Les Affinites Selectives Alliance Guerre Et Predation Das Lensemble Jivaro

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  • 7/28/2019 Les Affinites Selectives Alliance Guerre Et Predation Das Lensemble Jivaro

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    Philippe Descola

    Les Affinits slectives Alliance, guerre et prdation dans

    l'ensemble jivaroIn: L'Homme, 1993, tome 33 n126-128. pp. 171-190.

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    Descola Philippe. Les Affinits slectives Alliance, guerre et prdation dans l'ensemble jivaro. In: L'Homme, 1993, tome 33n126-128. pp. 171-190.

    doi : 10.3406/hom.1993.369635

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1993_num_33_126_369635

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_hom_5154http://dx.doi.org/10.3406/hom.1993.369635http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1993_num_33_126_369635http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1993_num_33_126_369635http://dx.doi.org/10.3406/hom.1993.369635http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_hom_5154
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    Philippe Descola

    Les Affinits slectivesAlliance, guerre et prdation dans l'ensemble jivaro

    Philippe Descola, Les Affinits slectives. Alliance, guerre et prdation dansl'ensemble jivaro. Beaucoup d'tudes consacres la guerre amazonienne l'envisagent du point de vue de sa fonction suppose ou de son rle dans les systmes cosmologiques, sans prendre en compte les armatures sociologiques qui l'organisent. L'analysede la guerre jivaro montre que celle-ci met en scne diffrentes modalits de la relationd'affinit selon un continuum du proche au lointain : affinit relle des protagonistesde la vendetta, affinit potentielle des ennemis tribaux, affinit idale des pourvoyeursde ttes rduites. Substitue la chasse aux ttes dans certaines tribus, une exofiliationmystique rtablit pourtant la consanguinit comme valeur dominante et signale l'instabilitstructurale du modle dravidien et sa capacit accommoder les alas historiques.Dans e rpertoire des tudes amazoniennes, la rubrique de la guerreest sans doute l'une des plus fournies : de Vespucci jusqu' nos jours,elle n'a cess d'exercer une fascination ambigu sur des observateursle plus souvent drouts par son intensit, son apparente absence de motifset les rituels macabres qui l'accompagnent ordinairement. ce scandale logique,voire moral, il fallait tout prix une explication rationnelle que l'anthropologieoderne a principalement cherche dans des fonctions occultes. Dispositifdaptatif aux contraintes de l'environnement pour l'cologie culturelle1,subtil mcanisme anti-tatique d'aprs P. Clastres (1977), ou instrument de capitalisation du patrimoine gntique selon la sociobiologie (Chagnon 1988), laguerre amazonienne n'est admissible que si elle sert quelque fin. Ce fonctionnalisme bstin a dj t signal (Menget 1985), mais il importe de soulignerses nfastes consquences. En assignant une cause unique l'institutionnalisatione la violence, on vite gnralement de considrer la variabilit de sesmanifestations empiriques : interprter et comparer les modalits particuliresdes affrontements arms dans te l ou tel contexte ethnographique se rvle parfaitement inutile une fois isole la fonction qu'ils remplissent. La cause primant les effets, toutes les formes de confrontation collective seront ds lorsrductibles une catgorie gnrique de comportement dnomme guerre ,L'Homme 126-128, avr.-dc. 1993, XXXIII (2-4), pp. 171-190.

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    172 PHILIPPE DESCOLAtirant son unit factice de la gnralit suppose du facteur qui l'engendre, quecelui-ci rside dans la nature humaine, le socius primitif ou l'environnementnaturel. Sans doute satisfaisante pour les esprits pris de finalisme, cette solution ne l'est pas pour ceux qui accordent encore quelque crdit l'ethnologie.Plutt que d'apprhender la guerre amrindienne comme une classe homogne e phnomnes assujettie une dtermination gnrale, on prfrera voiren elle une manifestation spcifique de certains types de rapports sociaux travers lesquels l'identit, les frontires ethniques et les positions statutaires sontconstamment ngocies et reproduites. La cause, les motifs ou les rsultats dela guerre sont moins significatifs que la manire dont elle dcoupe et diffrencie un champ social en paquets de relations distinctives dont l'analyse permet ds lors de cartographier des degrs d'altrit et d'tablir les limites aussibien que les recoupements de rseaux d'change intertribaux et de systmes politiques rgionaux. Une telle position n'est pas nouvelle, mme si son audienceest demeure limite. Lvi-Strauss la suggre ds 1943, lorsqu'il avance queles conflits guerriers et les changes conomiques constituent, en Amrique duSud, deux aspects opposs et indissolubles d'un mme processus social. Elleest aussi au fondement des analyses dveloppes par des chercheurs qui entretiennent avec le structuralisme une vidente affinit2. Considrer la guerrecomme une variante particulire d'un systme de rapports sociaux entrane toutefois deux exigences de mthode : rendre intelligible la logique imposant unrgime d'hostilit un type spcifique de relations, et tablir les conditionsauxquelles le systme doit rpondre pour que ces relations se transforment. C'estce que je me propose de faire ici, travers l'tude de la guerre jivaro.Dialectique de l'affinit

    Les Jivaro constituent sans doute le plus grand ensemble culturellement homogne 'Amrindiens subsistant dans la fort amazonienne : environ 70 000 personnes, rparties sur un territoire continu peu prs quivalent la superficiedu Portugal. Bien que prsentant toutes les apparences d'une identit immdiatementistinctive, ils sont eux-mmes peu enclins se concevoir collectivementsous les espces d'une totalit ethnique : ici, comme dans d'autres cas similaires en Amazonie, une topologie sociale fonde sur l'embotement partird'Ego de sphres concentriques d'altrit croissante concourt oblitrer unevidente unit linguistique et culturelle au profit d'une affirmation ttue de particularismes en perptuel engendrement. Le rejet du nom mme de Jivaro pardes organisations indignes pourtant soucieuses de promouvoir la solidarit ethnique est un symptme de cette fragmentation identitaire. Il est vrai que leterme est d'origine espagnole, et que ses connotations en Equateur et au Prouont longtemps t pjoratives ; il est pourtant le seul pouvoir transcenderla myriade de dnominations que chaque groupe local applique soi-mmeet ses proches voisins, et c'est dans ce sens que je l'emploierai ici3. Certes,

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    Les Affinits slectives 173les ethnologues et les linguistes distinguent ordinairement quatre grands groupesau sein de l'ensemble jivaro : les Shuar (Equateur), les Achuar (Equateur etProu), les Aguaruna et les Huambisa (Prou). Fonde sur des variations plusou moins accentues dans les dialectes, les niches cologiques, la culturematrielle, la division du travail, les systmes symboliques, les terminologiesde parent et les formules d'alliance de mariage, cette typologie empirique estle fruit d'une convention entre savants, que les militants des fdrations jivaroont d'ailleurs eux-mmes reprise leur compte pour sa commodit, contribuantpar l lui donner une lgitimit nouvelle. D'aprs les critres retenus selonles poques aussi la liste des tribus jivaro pourrait aussi bien tre ramene trois (hormis une frontire internationale, pratiquement rien ne spare lesHuambisa des Shuar) ou rallonge plus d'une douzaine4. Comptabiliser laprsence ou l'absence de traits rputs caractristiques n'offre en effet aucunsecours pour isoler ou regrouper des units sociales minimales dont lesdmarcations mouvantes sont surtout dfinies par la mise en uvre d'unrpertoire gradu de relations d'hostilit rciproques.La structuration sociale de l'espace est remarquablement uniforme dans tousles groupes jivaro, malgr leurs diffrences ostensibles dans d'autres domaines.En tmoigne a contrario la belle unanimit avec laquelle les observateurs laqualifient de manire ngative depuis le XVIe sicle jusqu' prsent : anarchiqueset disperss, sans chefs ni villages, mins par la guerre civile et l'absence delien social, ces Indiens perptueraient un tat de nature d'autant plus scandaleuxu nigmatique que leurs effectifs sont considrables. L'organisation socio-territoriale jivaro relve pourtant d'un type assez commun en Amazonie, maisdont la configuration est ici plus difficile percevoir en raison des variationsd'chelle et de taxinomie sociale au sein de l'ensemble ainsi que de l'absenced'une inscription physiquement marque du groupe local. De fait, l'habitattraditionnel5 est partout fort dissmin, chaque maisonne monofamiliale, etgnralement polygyne, formant une unit conomiquement autonome et politiquement indpendante. Les sites d'habitat sont spars les uns des autres pardes distances de plusieurs kilomtres, voire plusieurs dizaines de kilomtres,et s'il arrive, l'occasion, que deux ou trois maisons se regroupent en un mmelieu, l'agglomration spontane en villages demeure extrmement rare. L'anomie,qui parat dcouler de l'isolement souverain de chaque unit domestique commede l'absence d'institutions segmentaires, est pourtant plus apparente que relle :la sociabilit jivaro est, en effet, organise autour d'ensembles discrets et nonnomms que j'ai appels nexus endogames (Descola 1981 et 1982 ; Taylor1983).Un nexus endogame est une collection de maisons-territoires6 consolides un moment donn par le partage de quatre rseaux largement interdpendantsune mme aire de mariage, une mme aire territoriale, une mme airede solidarit factionnelle et une mme aire d'influence d'un grand homme .Le nexus est idalement endogame environ 70 % des unions le sont rellement chez les Achuar car il constitue une zone d' intermariage rgulier selon

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    174 PHILIPPE DESCOLAle dsormais classique modle dravidien o la ritration d'une relation d'allianceprescriptive remplace la continuit linaire ordinairement assure par un principe de filiation (Dumont 1975). La distance sociale croissant proportionnellementla distance spatiale, le mariage au plus prs , gographiquement commegnalogiquement idalement entre cousins croiss bilatraux vrais estfortement valoris. Un tel systme promeut la stabilit territoriale de prentelescognatiques qui tendent s'identifier collectivement par une commune rfrenceau nom d'une rivire formant la colonne vertbrale de la zone l'intrieur delaquelle elles dplacent leurs maisons (tous les six douze ans, en gnral).Quoique les aires endogames n'aient pas de frontires explicitement matrialises, lles sont dans la pratique assez clairement dlimites : un no man's landd'au moins une journe de marche ou de pirogue assure leur discontinuit. Cesespaces inhabits ont notamment une fonction tactique, les relations entre nexusvoisins oscillant entre la mfiance dguise et l'hostilit ouverte. Lorsqu'un conflitentre nexus prend des proportions alarmantes, la plupart des maisonnes ordinairement disperses au sein d'une aire endogame se rassemblent l'initiatived'un grand homme dans une vaste maison fortifie. Ce processus actualise defaon visible une tendance latente la solidarit cognatique de voisinage sanspour autant prendre un caractre automatique : le nexus ne se mobilise pascomme un corps constitu, mais plutt comme une coalition conjoncturelle pousant es limites de la prentele du grand homme. Gnralement dsign parle terme juunt ( grand , important , g ), ce dernier est avant toutun guerrier d'exception (kakaram un fort ) ; courageux, habile tacticien,impavide devant la mort, virtuose dans la matrise rhtorique des dialoguesformels, gnreux dans l'hospitalit, obstin dans la vindicte, le grand hommeincarne de faon exemplaire les vertus de 1' homme accompli (penkeaishmank). C'est ce fond de qualits personnelles qui permet au juunt deconstruire peu peu une faction virtuelle, en cimentant ses relations masculinesd'affinit l'intrieur du nexus par l'hyper-polygynie, et en nouant des relations d'alliance, par le biais d'changes de filles ou de surs, avec les grandshommes des nexus voisins. pisodiquement ractiv lors des conflits, le rseaufactionnel du grand homme constitue le point d'appui d'une prminence socialeconstamment rengocie, sans jamais se convertir pour autant en instrumentd'une domination politique effective.Chez les Jivaro, comme dans d'autres socits amazoniennes indiffrencies,le modle dravidien entrane une caractristique sociologique que J. Overinga t la premire formuler explicitement propos des Piaroa (Overing Kaplan1975) : l'endogamie du noyau de prentele structur par une relation d'alliancesymtrique tend prendre l'apparence d'une consanguinit fictive, obtenue parl'effacement, grce divers procds, des liens d'affinit. Comme l'avait auparavant pressenti P. Rivire (1969), l'affinit se voit ds lors investie d'une fonction politique la fois stratgique et ambigu, puisqu'elle instaure l'changencessaire la reproduction du groupe local en mme temps qu'elle tablit enson sein une diffrence lourde de menaces entre deux catgories de corsidents ;

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    Les Affinits slectives 175d'o la ncessit d'expulser conceptuellement vers la priphrie cette relationporteuse d'altrit.Le nexus jivaro est travers par une contradiction identique : comment concilier ne classification divisant le monde social et naturel en deux catgoriesmutuellement exclusives avec la perptuation d'une forte identit cognatiqueidalement fonde sur les liens du sang ? Les manipulations de la terminologied'adresse et l'orientation du systme des attitudes offrent une premire solution (Taylor 1983 et s.d.). L'assimilation entre relations de germanit croiseet relations de conjugalit, l'affinisation des consanguins masculins par leshommes, la consanguinisation des affins des deux sexes par les femmes, l'oblitration de l'affinit entre corsidents de sexe oppos de la mme gnrationet son accentuation dans les gnrations alternes, tous ces mcanismescontribuent rpartir l'affinit et la consanguinit de part et d'autre de la division des sexes de telle sorte qu' une affinit exclusivement masculine etd'ailleurs partiellement consanguinise par des marqueurs ad hoc, te l beau-frre de sang (numpa sai) rponde une alliance de mariage fonde sur desunions paradoxalement consanguines. Ces mcanismes de projection dpassentle seul champ de la parent : la consanguinit idale des femmes s'exprime dansleur maternage des plantes du jardin assimiles des enfants, l'affinit masculinesert de paradigme la chasse conue comme un rapport entre des beaux-frres,tandis que la pche la nivre symbolise une conjugalit russie que les espritsde la rivire incarnent au plus haut point (Descola 1986a). En dcouplantidologiquement l'affinit de l'alliance ralise, les Jivaro se donnent aussi lesmoyens de convertir celle-l en un oprateur logique pour penser les rapportsavec l'extrieur, comme en tmoigne, par exemple, la transformation en affinsdes consanguins loigns lorsqu'ils rsident hors du nexus. L'utopique entresoi du groupe local suppose en effet un symtrique inverse : une affinit clairement objective, car indemne de toute contamination consanguine. Or, bienqu'elles soient le plus gnralement hostiles, les relations extrieures du nexussont gradues selon une chelle de distance sociale ou d'altrit relative quiinterdit de les subsumer sous une catgorie singulire, aussi gnrique soit-elle.La dclinaison des modalits de l'inimiti en fonction des types d'adversairesimplique donc une modulation concomitante de l'affinit, s'exprimant sous laforme d'une schmatisation de plus en plus accentue de la relation mesurequ'on s'loigne du foyer o elle oriente effectivement l'alliance de mariage.L'institution de la violence

    Les Jivaro et leurs ethnographes distinguent classiquement deux formes deconflit, diffrencies par leurs causes, leurs objectifs, leurs protagonistes et lalogique de leur droulement : la guerre intratribale et la guerre intertribale. Lemot gnralement employ par les Achuar et les Shuar pour dsigner la guerreintratribale, meset ( dommage , dgt ), suggre que celle-ci est conue

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    176 PHILIPPE DESCOLAcomme une dgradation inluctable des rapports sociaux. Elle oppose des gensdont la parent est reconnue et qui participent d'une mme communaut de langage et d' ntercommunication : ils parlent le mme dialecte, se connaissent personnellement et , en temps ordinaire, se rendent visite l'occasion. La guerre intra-tribale a donc toutes les apparences d'une vendetta en ce qu'elle est motive pardes griefs spcifiques et que des mcanismes socialement reconnus permettentde la conclure provisoirement ou d'empcher son extension (Descola 1986b).Dans la guerre intertribale, en revanche, l'adversaire est anonyme et gnrique. Son altrit relative se mesure au fait qu'il doit tre suffisamment prochepour partager une mme identit culturelle c'est un Jivaro et suffisammentointain pour tre nanmoins peru comme diffrent : il parle gnralementn autre dialecte et demeure hors du champ de la parent. Dnote pardes expressions consonance plus franchement militaire {maniakmu combat ou nanki jukimiau mobilisation des lances ), la guerre intertribale a pourobjectif explicite de capturer des ttes destines au rituel de tsantsa (tte rduite),ce qui la distingue de la vendetta o les cadavres des ennemis ne sont jamaisdcapits. La communaut des individus l'intrieur de laquelle il est impossible e se procurer des tsantsa constitue d'ailleurs un critre d'identificationdes frontires tribales plus pertinent que les variations linguistiques, la chasseaux ttes se pratiquant parfois au sein d'un mme groupe dialectal, mais entredes blocs rgionaux trs loigns qui se considrent comme trangers faute departager encore un mme rseau de parent. Contrairement la guerre intratri-bale, enfin, il n'existe pas de solutions ngocies pour interrompre la guerreintertribale ou pour indemniser les parents d'une victime.Sous ses deux modalits, la guerre jivaro est essentiellement endogne. Limite des actions sporadiques, la rsistance contre les Blancs et leurs suppltifs indignes ne prit jamais l'aspect d'un soulvement gnralis, contrairement auxmythes colports par l'historiographie classique (Taylor 1986). De fait, les Jivarose sont trouvs mieux protgs des incursions coloniales et postcoloniales parla rputation de frocit que leur faisaient les ethnies-tampons les sparant destablissements missionnaires, que par une vritable stratgie de dfense rgionaledu type de celle mene par les Arawak sub-andins (Renard-Casevitz 1985).Quant aux conflits avec les Indiens non jivaro, ils sont rductibles l'une oul'autre forme de la guerre traditionnelle : intertribale contre les tribus candoa(Kandoshi et Shapra) qui, malgr des langues diffrentes, sont culturellementtrs proches des Jivaro et participent de ce fait au complexe de la chasse auxttes ; intratribale dans le cas des Cocama, Cahuapana ou Canelos, en partieintermaris avec des Jivaro au pourtour du groupe ethnique, et donc susceptibles d'tre entrans dans les affrontements factionnels de la vendetta.La sinistre renomme dont jouissent les Jivaro depuis bientt cinq sicles(Taylor 1987) n'est pas fonde sur la terreur que leurs attaques auraient inspire des populations voisines d'ailleurs souvent aussi belliqueuses qu'eux-mmes l'taient, mais plutt sur une culture de la guerre , qui semblait pousse un degr d'autant plus paroxystique qu'elle s'orientait apparemment vers

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    Les Affinits slectives \11une complte auto-destruction7. Cette culture de la guerre repose sur diversdispositifs producteurs de violence bien connus dans le reste de l'Amazonie,mais dont la combinaison et l'accentuation particulires rendent ici invitableun tat d'hostilit permanent. Le premier lment en est une thorie de l'infortuneui fait dpendre de la malveillance d' autrui la plupart des vnementsfunestes affectant le cours de l'existence. Les chamanes en sont les agents principaux, leur champ d'action embrassant aussi bien les accidents en apparenceles plus fortuits que la majorit des troubles physiques et psychologiques, etleur ventuelle issue fatale (Descola & Lory 1982). Toute mort non violenteest donc susceptible d'entraner des reprsailles, car elle est immdiatement imputable aux agissements d'un chamane nommment incrimin, qu'il ait agi deson propre chef ou pour le compte d'un ennemi l'identit prvisible. Le deuiltrouve dans la violence un exutoire reconnu et colore la vendetta de sa passiondsespre.Bien qu'elle ait un effet cathartique sur le dclenchement d'hostilits forceouverte, la mort d'un parent par suite d'une agression chamanique est le plussouvent perue comme la confirmation d'une intention de nuire plus anciennementtteste. L'inimiti surgit en effet toujours d'une infraction relle ou suppose aux rgles d'appropriation des personnes, et tout particulirement desfemmes. Les plus communes de ces infractions sont l'adultre d'une pouseou son enlvement par un amant, l'assassinat d'une femme par son mari sansmotifs graves (comme le serait l'adultre, prcisment), l'union d'un hommeavec une femme sur laquelle d'autres ont plus de droits que lui, ou le refusde donner en mariage un alli la ou les surs de sa premire pouse. Lesparents et les allis d'une femme exercent sur elle tout au long de son existencedes droits qui s'additionnent et entrent parfois en contradiction : si un hommepeut disposer sa guise de son pouse, les consanguins masculins de celle-cin'admettent pourtant pas qu'elle soit tue sans raison par son mari, car ils ensont les matres (nurintin) tout autant que lui ; l'adultre d'une femme,et surtout sa fuite, excitent en revanche la vindicte de ses allis comme de sesconsanguins, puisqu'elle se soustrait ainsi aux obligations de l'change qu'ilsavaient contract travers elle ; enfin, lser les conjoints potentiels d'une jeunefille tout particulirement ses cousins croiss en l'accordant un autrehomme s'assimile quasiment un adultre dont les consanguins de celle-ci seseraient rendus complices, de mme que la ngation du droit de suite contenudans le lvirat et la polygynie sororale. Ces offenses sont considres commedes pertes de souverainet ou de jouissance, relles ou virtuelles, sur des femmesqui vous appartiennent ou vous reviennent lgitimement, et elles constituentautant de coins violemment enfoncs dans la fracture de l'affinit. l'inverse,l'inceste n'est jamais l'origine d'un conflit, sauf si la rtention d'une femmedans la consanguinit empche des conjoints potentiels d'exercer leurs prrogatives'affins.Faute d'institutions d'arbitrage, la rparation des infractions l'alliance estgouverne par une logique du retour l'quilibre par soustraction, identique

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    178 PHILIPPE DESCOLA celle de la vengeance d'un meurtre : priv d'une personne qui lui est due,ou sur laquelle il exerce une tutelle, le crancier s'estime autoris compenserlui-mme cette perte par la suppression du ou des individus qui en sont tenusresponsables et qui, de ce fait, lui sont dbiteurs d'une vie. Le vocabulairede la dette n'a rien ici de mtaphorique ; l'change des biens, l'change desfemmes et l'change des vies ou des morts relvent en effet du mmechamp smantique et appartiennent la mme configuration idologique, celledes relations entre affins. Ainsi, yapajiatin signifie la fois faire retourdans l'change (de biens matriels) et se venger , tandis que tumash,qui correspond assez exactement dette ( la fois l'engagement moral,ce par quoi il est cr et ce par quoi on s'en acquitte), s'emploie aussi biendans le contexte du troc diffr que dans celui de la vengeance. Dans ce dernier cas, d'ailleurs, la contrainte personnelle dclenche par la dette de sang (numpa tumash) concerne surtout les cranciers, qui ne sauraient trouver lerepos avant d'avoir obtenu satisfaction pour l'assassinat d'un de leurs parents.C'est ce que dnote clairement le terme ankan qui dfinit l'tat de dsalina-tion toujours temporaire en raison de la nature cyclique de l'change o l'on parvient aprs avoir accompli l'une des obligations suivantes : s'tredli d'une dette matrielle sans en avoir simultanment encouru une autre ;avoir obtenu rparation de la perte d'un parent assassin ou d'une femmesoustraite rellement ou virtuellement en ralisant un contre-meurtre ouen recevant un fusil en ddommagement ; enfin, avoir compens le meurtred'un homme ou l'appropriation indue d'une femme spcialement dans lescas d'enlvement et d'infraction la rgle du lvirat dont on s'est renducoupable, en fournissant un fusil celui qu'on a dpossd ou un parentde la victime, gnralement son fils an ou son frre le plus g. Le rachatd'une personne par une chose elle-mme appele tumash signifie d'autantmoins une quivalence de leur valeur qu'il n'a cours dans aucune autre circonstance. Outre que la transaction peut tre refuse, le fait d'offrir un fusilen contrepartie implique surtout qu'on paye la soustraction d'une existencepar l'instrument mme qui rendra possible un futur meurtre8. La substitutiond'une vie par la potentialit d'une mort ramorce ainsi la crance et perptuele mouvement de l'change.L'assimilation des diffrentes formes d'change souffre toutefois une exception. En effet, l'change des objets et l'change des femmes supposent toujours une relation rciproque entre deux individus, dont l'change des surset l'change de biens entre amis rituels (amik) constituent les paradigmes. Enrevanche, l'change des morts, comme le refus de rciprocit dans l'changedes femmes qui en est la source la plus commune, prennent d'emble unedimension collective. Des frres rels ou classificatoires sont tous affects, des degrs divers, par le dni des droits de l'un d'entre eux sur une femmedont les consanguins ou les consanguins de son poux illgitime sonttous reconnus coupables. Ce mcanisme d'extension est encore plus net dansle cadre de la vengeance d'un homicide, qui peut s'exercer indiffremment

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    Les Affinits slectives 179sur tous les membres proches de la prentele de l'assassin par tous les hommesde la proche prentele de la victime. Seul le paiement d'un fusil-tumash peutprvenir une telle escalade du conflit en restaurant une symtrie entre les deuxprincipaux intresss. La ngation d'un change volontaire, en principe fondsur un rapport dyadique, apparat donc comme la condition du passage unchange forc s appuyant sur une opposition complmentaire de solidaritsfactionnelles. ces dispositions sociologiques, qui font de l'change de violences un modenormal de rglement des discordes intratribales, s'ajoute un idal de la virilitfond sur l'exaltation des vertus guerrires. L'ducation d'un garon est lafois librale et Spartiate : on lui laisse une trs grande indpendance tout enl'encourageant manifester, de faon parfois ostentatoire, les qualits requisesd'un combattant. Ds l'adolescence, surtout, on le pousse rechercher le contactavec un esprit arutam (ajutap chez les Aguaruna) au cours d'une transe visionnaire nduite par un jene svre et par l'absorption continue de jus de tabacvert et de breuvages hallucinognes extrmement puissants. Cette exprienceterrifiante, sur laquelle je reviendrai plus loin, permet l'adolescent d'tablirune relation personnelle et secrte avec le fantme d'un guerrier jivaro disparuqui va lui confrer sa force et sa protection. Arutam apparat d'abord sousun avatar effrayant (une tte lumineuse agite de soubresauts, une paire d' anacondas gants enlacs, un aigle-harpie gigantesque...), qui se dsintgre dansun grand fracas au moment o on le touche pour revenir ensuite sous formehumaine afin de dlivrer un message d'assistance. Le jeune homme s'identifierasormais son arutam, notamment en se peignant le visage au roucouselon un motif vocateur de la figure monstrueuse sous laquelle l'esprit se rvled'abord lui. L'effet le plus immdiat de cette identification est un irrpressiblesir d'exercer la bravoure dchane par la rencontre avec l'esprit protecteur,n se jetant corps perdu dans la guerre. La qute ' arutam doit pourtanttre renouvele rgulirement, car le pouvoir qu'un homme en drive disparat chaque fois qu'il participe une expdition victorieuse ou qu'il tue un ennemi,le laissant ds lors sans dfense. La survie physique d'un guerrier dpendantsubjectivement de sa capacit restaurer son aptitude tuer, le mcanismedes acquisitions et pertes successives d' arutam contribue ainsi une sorted'accroissement incontrlable de la propension individuelle accomplir sa destine dans l'exercice de la violence.L'ennemi intrieur

    Une mme combinaison de causes conditionne gnralement la gense detoutes les guerres intratribales9. La cause premire en est la contrainte structurelle du systme : l'antagonisme latent entre des nexus endogames distinctsqu'alimente le souvenir de nombreux conflits passs. La cause efficiente rside,comme on l'a vu, dans une infraction grave aux rgles de l'alliance. La cause

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    180 PHILIPPE DESCOLAimmdiate, le dtonateur qui dclenche des actions armes, consiste le plus souvent en une mort subite et imprvue attribue aux uvres d'un chamane ennemi.Certains meurtres dcoulent d'autres motifs, tels la jalousie professionnelle entre chamanes ou le dsir de mettre hors d'tat de nuire l'un d'entre eux rputparticulirement nocif ; mais, si les conditions prcdentes ne sont pas runies,il est rare que ces assassinats ponctuels dbouchent sur des guerres vritables,mobilisant de part et d'autre des groupes de prentele numriquement significatifs. L'excution des chamanes, surtout par d'autres chamanes, est en effetconsidre comme un risque inhrent leur vocation10.Lorsqu'une querelle clate au sein d'un nexus pour des questions lies auxdroits sur les femmes, le mcanisme de la compensation et la mdiation dugrand homme suffisent en gnral prvenir le dclenchement d'une vendetta.Le rle politique aajuunt en temps de paix se borne en effet essayer d'empcherue des dissensions intestines ne viennent miner le capital social dont ildispose pour faire la guerre. Maintenir la concorde au sein de sa prentele n'estaucunement un devoir moral attach sa position, mais une ncessit imperative'il veut prserver la solidarit des membres de sa faction ; en ce sens, legrand homme est beaucoup plus un chef de bande qu'un chef sans pouvoir . Si un arrangement l'amiable se rvle impossible, c'est le plus souventparce que le coupable ou la victime d'une infraction aux rgles de l'alliancesont originaires d'un autre nexus. L'endogamie du nexus est une tendance idale ;dans les faits, un pourcentage variable d'unions exogames permet toujours,grce l'application stricte du principe d'uxorilocalit, d'introduire dans ungroupe local des hommes natifs d'un nexus voisin. Ces gendres trangersconnaissent une situation difficile : l'affinit institue par l'alliance avec desparents trs lointains est beaucoup plus distendue que l'affinit instituante del'change prescriptif. Aussi, lors d'un incident grave, la pice rapporte aura naturellement tendance s'enfuir pour chercher assistance et protectionauprs de ses consanguins directs. Par l'alliance de mariage, chaque nexus entretient ainsi un rseau tnu de liens d'affinit avec des nexus adjacents qui peuventservir de base une coalition conjoncturelle ou fournir au contraire le prtexted'un affrontement factionnel.Examinons prsent les modalits de l'escalade conduisant un affrontementrm. Le casus belli initial suscite la consolidation, gnralement dansdes aires endogames voisines, de deux groupes de prentele antagoniques quoiquepartiellement interconnects. ce stade, le conflit peut prendre deux directions : ou bien il clate immdiatement, une expdition punitive cherchant tuer le responsable de l'infraction motivant l'hostilit, ou bien c'est le casle plus courant il entre dans une priode de latence qu'on pourrait appelerla phase des rumeurs (pase chicham les mauvaises paroles ). Toutes lesvisites sont alors interrompues entre les factions opposes, sauf pour quelquesindividus considrs comme des marginaux dans l'un ou l'autre nexus, ou pourles amis rituels (amik) qui bnficient d'une garantie d'immunit quelles quesoient les circonstances. Loin d'arranger les choses, toutefois, ces intermdiaires

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    Les Affinits slectives 181ne font que propager des insinuations malveillantes sur les intentions des adversaires potentiels, insinuations que chaque partie sera d'autant plus porte croirequ'elles confirment ses suspicions et s'accordent avec le souvenir des ignominies,trahisons et assassinats dont les autres se sont dans un pass rcent dj renduscoupables. La dformation des nouvelles et la dissmination des rumeurs sonten outre facilites par la dispersion de l'habitat : se propageant de relais enrelais, l'information s'altre proportion de la distance parcourue. Une sortede paranoa collective s'installe ainsi progressivement, la guerre devenant le sujetde discussion interminablement ressass dans chaque maisonne et au coursdes visites que se rendent les membres de l'une ou l'autre faction. On comprendras lors aisment que n'importe quel dcs inopin survenant dans la prenteleproche des individus en conflit soit immdiatement interprt comme une agression chamanique et suffise ouvrir les hostilits.Une dclaration de guerre officielle prcde souvent les premiers raids, tandisque chaque faction se prpare aux affrontements en se retranchant dans unevaste maison fortifie l'invitation d'un grand homme. partir de ce moment,c'est le juunt qui va prendre la direction des oprations militaires, superviserl'organisation de la vie commune dans la maison fortifie et mener les tractationspour s'attacher de nouveaux allis ; il devient littralement le hrautde la guerre (mesetan chicharu). L'intervention quasi inluctable des grandshommes dans les conflits en favorise l'extension, la guerre finissant par devenirune affaire prive entre deux leaders perdus de gloire, sans rapport rel avecle casus belli initial dont tout le monde oublie d'ailleurs rapidement la nature. l'inverse, la mort d'un des chefs de faction teint de facto les hostilits sipersonne n'a les capacits pour le remplacer, ses hommes tant trop dsempars pour continuer la lutte. L'affinisation collective des ennemis n'est paspour autant abolie par cette personnalisation des affrontements, bien au contraire.L'identit cognatique du nexus trouve d'abord une expression physique dansla convivialit impose par la vie de forteresse ses membres, dsormais indissolublement unis par des preuves et des exaltations quotidiennement partages.Plus encore qu' l'ordinaire, cette identification s'exprime par une consanguinitdale qui confine la consubstantialit : ainsi, un homme annoncera lamort d'un de ses parents au combat en disant Untel m'a tu dans telle outelle circonstance ; de mme, le chef de guerre n'appellera plus ses guerriersque mes fils . l'inverse, les ennemis sont parfois dsigns comme lesdonneurs de femmes (nua suru) ; ceci n'empche d'ailleurs pas qu'on puisse l'occasion se rfrer un membre de la faction oppose par le terme de consanguinit adquat, puisque, en raison du recouvrement partiel des liens gnalogiques, ce type de conflit se droule malgr tout pour l'essentiel au sein dela prentele (nuamtik shuar).Dans certaines guerres intratribales, en revanche, l'affinit des ennemis estplus potentielle que relle. Les hostilits se dclenchent pour des raisons gnra lement identiques, mais elles mettent aux prises des nexus beaucoup plus distants, gographiquement ou socialement ; leur parent distendue n'a pas t

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    182 PHILIPPE DESCOLArevivifie depuis longtemps par le mariage, l'exception de l'unique relationlitigieuse motivant l'antagonisme et qui, la diffrence des cas prcdents,suppose le dplacement d'une femme et non d'un homme : une pouse fuyantun mari irascible trouve au loin un nouveau conjoint ou bien une veuve convoleavec un tranger sans respecter les obligations du lvirat. Les rapports entreles deux nexus tant peu prs inexistants, le paiement d'une compensationest presque impossible, faute d'un mdiateur dispos risquer sa vie chez desquasi-inconnus. Ce type de conflit peut prendre une ampleur considrable, chaquechef de guerre faisant appel ses rseaux d'alliance dans les nexus voisinspour former des coalitions qui tendront s'accrotre d'elles-mmes chaquefois qu'une mort nouvelle viendra stimuler le devoir de vengeance dans desprenteles de plus en plus loignes du noyau initial d'inimiti11. Tout souvenir'un lien antrieur entre les protagonistes est dsormais effac : contrairementux guerres de voisinage, on dsignera ici les adversaires par leur seulpatronyme en omettant de les qualifier par un terme de parent. Quoique sousune forme trs abstraite, l'affinit n'en continue pas moins servir de rfrentpour penser la relation d'inimiti : un mariage irrgulier en constitue l'origineet des rapts rciproques de femmes au cours des raids contribuent l'entretenir.La diffrence de nature entre l'affinit relle des ennemis les plus procheset l'affinit potentielle des ennemis lointains est donc celle qui spare une allianceconsentie, mais non ralise, d'une alliance ralise, mais non consentie. L'opposition 'est dichotomique que pour les vertus de l'exposition : prise commeun tout, la guerre intratribale est l'expression dans le langage de l'affinit d'uncontinuum dcroissant de socialisation d'autrui.Faces faces

    La guerre intertribale sert, on l'a vu, acqurir des ttes pour le rituelde tsantsa. La pratique a disparu dans les annes soixante sous la pressiondes missionnaires, mais l'un d'entre eux, le Pre Siro Pellizzaro, en a recueillichez les Shuar des descriptions remarquablement dtailles (1980a et 1980b),sur lesquelles Anne Christine Taylor (1993) s'est elle-mme appuye pour enproposer rcemment une interprtation convaincante ; je me bornerai donc ici rsumer certains points de son analyse.La diffrence entre des ttes-trophes amazoniennes ordinaires et lesttes rduites jivaro est que celles-l perdent rapidement toute rfrence unephysionomie spcifique, tandis que celles-ci perptuent pendant quelque tempsdu moins la reprsentation unique d'un visage ; l'extraction du crne, ladessication des tissus et le modelage des traits la ressemblance de la victimen'ont pas d'autres objectif. Lors de sa confection la tsantsa joue donc le rled'un condens d'identit commodment transportable. Cette fonction peutparatre paradoxale si l'on se souvient que les ennemis qu'on dcapite sonten principe anonymes ; c'est que la tsantsa n'est pas l'effigie miniature d'une

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    Les Affinits slectives 183personne particulire mais l'expression formelle d'une singularit existentiellepure, signifiable par n'importe quel facis distinctif du moment qu'il provientd'un Jivaro non parent. Pour tous les Jivaro, en effet, l'identit individuelleest moins contenue dans les caractristiques de la figure que dans certains attributssociaux de la persona : le nom, la parole, la mmoire des expriences partageset les peintures faciales associes la rencontre d'un arutam. Pour figurer dansle rituel, la tsantsa doit donc tre dbarrasse des derniers rsidus rfrentielsqui l'empchent encore d'incarner une identit jivaro gnrique : on ne l'appellejamais par le patronyme s'il tait connu de celui qui elle a t soustraite ; sa face est soigneusement noircie pour oblitrer la mmoire des motifsqui s'y inscrivaient ; enfin, tous ses orifices sont suturs, condamnant ainsi lesorganes des sens une ternelle amnsie phnomnale.La dpersonnalisation de la tsantsa par cette espce de rduction eidtiquela rend disponible pour un rite dont les phases discontinues s'tendent sur unpeu plus d'un an ; elle y fonctionne comme un oprateur logique la foisterme et relation dans une suite de permutations entre des termes et des relations eux-mmes affects de valeurs variables. D'abord appele profil , puis chose molle , la tte occupe simultanment ou conscutivement des positionsdiffrentes du point de vue du genre et de la parent dans une srie de rapportsunivoques ou rciproques, antagoniques ou complmentaires, avec le tueur, sesparents et allis des deux sexes, et plusieurs autres groupes crmoniels. Au termede ce ballet topologique, la tsantsa a assum tous les rles d'une procrationsymbolique : non-parent, donneur de femme, preneur de femme, pouse et finalementembryon. Le fruit trs rel de ce simulacre d'alliance un enfant natredans la prentele du meurtrier est donc parfaitement consanguin sans treincestueux. Virtualit d'existence soustraite des trangers, il doit son engen-drement la mise en scne d'une affinit idale, la seule vritablement satisfaisanteour les Jivaro car dtache de toute obligation de rciprocit ; bref, uneaffinit sans affins. Envisage de ce point de vue, la guerre intertribale ne sedistingue pas vraiment de la guerre intratribale dont elle constitue une aboutissement ogique, voire mme historique ; en effet, des affrontements rpts entreblocs de nexus coaliss ne peuvent que consolider des identits rgionales antagoniques, contribuant ainsi au processus continu de diffrenciation tribale ncessaire la perptuation de la chasse aux ttes. Entre drober des femmes et desenfants des affins potentiels qu'on a exclus de la communaut des parents,et drober des identits productrices d'enfants des non-parents avec qui l'onsimule une affinit idale, la diffrence est de degr, non de nature.Tte tte

    L'existence d'un continuum d'inimiti fond sur des variations progressivesde la relation conceptuellement homogne qu'un groupe de prentele idalement onsanguin entretient avec diffrentes sphres d'extriorit permet de jeter

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    184 PHILIPPE DESCOLAune lumire nouvelle sur les processus d'involution affectant la chasse aux tteset le cannibalisme dans maintes cultures sud-amrindiennes. On sait que cesdispositifs d'incorporation, apparemment dterminants dans la reproductionsymbolique des groupes locaux, pouvaient nanmoins disparatre brutalementsans que Pethos d'une socit en soit pour autant vritablement affect. Parmiles tribus jivaro, par exemple, les Achuar constituent une exception : bien qu'ilsaient t les derniers subir les effets du front de pacification missionnaire,ils n'ont, l'heure actuelle, aucun souvenir d'avoir jamais pratiqu la chasseaux ttes dont ils taient pourtant encore eux-mmes les victimes dans les annessoixante et qu'ils continuent d'ailleurs d'assimiler une forme particulirementrpugnante de cannibalisme. La guerre intense qu'ils menaient contre les Shuarn'avait, selon eux, d'autre motif que la vengeance de leurs parents dcapitspar la tribu voisine. Par quoi les Achuar ont-ils remplac la chasse aux tteset , plus gnralement, quel est leur substitut pour l'affinit idale qu'elle meten scne ?La rponse cette question rside, je crois, dans la variabilit du complexede croyances attaches la notion d'arutam dans l'ensemble jivaro. Si tousles observateurs s'accordent sur les modalits d'obtention de la rvlation faitepar le fantme d'un anctre, en revanche les effets de la rencontre comme lescaractristiques mmes de cet anctre diffrent grandement. Les Aguaruna prsentent, semble-t-il, une variante faible : ajutap est l'instrument transcendant'une prdiction de succs la guerre dont la remmoration publique avantun combat stimule la bravoure de son bnficiaire ; la vision possde nanmoins un lment substantiel puisqu'elle se transforme en un nouvel esprit ajutap la mort du visionnaire (Brown 1985). Pour les Shuar, la vision d'arutam permetd'acqurir une me (loge dans la poitrine, selon Harner 1972 : 138) ou unprincipe de force (Pellizzaro s.d.) d'un anctre inconnu, laquelle donne unirrpressible dsir de tuer. La veille d'une attaque, chaque guerrier dcrit savision publiquement, causant ainsi le dpart de Yarutam qui l'habitait ; l'affaiblissement qui en rsulte est trs progressif, mais l'homme dsert par son aru-tam doit nanmoins en qurir un nouveau ds qu'il a tu un ennemi, fautede quoi sa vie serait en danger. Retrouver rapidement une nouvelle me arutampermet en outre de bloquer la dissipation graduelle du pouvoir de l'ancienne,contribuant ainsi une accumulation de puissance lors de chaque acquisitionconscutive (Harner 1972 : 135-145). la mort d'un guerrier, celui-ci produitautant d'mes arutam nouvelles qu'il en aura incorpores au cours de sa vie.Chez les Achuar septentrionaux, enfin, la vision d'un arutam engendre galement un transfert de force, mais celle-ci disparat au moment mme o l'ontue un ennemi, laissant subsister le dsir de rencontrer un arutam plus puissant. En effet, le processus d'accumulation de puissance se fait ici dans Yarutamet non dans le corps des hommes : l'instar d'une pile qu'on recharge, chaquesjour d'un arutam dans un guerrier augmente le pouvoir de celui-l la mesurede la vaillance naturelle de celui-ci. Contrairement aux cas prcdents, lestock ' arutam est en outre fini pas de crations nouvelles lors d'un dcs

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    Les Affinits slectives 185localis les fantmes errent dans le territoire d'un groupe local et individualis les anctres rvlent leur connexion gnalogique avec le visionnaire.En bref, les mmes arutam s'incarnent gnration aprs gnration dans lesmmes prenteles, leur permanence de plus en plus formidable contribuant,malgr l'amnsie gnalogique, fonder en substance l'identit cognatique. Laremarquable continuit de la transmission des arutam chez les Achuar fait doncde celle-ci un vritable principe d'exofiliation, sans doute prsent en filigranedans d'autres tribus jivaro12, mais ici dlibrment accentu comme une alternative la chasse aux ttes.Par le moyen de la guerre, tant la chasse aux ttes que l'incorporation del'esprit des anctres visent un effet identique : perptuer une consanguinitparfaite en accumulant au sein du nexus des principes de force et d'identitdont l'origine est externe dans un cas et interne dans l'autre. Le choix entrel'une ou l'autre formule de cette combinaison structurale semble gouvern parla contingence historique. Les Achuar demeurrent pendant longtemps dansun trs grand isolement ; soumis aux attaques incessantes des Shuar qui leurtaient bien suprieurs en nombre, ils finirent par se retirer dans des zones refugespour fuir la dangereuse proximit de leurs voisins. C'est probablement cetteclture sur eux-mmes qu i entrana la permutation : il s'agissait, en somme,d'inverser le coefficient de ralit de l'affinit, en passant d'un systme o l'alt-rit produit du soi par l'institution d'une affinit sans vritables affins unsystme o le soi ritre le soi parce que l'on feint d'ignorer l'affinit des affins.Les valeurs en jeu sont toutefois bien diffrentes, car si la chasse aux ttesconstitue la forme idale de la relation d'affinit, Pexofiliation par les arutamest, quant elle, le paradigme de la consanguinit idale.Ce renversement paradoxal soulve des problmes thoriques relatifs au statutde l'affinit en Amazonie. Dans une synthse magistrale sur les systmes dravi-diens de la rgion, Eduardo Viveiros de Castro (1993) a suggr que la symtrieentre consanguinit et affinit y tait brise par un englobement hirarchique dans l'acception de Dumont et dynamise par une structure diamtrale.Domine par la consanguinit au cur du champ social, l'affinit englobe celle-cidans les rapports avec d'autres groupes locaux et se voit elle-mme subordonne une relation plus totalisante dont elle est une codification spcifique : la prdation cannibale des ennemis. L'hypothse est sduisante, mais elle me paratnanmoins faire problme l o elle atteint son plus grand degr de gnralit,c'est--dire au troisime niveau d'englobement. J'y vois au moins deux typesde difficults. La premire est d'ordre factuel et ne peut tre dveloppe danscette brve discussion ; on me pardonnera de la prsenter sous forme d'un constatnon argument. Qu'elle soit le fait d'tres rels ou mythiques, la capture desubstances, d'identits ou d'nergie chez autrui revient comme un leitmotiv dansmaintes cultures des Amriques sans avoir ncessairement partout le mme poidsidologique et social. J'ai moi-mme dfini rcemment la prdation comme lescheme cardinal gouvernant la socialisation de la nature et d' autrui chez lesJivaro, mais c'tait pour l'opposer aussitt d'autres schemes tout aussi

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    186 PHILIPPE DESCOLAprgnants ordonnant la praxis de socits voisines, tels l'change gnralischez les Tukano ou le dualisme ontologique chez les Arawak sub-andins (Descola 1992). En bref, le cannibalisme est universellement prsent en Amazoniecomme mtaphore, mais je ne crois pas qu'il le soit partout comme valeuret catgorie de relation dominantes.La deuxime difficult, qui nous ramne la question de 1' involution dela chasse aux ttes, est d'ordre logique : Penglobement hirarchique supposeune irrversibilit du sens des relations qui laisse peu d'accommodements auxalas historiques. Or l'exemple jivaro montre que l'affinit idale, terme d'uncontinuum et quintessence de la relation cannibale, peut parfaitement treremplace par son symtrique inverse, la consanguinit idale de Pexofilia-tion, sans que soit d'ailleurs annule pour autant la pertinence de la prdation d'autres niveaux, notamment comme fondement idologique du rapport auxaffins potentiels ou au gibier. Le cas n'est pas unique. Les Yagua tmoignentd'une mme ambivalence de la guerre, la fois chasse aux dents chez desallis potentiels et condition du renforcement de la filiation, puisque c'estpar elle que des guerriers valeureux sont transforms en anctres apicaux dontla mmoire est perptue dans des chants hroques et par la transmissionen ligne agnatique des dents qu'ils ont captures aux ennemis (communicationpersonnelle de J.-P. Chaumeil). Quant au pacifisme obstin des Piaroa, il reprsente peut-tre le point d'aboutissement d'un mouvement involutif dont lesAchuar annoncent les prmisses, les pulsions prdatrices ailleurs diriges versun ennemi extrieur tant ici refoules dans les phantasmes du cannibalismecognatique (Overing Kaplan 1986).L'hypothse de la prdation comme scheme pan-amazonien conditionnantla subsumption du local par le global ne saurait rendre compte de telles oscillations entre deux utopies sociales o prend peut-tre sa source la diversitmorphologique et cosmologique des socits de la rgion13. Il me parat plusvraisemblable d'admettre une instabilit structurelle de la polarit consanguinit-affinit, productrice en un premier temps d'un double englobement concentrique ssez gnralement attest (de l'affinit par la consanguinit au niveaucentral, de la consanguinit par l'affinit la priphrie), mais susceptibleensuite de se dployer, en fonction des circonstances, vers l'une ou l'autredes deux formes idales contenues en puissance dans le binme originaire.On pourrait mme imaginer que des anomalies persistantes, telles l'organisation clanique, l'existence de sections, voire l'ingalit statutaire, ne sontpas trangres un mouvement de repli sur la consanguinit idale. Ainsique Lvi-Strauss l'avait suggr autrefois propos des organisations dualistes(1944) et comme il l'a rappel rcemment au sujet de la mythologie gmellaire(1991), l'idologie et l'organisation sociale des Amrindiens sont marquespar un dualisme en perptuel dsquilibre. Un clinamen est nanmoins ncessairepour dclencher le renversement qui verra la domination temporaire d'undes ples14. La guerre constitue probablement l'un de ces ressorts : relationdtermine dans chacun des tats de la variation, elle est galement dterminante

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    Les Affinits slectives 187par les effets incontrlables qu'elle dchane parfois, lorsque Vhybris de victoires cumules ou l'infortune de dfaites successives conduisent ouvrir surune autre de ses combinaisons potentielles un systme de rapport autruiporteur tout moment de plusieurs destins historiques.cole des hautes tudes en Sciences socialesLaboratoire d'Anthropologie sociale, Paris

    NOTES1. Pour une synthse rcente des dbats sur les thories cologiques de la guerre amazonienne, voir

    Ferguson 1989 ; on trouvera des lments critiques dans Descola 1986a, 1988a et 1988b.2. Voir, par exemple, la srie d'articles runis par Patrick Menget sur le thme Guerre, socitet vision du monde dans les basses terres de l'Amrique du Sud dans le Journal de la Socitdes Amricanistes LXXI (1985) et LXXII (1986) et l'important ouvrage de Bruce Albert sur lesYanomami (1985).3. Sur le problme de l'ethno-taxinomie jivaro, voir Taylor 1985.4. Outre que les Mayn shuar et les Shiwiar du Prou sont reconnus par certains jivarologuescomme des entits autonomes, chacune des quatre grandes tribus es t elle-mme susceptible d'tresubdivise en plusieurs sous-groupes rgionaux, caractriss par des trajectoires historiques spcifiques, des variations dialectales, des croyances particulires, etc.5. Les diffrents sous-groupes de l'ensemble jivaro ont t diversement affects, selon leurs localisations,ar l'expansion des socits nationales. Les situations de contact varient depuis une interaction constante avec les fronts pionniers de colonisation pour les Shuar l'est de la cordillrede Cutucu et les Aguaruna riverains, jusqu' la relative autonomie dont jouissent encore certainsAchuar et Huambisa particulirement isols. Le s structures sociales traditionnelles prsentesdans cet article sont donc le produit d'une reconstruction, fonde sur la littrature ethnographiqueet sur les enqutes de terrain menes, de 1976 1984, par Anne Christine Taylor et moi-mmechez les Achuar de l'Equateur, dont une bonne partie, l'poque, demeurait encore l'cart dela sphre d'influence des organisations missionnaires.6. Le nombre de maisonnes formant un nexus peut osciller entre un peu moins de dix et un peuplus de vingt, en fonction de l'extension requise par le fonctionnement des diverses variantes d'alliancede mariage endogame propres chaque groupe tribal jivaro (Taylor s.d.).7. La menace d'annihilation par suite de guerres excessives n'est pas compltement illusoire. Outrequ'elle revient comme un leitmotiv dsabus dans l'vocation par les Indiens de la rgression dmographique des gnrations prcdentes, elle es t confirme par les taux de mortalit : de 1950 1970,parmi les Achuar septentrionaux, la guerre es t cause d'un dcs sur deux chez les hommes et d'unsu r huit chez les femmes, probablement l'un des taux attests les plus levs pour une socit de ce type.8. Depuis le dbut des annes cinquante, le fusil a progressivement remplac la lance comme armede combat, contribuant ainsi certainement un accroissement de la mortalit par fait de guerre.9. Mon analyse de la guerre intratbale es t fonde sur l'tude dtaille de neuf cas de conflit chezles Achuar septentrionaux, dont quatre se sont drouls lors de mon sjour parmi eux, circonstancefort opportune sur le plan scientifique mais qui entrana une certaine tension dans les devoirs del'observation participante.10. l'inverse, on soulignera l'iniquit d'un homicide en insistant sur le fait qu e la victime n'taitpas un chamane.11. la fi n des annes soixante, deux blocs d' Achuar coaliss reprsentant au total plus d'une soixantaine e guerriers en provenance de sept nexus diffrents s'affrontrent durant plusieurs annesdans une vendetta qui causa vingt et une victimes dont trois femmes.12. La coutume d'invoquer l'esprit arutam en l'appelant grand-pre et en se prsentant soi-mmecomme un enfant en qute d'assistance et de protection es t atteste dans toute l'aire jivaro.13. Il va de soi qu e ces quelques remarques dcousues ne constituent pas une rfutation de la thsesolidement argumente de Viveiros de Castro dont je partage, par ailleurs, la plupart des attendus ;

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    188 PHILIPPE DESCOLAelles visent seulement suggrer une solution alternative un problme qu e nous sommes plusieurs poser dans les mmes termes.

    14. la pense des Amrindiens, une sorte de clinamen philosophique parat indispensable pour qu'enn'importe quel secteur du cosmos ou de la socit les choses ne restent pas dans leur tat initial,et que, d'un dualisme instable quelque niveau qu'on l'apprhende, rsulte toujours un autre dualisme instable (Lvi-Strauss 1991 : 306).

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  • 7/28/2019 Les Affinites Selectives Alliance Guerre Et Predation Das Lensemble Jivaro

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    190 PHILIPPE DESCOLAABSTRACTPhilippe Descola, Selective Affinities. War, Affinity and Prdation in Jivaroan Societies. Most studies of Amazonian warfare do no t take sufficient account of the sociologicalschemes that organise it, and focus exclusively on its purported functions or on its role incosmological systems. The analysis of jivaroan patterns of warfare reveals that these manifestdifferent modalities of the affinal relation, along a continuum extending from the close tothe distant, from the true affinity of vendetta partners, to the potential affinity of tribalennemies, to the ideal affinity of head-hunting victims. The shift from head-hunting tomystical exo-descent in certain jivaroan tribes shows, however, that consanguinity mayin certain cases become a dominant value; it also underscores the instability of the dravidianmodel and its capacity to absorb aleatory historical processes.

    RESUMENPhilippe Descola, Las Afinidades selectivas. Alianza, guerra y predacin en el conjuntojbaro. Muchos de los estudios consagrados a la guerra amaznica la consideran desdeel punto de vista de su supuesta funcin o de su papel en lo s sistemas cosmolgicos sintener en cuenta las armaduras sociolgicas que la organizan. El anlisis de la guerra jivaromuestra como en ella se escenifica diferentes modalidades de la relacin de afinidad segnuna continuidad que va del ms prximo al ms lejano : afinidad real de lo s protagonistasde la vendetta, afinidad potencial de lo s enemigos tribales, afinidad ideal de lo s proveedoresde cabezas reducidas. En algunas tribus la caza de cabeza es substituida por una exofiliacinmstica, lo que restablece la consanguinidad como valor dominante y seala la instabilidadestructural del modelo dravidiano y su capacidad por acomodar las incertidumbres histricas.