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Les chasseurs de mammouths

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T3 - Les chasseurs de mammouths

Jean M. AuelLes enfants de la Terre***Les chasseurs de mammouths(The mammoth hunters - 1985)Traduction de Jacques Martinache

1

Tremblante de peur, accroche lhomme qui la dominait de sa haute taille, Ayla regardait approcher les inconnus. Jondalar lentoura dun bras protecteur, mais elle continuait frmir.Un gant! pensa Ayla, bouche be devant lhomme qui venait en tte du groupe, lhomme la chevelure et la barbe couleur de flamme. Elle navait jamais vu personne daussi imposant. En comparaison, Jondalar lui-mme semblait petit. Celui qui savanait vers eux tait un colosse. Un ours. Son cou tait norme, son torse tait deux fois large comme celui dun homme ordinaire, ses biceps massifs auraient pu rivaliser avec des cuisses normales.Ayla leva les yeux vers Jondalar et ne vit aucune crainte sur son visage, mais son sourire tait rserv. Ces gens taient des inconnus, et, au cours de ses longues prgrinations, il avait appris se mfier des inconnus.Je ne me rappelle pas vous avoir dj vus, dclara le gant, sans prambule. De quel Camp venez-vous?Il ne sexprimait pas dans la langue de Jondalar, remarqua Ayla, mais dans lune de celles quil lui avait enseignes.Nous ne venons daucun Camp, rpondit Jondalar. Nous ne sommes pas des Mamuto.Il se dtacha dAyla, fit un pas en avant, les deux mains tendues, paumes en dehors pour montrer quil ne cachait rien, dans le traditionnel geste damiti.Je suis Jondalar, des Zelandonii. Ses mains ne furent pas acceptes.Zelandonii? Cest trange... Attends un peu. Ny avait-il pas deux trangers chez ce peuple de la rivire qui vit vers le couchant? Le nom que jai entendu ressemblait celui-ci, il me semble.Cest vrai, mon frre et moi, nous avons vcu chez eux, admit Jondalar.Lhomme la barbe flamboyante demeura un instant pensif, avant de se jeter, dans un lan inattendu, sur Jondalar pour enfermer le grand jeune homme blond dans une treinte lui rompre les os. Un large sourire illuminait son visage.Alors, nous sommes parents! scria-t-il de sa voix puissante. Tholie est la fille de mon cousin!Jondalar, un peu branl, retrouva nanmoins son sourire.Tholie! Une femme mamuto nomme Tholie tait la seconde compagne de mon frre! Elle ma enseign ton langage.Cest bien ce que je te disais! Nous sommes parents.Le gant saisit les mains tendues en signe damiti, quil avait dabord ddaignes.Je suis Talut, chef du Camp du Lion.Tout le monde souriait, remarqua Ayla. Talut la gratifia dune grimace amicale, avant de lexaminer dun il connaisseur.Tu ne voyages plus avec ton frre, je vois, dit-il Jondalar. Celui-ci reprit la jeune femme par la taille. Elle vit une ombre de souffrance assombrir son visage.Voici Ayla.Cest un nom peu commun. Est-elle du peuple de la rivire?La brusque question dconcerta Jondalar, mais il se souvint de Tholie et sourit intrieurement. La petite femme trapue quil connaissait ressemblait assez peu la masse humaine qui se dressait au bord de la rivire, mais ils taient tous deux taills dans la mme roche: ils avaient les mmes manires abruptes, la mme candeur presque ingnue. Il ne savait que dire. Il allait tre difficile dexpliquer qui tait Ayla.Non. Elle vivait dans une valle, quelques jours de marche dici. Talut parut intrigu.Je nai jamais entendu parler dune femme de ce nom qui vivait dans les parages. Tu es sr quelle nest pas mamuto?Jen suis sr.Alors, quel est son peuple? Nous autres, les Chasseurs de Mammouths, nous sommes les seuls habiter cette rgion.Je nai pas de peuple, dclara Ayla. Elle pointait le menton dun air de dfi.Talut posa sur elle un regard pntrant. Elle stait exprime dans son langage, mais le timbre de sa voix et sa prononciation taient bizarres. Pas dsagrables, mais bizarres. Jondalar avait un accent tranger. La diffrence, chez Ayla, allait plus loin que laccent. Talut sentait son intrt sveiller.Eh bien, fit-il, ce nest pas lendroit pour parler. Nezzie va faire fondre sur moi toute la colre de la Mre elle-mme si je ne vous invite pas sjourner chez nous. Les visites apportent de lanimation, et nous nen avons pas eu depuis un certain temps. Le Camp du Lion aimerait vous accueillir, Jondalar des Zelandonii et Ayla de Nulle Part. Voulez-vous maccompagner?Quen dis-tu, Ayla? Acceptes-tu linvitation? demanda Jondalar.Il sexprimait en Zelandonii, afin de lui permettre de rpondre en toute franchise, sans crainte doffenser ces inconnus.Le temps nest-il pas venu pour toi de rencontrer des gens de ta race? Nest-ce pas ce quIza tavait recommand de faire? Retrouver les tiens?Il ne voulait pas avoir lair dinsister, mais cette visite le tentait. Elle fronait les sourcils dun air indcis.Je nen sais rien. Que vont-ils penser de moi? Il voulait savoir qui tait mon peuple. Je nai plus de peuple. Et si je ne leur plais pas?Tu leur plairas, Ayla, crois-moi, jen suis sr. Talut ta invite, nest-ce pas? Peu lui importe que tu naies pas de peuple. Par ailleurs, si tu ne leur en donnes pas loccasion, tu ne sauras jamais sils tacceptent, ou sils te plaisent. Cest parmi des gens comme eux que tu aurais d grandir, tu le sais. Nous ne sommes pas obligs de rester longtemps. Nous pourrons partir quand nous le voudrons.Cest vrai?Mais oui.Ayla baissa les yeux. Elle sefforait de prendre une dcision. Elle avait envie daller avec eux. Elle se sentait attire vers ces gens, elle tait curieuse den savoir plus sur eux, mais la peur lui serrait lestomac. Elle releva les paupires, vit les deux chevaux des steppes au poil rude qui paissaient lherbe grasse de la plaine, prs de la rivire. Sa peur sintensifia encore.Et Whinney? Quallons-nous faire delle? Et sils voulaient la tuer? Je ne laisserai personne faire du mal Whinney!Jondalar navait pas song Whinney. Quallaient penser ces gens? se demanda-t-il.Je ne sais comment ils ragiront, Ayla, mais je ne crois pas quils la tueront si nous leur disons que ce nest pas une jument comme les autres, et quil ne faut pas la manger.Il se souvenait de sa surprise et de sa crainte respectueuse lorsquil avait dcouvert les relations entre Ayla et la jument. Il serait intressant de voir les ractions de ces gens.Jai une ide, ajouta-t-il.Talut ne comprenait pas ce que se disaient Ayla et Jondalar, mais la femme tait rticente, il le sentait, et lhomme essayait de la convaincre. Il remarqua aussi quelle avait encore un accent trange, mme dans la langue de Jondalar. Sa langue lui. Pas la sienne, se dit-il.Il prenait un certain plaisir rflchir lnigme que prsentait cette jeune femme. Il aimait ce qui tait nouveau, inhabituel. Linexplicable tait pour lui une provocation. Mais le mystre prit soudain une tout autre dimension. Ayla mit un sifflement aigu, prolong. Tout coup, une jument couleur de foin et un poulain dun brun profond arrivrent au galop parmi eux, ils filrent tout droit vers la jeune femme, simmobilisrent et se laissrent flatter! Le gant rprima un frisson. Le spectacle dpassait tout ce quil avait jamais vu!tait-elle une Mamut? se demandait-il avec une apprhension grandissante. Un tre dou de pouvoirs particuliers? Beaucoup de Ceux Qui Servent la Mre prtendaient avoir recours la magie pour appeler les animaux et conduire la chasse, mais il navait jamais connu personne dont lautorit sur les animaux tait assez forte pour quils viennent sur un simple signal. Cette fille avait un talent unique. Ctait un peu effrayant... mais il fallait songer au bnfice que pourrait retirer un Camp dun tel don. La chasse deviendrait si facile!Au moment prcis o Talut se remettait de ce premier choc, Ayla lui en assna un second. Elle saccrocha la crinire hirsute de la jument et, dun bond, lenfourcha. Le gant demeura bouche be en voyant la femme et la bte se lancer au galop le long de la rivire. Le poulain les suivait. Sans mme ralentir, ils gravirent la pente qui menait aux steppes. Dans le regard de Talut se lisait un merveillement partag par le reste de la troupe et, particulirement, par une fillette dune douzaine dannes. Elle se rapprocha de Celui Qui Ordonne, se pressa contre lui, comme pour trouver un soutien.Comment a-t-elle fait, Talut? demanda-t-elle, dune petite voix o perait une pointe denvie. Ce petit cheval, il tait si prs de moi. Jaurais presque pu le toucher.Le visage de Talut sadoucit.Il faudra le lui demander, Latie. Ou peut-tre Jondalar, ajouta-t-il en se tournant vers le grand tranger.Je nen sais trop rien moi-mme, rpondit celui-ci. Ayla sait sy prendre avec les animaux. Elle a eu Whinney toute jeune.Whinney?Cest le nom quelle a donn la jument. Quand elle le prononce, on croirait entendre hennir un cheval. Le poulain sappelle Rapide. Cest moi qui lai nomm: Ayla me la demand. En Zelandonii, le mot sapplique quelquun qui court trs vite. La premire fois que jai vu Ayla, elle aidait la jument le mettre au monde.a devait valoir la peine dtre vu! fit lun des compagnons de Talut. Je naurais pas cru quune jument se laisserait approcher en un pareil moment.La dmonstration dAyla produisait leffet escompt par Jondalar. Il jugea le moment venu de parler de linquitude de la jeune femme.Elle aimerait sjourner quelque temps dans votre Camp, je crois, Talut, mais elle craint que vous ne considriez ses chevaux comme tous les autres, comme du gibier. Et, comme les hommes ne leur font pas peur, ils se laisseraient tuer.Pour a, oui. Tu as d deviner ma pense. Mais comment faire autrement?Talut regardait Ayla revenir vers eux. Elle avait lair de quelque tre trange, mi-humain, mi-cheval. Il se flicitait de ntre pas tomb sur elle limproviste. Le spectacle laurait... drout. Il se demanda un instant ce quil prouverait sur le dos dun cheval, et sil serait aussi impressionnant. Mais, en simaginant califourchon sur lun de ces chevaux des steppes, solides mais assez petits, comme Whinney, il clata dun rire sonore.Je serais capable de porter cette jument plus facilement quelle ne pourrait me porter! dit-il.Jondalar se mit rire lui aussi. Il navait pas eu grand peine suivre les penses de Talut. Plusieurs, parmi les assistants, sourirent. Ils devaient tous stre imagins cheval, se dit Jondalar. Cela navait rien de surprenant: lui-mme avait eu la mme ide, la premire fois quil avait vu Ayla sur le dos de Whinney.Ayla avait lu la surprise et le bouleversement sur les visages du petit groupe. Si Jondalar ne lavait pas attendue, elle aurait poursuivi son chemin pour regagner sa valle. Navait-elle pas au cours de ses jeunes annes, assez souvent subi la dsapprobation pour des actions inacceptables? Et, depuis, au cours de son existence solitaire, elle avait joui dune libert assez grande pour navoir pas envie de se soumettre aux critiques si elle suivait ses inclinations personnelles. Elle tait toute prte dclarer Jondalar quil pouvait faire un sjour chez ces gens, si bon lui semblait. Quant elle, elle repartait chez elle.Mais, lorsquelle les rejoignit, elle vit Talut: il riait encore de limage quil stait faite de lui-mme sur le dos dun cheval. Alors, elle rflchit. Le rire lui tait devenu prcieux. On ne lui avait pas permis de rire, du temps o elle vivait avec le Clan: cela rendait les gens nerveux, mal laise. Sil lui tait arriv de rire haute voix, ctait seulement avec Durc, en secret. Bb et Whinney lui avaient appris y prendre plaisir, mais Jondalar tait le premier tre humain avec qui elle avait pu se laisser aller rire ouvertement.Elle contemplait lhomme qui sesclaffait avec Talut. Il leva les yeux, lui sourit. La magie de ses yeux dun bleu incroyablement vif vint veiller au plus profond delle-mme une chaude vibration, et elle sentit monter une norme vague damour pour lui. La seule pense de vivre sans lui, lui serrait la gorge ltrangler et faisait monter ses yeux la brlure de larmes retenues.En revenant vers eux, elle constata que, si Jondalar navait pas la stature de lhomme aux cheveux de flamme, il tait presque aussi grand et mieux dcoup que les trois autres hommes. Non, se reprit-elle, lun deux tait encore un adolescent. Et ny avait-il pas une fillette, avec eux? Elle se surprit observer le groupe la drobe: elle ne voulait pas les dvisager.Les mouvements de son corps transmirent Whinney lordre de sarrter. Elle passa une jambe par-dessus lencolure, se laissa glisser au sol. Les deux chevaux ragirent avec nervosit lapproche de Talut. Elle flatta la jument, passa un bras autour du cou de Rapide. La prsence familire la rconfortait, comme les rassurait la sienne.Ayla de Nulle Part... commena le chef.Il ne savait trop si ctait ainsi quil devait sadresser elle, mais, pour une femme dote de pouvoirs aussi mystrieux, ctait bien possible.Jondalar me dit que tu crains pour la vie de ces chevaux, si tu viens chez nous. Je le dclare ici, aussi longtemps que Talut sera lHomme Qui Ordonne du Camp du Lion, il narrivera aucun mal cette jument ni son petit. Jaimerais que tu nous accompagnes avec tes chevaux.Son sourire slargit, devint un rire.Autrement, personne ne nous croira.Elle se sentait maintenant plus dtendue, et elle savait que cette visite ferait plaisir Jondalar. Elle navait aucune vritable raison de refuser. Mieux encore, le rire spontan, amical du gant lattirait.Oui, je viens, dit-elle.Talut hocha la tte en souriant. Il sinterrogeait son propos: sur son curieux accent, sur son impressionnant pouvoir sur les animaux. Qui donc tait Ayla de Nulle Part?Aprs avoir install leur campement au bord de la rivire au cours torrentueux, Ayla et Jondalar avaient dcid, ce matin-l, avant leur rencontre avec le groupe du Camp du Lion, quil tait temps de rebrousser chemin. Le cours deau tait trop large pour tre travers sans difficult, et leffort nen valait pas la peine sils devaient revenir sur leurs pas. La rgion des steppes, lest de la valle o Ayla avait vcu en solitaire trois annes durant, tait plus accessible. La jeune femme ne stait pas souvent donne la peine de prendre le chemin plus long et difficile qui menait vers louest. La rgion ne lui tait pas familire. Au dpart, ils avaient pris cette direction mais ils navaient en tte aucune destination prcise. Finalement, ils avaient obliqu vers le nord, puis vers lest, et ils staient aventurs beaucoup plus loin quelle ne lavait jamais fait au cours de ses chasses.Jondalar avait insist pour lui faire entreprendre cette expdition afin de lhabituer voyager. Il avait lintention de la ramener chez lui, mais son pays se trouvait bien loin de l, vers le soleil couchant. Elle stait montre hsitante, craintive, lide de quitter lasile de sa valle pour aller vivre dans des lieux inconnus avec des gens inconnus. Pour sa part, malgr sa hte de revoir les siens, aprs tant dannes de prgrinations, il stait rsign passer lhiver avec elle. Le voyage de retour serait bien longune anne entire, sans doute. Mieux valait, de toute manire, partir la fin du printemps. Mais, le moment venu, il tait convaincu quil parviendrait la dcider laccompagner. Il se refusait mme envisager une autre possibilit.Au dbut de la saison chaude qui vivait maintenant ses derniers jours, Ayla lavait dcouvert, cruellement bless, presque mourant, et elle connaissait la tragdie quil avait vcue. Ils staient pris lun de lautre pendant que, par ses soins diligents, elle le ramenait la sant. Il leur avait fallu nanmoins trs longtemps pour surmonter les barrires que dressaient entre eux les normes diffrences de culture et dducation. Ils en taient encore apprendre leurs manires et leurs mentalits respectives.Ayla et Jondalar achevrent de lever leur camp et, la vive surprise mle dintrt de ceux qui les attendaient, ils chargrent tout leur quipement sur le dos de la jument, au lieu de le rpartir dans des hottes ou dans des sacs quils auraient d porter eux-mmes. Il leur tait arriv de monter deux sur le dos du solide animal, mais Ayla pensa que Whinney et son poulain seraient moins nerveux sils la voyaient ct deux. Ensemble, ils se mirent en marche derrire le petit groupe de leurs nouveaux compagnons. Jondalar menait Rapide par une longue corde attache un licou de son invention. Whinney suivait Ayla en toute libert.Ils longrent la rivire sur une assez longue distance, travers une large valle dont les pentes descendaient des plaines herbeuses environnantes. De chaque ct, de hautes tiges charges dpis mrs se gonflaient en vagues dores au rythme dun souffle glacial qui venait par instants des massifs glaciers du nord. Sur la vaste tendue des steppes, quelques sapins, quelques bouleaux tordus et rabougris se blottissaient au long des cours deau, afin dy puiser lhumidit quabsorbaient les vents desschants. Prs de la rivire, roseaux et massettes taient encore verts, en dpit dune bise qui faisait crpiter les branches dnudes des arbres feuilles caduques.Latie tranait un peu les pieds. Elle lanait de temps autre un coup dil vers les chevaux et vers ltrangre. Mais quand plusieurs autres personnes apparurent, aprs un coude de la rivire, elle slana: elle voulait tre la premire annoncer larrive de visiteurs. A ses cris, les gens se retournrent et restrent bouche be.Dautres mergeaient de ce qui apparut aux yeux dAyla comme un grand trou ouvert dans la berge de la rivire. Une grotte, peut-tre, mais comme elle nen avait encore jamais vu. Elle semblait merger de la pente qui descendait vers leau, mais sans rien emprunter aux lignes naturelles du rocher ni de la terre. De lherbe poussait sur son toit, mais lentre avait une forme trop rgulire qui faisait une trange impression: ctait une vote parfaitement symtrique.Soudain, au plus profond delle-mme, une ide frappa la jeune femme. Ce ntait pas une grotte, et ces gens ntaient pas le Clan! Ils ne ressemblaient pas Iza, la seule mre dont elle gardt le souvenir. Pas davantage Creb ou Brun, petits et muscls, avec leurs grands yeux embusqus sous des orbites saillantes, leur front fuyant, leur mchoire prominente dpourvue de menton. Ctait elle quils ressemblaient, ces gens-l. Aux tres dont elle tait ne. Sa mre, sa vraie mre, avait sans doute t semblable lune de ces femmes. Ces gens-l taient les Autres! Ils vivaient dans cet endroit! La rvlation lui apporta tout ensemble une bouffe dexcitation et un frisson de crainte.Un silence bahi accueillit les trangerset leurs chevaux plus tranges encorelorsquils parvinrent ce qui tait, en hiver, la rsidence permanente du Camp du Lion. Brusquement, tout le monde se mit parler en mme temps.Talut! Que nous apportes-tu, cette fois? O as-tu trouv ces chevaux? Quas-tu bien pu leur faire? De quel Camp viennent ceux-l, Talut?La troupe bruyante se pressait, dans un dsir commun de voir, de toucher ces deux tres humains et leurs btes. Ayla tait dsoriente, affole. Elle ntait pas habitue un tel nombre de curieux. Moins encore des gens qui parlaient haute voix et tous ensemble. Whinney esquivait, agitait les oreilles. La tte dresse, lencolure arque, elle sefforait de protger son poulain effray et dviter ceux qui lentouraient de plus en plus prs.Jondalar voyait bien la dtresse dAyla, la nervosit des chevaux mais il ne pouvait les faire comprendre Talut et ses compagnons. Couverte de sueur, la jument battait de la queue, dansait en rond. Soudain, elle ny tint plus. Avec un hennissement de peur, elle se cabra, lana en avant ses durs sabots. Les curieux reculrent.Lattention dAyla se porta sur lagitation de Whinney. Elle lappela par son nom, dans ce qui ressemblait un bref hennissement rconfortant, et, par les signes dont elle stait servi pour communiquer avec Jondalar, avant quil lui et appris parler, lui adressa un message.Talut! Personne ne doit porter la main sur les chevaux avant quAyla le permette! Elle seule peut en venir bout. Ils sont trs doux, mais la jument peut devenir dangereuse si on lirrite, ou si elle croit son poulain menac, dit Jondalar.Reculez! Vous lavez entendu, clama Talut, dune voix tonnante qui fit taire toutes les autres.Quand btes et gens se furent calms, il reprit dun ton plus normal.La femme sappelle Ayla. Je lui ai promis quil narriverait rien aux chevaux si elle venait sjourner chez nous. Je lai promis en ma qualit de chef du Camp du Lion. Voici Jondalar, des Zelandonii, mon parent: il est le frre du second poux de Tholie.Il ajouta, avec un sourire satisfait:Talut a amen des visiteurs! Il y eut des signes dapprobation.Les gens faisaient cercle. Ils regardaient les nouveaux arrivants avec une franche curiosit mais se tenaient assez loin pour viter les sabots de la jument. Mme si les trangers taient partis en cet instant, ils avaient dj veill assez dintrt et fourni assez de sujets de conversation pour les annes venir. Lors des Runions dt, on avait parl de la prsence dans la rgion de deux trangers qui vivaient avec le peuple de la rivire, vers le sud-ouest. Les Mamuto commeraient avec les Sharamudo, et, comme Tholie, une parente, avait choisi un homme de la rivire, linformation avait intress au premier chef le Camp du Lion. Mais jamais ils ne se seraient attendus voir lun de ces trangers se prsenter dans leur Camp, surtout pas en compagnie dune femme qui exerait sur les chevaux une sorte de pouvoir magique.Tout va bien? demanda Jondalar Ayla.Ils ont effray Whinney, et Rapide aussi. Les gens parlent-ils toujours ensemble ainsi? Hommes et femmes en mme temps? On ne comprend plus rien. Et ils parlent si fort: comment reconnatre les voix? Nous aurions peut-tre d retourner la valle.Elle tenait la jument par lencolure, se serrait contre elle, pour la rassurer et se rassurer en mme temps.Ayla, Jondalar le sentait, prouvait la mme angoisse que les chevaux. En voyant tous ces gens se presser autour delle, elle avait reu un choc. Sans doute ne devraient-ils pas rester trop longtemps. Peut-tre vaudrait-il mieux lier dabord connaissance avec deux ou trois personnes seulement, jusquau moment o elle saccoutumerait de nouveau cette race qui tait la sienne. Mais il se demandait ce quil ferait si elle ne shabituait pas. Enfin, ils taient l, prsent. Restait voir ce qui allait se passer.Il arrive que les gens parlent trs fort tous la fois, mais, gnralement, une seule personne prend la parole un moment donn. Et ils vont tre prudents avec les chevaux, maintenant, je crois, affirma-t-il.Elle avait entrepris de dcharger la jument des paniers assujettis sur ses flancs par un harnais de son invention, fait de lanires de cuir.Pendant quelle soccupait ainsi, Jondalar prit Talut part. Ayla et les chevaux, lui dit-il, taient un peu nerveux. Il leur faudrait quelque temps pour shabituer tout ce monde.Il vaudrait mieux les laisser seuls un moment, ajouta-t-il.Talut acquiesa. Il alla de lun lautre des habitants du Camp, leur dit quelques mots chacun. Ils se dispersrent, se remirent leurs tches quotidiennes: en prparant le repas, en travaillant le cuir, en faonnant des outils, ils pouvaient observer la drobe ce qui se passait. Eux aussi, dailleurs, taient un peu mal laise. Voir des trangers tait intressant, mais une femme dote dun tel pouvoir magique pouvait se comporter de manire inattendue.Seuls demeurrent quelques enfants, mais leur prsence ne troublait pas Ayla. Elle navait pas vu denfants depuis des annes, depuis son dpart du Clan, et la curiosit tait rciproque. Elle dbarrassa la jument de son harnais, le poulain de son licou, les flatta, les caressa tour tour. Elle venait de gratter longuement Rapide et de le serrer affectueusement contre elle quand, en levant les yeux, elle vit le regard avide de Latie fix sur le poulain.Tu veux toucher cheval? demanda-t-elle.Je peux?Viens. Donne main. Je montre.Elle prit la main de Latie, la posa sur le rude poil dhiver du jeune animal. Rapide tourna la tte pour flairer la fillette et lui poser le nez sur lpaule.Le sourire de gratitude de Latie fut le plus beau des cadeaux.Je lui plais!Aime gratter aussi. Comme a.Ayla lui montra les endroits o le poulain prouvait des dmangeaisons. Latie tait dbordante de joie. Rapide tait ravi et le montrait clairement. Ayla se dtourna pour aider Jondalar et ne prta pas attention lapproche dun autre enfant. Quand elle fit volte-face, elle rprima un cri, sentit le sang se retirer de son visage.Tu veux bien que Rydag touche le cheval? demanda la fillette. Il ne peut pas parler, mais je sais quil en a envie.Latie tait accoutume la surprise des nouveaux venus devant Rydag.Jondalar! appela Ayla, dans un rauque murmure. Cet enfant, il pourrait tre mon fils! Il ressemble Durc!Son compagnon se retourna, ses yeux sagrandirent de stupeur. Ctait un enfant desprits mls.Pour la plupart des gens, les Ttes Platesles tres quAyla appelait toujours le Clantaient des animaux, et beaucoup considraient les enfants semblables celui-ci comme des monstres, mi-humains, mi-btes. Jondalar avait t atterr lorsquil avait compris que la jeune femme avait donn naissance un tre de cette sorte. La mre dun tel enfant tait gnralement rejete. On la chassait, de peur quelle nattirt de nouveau le mauvais esprit animal et nament dautres femmes donner naissance de tels monstres. Certains se refusaient mme admettre leur existence. Dcouvrir l un de ces enfants, parmi des gens normaux, tait plus quune surprise. Ctait un vritable choc. Do venait donc ce petit garon?Ayla et lenfant se dvisageaient. Ils navaient plus conscience de ce qui les entourait. Il est bien maigre, pour un petit qui appartient pour moiti au Clan, pensait Ayla. Ils sont le plus souvent bien charpents et muscls. Durc lui-mme tait plus solide. Il est malade, lui disait son il exerc de gurisseuse. Il sagissait dun mal de naissance, qui concernait le muscle vigoureux qui battait et palpitait dans la poitrine pour entraner le sang. Mais elle enregistrait tous ces signes sans y penser. Son attention se concentrait sur le visage de lenfant, sur la forme de sa tte, afin de dcouvrir les ressemblances et les diffrences entre lui et son propre fils.Les grands yeux bruns, intelligents, taient pareils ceux de Durc, ils exprimaient la mme antique sagesse, bien au-del de son ge. Mais ils contenaient aussi une douleur, une souffrance qui ntaient pas seulement physiques, et que Durc navait jamais connues. Ayla avait la gorge serre, elle tait envahie de compassion. Les orbites de cet enfant taient moins prononces, dcida-t-elle. Mme lorsquelle tait partie, Durc, trois ans, montrait au-dessus de ses yeux des saillies osseuses dj trs dveloppes. Ces caractristiques lui venaient du Clan, mais son front ressemblait celui de cet enfant: ni fuyant ni aplati comme ceux du Clan, mais haut et bomb comme celui dAyla.Ses penses sgarrent. Durc aurait maintenant six ans, se dit-elle. Il avait lge daccompagner les hommes quand ils sentranaient avec leurs armes de chasse. Mais ctait Brun, et pas Broud, qui devait tre son professeur. La colre la prenait, au souvenir de Broud. Jamais elle noublierait que le fils de la compagne de Brun avait entretenu la haine quil ressentait son gard, jusquau jour o, par pure mchancet, il avait pu lui prendre son enfant et la faire chasser du Clan. Elle ferma les yeux: le souvenir lui tait comme un coup de couteau en plein cur. Elle se refusait croire quelle ne reverrait jamais son fils.Elle ouvrit les yeux, vit Rydag, reprit longuement son souffle.Je me demande quel ge a ce petit. Il nest pas bien grand mais il ne doit pas tre beaucoup moins g que Durc. Rydag avait le teint clair, ses cheveux taient sombres et friss mais plus lgers, plus doux que les chevelures crpues qui se rencontraient le plus souvent dans le Clan. La diffrence essentielle entre cet enfant et son fils rsidait dans son menton et son cou. Durc possdait un long cou, comme le sien: il stranglait parfois en avalant, ce qui narrivait jamais aux jeunes enfants du Clan. Il avait aussi un menton un peu fuyant mais bien form. Celui-ci avait un cou trop court, et aussi une mchoire trop saillante. Latie, se rappela-t-elle, avait dit quil tait incapable de parler.Tout coup, dans un clair de comprhension, elle sut ce que devait tre la vie de ce jeune tre. Il pouvait tre difficile, pour une petite fille de cinq ans qui avait perdu ses parents dans un tremblement de terre et qui avait t recueillie par un clan pour lequel le langage articul tait pratiquement impossible, dapprendre les signes par lesquels ces gens communiquaient. Mais combien plus difficile encore de vivre parmi des gens qui parlaient, sans possder la parole. Elle se rappelait la tension qui lavait habite les premiers temps, quand elle tait incapable de communiquer avec les gens qui lavaient recueillie. Par la suite, il lui avait t plus douloureux encore de ne pouvoir se faire comprendre de Jondalar avant davoir rappris parler. Mais si elle navait pas possd cette facult dapprendre...?Elle fit un signe lenfant, lun des simples gestes de salut, parmi les premiers quon lui avait enseigns si longtemps auparavant. Elle surprit dans ses yeux une lueur dintrt, mais il secoua la tte et parut perplexe. Jamais, comprit-elle, il navait appris le langage par signes du Clan, mais il devait avoir en lui les vestiges de la mmoire du Clan. Un bref instant, elle en tait sre, il avait reconnu le signe.Rydag peut toucher le petit cheval? rpta Latie.Oui, rpondit Ayla.Elle prit la main du petit garon. Il est si maigre, si frle, pensa-t-elle. Elle comprit alors tout le reste. Il ne pouvait pas courir, comme les autres enfants. Il ne pouvait pas se livrer leurs jeux brutaux. Il ne pouvait que les regarder et les envier.Avec une tendresse que Jondalar navait encore jamais lue sur son visage, Ayla souleva Rydag pour lasseoir sur le dos de Whinney. Elle fit signe la jument de la suivre et leur fit faire lentement le tour du Camp. Les conversations sinterrompirent: tout le monde ouvrait de grands yeux au spectacle de Rydag cheval. Mis part Talut et les quelques personnes qui avaient rencontr le couple et les animaux prs de la rivire, on navait encore jamais vu personne monter cheval. On navait jamais mme envisag une telle ide.Une forte matrone mergea de ltrange habitation. A la vue de Rydag install sur le dos de la jument qui stait cabre dangereusement prs delle, elle fut dabord porte courir son aide. Mais, en approchant, elle prit conscience du spectacle silencieux qui se jouait devant elle.Lenfant avait une expression merveille, ravie. Combien de fois avait-il suivi dun regard denvie les activits des autres enfants, que sa faiblesse et son aspect physique diffrent lempchaient dimiter? Combien de fois avait-il souhait pouvoir se faire admirer, envier? Maintenant, pour la premire fois, petits et grands le suivaient dun regard admiratif et jaloux.La femme voyait tout cela et sen tonnait. Cette trangre avait-elle vraiment compris si vite lenfant? Lavait-elle si vite accept? Elle surprit le regard dAyla fix sur Rydag et elle sut quelle ne se trompait pas.Ayla saisit ce regard de la matrone, elle la vit lui sourire. Elle lui sourit en retour, sarrta prs delle.Tu as rendu Rydag trs heureux, dit la femme.Elle tendait les bras au petit garon que ltrangre blonde soulevait.Cest peu, dit Ayla. La femme hocha la tte.Je mappelle Nezzie.Mon nom est Ayla.Toutes deux se dvisagrent prudemment, sans hostilit, mais comme pour tter le terrain en vue de relations futures.Les questions quelle avait envie de poser propos de Rydag se bousculaient dans lesprit de la jeune femme. Pourtant, elle hsitait. tait-il convenable de les formuler? Nezzie tait-elle la mre de ce petit? Dans ce cas, comment avait-elle donn naissance un enfant desprits mls? Le problme qui la tourmentait depuis la naissance de Durc revenait lassaillir. Comment la vie commenait-elle? Une femme en reconnaissait la prsence uniquement quand son corps changeait, mesure que grossissait lenfant. Mais comment sintroduisait-il lintrieur dune femme?Creb et Iza croyaient quune nouvelle vie commenait quand une femme absorbait les esprits totmiques dun homme. Jondalar pensait que la Grande Terre Mre mlait les esprits dun homme et dune femme et les introduisait lintrieur de la femme lorsquelle devenait grosse. Mais Ayla stait form sa propre opinion. Elle avait remarqu chez son fils certaines de ses propres caractristiques et certaines autres du Clan. Elle avait alors compris quaucune vie ne stait dveloppe en elle jusquau jour o Broud lavait pntre de force.Elle frissonna cet affreux souvenir. Elle en tait arrive la certitude que, lorsquun homme mettait son organe dans lendroit o les enfants se formaient, quelque chose incitait la vie commencer lintrieur dune femme. Jondalar, quand elle lui en avait parl, avait trouv lide trange. Il avait voulu la convaincre que ctait la Mre qui crait la vie. Elle ne lavait pas vraiment cru. A prsent, elle se posait des questions. Ayla avait grandi au sein du Clan, elle en faisait partie, en dpit de ses diffrences. Quand Broud lavait prise, lacte lui avait fait horreur, mais il navait fait quexercer ses droits. Mais comment un homme du Clan avait-il pu forcer Nezzie?Ses penses furent interrompues par larrive bruyante dune petite bande de chasseurs. Un homme sapprocha. Il repoussa son capuchon. Ayla et Jondalar restrent bouche be. Lhomme tait brun fonc! Ctait presque la couleur de la robe de Rapide, dj inhabituelle chez un cheval. Le jeune couple navait jamais vu personne de semblable.Lhomme avait des cheveux noirs et crpus, qui formaient sur sa tte un casque pareil la fourrure serre dun mouflon. Ses yeux taient noirs, eux aussi, dun clat tincelant. Son sourire dcouvrait des dents blanches et brillantes et une langue rose qui contrastaient avec sa peau sombre. Quand des trangers le voyaient pour la premire fois, il faisait sensation: il le savait et y prenait un certain plaisir.Par ailleurs, il tait parfaitement ordinaire: de taille moyenne quelques centimtres de plus quAylaet de corpulence moyenne. Mais une impression de vitalit, une conomie de mouvements, une assurance naturelle signalaient un homme rsolu et qui savait atteindre un but sans perdre de temps. A la vue dAyla, ses prunelles prirent un clat nouveau.Jondalar en reconnut la sduction. Il frona les sourcils, mais ni la jeune femme blonde ni lhomme la peau fonce ne sen aperurent. Captive par la nouveaut de larrivant, Ayla le regardait avec lmerveillement candide dun enfant. Lui, pour sa part, se sentait attir autant par la navet innocente de sa raction que par sa beaut.Brusquement, Ayla se rendit compte quelle le dvisageait. Elle devint carlate, baissa les yeux. Elle avait appris de Jondalar quil tait parfaitement convenable, de la part des hommes et des femmes, de se regarder en face, mais, pour les membres du Clan, ctait discourtois et mme choquant, surtout chez une femme. Son ducation et les coutumes du Clan, sur lesquelles Creb et Iza ne cessaient dinsister pour les rendre plus acceptables, causaient maintenant lembarras dAyla.Cette dtresse ne fit quenflammer lintrt de lhomme la peau sombre. Les femmes lui tmoignaient souvent une attention exceptionnelle. La surprise qui saluait son apparition semblait veiller chez elles une insatiable curiosit propos dventuelles autres diffrences. Elle se demandait parfois si chacune des femmes prsentes aux Runions dt se croyait oblige de dcouvrir par elle-mme quil tait, en fait, un homme pareil aux autres. Certes, il ny voyait pas dobjection. La raction dAyla lintriguait, comme la couleur de sa peau tonnait la jeune femme. Il navait pas lhabitude de voir une femme adulte, dune beaut frappante, rougir avec la modestie dune toute jeune fille. Talut savanait vers eux.Ranec, tu as fait la connaissance de nos visiteurs? cria-t-il.Pas encore, mais jattends... avec impatience.Au son de sa voix, Ayla releva les yeux. Son regard plongea dans des prunelles noires, profondes, qui exprimaient le dsir et un humour subtil. Elles pntraient en elle, suscitaient des sensations que seul, jusqu prsent, Jondalar avait veilles. Un lger gmissement stouffa sur ses lvres, ses yeux gris-bleu slargirent. Dj, lhomme se penchait pour lui prendre les mains, mais, avant toute prsentation en bonne et due forme, le grand tranger sinterposa entre eux, le visage sombre, les deux mains en avant.Je suis Jondalar des Zelandonii, dit-il. Cette femme avec laquelle je voyage sappelle Ayla.Jondalar tait mcontent, Ayla en tait sre. Et ctait cause de cet homme la peau sombre. Elle tait accoutume lire la signification dune attitude, dun comportement. Elle avait troitement observ Jondalar pour obtenir des indications sur la conduite tenir. Mais le langage corporel des gens qui comptaient sur les mots tait beaucoup moins expressif que celui du Clan, qui se servait de signes pour communiquer, et elle ne faisait pas encore confiance ses perceptions. Ces gens-l semblaient la fois plus faciles et plus difficiles dchiffrer, tmoin ce brusque changement dattitude chez Jondalar. Il tait furieux, elle le sentait, mais elle ne savait pas pourquoi.Lhomme prit les mains de Jondalar, les secoua fermement.Je suis Ranec, mon ami, le meilleur, et dailleurs le seul, sculpteur du Camp du Lion des Mamuto, dit-il avec un sourire qui se moquait de lui-mme. Si tu voyages avec une compagne aussi belle, tu dois tattendre ce quelle attire lattention.Ce fut au tour de Jondalar de se sentir embarrass. Lattitude franche et amicale de Ranec lui donnait limpression de se conduire comme un rustre. Une souffrance familire ramena le souvenir de son frre. Thonolan, lui, avait cette mme assurance cordiale. Lorsquils avaient fait des rencontres, au cours de leur voyage, ctait toujours lui qui avait fait les premiers pas. Jondalar avait toujours dtest se conduire sottement, et il lui dplaisait dentamer une relation nouvelle sur un malentendu. Il avait, pour le moins, fait preuve de manque de courtoisie.Mais la brutalit de sa colre lavait pris au dpourvu. Le brlant coup de poignard de la jalousie lui tait inconnu, ou du moins le souvenir en tait si lointain quil ne sy attendait plus.Pourquoi sirritait-il de voir un inconnu admirer Ayla? se demandait-il. Ranec avait raison: elle tait si belle quil aurait d le prvoir. Et elle tait en droit de faire son propre choix. Il tait le premier homme de sa race quelle et rencontr. Cela ne signifiait pas quil serait jamais le seul lattirer.Ayla le vit sourire Ranec mais elle remarqua que la tension, dans la ligne de ses paules, ne stait pas attnue.Ranec parle toujours la lgre de ses dons de sculpteur mais il nest pas homme faire fi de ses autres talents, dit Talut.Il montrait le chemin vers ltrange habitation qui semblait avoir pouss delle-mme sur la berge de la rivire.Wymez et lui ont au moins ce point de ressemblance. Wymez est aussi rticent sur son talent de faonneur doutils que lest le fils de son foyer pour parler de ses sculptures. Parmi tous les Mamuto, Ranec est le meilleur sculpteur.Vous avez parmi vous un tailleur de pierre expriment? demanda Jondalar avec une joyeuse impatience.Il oubliait cet clair de brlante jalousie lide de rencontrer un autre expert dans son propre mtier.Oui, et cest le meilleur, lui aussi. Le Camp du Lion est renomm. Nous possdons le meilleur sculpteur, le meilleur faonneur doutils et le mamut le plus g, dclara lHomme Qui Ordonne.Et aussi un Homme Qui Ordonne assez imposant pour tre approuv par tous, de gr ou de force, ajouta Ranec, avec un sourire ironique.Talut lui sourit en retour: il connaissait la propension de Ranec dtourner les louanges par une plaisanterie. Ce qui nempchait dailleurs pas Talut de se vanter: il tait fier de son Camp et nhsitait pas le faire savoir la ronde.Ayla observait la subtile relation entre les deux hommes: lun, le plus g, ce gant massif, au poil flamboyant, aux yeux dun bleu ple, et lautre, avec sa peau sombre, plus petit mais rbl. Ils taient aussi diffrents que possible lun de lautre, mais elle percevait le lien daffection et de loyaut profondes qui les unissait. Tous deux faisaient partie des Chasseurs de Mammouths, tous deux taient membres du Camp du Lion des Mamuto.Ils se dirigeaient vers le passage vot quAyla avait remarqu plus tt. Il semblait donner accs un tertreou, peut-tre, une srie de tertresintgr dans la pente qui faisait face la large rivire. Ayla avait vu des gens y entrer et en sortir. Il devait sagir, elle le savait, dune caverne ou dun gte quelconque. Il semblait entirement fait de terre solidement tasse, et de lherbe poussait par endroits la surface, surtout autour de la base et sur les cts. Lensemble se fondait si bien dans le paysage que, part lentre, il tait difficile de le distinguer de ce qui lenvironnait.En y regardant de plus prs, elle distingua plusieurs objets curieux poss sur le sommet arrondi de la butte. Il y en avait un, en particulier, juste au-dessus de lentre. Elle retint son souffle.Ctait le crne dun lion des cavernes!2Blottie dans une minuscule crevasse dune falaise abrupte, Ayla regardait la patte griffue dun norme lion des cavernes sintroduire dans la fissure pour latteindre. Elle poussa un hurlement de peur et de souffrance quand la patte trouva sa cuisse nue et la sillonna de quatre estafilades parallles. LEsprit mme du Grand Lion des Cavernes lavait choisie et marque pour montrer quil tait son totem, lui avait expliqu Creb, aprs une preuve bien plus pnible que toutes celles auxquelles un homme lui-mme tait soumis, alors quelle ntait quune petite fille de cinq ans. Elle crut sentir la terre trembler sous ses pieds, et sentit monter une nause.Elle secoua la tte pour chasser un souvenir trop prcis. Jondalar remarqua son malaise.Quy a-t-il, Ayla?Elle tendit le bras vers la dcoration, au-dessus de lentre.Jai vu ce crne et je me suis rappel le jour o javais t choisie, le jour o le Lion des Cavernes est devenu mon totem!Nous sommes le Camp du Lion, dclara une fois de plus Talut avec orgueil.Il ne les comprenait pas quand ils sexprimaient dans le langage de Jondalar mais il voyait lintrt quils tmoignaient au talisman du camp.Le Lion des Cavernes a une profonde signification pour Ayla, expliqua Jondalar. Lesprit du grand fauve, prtend-elle, la guide et la protge.Alors tu devrais te sentir bien ici, dit Talut, en la gratifiant dun sourire satisfait.Elle vit Nezzie emporter Rydag dans ses bras et songea de nouveau son fils.Oui, je crois, rpondit-elle.Avant dentrer, la jeune femme examina la vote. Elle sourit en voyant comment on tait arriv une aussi parfaite symtrie. Ctait simple, mais elle ny aurait pas pens. Deux grandes dfenses de mammouth, prises sur la mme bte ou sur deux btes de mme taille, avaient t solidement fiches en terre, et les deux pointes se rejoignaient au sommet dans un manchon fait dun segment de tibia de lanimal.Un lourd rabat en peau de mammouth couvrait lentre, assez haute pour permettre Talut de pntrer lintrieur sans courber la tte. On accdait alors un vaste espace lextrmit duquel une autre vote, juste en face de la premire, tait drape elle aussi de peau de mammouth. Ils descendirent dans un foyer circulaire dont les paisses parois sincurvaient pour former un plafond vot.En avanant, Ayla remarqua les murs, apparemment recouverts dune mosaque dos de mammouth, o taient suspendus des vtements dextrieur des chevilles et des rteliers chargs doutils et de rcipients. Talut releva lautre tenture et, aprs tre pass lui-mme, la retint pour livrer passage ses invits.Ayla descendit encore une marche et simmobilisa, ouvrit des yeux stupfaits. Elle tait submerge par tous ces objets inconnus, ces images insolites, ces couleurs clatantes. Le spectacle qui se prsentait elle tait en grande partie incomprhensible, et elle se raccrocha ce quelle connaissait.A peu prs au centre de lespace dans lequel ils se trouvaient, une norme pice de viande, embroche sur une longue perche, rtissait au-dessus dun vaste foyer. Chaque extrmit de la perche reposait dans la cavit de larticulation dun os de jambe de mammouth enfonc verticalement dans le sol. Un jeune garon tournait une manivelle faite de bois de cerf. Ctait lun des enfants qui staient attards pour observer Ayla et Whinney. La jeune femme le reconnut, lui sourit. Il lui rendit son sourire.Les yeux dAyla saccoutumaient la pnombre, et elle stonnait de se trouver dans une salle aussi vaste, aussi propre et confortable. Le foyer tait le premier dune srie qui salignait au long de cette habitation de plus de vingt-cinq mtres sur plus de six mtres.A la drobe, Ayla pressa tour tour ses doigts sur sa cuisse en prononant mentalement les noms des chiffres que lui avait enseigns Jondalar. Sept foyers.Il faisait bon, dans ce logis semi-souterrain. Les feux rchauffaient latmosphre, plus quils ne le faisaient gnralement dans les cavernes auxquelles elle tait habitue. Il y faisait mme chaud, et elle remarqua, un peu plus loin, des gens trs lgrement vtus.Curieusement, il ne faisait pas plus sombre vers lautre extrmit de lhabitation. Le plafond conservait peu prs la mme hauteur dun bout lautre, quatre mtres environ, et des trous fume, mnags au-dessus de chaque foyer, laissaient entrer la lumire. A une charpente en os de mammouth taient accrochs vtements, outils, provisions, mais la porte centrale de la vote tait faite de nombreux bois de cerf entrelacs.Brusquement, Ayla prit conscience dun arme qui lui fit monter leau la bouche. De la viande de mammouth! pensa-t-elle. Elle navait pas retrouv le got de cette tendre et savoureuse chair depuis quelle avait quitt la caverne du Clan. Dautres dlicieuses odeurs de cuisine montaient aussi autour delle, certaines familires, dautres non. Elles se combinaient pour lui rappeler quelle avait faim.On les guidait maintenant au long dun passage qui traversait lhabitation sur toute sa longueur. De chaque ct, de larges couches, recouvertes de fourrures amonceles, sappuyaient aux parois. Des gens y taient assis, pour se dtendre ou bavarder. Elle sentit leurs regards se fixer sur elle au passage. Elle vit plusieurs arches formes par des dfenses de mammouth et se demanda sur quoi elles dbouchaient mais elle nosa pas poser la question.On dirait une caverne, se disait-elle. Une immense caverne confortable. Mais les dfenses disposes en ogives, les os de mammouth qui servaient de piliers et de supports pour les murs attestaient quil ne sagissait pas dune caverne dcouverte par hasard. Ctaient ces gens qui lavaient construite!La premire salle, o cuisait le rti, tait plus vaste que les autres, tout comme la quatrime dans laquelle Talut les introduisait. Plusieurs couchettes nues, apparemment inoccupes, le long des murs, montraient comment elles avaient t amnages.Quand on avait creus le niveau infrieur, on avait laiss, des deux cts de lexcavation, de larges plates-formes, tout juste surleves, soutenues par des os de mammouth habilement disposs. Dautres os renforaient la surface des plates-formes, et les interstices taient remplis dune bourre vgtale. Le tout supportait des paillasses de cuir souple emplies de poils de mammouth et dautres substances moelleuses. Quand on y ajoutait plusieurs paisseurs de fourrures, les plates-formes devenaient des couchettes, chaudes et confortables.Jondalar se demandait si le foyer vers lequel on les menait tait inoccup. Il le paraissait, mais, en dpit de toutes les couchettes nues, on y avait une impression de vie. Des braises luisaient dans lemplacement rserv au feu. Des fourrures, des peaux taient empiles sur certaines des couches. Des herbes sches taient suspendues des rteliers.Les visiteurs sont gnralement couchs dans le Foyer du Mammouth, expliqua Talut. A condition que Mamut ne sy oppose pas. Je vais le lui demander.Bien sr, Talut, ils peuvent loger ici.La voix venait dune couche inoccupe. Jondalar fit volte-face, ouvrit de grands yeux en voyant se soulever un tas de fourrure. Deux yeux brillrent dans un visage tatou, sur la pommette droite, de chevrons qui se fondaient dans les rides dun ge incroyable. Ce quil avait pris pour le poil dhiver dun animal reprit laspect dune barbe blanche.Deux longues jambes maigres, jusque-l croises, se dplirent, et les pieds se posrent sur le sol.Ne prends pas cet air surpris, homme des Zelandonii. La femme savait que jtais l.La voix forte du vieillard ne trahissait gure son ge avanc.Cest vrai, Ayla? demanda Jondalar.Elle ne parut pas lentendre. Son regard et celui du vieil homme staient accrochs, comme si chacun voulait plonger dans lme de lautre. La jeune femme, enfin, se laissa tomber aux pieds du Mamut, croisa les jambes, inclina la tte.Jondalar se sentit la fois intrigu et gn. Elle utilisait le langage par signes dont le Clan, lui avait-elle dit, se servait pour communiquer. Cette posture tait lattitude de dfrence et de respect que prenait une femme du Clan lorsquelle demandait lautorisation de sexprimer.La seule autre fois o il lavait vue ainsi, ctait un jour o elle avait voulu lui dire quelque chose de trs important, quelque chose quelle ne pouvait lui faire savoir autrement, parce que les mots quil lui avait enseigns ne suffisaient pas traduire ses sentiments. Il se demandait encore comment on pouvait sexprimer plus clairement dans un langage o les gestes, les actions, prenaient le pas sur la parole, mais il avait t plus surpris encore dapprendre que ces gens possdaient un moyen de communication.Mais il aurait souhait quelle ne sexhibt pas ainsi en ces lieux. Il rougissait de la voir utiliser ces signes de Ttes Plates. Il avait envie de slancer vers elle, de lui dire de se relever, avant que quelquun dautre ne la vt. De toute manire il se sentait mal laise devant cette posture: ctait comme si elle lui rendait lhommage rvrencieux qui tait d Doni, la Grande Terre Mre. Les gestes, les signes, elle aurait d les lui rserver. Ctait une chose de les adopter pour lui, quand ils taient seuls, mais il dsirait la voir faire bonne impression sur ces inconnus. Il voulait quelle leur plt. Il navait pas envie de les voir dcouvrir do elle venait.Le Mamut posa sur lui un regard pntrant avant de se retourner vers Ayla. Aprs lavoir examine un moment, il se pencha vers elle, lui tapa sur lpaule.Ayla releva la tte, vit deux yeux pleins de sagesse et de bont, dans un visage sillonn de fines rides et de plis profonds. Le tatouage, sous lil droit, lui donna un instant limpression dune orbite vide, dun il manquant. Le temps dun battement de cur, elle crut revoir Creb. Mais le vieillard du Clan qui, avec Iza, lavait leve et lui avait prodigu son affection tait mort, et Iza ltait aussi. Alors, qui tait cet homme qui avait veill en elle des motions aussi fortes? Pourquoi tait-elle ses pieds la manire dune femme du Clan? Et do connaissait-il le signe qui, dans le Clan, rpondait cette attitude?Lve-toi, ma fille. Nous parlerons plus tard, dit le Mamut. Tu dois prendre le temps de te reposer et de manger. Tu vois ici des lits... des endroits o lon dort, prcisa-t-il, comme sil savait quelle avait besoin dune explication. Tu trouveras l-bas des fourrures et des coussins.Dun mouvement gracieux, Ayla se releva. Le regard observateur du vieillard vit dans cette grce des annes de pratique. Il ajouta cette indication tout ce quil savait dj de la jeune femme. Au cours de cette brve rencontre, il en avait dj plus appris, sur Ayla et Jondalar, quaucun autre membre du Camp. Mais il possdait un grand avantage il en savait plus que personne sur les lieux do venait Ayla.La pice rtie de mammouth avait t porte lextrieur sur un plat fait dun grand os du bassin, avec un choix de racines, de lgumes et de fruits, afin de pouvoir prendre le repas en profitant du soleil de cette fin daprs-midi. La viande tait aussi tendre, aussi savoureuse que dans le souvenir dAyla, mais elle avait connu un moment difficile lorsquon avait servi les convives. Elle ignorait tout du protocole. En certaines occasions, gnralement lissue de crmonies, les femmes du Clan prenaient leur repas lcart des hommes. Dordinaire, cependant, on se groupait par famille, mais, mme alors, les hommes taient servis les premiers.Ayla ne savait pas que, pour honorer leurs invits, les Mamuto leur offraient le premier choix du meilleur morceau. La coutume, par ailleurs, exigeait, par dfrence envers la mre, quune femme comment de manger la premire. Quand on apporta les plats, Ayla resta en arrire et se cacha derrire Jondalar, afin de pouvoir observer les autres la drobe. Il y eut un moment de confusion, de pitinements: chacun attendait de la voir prendre linitiative, tandis quelle sefforait de passer derrire eux.Quelques membres du Camp prirent conscience de son mange et, avec des regards malicieux, commencrent den faire un jeu. Mais Ayla ne trouvait l rien de drle. Elle commettait une erreur, elle le sentait, mais Jondalar ne laidait pas: lui aussi essayait de la pousser en avant.Mamut vint son aide. Il la prit par le bras, la guida jusquau grand plat de rti coup en tranches paisses.On attend que tu manges la premire, Ayla, lui dit-il.Mais je suis une femme! protesta-t-elle.Voil justement pourquoi tu dois manger la premire. Cest notre offrande la Mre, et il est bon quune femme laccepte sa place. Prends le meilleur morceau, non pour toi-mme, mais pour honorer Mut, expliqua le vieil homme.Elle le regarda dabord avec surprise puis avec gratitude. Elle prit une assiette, faite dune plaque divoire lgrement incurve dtache dune dfense, et, avec une profonde gravit, choisit la plus belle tranche. Jondalar lui sourit, avec un signe dapprobation, et les autres se pressrent afin de se servir leur tour. Quand elle eut fini de manger, Ayla posa lassiette sur le sol, comme elle lavait vu faire ses compagnons.Je me demandais si tu voulais nous montrer une danse nouvelle, tout lheure, dit une voix derrire elle.Elle se retourna, vit les yeux sombres de lhomme la peau fonce.Le mot danse lui tait inconnu, mais il lui souriait amicalement. Elle lui rendit son sourire.Quelquun ta-t-il dj dit combien tu es belle quand tu souris? demanda-t-il.Belle? Moi?Elle se mit rire, secoua la tte dun air incrdule.Jondalar lui avait dit un jour les mmes mots ou presque, mais elle ne se considrait pas sous cet aspect. De tout temps, bien avant davoir atteint lge nubile, elle avait t plus grande et plus mince que les gens qui lavaient leve. Elle tait si diffrente deux, avec son front bomb et le drle dos, sous sa bouche, que Jondalar appelait un menton, quelle stait toujours trouve laide.Ranec, intrigu, lobservait. Elle riait avec une spontanit enfantine, comme si elle pensait sincrement quil venait de dire quelque chose de comique. Il navait pas prvu ce genre de raction. Un sourire de coquetterie, peut-tre, ou bien une invite faite dun air entendu. Mais les yeux gris-bleu dAyla taient dune totale innocence, il ny avait rien daffect ni dapprt dans sa manire de renverser la tte en arrire ou de rejeter ses longs cheveux loin de son visage.Elle se mouvait avec la grce naturelle et fluide dun animal, un cheval, peut-tre, ou bien un lion. Il y avait autour delle une sorte daura, une qualit quil tait incapable de dfinir vraiment, mais qui alliait des lments de candeur et de franchise un certain mystre. Elle semblait innocente comme un tout jeune enfant, ouverte tout, mais elle tait en mme temps une femme, au plein sens du terme, une femme dune beaut saisissante, totale.Il la dtaillait avec curiosit et intrt. Sa chevelure, longue, abondante, naturellement onde, avait le blond dor, brillant dun champ de hautes herbes balances par le vent. Ses grands yeux largement espacs taient frangs de longs cils, un peu plus sombres que ses cheveux. Avec toute la sensibilit dun sculpteur, il examinait llgante puret de lossature de son visage, la grce muscle de son corps. Quand son regard descendit vers la poitrine pleine, les hanches galbes, il prit une expression qui dconcerta Ayla.Elle rougit, dtourna les yeux. Jondalar lui avait bien dit que ctait parfaitement convenable, mais elle ntait pas bien sre dapprcier cette faon de regarder quelquun bien en face. Elle se sentait sans dfense, vulnrable. Elle lana un coup dil vers Jondalar. Il lui tournait le dos, mais elle lut dans son attitude quil tait furieux. Pourquoi tait-il furieux? Avait-elle fait quelque chose de mal?Talut! Ranec! Barzec! Regardez qui est ici! appela une voix.Tout le monde tourna la tte. Plusieurs personnes venaient dapparatre en haut de la pente. Nezzie et Talut se mirent la gravir leur rencontre, au moment o un jeune homme se dtachait du groupe pour slancer vers eux. Ils se rencontrrent mi-chemin, streignirent avec enthousiasme. Ranec, son tour, se prcipita vers un autre des arrivants, et, si les retrouvailles furent moins dmonstratives, il nen serra pas moins contre lui, avec une chaleureuse affection, un homme plus g.Ayla, avec une trange sensation de vide, regarda les autres membres du Camp dserter les visiteurs, dans leur impatience de retrouver des parents et des amis. Tous parlaient et riaient en mme temps. Elle, elle tait Ayla de Nulle Part. Elle navait aucun lieu o aller, aucun foyer retrouver, pas de clan pour laccueillir par des treintes, des embrassades. Iza et Creb, qui lavaient aime, taient morts, et elle tait morte pour ceux quelle aimait.Uba, la fille dIza, avait t pour elle une vritable sur: elles taient lies par laffection, sinon par le sang. Mais Uba, si elle revoyait maintenant Ayla, lui fermerait son cur et son esprit. Elle nen croirait pas ses yeux, elle ne la verrait mme pas. Broud avait lanc contre elle la Maldiction Suprme. Elle tait donc morte.Durc lui-mme se souviendrait-il delle? Elle avait d le laisser au Clan de Brun. Mme si elle avait pu lenlever, ils auraient t isols tous les deux. Sil tait arriv quelque chose Ayla, Durc se serait trouv livr lui-mme. Mieux valait le laisser avec le Clan. Uba laimait, elle prendrait soin de lui, le protgerait, lui apprendrait chasser. Il grandirait, deviendrait fort, brave, il se servirait dune fronde avec toute ladresse de sa mre, il serait rapide la course, il...Soudain, elle remarqua le seul membre du Camp qui navait pas gravi la pente en courant. Prs de lentre de la caverne, Rydag, appuy dune main une dfense, regardait de ses yeux ronds la troupe joyeuse qui revenait. Elle les vit, alors, par ses yeux lui; ils se tenaient par la taille, portaient les enfants les plus jeunes tandis que dautres enfants sautaient autour deux pour se faire porter eux aussi. Rydag respirait trop fort, se dit Ayla, la surexcitation ne lui valait rien.Elle se dirigea vers lui, vit Jondalar prendre la mme direction.Jallais lemmener l-haut, dit-il.Il avait donc remarqu lenfant, lui aussi, et il avait eu la mme ide quelle.Cest cela, emmne-le, lui dit-elle. Whinney et Rapide peuvent encore prendre peur, avec tous ces gens. Je vais rester prs deux.Elle regarda Jondalar soulever lenfant aux cheveux sombres, le jucher sur ses paules et grimper la pente, vers les habitants du Camp du Lion. Le jeune homme, presque aussi grand que Jondalar, qui avait t si chaleureusement accueilli par Talut et Nezzie tendit les bras au petit avec un visible plaisir et le plaa sur ses propres paules pour redescendre vers la caverne. Il est aim, pensa Ayla. Elle aussi, se rappelait-elle, avait t aime, en dpit de son aspect diffrent.Jondalar croisa son regard et lui sourit. Elle sentit monter en elle un tel lan damour pour cet homme attentif et sensible quelle sen voulut de stre apitoye sur son propre sort. Elle ntait plus seule. Elle avait Jondalar. Elle aimait jusquau son de son nom.Jondalar. Il tait le premier homme de sa connaissance tre plus grand quelle. Le premier qui avait ri avec elle. Le premier aussi quelle avait vu verser des larmes sur le frre quil avait perdu.Jondalar. Lhomme que son totem lui avait envoy comme un cadeau, elle en tait convaincue, dans la valle o elle stait installe, aprs son dpart du Clan, quand elle stait lasse de rechercher les Autres, ceux qui lui ressemblaient.Jondalar. Lhomme qui lui avait rappris la parole, avec des mots, pas des signes, comme le Clan. Jondalar, dont les mains habiles savaient faonner un outil, gratter le dos dun poulain, soulever un enfant pour le hisser sur ses paules. Jondalar, qui lui enseignait les joies de leurs deux corps, qui laimait, et quelle aimait plus quelle et jamais cru possible daimer quelquun.Elle se dirigea vers la rivire et longea un mandre au bout duquel Rapide tait attach par une longue corde un arbre rabougri. Submerge par une motion encore si nouvelle pour elle, la jeune femme sessuya les yeux dun revers de main. Elle prit dans sa paume son amulette, un petit sac de peau attach par une lanire de cuir autour de son cou. Elle palpa les objets quil contenait, adressa une pense son totem.Esprit du Grand Lion des Cavernes, Creb disait toujours quil tait difficile de vivre avec un puissant totem. Il avait raison. Les preuves ont toujours t rudes, mais ma peine na jamais t vaine. Cette femme test reconnaissante de ta protection et des dons de son puissant totem. Les dons intrieurs, comme les choses quelle a apprises, et les autres dons, les tres aimer, comme Whinney, Rapide, et, surtout, Jondalar.Lorsquelle sapprocha du poulain, Whinney vint, laccueillit dun souffle affectueux. Elle se sentait puise. Elle navait pas lhabitude de voir tant de monde, tant de mouvement, et les gens qui parlaient un langage articul taient si bruyants. Elle avait les tempes battantes, la tte douloureuse, son cou et ses paules lui faisaient mal. Whinney sappuya sur elle. Rapide ajouta sa propre pression. Elle se sentait crase entre eux mais ne sen souciait gure.Assez! dit-elle finalement, en assnant une claque sur le flanc du poulain. Tu deviens trop grand, Rapide, pour me serrer ainsi entre vous deux. Regarde-toi! Tu es presque aussi grand que ta mre!Elle le gratta un instant, avant de flatter et de frictionner Whinney. Elle remarqua alors la sueur sche sur le poil.Cest dur pour toi aussi, hein? Tout lheure, je te bouchonnerai et je ttrillerai avec une cardre. Mais quelquun vient, et tu vas sans doute tre encore le centre de lattention gnrale. Quand ils se seront habitus toi, ce sera moins pnible.Ayla ne sapercevait pas quelle employait prsent le langage personnel quelle stait cre au cours des annes passes en la seule compagnie des animaux. Ce langage se composait la fois de gestes du Clan, de la formulation de quelques-uns des mots articuls par le Clan, dimitations animales et des vocables absurdes quelle avait commenc dutiliser avec son fils. Des yeux trangers nauraient sans doute pas remarqu les mouvements de ses mains: elle aurait paru simplement murmurer une trange suite de sons, de grognements et de syllabes rptitives. On naurait probablement pas pens un langage.Peut-tre Jondalar, de son ct, bouchonnera-t-il Rapide.Elle sinterrompit. Une pense troublante lui venait lesprit. Elle reprit son amulette, seffora de coordonner ses penses.Grand Lion des Cavernes, Jondalar fait maintenant partie de tes lus, lui aussi. Comme moi, il porte sur sa jambe les cicatrices de ta marque...Elle revint la traduction de ses penses dans lantique langage silencieux qui sexprimait par les mains. Le seul langage qui convnt pour sadresser au monde des esprits.Esprit du Grand Lion des Cavernes, cet homme qui a t choisi na pas la connaissance des totems. Cet homme ne sait rien des preuves imposes par un puissant totem, ni de ses dons. Mme cette femme qui sait les a trouvs difficiles. Cette femme aimerait supplier lEsprit du Grand Lion des Cavernes... aimerait le supplier pour cet homme...Ayla sinterrompit. Elle ne savait pas trop ce quelle demandait. Elle ne voulait pas prier lesprit de ne pas mettre Jondalar lpreuve comment chercher le priver des bienfaits que lui vaudraient certainement de telles preuves?, elle ne demandait mme pas quon lpargnt. Elle avait t elle-mme cruellement prouve et y avait gagn des dons exceptionnels, et elle en tait venue croire que les bienfaits taient en proportion de la svrit des preuves. Elle rassembla ses penses, continua:Cette femme aimerait prier lEsprit du Grand Lion des Cavernes daider cet homme qui a t choisi connatre la valeur de son puissant totem, savoir que, si pnible semble-t-elle, lpreuve est ncessaire.Elle acheva, laissa retomber ses mains.Ayla?Elle se retourna, se trouva devant Latie.Oui.Tu avais lair... trs occupe. Je ne voulais pas tinterrompre.Jai fini.Talut voudrait que tu viennes, avec les chevaux. Il a dj dit tout le monde quil ne faudrait rien faire qui te dplaise. Ne pas leur faire peur, les nerver... Il a effray quelques personnes, je crois bien.Je vais venir. Tu veux retourner sur le cheval?Le visage de Latie se fendit dun large sourire.Je pourrais? Vraiment?Lorsquelle souriait ainsi, elle ressemblait Talut, se dit Ayla.Peut-tre gens pas effrays quand ils voient toi sur le cheval. Viens. Rocher ici. Pour aider monter.Quand Ayla reparut de lautre ct du coude de la rivire suivie dune jument qui portait la fillette sur son dos et dun poulain foltre, les conversations sinterrompirent. Ceux que le spectacle avait dj emplis de crainte respectueuse prenaient nanmoins plaisir voir lexpression de stupeur incrdule qui se peignait sur les visages des nouveaux venus.Tu vois, Tulie, je te lavais bien dit! sexclama Talut ladresse dune femme brune qui lui ressemblait, sinon par la couleur, du moins par les dimensions.Elle dominait de haut Barzec, lhomme du dernier foyer, qui se tenait prs delle, un bras pass autour de sa taille. A ct deux se trouvaient les deux garons de ce foyer et leur sur de six ans, dont Ayla avait fait rcemment la connaissance.En arrivant devant lhabitation, Ayla prit Latie dans ses bras pour la poser terre, avant de flatter et de caresser Whinney, dont les naseaux se dilataient de nouveau en saisissant les odeurs de tous ces inconnus. La fillette se prcipita vers un garon roux et dgingand qui pouvait avoir quatorze ans. Il tait presque aussi grand que Talut, et, hormis la diffrence dge et de corpulence, ils se ressemblaient comme deux gouttes deau.Viens faire la connaissance dAyla, lui dit Latie.Elle lentranait vers la femme aux chevaux, et il se laissa faire. Jondalar stait approch pour faire tenir le poulain tranquille.Voici mon frre, Danug, prsenta Latie. Il est rest longtemps parti mais il va de nouveau habiter avec nous, maintenant quil sait tout sur la faon dextraire le silex. Nest-ce pas, Danug?Je ne sais pas tout, Latie, fit-il un peu gn. Ayla lui sourit.Je te salue, dit-elle, les mains tendues.Lembarras de Danug saccrut encore. Il tait le fils du Foyer du Lion, ctait lui le premier de saluer la visiteuse, mais il restait sans voix devant la belle trangre qui exerait un tel pouvoir sur les animaux. Il prit les deux mains offertes, marmonna une salutation. Whinney choisit cet instant pour sbrouer et se mettre piaffer. Le garon lcha les mains dAyla: il avait limpression que son geste ntait pas du got de la jument.Whinney apprendrait plus vite te connatre si tu la flattais et la laissais te flairer, dit Jondalar qui percevait le malaise de Danug. Celui-ci tait un ge difficile, plus tout fait enfant, pas encore homme.Tu as appris extraire le silex? reprit Jondalar, sur le ton de la conversation.Il cherchait rassrner le jeune homme et lui montrait en mme temps comment flatter la jument.Je suis tailleur de silex, dclara firement le garon. Wymez est mon matre depuis lenfance. Cest le meilleur, mais il voulait aussi menseigner dautres techniques: estimer la pierre brute, par exemple.La conversation portait maintenant sur des sujets familiers, et Danug laissait percer son enthousiasme naturel.Une lueur dintrt sincre salluma dans les yeux de Jondalar.Je suis tailleur de silex, moi aussi, et jai appris mon mtier dun homme qui est le meilleur de tous. Quand javais peu prs ton ge, je vivais avec lui, prs du gisement de silex quil avait dcouvert. Jaurais plaisir rencontrer un jour ton matre.Alors, permets-moi de te le prsenter, puisque je suis le fils de son foyer et le premier, sinon le seul, me servir de ses outils.Au son de la voix de Ranec, Jondalar se retourna. Il saperut alors que le Camp tout entier faisait cercle autour deux. Prs de lhomme la peau brune se tenait celui quil avait accueilli si chaleureusement. Tous deux avaient la mme taille. Jondalar ne discernait aucune autre ressemblance entre eux. Le plus g avait des cheveux plats, chtain clair stris de gris. Ses yeux taient bleus. Son visage navait rien de commun avec les traits de Ranec. La Mre devait avoir choisi lesprit dun autre homme, se dit Jondalar, pour crer lenfant du foyer de Wymez. Mais pourquoi avait-elle donn sa prfrence un homme dune couleur aussi inhabituelle?Wymez, du Foyer du Renard du Camp du Lion, Matre Tailleur de pierre des Mamuto, annona pompeusement Ranec, voici nos visiteurs, Jondalar des Zelandonii, qui est de ton espce, semble-t-il...Jondalar crut entendre dans sa voix une nuance dhumour ou de sarcasme? Il ne savait trop.... et sa belle compagne, Ayla, une femme de Nulle Part mais qui possde beaucoup de charme... et de mystre.Son sourire, o la blancheur des dents contrastait avec la peau sombre, attira le regard dAyla. Une lueur avertie brilla dans les yeux noirs.Salut, dit Wymez, aussi simple et direct que Ranec avait t crmonieux. Tu travailles la pierre?Oui. Je suis tailleur de silex.Jai rapport de la pierre excellente. Elle vient tout droit de son gisement, elle na pas eu le temps de scher.Jai dans mon sac un percuteur et un bon peroir, dclara Jondalar, dont lintrt stait aussitt veill. Te sers-tu dun peroir? La conversation prit rapidement un tour tout professionnel. Ranec posa sur Ayla un regard afflig.a devait arriver, jaurais pu te le dire. Sais-tu quel est le pire, quand on vit au foyer dun matre-faonneur doutils? Ce nest pas toujours de trouver des clats de silex dans ses fourrures, cest surtout dentendre constamment parler de silex. Et, depuis le moment o Danug a manifest son intrt... la pierre, la pierre, la pierre... je nai plus entendu que a.Le ton affectueux de Ranec dmentait ses rcriminations. Chacun, visiblement, les avait dj entendues: personne ny prtait attention, except Danug.Jignorais que cela tennuyait ce point, dit le jeune homme.Mais non, fit Wymez. Tu ne vois donc pas, Ranec essaie dimpressionner une jolie fille.A la vrit, Danug, je te suis reconnaissant. Jusqu ton intervention, je crois quil cherchait faire de moi un tailleur de pierre, dit Ranec, afin dapaiser linquitude de Danug.Jai cess tout effort quand jai compris que ton seul intrt pour mes outils visait ten servir pour sculpter livoire, et ce ntait pas bien longtemps aprs notre arrive ici, expliqua Wymez.Il sourit, ajouta:Et, si tu trouves pnible de dcouvrir des clats de silex dans ton lit, tu devrais essayer la poussire divoire dans ce que tu manges.Les deux hommes si dissemblables plaisantaient, ils se taquinaient en paroles, mais amicalement, comprit Ayla avec soulagement. Elle remarqua aussi quau-del de leurs diffrences physiques, ils avaient le mme sourire et se mouvaient de la mme manire.On entendit soudain des cris qui provenaient de lintrieur de lhabitation.Ne ten mle pas, vieille femme! Cette histoire est entre Fralie et moi!Ctait une voix masculine, celle de lhomme du sixime foyer, voisin du dernier. Ayla se rappelait lavoir rencontr.Je me demande pourquoi elle ta choisi, Frbec! Je naurais jamais d permettre cette Union! hurla en rponse une voix de femme. Brusquement, une femme dun certain ge mergea de lentre de la caverne. Elle tranait derrire elle une autre femme plus jeune, en pleurs. Deux petits garons effars les suivaient, lun qui pouvait avoir sept ans, lautre, tout petit, le derrire nu, qui suait son pouce.Cest ta faute. Elle tcoute trop souvent. Pourquoi ne cesses-tu pas de te mler de nos affaires?Tout le monde se dtourna. On avait dj entendu maintes reprises cette mme discussion. Mais Ayla ouvrait de grands yeux. Aucune femme du Clan naurait os discuter ainsi avec un homme.Voil Crozie et Frbec qui recommencent. Ny fais pas attention, dit Tronie.Ctait la femme du cinquime foyer, celui du Renne, se rappela Ayla. Il venait tout de suite aprs le Foyer du Mammouth, o elle sjournait avec Jondalar. La femme tenait un tout petit garon au sein.Ayla avait dj rencontr la jeune mre et se sentait attire par elle. Tornec, son compagnon, souleva dans ses bras lenfant de trois ans qui saccrochait sa mre: il navait pas encore accept le nouveau venu qui lavait priv du sein maternel. Le jeune couple tait aimable, trs uni. Ayla tait heureuse de les avoir pour voisins, plutt que ceux qui se chamaillaient. Manuv, qui vivait avec eux, tait venu bavarder avec la visiteuse pendant le repas: il avait t lhomme du foyer, et il tait le fils dun cousin de Mamut. Il venait souvent au quatrime foyer, avait-il ajout, ce qui avait rjoui la jeune femme: elle avait toujours eu une affection particulire pour les personnes ges.Elle tait moins laise avec ses voisins de lautre ct, au troisime foyer. Ctait l que vivait Ranec. Il lavait dsign comme le Foyer du Renard. Il ne lui dplaisait pas, mais Jondalar se comportait envers lui de manire vraiment trange. Dailleurs, ce foyer tait plus petit que les autres, habit par deux hommes seulement, et Ayla se sentait plus proche de Nezzie et Talut, au deuxime foyer, et de Rydag. Elle aimait aussi les autres enfants du Foyer du Lion, Latie et Rugie, la plus jeune fille de Nezzie, qui avait peu prs lge de Rydag. Elle avait maintenant fait la connaissance de Danug, et il lui plaisait galement.Talut sapprochait en compagnie de la grande et forte femme. Barzec et les enfants taient avec eux: elle et lui devaient tre unis, supposa Ayla.Ayla, je voudrais te prsenter ma sur, Tulie, du Foyer de lAurochs, la Femme qui Ordonne du Camp du Lion, dit Talut.Salut, dit la femme, les mains tendues dans le geste traditionnel. Au nom de Mut, je te souhaite la bienvenue.Sur du chef, elle tait son gale et avait profondment conscience de ses responsabilits.Je te salue, Tulie, rpondit Ayla, en sefforant de ne pas dvisager ouvertement lautre femme.La premire fois que Jondalar avait t capable de se tenir debout, elle avait prouv un choc en dcouvrant quil tait plus grand quelle. Mais voir une femme plus grande encore tait surprenant. Toujours, Ayla avait domin de sa haute taille les autres membres du Clan. Mais la sur du chef ntait pas seulement grande, elle tait muscle, btie en force. Le seul qui la dpassait tait son frre. Elle se tenait avec toute lassurance que peuvent seules confrer une haute taille et une imposante carrure. On voyait tout de suite en elle la femme, la mre et le chef pleinement satisfaits de la vie.Tulie stonnait du curieux accent de la visiteuse, mais un autre problme loccupait davantage. Avec la franchise caractristique de son peuple, elle nhsita pas laborder.Je ne savais pas que le Foyer du Mammouth serait occup quand jai invit Branag revenir chez nous. Deegie et lui seront unis lt prochain. Il ne sjournera que quelques jours ici, et Deegie, je le sais, avait espr pouvoir passer ce temps avec lui en tte--tte, loin de ses frres et de sa sur. Tu es une invite, et elle ne voulait rien te demander, mais elle aimerait sinstaller avec Branag au Foyer du Mammouth, si tu veux bien y consentir.Foyer grand. Beaucoup lits. Je consens, rpondit Ayla, un peu mal laise quon lui demandt cette autorisation: elle ntait pas chez elle.A ce moment, une jeune femme sortit de la caverne. Un jeune homme la suivait. Ayla la regarda deux fois. Larrivante avait peu prs son ge et elle tait un peu plus grande. Sa chevelure tait chtain fonc et elle avait un visage aimable que bien des gens auraient trouv joli. De toute vidence, le garon qui laccompagnait la trouvait trs sduisante. Mais ce ntait pas son aspect physique qui captivait lattention dAyla elle ouvrait de grands yeux merveills sur la tenue de la jeune fille.Celle-ci portait des jambires et une tunique dun ton presque assorti la couleur de ses cheveux. Une longue tunique de cuir, abondamment orne, ouverte devant, avec une ceinture pour en retenir les pans. Le cuir tait dun rouge sombre, presque brun. Pour le Clan, le rouge tait une couleur sacre. Ayla ne possdait quun seul objet de cette teinte: le petit sac dIza. Il contenait les racines destines la confection du breuvage rserv aux grandes crmonies. Elle lavait conserv, soigneusement rang dans son sac de gurisseuse o elle gardait les herbes sches utilises pour les rites magiques de gurison. Une tunique entirement faite de cuir rouge? Elle nen croyait pas ses yeux.Avant mme les prsentations en rgle, elle scria:Elle est si belle!Elle te plat? Cest pour notre Union. La mre de Branag me la offerte, et je nai pas pu mempcher de la mettre pour la montrer tout le monde.Jamais vu rien pareil! insista Ayla. La jeune fille tait ravie.Tu es celle quon appelle Ayla, nest-ce pas? Moi, cest Deegie, et voici Branag. Il doit repartir dans quelques jours, ajouta-t-elle dun air du, mais, aprs lt prochain, nous vivrons ensemble. Nous allons nous installer avec mon frre, Tarneg. Il vit maintenant avec sa femme dans la famille de sa femme, mais il veut crer un nouveau Camp et il insistait beaucoup pour que je me trouve un compagnon, afin que je sois avec lui la tte de ce camp.Ayla vit Tulie sourire sa fille et lui faire signe. Elle se rappela alors la demande quon lui avait faite.Beaucoup place dans foyer. Beaucoup lits vides, Deegie. Tu restes au Foyer du Mammouth, avec Branag? Il est visiteur aussi... Si Mamut veut. Est foyer de Mamut.Sa premire femme tait la mre de ma grand-mre. Jai souvent dormi chez lui. Mamut ne refusera pas. Nest-ce pas? ajouta Deegie, en voyant paratre le vieil homme.Mais oui, Deegie, tu peux rester ici avec Branag. Mais, rappelle-toi, tu ne dormiras peut-tre pas beaucoup, ajouta le vieillard.Deegie eut un sourire de joyeuse attente. Mamut continua:Nous avons des visiteurs. Danug est de retour aprs toute une anne dabsence. Ton Union approche, et Wymez a remport un plein succs dans sa mission dchanges. Nous avons de bonnes raisons, je crois, de nous assembler ce soir au Foyer du Mammouth pour nous raconter les histoires.Tout le monde prit un air heureux. On avait attendu cette annonce, mais limpatience nen tait pas moins vive. Une runion au Foyer du Mammouth, ils le savaient tous, cela signifiait des rcits daventures vcues, de lgendes, peut-tre aussi dautres distractions. Ils taient dsireux davoir des nouvelles des autres camps, dcouter une fois de plus des histoires connues. Et ils seraient heureux de voir les ractions des trangers la vie et aux aventures des membres de leur propre Camp mais aussi dentendre les rcits de leurs expriences.Jondalar savait, lui aussi, ce que signifiait une telle assemble et il en tait davance proccup. Ayla allait-elle raconter dans les dtails sa propre histoire? Le Camp du Lion demeurerait-il ensuite aussi accueillant? Lide lui vint de la prendre part pour la mettre en garde, mais il russirait seulement, il le savait, faire natre sa colre, la bouleverser. Par bien des aspects, elle ressemblait aux Mamuto. Elle exprimait ses sentiments avec franchise et sincrit. Dailleurs, toutes les mises en garde ny feraient rien: elle ne savait pas mentir. Peut-tre, au mieux, sabstiendrait-elle de prendre la parole.3Ayla passa une partie de laprs-midi bouchonner Whinney avec un morceau de cuir souple et une cardre sche, pour se dtendre tout autant que la jument.Jondalar sactivait auprs delle sur Rapide: arm lui aussi dune cardre, il calmait les dmangeaisons du poulain tout en lissant lpaisse toison dhiver, bien que le jeune animal et visiblement prfr jouer plutt que de se tenir tranquille. La couche moelleuse, sous le poil extrieur, annonait larrive imminente du froid, ce qui amena Jondalar se demander o ils passeraient lhiver. Il ntait pas encore bien sr des sentiments dAyla lgard des Mamuto, mais du moins les gens du Camp et les chevaux commenaient-ils saccoutumer les uns aux autres.Ayla, elle aussi, sentait que les tensions sapaisaient mais elle sinquitait de lendroit o les animaux passeraient la nuit. Ils avaient lhabitude de partager une caverne avec elle. Jondalar ne cessait de lui affirmer quils ne souffriraient pas: les chevaux taient habitus tre dehors. Elle dcida finalement dattacher Rapide prs de lentre: Whinney ne saventurerait pas trop loin sans son poulain, et, si un danger se prsentait, la jument avertirait la jeune femme.Au moment o la nuit tombait, le vent se fit plus froid. On sentait la neige dans lair quand Ayla et Jondalar rentrrent, mais, au centre de la caverne semi-souterraine, le Foyer du Mammouth tait chaud et agrable. Les gens commenaient sy runir. Beaucoup avaient pris le temps de se nourrir des restes froids du repas prcdent, qui avaient t transports lintrieur: une sorte de tubercule, petit, blanc, riche en fculent, des carottes sauvages, des mres, des tranches de mammouth rti. Ils saisissaient les lgumes et les fruits avec les doigts ou laide de deux baguettes manipules comme des pinces, mais chacun, remarqua Ayla, sauf les enfants les plus jeunes, avait un couteau pour la viande. Elle stonna de voir quelquun se mettre une tranche de rti entre les dents et en couper un morceau dun coup de lame vers le hautsans se trancher le nez.De petites outres brunesles vessies et les estomacs parfaitement impermables de diffrents animauxpassaient de main en main, et les gens y buvaient avec un plaisir vident. Talut offrit Ayla de goter la boisson. Lodeur, plutt dsagrable, tait celle dun liquide ferment. Le got tait lgrement sucr, mais le breuvage lui brla la bouche. Elle refusa une seconde rasade. Elle naimait pas cette boisson. Jondalar, lui, semblait lapprcier.Les gens, tout en parlant, en riant, trouvaient place sur les couchettes ou sur des fourrures et des nattes jetes sur le sol. Ayla avait tourn la tte pour couter une conversation quand le bruit sapaisa soudain. La jeune femme se retourna. Le vieux Mamut se tenait debout prs du foyer dans lequel brlait un petit feu. Quand toutes les conversations se furent tues, quand il eut drain lattention de toute lassemble, il prit une petite torche, lapprocha des flammes pour lallumer. Dans le silence attentif qui tenait toutes les respirations en suspens, il apporta la flamme jusqu une petite lampe de pierre qui se trouvait dans une niche du mur, derrire lui. La mche de lichen sch crpita dans la graisse de mammouth avant de senflammer et de rvler la petite statue en ivoire dune femme aux formes gnreuses, place derrire la lampe.Ayla la reconnut sans lavoir jamais vue. Cest ce que Jondalar appelle une donii, pensa-t-elle. Selon lui, elle renferme lesprit de la Grande Terre Mre. Ou peut-tre seulement une partie. Elle parat trop petite pour contenir lesprit tout entier. Mais, aprs tout, quelle taille peut avoir un esprit?Sa mmoire la reporta une autre crmonie: le jour o on lui avait remis la pierre noire quelle conservait dans le sac amulette suspendu a son cou. Le petit bloc de bioxyde de manganse contenait un peu de lesprit de chaque membre du Clan. La pierre lui avait t donne quand elle tait devenue gurisseuse. En change, elle avait renonc une part de son propre esprit. De cette faon, si elle sauvait la vie de quelquun, le malade guri navait aucune obligation envers elle, il ntait pas oblig de la payer en retour. Ctait fait davance.Quelque chose la tourmentait encore: quand elle tait tombe sous le coup de la Maldiction Suprme, les esprits navaient pas t rendus leurs possesseurs. Creb les avait repris Iza aprs la mort de la vieille gurisseuse, afin de ne pas les laisser partir avec elle vers le monde des esprits, mais personne navait fait de mme pour Ayla. Si elle dtenait une part de lesprit de chaque membre du Clan, Broud les avait-il placs, eux aussi, sous la Maldiction Suprme?Suis-je morte? se demandait-elle. Elle stait dj bien souvent pos cette question. Mais elle ne pouvait y donner de rponse. Le pouvoir de la Maldiction Suprme, elle lavait appris, rsidait dans la croyance quon lui accordait. Quand les tres aims ne reconnaissaient plus votre existence, quand vous naviez plus nulle part o aller, vous pouviez tout aussi bien tre mort. Mais pourquoi ntait-elle pas morte? Quelle raison lavait pousse ne pas renoncer? Plus important encore, quadviendrait-il du Clan quand elle finirait par mourir pour de bon? Sa mort pourrait-elle nuire ceux quelle aimait? Au Clan tout entier, peut-tre? Le petit sac de cuir pesait tout le poids de sa responsabilit, comme si le destin du Clan entier tait suspendu autour de son cou.Elle fut arrache sa rverie par un son rythm. A laide dun segment de bois de renne en forme de marteau, Mamut frappait sur un crne de mammouth, peint de lignes gomtriques et de symboles. Ayla crut percevoir une qualit qui dpassait le simple rythme. Elle observa, couta plus attentivement. La cavit du crne enrichissait le son de vibrations sonores, mais il y avait l plus que la simple rsonance dun instrument. Quand le vieux chaman frappait sur diffrentes zones du crne-tambour, la hauteur, la tonalit se modifiaient en variations complexes et subtiles: on avait limpression que Mamut faisait parler le crne du vieux mammouth.Du plus profond de sa poitrine, le vieillard entonna une mlope, en modulations mineures troitement lies. Tambour et voix tissaient un motif sonore compliqu. et l, dans la salle, dautres voix slevrent, se fondirent dans le mode dj instaur tout en lui apportant des variantes. Le rythme du tambour fut repris, de lautre ct du foyer, par un rythme semblable. Ayla regarda dans cette direction: Deegie frappait sur un autre crne. Tornec se mit tambouriner, avec un marteau en bois de renne, sur un autre os de mammouth, une omoplate couverte de lignes galement espaces et de chevrons peints en rouge. La musique magnifiquement obsdante emplissait toute la caverne. Tout le corps dAyla palpitait au mme rythme, et elle remarqua que dautres personnes se balanaient en mesure. Brutalement, tout se tut.Le silence tait charg dattente, mais on le laissa mourir de lui-mme. Il ntait pas question de clbrer une crmonie mais simplement de runir le Camp pour passer une soire agrable parler, ce que les gens faisaient le mieux.Tulie commena par annoncer quun accord avait t conclu, et que lUnion de Deegie et de Branag serait officialise lt suivant. Chacun sy attendait, ce qui nempcha pas les manifestations dapprobation et les flicitations. Le jeune couple rayonnait de joie. Talut, ensuite, demanda Wymez de leur faire un rapport sur sa mission de commerce: on apprit quelle concernait des changes de sel, dambre et de silex. Plusieurs personnes posrent des questions ou se livrrent des commentaires. Jondalar coutait avec attention. Ayla, qui ne comprenait pas de quoi il tait question, rsolut de lui demander des prcisions un peu plus tard. Aprs quoi, Talut questionna Danug sur ses progrs, au grand embarras du garon.Il a du talent, une certaine habilet. Encore quelques annes dexprience, et il sera trs bon. On la laiss partir regret. Il a beaucoup appris. Cette anne dabsence na pas t vaine, dclara Wymez.Le groupe exprima de nouveau son approbation. Il se fit une pause, meuble par quelques conversations particulires. Talut, enfin, se tourna vers Jondalar; ce qui souleva un mouvement dintrt.Dis-nous, homme des Zelandonii, comment tu te trouves ici, au Camp du Lion des Mamuto? demanda le chef.Jondalar but une gorge lune des petites outres brunes emplies de boisson fermente. Son regard passa sur les gens qui lentouraient et qui attendaient sa rponse avec impatience. Il sourit Ayla. Il sest dj trouv dans une telle situation, se dit-elle, un peu surprise. Elle comprenait quil crait une atmosphre, avant de conter son histoire. Elle se disposa lcouter, comme les autres.Cest une longue histoire, commena-t-il.Des ttes lapprouvrent: ctait prcisment ce quon avait envie dentendre.Mon peuple vit bien loin dici, trs loin vers le couchant, au-del mme de la source de la Grande Rivire Mre, qui termine sa course dans la mer de Beran. Nous habitons aussi, comme vous, prs dune rivire, mais la ntre se jette dans les Grandes Eaux du couchant.Les Zelandonii sont un grand peuple. Comme vous, nous sommes des Enfants de la Terre. Celle que vous nommez Mut, nous lappelons Doni, mais elle reste la Grande Terre Mre. Nous chassons, nous commerons et nous faisons parfois de longs voyages. Mon frre et moi, un jour, nous avons dcid den faire un.Un instant, Jondalar ferma les yeux, et la souffrance creusa sur son front des plis profonds.Thonolan... ctait mon frre... riait sans cesse et il aimait laventure. Ctait un favori de la Mre.La souffrance tait bien relle. Ce ntait pas de laffectation pour embellir lhistoire, et tout le monde le sentait. Sans quil en et rien dit, on en devinait la cause. Chez eux aussi, on disait que la Mre emportait de bonne heure ceux quElle aimait le mieux. Jondalar navait pas eu lintention de rvler ainsi ses sentiments. Le chagrin lavait pris au dpourvu et le laissait quelque peu embarrass. Mais une perte aussi douloureuse est universellement ressentie; cette dmonstration inattendue provoqua la sympathie de ceux qui lcoutaient et veilla chez eux une comprhension qui dpassait la curiosit et la courtoisie gnralement tmoigne aux visiteurs trangers.Jondalar reprit son souffle, essaya de renouer le fil de son rcit.Ce voyage, lorigine, devait tre celui de Thonolan. Javais lintention de faire avec lui un bout de chemin, jusquaux lieux o habitaient certains de nos parents. Mais finalement, jai dcid de laccompagner au long de son voyage. Aprs avoir travers un glacier la source du Danube, la Grande Rivire Mre, nous nous sommes dit que nous allions la suivre jusquau bout. Personne ne nous en croyait capables, pas mme nous, peut-tre. Pourtant, nous avons suivi notre chemin, travers de nombreux affluents, rencontr bien des gens.Un jour, pendant le premier t, nous nous tions arrts pour chasser. Pendant que nous faisions scher la viande, nous nous sommes retrouvs encercls par des hommes qui pointaient sur nous leurs sagaies...Jondalar avait retrouv sa cadence, et le rcit de ses aventures retenait lattention passionne de son auditoire. Ctait un bon conteur, qui savait tenir en haleine ceux qui lcoutaient. Ils ponctuaient ses paroles de hochements de tte, de murmures dapprobation, dencouragements et mme de cris. Mme quand ils coutent, pensa Ayla, les gens qui parlent avec des mots ne peuvent garder le silence.Elle tait fascine, comme tout le monde, mais elle se surprit observer un moment ceux qui lentouraien