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Direction du numérique pour l’éducation (DNE) Inspection générale de l’éducation nationale Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche Du 13 au 16 octobre 2014 ESENESR - POITIERS Colloque international e-éducation Le numérique en questions Articles Contributions des intervenants Liens Émissions webradio, interviews, conférences vidéo Pour agir Des propositions, des réflexions

Les actes numériques du colloque international e-éducation 2014

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  • Direction du numrique pour lducation (DNE)Inspection gnrale de lducation nationaleInspection gnrale de ladministration de lducation nationale et de la recherche

    Du 13 au 16 octobre 2014ESENESR - POITIERS

    Colloque international e-ducation

    Le numriqueen questions

    Articles Contributions des intervenants

    Liens missions webradio,

    interviews, confrences vido

    Pour agirDes propositions, des rflexions

  • Colloque international e-ducation

    P2 - ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    Actes numriquesLes ressources de ce 4e colloque sont mises votre disposition selon diffrentes modalits.

    Vous trouverez ici : la version intgrale des articles prparatoires aux interventions des confrenciers, les synthses des ateliers conduits pendant le colloque l'ESENESR et dans le rseau Canop.

    partir de ce document, vous pourrez galement accder directement l'intgralit des res-sources du colloque :

    les missions enregistres sur la Webradio de l'cole avec les intervenants du colloque et d'autres invits - ces missions sont disponibles en podcast (format .mp3) sur le site web de l'ESENESR, et directement accessibles partir des QR codes* contenus dans ce livret ;

    les interviews vido des intervenants, disponibles en VOD streaming (format .flv ou .mp4) sur le site web de l'ESENESR ou celui du rseau Canop (pour celle d'Evgeny Morozov), galement accessibles directement partir des QR codes* accompagnant les articles prpa-ratoires.

    Vous pourrez enfin retrouver ce livret en version numrique ainsi que l'ensemble des res-sources du colloque sur le site web de l'ESENESR : www.esen.education.fr

    * QR codesLes QR codes sont des lments graphiques qui intgrent des informations codes. Une application gratuite installe sur une tablette ou un smartphone iOS ou android permet de lire ces informations et d'accder directement des ressources Internet.Testez votre application avec le QR code ci-contre, qui vous permettra d'accder la version numrique de ce livret.

    RemerciementsL'quipe d'organisation s'associe aux partenaires pour remercier chaleureusement :

    l'ensemble des confrenciers pour la qualit de leurs productions et de leurs prestations, l'ensemble des animateurs d'ateliers l'ESENESR et dans le rseau Canop, ainsi que

    les intervenants qui en ont assur la synthse, les tmoins et animateurs des soires l'ESENESR et l'atelier Canop de Chasseneuil, l'ensemble des participants pour leurs apports et leur dynamisme, les diffrentes quipes des partenaires pour la prparation et l'organisation du colloque.

    www.esen.education.fr

  • Colloque international e-ducation

    ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P3

    ditorialPlus que jamais, le num-rique est au cur de laction de lducation nationale mais galement de lensemble des ministres. Le prsident de la Rpublique lui-mme a ainsi point limportance, pour la comptitivit de la France, pour laccs lemploi mais aussi pour garantir une ci-toyennet claire dans ces

    espaces digitaux, de permettre nos jeunes de ma-triser les usages rcents mais aussi mergents du numrique.

    Le ministre de lducation nationale est ainsi en-gag dans une vritable rvolution qui impose ses cadres dapprhender tous les aspects dun "co-systme" numrique, afin dtre les moteurs dune action dont lobjectif final reste lamlioration de la russite des lves. La transformation de la nature de la relation pdagogique est en effet au cur de cette rvolution numrique.

    Aprs avoir longtemps favoris lexprimentation de nombreux usages, assur le raccordement des tablissements et lquipement de ceux-ci, cest dsormais, linstar du projet M@gistre ou de la banalisation des ENT, de gnralisation des usages du numrique dont on parle. Celui-ci est maintenant omniprsent dans notre quotidien, il fait voluer notre socit contemporaine et nos jeunes avec elle. Cette acclration jamais connue des transfor-mations sociales, socitales et comportementales interroge directement les ducateurs que nous sommes.

    Lesprit de ce colloque est simple : "Mettre en ques-tions !" Alors que de nombreux gourous du num-rique tentent de nous imposer une pense unique, une nouvelle doxa, nous avons souhait prserver une dmarche critique, entendre des avis parfois dissonants pour les intgrer dans nos rflexions pour finalement toujours essayer de faire merger des solutions efficaces, robustes, contradictoire-ment tayes.

    Le public de ce colloque dpasse volontairement trs largement celui des seuls personnels denca-drement. En effet, comment rellement mettre en questions sans entendre lavis de lautre ; celui du chercheur, de lenseignant, du gestionnaire, de llve, du parent mais aussi de nos collgues dautres ministres comme celui de nos amis tran-gers. Cest grce cette varit des points de vue que nous finirons par nous poser les bonnes ques-tions, et que, souhaitons-le, sesquisseront cer-taines rponses.

    Depuis cinq ans, lESENESR a rsolument trans-form son modle de formation. Cest pourquoi ce colloque, au-del des interrogations leves, se propose didentifier de nombreuses pistes ralistes pour agir, ds demain, chacun au plus prs de son terrain professionnel.

    Mais au-del des discours, le numrique ducatif sexprimente et se met en pratique. Cest pourquoi le choix a t fait de diffuser chaque tape de ce colloque en direct dans 40 ateliers Canop rpartis sur le territoire national. Au-del de lvnement lui-mme, nous avons souhait permettre des quipes locales de bnficier des contenus propo-ss mais aussi et surtout de contribuer llabora-tion des propositions issues de cette action. Cette formation collaborative dun genre nouveau prfi-gure galement une nouvelle approche de la diffu-sion des savoirs et du dveloppement des comp-tences.

    Ces actes numriques, enrichis de ressources textuelles et numriques, vous permettront de "revivre" cet vnement. Ils se veulent tre un outil concret, utilisable par les personnels denca-drement avec leurs quipes, au service de la rus-site des lves par le numrique.

    Jean-Marie PANAZOLInspecteur gnral de lducation nationale

    Directeur de lESENESR

  • Colloque international e-ducation

    P4 - ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    Sommaire

    Mardi 14 octobre Socit numrique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 5Emmanuel Davidenkoff . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 6

    Evgeny Morozov. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 10

    Divina Frau Meigs et lisabeth Schneider. . . . . . . . . . . page 20

    Ghislaine Azmard. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 24

    Mercredi 15 octobre Apprentissages et numrique. . . . . . . . . . . . . . . page 29Elena Pasquinelli. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 30

    Rmi Thibert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 36

    Eddie Playfair. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 38

    Antonine Goumi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 42

    Jeudi 16 octobre Vers l'cole du futur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 47Marc Durando. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 48

    Lionel Formentelli. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 52

    Au programme

    Synthse des ateliers page 61

    missions de WebradioVers une cole numrique ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 19Le numrique, une nouvelle faon d'apprendre. . . . page 35

    Les espaces d'apprentissage de l're numrique. . . . page 57

    Ateliers tmoignages. . . . . . . . . . . . . pages 28 - 34 - 56 - 58

    Les soires du colloque. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . pages 18 - 46

    Au fil du colloque

  • Colloque international e-ducation

    ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P5

    La premire journe de ce colloque, consacre la socit numrique, a permis d'engager notre questionnement travers trois prismes diffrents :

    Mardi 14 octobre 2014 Socit numrique

    Ouverture du colloqueLes interventions douver-ture du colloque sont acces-sibles en ligne sur le site web de lESENESR :

    http://huit.re/eeduc14_conf

    ou grce aux QR codes ci-dessous :

    Les pages suivantes vous prsentent les inter-venants et les articles communiqus en vue du colloque. Vous pourrez galement accder aux interviews (vido), missions de Webradio et ressources complmentaires en ligne de cette journe.

    Jour

    ne

    1

    Ouverture institutionnelle :

    Jean-Marie Panazol (ESENESR) Jean-Marc Merriaux (Canop) Serge Bergamelli (CNED)

    Intervention de Catherine Becchetti-Bizot, directrice du numrique pour lducation (DNE)

    BONUSInterview vido de Catherine Becchetti-Bizot : http://huit.re/eeduc14_itwDNE

    Avec Emmanuel Davidenkoff, auteur du Tsunami nu-mrique, et Evgeny Morozov, penseur et dcouvreur des cts obscurs du numrique, nous avons dabord voulu planter le dcor de la socit venir et de la place quelle fera lducation.

    Enfin, avec Ghislaine Azmard, professeur des uni-versits, et Patrick Treguer, professionnel de la culture, nous avons abord la place de lmotion et de son avenir dans un univers travers par la tech-nique.

    Avec Divina Frau-Meigs et lisabeth Schneider, uni-versitaires, cest aux consquences dj mesurables du numrique sur les jeunes individus que nous nous sommes intresss : consquences parfois tonnam-ment positives, mais qui ne laissent pas de poser des dfis denvergure lducation : littratie, translitt-ratie, ducation aux mdias et linformation

    http://huit.re/eeduc14_confhttp://huit.re/eeduc14_itwDNEhttp://huit.re/eeduc14_itwDNE

  • P6- ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    EmmanuelDAVIDENKOFF

    Quels enjeux pour lducation dans une socit numrique ?

    "La premire question que la dmocratisation du

    numrique pose l'cole n'est pas d'ordre technologique

    mais pdagogique."

    Journaliste et auteur.

    Directeur de la rdaction du magazine "Ltudiant", chro-niqueur pour Radio France, Lcho Rpublicain, lExpress.

    Expert de lducation et des nouvelles formes dapprentis-sage.

    Emmanuel DAVIDENKOFF est galement auteur de nom-breux ouvrages, dont le rcent "Le tsunami numrique" (Stock).

    propos d' EmmanuelPourquoi diable tant de cadres de la Silicon Valley inscrivent-ils leurs enfants dans une cole qui interdit les crans jusqu' l'ge de 13 ans l'cole Waldorf of Peninsula ? Disposent-ils de quelque in-formation confidentielle sur les ravages que le numrique commet-trait sur les cerveaux des petits ? Non. S'ils choisissent cette cole, c'est simplement parce qu'ils esprent, comme tant de parents, que leurs enfants pourront faire le mme mtier qu'eux et tirer parti de la formidable mutation entrane par le numrique.

    Cette cole est en effet entirement tourne vers le dploiement de la crativit des enfants, vers le travail en groupe, vers leur panouissement. Cela n'empche pas d'y apprendre lire, crire et compter, mais sans enfermer les lves dans la gangue de pro-grammes qui tiennent pour accessoires les savoirs et savoir-faire extra scolaires.

    Ce qu'ils ont compris : l'avenir appartient ceux qui sauront inventer les machines numriques du futur donc conceptualiser, collaborer avec les autres, innover... et ceux qui sauront dvelopper des comptences difficilement automatisables et peu susceptibles de se traduire en algorithmes crer, tre dans la relation aux autres, produire l'empathie, penser, dvelopper son esprit critique, etc.

    Ils ont compris que la premire question que la dmocratisation du numrique pose l'cole n'est pas d'ordre technologique mais pdagogique.

    Retrouvez l'inter-view d'Emmanuel en streaming grce au QR code ou l'URL courte http://huit.re/eeduc14_itwED

    http://huit.re/eeduc14_itwED http://huit.re/eeduc14_itwED

  • Colloque international e-ducation

    ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P7

    Paradoxalement mais est-ce une surprise ? , il a fallu l'irruption des Moocs, les cours massifs en ligne, pour que le dbat sur le numrique ducatif merge enfin en France. Paradoxe, car le Mooc, sous sa forme dominante, se contente d'actualiser la forme la plus classique de l'enseignement : il est centr sur la dli-vrance de savoirs par un matre omniscient. Que le dispositif s'enrichisse de moyens de dialogue et de systmes d'valuation entre pairs n'y change pas grand-chose : les Moocs ont rapidement conquis droit de cit car ils pro-longent la pdagogie hrite des collges j-suites qui se pratique en-core massivement dans notre enseignement secondaire et suprieur. Et l'on devine aisment comment d'autres outils numriques pourraient venir au service d'une pdagogie de l'imitation et de la rptition la ma-chine n'aime rien moins que le psittacisme et le geste reproductible.

    Il n'y a pas, en somme, de "modle ducatif num-rique".

    Notre premier exemple montre que l'on peut tre de plain-pied dans la rvolution digitale en se pas-sant d'crans ; le second, que l'on peut intgrer des crans au service de dispositifs pdagogiques extr-mement classiques.

    Cette contradiction n'chappe pas aux tenants de l'innovation et de la "disruption". Depuis plusieurs semaines, le dbat est vif la Harvard Business School autour de cette question. Lorsqu'elle se cre, au dbut du XXe sicle, l'cole invente la mthode des cas et chasse le cours magistral, vu comme l'ex-pression d'un monde ancien, inadapt aux dfis que rencontre alors l'conomie amricaine. Doit-elle, un sicle plus tard, au nom d'une prtendue "disrup-tion", se mettre produire et utiliser les Moocs ? La modernit lui impose-t-elle de renoncer sa moder-nit ? Elle n'a pas, cette heure, tranch.

    Pas de modle, donc.

    Le numrique permet en revanche d'amliorer les modles existants et l'on peut se demander si les changements de degr qu'il apporte n'entraneront

    pas un changement de natur e de certains de ces modles.

    S'il est bien peu innovant en matire de dlivrance des connaissances, le Mooc l'est dans les systmes d'aide l'enseignement qu'il offre : la possibilit de collecter massivement des donnes sur la faon dont chacun comprend ou pas telle notion laisse entrevoir la possibilit, indite, d'industrialiser l'indi-

    vidualisation de l'ensei-gnement, en offrant aux enseignants des donnes aujourd'hui inaccessibles sur les m-canismes et stratgies d'apprentissage.

    Le Mooc, toujours, per-met l'vidence de mo-derniser et de rendre plus engageantes les "classes inverses" (le

    cours est appris la maison ou en bibliothque, la sance prsentielle permettant de revenir sur les points mal acquis et de mettre la thorie l'preuve de faits ou de problmes rsoudre).

    Si elle n'a pas t conue cette fin, l'imprimante 3D pourrait renchanter les pdagogies tournes vers le "faire" (learning by doing). Le jeu srieux (serious game), lointain hritier du serio ludere du XVe sicle, pourrait profiter de l'augmentation de la puissance de calcul des ordinateurs pour offrir des environne-ments graphiques aussi engageants que ceux des jeux moins srieux.

    La facilit produire et diffuser des contenus ac-tualise les outils imagins en son temps par Freinet pour faire produire des textes aux enfants et les in-viter communiquer par l'crit voir le succs des "twittclasses". Les systmes de vision en 3D comme le casque Oculus sont dj en train d'offrir aux fi-lires technologiques et professionnelles des outils de simulation qui rvolutionnent les apprentissages. Le seul courrier lectronique, qui fait figure d'anti-quit technologique, offre des potentialits formi-dables dont s'emparent, parmi d'autres, les ensei-gnants qui pratiquent la correspondance scolaire ou ceux qui dploient des approches des sciences comme "La main la pte" (le mail permet d'chan-ger facilement et rapidement avec des savants, o qu'ils soient). Les tablettes tactiles pourraient dj sauver bien des colonnes vertbrales si les collectivi-

    L'on peut tre de plain-pied dans la rvolution digitale en se passant d'crans. (...) L'on peut intgrer des crans au service de dispositifs pdagogiques

    extrmement classiques.

  • Colloque international e-ducation

    P8 - ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    ts se dcidaient les prfrer aux manuels scolaires en papier et si les diteurs s'engageaient rsolument dans cette voie et les alimentaient en contenus inte-ractifs et plurimdias.

    Ces innovations permettront-elles l'mergence de nouveaux modles ou, tout le moins, bouleverse-ront-elles l'actuelle hirarchie entre modles exis-tants ? Il leur faudra pour cela franchir deux obs-tacles, majeurs.

    Le premier tient la na-ture de ces outils. L'in-dustrie numrique est culturellement tourne vers la qute de plus-value pour les utilisateurs. Elle cherche faire plus simple, plus efficace, plus engageant, souvent moins cher. Elle se nourrit d'horizontalit, de coopration, de confiance a priori. Le systme ducatif, lui, ragit une commande verticale celle des programmes et de l'autorit fonde sur la matrise des savoirs , aux notes et aux hirarchies, la mise en comptition des lves, au contrle a priori.

    Le second, possiblement plus important, touche la dfiance que suscite chez une majorit d'lves l'ide qu'on peut apprendre si ce n'est en s'amusant, du moins en faisant l'conomie de quelques souf-frances, constante laquelle se heurtent dj tant d'enseignants, de l'cole lmentaire l'enseigne-ment suprieur. Cette dfiance, bien videmment, n'est pas inne. Mais elle prosprera tant qu'il ne sera pas prouv que l'on peut apprendre autrement et en tirer les mmes bnfices que via les voies tra-ditionnelles.

    Le numrique sera-t-il capable d'administrer cette preuve ? D'inventer un Amazon, un iTunes ou un Google de l'ducation un standard universel qui bouleverse le fonctionnement d'un march ? Il y tra-vaille rsolument. Des dizaines de start up en France,

    des centaines aux tats-Unis, les millions de dollars de fondations comme celle de Melinda et Bill Gates ou de Georges Lucas, en embuscade les gants du web comme Google ou Amazon, en soutien les millions des socits de capital-risque... Mais ne nous y trom-pons pas : Amazon n'a pas rinvent la littrature, iTunes ne compose pas de chansons, Google n'crit pas d'articles ni ne produit de la recherche de haut

    niveau. Ces pla-teformes ne font qu'amplifier, de manire parfois exponent ie l le , des tendances de co n s o m m a t i o n existantes. Il en ira probablement

    de mme en matire ducative.

    Le fond de la question est donc probablement de savoir qui, du priv ou du public, concevra l'offre la plus convaincante. Le numrique peut-il faire baisser les prix des coles prives en dlgant aux machines une partie du travail actuellement ralis par des en-seignants, ce qui rebattrait les cartes de la compti-tion public-priv en faisant merger une relle offre concurrentielle "low cost" (qui n'existe que de ma-nire factice, aujourd'hui, entre public et priv sous contrat, ce dernier tant essentiellement financ sur fonds publics puisque l'tat assume les salaires des enseignants) ? Le numrique peut-il organiser des modalits de validation et de certification concur-rentes qui seront reconnues par les employeurs au point de fragiliser les actuels diplmes des universi-ts ou grandes coles ?

    Telles sont les questions qui se posent aujourd'hui; elles sont avant tout pdagogiques et politiques, pas numriques.

    Le fond de la question est donc probablement

    de savoir qui, du priv ou du public, concevra l'offre la plus convaincante.

  • ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P9

    Au fil de la confrence...

    Retrouvez la confrence d'Emma-nuel Davidenkoff et d'Evgeny Moro-zov en streaming grce au QR code ou l'URL courtehttp://huit.re/zYP1fFDe

    #eeduc14 : Davidenkoff a cit en moins d'1h le bac pro : en colloque, c'est un record absolu ! Merci pour eux-nous :)

    #eeduc14 : Davidenkoff prcise

    que le numrique peut servir le pire comme le meilleur, tt dpend du projet politique (et ducatif).

    #eeduc14 : le chef dtablissement au

    carrefour de tous les changements, il est au centre des stratgies rticulaires.

    #eeduc14 : 6 minutes : dure

    moyenne de l'attention sur les Moocs !

    #eeduc14 : faut-il revenir la plume Sergent-major pour faire des progrs en orthographe ?

    http://huit.re/zYP1fFDe

  • P10- ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    "Nos relations sociales, une fois numrises, sont, de par leur gra-nularit et leur traabilit, dsor-

    mais transformables en un nouvel outil de ce que Michel Foucault nommait "gouvernementalit".

    Rdacteur pour "The New Repu-blic".

    Chercheur qui tudie les impli-cations politiques et sociales des technologies numriques.

    Auteur de "To Save Everything, Click Here : The Folly of Techno-logical Solutionism" (2013).

    (traduction franaise : "Pour tout rsoudre, cliquez ici" ).

    propos d' Evgeny

    EvgenyMOROZOV

    Surveillance numrique :tels des cobayes dsorients

    Pour les grands pontes des technologies de linformation, tous nos problmes peuvent tre rsolus par la collecte de donnes.

    Plus on en donne, plus on en reoit. Mais ds lors, cest la "phy-sique sociale" qui tiendra lieu de politique.

    Mme les petits gnies de la Silicon Valley ont parfois raison. Disons-le donc demble : oui, la production, laccumulation et lanalyse de nos traces numriques produit des avantages rels. linstar du Dividende de la Paix un slogan populaire au dbut des annes 1990, bas sur lide quune diminution des dpenses mili-taires devait favoriser la croissance conomique nous pouvons parler du Dividende de la Surveillance : lide que lInternet des Objets, le Big Data et plus gnralement linluctable drgle-ment de lunivers tout entier cause dune poigne de start-ups californiennes, doit se traduire terme par labondance cono-mique, lmancipation politique et la prosprit universelle.

    Grce la traabilit accrue de tout, nous pouvons concevoir mieux, optimiser mieux, gouverner mieux, connatre mieux. Le Dividende de Surveillance augmente lefficacit. Il conomise de largent. Il prolonge la vie. Ses avantages sont rels. La bonne question poser, alors, nest pas : "le Dividende de Surveillance nous permet-il de gouverner mieux ou de connatre mieux ?" Non, la bonne question, cest : mieux que quoi ?

    Pour rpondre cette question, peut-tre est-il utile danalyser, au pralable, comment les promoteurs du Dividende de Surveil-lance nous vendent ses avantages dans divers domaines. Dans

    Retrouvez l'inter-view d'Evgeny en streaming grce au QR code ou l'URL courte http://huit.re/eeduc14_itwEM

    http://huit.re/eeduc14_itwEMhttp://huit.re/eeduc14_itwEM

  • Colloque international e-ducation

    ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P11

    son nouveau livre Social Physics, Alex Pentland, pro-fesseur au Laboratoire des Mdias (Media Lab) du MIT, conseiller auprs du Forum conomique Mon-dial de Davos et personnage trs important (selon son site Web, il a dn "avec la Royaut Britannique et le Prsident de lInde"), dcrit une exprience bap-tise FunFit quil a mene Boston.

    Le but tait damener des habitants dun quartier tre plus actifs physiquement. Dans le pass, une telle tude aurait peut-tre recouru une campagne de publicit sociale sur les avantages de la sant. Ou encore pay les gens pour rester en forme. Mais cest une stratgie diffrente qua choisie Pentland: tous les sujets de ltude ont t asso-cis deux pairs de leur communaut, quils connaissaient parfois peine, par-fois au contraire trs bien. Les deux parrains se voyaient remettre de petites sommes dargent pour motiver leur fil-leul commun faire davantage dactivit physique, suivie par des acclromtres intgrs dans les smartphones fournis par ltude. Lide tait que, si un individu faisait plus de marche que dhabitude, ctaient ses parrains (et non pas lui !) qui empochaient largent.

    Les rsultats ont t tonnants : lopration sest r-vle presque quatre fois plus efficace que lorsque ctaient les individus qui taient pays directement, comme dans les expriences classiques antrieures. En outre, si les parrains taient des gens trs proches des individus tests, lefficacit tait multiplie par huit et non plus par quatre. Cest ainsi que Pentland peut annoncer la naissance dune nouvelle discipline, la "physique sociale". Donc, par ltude de nos rap-ports sociaux existants et lexploitation des rsultats de cette tude pour fabriquer des motivations sur mesure pour chaque individu, nous pouvons enfin nous attaquer des problmes sociaux trop long-temps ngligs.

    Lobservation rsout les problmesPentland donne un autre exemple : lors des lections au Congrs de 2010 aux tats-Unis, des universi-taires amricains ont men une tude sur 61 millions dutilisateurs de Facebook, quils ont diviss en deux sous-groupes. Les deux ont reu des messages les exhortant voter, mais l o le premier sous-groupe navait quun message gnrique et impersonnel, le second recevait un message personnalis, montrant les visages de leurs amis ayant dj vot. Les lois de la physique sociale se sont vrifies : cest dans le deuxime groupe que les gens ont davantage vot. Et pour les amis intimes par opposition de simples

    connaissances en ligne les rsultats taient particuli-rement impression-nants, car le taux de votants tait quatre fois suprieur aprs le message person-nalis.

    Les systmes bass sur la physique so-ciale fonctionnent parce quils savent tout de nous : pas seulement nos d-placement quoti-diens et nos profils

    de communication mais aussi qui sont nos amis et la nature de nos relations. Les consquences long terme de la physique sociale sont proprement verti-gineuses. Avec un bon data-mining (exploration de donnes massives), on peut trouver les bons voisins pour nous convaincre de rduire notre consomma-tion dnergie, les bons amis pour nous mettre en garde contre la malbouffe, les bons collgues pour nous rappeler de ne pas nous relcher pendant les heures de travail. Tout se ramne, en somme, trou-ver les bonnes personnes au bon moment et leur faire envoyer les bons messages.

    Nos relations sociales, une fois numrises, sont, de par leur granularit et leur traabilit, dsormais transformables en un nouvel outil de ce que Michel Foucault nommait "gouvernementalit". Au lieu den appeler au bien-tre de la communaut ou lintrt personnel du consommateur sur le march, on peut rguler des comportements individuels en utilisant

    (...) Nous pouvons parler du Dividende de la Surveillance: lide que lInternet des Objets, le Big Data (...), doit se traduire terme par labondance conomique,

    lmancipation politique et la prosprit universelle.

    (...) La bonne question poser, alors, nest pas : "le Dividende de Surveillance nous

    permet-il de gouverner mieux ou de connatre mieux ?" Non, la bonne ques-

    tion, cest : mieux que quoi ?

  • Colloque international e-ducation

    P12 - ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    lamiti elle-mme comme outil de gouvernance, nous exposant ainsi slectivement divers aspects de ce que les mastodontes de la haute technologie nomment notre "graphe social". Pentland propose un certain nombre de solutions institutionnelles pour rsoudre les problmes de confidentialit, mais cela dpasse notre cadre ici. Ce qui importe, cest que le Dividende de Surveillance est bel et bien avr : oui, lobservation continue des individus peut rsoudre des problmes.

    Les laboratoires vivantsLexprience de Facebook pour encourager le vote est en fait un comparatif randomis, un type trs courant dexprience scientifique, initialement popu-laris dans un contexte mdical, o les sujets tests sont rpartis au hasard en deux groupes ou plus. Un groupe reoit un stimulus quelconque par exemple, ses membres voient les photos de leurs amis ayant dj vot et pas lautre. Ces tudes tant de plus en plus populaires parmi les spcialistes des sciences sociales, on comprend que des services comme Face-book avec leurs millions dutilisateurs et des para-mtres facilement rglables pour lais-ser voir telle ou telle chose et pas dautres aux utilisateurs soient des terrains dexprimentation privilgis, plein de cobayes involontaires (cest--dire nous).

    La colre suscite par une rcente tude o Facebook mon-trait certains utili-sateurs heureux des messages positifs, et des messages ngatifs aux utilisateurs malheureux, parat bien nave. Comme le formulait lun des spcialistes scientifiques des donnes chez Facebook quelques mois avant le scandale, "chez Facebook, nous faisons plus de mille expriences par jour. Alors que nombre de ces exp-riences sont conues pour optimiser des rsultats spcifiques, dautres visent clairer des dcisions de conception long terme". Traduction: mieux vau-drait vous inquiter des milliers dexpriences quoti-diennes dont nous ne vous disons rien !

    une poque de forte demande de politiques fon-

    des sur des preuves et axes sur des rsultats, Face-book nous fournit une infrastructure intellectuelle idale pour tester lefficacit ou la non-efficacit de telle ou telle intervention. Le Dividende de Surveil-lance nouveau : plus Facebook nous suit la trace, plus efficaces seront les politiques qui vritablement changent le monde et en temps rel plutt que deux ans plus tard. Pentland prtend mme "faire revivre les sciences sociales en construisant des labo-ratoires in vivo pour tester et prouver les ides pour construire des socits orientes donnes". James Fowler, co-auteur de ltude Facebook sur llection, pousse le raisonnement encore plus loin lorsquil affirme que "nous devons faire tout notre possible pour mesurer les effets des rseaux sociaux et ap-prendre les amplifier afin de pouvoir crer une pi-dmie de bien-tre".

    De lobservation lexplicationUn rcent article dans la revue Foreign Affairs d-taillait dautres avantages du Dividende de Surveil-lance. tant donn que les pauvres sont sous "la pression constante... dutiliser leur argent exclusi-

    vement en dpenses contraintes", les au-teurs, qui travaillent pour la Fondation Bill & Melinda Gates, encensent le poten-tiel de la tlphonie mobile "coup-de-poucer" les pauvres faire des versements dpargne rguliers. Dpenser ou par-gner nest pas la seule grande dcision laquelle doivent faire face les pauvres ; dans

    les pays en dveloppement, ces dcisions-l sur la vaccination, lducation, lassurance-rcolte sont nombreuses et ne sont pas toujours prises dans les meilleures conditions.

    Pourquoi, alors, ne pas transformer les tlphones cellulaires en Siri ou Google Now (les deux assis-tants virtuels populaires) du pauvre ? Et ds lors, leur faire surveiller en permanence ce que fait luti-lisateur, faire le suivi des contraintes environnemen-tales et leur suggrer les bonnes dcisions ? Le Divi-dende de Surveillance une fois encore : grce un suivi constant, des personnes par ailleurs vulnrables

    Les systmes bass sur la physique sociale fonctionnent

    parce quils savent tout de nous: pas seu-lement nos dplacement quotidiens et

    nos profils de communication mais aussi qui sont nos amis et la nature de nos

    relations. (...) Tout se ramne, en somme, trouver les bonnes personnes au bon

    moment et leur faire envoyer les bons messages.

  • Colloque international e-ducation

    ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P13

    peuvent devenir plus rsilientes et plus ingnieuses pour sattaquer leurs problmes. Un jour, avec de meilleurs smartphones, nous pourrons mme leur enseigner comment coder !

    Ces ides paraissent fort attrayantes, et ce pour deux raisons. Tout dabord, la persistance des problmes sociaux, depuis le changement climatique jusqu lobsit, en passant par la pauvret, a gnr un consensus presque univer-sel : il nous faut des me-sures plus radicales. Cest ainsi que des mthodes ouvertement paternalistes autrefois frappes de ta-bou sont aujourdhui sur la table. On voit des universitaires produire jet conti-nu des livres aux titres tels "Contre lautonomie" ou "Pour un paternalisme pistmique", qui mettent laccent sur la ncessit dintervenir dans le proces-sus dcisionnel des particuliers, dans lintrt de la communaut ou pour leur propre bien.

    Lattrait persistant de lconomie comportemen-tale, qui vise corriger ce quelle analyse comme des postulats nafs de lconomie noclassique sur la rationalit humaine, est un autre facteur dcisif dans laffaire. Ces conomistes comportementaux se proposent dexpliquer comment les gens se com-portent dans le monde rel et non pas dans certains modles thoriques sophistiqus. cette fin, ils et en particulier les universitaires travaillant sur la pau-vret mondiale vont sur le terrain et, aprs avoir soigneusement observ les pauvres, mnent des es-sais contrls randomiss pour voir si leurs intuitions sont correctes.

    Une application contre la pauvretCes intuitions ne donnent pas toujours des thories ou des explications causales lmentaires : si les chercheurs dcouvrent par exemple que telle cole rurale obtient avec un instituteur unique de meil-leurs rsultats avec ses lves que telle autre avec deux, cette dcouverte devient "exploitable" mme sans thorie. Il y a ici une certaine similitude avec lattitude dynamique, axe sur les rsultats, adopte par les entreprises de haute technologie : Facebook na pas besoin de savoir pourquoi des histoires heu-reuses font davantage cliquer les utilisateurs pour pouvoir utiliser ces connaissances. Prdite par Chris Anderson dans le magazine Wired en 2008, la fin de la thorie a en fait touch ce champ-l plus tt en-

    core : quand tant de choses peuvent tre observes, tudies et testes, les grands dbats thoriques et philosophiques deviennent inutiles et encombrants.

    Lun des postulats implicites partags par beaucoup dconomistes comportementaux est que nous ne nous comportons pas toujours dans notre meilleur intrt, et ce pour des raisons bien prcises que lon peut identifier, classer et rectifier. Dans leur rcent

    ouvrage Scarcity, Eldar Shafir et Sendhil Mullainathan, deux mi-nents conomistes, pionniers de lapplication de lconomie comportementale ltude de la pauvret, avancent que les pauvres sont tellement accabls

    par langoisse des soucis dargent permanents quils finissent par prendre des dcisions qui vont len-contre de leur intrt propre. La pauvret, affirment-ils, dcoule de linsuffisance cognitive, qui "plutt quun trait personnel... est le rsultat de conditions environnementales... qui peuvent souvent tre re-mdies" perspective qui, selon eux, aboutit "une redfinition conceptuelle radicale de la pauvret". En dautres termes, les pauvres prennent de mau-vaises dcisions financires parce que leurs autres proccupations tirent trop sur leur "bande passante cognitive", exactement comme lutilisation de Skype ou de Spotify peuvent rduire votre connectivit Internet. Dans cette perspective, si seulement les pauvres pouvaient avoir le bon message au bon mo-ment, ils pourraient effectivement finir par pargner davantage. Ds lors, pour lutter contre la pauvret, il nous faut "'raretfuger' notre environnement" afin que des dcisions mauvaises et irrationnelles soient exclues ou minimises grce un quelconque sys-tme de surveillance permanente (que Mullainathan et Shafir comparent un dtecteur de fume).

    Solutions magiquesLa pauvret deviendrait alors un programme dinfor-mation qui peut tre combattu avec les outils dinfor-mation du type de ceux qui produisent le Dividende de Surveillance. Prenons par exemple une applica-tion pour smartphone baptise BillGuard. Elle va non seulement vous avertir ds que votre plafond men-suel de dpenses est dpass, mais va galement effectuer une recherche Internet pour trouver des coupons qui rduiront vos factures, sur la base de vos habitudes de dpenses. Autre exemple : liBag un vrai sac, mais quip de capteurs et connect, qui se verrouille automatiquement (et verrouille aussi

    Une politique faite de dispositifs intelligents

    nest pas ncessairement une politique intelligente.

  • Colloque international e-ducation

    P14 - ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    sans doute votre portefeuille) lorsquil estime que vous approchez de votre plafond de dpenses. Un suivi constant, voil ce qui rend ces innovations pos-sibles. Ces applications pourraient bien faire sortir certaines personnes de la pauvret. Elles pourraient mme rendre leurs dveloppeurs riches. Mais quel est le cot de cette "informationalisation" de la pau-vret ? Et est-ce ainsi que nous ("nous" dsignant ici cette entit presque oublie, une communaut de citoyens, pas de capital-risqueurs russ ni dentre-preneurs iconoclastes) voulons lutter contre elle ?

    On peut observer dans dautres domaines des cas similaires dinformationalisation, o un problme se voit dpouill de ses dimensions matrielles et poli-tiques et prsent simple-ment comme une question dinformation insuffisante ou tardive. Max Levchin, co-fondateur de PayPal, espre pouvoir appliquer lapprentissage automa-tique et lexploration de donnes massives pour rsoudre des problmes de sant. "La sant nest ja-mais quun gros problme dinformation en attente danalytique de donnes et de capteurs portables", explique-t-il en annonant Glow, son application pour aider les femmes concevoir. Cest trs exactement ce que fait Glow en observant leur activit sexuelle (y compris les positions) et leurs cycles menstruels et en leur envoyant des alertes diverses ("dbut de fentre de fertilit !" ou encore "Waouh ! Vous ovu-lez!).

    Mme supposer que Levchin ait des motivations nobles, reste savoir si la sant ou dailleurs nim-porte quoi dautre constitue un "problme dinfor-mation" ; et ce nest pas l une question prendre la lgre. Silicon Valley, pour lessentiel, a dj rpondu pour nous par laffirmative. Donnez-leur nimporte quel problme et, quelques applications plus tard, une solution d"information" mergera comme par magie. Reformul ainsi, le problme conduit invi-tablement linvocation du Dividende de Surveil-lance et de ses avantages incontestables. Mais ne devrions-nous pas nous demander galement ce qui se passe une fois la sant, lducation ou la pauvret reformules comme problmes rputs rsolubles par linformation ?

    Problmes et SurveillanceLa fascination croissante pour le potentiel de lner-gie intelligente est un autre exemple spectaculaire de cette informationalisation luvre : rduite des applis, des thermostats intelligents et autres compteurs intelligents, lnergie se voit dcouple du vaste complexe de rseaux politiques et cono-miques qui prsident sa production, et prsente uniquement comme un problme dinformation, rsoluble par les sempiternelles boucles de rtroac-tion. Comme lcrit luniversitaire australienne Yo-lande Strengers dans son nouveau livre Smart Energy Technologies in Everyday Life, les consommateurs sont fantasms comme "orients donnes, avides

    dinformation, experts en technologie", tandis que lapport de donnes "est le seul moyen par lequel [ils sont] censs fonctionner et voluer".

    Il existe des voies alter-natives, non-information-nelles, plus politiques pour sattaquer au problme de

    lnergie ; mais votre compteur intelligent ne vous en dira rien. Avec lui, il y a peu de chances que votre connaissance et votre expertise sur la consomma-tion dnergie se dveloppe beaucoup, et du coup, comme le souligne Stengers, "les consommateurs commencent assimiler gestion de lnergie et gestion des donnes". Mais la comprhension de lnergie nest pas seulement fonction de prf-rences individuelles et de boucles de rtroaction ; elle exige galement une rflexion sur les normes defficacit nergtique, la conception de lhabitat, les habitudes de consommation, les pratiques de cli-matisation intrieures.

    Plus inquitant encore, les problmes que le Divi-dende de Surveillance permet de rsoudre change-ment climatique, obsit, pauvret sont de plus en plus reformuls en termes de scurit nationale ; et une fois ce saut rhtorique effectu, le grand public, terrifi, va accepter mme les mesures les plus dra-coniennes. Il nest nullement exagr de parler de scurit nationale : il existe de plus en plus dtudes qui visent montrer les liens entre changement cli-matique et risques de guerres civiles, niveau de pau-vret et degr de radicalisation de la jeunesse, etc. Le complexe militaro-industriel sait comment tendre

    Ces applications pourraient bien faire sortir certaines personnes de la pauvret. Elles pourraient

    mme rendre leurs dveloppeurs riches. Mais quel est le cot de

    cette "informationalisation" de la pauvret ?

  • Colloque international e-ducation

    ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P15

    ses tentacules vers des domaines apparemment non militaires.

    Les lois sur la libert de l'informationTout cela est parfaitement connu des partisans du Dividende de Surveillance. Voici par exemple com-ment Pentland lie applis, sant publique et ques-tions de scurit nationale : "une application sur un tlphone, argumente-t-il dans Social Physics, pour-rait enregistrer en toute discrtion des variations inhabituelles du comportement, puis calculer si elles sont indicatives du dveloppement dune maladie". Ainsi, "la capacit de suivre des maladies telles que la grippe au niveau de lindi-vidu devrait aboutir une protection relle contre les pandmies, car nous pour-rions prendre des mesures pour traiter les individus in-fects avant quils ne trans-mettent la maladie". tant donn que le paradigme de la scurit domine encore largement le dbat politique des deux cts de lAt-lantique, de tels arguments trouveront forcment cho au FBI, la CIA, la NSA et autres agences en trois lettres.

    Dans ces conditions, il ne servira pas grand-chose de remettre en cause les avantages du Dividende de Surveillance. Physique sociale, essais comparatifs randomiss (ECR), "coups de pouce", rien de tout cela nest inutile, et les partisans du Dividende de Surveil-lance prsentent leurs avantages comme vidents et apolitiques : on nous dit que les problmes dinforma-tionalisation les rendent seulement plus accessibles et plus faciles grer. Mais il ny a rien dvident ni dapolitique dans les outils et les mthodes du Divi-dende de Surveillance. En ralit, ils ne voient que ce quils veulent voir et ils savent seulement ce quils veulent savoir. Ce que souvent ils ignorent et ne veulent pas voir est leur propre politique.

    Nous vivons une poque de profonde asymtrie pistmique. Lhyper-visibilit de chaque citoyen, dsormais traable par toutes sortes de dispositifs intelligents, na dgale que lhyper-invisibilit crois-sante de tous les autres acteurs sociaux. Les gouver-nements continuent de classifier de plus en plus de documents, externalisant au passage leurs fonctions des socits prives qui ne sont pas tenues de res-pecter la lgislation sur la libert de linformation.

    Les grandes socits sment la confusion sur lim-pact rel de leurs activits, fabriquant dlibrment lignorance en finanant de douteuses recherches pseudo-scientifiques. Et du ct de Wall Street, on produit la chane des instruments financiers si opaques quils dfient tout effort de comprhension.

    Le marchLe mouvement pour des donnes ouvertes pour-rait relever quelques-uns de ces dfis, mais son plus grand succs ce jour a t de contraindre les gouvernements librer des donnes qui sont pour la plupart dutilit conomique et sociale. Les don-

    nes politiques sensibles sont toujours jalousement gardes. Il ny a aucune "physique sociale" pour des Goldman Sachs ou des HSBC : nous ne savons rien des liens entre leurs filiales et leurs socits crans enregistres dans des pa-radis fiscaux. Personne ne

    conduit dECR pour voir ce qui se passerait si nous avions moins de lobbyistes. Qui va donner le "coup de pouce" amenant les militaires tats-uniens d-penser moins dargent en drones et faire don aux pauvres de largent ainsi conomis ?

    Les outils du Dividende de Surveillance fonctionnent un seul niveau : celui de chaque citoyen. Ils rendent celui-ci totalement transparent et manipulable, crant un semblant de "rsolution de problmes" tout en laissant gouvernements et grandes soci-ts libres de poursuivre leurs propres projets. Pour paraphraser Foucault, nous sommes tous devenus minemment traables et minemment coup-de-pouables. Nos mauvaises habitudes peuvent tre dtectes, analyses et corriges en temps rel, li-minant du mme coup pas mal des problmes qui touffent actuellement les services sociaux. Ainsi, la notion mme de la politique en tant quentreprise communautaire se transforme en spectacle indivi-dualiste et consumriste de lenvironnement, o les solutions que nous nommons applis de nos jours se recherchent sur le march plutt que sur la place publique.

    Il ny a rien de trs surprenant cette individualisa-tion de la politique, dans la mesure o les mthodes qui nous donnent le Dividende de Surveillance ont dlibrment abandonn toute recherche syst-

    Les grandes socits sment la confusion sur limpact rel de

    leurs activits, fabriquant dlib-rment lignorance en finanant

    de douteuses recherches pseudo-scientifiques.

  • Colloque international e-ducation

    P16 - ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    matique de facteurs et de causes de changement social transcendant lindividu. En troquant les expli-cations causales contre l"applicabilit", leurs promo-teurs ont, de fait, abandonn toute thorie et sont donc contraints feindre lignorance ou la navet chaque fois quils sont confronts un problme qui ne peut tre facilement rduit la prise de dcision individuelle.

    Faut-il vraiment recourir une tude contrle ran-domise pour savoir ce que lobbyistes ou banquiers font toute la journe ? Le monde a beau tre dune complexit vous rendre fou, il est aussi dune sim-plicit fort embarrassante : les grandes socits veulent toujours faire de largent, les gouvernements veulent tou-jours btir des empires bu-reaucratiques, les agences de scurit veulent tou-jours prendre le pouvoir. Fin de la "thorie" peut-tre, mais pourquoi alors renoncer ce qui est vident ?

    Se dispenser dexplications causales peut sans doute tre une stratgie rentable en affaires. Un conces-sionnaire automobile peut tirer profit de savoir que les voitures doccasion orange sont plus fiables que les voitures doccasion dautres couleurs une corr-lation typique (et authentique) rvle par lanalyse de donnes volumineuses sans avoir expliquer pourquoi. La transposition de ce modle de lentre-prise la politique, toutefois, revient spculer lexcs sur la porte et les objectifs de la politique ainsi que la rpartition des responsabilits entre les acteurs.

    Rtrcissement de l'imaginaire poli-tique

    Le prisme individualiste travers lequel les outils et les mthodes du Dividende de Surveillance appr-hendent les problmes sociaux a tout simplement pour effet de faire passer certaines questions sous le tapis. Dans ce qui est peut-tre la plus cinglante critique de lconomie comportementale dans le domaine du dveloppement, lconomiste Sanjay G. Reddy met le doigt sur la faon dont cette qute de solutions empiriques, fondes sur des preuves,

    vide le dbat dun certain nombre de questions-cls. "Les grandes questions que posait autrefois la disci-pline, portant sur leffet dinstitutions conomiques et politiques alternatives (par exemple partage de proprit, commerce, politique agricole, industrielle et financire et rle des mcanismes de protection sociale)... ont t mises de ct en faveur de ques-tions telles les moustiquaires imbibes dinsecticide doivent-elles ou non tre distribues gratuitement?, ou bien deux enseignants en classe sont-ils beau-coup plus efficaces quun seul ?", crit-il.

    Le Dividende de Surveillance rduit la politique des bou-tons tourner, comme si la socit tait simplement un poste de radio quil fallait ajuster. Pire encore, lorsque la solution base sur linfor-

    mation est immdiatement disponible (ce qui sera le cas une fois tout numris et interconnect), cest quiconque cherchera une solution non-informa-tionnelle quincombera le fardeau davoir prouver pourquoi cette mthode rpute moins efficace est meilleure quun nouveau recours au Dividende de Surveillance.

    Et pourtant, une politique faite de dispositifs intelli-gents nest pas ncessairement une politique intelli-gente. Rcemment, le Wall Street Journal dcrivait des toilettes intelligentes capables de "se synchroni-ser avec les smartphones des utilisateurs... et passer leur musique prfre grce des haut-parleurs int-grs dans la cuvette". Il est notoirement facile de lui faire excuter des essais contrls randomiss pour voir si la musique rend heureux les utilisateurs et les orienter vers une alimentation plus saine aprs avoir analys leur production. Quun tel gadget puisse, en toute plausibilit, passer pour un instrument de politique contemporaine idal pour la cration dune pidmie de bien-tre atteste fort tristement du rtrcissement de notre imaginaire politique.

    30 juillet 2014Article paru dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung,

    Reproduit avec accord de l'auteur

    Le monde a beau tre d'une complexit vous rendre fou, il

    est aussi d'une simplicit fort embarrassante.

  • ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P17

    Au fil de la confrence...

    Retrouvez la confrence d'Evgeny Morozov et d'Emmanuel Daviden-koff en streaming grce au QR code ou l'URL courtehttp://huit.re/zYP1fFDe

    #eeduc14 : rcup des donnes ok, mais ne peut-on pas dcider de ce quon donne et quon puisse encore chercher mme si tout est prmch ?

    #eeduc14 : Morozoff : Il y a une idologie de la Silicon Valley, cest le solutionnisme.

    #eeduc14 : le numrique nous invite plus que jamais placer lhumain au centre.

    #eeduc14 : E.Morozov est en train de nous dire que nous sommes tous des digital laborers.

    http://huit.re/zYP1fFDe

  • Colloque international e-ducation

    P18 - ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    Les soires du colloque Pour les participants prsents lESENESR, les activits du colloque se sont tendues des propositions en soire, que nous vous prsentons au fil de ces actes numriques.

    13 octobre : BARCAMP

    Afin d'introduire le colloque avec une vritable occa-sion de rencontres, de confrontation des points de vue et d'veil des curiosits, un Barcamp, organis le lundi 13/10 en dbut de soire, a permis tous les prsents de commencer se familiariser avec les questions liant numrique, pdagogie et ducation/formation.

    Sous la direction de Christophe Batier, de luniversit de Lyon 1, plusieurs participants se sont ports volon-taires pour animer les 6 ateliers proposs :

    Les Moocs : opportunit ou danger ? Qui sont les nouveaux oprateurs de savoir ? Trouve-t-on du contenu acadmique sur Youtube ? Twitter pour apprendre, twitter pour enseigner ? Quelles ressources web pour les enseignants ? Qu'est-ce que la littratie numrique ?

    Suite des soires page 46

  • ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P19

    Retrouvez l'mission

    en mp3 :

    mission spciale dchafaudages, le magazine radio de lESENESR, avec :

    Divina Frau-Meigs,

    Emmanuel Davidenkoff,

    Simon Fau.

    Vers une cole numrique ?

    mission anime par Thierry Revelen.Rgie : Olivier Kappes.

    http://huit.re/ eeduc14_WR1

    http://huit.re/%0Aeeduc14_WR1http://huit.re/%0Aeeduc14_WR1

  • P20- ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    "De vrais espaces dinnovation rsident dans la construction de pratiques sociales et spatiales

    dans la mobilit, en utilisant le numrique, mais cest aussi l que rsident

    les risques dingalits et dexclusion."

    Docteure en gographie, qualifie en Sciences de lducation et en Sciences de linformation et de la communication, lisabeth Schnei-der est actuellement formatrice et charge de mission "pdagogie du numrique et des mdias" lESP de lacadmie de Caen. Elle poursuit des recherches sur les usages du numrique des adolescents et sur lcriture, en particulier dans le cadre de lANR Translit.

    DivinaFRAU MEIGS

    lisabethSCHNEIDER

    Savoir-devenir dans la socit du numrique :

    pertinence de la translittratie pour l'action et la formation

    De la socit de linformation la socit de la connaissance, de la ncessaire adaptation aux nouveaux outils lapparente matrise, quil sagisse des jeunes, des enseignants ou de lencadrement, les usages du numrique sont au cur des questions ducatives de ces dernires annes. Cependant, le dveloppement des usages du nu-mrique dans la socit a t lobjet de discours parfois performa-tifs quil fallait interroger pour permettre la rflexion et la dcision. Un certain nombre de travaux de recherche en sciences sociales et humaines se sont ainsi intresss lvolution des pratiques sociales et culturelles impliquant le numrique. Nous prsenterons les rsultats et les dmarches les plus rcents, fondant ainsi des propositions du ct de lingnierie professionnelle enseignante, des dcisions publiques et de la prise en compte des jeunes dans une perspective du dveloppement de leur pouvoir dagir.

    Dans un premier temps, en nous appuyant entre autres sur des enqutes ethnographiques, nous prciserons en quoi le mythe du digital native a vcu, tout en soulignant la ralit des ruptures dans les pratiques culturelles et les volutions dans les formes sociales impliquant les jeunes.

    Ces derniers utilisent les outils de communication numrique, ils produisent et font circuler informations, vidos, mais sont aussi crateurs de contenus. Lenqute mene (Schneider 2013) montre

    propos d' lisabeth

    Enseignante-Chercheure, Universit Paris 3 - experte auprs de lUNESCO - directrice scientifique du CLEMI - publie sur les ques-tions de diversit culturelle et dacculturation, ainsi que sur la formation en ligne, liden-tit numrique et la gouvernance dinternet. Autres recherches : la rgulation et lauto-r-gulation des mdias.

    propos de Divina

    Retrouvez l'interview de Divina en streaming grce au QR code ou l'URL courte http://huit.re/eeduc14_itwDFM

    Retrouvez l'interview d'lisabeth en streaming grce au QR code ou l'URL courte http://huit.re/eeduc14_

    itwES

    http://huit.re/eeduc14_itwDFMhttp://huit.re/eeduc14_itwDFMhttp://huit.re/eeduc14_itwEShttp://huit.re/eeduc14_itwES

  • Colloque international e-ducation

    ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P21

    en particulier que les usages sarticulent entre "hors" et "en ligne", entre support traditionnel comme le papier et numrique. Entre les diffrentes activits que les jeunes ont mener, de lcole au domicile, les outils du numrique peuvent ouvrir un possible pouvoir dagir. De vrais espaces dinnovation r-sident dans la construction de pratiques sociales et spatiales dans la mobilit, en utilisant le numrique, mais cest aussi l que rsident les risques dingali-ts et dexclusion.

    Comprendre les usages rels des jeunes, de la mater-nelle luniversit, et dans une perspective de for-mation tout au long de la vie, ncessite de passer de la prise en compte des pra-tiques des technologies de linformation des enjeux bien plus complexes : ceux de la translittratie, com-prise comme la convergence de lducation aux mdias, linformation et linformatique dans les cultures de linformation. Ce concept en chantier est au cur des travaux de lANR TRANSLIT, qui rassemble une quipe pluridisciplinaire sattachant la fois com-prendre les pratiques des jeunes lycens, lmer-gence de nouvelles comptences mais aussi dresser un tat des lieux des politiques europennes sur ces questions. Celui-ci inscrivant les perspectives traces dans un cadre international la hauteur des enjeux ducatifs, sociaux et conomiques (www.translit.fr).

    Nous prsenterons les premiers rsultats significa-tifs des travaux de lANR TRANSLIT, articuls autour de 3 axes : 1. les politiques publiques, 2. les retours de terrain, 3. les retombes pour laction et la forma-tion.

    1. Lanalyse des politiques publiques a rvl un certain nombre de tendances permettant dores et dj de poser un diagnostic en France et en Europe.

    Lducation aux mdias voit sa place conteste ct dautres "ducations ", mais senrichit de laugmen-tation numrique. La richesse des ressources et de lengagement associatif peut gnrer un trompe-lil prjudiciable une mise en uvre efficiente. Cest aussi la question de lvaluation que nous sou-lverons (Frau-Meigs et al, 2014).

    2. Les premiers rsultats des enqutes de terrain permettent de dgager des tendances essen-tielles pour des responsables ducatifs.

    2.1. En milieu scolaire

    Il se confirme lexistence dune translittratie en mergence dans la mesure o les jeunes rigent le numrique comme cadre de rfrence tandis que les enseignants lutilisent dans le discours daccompagnement ;

    lorganisation des activits est en hybridation (en ligne/hors ligne, papier/numrique) et dpend des situations;

    le sentiment dexpertise est trs prsent et se produit de manire "rpartie", selon les tches,

    entre apprenants ; les outils nu-mriques utiliss va-rient normment, et diffrent selon lusage formel et non formel (en liaison partielle aux contraintes de linstitu-tion) ;

    les observations en contexte de projet montrent que les comptences se transforment largement dans le cadre du groupe ;

    la distribution des comptences et de la connais-sance dans le cadre du groupe sobserve autour de trois axes : la collecte de linformation, lcri-ture et la synthse, la communication ;

    les modalits de travail observes montrent que la fracture la plus large est celle qui spare la culture scolaire des pratiques culturelles indivi-duelles, particulirement dans les modes de re-prsentation et de lgitimation de linformation.

    2.2. En milieu informel

    Les tensions existent en matire de crativit, entre "le faire en crant" et "le faire en imitant" qui refltent, mme dans les terrains informels, un difficile "lcher prise" des modles mim-tiques plus traditionnels ;

    les distinctions se manifestent entre les comp-tences opratoires et les comptences d'dito-rialisation, celles envisageables en ligne tant sous-utilises mais trs prgnantes (injonction).

    3. De lensemble des travaux prsents, nous pourrons dgager quelques pistes.

    3.1. La ncessit dune mdiation pdagogique

    Cest dans la mdiation entre le non scolaire et le travail scolaire que des usages translittraciques

    (...) ceux de la translittratie, com-prise comme la convergence de

    lducation aux mdias, linformation et linformatique dans les cultures de linformation.

    www.translit.fr

  • Colloque international e-ducation

    P22 - ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    semblent pouvoir se mettre en place de faon effi-cace. Cette mdiation repose sur lexistence de dis-positifs qui comprennent des conditions minimales dapprentissage : un projet explicit, des consignes, la leve de blocages techniques ventuels, laccom-pagnement par des ensei-gnants qui eux-mmes sont mobiliss sur les questions de littratie et pas seule-ment sur les contenus de programmes. La proposition de formats de connaissances permet la mise en place de conditions communication-nelles et fournit un cadre facilitant lmergence de comptences translittraciques et dune grammaire des usages. Ainsi, trois facteurs dintgration appa-raissent associs aux scnarios translittraciques : les stratgies individuelles et collectives, les comp-tences instrumentales mises en place autour doutils et de dispositifs et laccompagnement pdagogique propos.

    3.2. Lenjeu de la translittratie est bien un "savoir-devenir"Il sagit de dvelopper la capacit projective des apprenants, qui sapproprient le potentiel informa-

    tionnel des environnements distribus mis leur disposition, par le biais de la translittratie et la ma-trise des cultures de linformation (Frau-Meigs 2013). Cest un pilier qui sajoute aux 4 piliers de lducation du rapport Delors (1996) : apprendre connatre,

    apprendre faire, apprendre vivre ensemble, apprendre tre. Dans ces usages auxquels il faudra former les jeunes, ces derniers sengagent dans des processus de mdiation de soi, de modlisation ludique et de prise de dcision, dveloppant ainsi leur pouvoir dagir.

    3.3. Les politiques publiques doivent voluer en coh-renceIl sagit de mettre en phase lvaluation et le finan-cement, soulevant en cela la question essentielle du rle des acteurs de ldition/publication/documenta-tion, dans le secteur public, priv et associatif.

    Cest dans la mdiation entre le non scolaire et le travail scolaire

    que des usages translittraciques semblent pouvoir se mettre en

    place de faon efficace.

  • ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P23

    Au fil de la confrence...

    #eeduc14 : linstitution est contraignante et n'autorise pas toujours le passage de l'cole au hors l'cole.

    #eeduc14 : c'est dans le collaboratif que les comptences augmentent.

    Retrouvez la confrence de Divina Frau-Meigs et d'lisabeth Schnei-der en streaming grce au QR code ou l'URL courtehttp://huit.re/q9oWelm8

    #eeduc14 : digital na-tive dsigne un tre qui n'existe pas, pur mythe, ados agacs qu'on les nomme ainsi.

    #eeduc14 : ce qui est sr par contre cest que nous sommes des digital migrants.

    #eeduc14 : les univers information-nels des ados com-portent toujours l'crit sous sa forme traditionnelle ...

    #eeduc14 : translittratie : ducation aux mdias / l'information / l'informatique. Culture de l'info. Pas du numrique : trop ax sur outils.

    #eeduc14 : la translittratie est une convergence, hybridation et appropriation de tous actes ou systme d'crit ?

    #eeduc14 : ncessit d'une mdia-tion pdagogique entre le non-scolaire et le travail scolaire.

    #eeduc14 : digital natives qui sont "digital naves" sont prsent l'ESPE : fort besoin de formation sur intrts pdago-gie du numrique.

    #eeduc14 : distribution des com-ptences : collecter, crire, synthtiser, communiquer.

    #eeduc14 : il faut des enseignants qui accom-pagnent - mobiliser sur la notion de littratie, mdiation pdagogique.

    #eeduc14 : le numrique en France ou le syndrome du bonza : crotre et prosprer dans la contrainte.

    #eeduc14 : belle rflexion #eeduc14 commence avec cette phrase "c'est avec la recherche qu'on ne cde pas la panique et au sentiment de dshrence".

    http://huit.re/q9oWelm8

  • P24- ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    Ghislaine Azmard est professeur des universits en SIC (sciences de l'information et de la communica-tion) lUniversit Paris 8.

    Titulaire de la Chaire Unesco Unitwin (FMSH/UP8) Innovation, Transmis-sion et dition Numriques, elle est spcialiste des innovations dusage dans le secteur numrique et des nouvelles formes dditorialisation.

    Elle dirige le programme Idfi Cra-TIC qui propose aux tudiants des modules de formation et dexpri-mentation transdisciplinaires dans le cadre dun MdiaLab.

    Elle dirige la collection douvrages scientifiques hybrides "100 notions" aux ditions de lImmatriel.

    propos de Ghislaine

    GhislaineAZMARD

    "Sil est aujourdhui admis que certaines formes dintelligence

    sont programmables et rendent les machines productives de

    manire quasi-autonome, lmotion reste lattribut humain

    le plus difficile modliser, virtualiser et synthtiser."

    En posant cette question, ce sont les limites de la mdiation num-rique que lon interroge. Sil est aujourdhui admis que certaines formes dintelligence sont programmables et rendent les machines productives de manire quasi-autonome, lmotion reste lattribut humain le plus difficile modliser, virtualiser et synthtiser.

    Mme si la notion dmotion artificielle cherche encore ses ancrages thoriques et exprimentaux, on peut considrer que lenvironne-ment technologique a un impact important sur les comportements, les humeurs, les sensations et motions des individus. La mdia-tion homme-machine concurrence fortement la mdiation humaine traditionnelle dans les rapports amicaux, ludiques, pdagogiques ou encore dans les pratiques artistiques ou les activits profes-sionnelles. Lespace de vie, dapprentissage, daction et de relation devient, et cela encore bien davantage pour les "digital natives", un espace hybride qui se nourrit la fois dun certain dcollement de la ralit et paradoxalement aussi dune rinscription territoriale indite par la golocalisation des donnes personnelles. Cest un espace hybride o les informations apportes par la ralit sont augmentes par celles provenant de limmersion dans un univers immatriel, proposes par les ressources informationnelles mas-sives disponibles sur internet. Par ailleurs, la dominance des inte-ractions exclusivement et directement humaines est remplace par un va-et-vient entre les interactions humaines et celles assistes par ordinateurs, ou par des machines et objets communicants.

    prouver et exprimer des motions dans lunivers numrique d-pend en grande partie de linterface homme-machine. Quil sagisse dun cran de cinma, de tlvision, dordinateur ou des objets communicants, les interfaces numriques oprent de manires

    L'motion est-elle compatible avec

    le numrique ?

    Retrouvez l'interview de Ghislaine en strea-ming grce au QR code ou l'URL courte http://huit.re/ee-duc14_itwGA

    http://huit.re/eeduc14_itwGAhttp://huit.re/eeduc14_itwGA

  • Colloque international e-ducation

    ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P25

    radicalement diffrentes pour provoquer des mo-tions et des ractions. Dans le cadre des mdias tra-ditionnels, cest le phnomne de la projection qui domine, alors que pour les objets communicants cest la dimension de linteraction qui est centrale. Le phnomne de la projection a t longuement ana-lys par les chercheurs et on sait aujourdhui quel point des rcits mouvants sont susceptibles de pro-voquer chez lindividu de lempathie pour des per-sonnages de fiction. Les jeux vido, eux aussi, sont le thtre dengouements qui gnrent des motions telle-ment intenses quelles peuvent provoquer laddiction.

    Limmersion dans un univers virtuel peut avoir des vertus thrapeutiques pour lindividu, lui permettre dapprendre contrler certaines motions, le gurir de phobies. La ma-chine prend toute sa valeur en ce quelle limite les motions ngatives provoques par le regard dautrui, ses ju-gements de valeur ou ses injonctions directes. Les applications numriques cherchent aussi susciter des motions positives pour faciliter lapprentissage. Dans les pratiques de transmission et de quantified self, la mdiation numrique devient un outil den-tranement en soi, pour soi, indpendamment mme de tout avatar.

    Lavatar est considr par certains comme un support projectif, en particulier pour les enfants et dans le cadre de lapprentissage ; ce serait laccompagnant idal, le doudou numrique qui stimule et rconforte. Dans cet esprit, et suivant un implicite thorique so-cio-constructiviste, de nombreux programmes pro-posent des plateformes dont lavatar est la pierre an-gulaire du dispositif. Mdiateur projectif et incitatif, on cherche linscrire dans un dialogue motionnel

    avec lutilisateur travers des comportements-r-ponses construits partir des codifications verbales et non verbales des motions.

    Si la relation motionnelle homme-machine est uni-latrale, le numrique peut tre un medium perti-nent pour communiquer et partager des motions entre tres humains. Lorsque le dbit ne permettait pas dutiliser le son ou la vido dans les conversa-tions instantanes, pour reproduire au plus prs la

    communication interper-sonnelle prsentielle et sa charge dmotion sur Inter-net, les codes motionnels ont t adapts ce nou-veau mdia avec les smileys et autres moticnes qui ponctuaient et continuent illustrer les communica-tions crites succinctes.

    La crativit des pionniers et celle des usagers sont au rendez-vous des rali-

    sations, des services et uvres numriques. Elles optimisent chacun des mdias, elles travaillent leur pertinence et leur impact conjugu. Elles inventent de nouvelles critures crossmdia, elles scnarisent ce nouvel espace hybride. Elles le contextualisent pour augmenter le rapport la ralit, la plus triviale comme la plus artistique. La complmentarit Arts, Sciences et Technologies est luvre dans tous les secteurs de lactivit humaine.

    Cest au cur de ces nouvelles configurations technologiques et symboliques que lindividu rin-vente ses relations interpersonnelles et les motions quelles lui procurent, quil cultive son imaginaire pour crer et participer un monde que nous ne qua-lifierons pas de posthumaniste ou transhumaniste mais qui devra trouver le chemin dun nouvel huma-nisme numrique.

    Si la relation motionnelle homme-machine

    est unilatrale, le numrique peut tre un

    medium pertinent pour communiquer et partager des motions entre tres

    humains.

  • Colloque international e-ducation

    P26 - ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    La confrence de Ghislaine Azmard s'est tenue conjointement avec Patrick Treguer, responsable du "Lieu Multiple" Poitiers (86).

  • ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P27

    Au fil de la confrence...

    #eeduc14 : raliser la quantification du lexique de lmotion.

    #eeduc14 : prsentation du blog de veille du Mas-ter cration et dition.

    #eeduc14 : les motions en monde virtuel et en simulation mdicale.

    #eeduc14 : capacit infrer lmotion des autres partir d'indices.

    #eeduc14 : motion associe l'humeur mais aussi la motivation, essentiel.

    #eeduc14 : le like (aimer) c'est dj une motion

    #eeduc14 :

    c'est l'e.motion ? :-)

    Retrouvez la confrence de Ghis-laine Azmard et de Patrick Treguer en streaming grce au QR code ou l'URL courtehttp://huit.re/WzXzcqvh

    http://huit.re/WzXzcqvh

  • Colloque international e-ducation

    P28 - ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    TmoignagesTout au long des trois journes du colloque, les participants prsents sur le site de lESENESR ont pu rencon-trer des acteurs du numrique ducatif venus prsenter leurs expriences.

    Des temps spcifiques ont t amnags dans le programme avec une organisation en squences courtes de nature favoriser les changes avec les participants.

    Le format recommand pour les prsentations tait celui du Pecha Kucha 20x20 Pour en savoir plus : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pecha_Kucha ou QR code :

    Nous remercions encore lensemble des acteurs venus partager leur exprience du numrique en pdagogie :

    Lquipe des enseignants et des lves du lyce pilote innovant international (LP2I) du Futuroscope :

    Hlne Paumier Numrique et mdia - exemple de la radio scolaire Pdagogie de projet et webfolio

    Xavier Garnier : Living School Lab Antoine Coutelle : Usages du numrique dans les disciplines Pierric Bergeron : Retour sur 25 ans de numrique ducatif Jol Coutable : Living Cloud, ou fonctionnement dun lyce tout numrique

    Suite page 34

    Mthodologie, dcoupage et cahier des charges des interventions

    Squences dployes sur 1h15 (75 minutes) - pour chaque squence, possibilit de participer deux tmoignages successifs sur 30 minutes (avec des intervalles de 5 minutes pour les dplacements) ;

    pour chaque atelier, prsentation de 10 minutes (15 maximum), suivie de 20 minutes dchanges avec le public .

    Au fil du colloque

    http://www.lp2i-poitiers.fr/

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Pecha_Kuchahttp://www.lp2i- poitiers.fr/http://www.lp2i- poitiers.fr/

  • Colloque international e-ducation

    ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P29

    Mercredi 15 octobre 2014 Apprentissages et numrique

    Cette deuxime journe tait place au cur de la problmatique des apprentissages, sous le double signe de la science et de la pratique.

    La science et lexprimentation dabord, avec lintervention dElena Pasquinelli, universitaire et auteur, membre de la fondation La main la pte, et de Franois Villemonteix, universitaire, traitant de limpact du numrique sur les apprentissages travers divers travaux de recherche.

    La pratique ensuite, avec une analyse croise sur la mise en pratique du numrique lcole, par Eddie Playfair, principal de NewVIc Newham 6th form College, Londres, et Rmi Thibert, de lIF, ainsi qu'une rflexion sur les interactions entre pdagogie et numrique.

    Cette journe sest conclue par une intervention dAntonine Goumi, matre de confrences, qui a pu apporter des rponses la question sensible des transformations de lcriture numrique.

    Retrouvez linterview de F. Villemonteixen streaming grce au QR code ou l'URL courte

    http://huit.re/eeduc14_itwFV

    Jour

    ne

    2

  • P30- ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    Membre associ de l'Institut Nicod (Centre national de la recherche scientifique - CNRS, cole des hautes tudes en sciences sociales - EHESS, cole normale suprieure - ENS). Membre de la Fondation "La main la pte" pour l ducation la science. Auteur de "Lillusion de ra-lit", ditions Vrin, 2013.

    propos d' Elena

    Elena PASQUINELLIPour un usage raisonn

    des technologies numriques

    Pour bien utiliser les technologies numriques, de faon intel-ligente et sage, dans un contexte de recherche comme dans un contexte pdagogique, il ne suffit pas de mieux comprendre les technologies. Il faut aussi dvelopper une comprhension plus ap-profondie de notre cerveau et de ses fonctions ses possibilits et limites. Les sciences cognitives ont par consquent un rle jouer dans lide dusage raisonn des technologies numriques.

    Quest-ce quun usage raisonn des technolo-gies numriques ?

    La diffusion progressive des technologies numriques, qui int-resse tous les ges de la vie, pntre tous les moments et les lieux du quotidien, suscite de nombreuses interrogations, ainsi ques-poirs, craintes, et parfois mythes. Au sein de la communaut pda-gogique, ce questionnement a souvent pour objet lusage raisonn de ces technologies.

    Dun ct, lide dusage raisonn renvoie celle dusage intelli-gent, efficace : il sagit dapprendre utiliser les nouvelles tech-nologies pour en ti rer un maximum davantages, de la simplifica-tion des tches communes de la vie quotidienne la monte en puissance des instruments pour la recherche et le travail. Mme dans des domaines basse technologie comme la philosophie, ou lducation, laccs facilit aux sources transforme la pratique et les contenus de la recherche : il est dsormais possible daccder dnormes quantits de donnes, mais aussi des synthses de ces mmes donnes les mta-analyses, de vrais outils de recherche secondaire. Ce rle des technologies est certes plus vident lorsque

    "Si les limites ne sont plus imposes par lespace

    et par le temps, elles le sont par notre nature : limites dattention, dintgration des connaissances

    dans lespace mental, de pense."

    Retrouvez l'inter-view d'Elena en streaming grce au QR code ou l'URL courte http://huit.re/ee-duc14_itwEP

    http://huit.re/eeduc14_itwEPhttp://huit.re/eeduc14_itwEP

  • Colloque international e-ducation

    ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P31

    lon se tourne vers dautres domaines de recherche, tels la physique des particules. Le world wide web nat au CERN pour faciliter les changes de donnes entre physiciens des particules disperss aux quatre coins de la plante (le CERN est cependant, en mme temps, un lieu physique, sige dun appareillage tech-nologique mastodontique pour dtecter des parti-cules qui ne "vivent" qu trs grandes nergies et o ces mmes chercheurs se donnent rendez-vous).

    Dun autre ct, lide dusage raisonn renvoie celle de sagesse dans lutilisation. Bien que dnormes quantits din-formation soient la por-te de quelques frappes sur un clavier, personne ne peut esprer exploiter toute cette connaissance. Si les limites ne sont plus imposes par lespace et par le temps, elles le sont par notre nature : limites dattention, dintgration des connaissances dans lespace mental, de pense. Il est donc ncessaire de comprendre ce quon peut faire avec les technolo-gies, non pas en vertu de leurs caractristiques, mais des ntres : dvelopper une comprhension plus ap-profondie de notre cerveau et de ses fonctions, de ses possibilits et limites.

    Les sciences cognitives ont un rle jouer dans lide dusage raisonn des technologies numriques.

    Un projet pdagogiqueEn 2013, la fondation "La main la pte" a produit un ouvrage, fruit de plus de 2 ans de rflexion et de mise lpreuve dans les classes. "Les crans, le cerveau et lenfant" sadresse en particulier aux lves des cycles 2 et 3, et a pour but de les ame-ner rflchir lusage des crans et leurs effets. Ceci partir dun point de vue qui nest pas celui de la technologie, mais celui des sciences de la cognition et du cerveau. Quest-ce qui se passe lorsque notre attention est focalise sur une tche particulire, ou quand nous cherchons prter attention plusieurs choses en mme temps ? Quest-ce qui influence notre perception du temps qui passe ? Et nos mo-tions ? Comment reconnaissons-nous les motions sur le visage des autres, comment surgissent-elles en nous ? Dans quelles conditions percevons-nous des images statiques comme tant en mouvement, com-ment donnons-nous une signification ces mmes images et aux sons qui les accompagnent ?

    Accompagns par leurs enseignants, les enfants sont amens explorer ces questions, mettre en place des expriences, des observations "de terrain". Ils dveloppent ainsi une meilleure comprhension de certains aspects de fonctions cognitives telles que la perception, lattention, la mmoire, les motions, la communication, Cest ce moment que lensei-gnant leur demande de faire un petit pas en arrire, de rflchir aux usages et aux effets des crans.

    Par exemple, partir de la nouvelle comprhension quils viennent dacqurir sur les limites de latten-

    tion, ils vont rflchir la difficult de faire plusieurs choses en mme temps. Aprs avoir travaill sur la perception du temps, et sur la difficult destimer cor-rectement le temps pass faire quelque chose, ils

    vont transposer la comprhension nouvellement ac-quise au cas des crans.

    La comprhension "scientifique" des phnomnes cognitifs cre ainsi les conditions pour un usage des crans plus raisonn, rflchi. Cette comprhension peut aussi tre transmise de lcole la maison. Dans le cadre du projet "Les crans, le cerveau et len-fant", il est propos aux enseignants de faire raliser aux enfants des expositions, des dmonstrations pu-bliques, pour permettre douvrir le dialogue autour de lusage des crans au-del de lcole en direction des familles.

    Quelle recherche pour devancer les innovations ?

    La recherche en sciences cognitives est susceptible de contribuer de plusieurs manires un usage rai-sonn des crans. Si la recherche empirique rigoureu-sement conduite permet dtablir leffet des crans sur des fonctions telles que lattention, la mmoire, ou limpact des crans sur les comportements addic-tifs, violents, elle ne nous claire pas sur les causes des effets observs. Cest plutt la recherche fonda-mentale qui, en ouvrant une fentre sur les possibili-ts et les limites de notre cerveau, permet dmettre des prvisions et de gnraliser les effets des nou-velles technologies sur la cognition. Il est donc cru-cial que les deux lignes de recherche soient poursui-vies de manire intgre si lon souhaite devancer les innovations plutt que den valuer les effets aprs coup.

    La comprhension "scientifique" des phnomnes cognitifs cre

    ainsi les conditions pour un usage des crans plus raisonn, rflchi.

  • Colloque international e-ducation

    P32 - ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    Une question qui, titre dexemple, mrite dtre en-visage partir de cette double dmarche, concerne les raisons pour lesquelles nous nous sentons atti-rs par certains usages du numrique : jeux vido, rseaux sociaux, shopping sur Internet Quest-ce qui les rend tellement sduisants au point de craindre den abuser ? Lesquelles de leurs compo-santes peuvent-elle tre utilement rinvesties pour imaginer des situations ducatives motivantes, enga-geantes ? Nous savons que notre cerveau a un "got naturel" pour les stimuli perceptifs, les surprises, les qutes, la recherche des causes, mais aussi pour la socia-lisation, le gossip, les motions, les rcom-penses Ces ingr-dients, prsents de faon variable dans les jeux vido, et notamment dans ceux en ligne, pour multiples joueurs, excitent dans notre cerveau des rponses automatiques, difficiles contrler car ils stimulent des prfrences et des ractions profond-ment enracines dans notre nature. Dans cette pers-pective, qui prend inspiration de la thorie de lvo-lution pour mieux comprendre le fonctionnement de la cognition, les nouvelles technologies nont pas besoin de changer notre cerveau pour nous plaire, mais sont faites pour activer un certain nombre de "boutons darwiniens". Raison pour laquelle il peut tre difficile, sans recourir de bonnes stratgies, de rsister certains abus. Mais raison aussi pour ex-ploiter la puissance de ces mmes ingrdients des fins pdagogiques.

    Natifs du numrique ?

    Promouvoir un usage raisonn des technologies numriques signifie aussi valuer correctement la comprhension que diffrents types dutilisateurs en ont. Souvent, on considre a priori les jeunes uti-lisateurs comme tant "naturellement" comptents (en tant que "natifs du numrique"). On peut aussi se mprendre sur la matrise pratique de certains

    usages (les bbs qui savent faire tourner les pages dune tablette numrique) ou la fami-liarit avec le march (le fait que les adolescents ont des connaissances plus tendues que les enfants et les adultes concernant les nou-veauts commerciales et leurs applications)

    pour une forme authentique de littratie numrique. Pourtant nous savons, grce des recherches en sciences cognitives, que le fait de savoir faire fonc-tionner un certain dispositif ne se traduit pas en une comprhension profonde des mcanismes impliqus, et que la facilit dusage peut provoquer lillusion de comprendre ces mmes mcanismes.

    Si on considre quelle doit faire partie du bagage culturel de la "gnration numrique", la littratie numrique doit donc tre activement promue, grce notamment lenseignement de linformatique en tant que science.

    (...) Nous savons, grce des re-cherches en sciences cognitives, que le fait de savoir faire fonctionner un

    certain dispositif ne se traduit pas en une comprhension profonde des

    mcanismes impliqus.

    Rfrences

    Acadmie des sciences. Lenfant et les crans, Le Pommier, Paris, 2013. British Library, UCL, JISC : Information Behavior of the researcher of the future, 2007. Pasquinelli, E., Zimmermann, G., Bernard-Delorme, A., Descamps-Latscha, B. Les crans, le cerveau et lenfant. Le Pommier, Paris, 2013. Pinker, S. Comprendre la nature humaine, Odile Jacob, Paris, 2005.

  • ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P33

    Au fil de la confrence...

    #eeduc14 : qu'est-ce qu'un usage raisonn des technologies ? Quels impacts sur les enfants ?

    #eeduc14 : usage raisonn du numrique = usage intelligent ? Mais comment dfinir cette intelligence ?

    #eeduc14 : on gagne un sens de culpabilit car contraintes d'laboration de l'info.

    #eeduc14 : question de l'criture prdictive (clavier automatique) chez les lves du premier degr. Une contrainte, erreurs non matrises.

    #eeduc14 : en quoi la tablette constitue une ressource ou une contrainte dans l'activit d'apprentissage ?

    #eeduc14 : tmoignages d'expriences d'utilisa-tion du numrique en pdagogie : mon support de prsentation ici :

    http://fr.slideshare.net/Laujuin/colloque-eedu-cation-eeduc14?qid=ac24d015-95c5-4c72-ac77-41160af45abc&v=qf1&b=en orthographe ?

    #eeduc14 : pour un usage rflchi des neurosciences en pdagogie.

    #eeduc14 : le cerveau a des limites que ne connat pas l'ensemble des informa-tions sur Internet.

    #eeduc14 : tea-ching machines ds 1954.

    #eeduc14 : usage intelligent l'cole = permettre la rp-tition, simplification des tches, aide pour les lves dys.

    Retrouvez la confrence d'Elena Pas-quinelli et de Franois Villemonteix en streaming grce au QR code ou l'URL courtehttp://huit.re/0W6Pq7lp

    http://huit.re/0W6Pq7lp

  • Colloque international e-ducation

    P34 - ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    Tmoignages

    DES COULISSES DUN MOOC LA SALLE DE CLASSE

    Stphanie DelpeyrouxBlog : http://laprofdunet.com/

    Mooc GDP 2015 : http://mooc.gestiondeprojet.pm/ou QR Code

    PROJET ITECStphane Lebaronhttp://www.cndp.fr/itec/ ou QR Code

    CONFORT ET DOMOTIQUE / VIRTUAL TEACHJacqueline Bonnard

    Retrouvez le support de sa prsentation en lignehttp://huit.re/r13rEVqjou QR Code

    Au fil du colloqueprsentation des tmoins

    (suite de la page 28)

    Suite page 56

    http://laprofdunet.com/http://mooc.gestiondeprojet.pm/ http://www.cndp.fr/itec/qui-sommes-nous/ http://huit.re/r13rEVqj

  • ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P35

    Retrouvez l'mission

    en mp3 :

    mission spciale dchafaudages, le magazine radio de lESENESR,

    avec :

    Elena Pasquinelli,

    Antonine Goumi,

    Jean-Michel Perron.

    Le numrique, une nouvelle faon

    d'apprendre

    mission anime par Olivier Dulac.

    Rgie : Ccile Pires et Olivier Kappes.http://huit.re/eeduc14_WR2

    http://huit.re/eeduc14_WR2http://huit.re/eeduc14_WR2

  • P36- ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014

    Enseignant de lettres-anglais en lyce professionnel, il a pass 15 ans dans la banlieue lyonnaise avant de rejoindre lInstitut fran-ais de lducation (IF) en tant que charg dtudes au service Veille & Analyses.

    Il sest aussi spcialis sur les questions du numrique lcole avec notamment la pu-blication du dossier dactualit intitul "Pdagogique + Num-rique = Apprentissages 2.0", en novembre 2012.

    propos de Rmi

    RmiTHIBERT

    Le numrique l'cole pour donner du pouvoir d'agir

    "La question de la pertinence des usages pdagogiques numriques

    est essentielle, au mme titre que dautres innovations

    ou pdagogies."

    Retrouvez l'inter-view de Rmi en streaming grce au QR code ou l'URL courte http://huit.re/eeduc14_itwRT

    Quels usages numriques les enseignants ont-ils dans le cadre de leur travail ? Comment les lves semparent-ils du numrique lcole ? Le numrique nest pas en soi porteur de transformations pdagogiques, mais pour quil puisse tre utilis de manire perti-nente dans le cadre de lenseignement/apprentissage, des change-ments de regard, de posture, de paradigme savrent ncessaires.

    Notre rapport au savoir est modifi par la pntration des usages numriques dans nos vies quotidiennes : tout est la porte de notre doigt, pour reprendre limage de Michel Serres avec Petite Poucette. Ce sont consquemment non seulement les rapports entre les enseignants et les lves qui sont bousculs, mais aussi le rapport entre le savoir et les individus.

    De nouvelles faons dapprendre, plus rticulaires, se font jour, que lamnagement de nouveaux lieux (classes, CDI, etc.) peut favori-ser. Mais alors, comment mesurer les effets du numrique sur les apprentissages? Srement pas en gardant les mmes grilles dana-lyse. Dautres critres sont formaliser, qui relvent notamment de comptences plus transversales, pour mesurer les changements qui sont dj en train de soprer.

    Des freins objectifs lutilisation du numrique en classe existent, qui peuvent relever de lorganisation scolaire, des locaux ou encore du matriel. Dautres raisons expliquent ces freins aussi : pour que lalchimie prenne, la technologie doit tre adapte aux pratiques des lves, des enseignants et aux habitudes de travail prexis-tantes. Si le numrique peut faire voluer la culture professionnelle dans le monde de lducation, cela ne peut pas se faire contre cette

    http://huit.re/eeduc14_itwRThttp://huit.re/eeduc14_itwRT

  • ESENESR, Colloque international e-ducation, 2014 - P37

    Au fil de la confrence...

    mme culture. La question de la pertinence des usages pdagogiques numriques est essentielle, au mme titre que dautres innovations ou pda-gogies.

    Mais ce nest pas seulement la pdagogie qui est interroge par le numrique. Les usages numriques sont fonction aussi (et surtout ?) de la faon dont

    les tablissements, sur un plan plus collectif, intgrent cette dimension dans leur quotidien : dans le projet dtablissement, dans les curricula, dans la