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Les arts de bâtir, - CORPUS · qui ajoutent au parement de pierre sa touche de variét ... d’agrégats (sable, tuileau, graviers, déchets de pierre) avec une composition granulométrique

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Les arts de bâtir, les techniques et les hommes

Pays de la pierre par excellence, le Liban n’a que peuexploité dans son architecture l’utilisation de la terre et dubois pourtant abondant sur son territoire. Les arts de la taillede pierre sont développés : les diversités locales exploitentlargement les possibilités des matériaux à disposition, tantsur le plan technique que sur le plan esthétique ou mêmeartistique… Le noir du basalte, le gris, l’ocre, le jaune ou leblanc du calcaire, l’ocre jaunâtre du grès : autant de couleursqui ajoutent au parement de pierre sa touche de variétéd’appartenance géographique et de vibration visuelle.

Les techniques de la pierre, restent très bien assimilées parles artisans, dénotent d’un savoir faire solidement ancré dansl’histoire du bâti traditionnel local, qui apparaît à différentsniveau : angles, linteaux et encadrements ouvragés, arcades,corniches, etc. Les techniques de la pierre taillée au Liban onttoujours été transmises de père en fils et la coupure imposéepar la guerre n’a pas vraiment affecté les tailleurs de pierre.On ne peut malheureusement pas en dire autant des autresmatériaux disponibles comme la terre ou le bois, lestechniques d’enduits et celles des planchers en terre ou enpierres : elles ont quasiment disparu du savoir-faire local.

La notion du local ne se limite pas aux matériaux : elleenglobe également les techniques et les savoirs - fairedans un ensemble indissociable d’une certaine idée dupatrimoine, marqué par des facteurs culturels ouéconomiques. Homme de l’art, l’homme de métiercherche traditionnellement à magnifier les ressourcesdisponibles, à développer les capacités constructives, àsublimer les performances dans la contrainte. Les arts debâtir, héritiers de techniques ancestrales, ne sont pasneutres : ils sont la pierre d’angle dans lacompréhension et la réalisation de constructions, quiprocèdent elles-mêmes d’un système d’adaptation entrematériaux locaux, techniques et savoir - fairecommunautaires de référence. Aujourd’hui, la disparitionde ces ressources et de ces effectifs est, avec le manqued’entretien, un des facteurs majeurs de la désintégrationdu bâti traditionnel, notamment au niveau de sesenveloppes et de ses structures.

La structure verticale, les murs

- Les murs de pierreLa variété d’aspect est considérable selon les types de

murs, les matériaux et le type de finition. Les murs enpierres taillées sont généralement réalisés par un tailleur depierre alors que pour les murs en pierres équarries oubrutes, le travail est réalisé par un maçon. Les murs enpierres taillées et dressées soigneusement ne sont pasl’apanage des édifices de commande ou de prestige : ilssont présents sur l’ensemble du territoire.

La pierre calcaire est prédominante, la proximité etl’abondance des carrières rendant son coût accessible.L’aspect de finition recherché est celui d’une texturationfine résultant de l’emploi d’outils comme la chahouta (et

plus tardivement l’emploi de la boucharde avec lachahouta). La pierre de calcaire blanche reste la préféréedes tailleurs de pierre en terme de couleur, ce qui n’exclutpas des inclusions de pierres calcaires de dureté et couleurdifférentes pour des effets de polychromie, notammentdans les angles et dans les baies.

La pierre taillée et simplement équarrie est égalementprésente dans l’intégralité du pays. Elle est moins régulièreet souvent la hauteur du bloc est donnée par son lit decarrière et seules quatre faces sont retouchées. Cettetechnique donne un appareil assisé, parfois réglé. On laretrouve sous forme d’un matériau plus dur, calcaire engénéral, mais aussi en grès dunaire sur les côtes et enbasalte au Nord du Pays dans les régions du Akkar.

La pierre brute hourdée est présente sous une grandevariété d’aspects et de dimensions dictés par la diversité desa nature et de sa provenance : basalte du Nord, grèsdunaire sur les côtes et de nombreux calcaires trèsdifférents. La pierre reçoit très peu d’interventions de tailleet ses maçonneries nécessitent beaucoup de mortier etd’éléments de côtes de petites dimensions. Le réglage desassises est souvent dû à la régularité du matériau brut.Certaines maçonneries qu’on retrouve dans les maisons dela plaine de la Békaa reprennent une technique deconstruction en épi, qui perdure depuis l’âge du bronze.

La pierre sèche est utilisée pour de petits édifices etgénéralement dans la moyenne montagne libanaise. Cettetechnique, bien qu’assez frustre, exige un savoir - faireassez évolué pour assurer la stabilité de la maçonnerie. Eneffet, l’absence de mortier nécessite une bonneorganisation interne des blocs d’où l’importance d’uncalage rigoureux, et une attention particulière àl’écoulement des eaux hors de la maçonnerie.

L’aspect brut du matériau est souvent gardé en finitionsurtout dans le cas des pierres calcaires de bonne facture. Unjointoiement en creux, (beaucoup plus tardivement en reliefet avec une autre couleur) vient compléter l’effet recherché.

Quand l’appareil n’est pas assez régulier un badigeon ouun enduit de chaux est appliqué directement sur la pierrepour unifier l’aspect du mur. Ce dernier n’est pas seulement

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l’étanchéité de la maçonnerie, ainsi que pour des raisonsd’assainissement dans les parties habitées.

La chaux, bien que présente sur l’ensemble duterritoire, n’est pas toujours à portée de bourse duconstructeur. Son souci va être d’économiser, soit enamaigrissant son mortier en utilisant un maximumd’agrégats (sable, tuileau, graviers, déchets de pierre) avecune composition granulométrique bien réglée, soit enutilisant un maximum de liant terre, beaucoup plusdisponible, notamment dans la Békaa.

Les constructions en pierre s’appuient directement surla roche quand elle affleure ; sinon la recherche du bonsol s’impose au moyens de rigoles creusées n’atteignantpas 1 m de profondeur. Le mur de pierre s’échelonne entre45 à 120 cm d’épaisseur ; il est formé de deux parementsliaisonnés ou non par des boutisses, avec un remplissageintérieur constitué de cailloux, terre et mortier de terre oude chaux. On soigne davantage aux angles le contact entreles pierres : on y met de plus gros modules, parfois faitsd’une autre pierre plus régulière et mieux taillée, on lesharpe afin de liaisonner cet ouvrage, qui est un chaînageentre deux plans, avec le courant du mur.

Bien montées et bien dimensionnées, toutes cesvariantes de mur de pierre sont très solides. Leurs seulsennemis sont les mouvements tectoniques, les pousséesmal maîtrisées et l’eau. Par capillarité, l’eau du sol remontedans les bas de mur, solubilise lentement les liants (terre etchaux) en rongeant mortiers et joints; des vides se créentainsi et les éléments de maçonnerie basculent, sedésorganisent jusqu’à l’instabilité, voire la ruine.

Au plan sismique, le risque principal est le cisaillementbrutal. Pour y faire face, on retrouve dans les régions de laBékaa jusqu’au Akkar, des systèmes très astucieux etefficaces de chaînages horizontaux en bois, quiinterrompent l’appareil du mur et peuvent encaisser lesviolentes sollicitations des secousses. De manière générale,la négligence dans l’entretien des toitures reste la causeprincipale des désordres observés au Liban dans les murs.

Enfin, l’outillage de base est extrêmement simple etcommun à tous : parfois la main seule, puis les fils àplomb, niveau et cordeau pour la géométrie, truelle pourles mortiers, outil de percussion pour retoucher lesmoellons. Une grande gamme d’outils spécialisés tels

dabboura, chaqouf, chahouta, pic, tartabic et autres sontutilisés pour refendre les blocs des pierres taillées et finirleur parements.

- Les murs de terre crueAu Liban, les gisements de terre argileuse se retrouvent

dans les bassins limoneux à proximité des fleuves et plusprécisément dans la plaine de la Békaa. L’abondance de laterre crue, sa gratuité, sa facilité de mise en œuvreexpliquent son emploi intensif dans les habitations ruralesde cette région. En effet, les tâches de préparation dumatériau, le moulage des modules dans des cadres en boispeuvent être assurés par l’habitant, si bien que laconstruction en briques de terre crue requiert une faibleexpertise qui la rend à la portée de tous.

La durabilité d’une telle construction est tributaire de saprotection contre les eaux pluviales et les remontéescapillaires, d’où la nécessité d’une fondation en pierre,d’un enduit sur les parements (enduit de chaux ou de terregénéralement badigeonné à la chaux) et d’une bonnepassée de toiture à la crête du mur.

Si les propriétés du sous-sol sont insuffisantes à réaliserl’ouvrage envisagé, le constructeur corrige, incorpored’autres matériaux dont la panoplie est grande : sables,graviers, cendres, paille hachée, chaux. Les fibres lui serventà obtenir la résistance à la flexion et à la traction ; les chargeslui apportent les bonnes performances de compression.

Pour le reste, les murs de briques forment des mursépais de 60 à 80 cm ; ils ont les qualités de la géométrie dumodule, généralement deux fois plus long que large. Lesmodules sont posés suivant un assemblage alterné d’unelongueur et d’une largeur, de deux longueurs, de deuxlongueurs et d’une largeur, etc. Les petits modules desbriques n’autorisent pas la construction de piliers, maispermettent la création d’arcs et de niches.

L’appareil de la construction en briques de terre crueest parfaitement assisé et réglé, les joints sont croisés etles angles traités comme le courant du mur. On retrouvedes chaînages en bois incorporés aux angles et deséléments en pierre servant d’encadrements dans lesfaçades. Cette introduction d’éléments en pierre tailléedénote la recherche d’une certaine esthétique, qui sedémarque de l’aspect rural.

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mes- Les murs à ossature bois

Les murs à ossature bois sont composites : leséléments de bois supportent et transmettent les chargesen s’appuyant sur une base continue de maçonnerie, lesespaces entre les bois sont remplis avec des matériauxminéraux (terre, cailloux et mortier). L’ossature n’estjamais laissée apparente, elle est enduite de chaux ourecouverte de planches de bois.

Cette technique de murs porteurs en bois est réservéeaux galeries d’arcades extérieures dans les parties noblesdes étages, le plus souvent en saillie sur le reste dubâtiment. Elle n’est pas à confondre avec celle des Kecheks(volumes en saillie entièrement en bois) associés aux mursde pierres taillés des demeures palatiales.

Dans d’autres cas, l’ossature formée d’uncloisonnement étrésillonné ou non est recouverte de partet d’autre par de petites lattes enduites de chaux(technique connue sous le nom de Bagdadi). Cettetechnique, est visible sous la forme de galeries extérieuresen arcades dans certains villages de la montagne libanaisesitués sur d’anciens axes commerciaux (Choueir, Douma,Chtoura, Deir el Qamar) et sous une forme plus simpledans des villages de la côte. Elle semble représenter uneadaptation locale modeste des modèles d’ossatures en boisutilisés en Turquie.

Pour les pièces structurales, le charpentier-menuisierutilise selon les disponibilités le sapin, le pin ou le qotrani.Les sections des bois règlent les épaisseurs des murs entre7,5 à 14 cm : avec ces minceurs de murs, on ne dépassepas un niveau. Pour le lattis du Bagdadi, le boisgénéralement utilisé est le sapin Chouh .

- Les baies et les arcsDeux situations différentes se présentent : le cas où la

baie dans le mur est une simple perforation dans sacontinuité, jouant le seul rôle d’une ouverture, fenêtre ouporte ; le cas où un ouvrage de structure –c’est le plussouvent un arc dans la tradition constructive– se substitueau mur, où il est un support. De dimensions parfois trèsanalogues, les deux situations peuvent montrer les mêmestypes d’arc, c’est donc par leur fonction qu’il convient deles distinguer.

- Les baiesLe vide des baies constitué par le percement du mur est

une fragilité. Cette contrainte que le maçon n’ignore pasle conduit naturellement à mieux soigner les jambagesque les parties courantes du mur. Dans presque tous lescas, le piédroit est exécuté avec un degré de qualitésupérieur qui peut prendre plusieurs formes parfoiscombinées : fait en pierre de plus gros calibre, en calcairede meilleure dureté, avec plus d’ajustement des faces pourun meilleur contact entre les pierres, avec un harpagesoigné avec le reste de la maçonnerie, avec une saillie quiaugmente la section de cet ouvrage de support…L’organe de franchissement, linteau ou arc, premier àsupporter les charges verticales, fait l’objet d’un souciparticulier de résistance. Soit il est par lui-même biendimensionné et s’oppose efficacement aux contraintes,sans déformation ou rupture, soit il est soulagé par un arcde décharge qui autorise à ce qu’il soit moins résistant à laflexion. Dans les murs épais de maçonnerie, le linteau dela fenêtre est toujours plus rigide que le parement de

façade, l’arrière linteau étant moins élaboré et réalisé dansl’épaisseur du mur au moyen de blocs de moindreépaisseur espacés ou de pièces de bois ou de branchagesd’essences locales (mûrier, etc.).

Au Liban, les grandes baies et portiques (2 m en largeuret 3 m en hauteur) restent quand même l’apanage de lamaçonnerie en pierre. A l’inverse, il convient dementionner la petite fenêtre, destinée à la ventilation et laprotection thermique contre le vent, le froid ou le soleil,qu’elle soit rectangulaire et petite dans les habitationsrurales ou de forme ronde ou elliptique (Qammarat ouMoubawaqat) dans des habitats plus bourgeois.

On ne peut clore cette description technique sansmentionner l’importance de la porte comme enjeu dereprésentation et de protection à la fois : elle estmonumentalisée par ses dimensions, son encadrement(même dans les habitations rurales, l’encadrement de laporte est badigeonné en blanc) et souvent soncouronnement en matériaux plus nobles ou plusarchitecturés (moulures, sculptures), sa huisserie et sesferrures ouvragées. De même, la baie dépasse sa fonctiond’éclairage pour devenir un poste d’observation, unmirador social derrière les vitres de couleurs la salle deséjour. Les trois baies à arcades et balcon caractérisant lesmaisons à hall central signalent aussi l’appartenance à unecertaine catégorie sociale.

- Les arcs

Le grand arc lorsqu’il est support avec sa pile ou

colonne (Chamaa) et son chapiteau (Taj) est un organe

soigneusement tracé et ajusté, performant dans son rôle

de libérer l’espace en remplaçant efficacement le mur ou la

poutre. Destiné à subir des efforts importants, il est réalisé

en matériaux durs et réguliers : pierres taillées. Cet arc est

très présent dans l’architecture de l’habitat traditionnel,

moins dimensionné que celui des édifices monumentaux et

ouvrages d’art certes, mais tout aussi bien exécuté et

présentant un certain degré de maîtrise technique.

Les deux modèles d’arcs en pierre qu’on retrouve le plusfréquemment dans l’habitat au Liban sont l’arc à plein cintreet l’arc brisé. Les rares arcs en briques de terre crues observéssont des arcs surbaissés destinés à la réalisation des niches(Youk) dans les murs intérieurs des maisons rurales.

Moukhtara

Contrairement aux idées reçues, les arcs ne sont pasune exclusivité des maisons bourgeoises, et on a souventrecours à l’arc en plein cintre à l’intérieur des maisons ruralesrectangulaires en pierres pour augmenter la portée desplanchers en terre. Galeries d’arcades, arcs ouvragés, baiesaux trois arcades et arcs pour iwan : le modèle de l'arc briséen tiers point reste pourtant le favori des constructeurs etcelui dont ils maîtrisent le mieux la technique.

Sur tout le territoire libanais, les porches, les portails, lessouks, les galeries, etc. donnent lieu à la mise en œuvred’arcs. Leur profil est conditionné par la hauteur disponibleet leur confère leur élégance ; ils sont montés sur coffrageet autorisent des portées jusqu’à 4 m. En fin de vie, lorsquel’immeuble est en train de se ruiner, c’est l’arc qui reste enplace, prouvant sa solidité et rappelant la maîtrisetechnique qu’il a fallu pour l’édifier.

Le revêtement des murs : enduits et badigeons

- Les enduitsSi le mur reçoit un enduit, c'est en premier lieu pour une

raison fonctionnelle de protection. Par la suite, cettecouche que l'on peut poser et finir de tant de manièrespeut devenir le support d'une expression spécifiquementdécorative. La nécessité d'enduire est proportionnelle à larésistance des matériaux du mur support. Les maçonneriesles plus sensibles à l'eau sont les systèmes utilisant la terrecrue, elles sont le plus souvent enduites. Viennent ensuiteles maçonneries de moellons bruts ; du fait des formesirrégulières de leurs modules, une bonne partie du mortierde hourdage, dont la porosité à l'eau est grande, estexposée en parement : encore une raison d'enduire. Deplus, les calcaires tendres largement dominants dans larégion et les pierres de grès dunaire (Ramleh) étantégalement poreux et donc fragiles à l'eau, leur protectionest pertinente.

Les enduits de chaux sont très présents dans le bâtiancien sur tout le territoire libanais. De la simple version quicommence au simple joint garni, à l’enduit épais, la chauxreste un élément primordial et recherché. L’abondance desfours à chaux a permis le recours à ce matériau, utilisé parle plus humble bâtisseur pour s’offrir un langagearchitectural noble et élaboré. L'aspect final résulte de

l’épaisseur, du grain et de la couleur des agrégats, et desoutils d'application et de finition employés.

Le maçon envoie à la truelle, couvre toute la surface etégalise, enlève le surplus avec le tranchant de la truelle.Travail rapide, en une seule passe, qui assure la protectiondu support. Système plutôt rural et rustique, peu présenten ville où plus d'urbanité est recherché. Plus élaborés sontles enduits lissés souvent remplacés par leurs héritiers nésavec le ciment, les enduits talochés. Ils peuvent êtreappliqués sur l'enduit décrit précédemment qui sert alorsde dressage ; voici donc une version à deux couches. Le

lissé est le geste évident du maçon depuis l'Antiquité : il estposé à la truelle, outil qui lui permet de serrer, d'égaliser etd'obtenir ce fini inimitable d'un faux plat qui chante avecla lumière rasante, délicatement animé comme la surfacede l'eau et du sable. Il donne cette touche ferme de l'outiltout en ayant l'adouci du mortier plastique à la pose, ilrévèle le grain coloré sans l'empâter, il a l'élégance d'ungeste travaillé et naturel. Aujourd’hui, avec le liant cimentqui tire plus vite, les maçons ont perdu ce geste ancestralpropre à la chaux ancienne. Pour égaliser et finir, on lui asubstitué la taloche qui, par sa surface, par sa positionparallèle au mur, donne un aspect plus raide, un gestecirculaire frotté qui promène le grain.

Beaucoup d’enduits à la terre sont aussi utilisés pourprotéger les maçonneries montées au mortier de terrecomme celles en terre crue. L’enduit est appliqué soit enune seule couche grossière, soit en deux ou trois, avecdes agrégats plus fins à la dernière. Son épaisseur estvariable, le souci de planéité très relatif, l’outil utilisé lamain ou la truelle.

Les enduits au Liban privilégient, en façade extérieure,la sobriété d’une expression unique au langage décoratif.Les enduits décoratifs modelés, ciselés, extrêmementélaborés et fins sont gardés pour l'espace intérieur privé.Alors que les premiers, fonctionnels, sont réalisés par leshommes, les derniers assez personnalisés (généralement enterre), sont l’ouvrage des femmes. Ils sont associés auxbandeaux, plinthes et panneautages pour les rythmesverticaux (tels les réserves de céréales Tawabit dans lesmaisons des régions de la Békaa et le Chouf.

Les gisements de gypse étant inexistants sur l’ensembledu territoire, les rares enduits de plâtre (décoratifs) observéssont le résultat d’une influence européenne assez tardive. Ilsn’ont pas supplanté les enduits intérieurs décoratifs de chaux

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réalisés d’une manière élaborée et très fine (usage deroulette pour impression en relief, peinture…).

Le décapage intensif des enduits réalisé sur lesmonuments historiques ces 30 dernières années à généréune mode qui a affecté les enduits de chaux et de terreprésents sur le bâti ancien et l’habitat traditionnel,négligeant complètement le rôle important de protectiondes maçonneries assuré par ces enduits (surtout dans le casdes maçonneries en pierre Ramleh). La restitution del’enduit, quand elle a lieu, se fait à l’aide d’un mortiercomportant un liant au ciment qui présente de sérieusesincompatibilités avec le support traditionnel en pierre ou enterre. L’emploi de la chaux est surtout réservé aux travauxde restauration. A ce problème s’ajoute une perte destechniques de la chaux et une absence d’artisansspécialisés.

- Les badigeonsLe badigeonnage à la chaux est une pratique courante

sur tout le territoire libanais. Son renouvellement se fait demanière pratique continue, souvent domestique et nonprofessionnelle et est considéré comme une pratiqued’hygiène régulière au cycle saisonnier. Le liant, l’eau, unebrosse ou un balai de soies animales ou de fibres végétales, sont nécessaires à cette opération.

La répétition cyclique du blanchiment engobe les fondsde couches multiples assurant ainsi une protection auxmaçonneries. Le badigeon donne sa touche finale à laconstruction ; de barrière il devient décor et lesencadrements de portes et de fenêtres ou les façadesd’entrée acquièrent une importance prédominante.

Beaucoup de blanc et très peu de badigeons teintés ; lesgisements de terres colorées étant inexistants, les rarescouleurs traditionnelles observées dans les badigeonsdécoratifs sont d'origine végétale (bleu-indigo…) ouorganique. Les couleurs observés en milieu urbain,généralement à l’intérieur des maisons, sont le résultatd’une mode européenne plus tardive.

La structure horizontale de franchissement

- Les planchersQuand ils ne sont pas sur voûte, les planchers

traditionnels au Liban font toujours intervenir une ossatureen bois. Deux grands types sont à distinguer : le modèle

mince, avec solives et planches, où le matériau visible ensous-face est également celui qui est utilisé en surface ; ilest toujours à l’intérieur, son ajustement est très soigné . Lemodèle épais, avec un dispositif qui superpose lecouvrement entre solives, un complexe lourd maçonné, unsurfaçage ou un revêtement rapporté ; bon isolant, on letrouve à l’intérieur et en toiture-terrasse.

Ce dernier modèle est le plus courant. Pour leconstructeur, il s’agit de lancer une surface horizontaleentre murs, suffisamment stable et résistante poursupporter des charges d’exploitation liées à l’habitat ou austockage, suffisamment massive pour qu’elle soit plusqu’une membrane et qu’elle sépare et isole efficacement.

Pour la structure primaire, portée et section des boissont évidemment proportionnelles : Il est rare que l’ondépasse 20 cm de section pour les dimensions les pluscourantes (4,50 m à 5,50 m). Bois équarris ou bruts, enpin, peuplier, cèdre et autres essences locales (Qotrani,Aafs, Delb, Sindiane, Haour, Zinzlacht, etc.), les entraxes dela structure bois sont espacés ou serrés selon la nature dumatériau de couvrement entre solives et tournentgénéralement autour de 60 cm. C’est toujours un systèmed’encastrement qui fait la liaison entre le mur porteur et leplancher : une logique de maçon prédomine.

La couche centrale, l’ouvrage lourd compacté avoisinele plus souvent les 25 à 30 cm d’épaisseur. Contrairementaux dalles modernes de béton dimensionnées au plus justeet par conséquent minces, le constructeur traditionnel nelésine pas sur l’épaisseur. Cette dernière lui assure ainsi unmeilleur confort (vibrations, isolation thermique etacoustique).

Même moins courant, les planchers traditionnels saventaussi franchir de grandes portées, de 7 m jusqu’à 12 m. Lasolution la plus simple est d’installer des points d’appuiintermédiaires par poteaux ou colonnes. Si l’on veut libérerle sol, on ajoute un rang horizontal supplémentaire : unepoutre maîtresse de bonne section qui reprend deuxtravées de solives de portée courte. Mais on peut aussiavoir recours à un arc pour doubler la portée d’un modulede longueur de solive. Plusieurs autres solutions encore

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mes pour compenser les charges et lutter contre la flèche : on

multiplie les éléments de solivage, ou bien on augmenteleur section, ou enfin on connecte deux à deux les solives.

Les bois et les fibres végétales sont sujets aux attaquesorganiques des insectes et des champignons, et à des risquesde pourrissement (encastrements mal ventilés, défautsd’étanchéité). En réponse, on rencontre beaucoup debadigeonnage à la chaux des ossatures qui minimisent cespathologies alors que dans les milieux ruraux, les paysansconsidèrent que la fumée qui se dégage des cheminées (sansconduit extérieurs ) dépose une couche noire protectrice surle bois. Par conséquent, l’aspect brut, enduit ou peint (voiredécoré) n’est pas nécessairement le résultat d’un souci plusou moins noble dans le traitement, mais répond à un besoinsanitaire de mettre hors poussière et d’encapsuler desouvrages qui vibrent et souffrent des apports humides.

- Les voûtesPour franchir l’espace entre deux appuis et couvrir

une surface, l’alternative à l’ossature bois est la voûte.Cette voûte peut elle-même constituer le support d’unesurface de circulation, plancher ou terrasse, ou êtrecouvrement sommital en lieu et place du complexetoiture - couverture, avec étanchéité intégrée.

Le système de voûtement est employé partout auLiban. Qu’il soit rural ou urbain, chaque milieu l’a intégréet adapté à ses propres matériaux. On trouve ces ouvragesréalisés en pierre taillée, moellons grossiers ou plats,souvent de calcaire. Hormis pour la pierre taillée où lescontacts entre claveaux sont excellents et les jointsquasiment secs, les voûtements sont maçonnés avec lesmêmes diversités de mortiers que pour les murs : terre,chaux sans trop d’éléments de calage.

La voûte est un ouvrage solide, solidaire de la structurelourde du bâtiment, le plus souvent mise en œuvre enpartie inférieure de la construction : sous-sol (citerne), rez-de-chaussée, où elle porte les planchers. Ce paysage desgrands arcs en pied de la maison est extrêmement courantdans tout le Liban. Lorsqu’elle est en superstructure, elleest soit soigneusement extradossée et protégée par undispositif d’étanchéité (mortier serré), soit garnie à ses reins

pour constituer un toit-terrasse (staiha). Ce systèmeconstructif est bien adapté aux ouvrages linéaires et, en lemultipliant, au couvrement de grands espaces publics surpiliers. Mosquées, caravansérails, hammams, souks, égliseset monuments sont couramment voûtées.

Au Liban, dans l’architecture ordinaire, la typologietechnique la plus courante est la voûte en berceau, avec savariante déjà plus sophistiquée pour le constructeur qu’estla voûte d’arête, c’est-à-dire la pénétration de deuxberceaux. Le berceau est généralement plein cintre,simplement parce que c’est le profil en demi-cercle quitransmet le mieux les charges verticalement aux murssupports. Avec le berceau, sauf quand deux ouvragesparallèles annulent leurs poussées latérales en permettantd’amincir le mur support, nous sommes dans des systèmesépais où les murs sont très peu percés.

La voûte d’arête fonctionne différemment : les chargesétant transmises sur des piliers puissants et non plus surdes murs, elles permettent d’évider complètement lesquatre panneaux verticaux, et donc d’éclairer et d’exploitersur toute la hauteur les accès au volume.

Berceau et voûte d’arête sont deux types réguliers,symétriques et au tracé rigoureux. Leursdimensionnements sont connus empiriquement et lesrapports entre profil, portée et épaisseurs, bien avant queles ingénieurs ne les valident par le calcul, sont acquis ettransmis efficacement. Si les portées des voûtess’échelonnent de 1 à 7 m, c’est autour de 4 m que l’onconstruit le plus souvent, avec rarement moins de 30 cmd'épaisseur à la clef (sauf pour les ajustages de pierre tailléequi peuvent permettre d’amincir l'épaisseur).

D’expérience, le maçon sait que l’ouvrage ne devra sastabilité qu’à une parfaite cohésion de ses éléments.Lorsqu’il travaille avec des éléments non taillés qui nes’ajustent pas naturellement selon le profil recherché, lajuxtaposition intime, le blocage serré et le croisement desmodules, l’excellent bourrage du mortier de hourdage sontles conditions indispensables de la mise en œuvre. Bienmontée, une voûte s’apparente à une maçonnerieconcrète, quasi monolithique, que les éventuelsmouvements qui affectent le bâtiment ne doivent pascompromettre aisément.

Enfin, que la voûte soit en pierres de taille ou enmoellons irréguliers, son montage a généralement lieu aumoyen d’un coffrage. Un couchis de planches constitue lefond de coffrage, plancher rayonnant dont la régularitéconditionne la face vue, l’intrados de la voûte.

- Les coupolesLes coupoles et toutes formes de dômes sont des

couvrements dont les profils en plein cintre, surbaissés ousurhaussés sont adaptés pour couvrir un espace de plancarré. L’ouvrage étant conçu selon un axe vertical derévolution au centre du volume, le problème techniqueposé au constructeur est donc d’effectuer la transitionentre le plan carré et le plan circulaire : le principe consisteà couper les angles du carré à la naissance de l’arc pourpasser à un plan octogonal régulier, dont la géométrie estproche du cercle.

Comme pour les voûtes rayonnantes, tous les matériauxet mortiers sont utilisés. Au Liban, on retrouve les coupolesde différentes dimensions dans l’architecture religieuse(mosquées et églises), et dans les monuments historiques

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de grandes tailles (khans, hammams, madrassas etc.). Surl’habitat, elles sont presque inexistantes sauf dans lesdemeures palatiales et dans de rares habitationsbourgeoises sous formes de petites coupoles en briques età cul de bouteilles couvrant les petits hammams.

- Les charpentesLes systèmes à toit plats sont décrits dans les planchers

et dans les couvertures plates. Ici, nous nous intéressonsaux charpentes ou ossatures qui portent les couvertures enpente. La situation de très loin la plus courante enMéditerranée est celle d’une tradition de charpentesempilées, et le Liban ne déroge pas à cette règle.

La charpente empilée apparaît comme un ouvrage deconception relativement archaïque fonctionnant à la

compression, c'est-à-dire que les charges sont transmiseset transférées verticalement. Selon le même principe dedescente des charges, des systèmes très sommairescoexistent sur le territoire avec des charpentes hautes etapparemment complexes dans leur assemblage. Dans lecas des systèmes sommaires, une poutre principale estgénéralement placée dans le sens longitudinal de laconstruction, plus haute que les murs et reçoit les poutrestransversales. Sinon, on constate exceptionnellement unempilage de troncs d’arbres ayant une extrémités’appuyant sur les murs périphériques , l’autre extrémitéétant assemblée par emboîtement avec d’autres troncs auplus haut niveau de la toiture. Ces troncs comblés par unecouche de branchages reçoivent une couverture deplantes épineuses (huttes de Ouadi Faara). Dans le cas descharpentes hautes, la transfert des charges de la toiturevers les murs passe par un empilement de poutrelles,chevrons, poinçons, poteaux vers des poutres et despoteaux plus importants puis vers des poutres majeures ousablières, l’ensemble étant assemblé plus ou moinssimplement avec des clous, des fils ou par le biaisd'encoches (embrèvements). Quelquefois, des fermesassemblées en triangles (l’étymologie de ferme est « fermé») donnent l’apparence d’une charpente triangulée, maiselles n’en ont ni la conception ni les performancesd’équilibre et dénotent une profonde incompréhension dusystème. La visite de ces charpentes en montre d’ailleurstoutes les limites : beaucoup de pièces cassées du fait demauvais dimensionnements, de fléchissements palliés au

jour le jour par des ajouts improvisés et une forêt depoteaux qui soutiennent pannes ou arbalétriers.L’ensemble requiert ainsi une quantité de bois trèsimportante, dont certaines pièces de fortes sections et degrandes longueurs ; les essences locales telles que, Chouh,Qotrani sont utilisées.

Par contraste, les charpentes savantes et légèresdéveloppées par l’art des ingénieurs du XIXe siècle enEurope du Nord n’ont que très peu touché le Liban. Lecadre rigide et indéformable de la ferme triangulée, où lesassemblages sont ajustés, où l’équilibre des forces estcalculé avec précision entre pièces comprimées et piècestendues, où il n’y a plus de pièce en flexion, n’interviendraque tardivement sur de nouveaux bâtiments trèsspécialisés. L’emploi de cette technique, notablement plussavante et qui procède du calcul, oblige en outre le recoursà un véritable charpentier, formé comme tel et possédantune expertise dont le maçon généraliste ne dispose pas.D’ailleurs, les toits au Liban ne comportent quasiment pasde complications de percements de type fenêtres oulucarnes, dont l’ossature et l’étanchéité posent desproblèmes de raccord complexes à un non-spécialiste.

La couverture

- Les toitures platesElles sont visibles sur l’ensemble du pays, de la côte à la

montagne en passant par la plaine de la Békaa. Elles ont encommun la même simplicité structurelle d’un complexeépais formant l’étanchéité, leurs très faibles pentes,inférieures à 5 % pour évacuer les eaux et la nécessité d’unentretien permanent, qui est aussi la raison de leurtransformation.

Les matériaux employés dans ces couvertures étantsolubles, une révision permanente pour resserrer lesfissures est indispensable. Un damage au moyen d’uneMahdalé (pierre cylindrique de 60 cm de long et de 28 cmde diamètre environ) est réalisé avant la pluie et une autretechnique palliative est adoptée pour le colmatage desfissures et qui consiste à couvrir le toit de terre argileuseavant la pluie et à profiter de l’action de l’eau pourl’introduire dans les interstices de la dalle. Désormais, onrencontre parfois l’interposition d’un film plastique ou d’unmatériau bitumineux sur la dalle afin d’espacer lesobligations d’entretien.

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mes Terre ou chaux, il a fallu la mise au point de savoir-faire

très élaborés pour obtenir une étanchéité à partir dematériaux poreux et de formes horizontales : on atteint làun des sommets de l’art de bâtir traditionnel. Cette maîtrisequi mobilise l’entretien permanent disparaît avec les bétons,considérés comme mis en place une fois pour toutes.

Dans les toitures plates, on rencontre deux détails deraccordement entre le mur et la terrasse. Le plus courantest l’encuvement de la couverture entre des acrotères, desrehausses des murs. Les relevés d’étanchéité, les sommetsde murs font l’objet d’enduits très soignés et entretenus.La collecte des eaux pluviale se fait par l’intermédiaire de lapente vers une gargouille. L’autre type de raccord se fait encasquette, avec un très large débord (60 cm) de lacouverture afin de rejeter les eaux pluviales le plus loinpossible du mur et d’éviter tout ruissellement.

- Les toitures en penteVersion plate et mécanique de la tuile romaine et issues

de la fabrication industrielle qui utilise les mêmes moduleset dimensions de tuiles (longueur autour de 40 cm, largeur25 et hauteur 2,5), les tuiles plates mécaniques constituentavec leur couleur rouge une des marques de fabrique dupaysage construit du Liban.

Les tuiles sont clouées ou attachées sur des charpentesen bois dont le profil de pente varie de 30 % à 45 %. Cestoitures ne comportent généralement pas de percementset offrent une variété de formes suivant la complexité desvolumes couverts.

Les toitures sont toujours prolongées au-delà del’aplomb du mur afin de ne pas mouiller celui-ci. Le

surplomb est fait par un débord des chevrons et voliges,par une corniche de pierre ou de bois et soutiennent desgouttières fabriquées en tôle. Chevrons chantournés,corniches en pierre ouvragées, lambrequins en bois outôle, contribuent non seulement à créer un langagearchitectural de qualité mais aussi des spécificités propresaux différentes régions du Liban.

Les rives, faîtages et égouts font l’objet d’un soinparticulier; les noues, elles, sont montées sur une feuille dezinc ou de tôle, l’étanchéité étant le souci primordial del’artisan. En effet, c’est l’une des causes principales de ladégradation de ces toitures, les révisions de couverture n’étantpas réalisées périodiquement ou après les intempéries.

Bien que ce matériau soit un produit importé (deMarseille précisément) il est considéré, après six générationsde constructeurs qui les ont employées, comme étant unecomposante de l’architecture traditionnelle locale. Lapermanence de sa pose est la preuve de son ancrage dansles pratiques architecturales du pays.

Les processus de transformation

Un simple tour d’horizon dans les arts de bâtir au Libanreflète la richesse d’un patrimoine et d’un savoir - fairemalheureusement très sous-estimés et négligés, voiremême méprisés. En effet, les changements profonds etrapides ayant affecté la société libanaise et le paysageurbain et rural durant la guerre ont laissé leurs empreintessur la continuité dans la transmission –généralementfamiliale– des techniques et savoir - faire du bâti ancien. Ilen a résulté de profondes lacunes au niveau descompétences, qui se sont aggravées en l’absence deformation spécialisée.

L’introduction de nouvelles techniques et de nouveauxmatériaux nés avec l’industrialisation (béton, poutresmétalliques…) a déclenché un processus rapide detransformation, perceptible tant au niveau du bâti lui-même ou sur le plan de sa mise en œuvre (variant dusimple remplacement d’éléments à la substitution totale dela structure), qu’au niveau des mentalités : un changementqui s’exprime par un rejet sauvage de tout ce qui est ancienet local. Cette vague de transformations s’est accrue avecla guerre, dictée par un besoin urgent de reconstruction,que les nouveaux matériaux facilitent par leur mise enœuvre rapide et leur faible coût.

Actuellement, un regain d’intérêt pour la restaurationet la réhabilitation est observé sur l’ensemble duterritoire, un intérêt qui, si bénéfique qu’il soit, risque deporter en soi un coup fatal à l’authenticité et auxspécificités de l’architecture traditionnelle libanaise etplus particulièrement celle considérée comme rurale etpauvre. Les travaux entrepris dénoncent un profondmanque de confiance dans les techniques traditionnelles(surtout en ce qui concerne l’emploi de la chaux) et uneincompréhension des systèmes constructifs (maçonnerieset charpentes). Il s’y ajoute un apport de nouveauxmatériaux et de nouvelles techniques issues de modesimportées, qui parodient et dénaturent les techniquesd’origine : des modes importées qui contribuent à créerune uniformisation du paysage du bâti ancien en faisantabstraction de toutes les petites différences etparticularités qui font l’intérêt et la richesse destechniques.

Une action de sauvetage des techniques anciennes etde ses hommes doit être entreprise. Elle sera renduepossible par la création de pôles de formation spécialisée etcontinue, par une orientation du marché vers l’intégrationdes compétences des hommes de métier, parl’établissement d’un code de référence fixant le degré dequalité à atteindre et surtout par une sensibilisation pluslarge de la population : sans ces mesures, c’est unpatrimoine irremplaçable qui est condamné à court terme.

Douma