2
Actualités pharmaceutiques n° 522 janvier 2013 46 Mots clés • Alopécie • Cheveu • Effet indésirable • Médicament Keywords • Adverse effects • Alopecia • Drug • Hair Les alopécies médicamenteuses, transitoires mais invalidantes L’alopécie secondaire à une prise médicamenteuse est rare et mal connue, sauf en ce qui concerne les thérapeutiques anticancéreuses. Pourtant, un certain nombre de médicaments fréquemment délivrés à l’officine sont susceptibles de générer des alopécies. Si ce phénomène est réversible, il engendre des désagréments impactant la qualité de vie. Drug induced alopecia, transient but disabling. Alopecia secondary to drug intake is rare and poorly understood, except in regard to cancer treatment. However, a number of drugs frequently delivered at the pharmacy may generate alopecia. Even if this phenomenon is reversible, it creates discomfort and affects the quality of life. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved François PILLON pratique veille pharmaceutique © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2012.11.009 L es alopécies médicamen- teuses se traduisent par une perte de cheveux diffuse ou localisée, non inflammatoire et presque toujours réversible à l’arrêt du traitement. Bien souvent, il s’agit d’une perte de cheveux minime conduisant à une sous-notification des cas. L’alopécie reste un effet indé- sirable fâcheux des chimiothé- rapies anticancéreuses car ces substances agissent par un effet direct, toxique, touchant la phase anagène. Les autres médicaments engendrant le plus fréquemment une chute de cheveux sont les psy- chotropes et les antihypertenseurs. Le cycle de vie du cheveu Le cycle pilaire est constitué de trois phases de durées variables : • la croissance ; • l’involution ou régression ; • la mort du cheveu (figure 1). Phase de croissance (ou anagène) Au cours de la phase de croissance, le cheveu se forme et croît par une division des cellules du follicule pileux, à raison d’envion 1 cm par mois. La plupart des cheveux que nous possédons se trouvent en phase de croissance. Celle-ci est la plus longue du cycle (de 2 à 5 ans environ chez l’homme). Phase d’involution (ou catagène) La phase d’involution, ou de régression, est la phase la plus brève du cycle, puisqu’elle dure 2 à 3 semaines environ. Elle concerne seulement une petite fraction de follicules pileux. Phase de mort du cheveu (ou télogène) La phase d´involution aboutit à la mort du cheveu. Pendant environ 3 mois, celui-ci est expulsé, sous forme de “cheveu en massue”, par le nouveau cheveu qui pousse. Un nouveau cycle commence alors. Les médicaments à l’origine d’alopécies Un certain nombre de médicaments sont susceptibles de provoquer une perte de cheveux. Les psychotropes Les antidépresseurs imiprami- niques induisent rarement des alo- pécies. Seules quelques cas isolés sont décrits avec la désipramine, la maprotiline ou l’imipramine, surve- nant quelques mois après le début du traitement. Dans tous les cas, les cheveux ont repoussé normalement Figure 1. Cycle du cheveu. © Fotolia.com/Alila

Les alopécies médicamenteuses, transitoires mais invalidantes

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les alopécies médicamenteuses, transitoires mais invalidantes

Actualités pharmaceutiques

• n° 522 • janvier 2013 •46

Mots clés• Alopécie

• Cheveu

• Effet indésirable

• Médicament

Keywords• Adverse effects

• Alopecia

• Drug

• Hair

Les alopécies médicamenteuses, transitoires mais invalidantesL’alopécie secondaire à une prise médicamenteuse est rare et mal connue, sauf en ce qui

concerne les thérapeutiques anticancéreuses. Pourtant, un certain nombre de

médicaments fréquemment délivrés à l’officine sont susceptibles de générer des alopécies.

Si ce phénomène est réversible, il engendre des désagréments impactant la qualité de vie.

Drug induced alopecia, transient but disabling. Alopecia secondary to drug intake is rare and poorly understood, except in regard to cancer treatment. However, a number of drugs frequently delivered at the pharmacy may generate alopecia. Even if this phenomenon is reversible, it creates discomfort and affects the quality of life.

© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved

François PILLON

pratiqueveille pharmaceutique

© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2012.11.009

L es alopécies médicamen-teuses se traduisent par une perte de cheveux diffuse ou

localisée, non inflammatoire et presque toujours réversible à l’arrêt du traitement.Bien souvent, il s’agit d’une perte de cheveux minime conduisant à une sous-notification des cas. L’alopécie reste un effet indé-sirable fâcheux des chimiothé-rapies anticancéreuses car ces substances agissent par un effet direct, toxique, touchant la phase anagène. Les autres médicaments engendrant le plus fréquemment une chute de cheveux sont les psy-chotropes et les antihypertenseurs.

Le cycle de vie du cheveuLe cycle pilaire est constitué de trois phases de durées variables : • la croissance ;• l’involution ou régression ; • la mort du cheveu (figure 1).

Phase de croissance (ou anagène)Au cours de la phase de croissance, le cheveu se forme et croît par une division des cellules du follicule pileux, à raison d’envion 1 cm par mois. La plupart des cheveux que nous possédons se trouvent en phase de croissance. Celle-ci est la

plus longue du cycle (de 2 à 5 ans environ chez l’homme).

Phase d’involution (ou catagène)La phase d’involution, ou de régression, est la phase la plus brève du cycle, puisqu’elle dure 2 à 3 semaines environ. Elle concerne seulement une petite fraction de follicules pileux.

Phase de mort du cheveu (ou télogène)La phase d´involution aboutit à la mort du cheveu. Pendant environ 3 mois, celui-ci est expulsé, sous forme de “cheveu en massue”, par

le nouveau cheveu qui pousse. Un nouveau cycle commence alors.

Les médicaments à l’origine d’alopéciesUn certain nombre de médicaments sont susceptibles de provoquer une perte de cheveux.

Les psychotropesLes antidépresseurs imiprami-niques induisent rarement des alo-pécies. Seules quelques cas isolés sont décrits avec la désipramine, la maprotiline ou l’imipramine, surve-nant quelques mois après le début du traitement. Dans tous les cas, les cheveux ont repoussé normalement

Figure 1. Cycle du cheveu.

© F

otol

ia.c

om/A

lila

Page 2: Les alopécies médicamenteuses, transitoires mais invalidantes

Actualités pharmaceutiques

• n° 522 • janvier 2013 • 47

veille pharmaceutique

pratique

en trois mois après l’arrêt du médi-cament.Il est retrouvé des alopécies avec la fluoxétine et ce, à des doses variables (20 à 60 mg par jour). La perte des cheveux ne semble pas se stop-per avec la diminution de la posologie. Seul l’arrêt du médicament permet leur repousse.Le lithium semble être à l’origine de nombreuses alopécies. Il est, en effet, mentionné une perte des che-veux dans environ 15 % des traite-ments ou encore des modifications de la texture du cheveu dans envi-ron 20 % des cas. La chute des cheveux est diffuse et intervient après 6 mois de prise de lithium. L’arrêt du traitement engendre une repousse totale. Le mécanisme est inconnu à ce jour. Dans tous les cas rapportés, la lithiémie se situait dans les normes.Les neuroleptiques pourraient engendrer des alopécies, notam-ment les phénothiazines et les butyro phénones.

Les antiépileptiquesL’acide valproïque est util isé comme antiépileptique et comme thymo régulateur. Il peut, dans 0,5 % des cas, engendrer, chez les patients traités, une perte transitoire et une modification de la texture ou de la couleur du cheveu.Les cas sont beaucoup plus rares avec les autres antiépileptiques.

Les anticoagulantsLes héparines et les antivitamines K (AVK) peuvent être à l’origine d’alo-pécies. L’incidence est évaluée de 19 à 70 %. L’alopécie est réversible à l’arrêt du traitement. Elle touche-rait tout le cuir chevelu, mais égale-ment les sourcils et les zones pubiennes. Les AVK agiraient en accélérant la phase télogène, avec un effet dose-dépendant. Les héparines, quant à elles, agi-raient par une action antimitotique.

Les antihypertenseursIl est rapporté des cas d’alopécie avec les bêtabloquants (métoprolol, propranolol, nadolol). Il s’agit de pertes diffuses ou en plaques tou-

chant tout le corps. Les symptômes s’avèrent réversibles en 4 à 8 mois. Le mécanisme d’action est discuté. Il s’agirait d’un effet toxique direct sur le follicule pileux, par inhibition des mitoses secondaires à la dimi-nution de production d’adénosine mono-phophate cyclique (AMPc), associé à l’inhibition des effets des catécholamines, responsable de la vasodilatation des vaisseaux sanguins périphériques. La vaso-constriction secondaire favoriserait alors la chute capillaire.Les diurétiques antagonistes de l’al-dostérone agissent par un effet anti-androgénique.Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) paraissent à l’ori-gine de pertes de cheveux réver-sibles (énalapril, captopril). La prise de ces médicaments, lorsqu’ils sont associés à une insuffisance rénale, serait à l’origine d’une carence en zinc, responsable de symptômes tels que l’alopécie.

Les antithyroïdiensLes antithyroïdiens inhibent la syn-thèse des hormones thyroïdiennes et peuvent engendrer une hypo-thyroïdie, responsable d’alopécie par un mécanisme de type éfluvium télogène. Cependant, le carbimazole et le thiouracile engendrent également des alopécies chez les patients euthyroïdiens.

Les contraceptifs et hormones sexuellesL’alopécie de type androgénique est un effet indésirable fréquent de la contraception estroprogestative. Les pertes de cheveux surviennent

deux à trois mois après l’arrêt du traitement. Le mécanisme se rap-proche de la privation hormonale observée pendant l’accouche-ment. En effet, la grossesse aug-

mente le pourcentage de cheveux en phase anagène. Après l’ac-couchement, ces che-

veux passent en phase télogène, impliquant une importante chute.

Les hypo-cholestérolémiantsLes fibrates et la cholestyramine peuvent déclencher des pertes de cheveux ou des modifications de la texture des cheveux. L’alopécie n’est pas dose-dépendante et le mécanisme reste mal connu.

Les autres médicamentsD’autres médicaments peuvent être impliqués :• la vitamine A et les rétinoïdes ;• les interférons ;• les agonistes dopaminergiques ;• la cimétidine ;• la colchicine ;• l’allopurinol.

ConclusionAu-delà des chimiothérapies anti-cancéreuses, il existe de nom-breuses classes médicamenteuses s’avérant être à l’origine de pertes de cheveux. Il est difficile de connaître l’incidence exacte de cet effet indésirable en raison de sa sous-notification. Il s’agit, le plus souvent, d’un effet indésirable transitoire, cédant à l’ar-rêt du médicament responsable. Il est cependant important de bien le prendre en considération lors de la dispensation car il préoccupe les patients et il amoindrit leur qualité de vie. w

Déclaration d’intérêts :

l’auteur déclare ne pas avoir

de confl its d’intérêts en relation

avec cet article.

L’auteurFrançois PILLONService de pharmacologie

clinique, Faculté de médecine

Laennec, 8 rue Guillaume-

Paradin, 69008 Lyon, France

[email protected]

De nombreuses classes médicamenteuses s’avèrent être à l’origine de pertes de cheveux