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Les auto-anticorps comme biomarqueurs François Tron CHU de Rouen, université de Rouen, faculté de médecine et de pharmacie de Rouen, service d’immunopathologie, 76183 Rouen cedex, France Correspondance : François Tron, CHU de Rouen, faculté de médecine, service d’immunopathologie, 22, boulevard Gambetta, 76183 Rouen cedex, France. [email protected] Disponible sur internet le : 1 janvier 2014 Presse Med. 2014; 43: 5765 ß 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com BIOMARQUEURS Dossier thématique 57 Mise au point Key points Autoantibodies as biomarkers Activation and differentiation of autoreactive B-lymphocytes lead to the production of autoantibodies, which are thus the direct consequence of the autoimmune process. They often constitute biomarkers of autoimmune diseases and are mea- sured by tests displaying various diagnosis sensitivity and specificity. Autoantibody titers can be correlated to the disease activity and certain autoantibody populations associated with parti- cular clinical manifestations or tissue lesions. The demonstration that autoantibodies appear years before the onset of autoimmune diseases indicates that their pre- sence in healthy individuals may be a predictive marker of the occurrence of disease. Certain autoantibodies could also be predictive markers of a therapeutic response to biologics and of the occurrence of side effects as well. Thus, autoantibodies are useful tools in the diagnosis and the management of patients with organ specific or non-organ specific autoimmune diseases at different steps of the auto- immune process. Points essentiels Les auto-anticorps (autoAc) sont le produit de clones lympho- cytaires B autoréactifs dont l’activation et la différenciation sont la conséquence du processus auto-immun. Leur mesure cons- titue donc un marqueur diagnostique des maladies auto-immu- nes (MAI), de sensibilité et de spécificité variables selon la maladie considérée. La quantité d’autoAc produits peut être associée ou corrélée à la sévérité de la maladie et certaines spécificités à des manifes- tations cliniques ou des atteintes tissulaires particulières. Leur mesure apporte alors des informations complémentaires au clinicien. La démonstration que les MAI sont précédées d’une phase préclinique silencieuse mais biologiquement parlante, c’est-à- dire comportant la production d’autoAc, fait aussi de ceux-ci des marqueurs prédictifs de survenue de la maladie. Enfin, certains autoAc sont utilisés comme marqueurs prédictifs de réponse au traitement, notamment aux biomédicaments d’efficacité thérapeutique inconstante ou de survenue d’effets secondaires indésirables. Ainsi, au concept initial faisant des autoAc de simples mar- queurs d’un état pathologique, se substitue une fonction et une utilisation plus larges qui renforcent leur utilité clinique à différentes étapes de la prise en charge du malade. tome 43 > n81 > janvier 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.11.025

Les auto-anticorps comme biomarqueurs

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Presse Med. 2014; 43: 57–65� 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com BIOMARQUEURS

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Key points

Autoantibodies as biomarkers

Activation and differentiation olead to the production of autoadirect consequence of the autoconstitute biomarkers of autoimsured by tests displaying variospecificity.Autoantibody titers can be corrand certain autoantibody popucular clinical manifestations or tThe demonstration that autoanthe onset of autoimmune diseasence in healthy individuals mayoccurrence of disease.Certain autoantibodies could alstherapeutic response to biologicseffects as well.Thus, autoantibodies are useful

management of patients with

specific autoimmune diseases aimmune process.

tome 43 > n81 > janvier 2014http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.11.025

Les auto-anticorps comme biomarqueurs

François Tron

CHU de Rouen, université de Rouen, faculté de médecine et de pharmacie de Rouen,service d’immunopathologie, 76183 Rouen cedex, France

Correspondance :François Tron, CHU de Rouen, faculté de médecine, service d’immunopathologie,22, boulevard Gambetta, 76183 Rouen cedex, [email protected]

Disponible sur internet le :1 janvier 2014

f autoreactive B-lymphocytesntibodies, which are thus theimmune process. They oftenmune diseases and are mea-us diagnosis sensitivity and

elated to the disease activitylations associated with parti-issue lesions.tibodies appear years beforeses indicates that their pre-

be a predictive marker of the

o be predictive markers of a and of the occurrence of side

tools in the diagnosis and theorgan specific or non-organt different steps of the auto-

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Points essentiels

Les auto-anticorps (autoAc) sont le produit de clones lympho-cytaires B autoréactifs dont l’activation et la différenciation sontla conséquence du processus auto-immun. Leur mesure cons-titue donc un marqueur diagnostique des maladies auto-immu-nes (MAI), de sensibilité et de spécificité variables selon lamaladie considérée.La quantité d’autoAc produits peut être associée ou corrélée à lasévérité de la maladie et certaines spécificités à des manifes-tations cliniques ou des atteintes tissulaires particulières. Leurmesure apporte alors des informations complémentaires auclinicien.La démonstration que les MAI sont précédées d’une phasepréclinique silencieuse mais biologiquement parlante, c’est-à-dire comportant la production d’autoAc, fait aussi de ceux-ci desmarqueurs prédictifs de survenue de la maladie.Enfin, certains autoAc sont utilisés comme marqueurs prédictifsde réponse au traitement, notamment aux biomédicamentsd’efficacité thérapeutique inconstante ou de survenue d’effetssecondaires indésirables.Ainsi, au concept initial faisant des autoAc de simples mar-queurs d’un état pathologique, se substitue une fonction et uneutilisation plus larges qui renforcent leur utilité clinique àdifférentes étapes de la prise en charge du malade.

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Un biomarqueur est une caractéristique objectivementmesurable, indicatrice de processus normaux ou pathologiquesou de réponse pharmacologique à une intervention thérapeu-tique. Cette définition proposée par le National Institute of Health

(NIH) délimite le périmètre d’utilisation d’un biomarqueur etsous-entend la nécessité de performances, à la fois analytiqueset cliniques, du test qui le mesure. On peut aujourd’hui distinguerdeux types de biomarqueurs : ceux utilisés indépendammentd’un médicament comme test diagnostique d’une maladie,prédictifs de sa survenue ou de sa sévérité clinique ; les autres« compagnons d’un médicament » qui peuvent être soit unmarqueur prédictif de réponse ou de survenue d’effets secon-daires indésirables, soit un indicateur de l’efficacité thérapeu-tique. Le terme « objectivement mesurable » utilisé par le NIHimplique que les performances analytiques et cliniques dubiomarqueur considéré doivent être définies et connues duprescripteur. Cela suppose de disposer des caractéristiques dutest qui mesure ce biomarqueur, c’est-à-dire sa sensibilité etspécificité analytiques, son exactitude, sa robustesse, sa répéta-bilité et sa reproductibilité. Cela nécessite aussi de connaître lesperformances cliniques du test en regard de l’usage auquel il estdestiné (sensibilité et spécificité diagnostiques), si elles ont étéidentifiées. On peut ajouter à ces deux notions essentielles deperformance, celle d’utilité clinique que constitue la valeurajoutée du test quant à la prise en charge des malades.Les auto-anticorps (autoAc) sont des anticorps élaborés par unorganisme contre un antigène provenant du même individu. Ilssont le témoin de l’activation et de la différenciation de cloneslymphocytaires B porteurs d’un récepteur spécifique (BCR) d’unantigène du soi. L’activation et la différenciation de lympho-cytes B autoréactifs peuvent s’observer dans différentes situa-tions pathologiques : au cours des maladies auto-immunes(MAI) surtout, qu’ils s’agissent de MAI spécifiques d’organeou non, ou de MAI dont les lésions cellulaires ou tissulaires sontmédiées par les auto-anticorps (myasthénie, MAI cutanéesbulleuses, etc.) ou par les cellules [sclérose en plaques(SEP), diabète de type I (DT1)]. On peut aussi observer laproduction d’autoAc au cours d’autres situations pathologiquescomme les maladies infectieuses comportant une stimulationchronique du système immunitaire, et les cancers au coursdesquels certains antigènes tumoraux peuvent être considéréscomme de véritables auto-antigènes. Au cours de ces patho-logies, la présence d’un autoAc peut constituer un biomarqueurdont la mise en évidence et la mesure contribuent, selon sesperformances analytiques et cliniques, à la prise en charge dumalade. Seuls les autoAc produits au cours des MAI et desmaladies infectieuses seront pris ici en considération.

Quelques rappelsQuand un autoAc est identifié, quelles que soient les approchesméthodologiques utilisées, et sa pertinence démontrée,

notamment son association à un état clinique donné, un testdoit être développé pour mesurer ce biomarqueur et envisagerson utilisation en pratique quotidienne.Dans l’immense majorité des cas, la recherche d’autoAc faitappel à une technique d’immunofluorescence indirecte et/ou àun test Elisa. Les techniques d’immunofluorescence indirectepermettent le dépistage d’anticorps anti-tissu, anti-cellule ouanti-organite cellulaire, sans cependant préjuger de leur spéci-ficité fine, c’est-à-dire de l’antigène cible. L’aspect de la fluo-rescence apporte toutefois d’importantes informations sur laspécificité des anticorps détectés, comme c’est le cas pour lesanticorps antinucléaires (AAN), les anticorps anti-cytoplasmedes polynucléaires neutrophiles (ANCA) ou les anticorps anti-épiderme, et dicte, selon parfois des algorithmes, la poursuitede l’exploration immunologique. Le test Elisa est une méthodeimmuno-métrique dont les éléments sont un substrat – c’est-à-dire l’auto-antigène fixé sur une phase solide (typiquementune plaque de polystyrène de 96 puits) – le sérum du patient,des solutions de lavage et une méthode de détection utilisantdes anticorps dits secondaires spécifiques des immunoglobu-lines humaines couplés à un enzyme. Les performances ana-lytiques du test doivent ensuite être étudiées. Lesperformances cliniques, c’est-à-dire la sensibilité et la spécifi-cité diagnostiques, sont déterminées à partir de prélèvementsde sang issus de groupes de malades porteurs de la MAI ciblée,de malades ayant des maladies intéressant le même organemais de nature différente (infectieuse, dégénérative, métabo-lique, etc.) et dont les caractéristiques phénotypiques ont étérigoureusement établies, et de sujets sains (encadre 1). Il s’agitici d’une étude transversale donnant une photographie de lapopulation et donc une valeur des tests à un moment donné.La démonstration que la survenue de la plupart des MAIspécifiques d’organe ou non est précédée de plusieursannées d’une période préclinique associée à des signes biolo-giques d’auto-immunité, c’est-à-dire la production d’autoAc[1,2], a conduit à considérer les autoAc comme des marqueurscertes diagnostiques mais aussi prédictifs de survenue d’uneMAI. Il convient alors de définir, pour de tels marqueurs, quatrevaleurs essentielles : leur sensibilité et leur spécificité deprédiction, leur valeur positive de prédiction et, enfin, letaux de progression vers la maladie (encadre 1). Cet objectifréclame l’analyse de cohortes de malades et une observationprospective pendant une période déterminée, de préférencelongue. Le but ultime de la prédiction de survenue de lamaladie est sa prévention.Le développement et l’utilisation des biomédicaments de coûtélevé, d’efficacité inconstante et pourvoyeurs d’effets secon-daires indésirables parfois sévères au cours de diverses MAI[polyarthrite rhumatoïde (PR), lupus érythémateux systémique(LES), SEP] ont conduit à rechercher si les autoAc peuventcontribuer à la sélection des malades qui bénéficieront de lathérapeutique considérée. Le meilleur exemple du couple

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Encadre 1

Quelques définitions indispensables

Sensibilité diagnostique

� C’est la probabilité que l’autoAc soit présent si le sujet est

malade.

� Elle est calculée en rapportant le nombre de sujets qui ayant

l’autoAc considéré ont la maladie au nombre total de sujets qui

ont la maladie.

Spécificité diagnostique� C’est la probabilité que l’autoAc soit absent si le sujet n’est pas

malade.

� Elle est calculée en rapportant le nombre de sujets qui n’ayant

pas l’autoAc n’ont pas la maladie au nombre total de sujets

n’ayant pas la maladie.

Sensibilité et spécificité de prédiction� Elles sont calculées de façon identique chez des sujets d’une

cohorte qui ayant ou n’ayant pas l’autoAc développeront ou ne

développeront pas la maladie.

Valeur prédictive positive� C’est la probabilité que le sujet soit malade si l’autoAc est

présent.

Les auto-anticorps comme biomarqueursBiomarqueurs

biomarqueur compagnon/médicament est apporté par lamaladie cancéreuse, notamment le cancer du sein et le cancercolorectal. Les MAI sont un nouveau champ d’application de ceconcept.Plutôt que de dresser un catalogue exhaustif des autoAc utiliséscomme biomarqueurs au cours des MAI, nous présenterons dessituations particulières illustrant chaque modèle d’utilisationdes autoAc comme biomarqueur et amenant vers de nouvellespratiques médicales.

Des marqueurs diagnostiques des maladiesauto-immunesLes autoAc sont utilisés pour diagnostiquer une MAI, préciser lanature auto-immune d’une affection jusqu’alors non classée ouencore identifier le malade comme appartenant à un sous-groupe de la maladie.

Des marqueurs du diagnostic de la maladie

Les facteurs rhumatoïdes (FR) sont des autoAc qui réagissentavec le fragment Fc des immunoglobulines (Ig). La plupart destests détectent des FR de classe IgM. Les FR sont présents aucours de nombreuses situations pathologiques (PR, LES, syn-drome de Sjögren [SS], cryoglobulinémie) mais aussi chez 15 %des sujets d’une population générale. Au cours de la PR, leursensibilité comme leur spécificité sont de 70 %. Un deuxièmemarqueur de la PR, de sensibilité identique mais de spécificité

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plus élevée, est constitué par les anticorps anti-peptides cycli-ques citrullinés (anti-CCP). L’inflammation de la PR activel’enzyme peptidyl arginine déiminase qui transforme l’arginineen citrulline au sein de certaines protéines. Les peptides citrul-linés constituent des immunogènes majeurs au cours de la PRet la réponse anti-peptides cycliques citrullinés un biomarqueuressentiel de la maladie. D’autres populations d’autoAc produitsau cours de la PR ont fait l’objet d’intenses recherches. Aucuned’entre elles cependant s’est avérée avoir une sensibilité et unespécificité supérieures à celles des FR ou des anticorps anti-CCP[3]. Citons néanmoins, les anticorps anti-RA33 dirigés contre lesribonucléoprotéines hnRNP A2 [3].Les AAN sont un ensemble d’anticorps réagissant avec desauto-antigènes du noyau, du nucléole ou de la membranenucléaire. Leur utilisation réside principalement dans la confir-mation du diagnostic chez les malades ayant des manifesta-tions cliniques de maladie inflammatoire systémique. Leur miseen évidence permet de classer la maladie avec une spécificitéet une sensibilité de 70 %, dans le cadre des MAI non spéci-fiques d’organe, en sachant qu’ils peuvent aussi s’observer aucours des MAI spécifiques d’organe comme les thyroïdites, lamaladie de Basedow, l’hypertension artérielle pulmonaireprimitive, les hépatites auto-immunes et diverses infections.La présence d’AAN doit conduire à la recherche d’anticorps despécificité définie en fonction de l’aspect de la fluorescenceobservée et de la maladie suspectée [4]. Les anticorps anti-ADNnatif (ADNn) de classe IgG sont très spécifiques du LES quand ilssont présents à des taux élevés. À taux modérés, ils peuvents’observer au cours de nombreuses MAI non spécifiquesd’organe (PR, syndrome de Sjögren, connectivite mixte, hépa-tites). La spécificité et la sensibilité de ces autoAc dépendentétroitement du test utilisé (immunofluorescence, radio-immu-nologie, Elisa) [4]. Les anticorps dirigés contre les antigènesnucléaires solubles constituent des marqueurs diagnostiquesmajeurs de nombreuses MAI non spécifiques d’organe : anti-Smpour le LES, anti-Ro et anti-La pour le syndrome de Sjögren et leLES ; anti-U1RNP pour le LES et à titre élevé pour les connecti-vites mixtes. Le tableau I donne les valeurs de la sensibilité etde la spécificité de chacun d’entre eux.Les anticorps anti-Ku qui peuvent s’observer au cours denombreuses MAI non spécifiques d’organe méritent d’êtrementionnés car ils sont marqueur d’une MAI différente selonl’ethnie des malades [5] : chez les caucasiens, ils sont rarementdétectés ; chez les japonais, ils sont rares au cours du LES (6 %)mais fréquents au cours du syndrome de chevauchementpolymyosite-sclérodermie ; chez les afro-américains, ilss’observent essentiellement au cours du LES (14 %).

Maladies auto-immunes spécifiques d’organe

Trois groupes de maladies où la recherche de populationsd’autoAc a un rôle essentiel dans le diagnostic sont détaillésci-dessous.

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Tableau I

Sensibilité et spécificité (%) des anticorps anti-nucléaires

Auto-antigènes

AAN ADNn Nucleos. Sm RNP Ro La

LES

Sensibilité 95 70 80 30 40 20–35 10

Spécificité 60 95 96 98 – 85–95 –

PR

Sensibilité 45 4–13 4 0 – 4–20 5–10

Spécificité 60 – – – – – –

Syndrome de Sjögren

Sensibilité 50 3–30 8 0 15 50–80 30–40

Spécificité 50 – – – – 87 94

Connectivites mixtes

Sensibilité 100 15 20–45 4 100 10 < 1

Spécificité 50 – – – 95 – –

AAN : anticorps anti-nucléaires ; ADNn : acide désoxyribonucléique natif ; LES : lupusérythémateux systémique ; Nucleos : nucléosome ; PR : polyarthrite rhumatoïde ;RNP : ribonucléoprotéine.

F Tron

Les maladies hépatiques auto-immunes constituent unensemble d’affections inflammatoires caractérisées par lamise en place de mécanismes immunitaires lésionnels vis-à-vis des hépatocytes. Au cours des hépatites auto-immunes oules cholangiocytes au cours de la cirrhose biliaire primitive(CBP) et la cholangite sclérosante primitive. Une grandevariété d’autoAc y sont observés permettant un diagnostic etune classification de la maladie : AAN, anti-muscle lisse, anti-LKM (antigènes microsomiaux), anti-mitochondries, ANCA,anti-SLA (antigènes solubles du foie) et anti-LC1 (antigènesdu cytosol). Les autoAc anti-mitochondrie détectés par immu-nofluorescence indirecte sont un exemple de marqueur diag-nostique puissant. À un taux supérieur au 1/40, ils sont à la foissensibles et très spécifiques de la CBP. Ces anticorps réagissentavec des membres de la famille du complexe de la 2-oxoacidedéshydrogénase (2-OADC), notamment la sous-unité E2 ducomplexe de la pyruvate déshydrogénase (PDC-E2), localisésdans la membrane interne de la mitochondrie. Ils constituentl’un des trois critères du diagnostic de la CBP avec l’élévationdes phosphatases alcalines et l’histologie hépatique [6]. Lesanticorps dirigés contre les antigènes microsomiaux sonthétérogènes. Ils reconnaissent deux groupes d’enzymes impli-quées dans le métabolisme des médicaments et localisées dansle réticulum endoplasmique (LKM-1, LKM-2, LKM-3, LM) et desantigènes du cytosol (LC-1). Les maladies associées à cesautoAc regroupent des hépatites d’origine auto-immune, viraleou médicamenteuse, certaines associations étant cependant

plus fortes comme par exemple les anticorps anti-LKM-1 et leshépatites auto-immunes de type 2 [7].Le diagnostic des MAI cutanées bulleuses repose sur les aspectscliniques et les analyses histologiques et immuno-histochimi-ques de la biopsie cutanée. Chaque pathologie est caractériséepar la production d’une catégorie distincte d’autoAc spécifiquesd’un nombre limité d’auto-antigènes exprimés dans l’épidermeou le derme [8]. Ces autoAc constituent des biomarqueurscaractéristiques d’un phénotype particulier de grande utilitéclinique, notamment quand l’analyse histologique reste incer-taine. Certains (anti-desmogléine 1 et 3) sont aussi des indi-cateurs de l’activité de la maladie. La majorité d’entre eux peutêtre recherchée par des tests Elisa utilisant des antigènesrecombinants. Les pemphigus sont caractérisés par la produc-tion d’autoAc dirigés contre des molécules d’adhésion kérati-nocytaires principalement les desmogléines 1 et 3 et lesdesmocollines, plus rarement les desmoplakines. Les pemphigusparanéoplasiques sont associés à la production d’Ac de grandediversité ciblant les auto-antigènes mentionnés ci-dessus etconstamment l’envoplakine mais aussi des antigènes des mala-dies de la jonction comme bullous pemphigoid antigen 2 (BPAG).La pemphigoïde bulleuse (et la pemphigoïde gestationis) est unemaladie de la jonction ou les autoAc reconnaissent des antigèneslocalisés sur le versant épidermique de la membrane basaledermo-épidermique, BPAG1 et BPAG2. Les MAI donnant unebulle sous-épidermique sont principalement représentées parl’épidermolyse bulleuse acquise (et le lupus érythémateux bul-leux) et réagissent avec le collagène de type VII.La sensibilité et la spécificité des anticorps anti-transglutami-nase de classe IgA pour la maladie coeliaque sont élevées chezles adultes et les enfants (> 95 %) en faisant un biomarqueuressentiel de cette affection dont les symptômes cliniquespeuvent être discrets ou extradigestifs [9]. On conçoit aussileur intérêt dans les cas où la biopsie duodénale est deréalisation difficile ou d’interprétation incertaine. Couplée àla recherche des anticorps anti-endomysium par immunofluo-rescence, la spécificité est de 100 %.

Des marqueurs de la nature auto-immune d’unemaladie

La défaillance fonctionnelle d’un organe peut relever de causesdiverses. Ainsi le diabète peut être classé en auto-immun ounon. Cette classification repose sur la présence ou l’absenced’autoAc, bien que le DT1 soit une maladie médiée par lescellules T. L’étude de Turner [10] indique que plus de 90 % desmalades porteurs d’un diabète ne requérant pas d’insuline etayant des autoAc dirigés contre des antigènes des cellules b desîlots de Langerhans évoluent vers un diabète insulinodépen-dant dans un délai moyen de 6 ans.L’insuffisance surrénalienne peut aussi relever d’un processusauto-immun (cause la plus fréquente). La maladie s’accompagnealors d’autoAc anti-surrénale détectés par immunofluorescence

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Les auto-anticorps comme biomarqueursBiomarqueurs

indirecte, correspondant à trois spécificités : anticorps anti-21-hydroxylase, anti-17-hydroxylase et anti-cytochrome p450 declivage de la chaîne latérale du cholestérol. Alors que la préva-lence des anticorps anti-21-hydroxylase est de 1,9 % au coursdes insuffisances surrénales d’origine non auto-immunes,notamment tuberculeuses, elle est de 79 % chez les maladesayant une variété auto-immune et de 90 % dans les formes dediagnostic récent [11].Au cours des gastrites, la présence d’anticorps anti-cellulespariétales gastriques qui réagissent avec les sous-unités b del’ATPase H+/K+ gastrique est un marqueur de la nature auto-immune de la maladie. Citons aussi les anticorps dirigés contreles récepteurs du glutamate (anti-NMDA) qui semblent être unmarqueur diagnostique d’une variété d’encéphalite récem-ment identifiée, caractérisée par une psychose, des hallucina-tions et des crises d’épilepsie [12].

Des marqueurs de sous-groupes ou demanifestations cliniques particulières

Certains AAN sont d’excellents marqueurs de formes particu-lières de MAI non spécifiques d’organe. Au cours des scléro-dermies, la présence des Ac anti-centromères (anti-CENP) estassociée à une forme limitée de la maladie, le syndrome CREST,et celle des autoAc anti-PM-Scl à une forme comportant unemyosite. La présence d’Ac anti-Ro et anti-La chez les patientslupiques définit un sous-groupe de malades ayant un lupuscutané subaigu comportant une photosensibilité et parfois unevascularite ou encore expose à la survenue d’un lupus néonatal.Les autoAc observés au cours des myosites méritent d’êtrementionnés. Ce sont des anticorps dirigés contre des antigènesnucléaires ou cytoplasmiques dont la sensibilité est relative-ment faible mais dont la présence mutuellement exclusivepermet la définition de sous-groupes parmi l’entité patholo-gique « myosite » [13]. Certains sont spécifiques de myosites,d’autres seulement associés. Les anticorps anti-Jo1, anti-signalrecognition particle (SRP), anti-Mi-2 et anti-PM-Scl appartien-nent au premier groupe. Les autoAc anti-Jo1 sont dirigés contrel’histidine-tRNA synthétase, une enzyme qui attache l’histidineà la chaîne polypeptidique en cours de sa synthèse. Ils consti-tuent la population d’Ac la plus fréquemment observée aucours des myosites inflammatoires regroupées sous le terme desyndrome des anti-synthétases et caractérisées par unefréquence élevée de pneumopathie interstitielle, d’arthriteset de fièvre. Les autres membres de la famille des anticorpsanti-synthétase sont les anti-PL12, anti-EJ, anti-OJ, anti-PL7 etanti-KS. Ces auto-Ac ont donc une valeur diagnostique demaladie (myosite) et de définition de sous-groupe.Les anticorps anti-SRP reconnaissent un complexe ribonucléo-protéique impliqué dans la translocation des protéines synthé-tisées au niveau des ribosomes vers le réticulumendoplasmique et constitué d’un ARN (7SL) et de six protéinesdont deux sont la cible principale des autoAc. Ces anticorps sont

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associés à une polymyosite souvent sévère comportant uneatteinte cardiaque, rapidement progressive et résistante autraitement. Les anticorps anti-Mi-2 qui ciblent un complexe deprotéines nucléaires impliqué dans la transcription s’observentau cours des dermatomyosites principalement.Citons encore, dans le cadre des MAI cutanées bulleusesévoquant un pemphigus, l’importance de la mise en évidenced’une rupture large de la tolérance intéressant les antigènes dela plaque desmosomale, notamment l’envoplakine pourévoquer un pemphigus paranéoplasique [9].

Des marqueurs prédictifs de sévérité oud’activité de la maladie auto-immuneL’intensité de l’activation des lymphocytes B autoréactifs setraduit par la production d’une quantité importante d’auto-anticorps correspondants. Cette intensité de l’activation lym-phocytaire peut être corrélée à l’importance du processusphysiopathologique et donc à la sévérité de la MAI. Lorsqueles autoAc produits sont directement responsables des lésionstissulaires ou cellulaires, on conçoit que la mesure des taux desanticorps pathogènes soit un indicateur fidèle et direct duprocessus lésionnel.Au cours des MAI non spécifiques d’organe, la présence et letaux de certains autoAc ont une valeur pronostique. Par exem-ple, les patients ayant une PR et un titre élevé de FR ontgénéralement une maladie plus inflammatoire et plus destruc-trice [14]. De même, les malades ayant des anticorps anti-CCPont une forme plus évolutive et plus sévère de la maladie [15].Au cours du LES, si le taux des AAN n’est pas corrélé à l’activitéde la maladie, en revanche celui des anticorps anti-ADNn estconsidéré comme un marqueur utile du monitorage des mala-des en raison de sa fluctuation avec les poussées et lesrémissions. La détermination régulière du taux des anticorpsanti-ADNn doit être un élément de la surveillance de cesmalades.Au cours de certaines MAI spécifiques d’organe, la mesure desautoAc s’avère utile sinon indispensable au monitorage desmalades en raison de la démonstration d’une corrélation posi-tive entre le taux observé et l’activité de la MAI. C’est le cas dusyndrome de Goodpasture et des anti-glomerular basement

membrane (GBM), des pemphigus et des Ac anti-Dsg1 et anti-Dsg3 et de la myasthénie et des anti-récepteurs de l’acétyl-choline (AchR). Cette corrélation permet aussi de prendre encompte le taux des Ac pour juger de la reprise du processuslésionnel et de l’activité de la maladie au décours d’unerémission, en d’autres termes d’utiliser les taux d’autoAccomme un marqueur prédictif de rechute.C’est parfois la classe particulière des autoAc qui peut êtreindicatrice d’une forme sévère de la MAI considérée. De nom-breuses études s’accordent, par exemple, pour considérer queles FR de classe IgA sont associés à des formes plus destructricesde PR [16]. Le développement d’anticorps monoclonaux

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Page 6: Les auto-anticorps comme biomarqueurs

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F Tron

murins, étroitement spécifiques des sous-classes d’IgG, permetaujourd’hui la mise au point de tests fiables (quoique dereproductibilité fragile) mesurant le taux d’autoAc appartenantà l’une des quatre sous-classes d’IgG. La pathogénicitépréférentielle sinon exclusive de certaines sous-classes aucours de MAI notamment spécifiques d’organe est clairementétablie. La situation la plus démonstrative est celle du pem-phigus. Le pemphigus foliacé (PF) dit folgo selvagem, observédans des réserves indiennes du Brésil, est associé à la produc-tion d’anticorps anti-desmogléine 1 (Dsg1) de sous-classe IgG4.Parmi les sujets asymptomatiques vivant dans la réserve etdonc dans le même environnement, 30 % environ ont desanticorps anti-Dsg1 qui cependant appartiennent à la sous-classe IgG1. Certains d’entre eux développeront la maladie. Lepassage de la phase préclinique à la phase active de la maladies’accompagne de la commutation des anticorps anti-Dsg1 desIgG1 vers les IgG4 [17]. D’autres MAI ont fait l’objet d’étudesvisant à corréler leur sévérité à la présence d’autoAc dans unesous-classe donnée (tableau II). Parmi celles-ci, citons lesanticorps anti-gp210 du complexe des pores nucléaires desous-classe IgG3 qui accompagneraient les formes évolutivesde la CBP [18].Le pemphigus foliacé sévissant dans les forêts amazoniennesdu Brésil constitue une situation ou une autre propriété de laréponse autoAc peut être utilisée comme biomarqueur :l’extension épitopique. Il s’agit de l’extension de la spécificitéde la réponse autoAc à d’autres domaines de la molécule-ciblevoire à d’autres molécules de l’organe cible. Chez les sujetsasymptomatiques porteurs d’Ac anti-desmoglèine 1, l’évolu-tion de la phase préclinique vers la maladie s’accompagnecertes de la commutation de sous-classe IgG1/IgG4 mais enoutre d’une extension de la réponse B vers un autre domaine dela molécule, c’est-à-dire du domaine extra-cellulaire (EC) 5 vers

Tableau II

Maladies auto-immunes au cours desquelles la classe ou la sous-classe d’autoAc sont associées à la phase active ou à la sévéritéde la maladie

MAI Auto-antigène Classe/Sous-classe

Spécifique d’organe

CBP Laminine (gp210) IgG3

Pemphigus Desmogléines IgG4

Maladie coeliaque Transglutaminase IgA1, IgG1

Pemphigoïde bulleuse BPAG1, 2 IgG4

Non spécifique d’organe

LES (rénal) Nucléosome IgG3

PR IgG IgA

CBP : cirrhose biliaire primitive ; BPAG : bullous pemphigoid antigen ; LES : lupusérythémateux systémique ; PR : polyarthrite rhumatoïde ; Ig : immunoglobulines.

les domaines EC1 et EC2 de la desmogléine 1 [17]. L’analyse del’évolution de la réponse auto-immune au cours de la phasepréclinique de la PR indique que l’extension de la réponseautoAc vis-à-vis de différentes protéines citrullinées estcorrélée à la survenue imminente des manifestations cliniques[19].

Des marqueurs prédictifs de survenue d’unemaladie auto-immuneLes premières études concernent le DT1 [20]. Il est associé àplusieurs spécificités d’autoAc dirigés contre des auto-antigènesspécifiques de la cellule b des îlots de Langerhans : la décarbo-xylase et l’acide glutamique (GAD), la tyrosine phosphatase IA-2 et l’insuline. L’étude de Kulmala et al. [21] indique que parmiles 3578 apparentés du premier degré de malades atteints d’unDT1, 105 ont ultérieurement développé un diabète et 98 d’entreeux avaient des anticorps anti-IA-2, anti-GAD ou anti-insuline, enmoyenne 7,7 ans avant le début de la maladie, soit une sensi-bilité de prédiction de 92 %. D’autres études montrent que letaux de progression varie selon le nombre des autoAc présents etleur taux. Ainsi, chez les apparentés, la valeur prédictive positivede survenue est de 15, 44 et 100 %, respectivement chez lessujets ayant 1, 2 ou 3 populations d’autoAc [21]. En d’autrestermes, la combinaison de la recherche de plusieurs autoAcconfère une valeur prédictive de survenue supérieure à celledonnée par un seul anticorps. Comme dans la majorité des MAIun autoAc ne vient jamais seul, le modèle du DT1 mérite d’êtreétendu.Il convient ici de souligner que les valeurs prédictives positivescomme la sensibilité et la spécificité de prédiction varient dansles populations étudiées suivant le niveau de risque [2]. Cesvaleurs sont élevées chez les apparentés et faibles dans unepopulation générale. La puissance prédictive du marqueur s’entrouve alors diminuée. Cela pose le problème du coût dudépistage pour la collectivité et de son utilité clinique. Lediabète nous fournit ici à nouveau un modèle intéressant :celui de coupler la détection des auto-anticorps à un autremarqueur biologique. Ainsi, limiter la recherche des anticorpsanti-îlots aux sujets porteurs d’un allèle HLA de susceptibilités’est avéré une stratégie de faisabilité plus grande que ladétection des anticorps en première intention [22].La thyroïdite d’Hashimoto expose au risque d’hypothyroïdie ets’accompagne de la production d’anticorps anti-thyropéroxy-dase (TPO) et anti-thyroglobuline (TG). Le couplage de larecherche d’autoAc et de l’évaluation de la fonction thyroï-dienne offre un modèle prédictif de progression vers la mala-die. Ainsi, les femmes dépourvues d’anticorps anti-TPO et ayantun taux de TSH < 2 mU/L ont-elles une probabilité de déve-lopper une hypothyroïdie < 2 %. Cette probabilité augmentede façon logarithmique à 55 % chez les femmes ayant desanticorps anti-TPO et un taux de TSH > à 6 mU/L, correspon-dant à un taux annuel de progression de 4,6 %. Ce taux n’est

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Les auto-anticorps comme biomarqueursBiomarqueurs

que de 2,6 % chez les femmes ayant de façon isolée un taux deTSH élevé et de 2,5 % chez celles ayant des anticorps anti-TPOisolés [23]. Production d’auto-anticorps et défaillance del’organe cible peuvent ainsi former des marqueurs enbinôme de forte puissance. L’âge est aussi un paramètre àprendre en considération puisque le taux de progression estplus élevé chez les femmes âgées de plus de 45 ans.Les maladies thyroïdiennes fournissent un autre modèle d’uti-lisation des autoAc comme marqueurs prédictifs. Parmi 83 fem-mes enceintes ayant des anticorps anti-TPO, une thyroïdite dupost-partum est survenue chez 38 d’entre elles dans l’annéesuivant l’accouchement. Parmi ces 38 malades, 37 avaient untaux d’anticorps anti-TPO > 1/600, soit une sensibilité deprédiction de 97 % et une spécificité de 91 %. Ici, c’est à lafois la présence et le taux d’autoAc qui ont valeur de prédiction[24] (tableau III).La maladie coeliaque apporte aussi d’importantes informations.Nous avons vu plus haut que les anticorps anti-transglutami-nase ont une sensibilité et une spécificité fortes pour cetteaffection. Si les anticorps anti-transglutaminase ont une valeurprédictive de survenue d’une entéropathie chez des sujetsasymptomatiques, il semble que la persistance des autoAcconfère une valeur prédictive de survenue (100 %) plusforte que celle (27 %) évaluée sur la seule présence des autoAclors du dépistage initial [25]. Cette observation invite à unesurveillance régulière des individus asymptomatiques, modèlesans doute à étendre à d’autres situations pathologiques et àd’autres populations d’autoAc exprimant une spécificité dif-férente.

Tableau III

Auto-anticorps dont la valeur prédictive positive de survenue dela maladie auto-immune a été démontrée au cours d’une étudeprospective de cohorte

Auto-anticorps Maladies Références

Anti-CCP PR [24]

FR PR [24]

Anti-TPO Thyroïdite du post-partum [22]

Hypothyroïdie [21]

Anti-E2-PDC CBP [6]

Anti-21-hydroxylase Addison [11]

Anti-îlots Diabète type 1 [2,10,18,19]

Anti-transglutaminase Maladie coeliaque [23]

Anti-cellules pariétales Anémie pernicieuse –

CBP : cirrhose biliaire primitive ; CCP : peptides cycliques citrullinés ; E2-PDC : sous-unité 2 du complexe de la pyruvate déshydrogénase ; FR : facteur rhumatoïde ;PR : polyarthrite rhumatoïde ; TPO : thyropéroxydase.

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Les MAI non spécifiques d’organe posent un problème parti-culier. En effet, les facteurs rhumatoïdes fréquemmentobservés au cours de la PR (75 %) et du LES (90 à 100 %)sont aussi présents au cours des maladies inflammatoires nonauto-immunes et en outre, avec une forte prévalence, dans lapopulation générale (5 à 10 %). Il en est de même pour les AANqui sont observés chez 3 % de la population générale. Il enrésulte que le nombre de sujets producteurs de tels autoAc estbien supérieur au nombre de malades porteurs de PR, de LESou, de façon plus générale, de MAI systémiques rendantillusoire leur utilisation comme marqueurs prédictifs de sur-venue de telles pathologies, du moins dans la populationgénérale.On dispose cependant de données concernant la constitution dela réponse B au cours de la PR [19,26]. L’étude d’Arbuckle et al.[1] réalisée auprès de 6 millions d’individus servant dansl’armée des États-Unis et bénéficiant d’un suivi et d’un prélève-ment sanguin réguliers apporte des informations précieuses surle développement du LES. Dans cette population, 132 sujets ontdéveloppé un LES. Les AAN et les anticorps anti-Ro étaientprésents avant la survenue des manifestations cliniques chezrespectivement 78 et 47 % des sujets. Ils apparaissent enmoyenne 3,4 ans avant le diagnostic. Ils précèdent l’apparitiondes anticorps anti-ADN et anti-Sm, survenant en moyennerespectivement 2,5 ans et quelques mois avant la survenuede la maladie. Cette étude permet de définir les modalités desuivi des sujets asymptomatiques porteurs d’AAN et de formu-ler un nouveau concept, celui de hiérarchie des auto-anticorps,certains possédant une valeur prédictive positive de survenuede la MAI plus élevée que d’autres.

Des marqueurs d’une stimulation chroniquedu système immunitaireLes cryoglobulines de type II et de type III sont constituées de FRde classe IgM, respectivement monoclonales et polyclonales,ainsi que d’IgG polyclonales. Ce sont des complexes immuns degrande taille ayant acquis la propriété de cryoprécipitation.Elles s’observent fréquemment au cours des stimulations chro-niques du système immunitaire que les antigènes en causesoient endogènes (antigènes du soi des MAI non spécifiquesd’organe) ou exogènes (maladies virales [virus des hépatites],bactériennes [endocardites lentes] ou parasitaires). L’infectionpar le virus de l’hépatite C (HCV) est une grande pourvoyeusede cryoglobulines de type II ou III. Le rôle du core du virus et dela réponse B anti-core de classe G semble essentiel à l’acquisi-tion des propriétés de cryoprécipitabilité, comme sans douteaussi des composants du complément notamment le C1q. Ainsi,parmi les malades ayant une cryoglobuline de type II ou III, 40 à90 % selon les études ont une infection HCV. L’une des utilitéscliniques de ce biomarqueur est donc pour le clinicien de savoirqu’il est le témoin d’une stimulation endogène ou exogène dusystème immunitaire.

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Des marqueurs de syndromesparanéoplasiquesCette propriété est illustrée par les autoAc observés au cours desyndromes neurologiques paranéoplasiques [27]. La majoritédes auto-antigènes cibles est exclusivement exprimée par lescellules du système nerveux (central ou périphérique) et lescellules tumorales ; certains sont nucléaires (Hu, Ri, ANNA-3,Ma/Ta), d’autres cytoplasmiques (Yo, PCA2, Tr), d’autres enfinspécifiques du cytoplasme de la cellule de Purkinje (CV2,amphiphysine, GAD67). La fréquence des ces autoAc aucours des syndromes paranéoplasiques neurologiques estd’environ 36 %. La caractérisation des anticorps permet dedéfinir le syndrome paranéoplasique. Certains sont présentsavant même la découverte de la tumeur. L’association de cesautoAc avec des tumeurs de localisation et d’histologie parti-culières (par exemple, Anti-Hu et cancer du poumon à petitescellules, anti-Yo et cancer de l’ovaire ou du sein) guide leclinicien dans la recherche de la tumeur.

Les auto-anticorps « marqueurs-compagnons » des biomédicamentsLe traitement des MAI connaît un essor important dû audéveloppement des biomédicaments, notamment des anti-corps monoclonaux humanisés ou humains ciblant diversesmolécules ou cellules impliquées dans le processus physiopa-thologique de la MAI considérée. Leur efficacité clinique estcependant inconstante ou incomplète et leur effets secondairesne sont pas rares, faisant de l’évaluation du rapport bénéfice/risque un objectif essentiel. Par analogie avec certaines théra-peutiques anti-tumorales (Herceptin, cétuximab) où l’indicationest fondée sur les caractéristiques de la tumeur, il n’est pasexclu d’envisager une approche similaire pour les MAI, end’autres termes de poser l’indication du biomédicament enfonction des caractéristiques immunologiques de la MAI ciblée.C’est ainsi que la forte production d’IFNa ou la forte expressiondes transcrits codant pour les molécules impliquées dans lesvoies de signalisation contrôlées par l’IFNa sont des marqueursprédictifs de réponse au traitement par les anticorps mono-clonaux anti-IFNa au cours notamment du LES [28]. La questionse pose de savoir si des autoAc peuvent aussi constituer desmarqueurs prédictifs de réponse à certains biomédicaments.Au cours du LES, une efficacité plus grande des traitementspar le rituximab (anti-CD20) et l’epratuzumab (anti-CD22)est observée chez les malades ayant des index d’activité

immunologique élevés, comportant notamment de forts tauxd’anticorps anti-ADNn [26]. Au cours de la PR, la réponsethérapeutique au rituximab serait plus complète chez lesmalades ayant de forts taux de FR et d’anticorps anti-CCP[29,30].La production d’autoAc peut aussi s’observer au cours dutraitement par les biomédicaments comme l’IFNa ou les anti-corps anti-TNF. L’IFNa est un traitement majeur d’affectionsmalignes et des infections par le HCV. Près de 45 % des sujetsinfectés par le virus et traités par l’IFNa développent des autoAcantithyroïdiens et 15 % une maladie thyroïdienne pouvantconduire à l’arrêt du traitement. Leur détection précoce permetune éventuelle modification thérapeutique. Les anti-TNF (infli-ximab, étanercept et adalimumab) sont utilisés au cours de laPR, de la maladie de Crohn, du psoriasis et peuvent induire unerupture de tolérance vis-à-vis notamment des auto-antigènesnon spécifiques d’organe. La fréquence des manifestationscliniques est cependant très faible [31].

ConclusionLes autoAc sont donc des biomarqueurs pouvant être utilisésavec des objectifs divers au cours des MAI spécifiques et nonspécifiques d’organe. La valeur d’un biomarqueur et du test quile mesure doit être cependant évaluée sur des critères rigou-reux, de même que le niveau de preuve d’utilité clinique.Certains échappent encore à ces critères, notamment en raisonde performances analytiques insuffisamment établies impo-sant la standardisation des tests. L’évaluation de la perfor-mance clinique reste toutefois l’objectif essentiel. À cet égard,la démonstration que les autoAc peuvent être utilisés commemarqueurs prédictifs de survenue de MAI ou de réponse à untraitement ouvre des perspectives nouvelles. La constitution etle suivi de cohortes de sujets parfaitement phénotypés et lacombinaison de plusieurs autoAc à d’autres marqueurs, notam-ment génétiques, constituent une voie d’exploration promet-teuse pour assigner une valeur diagnostique ou une valeurprédictive plus forte à une population d’autoAc. Ces valeursdoivent en outre être évaluées dans différentes populations,tels que les apparentés des malades atteints de MAI et lapopulation générale. Dans l’ensemble, cette assignation auxautoAc d’une valeur précise contribuera à une meilleure priseen charge du malade et au développement de la médecineprédictive et personnalisée.

Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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