet de publications dans desrevues, de conférences ou d’autres formes de diffusion.

Renseignements supplémentairesSi vous avez des questions sur la recherche ou sur les implications de votre participation,veuillez communiquer avec Jovan Guénette par téléphone au 581-XXX-XXXX, ou viamessagerie électronique [email protected] .

RemerciementsVotre collaboration est précieuse pour nous permettre de réaliser cette étude et nous vousremercions d’y participer.

SignaturesJe soussigné (e) consens librement à participer à une entrevue dans le cadre de la rechercheintitulée : « L’engagement des travailleurs du milieu coopératif de Québec ». J’ai prisconnaissance du formulaire et je me déclare satisfait des explications, précisions et réponsesque le chercheur m’a fournies quant à ma participation à ce projet. Je comprends que je peuxmettre fin à ma participation en tout temps sans avoir à subir de conséquences négatives ou depréjudices et sans devoir justifier ma décision.

__________________________________ _______________Signature du (de la) participant(e) Date

Je déclare avoir expliqué le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients duprojet de recherche au participant, avoir répondu au meilleur de ma connaissance aux questionsposées et avoir vérifié la compréhension du participant.

____________________________________ ______________Signature du chercheur Date

Coordonnées du chercheur :Jovan GuénetteTéléphone : (581) XXX-XXXXCourriel : [email protected]

Ce projet a été approuvé par le Comité d'éthique de la recherche de l'Université Laval :N° d'approbation 2015-274 A-1/12-10-2016

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