Les 100 Mots de Proust - Michel Erman

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  • QUE SAIS-JE ?

    Les 100 mots de Proust

    MICHEL ERMAN

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  • Bibliographie thmatique Que sais-je ?

    Paul Aron, Alain Viala, Les 100 mots du littraire, n3822

    Pierre Brunel, La critique littraire, n 664

    Henri Suhamy, Les figures de style, n 1889

    Jean Lacoste, La philosophie de lart, n 1887

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  • 978-2-13-062711-1

    Dpt lgal 1re dition : 2013, mai

    Presses Universitaires de France, 20136, avenue Reille, 75014 Paris

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  • SommairePage de titreBibliographie thmatiquePage de CopyrightAvant-ProposCorpusListe des entresNotes

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  • Avant-Propos la recherche du temps perdu est le roman dune

    initiation sentimentale, sociale et artistique quiaboutit une esthtique mtaphysique opposant laforce destructrice du devenir et de loubli lapermanence de ltre. Cest aussi un immensetmoignage dune traverse de lexistence et despassions. En ses mille et une nuits, Marcel Proust afait se croiser au-del du bien et du mal despersonnages authentiques et snobs, capables desympathie comme de bassesse, des personnagesambivalents condamns au vouloir-vivre et, pourcertains dentre eux, habits par une forte volont dedomination aussi bien libidinale que sociale.

    De cette lutte pour la reconnaissance qui sinscritdans le contexte historique de la Belle poque, leromancier a voulu montrer la vanit sans estomper sonaspect tragique. Il y a du moraliste en lui quand ilprtend dchiffrer le livre intrieur de signesinconnus que composent le cur et lesprit humains,cependant il na en rien cherch privilgier lesdterminismes sociaux ou mondains qui lauraientconduit crire une uvre raliste. Au contraire, sonpoint de vue subjectif teint dimagination sattache situer les personnages y compris le hros anonyme dans lunivers phnomnal sans jamais expliquertoutes leurs attitudes, car une personne est uneombre o nous ne pouvons jamais pntrer (II, 367)1.Tout cela condense sa vision philosophique : la ralitne procde pas de lois propres, elle dpend de nosperceptions qui impriment en nous des impressions enrapport avec nos motions ou nos dsirs. Et il revient la littrature de ressaisir et dclairer ces impressions

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  • pour dire une prsence au monde.

    voquer Proust et la Recherche en 100 mots, cestentrer dans un roman qui, des drames de lenfanceaux vanits du jeu mondain, raconte lhistoire dunevocation dcrivain travers les espoirs et les nigmesde la vie, et cest dcouvrir des personnages et deslieux la fois rels et imaginaires. Cest aussi dcriredes motions, tels le plaisir, la culpabilit, lahardiesse, et des inclinations comme lart, la beautfminine, la francit dont drivent nombre depassions. De la jalousie qui spuise en ennui ausnobisme qui dlie de toute promesse en passant par lacruaut qui chosifie autrui, il est beaucoup question delamour de soi dans le roman proustien, parfois jusqulaveuglement. Cest encore rencontrer des notionsrelatives lhistoire littraire, la potique, lesthtique, la philosophie qui parcourent touteluvre.

    Enfin, cest carter nombre de clichs relatifs lauteur lui-mme. Rien nest plus faux que limagedun Proust mondain et admirateur dune aristocratiedont il dplorerait la disparition. Dans la Recherche,il ironise autant propos de lesprit de cour et de lascheresse de cur du faubourg Saint-Germain qupropos de la facticit des ambitions de la bourgeoisie.

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  • ALBERTINE

    Albertine, laudacieuse et dsinvolte cyclisterencontre, en 1897, sur la digue Balbec, faitimmdiatement lobjet des rveries du narrateur quiva sprendre delle. Leur liaison ne commencera, defaon sporadique, que quelques mois plus tard, Paris,et se concrtisera lors du second sjour dans la stationbalnaire ; elle connatra en ses commencementsquelques moments de plaisir et de douceur.

    Comme beaucoup de personnages de la Recherche,Albertine se rvle dans la diversit de ses apparitions.Elle est sensuelle, gourmande, voire voluptueuse,comme son double ponyme, Alberte, lhrone duRideau cramoisi, une nouvelle de Barbey dAurevilly.Toutefois, ce sont ses aspects mystrieux et inconstantsainsi que ses nombreux mensonges qui contraignent lehros se transmuer en dtective afin de dbrouillertoutes ses attitudes et dessayer de comprendre lalabilit des sentiments qui font la spcificit de sonpersonnage : il tait incroyable quel point sa vietait successive, et fugitifs ses plus grands dsirs (III,910).

    Albertine est aussi sujette aux changementsdhumeur et quelques accs hystriques dangoisse.Lamour inquiet que lui porte le hros est renforc parle soupon de ses inclinations saphiques. Cela lamne en faire sa prisonnire au cours des six mois devie commune quils connaissent Paris avant que lajeune fille ne senfuie en Touraine, chez sa tante.Cette priode est marque par de nombreux pisodes dejalousie et, finalement, par lennui de lamant

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  • lgard de sa captive , tant et si bien que celui-cisouhaite mettre fin leur relation : la chatoyantejeune fille de la plage stant transforme en griseprisonnire, rduite son terne elle-mme (III, 679).Elle mourra bientt des suites dune chute de cheval.

    Albertine est-elle partie parce quelle naimait pas lenarrateur dont elle ne supportait plus la jalousie oupour obtemprer aux injonctions de sa tante quivoulait la marier un autre homme ? Elle demeure jamais insaisissable et sexuellement ambivalente endpit des relations charnelles quelle a avec sonamant. Elle est de ces tres que le dsir entranetoujours ailleurs, des tres de fuite , comme le ditProust.

    Avec Albertine, le romancier a cr une figurearchtypale qui exprime linstabilit du fminin.

    AMOUR

    Il ny a pas dans la Recherche de passions heureuses,la violence affective les tourments de la jalousie, enparticulier, qui font de lamant un gelier hant parune perptuelle incertitude et le dsenchantementrgnent partout. Les couples qui peuplent le romancommunient parfois dans le plaisir mais jamais dans lebonheur ; ils semblent vous langoisse. Quon enjuge : Une femme est dune plus grande utilit pournotre vie, si elle y est, au lieu dun lment debonheur, un instrument de chagrin (IV, 78). Lamourrenvoie soi, lautre nen est que le rceptacle.

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  • Si lon se porte vers le hros, il faut bien conclureque de ses amours adolescentes pour Gilberte, qui seheurtent lindiffrence de la jeune fille, lchec desa passion jalouse pour Albertine, le signe de lamourest labsence qui aiguise le dsir, alors que la prsencede laime lteint. De l son got pour les passantes la fugitive beaut (Baudelaire),comme cette jeune fille aperue sur un quai de gare (II,16-18) ou telle autre la cigarette rencontre dans lepetit train de Balbec (III, 276), ou cette autre encore, fragmentaire et fugitive , croise sur une routeestivale (II, 73). De l aussi son attrait pour les femmesrves, comme la femme de chambre de la baronnePutbus ou Mlle dEporcheville quil na jamaisrencontres mais quil imagine voluptueuses.

    Cest que lamour repose sur des tropismes sexuelsenfermant les uns et les autres dans des dsirsinstables et anxiognes derrire lesquels on devinelombre fantasme de landrogyne qui mne autriomphe, malheureux et tragique selon Proust, delinversion : les invertis [] remonteraient [] cethermaphrodisme initial dont quelques rudimentsdorganes mles dans lanatomie de la femme etdorganes femelles dans lanatomie de lhommesemblent conserver la trace (III, 31). Tout se passecomme si la nature se vengeait de lvolutionconduisant la diffrence des sexes. Remarquons quedans cette configuration, la jalousie affecteuniquement des personnages masculins pris, dans laplupart des cas, de femmes ayant des attiranceslesbiennes. Chez les invertis, lamour repose aussi surune sorte de folie fire et aveugle impliquant unerelation bipolaire, parfois rotomaniaque. Cest le casde Charlus abandonn par Morel que lorgueilconduira vers des pratiques sadomasochistes.

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  • Chez Proust, le sentiment amoureux se nourrit doncdu manque et des obstacles. De plus, il est exalt parlimagination qui laisse entrevoir lamant lapossibilit davoir une vie plus intense, mais il neconnat gure de moments de cristallisation : lorsquele sentiment semble combl, lattirance et le dsirsvanouissent puisquils ne poursuivent que desfantmes, des tres dont la ralit [relve de]limagination (III, 401). Comme lcrit NicolasGrimaldi, labsence de laime est une torture, mais saprsence suscite lennui2, ce qui correspond tout fait la vision pessimiste de lamour selon Schopenhauer.Lamour est donc purement subjectif, il renvoie soiplutt qu lautre ; langoisse est lautre nom droset la jalousie son expression dj crite.

    ARGENT

    la mort de ses parents, Proust a hrit dune fortuneplace pour une grande partie la banque Rothschildqui lui rapportait, du moins dans les premiresannes, environ 50 000 francs-or par an (170 000 ).Lcrivain vcut donc de ses rentes mais, dispendieux,il tait habit par le dmon de la spculation. En 1910et en 1911, il laisse de grosses sommes sur le tapis vertdu casino de Cabourg. De plus, le march terme lepassionne encore plus que le baccara ; ses placementssont parfois hasardeux si bien qu la veille de laguerre il a contract une dette de 40 000 F auprs duCrdit industriel, autre tablissement dans lequel il aun compte, pour acheter des valeurs crdit. Il faitensuite vendre ces valeurs afin doffrir un aroplane Agostinelli, le beau jeune homme sans merci dont il est

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  • pris. Proust se prtend alors ruin. Sil a sans aucundoute entam sa fortune entre 1910 et 1914 et sil doitse contenter, la veille de la guerre, de revenusmoindres, il nest pas ruin pour autant.

    Proust avait la rputation dtre un hommegnreux, mais il entretenait avec largent desrapports nvrotiques. Les pourboires mirifiques quildistribuait montrent quil cherchait souvent sattacher la personne dautrui tout en voulant sedprendre de liens de dpendance quun simple servicesemblait nouer dans son esprit anxieux. Sil ressent lancessit de jouer de manire presque obsessionnelledes sommes importantes, cest sans doute pour capterlattention comme une compensation sa solitude.Dboires financiers et dpits amoureux apparaissentcomme la rptition dexpriences pnibles quipourraient dnoter une sorte de complaisancepathtique dans la dception, voire une forme demasochisme moral.

    ART

    Proust avait une conception artistique trs moderne :il ne croyait gure la hirarchie des arts, lecouturier Fortuny qui sinspirait des tableaux deCarpaccio pour crer des robes lui paraissait tre unartiste aussi grand que le peintre vnitien. De mme,il aimait la musique dun Beethoven et dun CsarFrank sans ddaigner pour autant les chansons deMayol, allait couter un opra de Wagner aussi bienquune oprette dOffenbach. Et il trouvait du gnie auverrier mile Gall. Ajoutons que dans la Recherche,

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  • la cuisine est prsente comme un art : Franoisecompose des chefs-duvre culinaires. Ainsi, cettecrme au chocolat fugitive et lgre [] o elle avaitmis tout son talent (I, 70). Notons aussi que leromancier offrait parfois ses amis des objets dart :un dessin de Rubens Anatole France en 1900 et unvase de Gall en 1904 Anna de Noailles.

    Limportant rside dans lmotion esthtique toujourstaye sur les affects et garante, ainsi, de loriginalitdune uvre, seule capable de nous rvler notre treprofond. Les objets et les attitudes du quotidienpouvant porter, comme dans les tableaux de Vermeerou dans les natures mortes dun Chardin, ce quil y a de plus intime dans la vie de lartiste et de plusprofond dans les choses , ainsi que lcrivait le jeuneProust dans une tude sur ce dernier.

    Dans la Recherche, Bergotte reprsente lcrivain,mais son style est trop marqu par lintelligence audtriment des sensations. Cest Elstir, le peintreimpressionniste, qui occupe le devant de la scne caren mettant dans la cration une part de soi, il montrecomment voir le monde. Il sera le principal initiateurdu hros : quil peigne un yacht, une cole ou uneaffiche sur un mur, cest comme sil peignait unecathdrale (III, 673). Sur le chemin de la vocationlittraire, le Septuor de Vinteuil a galement sonimportance : la musique permet de se librer du poidsde lexistence et doublier, ainsi, le monde des passionstristes.

    Rappelons, enfin, le rle dvolu lart dramatiqueplutt quau genre thtral lui-mme, avec lepersonnage de la Berma. Cette tragdienne voqueSarah Bernhardt : comme cette dernire, elle doit saclbrit linterprtation quelle a donne de

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  • Phdre. Il faudra au hros deux reprsentations de lapice de Racine pour comprendre que lart de lacomdienne tient limpression sensible rendue par sadiction et non pas une vrit du texte cache que sonjeu mettrait en lumire.

    ASTHME

    lge de 10 ans, Proust eut, lors dune promenadesur les Champs-lyses, une premire crise dasthmeallergique si violente que son pre, terrifi, crut le voirmourir. une poque o lon ne dispose gure demdication, la vie du garon prend soudain un tourtragique. Il fut contraint de redoubler sa classe deseconde tant sa mauvaise sant le tint loign du lyceune grande partie de lanne. La maladie lui laissaquelque rpit jusquen 1893, mais partir de cettepoque il prouvera jusqu sa mort des crisesrespiratoires provoques par un dsquilibre dusystme neurovgtatif, associes parfois descomplications dyspniques, qui le contraignent vivreplus souvent quil ne souhaiterait lcart du monde.Il connatra durant les premires annes de rdactionde la Recherche, en particulier entre 1910 et 1912,des priodes de crise dasthme de plus en plusrapproches, encore aggraves par toutes sortesdautres maux comme des ennuis gastriques. Il sesoigne en faisant des fumigations de poudre de daturaqui finiront par entretenir une irritation chroniquede la gorge, abuse souvent de la cafine pour seremonter et du vronal pour dormir. Vers la fin de savie, il lui arrivera de se bourrer dextraits dopium et, partir de 1920, lorsque les crises se feront plus

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  • pressantes, il sera soulag grce la morphine.

    Au total, si lon ajoute quil se nourrit peu, nefaisant quun repas par jour, son hygine de vie sembleavoir t dplorable. Ses humeurs dhypocondriaquenarrangent rien de sorte quil envisage parfois de sesoumettre des traitements de psychothrapie, mais ilne sy rsoudra jamais. partir du dbut de la guerre,sa sant se dgrade encore, il est rform. Cependant,selon le tmoignage de Cleste Albaret qui prit soin delui dans les dernires annes, il tait dot dunenergie peu commune et ressemblait parfois unjeune homme . Il meurt, le 18 novembre 1922, aprsavoir contract, quelques semaines plus tt, uneaffection bronchique ayant volue en pneumonie.

    De la maladie qui le proccupait quotidiennement (ilsouffrait aussi dinsomnies, de problmes cardiaques etconnut quelques crises daphasie sans gravit), Proustvoulut faire une force. Avec un reste despritromantico-dcadent, il voyait dans laphasie dunBaudelaire, livrognerie dun Verlaine ou lpilepsiedun Flaubert des marques de lucidit et de gnie. Ausujet de Dostoevski, il pensait mme que les travauxforcs furent le coup favorable du sort qui ouvrit en luila vie intrieure . Dans la Recherche, le narrateur,lui-mme atteint de symptmes asthmatiques, avanceque limagination, la pense peuvent tre desmachines admirables en soi, mais elles peuvent treinertes. La souffrance alors les met en marche (IV,487).

    AUTOMOBILE

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  • La production industrielle des premires voituressans chevaux , comme lon disait lpoque, date de1899 avec Louis Renault. Proust fait entrerlautomobile dans la littrature lanne suivante etmontre, par l, lintrt quil porte au progrstechnique, en particulier aux moyens de locomotion,ainsi quaux changements que celui-ci suscite.

    En effet, lors du second sjour dans la stationnormande de Balbec, effectu lt 1900, le hrosrserve une automobile avec chauffeur afin de pouvoirse promener librement dans la rgion, en compagniedAlbertine. Dans la ralit, Proust qui se disait un fervent de lautomobilisme avait affrt unvhicule, en 1907, lors de son sjour Cabourg lunde ses chauffeurs tait Alfred Agostinelli qui luiinspirera plus tard une passion dvorante. Ajoutonsque les Verdurin, qui louent au Cambremer leurproprit de La Raspelire, cherchent incarner lamodernit en circulant, eux aussi, en automobile alorsque leurs bailleurs voyagent en calche.Symboliquement, tout se passe comme si la noblessedemeurait quasi statique alors que la bourgeoisie seprvalait du changement.

    Plus encore que la bicyclette, lautomobile est uneinvention de la modernit qui modifie le rapport delhomme lespace et lui fait prouver le plaisir de lavitesse. Tandis quelle change la perception duditespace jusqu parfois garer les mcaniciens, ellerapproche les lieux loigns et permet de les mieuxapprhender.

    Enfin, les moyens de locomotion associent parfois letransport et les transports. Ainsi, cest en empruntantun compartiment vide dans le petit train ctier, ou ense faisant conduire en voiture travers la campagne

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  • pour aller boire du cidre dans une ferme, ou encore enparcourant la cte, la nuit, quAlbertine et le hrostrouvent des moments dintimit, changeant baiserset caresses. Comme si leur amour tait dfinitivementaffaire de vitesse et de transit

    BAINS DE MER

    Jusquau milieu du XIXe sicle, les bains de mer taientrputs avoir des vertus revigorantes ; on allait Boulogne ou Dieppe pour se soigner plutt que parplaisir. lpoque du Second Empire, grce, entreautres choses, au dveloppement des transportsferroviaires, la mode des bains de mer prend unedimension ludique. On commence apprcier de sebaigner dans les vagues et, quand les gens ne saventpas nager, ils sassoient au bord de leau desfauteuils sont prvus cet effet , se promnent le longde la plage ou sur la digue puis vont assister descourses hippiques ou jouer au casino. Une vie estivalemondaine se dveloppe cest celle-l mme quemnera Proust Cabourg. Sur la cte normande, Trouville, comme Deauville ou Cabourg, on btitdes villas de style anglo-normand qui donnent uncharme particulier ces stations et leur paysagemarin. En 1907, lorsque le Grand Htel de Cabourgouvre de nouveau ses portes aprs rnovation, unarticle du Figaro voque la reine des plages .

    Cette mode qui concerne principalement la bonnesocit parisienne bnficie, la fin du sicle, durenouveau des vertus mdicales prtes thalassa avecle succs des thories hyginistes prnant

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  • lhydrothrapie pour soigner les maladies nerveuses.Le pre du romancier, le professeur Adrien Proust,consacre cette thrapeutique de nombreuses pagesdans son Trait dhygine paru en 1877. Dans laRecherche, cest dailleurs pour subir un traitementde bains (II, 8) que le hros se rend pour la premirefois en villgiature Balbec, mais il lui arrive, biensr, daller la plage pour le plaisir.

    BAISER

    Lrotique du baiser reprsente dans la Recherche lasensualit dans toute sa plnitude. Pour preuve, lesrelations charnelles des personnages, en particulierdu hros et dAlbertine, sont seulement suggrestandis que leurs baisers sont dcrits.

    Cette rotique signe le rappel dune satisfactionancienne, car, Combray, le baiser de tendresseprodigu par la mre tait pour lenfant, contraintdaller se coucher et malheureux de devoir se sparerdelle, un rituel de consolation que le narrateurassocie une hostie pour une communion de paix[suggrant la] prsence relle (I, 13). La mtaphore,outre quelle confre au baiser une puissance sacre,suggre que celui-ci donne accs la chair de la mre.Loralit, qui parcourt le roman, signe donc unefixation un stade de la sexualit o manger et aimervont de pair.

    Cest bien le got euphorique et apaisant du baisermaternel que le hros recherche au cours de sestreintes avec Albertine. La douceur des lvres, le

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  • velout des joues ou le grain de la peau de la jeune fillefont natre en lui un fantasme dincorporation quand,par exemple, il veut goter la saveur de fruit roseinconnu de son amante (II, 286). Tout se passe commesi dans cette caresse se croisaient lactivit sexuelle etlactivit alimentaire afin de sunir lobjet du dsir.Ailleurs, dans La Prisonnire, le hros envisage lemariage avec Albertine comme sil sagissait de senourrir dun mets dfendu (III, 537). Le baiser est bienune trace damour dipien.

    BEAUT FMININE

    La femme de la Belle poque a une chevelureluxuriante (on pense aux magnifiques cheveux noirs etboucls dAlbertine), des courbes, des rondeurs que lamode dalors met en valeur en se dbarrassant destournures et des corsages baleines, telle Oriane deGuermantes enveloppe dans ces valves glaces denacre rose [] dune robe de satin (II, 336). Elle estpulpeuse ; on la reprsente parfois nue en quivoquecompagnie dautres femmes, comme dans lesBaigneuses de Renoir dont Proust semble sinspirerpour certains tableaux dElstir voquant des nuditsde femmes dans des paysages touffus du Midi quipouvaient faire penser Albertine certains plaisirs (III, 906). Bref, elle suscite le dsir.

    Proust lui-mme ntait pas insensible, loin de l, aucharme de femmes associant les canons de la beautromantique (la taille fine) ceux plus voluptueux de labeaut Belle poque. On peut penser Laure Hayman,la clbre courtisane, dont Paul Bourget avait fait un

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  • personnage de fiction dans sa nouvelle intituleGladys Harvey, qui le jeune Proust fit une cour enrgle sans obtenir ses faveurs.

    Avant de rencontrer Odette, Swann tait attir parles femmes bien en chair, rayonnantes de sant qualit peut-tre un peu vulgaire quil opposera lamlancolie, mais qualit rotique. Quant au narrateur,bien quil refuse dadmirer les femmes de faonartistique comme Swann le fit avec Odettetransfigure par la lumineuse Zphora de Botticelli ,il voque plusieurs reprises la beaut rotise desfemmes rondes, reprsentes les paules nues, dans lestableaux de Titien : Albertine, les cheveux dfaits, estcompare un modle du peintre vnitien, de mmequune jeune fille croise lors des prgrinations duhros dans la cit des Doges (IV, 219). Quand Saint-Loup cherche distraire un peu son ami trop pris dela duchesse de Guermantes, il lui fait le portrait dunejeune fille voluptueuse et perverse, femme de chambrechez la baronne Putbus, qui serait FollementGiorgione (III, 94) le peintre italien ayantreprsent des femmes la carnation apptissante etaux formes sduisantes.

    BICYCLETTE

    La pratique du sport pourvoyeuse de nouvellessensations se dveloppe dans la classe de loisirs la Belle poque ; la bicyclette connat un vif succs.Ainsi, bien des jeunes femmes appartenant lanouvelle bourgeoisie vont devenir de ferventes adeptesde la petite reine et trouver dans cette pratique

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  • une indpendance de mouvement qui leur permetdaller l o elles lentendent, voire de revendiquerune forme dmancipation et daffirmer unedistinction personnelle.

    Lorsque le hros aperoit Albertine pour la premirefois sur la digue, Balbec, en 1897, celle-ci,audacieusement coiffe dun polo et vtue dune tenue spciale en caoutchouc, pousse en sedandinant une bicyclette devant elle. Il croise sonregard, elle devient alors pour lui la jeune cycliste auxyeux brillants et aux jolies jambes quil rve depossder (II, 151) ; il se souviendra de cette visionrotise quand Albertine sera sa prisonnire Paris.

    On sait le petit groupe form dAlbertine, deRosemonde, dAndre, de Gisle et dune cinquimejeune fille qui nest pas prnomme attir par lavitesse et pris de nombreux sports, au nombredesquels figure aussi le golf. Dans la socit de lastation balnaire, cela confre ces jeunes filles uneaura toute particulire o leur aspect physique ledispute leur effronterie : elles ont de joliessilhouettes la taille souple et aux jambes fuseles,elles respirent la sant et, montes sur leur engin(Albertine parle volontiers de sa bcane , maniredironie lendroit des hyginistes bien-pensants quisinquitent des effets pervers de la pratique de labicyclette chez les femmes !), elles nhsitent pas bousculer les passants.

    En plus de favoriser le lien entre le loisir et le sport,le plaisir de se dplacer bicyclette tmoigne donc delmancipation gnrationnelle de ces jeunes filles,voire de leur indiffrence aux prjugs en mme tempsquil incite le corps prouver sa libert. Bien que le

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  • hros soit peu enclin goter les joies du sport, il luiarrive denfourcher une bicyclette pour accompagnerses amies lors de leurs promenades sur la falaise quidomine Balbec.

    BUF MODE

    Le buf mode, ce plat brais de la cuisine bourgeoise,mitonn par Franoise la cuisinire dans le roman avec sa gele qui condense les saveurs des diffrentsmorceaux de viande et leur donne une tendretincomparable, fait la gourmande admiration delambassadeur Norpois quand il dne chez les parentsdu hros. Le secret dune telle dlectation ? Unerecette du Caf Anglais, lune des plus clbres tablesdu XIXe sicle, sise boulevard des Italiens, qui fut aussiun restaurant littraire : on y trouve attabls certainspersonnages des romans de Balzac (Delphine deNucingen et Rastignac dans Le Pre Goriot) ou encorede Flaubert (Rosanette et Frdric dans Lducationsentimentale). Balzac et Flaubert, deux matres queuxdignes de Proust ! Le premier pour la compositioncyclique, le second pour le traitement du temps.

    Dans le rel, Proust crivit, un soir de juillet 1909, sa propre cuisinire ces mots fort singuliers quirapprochent accommodement culinaire et compositionromanesque, texture de laliment et tissage du texte : Je voudrais que mon style soit aussi brillant, aussiclair, aussi solide que votre gele, que mes ides soientaussi savoureuses que vos carottes et aussinourrissantes et fraches que votre viande.

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  • Le narrateur va faire du buf mode une desmtaphores du livre venir. Comme la gele unifie lesnotes gustatives, lcriture doit rassembler lesexpriences, recomposer les motions et faire dimpressions nombreuses, prises de bien des jeunesfilles, de bien des glises, de bien des sonates [] uneseule sonate, une seule glise, une seule jeune fille (IV, 612).

    BOUC MISSAIRE

    Dans lunivers proustien, la logique sacrificielle quiisole le bouc missaire pour mieux conforter lexistencedu groupe est une loi rgissant les rapports sociaux.Ainsi, en se moquant du dfaut de prononciation deSaniette, ce personnage pathtique en raison duncaractre indcis, et en linterrogeant sur ses sortiescomme un instituteur interrogerait un mauvais lve,M. Verdurin met larchiviste dans la position de celuiqui porte les incapacits et les tares de sa classesociale. Chez les Guermantes, lattitude que Charlusadopte envers la marquise de Saint-Euverte, mondainedchue sil en est il dclare que sil avait lacolique, il tcherait de sen soulager dans un endroitplus confortable [que chez elle] (III, 99) , place cettedernire dans une position semblable. Ajoutons queSaniette comme Mme de Saint-Euverte sont complicesdes actes de cruaut exercs leur encontre ; ils secomportent en victimes comme sils acceptaient dtrecoupables et quil ne leur restait que la souffrancepour exister. Charlus, lui-mme humili puis chass dusalon Verdurin, fera contre mauvaise fortune belleapparence en sabstenant de se montrer trop

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  • ouvertement offens. Leur comportement est une faonimplicite de signer un contrat masochiste, lequel nefera quaggraver les effets des rebuffades quilssubissent. Charlus, par exemple, finira par se trouvercondamn, lui le fier aristocrate, lerrance duparia : Il ne voit personne, personne ne le reoit. (IV, 343), prorera la Verdurin.

    Les victimes payent, en fait, un tribut auxconventions dun univers social ou mondain, lequel, la Belle poque, voit lmergence dun nouvel ordresymbolique ne reposant plus sur les traditions, maissur les opinions.

    CABOURG-BALBEC

    Ds son enfance, Proust passe des vacances sur lesplages de la Manche que la bonne socit du SecondEmpire avait mises la mode. lt 1881, il est avecsa grand-mre Cabourg, petite station familiale quivit lombre de la dj luxueuse Deauville. Lannesuivante, il sjourne Dieppe puis au Trport. Plustard, il passe ses vacances Trouville et frquentelhtel des Roches-Noires reprsent dans le clbretableau de Monet. Il revient Cabourg durant lt deson service militaire puis sy installe pour la saison partir du mois daot 1907, acquiesant aux exigencesde son mdecin traitant qui le pousse fuir Paris et faire des cures dair marin. Il sinstalle au GrandHtel, bel et luxueux tablissement de front de mer,rcemment rnov dans un style nobaroque, jouxtantun casino o il laisse parfois des sommes importantes.Il y fera un dernier sjour lautomne 1914 :

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  • ltablissement est alors en partie transform enhpital pour accueillir les blesss de la bataille de laMarne.

    Dans le roman, Balbec voque la fois Cabourg etTrouville alors que ses environs empruntent certainspaysages de Bretagne o Proust avait sjourn, en1895, en compagnie de Reynaldo Hahn. Aprs avoirsouvent rv daller Balbec, le hros y fait deuxsjours trois ans de distance, install au Grand-Htelde la plage o il croise toute une clientle de notables,de hobereaux et de Parisiens fortuns. Au cours dupremier sjour quune chronologie relative permet desituer en 1897 , il fait la connaissance dElstir, deSaint-Loup et dAlbertine. Cest durant le secondsjour que la jeune fille devient sa matresse et quellelui laisse entrevoir ses penchants homosexuels.

    Balbec, cest aussi une chambre-prisme aux fentresdonnant sur la mer et sur la valle, ce qui suscite larverie. Cest encore un petit train ctier qui permetdaller dune station lautre en observant dfiler lepaysage. Cest enfin une glise gothique que lenfantde Combray voyait en imagination sur une falaisedominant les flots et laquelle Elstir trouve un stylepersan. Do son appellation qui rappelle la fois laville de Bolbec en Normandie et celle de Baalbek auLiban.

    CLESTE ALBARET

    En 1914, le valet de chambre de Proust est mobilis.Celui-ci demande alors une belle jeune femme de

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  • 22 ans, Cleste Albaret, qui vient dpouser Odilon,son chauffeur de taxi attitr, dentrer son service.Elle devient sa gouvernante et le restera jusqu samort, en 1922, installe chez lui en compagnie de sonpoux. Elle soccupe de lcrivain avec un dvouementremarquable, vivant son rythme, cest--dire la nuit.Il nempche quelle a son caractre : il lui arrive delenvoyer dner au Ritz pour pouvoir arer et nettoyerlappartement toujours confin ou pour prendre unpeu de bon temps avec son mari. Dailleurs, leromancier samuse de son temprament spontan etentier qui lui fait considrer les vers de Saint-JohnPerse comme des devinettes, traiter Cocteau depolichinelle et trouver Gide des airs de faux moine.En guise de reconnaissance et dhommage, il lui critces quelques vers plaisants : Grande, fine, belle etmaigre / Tantt lasse, tantt allgre / Charmant lesprinces comme la pgre / Lanant Marcel un motaigre / Lui rendant le miel pour le vinaigre.

    On voit que Proust, qui nest pas toujours facile vivre tant il est maniaque et, parfois, lunatique, apour elle des sentiments affectueux : il lui ddicace LeCt de Guermantes avec ces mots : mon amie detoujours, ne pouvant plus imaginer que je ne lai pastoujours connue . En aot 1914, elle laccompagnelors de son dernier sjour au Grand Htel de Cabourg,ensuite ils ne quitteront plus Paris, y compris pendantla guerre. Elle dira de lui quelle le prenait tanttpour un pre, tantt pour un enfant.

    Cuisinire, femme de chambre, messagre,confidente ses heures, Cleste aide aussi lcrivain classer ses manuscrits et coller ses fameusespaperoles. Pour autant, cette vestale qui veille sur satranquillit et sur son confort pour lui permettre

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  • dcrire son uvre ne la lira jamais.

    CHAMBRE

    La chambre est dans la Recherche un lieu archtypalo bien des vnements prennent place on pourraitajouter que cest la pice o Proust vcut le plus clairde son temps durant les annes de rdaction de sonroman. Au dbut de celui-ci, le narrateur,insomniaque, merge peu peu de ses demi-rveilsdans une pice indtermine, aussi bien du point devue de lespace que du temps, avec laquelle il va finirpar se sentir en symbiose. Surgit, alors, en un longsoliloque, au gr des sensations du corps, le souvenirdes diverses chambres quil a occupes dans sa vie lebranle tait donn [sa] mmoire [] [il] passait laplus grande partie de la nuit [se] rappeler [sa] viedautrefois, Combray, Balbec, Paris, Doncires, Venise, ailleurs encore (I, 9). On a ainsi affaire un lieu alchimique car, entre rve et sommeil, lammoire du corps associe au sentiment brut dexistertransmue le temps en espace, et le souvenir enlittrature.

    La chambre de Combray fut le lieu des angoissesenfantines quand, le soir venu, il fallait se sparer demaman ou, pire, que la prsence dinvits, commeSwann, le privait du baiser maternel. Les projectionsde la lanterne magique taient destines distraire etcalmer lenfant, mais en dissolvant lespace, celles-cidonnaient la pice un aspect trange etdstabilisant. La maison de Combray, cest galementla chambre au dcor un rien bigot et au silence si

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  • nourricier, si succulent de tante Lonie (I, 49), l ose droule, le dimanche, le crmonial affectueux de lamadeleine trempe dans de la tisane ou du th.

    Balbec, le premier soir, la chambre du Grand-Htelde la Plage est dabord anxiogne puis, le lendemain,inonde de soleil, elle se transforme en une sorteduvre picturale de mme la chambre contiguquoccupe la grand-mre avait lair dun prisme ose dcomposaient les couleurs de la lumire dudehors (II, 64). Quant la chambre de Paris, elle estteinte de mlancolie car elle rappelle souvent celle deCombray : chaque pisode de La Prisonnire y trouvesa gense. Il y a aussi la chambre de Tansonville lehros sjourne, en 1903, chez Gilberte de Saint-Loup qui produit en lui un effet dindiffrence comme si lavie avait pass.

    ces chambres peu ou prou inquitantes, on peutopposer trois chambres heureuses : celle de lHtel deFlandre, Doncires, au charme dsuet qui constitueun refuge pour le hros venu chercher du rconfortauprs de Saint-Loup, la chambre dAlbertine, Paris,qui sert souvent de salle manger aux amants et lachambre dEulalie, Combray, o lenfant passe unesemaine, loin de la maison de tante Lonie qui craintdavoir contract la typhode.

    Au-del des ressentis affectifs, la chambre est dansla Recherche tantt un lieu clos et protecteur, tanttun espace ouvert en contact avec le monde.

    CHAMPS-LYSES

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  • Entre lavenue du Bois actuelle avenue Foch o,dans les annes 1880, Odette fait son footing , et lapartie infrieure de lavenue des Champs-lyses o lehros enfant va chaque jour se promener avecFranoise autour du guignol et des manges dechevaux de bois, o il entrevoit Gilberte en compagniedun jeune homme pendant quil allait lui acheter desfleurs en fait, il sagit de La, la future actrice etamie dAlbertine , o il accompagne sa grand-mrelors de sa dernire promenade, cet espace chevalentre les 16e et 8e arrondissements incarne la foisles paradis et les malheurs du roman. Dans les annes1880, Proust lycen allait souvent sy promener avecses camarades de Condorcet, il y rencontrait aussi desjeunes filles comme Antoinette Faure ou Marie deBenardaky.

    Aprs la guerre, lhtel particulier du prince deGuermantes se situe avenue du Bois : pour aller lamatine chez le prince, le narrateur accomplit lemme trajet que celui quil faisait enfant : les ruespar lesquelles je passais en ce moment taient celles,oublies depuis si longtemps, que je prenais jadis avecFranoise pour aller aux Champs-lyses [] ces rues-l se dtacheront toujours pour moi, en une autrematire que les autres (IV, 437). Cest l un premiersouvenir prparant les phnomnes de rminiscencequi auront lieu dans la cour puis dans la bibliothquede lhtel du prince.

    CHARLUS > AMOUR, CRUAUT, HOMME-FEMME,PERSONNAGES

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  • CLAN

    Cest moins lesprit de caste, incarn par la noblesseet reposant sur la gnalogie, que lesprit de clan quifait la particularit du rcit proustien. Celui-cidemande quon y travaille alors que lesprit de casteest reu en hritage : dans cette dialectique du matreet de lesclave, Sidonie Verdurin ne sera pas en reste.Le salon qui porte son nom a dabord constitu, dansles annes 1880, un petit noyau , lambianceparfois factieuse et souvent dtendue. On y trouve unmdecin (Cottard), un professeur en Sorbonne(Brichot), un archiviste (Saniette), une demi-mondaine(Odette), une nigmatique baronne (Mme Putbus) et desartistes au statut confidentiel (Elstir alias M. Biche).Puis le noyau est devenu lorsque les enjeux mondainset les rivalits se sont fait jour : dautres salons commecelui dOdette, valoris par la prsence de lcrivainBergotte, lui font concurrence. Apparat alors lancessit pour les membres du cnacle dtre solidaireset de se montrer conformes aux rgles imposes parcelle quils appellent dsormais la Patronne souspeine dexclusion. Mme Verdurin fait rgner un certainmoralisme, une orthodoxie , comme le dit Proust, ensorte que lautre nom du clan est la petite glise pendant que les invits deviennent des fidles . Celaest particulirement vrai dans le domaine politique :chez la Patronne on est dreyfusard.

    Au tournant du sicle, la valeur mondaine du clanatteint son znith prcisment parce quil est devenule centre actif du dreyfusisme , car le rvisionnismeau sujet de l Affaire constitue alors une opinionpermettant de faire monter sa cote la Boursemondaine.

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  • Passer du petit noyau la petite glise ne sefait pas sans heurt. Dans lenfer du clan o il sagit la fois dagrger et dexclure, la violence mimtiqueprime sur la civilit. Elle rsulte pour partie dunelogique sacrificielle qui isole le bouc missaire etchosifie autrui pour mieux conforter lexistence dugroupe : larchiviste Saniette, homme cultiv maispathtique, en fera les frais.

    En devenant princesse de Guermantes et en faisantconstruire un htel particulier avenue du Bois, dans lequartier de la nouvelle bourgeoisie, donc loin dufaubourg Saint-Germain, Mme Verdurin signe lavictoire de la sociabilit bourgeoise surlaristocratique. Et du clan sur la caste.

    CLEMENCEAU (GEORGES)

    Georges Clemenceau est le seul homme dtat pourlequel Marcel Proust se dcouvrit une relle et durableadmiration. En 1894, lpoque des attentatsanarchistes, il se trouve de plain-pied avec leClemenceau journaliste qui dsapprouve sans lecondamner lattentat commis par mile Henry, au cafTerminus, le 12 fvrier 1894. Tous deux voient derrirece geste insens le dsespoir dun jeune hommeidaliste, une priode marque par les scandalesfinanciers. Clemenceau demande la grce du coupable.En vain. Puis vient lpoque de laffaire Dreyfus et du Jaccuse ! de Zola publi par Clemenceau,lhomme considrant que linjustice est une offense la France. Et au moment de la loi de sparation delglise et de ltat, en 1905, Proust, rticent

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  • lgard de la loi en raison de ses aspects dogmatiqueset de la crainte de voir les glises devenir des muses,trouve chez lanticlrical convaincu quest Clemenceaudes points de vue comparables aux siens : le culte apartie lie avec la culture.

    Toujours en 1905, au moment de la crise aveclAllemagne au sujet du Maroc, Proust estime que lafermet de Clemenceau, qui met alors en garde contreun adversaire imprialiste, est un point de vue juste.Cette mme fermet qui sera celle du prsident duConseil durant la guerre et qui lamnera, lors dutrait de Versailles, prner une paix arme, Proustnaura de cesse de ladmirer comme la force moraledun homme libre.

    Au fond, le romancier partage avec le politique unsentiment de scepticisme au sujet de la naturehumaine, tous deux pensent que les intrts ou lespassions lemportent toujours sur le dsir de concorde.

    COMBRAY > LIEUX

    COMPASSION

    Bien des critiques ont reproch Proust de navoirreprsent que des milieux sociaux privilgis, librsdes soucis matriels que sont laristocratie finissanteet la bourgeoisie montante. Les membres de la noblessesont tout occups prserver leur prestige tandis queceux de la bourgeoisie le sont se singulariser. Dans ce

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  • combat pour la reconnaissance, les seconds prennentpeu peu lavantage car ils vont de lavant tandis queles premiers ne font que se dfendre en prnant leursvaleurs, comme la biensance ou lesprit de cour. Enconsquence, Proust reprsente, telle que sonnarrateur la peroit et sans point de vue dterministe,la mcanique des rapports sociaux, sa violence et seslois bien plutt quil ne se fait le laudateur de lanoblesse ou des positions sociales de puissance, touteschoses qui lui taient fort indiffrentes.

    Les changements sociaux en passent souvent par uneviolence mimtique : la Recherche recle nombre descnes de ce genre lorsque, entre autres exemples,Charlus humilie Mme de Saint-Euverte par sagrossiret (III, 99) ou que les Verdurin rabrouentSaniette, qui est un homme cultiv mais pusillanime,et finissent par le prendre en piti, ce qui le rendencore plus pitoyable (voir Bouc missaire).

    Dans lenfer de la caste ou du clan, la rebuffadesigne ainsi la violence des relations entre les individus. rebours, Proust, qui tait fort gnreux avec ses amiset a toujours tout fait pour leur apporter son aidequand il le pouvait, en mme temps quil entretenaitles meilleures relations avec les gens les plus simples, aintroduit dans ce livre o il ny a pas un seul fait quine soit fictif, o il ny a pas un seul personnage clefs, o tout a t invent (IV, 424) des personnagesrels et empathiques, prsents comme des cousins deFranoise : les Larivire. Ceux-ci, retirs lacampagne aprs avoir fait fortune, apprennent quunde leurs neveux, mort au combat durant la guerre,laisse seule une pouse sans le sou ; ils quittent alorsleur retraite et viennent aider la jeune veuve, quilsne connaissent pas, dans son commerce. Leur geste

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  • purement gratuit, qui nest dict par aucun intrtnon plus que par un quelconque dsir mimtique, linverse du comportement de bien des personnages dela Recherche, est la trace dun humanisme profond.

    CONTRAT MASOCHISTE

    On sait quAlbertine accorde au hros la faveur dtresa captive dans la mesure o celui-ci lui octroie unecertaine indpendance en lui permettant de passer,seule, une grande partie de ses journes dans Paris. Cecomportement nest pas sans rappeler le contratmasochiste dans lequel le sujet, peut-tre habit parune culpabilit secrte, dtermine lavance lescirconstances et les dispositions de sa souffrance.Partant, on peut en conclure que la jalousie du hrosquivaut une forme de satisfaction dans le dplaisirmnageant lattente amoureuse.

    Dans Jean Santeuil, le premier roman inachev deProust, le personnage ressent pour une certaine MmeS. un amour qui restera platonique, lequel lamne se soumettre aux diverses volonts de sa matresse avecle faible espoir quelle finira par se donner lui. Lecomportement dAlbertine peut se ramener mutatismutandis celui de Mme S.

    Le masochisme moral de mise dans la relationamoureuse staye sans doute sur le fait que le hros acraint, dans le pass, de dtriorer par son dsir lecorps et lamour de sa mre lorsque celle-ci vint, aveclassentiment du pre, passer la nuit ( la nuit la plusdouce et la plus triste de [sa] vie , dira-t-il) avec lui

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  • dans sa chambre de Combray, nuit durant laquelle ellelui lira Franois le Champi, ce roman de George Sandqui voit lunion dune mre adoptive et de son fils.Cette scne primitive ne de la peur dtreabandonn a donn naissance un trouble sentimentde culpabilit sur lequel le narrateur revient au longdu roman.

    En tant que relation entre la victime et sonbourreau, le contrat masochiste trouve son quivalentdans le monde social avec la figure du bouc missaire.

    CORPS

    Ce nest pas au gr des descriptions physiquesesquisses par un romancier peu enclin faire desportraits ralistes que le corps des personnagesapparat dans la Recherche, mais plutt dans dessensations et autres signes daffectivit qui le livrentdans son intimit. Proust met en scne le corpsphysique et sensible, psychique et sentimental.

    Tout commence avec un dormeur allong dans unechambre chez qui survient un rve rotique avant leplaisir solitaire, puis qui sveille peu peu et sesouvient, charnellement, grce diverses sensationskinesthsiques, des chambres quil a occupes dans savie. Les mtaphores employes, comme celles de lachambre-nid ou de la chambre-caverne signent unfantasme de retour au ventre maternel, dautresassocient lespace tantt au plaisir tantt au malaise.

    Ds louverture du roman, on sait que le corps et

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  • plus prcisment les sensations sont le mdium de lammoire involontaire. Cest bien lodeur et la saveurde la petite madeleine qui rappellent ldificeimmense du souvenir (I, 46), comme cest unesensation de dsquilibre sur les pavs ingaux de lacour de lhtel de Guermantes qui ramne Venise laconscience.

    Quant au corps rotique, il est classiquement perucomme tel par un regard qui stimule la sensorialitdans son ensemble. Le hros dcrit les seinsdAlbertine, comprims par ses vtements, quil dsireardemment caresser et goter tant ils ressemblent des fruits, ou encore son pubis quil admire de faonquasi ftichiste : son ventre [] se refermait, lajonction des cuisses, par deux valves dune courbe aussiassoupie, aussi reposante, aussi claustrale que celle delhorizon quand le soleil a disparu (III, 587).Lrotisme peut aussi veiller diffrentes modalits duplaisir : ainsi, Albertine voque la sodomie en termesgrossiers ( se faire casser le pot , III, 840), voireverser dans le comique troupier ; lorsque Jupienrencontre Charlus, il sexclame : Vous en avez ungros ptard ! (III, 12.)

    CRUAUT

    Lopacit des relations existant entre les personnagesde Proust semble justifier leurs comportements cruels.En effet, dans un roman o chacun nexiste que dansle regard dautrui, o la flatterie se pare des atours dela sympathie, o langoisse lemporte bien souvent surle plaisir, o la violence mondaine prime plutt que la

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  • civilit, on a le sentiment que le masque delhumanisme se dchire, que la vie est lutte et conflitpour lhomme social nourri de vanit et de jalousie,donc guid par lamour de soi. Celui-ci se mesuregalement dans nombre dexpriences communescomme lorsque Franoise perscute la fille de cuisineenceinte (I, 79). Aveuglement ou mchancet ? Lesdeux, car la cruaut est inhrente la volont aveuglede vivre comme sil sagissait dune forme intriorisede la guerre. Une guerre o les ennemis sont des ttesde Turc et o les coups de Jarnac remplacent les coupsde feu !

    Si la cruaut consiste dans la Recherche en coups deforce et en actes de veulerie, si elle se manifesteparfois en chosifiant autrui pour en faire un boucmissaire, elle nen est pas moins ambivalente dans lemal. Dans certains cas, elle sapparente un signe depure mchancet, lorsque Mme Verdurin, par exemple,veut faire arrter Charlus pendant la guerre enlaccusant de germanophilie. Dans dautres, elle est lamanifestation dune volont qui, une poque o lesvaleurs bourgeoises lemportent sur les valeursaristocratiques, met en jeu des passions et des forcesen qute dun nouveau contrat social. Autrement dit, ilsagit pour les Verdurin, et pour les bourgeois engnral, de faire fructifier au mieux leur capital social la bourse mondaine. La violence quils mettent enuvre est une sorte dlan vital qui amne les tres se confronter les uns aux autres au-del des impratifscatgoriques de la morale nokantienne en vogue.

    La cruaut est donc lautre nom de cette volont quimesure sa puissance au trbuchet tragique desrelations sociales.

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  • CULPABILIT

    Sil ny a pas de pch dans lunivers proustien, si lespersonnages nexpient pas ce que la morale pourraittenir pour des fautes, il nen demeure pas moins querde le fantme de la culpabilit. Cest dabord le cas Combray o les taquineries de la grand-tante font, enralit, souffrir la grand-mre et suscitent chezlenfant le dsir de battre sa grand-tante (I, 12)avant de lamener verser quelques larmes. Le hrossen veut davoir de semblables penses, alors quil narien fait, mais il sen veut aussi des dboires de sagrand-mre, alors quil ny est pour rien ! Plus tard, ilsaccusera davoir vu agoniser celle-ci danslindiffrence comme davoir provoqu la mortdAlbertine qui se serait enfuie pour chapper sonemprise, il en conclut mme que, durant leur relation,elle aurait t une victime (IV, 195). On retrouve lla tendance de lesprit humain se rfugier danslesprit de thodice, ou de tragique dans un mondesans Dieu, pour expliquer nimporte quel drame. Proustnen est pas exempt quand il peint de la sorte laculpabilit sans la faute !

    La culpabilit fondamentale est bien sr doriginedipienne puisque le hros craint, le long du roman,davoir dtrior par son dsir le corps de sa mreaprs lavoir contrainte passer une nuit auprs delui lire Franois le Champi, ce roman qui raconte lessentiments dune mre pour son fils adoptif. Cetteculpabilit dtermine les dispositifs de lamour quicherchent souvent la satisfaction dans le dplaisir ensignant le contrat masochiste. De plus, elle est pour lenarrateur une trace, ou un symptme, qui loblige revisiter ses passions passes, comme la passion pour

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  • Albertine, jusqu se mortifier : puiss-je, enexpiation, quand mon uvre serait termine, blesssans remde, souffrir de longues heures, abandonn detous, avant de mourir ! (IV, 481.)

    DEMOISELLES DU TLPHONE

    lpoque de Proust, tlphoner demandait de passerpar une opratrice afin dtre mis en relation avec soncorrespondant. Cette fonction tait occupe par dejeunes filles ncessairement clibataires ; si ellesdcidaient de convoler, elles devaient abandonner leuremploi. Ces messagres dun genre particulier faisaientsouvent lobjet de fantasmes de la part des abonns.Dans son roman, Proust traduit cela dans une tonalittragicomiques qui tmoigne, aussi, de son intrt pourcette invention technologique.

    La liaison tlphonique est donc prsente comme unmiracle grce aux Vierges vigilantes dont nousentendons chaque jour la voix sans jamais connatre levisage, et qui sont nos Anges gardiens dans lestnbres vertigineuses dont elles surveillentjalousement les portes ; les Toutes-Puissantes par quiles absents surgissent notre ct, sans quil soitpermis de les apercevoir ; les Danades de linvisiblequi sans cesse vident, remplissent, se transmettent lesurnes des sons ; les ironiques Furies qui, au momentque nous murmurions une confidence une amie, aveclespoir que personne ne nous entendait, nous crientcruellement : "jcoute" ; les servantes toujours irritesdu Mystre, les ombrageuses prtresses de lInvisible,les Demoiselles du tlphone ! (II, 432.)

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  • Dans ses dbuts, le tlphone servait aussi couterdes pices de thtre ou des concerts domicile : lethtrophone. Lopratrice connectait lappareil desabonns des microphones placs ct de la scne.Proust sabonna en 1911, ce qui lui permit dcouterde nombreux concerts ou opras sans quitter sachambre. Cest grce cette technologie quil entenditle 21 mars Pellas et Mlisande, le drame musical deDebussy daprs Maeterlinck. Son got pour lamusique la aussi amen faire lacquisition, au dbutde 1914, dun pianola.

    DOMESTIQUES

    Proust sest toujours intress aux gens du peuple, ilvoyait en eux moins de facticit et plus dauthenticitque chez les bourgeois ou les aristocrates. Il tenaitainsi de longues conversations avec ses domestiques ouavec les serveurs et chasseurs des tablissementshteliers quil frquentait ; sa courtoisie crait desrelations de sympathie, le plus souvent partages.Cleste Albaret, on le sait, fit preuve dun dvouementabsolu envers Proust, elle est le modle principal deFranoise dans la Recherche. Celle-ci devine lessentiments douloureux quAlbertine suscite dans lecur du hros et naura de cesse de la voir partir,preuve que pour tre domestique, on nen est pasmoins un personnage complexe. Tout se passe comme sile Proust sceptique sur la possibilit pour les tres decommuniquer entre eux trouvait dans ses relationsavec les domestiques un expdient heureux.

    Les domestiques du roman ne sont pas des tres plus

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  • vertueux que dautres : ils ont les mmes passions queles mondains, leurs matres, et, ncessit faisant loi,ils se montrent particulirement intresss parlargent des pourboires. Le romancier dcrit lesrapports de classe en termes dimitation, de vanit oude cruaut et non pas en termes de domination socialeou dmancipation.

    DOSTOEVSKI (FIODOR)

    Ce nest qu lge mr que Proust lut luvre deDostoevski. LIdiot est lun des romans pour lesquels ilavait la plus grande admiration parce quil est criten profondeur, l o les lois gnrales commandent lesphnomnes particuliers . Quant aux Possds et auxFrres Karamazov, ce furent des sources dinspirationessentielles quand il sest agi de rdiger les passagesconcernant lenfer de la jalousie et lobsession desavoir prouve au sujet dAlbertine.

    La question du mal comme celle de la culpabilit etdu remords, telles quelles sont reprsentes dansCrime et Chtiment, frapprent beaucoup lauteur dela Recherche, car chez Dostoevski, ce nest pas tantle crime que la culpabilit qui est puni. Dolimportance du contrat masochiste dans lapsychologie proustienne.

    Toutefois, autant que laspect mtaphysique, cestlaspect esthtique de luvre du grand Russe ,comme Proust lappelait, qui le retient. Il admire chezlui cette criture de soumission aux phnomnes quifait que ses personnages se dvoilent peu peu comme

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  • mergeant dombres successives : Dostoevski, au lieude nous prsenter les choses dans lordre logique,cest--dire en commenant par la cause, nous montredabord leffet, lillusion qui nous frappe. (III, 880) notons que limpressionnisme dElstir obit la mmetechnique. La manire proustienne de faonner lespersonnages selon la diversit de leurs apparitionssen inspirera. De plus, chez Dostoevski comme chezProust, le lecteur ne peut prtendre en connatre plussur lhistoire raconte que le narrateur lui-mme.

    DRAME DU COUCHER

    Le drame du coucher inscrit lhistoire du hros dans laculpabilit dipienne et signe la fin de linnocenceenfantine. Il a eu lieu un des soirs o, Combray, laprsence dun visiteur venu dner en gnral il sagitde Swann empchait la mre de venir embrasser lefils. Une nuit, donc, ne supportant plus cette situationde supplice , lenfant dcide dattendre le dpart deSwann et de guetter sa mre dans le couloir donnantsur les chambres, le cur glac par la crainte ducourroux paternel. Contre toute attente, le pre,dordinaire agac par les caprices de lenfant, lancetout de go sa femme : Va avec le petit. Il permetdonc la mre de passer la nuit dans la chambre delenfant. Ce geste de comprhension dun pre redoutqui fait implicitement un diagnostic mdical : untat nerveux dont je ntais pas responsable (I, 38)est en fait peru par lenfant comme une abdication delautorit parentale dont il aura t la cause coupable.Limage paternelle qui en rsulte nest pas celle dunpre symbolique issu de ldipe, cela a pour

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  • consquence le dsaveu de la loi que lenfant remplacepar la sienne propre : je pouvais pleurer sanspch (Ibid.). Au pre laiss pour compte correspondune mre pleine de tendresse mais profane : il mesemblait que je venais dune main impie et secrte detracer dans son me une premire ride et dy faireapparatre un premier cheveu blanc (Ibid.). Ainsinaquit la culpabilit.

    Le narrateur voit dans cet vnement lorigine detous les maux de sa vie : Ctait de cette soire, oma mre avait abdiqu, que datait, avec la mort lentede ma grand-mre, le dclin de ma volont, de masant. (IV, 621.) On pourrait ajouter : de sa craintede ntre pas aim qui lui fera vivre des amourstoujours tourmentes en lien avec langoisse ducoucher et lattente du baiser. Do lassociation delamour et de la souffrance qui irrigue tout le roman.

    DREYFUS (AFFAIRE)

    En novembre 1897, lopinion publique est saisie de cequi va devenir laffaire Dreyfus. En janvier suivantparat dans LAurore la fameuse lettre ouverte de Zolaadresse au prsident de la Rpublique : Jaccuse ! ; le gouvernement prvient alors quunprocs en diffamation va tre intent lcrivain. Avecquelques amis, dont Robert de Flers et Daniel Halvy,Proust fait partie dun groupe de jeunes gens quidcident de lancer une ptition pour demander larvision du procs Dreyfus, il contribuerapersonnellement obtenir la signature dAnatoleFrance. LAurore du 14 janvier 1998 publie leur

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  • ptition qui restera dans lhistoire comme le Manifeste des intellectuels . En mars, Proust assisteau procs Zola devant la cour dassises, il sera outrpar la condamnation un an de prison prononce lencontre de lcrivain qui devra sexiler Londres.

    loccasion de lAffaire, Proust sest rvl enhomme libre, pris de vrit et de justice et dtachdes valeurs dordre de son milieu ; son pre, proche desrpublicains de gouvernement, ne lui adressera plus laparole pendant de longs jours. Ses admirations vont Clemenceau, Zola mais aussi Jaurs qui sengageen faveur de Dreyfus, linverse des autres chefssocialistes indiffrents ce quils appellent une guerre civile bourgeoise . Pendant un temps, Proustse rapproche alors des radicaux et des socialistes quipensent que lglise et larme ont trahi les valeursrpublicaines de libert et de justice. De plus, il estfoncirement hostile aux doctrines nationalistes dunMaurras et dun Barrs, qui font flors comme uneconsquence de lAffaire. Toutefois, il ne veut pasparticiper la scission idologique qui sopre dans lasocit franaise et qui fait de lAffaire un drameshakespearien, comme il lcrit, en 1898, lun de sescorrespondants. Son dreyfusisme repose sur unethique forte mais ne se veut en aucun cas doctrinaire.

    Dans la Recherche, lAffaire se reflte dans lespropos et les commentaires des uns et des autres,sexaspre dans leurs passions, bref rsonne dans leursexistences. Cest ainsi que le nationalisme du prince etde la princesse de Guermantes vacille : lun commelautre lisent en cachette LAurore et se convainquent,sans se le dire, de linnocence du prisonnier de lle duDiable dans le monde des Guermantes, les codes debiensances nincitent pas parler de ses convictions

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  • ou de ses passions. Quant Mme Verdurin qui sembleaffecte par un antismitisme de bien-pensante, cestprincipalement lintrt qui la fait se ranger dans lecamp dreyfusard.

    DUEL

    Le duel sest pratiqu au long du XIXe sicle et jusqula guerre de 1914 chez les politiques, les journalistes,les crivains, les pamphltaires, en bref chez tous ceuxqui constituaient une classe dindividus dont lesactivits et les querelles ressortissaient lordresymbolique. Toutefois, le sociologue Gabriel Tardecrivait, en 1892, quon se battait de plus en pluspour la galerie . Tel ne fut pas le cas de Proust, unjour de lhiver 1897.

    En effet, lauteur de la Recherche a toujours eu legot du dfi en mme temps quune haute ide de sonhonneur. la suite de deux articles de Jean Lorrainqui reintaient son ouvrage Les Plaisirs et les Jours(1986) et, surtout, qui faisaient une allusion perfide ses relations intimes avec Lucien Daudet, Proust envoieses tmoins leur auteur. Aucun accord nayant ttrouv entre les parties, il fut convenu quunerencontre au pistolet aurait lieu le 6 fvrier 1897 dansle bois de Meudon. Deux balles furent changes, sansrsultat. Proust fit preuve dun grand sang-froid et debeaucoup de fermet : il na pas tir en lair, commecela se faisait souvent en pareil cas, il a vis sonadversaire et la manqu de peu.

    La rencontre sur le pr ne fut donc pas un

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  • simulacre. cette occasion, Proust sest senti hroque, la manire dun Fabrice del Dongo, personnage quiladmire alors ; les encouragements prodigus par lunde ses tmoins, Gustave de Borda, clbre duelliste,dont il dira quil apprenait ne pas craindre lamort, goter dautant mieux la vie , y eurent leurpart.

    Par la suite, il arriva parfois Proust de menacer dedemander rparation comme suite des querelles,mais il ne se battit plus en duel.

    GLISE

    Lglise est avec la chambre un lieu archtypal duroman proustien. En premier lieu, larchitecturereligieuse signe lappartenance une communaut,traditionnelle et symbolise la culture franaise. Lgliseest un lieu de mmoire avant dtre un lieu de culte.

    On sait que lglise mdivale de Combray estindissociablement lie lenfance : Que je laimais,que je la revois bien, notre glise. (I, 59.) En sus deconstituer un rapport affectif lespace combraysien,Saint- Hilaire reprsente, comme lglise monumentalede Saint-Andr-des-Champs et les sculptures de sonporche, faites pour parler lme dune simpleservante comme lesprit dli du hros, un desfondements de la francit. Pendant la guerre,lexpression Franais de Saint-Andr-des-Champs dsignera symboliquement le patriotisme de tous lessoldats qui se battent courageusement. Il faut prciserqu la fin du XIXe sicle, la plupart des historiens de

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  • lart, tel mile Mle dans ses crits sur le Moyen ge,associent lart gothique au gnie artistique franais.

    Avec son dcor sculpt et ses rites qui mlent le culteet la culture, lhistoire chrtienne et lhistoirepaenne, comme Saint-Andr-des-Champs, lgliseconstitue aussi une image de la beaut venue des tempsmoyengeux. Dailleurs, Proust fera de la cathdrale,difice jamais achev et pourtant toujours fini 3,comme lcrit Antoine Compagnon, une mtaphore dela Recherche.

    ENFANCE

    Depuis le XIXe sicle, lenfant est reconnu comme unindividu part entire. Dans la Recherche, il ne faitcependant pas lobjet de reprsentationspsychologiques ou sociologiques spcifiques en raisonde lincertitude qui rgne quant lge desprotagonistes, en particulier au moment de leurspremiers mois amoureux. Ainsi, les jeunes filles deBalbec sont parfois appeles fillettes alors quellesdoivent avoir environ une quinzaine dannes. Demme, lors des rencontres entre le hros et Gilberteaux Champs-lyses, il semble que soit suggre unesexualit prgnitale en contrepoint il parat curieuxque le hros frquente seulement deux annes plustard une maison de passe. Proust dpeint donc unepriode de la vie situe entre lenfance et ladolescencene concidant quimparfaitement avec la pubertpsychologique et physiologique. Sans doute parce que,de son point de vue, les associations de la mmoire quirendent un temps vcu et dilat priment sur tout

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  • ralisme.

    Au seuil du roman, lenfance cest dabord lachambre de Combray qui revient la mmoire du sujetinsomniaque comme un espace angoissant associ auquotidien supplice du coucher (I, 9) et lasparation davec la mre. Cest ensuite un ensemblede souvenirs dun garon qui doit avoir entre 7 et10 ans superposant les diverses expriences dun tempscyclique (odeurs, lectures, promenades, projections dela lanterne magique, initiations aux mystres de lavie) avec celui des vacances dans la petite bourgadeprovinciale et traditionnelle o dominent les prsencesfminines de tante Lonie, de la grand-mre, de lamre et de la cuisinire Franoise. Mais ces souvenirsne traduisent aucune nostalgie telle que Proustlexprimait dans Jean Santeuil quand il regrettaitquon ne puisse hlas, vivre deux fois son enfance ! Lenfance participe oh combien la construction desoi comme trace de lorigine en rapprochant desexpriences et des moments diffrents. Lenfance, cestavant tout une mmoire heureuse, un paradigme dutemps retrouv.

    la fin du roman, alors que Gilberte de Saint-Loupdemande au narrateur de dner avec elle, celui-ci luiobjecte quil nest peut-tre pas convenable pour unefemme de se montrer seule avec un jeune homme puis de corriger : un vieil homme . Mais la phrase afait rire autour de lui : elle tait de celles quauraitpu, en parlant de moi, dire ma mre, ma mre pourqui jtais toujours un enfant (IV, 509).

    EXHIBITIONNISME

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  • En tant que scnario de sduction particulirementpris par les jeunes filles, lexhibitionnisme sassocieau voyeurisme dans le dessein de jouer du regarddautrui et de se lapproprier. Cest ainsi quAlbertineet Andre valsent langoureusement seins contre seinsau casino dIncarville (II, 191) ou quune des surs deBloch se montre en compagnie dune amie dans desattitudes dnues de toute quivoque au Grand-Htelde Balbec : tre vues leur semblait ajouter de laperversit leur plaisir, elles voulaient faire baignerleurs dangereux bats dans les regards de tous [] Etenfin un soir, dans un coin pas mme obscur de lagrande salle de danse, sur un canap, elles ne segnrent pas plus que si elles avaient t dans leurlit. (III, 236.)

    Ces scnes dvoilent donc ce que le hros, voyeurmalgr lui, craint dapprendre : les gots homosexuelsdAlbertine et de ses amies qui vont lemmener sur leschemins de la jalousie et de la souffrance. Ellestmoignent, ainsi, quen dpit de la discrtion quiprside aux rencontres fminines, le dsir saphique nepeut rester cach, car le plaisir ncessite unethtralisation en qute de regards pris dans unespace scopique. Durant leurs bats, les jeunes filles dela scne de Montjouvain sexclament dailleurs : quand mme on nous verrait ce nen est quemeilleur (I, 159). Ces regards voyeurs prouvent plusde douleur que de plaisir au spectacle qui se droulemalgr eux. Le saphisme mis en scne nimplique doncpas le fantasme, comme dans les romans licencieux delpoque, mais la suspicion et la transgression.

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  • FAIRE CATLEYA

    Les catleyas, ces orchides aux ptales mauves, sont aunombre des fleurs prfres dOdette non seulementparce quelles sont un motif parmi dautres, tels lesbibelots et les kimonos, de ses gots japonisants maisaussi parce que ses yeux, elles symbolisent lafminit.

    Lexpression faire catleya est un chiffre amoureuxqui veut garder la mmoire de la premire fois. Un soirque Swann la rejoint et quils sen retournentensemble dans sa voiture, Odette porte des catleyasaccroches son corsage. Un cahot d la chausseles pousse lun vers lautre, Swann prtend alorsremettre les fleurs en place, embrasse la jeune femmepuis la possde bibliquement. Ainsi, entre eux, lamtaphore "faire catleya" [devint] une manireparticulire de dire faire lamour [et peut-tre] nesignifiait-elle pas exactement la mme chose que sessynonymes (I, 230). Dans la ralit, cette mtaphorefaisait partie du langage intime de Proust et de LucienDaudet durant la liaison quils eurent en 1896-1897.

    Dans le roman, la fleur est donc le symbole delintimit fminine en mme temps que la mtaphorede lacte de chair. Ajoutons que la conjonctionhomosexuelle entre Charlus et Jupien dans la cour delhtel de Guermantes est compare laction dunbourdon qui fconde une orchide (III, 9).

    FAUBOURG SAINT-GERMAIN > LIEUX

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  • FMINIT

    Le corps fminin est lhonneur dans la Recherche,Proust tant un observateur passionn de la fminitqui manifestait, de plus, un intrt tout particulierpour les toilettes. DOdette au dcollet de catleyasquand elle sabandonne Swann la chatoyanteactrice de la plage [] au milieu de ses amies, la plusbelle (III, 679) que demeure Albertine dans laconscience du narrateur, en passant par la chairpalpitante sous sa robe lgre de tulle blanc de Mme deSurgis-le-Duc, si fire dtre la nouvelle matresse duduc de Guermantes, et les parties changeantes dechair et dtoffe (II, 362) quoffre Mme de Guermantesaux regards blouis du hros, la fminit se donnedans la passion que suscite la beaut associe llgance.

    Les vtements sont des parures qui, en rvlant lecorps, construisent le fminin : les peignoirs en crpe,les kimonos et les robes de Fortuny ornes de guipuresque le hros a offerts Albertine font de la jeune filleun objet de dsir. Ainsi, habille et transforme parson amant-Pygmalion, Albertine, docile Galate, donnetous les signes de reconnaissance sentimentale. Elle enconoit un plaisir narcissique, typiquement fminin, eten use sa guise pour, selon les situations, sduire ouse drober.

    La fminit peut aussi inflchir son style et confiner lambivalence : Odette en travesti dans le portraitdElstir, Miss Sacripant, Albertine aux jambesfaonnes par la pratique de la bicyclette et vtue en

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  • homme lors dun sjour furtif Auteuil, quelle cache son amant, conjuguent le fminin et le masculin dansun jeu troublant des identits. Sans avoir lu loeuvrede Freud, Proust a parfaitement saisi ce qui ressortit la bisexualit humaine, en particulier chez la femme.

    FTICHISME

    Quand Albertine se dshabille, elle livre aux regardsde son amant qui carte les pans de sa chemise deuxpetits seins haut remonts si ronds quils avaientmoins lair de faire partie intgrante de son corps quedy avoir mri comme deux fruits ; et un ventre(dissimulant la place qui chez lhomme senlaiditcomme du crampon rest fich dans une statuedescelle) se [refermant], la jonction des cuisses, pardeux valves dune courbe aussi assoupie, aussireposante, aussi claustrale que celle de lhorizonquand le soleil a disparu. Elle tait ses souliers, secouchait prs de moi (III, 587).

    Le sexe fminin est clbr par une mtaphore quivisualise et exalte la subjectivit de loeil. Associe langation du pnis, cette valorisation tmoigne duclivage inhrent la peur de la castration, laquelledemande que soit mis en place un substitut au pnis :le ftiche. Ce rle est jou par les vtementsdAlbertine ainsi que par les parties du corps voques,voire par la mtaphore elle-mme.

    Il est, par ailleurs, remarquable que les descriptionsvestimentaires dans la Recherche sont souventmarques du sceau du ftichisme. Ainsi, le hros est

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  • sensible au charme des bottines de Swann, tout commeau peignoir dOdette ou encore ses manteaux.Certaines fleurs comme les catleyas, symboles delintimit fminine, jouent aussi un rle semblable.

    Le ftichisme tmoigne implicitement que le hrosporte un regard masculin sur la fminit et que lesjeunes filles ne sont pas comme daucuns leprtendent des garons travestis.

    FIGARO (LE)

    lpoque, Le Figaro est un journal conservateuralors que Le Temps est le journal de la bourgeoisieclaire. Dans sa jeunesse, Proust lit Le Temps, mais ilsabonne aussi au Figaro ; il le restera toute sa vie. De1903 1904, il collabore la rubrique mondaine dujournal en signant sous pseudonyme afin dcartertoute crainte de froisser ses relations une srie de salons parisiens . Il chronique, entre autres, unefte chez Montesquiou la manire des Mmoires deSaint-Simon o le comte semble quelque peu imbu delui-mme et un Salon de la comtesse Potocka danslequel lironie perce sous les compliments. Ces articlessont alors pour lui une source de revenus qui luidonnent lillusion dune existence sociale un momento sa famille lui reproche son oisivet.

    Proust finit par entretenir avec Gaston Calmette, ledirecteur du quotidien, des relations courtoisesempreintes dune relative confiance. Ainsi, lors de lasparation de lglise et de ltat, il prend fait etcause pour les difices et lart religieux menacs de

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  • devenir des muses sans vie dans un article intitul La mort des cathdrales . En 1907, les pages du Supplment littraire accueillent sa critiquelogieuse dun recueil dAnna de Noailles, Lesblouissements et, lanne suivante, une srie depastiches (Balzac, Goncourt, Flaubert, entre autres)que lcrivain considre comme de la critique littraireen action. Fort de ces articles publis, Proust espraitobtenir une chronique littraire dans le journal, il seheurta un refus lui signifiant clairement quil nefaisait pas partie du milieu littraire Aprs laguerre, il essaya mme dy devenir critiquedramatique, sans plus de succs dans la Recherche,on voit le hros sacharner tenter dexister dans lemonde littraire. De cette absence de reconnaissance,Proust souffrira jusqu ce quil obtienne le prixGoncourt en 1919.

    En aot 1909, il demande tout de mme Calmettesil ne peut pas lintroduire auprs dditeurssusceptibles daccepter le manuscrit de Contre Sainte-Beuve. Souvenir dune matine, ainsi quil nommealors son roman. Celui-ci lui fait une rponseinespre : il se propose de faire paratre le texte enfeuilleton. Mais il oubliera bien vite sa promesse, peut-tre froiss par une maladresse de Proust qui ne luiavait pas adress directement le manuscrit.

    En 1912, les colonnes du Figaro vont de nouveausouvrir, et son directeur va revenir de meilleurssentiments. Plusieurs extraits du manuscrit delcrivain prsents comme des pomes en prose yseront publis, de plus Calmette promet derecommander le roman Fasquelle. Ce quil fit, maislditeur refusa de le publier. Nonobstant, Calmettesera le ddicataire de Swann lorsque le livre paratra

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  • en 1913 chez Grasset. Et Le Figaro publiera descritiques favorables au roman.

    FLAUBERT

    Proust a commenc trs tt pasticher Flaubert (en1893, dans Mondanit de Bouvard et Pcuchet , ilmet dans la bouche des deux bonhommes , commeles nommait Flaubert, des clichs dignes duDictionnaire des ides reues), sans doute parce quilpartage avec lauteur de Lducation sentimentalelide que le style relve dune vision individuelle parlaquelle lcrivain sapproprie les choses et non pas delunit dune psychologie caractrisant despersonnages.

    En janvier 1920, Proust fait paratre dans la NRFun article qui va connatre un certain retentissement, Sur le style de Flaubert , dans lequel il montre queson illustre prdcesseur a invent une beautgrammaticale en transgressant les normes et lesusages linguistiques de son temps. Il considre, entreautres, que la faon dont Flaubert utilise limparfaititratif pour faire du rcit ce que Proust fait lui aussipour raconter les soires et les dimanches de Combray ainsi que lusage quil a de la conjonction et pourrythmer ses propositions plutt que pour les relier, toutcomme sa faon de prsenter ses personnages parleffet quils produisent au gr de la conscience qui lesperoit ont renouvel la manire de voir le monde. Lavision de lcrivain relve bien du style, lequel peutsapprhender en premier lieu du ct de lagrammaire dont il convient de bousculer les rgles.

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  • Proust se montrera toujours attach cette ide quelcrivain ne peut dfendre sa langue quen lattaquant , cest--dire en dveloppant sapuissance, en la faisant sienne comme chaquevioloniste est oblig de se faire son son .

    On peut relever des partages dcriture entrelauteur de Madame Bovary et celui de la Recherche.Tout dabord dans la manire de construire lespersonnages qui dpendent du point de vue qui lesdtermine mais aussi dans la pratique des fameux blancs : en cho la fin de Lducationsentimentale o il est dit de Frdric quil voyagea[] connut la mlancolie des paquebots [] revint. Ilfrquenta le monde , on peut citer le moment o lenarrateur proustien est de retour Paris aprs unelongue absence passe dans une maison de sant : Jerentrai alors dans un Paris bien diffrent (IV, 301.)Enfin, il est possible de rapprocher certaines scnesromanesques chez les deux crivains : dans la voitureo Swann et Odette se retrouvent aprs que celui-ci lalonguement cherche puis rencontre par hasard surles boulevards, un cart du cheval les prcipite luncontre lautre. Ils deviennent amants comme dans leclbre et suggestif passage du fiacre dans MadameBovary o Lon et Emma traversent Rouen dans unevoiture ferme en sunissant.

    FLEURS

    Les fleurs ont dans loeuvre de Proust une fonction plussymbolique que naturelle ; leurs qualits sont le signeimmdiat de la fminit, linstar de cette jeune fille

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  • inconnue la complexion admirable et la chair demagnolia (III, 276) croise dans un train.

    Cest ainsi que les poiriers en fleurs dans les jardinsde la banlieue parisienne voquent de belles robesblanches au coin des alles (II, 455), les glantinesont la forme dun corsage rougissant (I, 136), leslilas la taille souple (I, 134) ou que les catleyas,dont Odette rougit de la forme indcente (I, 218),rappellent lintimit fminine jusqu donner limagede lacte de chair avec lexpression faire catleya .Quant aux aubpines, elles signent une troublantevirginit puisque ces fleurs du mois de Marie ornant lautel de lglise de Combray sont associes lamour naissant pour Gilberte et au got des joues deMlle Vinteuil. Les mtaphores fminine et sexuelletmoignent de la sensualit de lunivers floral, lequelfournit aussi, au tournant de 1900, ses motifs auxtoilettes fminines : les fleurs de son flexible chapeaude paille, les petits rubans de la robe [de Mme Swann]me semblaient natre du mois de mai plusnaturellement encore que les fleurs des jardins et desbois (I, 626).

    Combray, les aubpines et les lilas du parc deSwann contrastent avec les nymphas de la Vivonne etles iris qui la bordent, comme une illustration floraledes deux cts. La perception des premires par lehros enfant comporte souvent une nuance charnellealors que les nymphas le font rver la femme idale.Pour les dcrire, Proust semble stre inspir decertaines toiles de Monet qui faisaient partie delexposition Nymphas qui eut lieu, en 1900, lagalerie Durand-Ruel.

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  • FRANCIT

    Proust avait une passion pour lhistoire, mais il a critsur le temps, ce qui est sensiblement diffrent :lhistoire peut avoir un sens collectif qui laisseaisment concevoir un temps historique tandis que letemps proustien est subjectif, il est la condition deltre. Cest ainsi que les grands vnements, commelaffaire Dreyfus ou la guerre, ne sont pas restitusdans leur droulement mais se refltent dans lespropos des uns ou des autres, sexasprent dans leurspassions, rsonnent dans leurs existences et spuisenten opinions. Ils sont romanesques bien plus queralistes.

    La Recherche nest en aucun cas une fiction tayesur lhistoire de France. Toutefois, la faon dunMichelet, le roman fait revivre quelque chose delidentit franaise. Les bourgades du pays de Combrayreprsentent la France traditionnelle et provincialequi plonge ses racines dans le Moyen ge, identitdont le personnage de Franoise avec ses habitudes etson langage constitue larchtype. Le village de Saint-Andr-des-Champs construit au milieu des bls laterre nourricire possde une glise monumentalequi, comme Saint-Hilaire Combray, est un lieu demmoire avant dtre un lieu de culte. Ldifice est dotdun remarquable livre de pierres gothique sculpt derois chevaliers, de scnes de noces et dautres encore relatives Aristote et Virgile autant qulhistoire chrtienne. Il symbolise de la sorte unetradition la fois antique et directe (I, 149) o sedclent les traces quasi romanesques de la francitpuisque le narrateur va jusqu sexclamer : Quecette glise tait franaise ! (Ibid.).

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  • Cette mmoire des lieux rappelle aussi le principespirituel , perceptible aussi bien dans des faitshistoriques que dans lesthtique ou les rites religieux,quun Renan plaait lorigine de la nation et quitmoigne dun vouloir-vivre ensemble. Rappelons quelcrivain, historien et philosophe qutait lauteur desSouvenirs denfance et de jeunesse, avait faitladmiration de Proust durant ses annes deformation ; celui-ci aimait tout particulirement safaon de rendre actuel le pass, mme sil gotait peuson style comme en tmoigne le pastiche de 1908.

    GALANTERIE

    Si Albertine porte en elle les ambivalences du fmininet reprsente, en dfinitive, ltre de fuite, OdetteSwann incarne, elle, la galanterie des femmes dudemi-monde qui se font entretenir et cherchent, ainsi, assurer leur ascension sociale. Son personnage estune variation sur le motif de la femme vnale ou de lacourtisane, souvent incarne par une actrice, prsentdans la littrature raliste et symboliste dun Zola,dun Maupassant ou dun Huysmans. Odette exeraitdailleurs ses talents thtraux lorsquelle posa entravesti pour le tableau dElstir intitul MissSacripant. Elle a ratiss jusquau dernier centime (III, 805) son premier mari, le comte de Crcy, elle at entretenue par loncle Adolphe en dame enrose (I, 75-77) puis par Swann, qui lpouse, avant dedevenir la matresse de Braut, de Cottard et denombreux autres. Et tout cela sans jamais renoncer la galanterie puisque la cinquantaine passe, ellesoutire, en vertu dun pacte trange, des prsents de

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  • grande valeur son gendre, Saint-Loup : Lge avaitlaiss Mme Swann (devenue Mme de Forcheville) legot quelle avait toujours eu dtre entretenue, mais,par la dsertion des admirateurs, lui en avait retirles moyens. (IV, 262.)

    Une actrice, Rachel, personnifie elle aussi lagalanterie fminine. Elle est la matresse de Saint-Loup dont elle attend quil lui fasse des cadeauxsomptueux, de plus, elle rencontre des hommes defaon occasionnelle dans les maisons de passe, commecela se pratique lpoque le hros a dailleurs faillila suivre dans sa chambre.

    Odette comme Rachel donnent un visage lune deslois de lamour dans la Recherche : un homme est prisdune femme volage, voire vnale ce qui est tout un qui prfre tre admire et dsire plutt quaime.Cette configuration affecte aussi les relationshomosexuelles puisque Morel, lamant de Charlus,nest jamais quun individu intress (voir Homme-femme).

    GOTER

    Dans la Recherche, le terme goter ressortitprincipalement au got lui-mme mais aussi lodoratet la vue ; il traduit, le plus souvent, une sensationsyncrtique qui associe les proprits dun objet oudun corps et le moi sensitif. Dailleurs, la plupart dutemps, Proust ne fait pas de distinction entrelolfaction et la saveur, sans doute parce que lapremire est une composante physiologique de la

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  • seconde.

    Ainsi, en arrivant Combray, le hros gote lesmille odeurs casanires et campagnardes dune deschambres de tante Lonie (I, 49), et cest grce lodeur et la saveur de la petite madeleine mouillede th que resurgit le pass. Le goter tmoigne ldune sensorialit mdiatrice qui apprhende le tempsde faon nostalgique, ou plutt mtaphysique. Mais ilpeut aussi traduire un fantasme de possession. Lors despromenades quil effectue en solitaire dans les bois deRoussainville accessibles par le ct de Msglise,lequel symbolise les passions alors que le ct deGuermantes symbolise lidal seule la rencontredune jeune paysanne pourrait lui faire prouver la saveur des lieux (I, 155).

    Le dsir proustien associe souvent la chair et lachre. Regarder les jeunes filles de Balbec revient chercher lune derrire lautre les diverses qualitsodorantes, tactiles, savoureuses [que les sens] gotentainsi mme sans le secours des mains et des lvres ; et[ restituer] grce aux arts de transposition, au gniede synthse o excelle le dsir, sous la couleur des jouesou de la poitrine, lattouchement, la dgustation, lescontacts interdits (II, 246-247).

    Le dsir donne donc forme, consistance, profondeur la perception visuelle. Les qualits qui en manentrelvent dun plaisir proche du fantasme archaquedincorporation en sorte que le goter a plus voiravec le libidinal quavec lalimentaire. Les plaisirssolitaires se gotent de la mme manire que lecharme des femmes, leurs lvres et leurs joues maisaussi leur simple prsence tant et si bien que, prisdans les affres de la jalousie, le hros craint quedautres que lui ne gotent Albertine imaginant ce

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  • plaisir que la femme aime gote avec un autre (II,169).

    Au total, le goter est fortement marqu par lanostalgie dune satisfaction ancienne rechercherdans les pisodes du baiser du soir au temps delenfance que le hros revit de faon heureuse avec sagrand-mre, lors de leur sjour Balbec.

    GUERMANTES (LES)

    Les Guermantes, cette vieille famille nobiliaire quiserait lgale de la Maison de France, constituent lesanctuaire mondain intemporel du roman. Denombreux personnages nobles font partie de la familleou y sont apparents. On compte non seulement leprince et la princesse, le duc et la duchesse quiportent le nom de Guermantes mais aussi Charlus,frre du duc, Saint-Loup, neveu de la duchesse, lamarquise de Villeparisis, tante de la mme, mais aussiles Cambremer, allis par cousinage, comme le sontgalement les Courvoisier, reprsentants de la noblessede province.

    Avant de connatre les Guermantes, le hros rve surleur patronyme la teinte oranger (I, 173) et surleur gnalogie quil fait remonter au Moyen ge enimaginant la duchesse daprs une tapisserie ou unvitrail de lglise de Combray. Le chteau deGuermantes situ dix lieues de la bourgade, propritdu duc et de la duchesse, constitue pour la famille duhros le but jamais atteint des promenades estivales.Cest dire que les Guermantes reprsentent un idal.

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  • Toutefois, lorsquon interrogeait Proust sur sespersonnages, il signifiait qu ses yeux bien desmembres du monde aristocratique possdaient fort peude noblesse et ntaient que des tres vulgaires etgrotesques.

    Les Guermantes pratiquent encore lesprit de courqui consiste donner la morale et aux affects unetransposition formelle minemment codifie. Ainsi, lacivilit fait quon ne saurait parler des sujets quifchent comme laffaire Dreyfus : chez Mme deVilleparisis, par exemple, les invits sont pris denvoquer que des futilits. Parmi eux, la duchesseOriane est le personnage le plus singulier car dans unmilieu o le nom prime la personne et la naissance lemrite, elle ajoute la distinction naturelle enmanifestant un esprit dindpendance vis--vis desmembres de sa caste et ne se montre pas insensible auximpratifs moraux. Cela ne lempche pas de fustigerles gens moins bien ns et qui veulent en tre, commeles Cambremer et les Ina, ou de se montrerindiffrente au malheur des autres. Oriane deGuermantes porte en elle ce que laristocratie peutavoir dadmirable mais aussi de dtestable, commelinsensibilit et le ddain.

    GUERRE DE 1914-1918

    A u moment de la dclaration de guerre, en aot 1914,Proust craint trs vite que les belligrants ne sedirigent vers une catastrophe mondiale comparable celle que dcrit le roman dH. G. Wells, La Guerre desmondes. Il aura des vnements une conscience

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  • tragique, m par sa compassion naturelle et affectpar le remords de ntre pas mobilis, puisquildclare, un jour, lune de ses correspondantes : Jepleure la mort de tout le monde, mme des gens que jenai jamais vus. Il se montrera vivement oppos auxdoctrines nationalistes qui prnent lcrasement dupeuple allemand comme lantigermanisme culturelqui fait flors et rallie sa cause les meilleurs