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JOURNALISME DE PRESSE ECRITE La littérature orale en wallon : un art en perdition Reportage bimedia Travail réalisé par Céline Alaimo 29/04/2015 1

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Journalisme de presse ecrite

La littérature orale en wallon : un art en perdition

Reportage bimedia

Travail réalisé par Céline Alaimo

29/04/2015

La littérature orale en wallon : un art en perdition

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La Wallonie, territoire d’une grande richesse linguistique et culturelle, regorge d’un grand nombre de conteurs. Cependant, rares sont ceux qui, actuellement, racontent encore en wallon. Les identités wallonnes, pourtant bien présentes dans le passé et encore promotionnées aujourd’hui à l’écrit, semblent pourtant mise à mal avec l’arrivée des nouvelles générations. Ce problème pourrait expliquer l’inexistence actuelle d’une littérature orale en wallon.

La littérature orale en wallon, entre perdition et promotion

En Wallonie, quatre langues régionales existent (wallon, picard, gaumais et champenois) et se répartissent différemment selon les régions. Parmi ces langues, le wallon semble perdre de sa vitalité davantage à l’oral qu’à l’écrit. C’est en particulier au sein de la littérature orale que l’on constate l’essoufflement de cette langue régionale. Quelques conteurs de Wallonie tentent, malgré tout, de préserver le wallon, sans résultat.

Pourquoi les conteurs de Wallonie ne racontent-ils plus ou si peu en wallon ? La réponse n’est pas univoque et mériterait l’objet d’une thèse. Cependant, il y a des raisons évidentes pouvant expliquer la disparition du wallon dans la littérature orale. De prime abord, le wallon représente la langue des anciennes générations. Néanmoins, son usage devait être évité en raison de sa dépréciation dans le milieu scolaire. C’est ce que raconte Dominique, une participante de l’atelier de contes Patati et patata1. À l’époque où son père allait à l’école, aucun élève n’avait le droit de parler le wallon sous peine d’être puni. Effectivement, le wallon était critiqué tant dans les discours qu’à l’école, car il représentait la langue des paysans et des ouvriers, et s’avérait donc grossier.2 Bien souvent incompris aujourd’hui, le wallon est remplacé par la langue dé référence. Les conteurs optent ainsi de préférence pour le français.

Une des raisons possibles de la disparition du wallon au sein de la littérature orale est le désintérêt des jeunes pour cette langue régionale. Selon Philippe Casterman, conteur à la Maison du Conte et de la Littérature de Jodoigne3, la tradition et le folklore n’intéresse plus les jeunes Wallons. Désormais, ces jeunes ne revendiquent plus leur appartenance à une identité wallonne, autrefois importante. C’est donc tant la scolarisation que la

1 Atelier de contes dirigé par le conteur Philippe Casterman. Cet atelier appelé Patati et patata se donne tous les quinze jours à Ittre, au Centre culturel Bauthier.2 FRANCARD, M., Wallon, picard, gaumais, champenois, les langues régionales de Wallonie, De Boeck, Bruxelles, 2013, p. 54.3 L’antenne de la Maison du Conte et de la Littérature se trouve à Ittre depuis 2009, à l’Espace Bauthier.

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transmission intergénérationnelle interrompue entre les familles qui ont conduit la jeunesse à abandonner le wallon. C’est d’ailleurs ce qu’explique Michel Francard, Professeur de linguistique française à l’UCL, dans son ouvrage Wallon, picard, gaumais, champenois, les langues régionales de Wallonie4. Selon lui, la majorité des familles (parents, grands-parents) n’est plus apte actuellement à transmettre le patrimoine linguistique confié par les générations antérieures.5 Pourtant, il n’est pas rare que les jeunes Wallons emploient fréquemment des mots venant tout droit des langues régionales, sans même le savoir. Ces emprunts non conscientisés sont le résultat d’une influence des langues régionales sur le français pratiqué en Wallonie.

La disparition du wallon dans la littérature orale vient aussi probablement du fait qu’il varie en fonction des régions de la Wallonie. Selon Jean-Luc Fauconnier6, linguiste et écrivain wallon, « la diversité des régions de Wallonie n’est sans doute pas un facteur favorisant la conservation du wallon ». Les diverses variantes du wallon, constituant pourtant sa richesse, ont en quelque sorte conduit les conteurs à abandonner son usage. Car, finalement, quel wallon choisir pour conter une histoire?

Contrairement au wallon, le picard, présent dans le sud-ouest de la Wallonie, est employé par certains conteurs. Mais aucune raison ne permet d’expliquer cet usage privilégié. On peut véritablement parler d’une tradition de conteurs en picard. Éric Wattiez, par exemple, conte principalement en picard, accompagné de ses instruments de musique. Présent cette année au Festival Trolls & Légendes, il a prouvé que l’usage d’une langue régionale comme le picard donne énormément de saveur à une histoire. Aussitôt ses mots picards prononcés, L’histoère del p’tite Hortense a conquis le public. Le succès de cette représentation montre dès lors que les langues régionales, différentes soient-elles, ont un avenir possible au sein de la littérature orale. Encore faut-il en faire usage.

Quand les institutions culturelles s’en mêlent

4 Ibidem.5 Ibidem.6 Interview de Jean-Luc Fauconnier à Èl Môjo dès Walons à Charleroi.

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L’abandon progressif du wallon par les conteurs découle aussi des entraves qui peuvent provenir du domaine culturel lui-même. C’est d’ailleurs ce que Philippe Casterman explique. Durant dix ans, il a raconté l’histoire Les souffleurs de colère en y intégrant une chanson en wallon. Désormais, il ne la raconte plus, car « pour obtenir une reconnaissance du statut de conteur et bénéficier de subsides, il est préférable de créer ses propres histoires »7. Les souffleurs de colère plaisait pourtant au public, ; l’usage du wallon donnait énormément de relief et de saveur à l’histoire des verriers de Charleroi au XIXe siècle. Cela n’a pourtant pas suffi pour la faire perdurer.

Les démarches pour encourager les animations et les contes en wallon, sont pourtant bien présentes mais sont peu nombreuses. Selon Marie-Claire Desmette, membre de Parole Active8 et trésorière de la Maison du Conte et de la Parole de Liège-Verviers, il y a un mouvement général qui pousse le wallon à disparaître. Ce mouvement s’explique par le fait que les conteurs et les spectateurs s’attachent finalement assez peu à la tradition wallonne comme à toute autre tradition. Le wallon s’essouffle également par le fait que les conteurs eux-mêmes ne pratiquent plus ou pas le wallon. Il est donc important, selon elle, si l’on veut maintenir son existence et permettre au public de comprendre l’histoire, de mélanger l’usage du français et de la langue régionale. Selon la trésorière de la Maison du Conte et de la Parole de Liège-Verviers, la seule manière de faire revivre le wallon au sein de la littérature orale est « d’obtenir le soutien et les encouragements des autorités culturelles en organisant des festivals de contes en wallon ». Pourtant, sa proposition d’un festival de contes wallons, en français « wallonnisé », au service de la ville de Binche, n’a jamais abouti. Il est donc presque impossible d’envisager une reconnaissance de la littérature orale en wallon, si les positions officielles ne l’encouragent pas.

Quelques conteurs conservateurs du wallon

Malgré la disparition progressive du wallon, quelques conteurs le promotionnent encore. Chantal Dejardin, par exemple, membre de la Fédération des conteurs professionnels, conte encore en wallon. Le sourire de Germaine est l’histoire de sa grand-mère, originaire des terres de Hesbaye. Chantal Dejardin9, accompagnée de son accordéon, raconte

7 Interview du conteur Philippe Casterman à Ittre. 8 Parole Active est une association de conteurs et d’amis des contes fondée en 1992. Marie-Claire Desmette est également éditrice du Mensuel d’information sur l’oralité, les conteurs et les raconteurs. Interview de Mme Desmette par téléphone et par courriels électroniques.9 Chantal Dejardin, interviewée par téléphone, est conteuse membre de la Fédération des conteurs professionnels. Cela fait plusieurs années qu’elle conte Le sourire de Germaine.

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l’histoire et les péripéties de sa grand-mère en wallon. Parmi les quelques conteurs promoteurs de la conservation du wallon, on peut citer également Jean-Claude Van Assche, membre de la Maison du Conte de Namur. Son amour pour le conte lui a donné l’envie de rassembler les contes issus de la tradition wallonne dans Les contes et légendes de Wallonie10. D’origine bruxelloise, le wallon a séduit le conteur. Selon lui, le wallon est « une langue à sonorité particulière ; elle est très savoureuse. C’est une langue qu’il faut préserver, car elle fait partie de notre patrimoine »11. Il a d’ailleurs conservé certaines phrases en wallon dans le conte Le château hanté, car il trouvait les tournures de phrases nettement plus savoureuses : « Vass divant mi ! cria le squelette. Vass divant ti ! répondit le forgeron. Vass divant ti ! reprit le spectre. »12

Force est de constater qu’en Wallonie très peu de conteurs racontent en wallon. Sans doute parce que la littérature orale dans cette langue régionale ne fait pas partie d’une tradition. De plus, s’ils ne racontent pas ou si peu en wallon, c’est aussi en raison de leur méconnaissance de la langue. Seule la pratique de cette langue régionale permettrait de conserver sa vitalité. Or, la littérature orale en wallon ne peut pas être véhiculée si aucune autorité culturelle ne la promotionne et si aucun jeune ne veut être l’héritier de ce patrimoine. La survie du wallon doit donc se faire à travers les textes littéraires. Mais ici encore un problème se pose : peu de contes existent dans la littérature écrite. La littérature orale en wallon sera-t-elle donc un jour encouragée ?

10 Les contes et les légendes de Wallonie, sélectionnés et rassemblés par Jean-Claude Van Assche, De Borée, Paris, 2012.11 Propos tenus par Jean-Claude Van Assche, rencontré à la Maison du Conte de Namur. 12 « Marche devant moi ! Marche devant, toi-même ! ». Traduction des interjections issues du conte La château hanté in Les contes et légendes de Wallonie, p. 75.

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Au second étage du Centre culturel, dans l’Espace Bauthier, à Ittre, Philippe Casterman (à l’extrême gauche) propose tous les quinze jours un atelier de contes, Patati et patata. ©

Céline Alaimo

Jean-Claude Van Assche, conteur à la Maison du Conte de Namur, présente son recueil Les contes et légendes de Wallonie, publié en 2012. © Céline Alaimo

Le souper du squelette, Julien Staudt

Un conte de tradition wallonne

Malèves-Sainte-Marie, un petit village dans le Brabant wallon. Il est 16h30 et il pleut ce dimanche 29 mars. La Maison du Conte et de la Littérature de Jodoigne associée au Foyer culturel de Perwez présente le Festival « La route du conte ». Zoom sur Julien Staudt, l’un des conteurs en balade de l’asbl Mots et Merveilles. Il conte l’histoire « Le souper du squelette ».

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Un temps exécrable pour nous accueillir dans ce village. Un sentiment d’inquiétude s’installe alors. Ce Festival a-t-il quand même bien lieu? Une fois sur place, les membres du Théâtre Jeune Public itinérant, Ottokar VI, s’activent pour déblayer les allées inondées et tout ranger dans les roulottes. Seul un chapiteau semble, pour l’occasion, abriter quelques personnes. À l’entrée, une dame, organisatrice de l’événement, nous indique que la balade contée pour laquelle nous, spectateurs, sommes venus assister, est annulée, en raison du mauvais temps. Évidemment ! Cependant, elle nous conseille de nous diriger dans la petite école, à côté de l’église du village. Un conteur s’y trouve et y raconte un conte qu’il appelle Le souper du squelette. Issu de la tradition wallonne, l’histoire fait partie du recueil de contes de Jean Markale, Les Contes de la mort.

Dans la cour de l’école, un chapiteau abrite les quelques personnes présentes à l’animation. Parmi elles, des enfants accompagnés par leurs parents. La pluie et le vent ont vraisemblablement fait déserter les spectateurs. Mais, heureusement, l’enthousiasme du conteur, Julien Staudt, accompagné de son ukulélé, est contagieux. Les enfants semblent contents et amusés, et chantent frénétiquement les paroles que le conteur leur demande de répéter : « Hey, là-bas...Hey, là-bas...». Le souper du squelette ne contient jusqu’à présent aucune présence éventuelle de mots wallons. Ni même la présence d’une référence typiquement wallonne. Rien, hormis, peut-être, une unique référence à un village de Wallonie, celui de Malèves-Sainte-Marie.

Jusqu’ici donc, aucune trace du wallon. Rien que du français. Tout s’explique sans doute par le fait que Julien Staudt, conteur bruxellois, ne conte pas en wallon. D’ailleurs, il le dit lui-même : « Je ne suis pas un vrai wallon ». Pourtant, Le souper du squelette qu’il raconte durant cet après-midi pluvieux est bel et bien un conte issu de la tradition wallonne.

De manière inattendue, Julien Staudt nous chante une chanson. Cette fois, elle diverge de la première « Hey, là-bas...Hey, là-bas...Comment ça va ? » et est typiquement wallonne :

« Èle mè l’avout toudi promis, ène bèle pètite gayole, ène bèle pètite gayole...Èle mè l’avout toudi promis, ène bèle pètite gayole pou mète èm canari »

Cette chanson de Julos Beaucarne, représentative du folklore wallon, et chantée soudainement par le conteur, a véritablement surpris les spectateurs, petits et grands, qui s’attendaient à fredonner de nouveau la chanson « Hey, là-bas ». C’est donc en cœur que les spectateurs se sont mis à chanter avec le conteur Li P’tite Gayole.

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C’est par le biais du refrain tant connu de cette chanson que le conte Le souper du squelette a véritablement laissé son empreinte wallonne, infime soit-elle, ce dimanche 29 mars à Malèves-Sainte-Marie.

Julien Staudt, le conteur en balade, chantant Li P’tite Gayole de Julos Beaucarne à Malèves-Sainte-Marie. © Céline Alaimo

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Julien Staudt, contant l’histoire Le souper du squelette , une histoire issue du recueil de contes Les Contes de la mort de Jean Markale, à Malèves-Sainte-Marie. © Céline Alaimo

Rencontre avec Jean-Luc Fauconnier à Èl Môjo dès Walons13

« Le wallon ne survivra que par la littérature écrite »14

Jean-Luc Fauconnier, linguiste et écrivain wallon, Président de l’Association des langues régionales et de l’Association littéraire wallonne de Charleroi, s’intéresse de près au wallon depuis plusieurs années. Aujourd’hui, il tente de le préserver à travers l’écriture d’un dictionnaire français-ouest-wallon et de textes littéraires. Selon lui, il n’y a pas de véritable tradition de conteurs wallons.

D’où vient votre affection pour le wallon ?

« Pourquiè ç’qu’on vwêt vol’tî l’walon, c’est pou tout èt l’èt pou rèn »15

13 Èl Môjo dès Walons est une association faitière qui regroupe l’Association littéraire wallonne de Charleroi, le Crombel qui édite MicRomania, un trimestriel, la Fédération wallonne culturelle et picarde qui comprend le théâtre et le Chadwe, à savoir le Centre Hainuyer d’Animation et de Documentation du Wallon à l’école.14 Citation d’Albert Maquet, poète, dramaturge et essayiste wallon. 15 Citation wallonne d’après François Lemaire : « Pourquoi est-ce qu’on aime le wallon, c’est pour tout et c’est pour rien ».

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Lorsque j’ai étudié les romanes à l’ULB, j’ai choisi un cours de dialectologie wallonne, car j’étais très intéressé par le wallon. Outre cette formation qui m’a donné le goût pour les langues régionales, j’ai eu la chance d’avoir un père romaniste, qui avait fait son mémoire de licence en dialectologie et qui écrivait en wallon. Mes parents étaient de fervents défenseurs de la langue wallonne. Ils me parlaient en wallon. On va dire que je suis tombé dans l’eau bénite dès la naissance.

Pourquoi, selon vous, la jeunesse actuelle ne s’intéresse pas au wallon et ne le parle plus ?

Déjà, à l’époque de ma génération, certains ne connaissaient pas forcément le wallon et l’apprenaient d’eux-mêmes par amour pour la langue. Ils ont alors dû s’en imprégner. Certains jeunes, à l’époque, le trouvaient même ringard. Actuellement, ces jeunes n’ont plus d’imprégnation et perçoivent plus le wallon comme une langue étrangère. On vit donc une période dramatique ; le wallon meurt sous nos yeux. D’ailleurs, les seuls jeunes qui font encore usage du wallon, l’utilisent mal malheureusement. Ils ne font guère d’effort et se contentent de parler un français « wallonnisé ». C’est signe de la mort de la langue.

Que faudrait-il faire pour raviver la langue et la conserver ?

Sans doute faudrait-il l’enseigner. Mais ça pose une série de problèmes à résoudre : des problèmes budgétaires, ainsi que des problèmes concernant les ressources humaines. Quel enseignant voudrait bien enseigner le wallon ? Avec quels outils pédagogiques ? Et, surtout, quel wallon enseigner ? Il faudrait également que le wallon soit plus présent dans les médias. Je dois dire que je suis assez pessimiste. Albert Maquet disait : « le wallon survivra par sa littérature ». Même s’il choquait, il y a 25 ans, en affirmant cela, il n’avait pas tort. Malheureusement, même au niveau éditorial, il y a des problèmes. Éditer coûte cher. Heureusement que nous bénéficions de subsides, sans quoi MicRomania et èl bourdon16 disparaîtraient.

Même au sein de la littérature orale, l’usage du wallon se perd, alors que le picard est toujours utilisé parmi les conteurs. Comment expliquez-vous cette déperdition ?

Je crois que la littérature orale n’est tout simplement pas une tradition en Wallonie. D’ailleurs, dans notre littérature écrite, il y a très peu de contes et

16 Jean-Luc Fauconnier est l’éditeur actuel d’èl bourdon. Le bourdon a été fondé en 1949 par Bary Félicien, qui était imprimeur.

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très peu de personnes inspirées par les contes oraux. Il doit y avoir deux ou trois auteurs qui se sont inspirés de récits oraux à Charleroi. Firmin Callaert, par exemple, a rédigé un recueil de contes, Boigne contes. Mais, à vrai dire, je ne connais pas de conteurs qui racontent en wallon à Charleroi. Le problème ne vient pas, selon moi, d’une question de langue. On prétend qu’il y a des contes en Ardennes mais je n’ai jamais entendu de conteurs ardennais. Par contre, je trouve intéressant le travail du folkloriste Lemoine. Il a recueilli des contes et quand on les lit, on sent que ce sont des histoires qu’on racontait dans les veillées. Malheureusement, les veillées n’existent plus. On constate donc un déficit de ce côté-là, et c’est vraiment dommage. Je crois que le wallon est surtout présent au théâtre. Je regrette d’ailleurs cette constatation.17

Pierre Arq, à gauche, est le responsable d’Èl Môjo dès Walons, depuis la fin des années 90. Ȧ sa droite se trouve, Jean-Luc Fauconnier. Il est le Vice-président de ce centre de

documentation. © Céline Alaimo

17 Interview de Jean-Luc Fauconnier au centre de documentation Èl Môjo dès Walons à Charleroi.

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Situation linguistique en Wallonie : nombre de locuteurs utilisant encore aujourd’hui le wallon

Selon Jean-Luc Fauconnier, il est très difficile de chiffrer le nombre de locuteurs (aînés et jeunes Wallons confondus) qui parlent encore le wallon. Mais on peut considérer que près de 500 000 personnes parlent actuellement encore le wallon en Wallonie. Ce chiffre comprend également les locuteurs en picard.

Selon l’ouvrage de Michel Francard Wallon, picard, gaumais, champenois, les langues régionales de Wallonie, dans les années 90, une série d’enquêtes ont été menées principalement sur les jeunes Wallons (population âgée entre 20 et 30 ans).

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Annexe

Annexes

Carnet d’enquête

L’intérêt du sujet

En tout premier lieu, il me semblait intéressant d’aborder le wallon au sein de la littérature et en particulier au sein de la littérature orale. Bien souvent, lorsqu’on pense au wallon, on pense d’emblée à la langue d’un point de vue linguistique (évolution, enseignement, pratique). Je souhaitais, dans le cadre de ce travail, l’envisager d’un point de vue plus littéraire, afin de connaître l’importance de cette langue régionale au sein de la tradition orale du conte populaire. Pour ce faire, j’avais pour objectif de rencontrer des conteurs faisant encore usage du wallon dans leurs histoires afin de connaître ce qu’ils pensent du wallon et ce qu’ils éprouvent en contant en wallon. Je souhaitais également observer l’impact de cet usage sur le public. Malheureusement, vu le désintérêt général que suscite le wallon, mes démarches m’ont permis d’aboutir au résultat final : il n’y a pas en Wallonie de tradition de conteurs contant en wallon.

Actuellement, en Wallonie, très peu de locuteurs parlent le wallon. Je n’imaginais pourtant pas que le wallon serait aussi inexistant à travers la littérature orale, d’autant plus que le wallon est une langue très orale. Je pensais qu’il serait aisé, au contraire, d’assister à des veillées de contes consacrées au wallon et de rencontrer une série de conteurs pratiquant encore aujourd’hui cette langue. Mais c’est un fait, le wallon est sur le point de disparaître. Une des raisons principales de cette disparition est le désintérêt des jeunes générations pour les langues régionales. Pourtant, au fil de mes recherches, je me suis aperçue que ce manque d’intérêt pour le wallon ne se reflétait pas dans le picard, encore très utilisé par les conteurs.

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Situation linguistique en Wallonie : nombre de locuteurs utilisant encore aujourd’hui le wallon

Selon Jean-Luc Fauconnier, il est très difficile de chiffrer le nombre de locuteurs (aînés et jeunes Wallons confondus) qui parlent encore le wallon. Mais on peut considérer que près de 500 000 personnes parlent actuellement encore le wallon en Wallonie. Ce chiffre comprend également les locuteurs en picard.

Selon l’ouvrage de Michel Francard Wallon, picard, gaumais, champenois, les langues régionales de Wallonie, dans les années 90, une série d’enquêtes ont été menées principalement sur les jeunes Wallons (population âgée entre 20 et 30 ans).

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Il me semblait donc adéquat de tenter, finalement, de comprendre les raisons pour lesquelles il n’existe pas de tradition orale en wallon et de savoir pour quelles raisons les conteurs ne content plus ou pas en wallon.

Les acteurs principaux

J’ai rencontré en premier lieu Jean-Claude Van Assche, qui a rassemblé Les contes et légendes de Wallonie. Son travail de rassemblement me semblait très intéressant pour mon travail. Car même s’il ne conte pas en wallon, il était important de connaître la façon dont le conte populaire est envisagé à l’écrit. On peut ainsi constater que, même traduit en français, les contes du recueil gardent une certaine empreinte du wallon. On peut noter qu’à certains endroits du texte certaines phrases sont conservées en wallon.

Parmi les conteurs, j’ai pu rencontrer Philippe Casterman, qui, dans le passé, a raconté une histoire sur les verriers de Charleroi au XIXe siècle. Il y intégrait une chanson en wallon. J’ai également rencontré Julien Staudt, conteur à l’asbl Mots et Merveilles, au Festival « La route du conte » à Malèves-Sainte-Marie, le 29 mars. J’ai pu constater à quel point le wallon est peu employé au sein du conte. Durant plusieurs semaines, j’ai entretenu par courriel électronique une discussion sur le wallon dans la tradition orale avec la conteuse Marie-Claire Desmette, membre de la Maison du Conte et de la Parole de Liège-Verviers.

Outre les conteurs, les linguistes tels que Michel Francard, Professeur de linguistique à l’UCL et spécialiste du wallon, ainsi que Jean-Luc Fauconnier, linguiste et écrivain wallon, me semblaient des acteurs pertinents pour mon travail. Il était donc important de les interroger, afin de connaitre le statut socioculturel du wallon.

Bibliographie

COLSON, O., DEFRECHEUX, JOS., WILLAME, G., Recueil de Littérature populaire ; Croyances et Usages traditionels, Liège, vol. 1-22, 1893-1914. (Revue Wallonia).

FRANCARD, M., Wallon, picard, gaumais, champenois, les langues régionales de Wallonie, De Boeck, Bruxelles, 2013.

VAN ASSCHE, J-C., Les contes et les légendes de Wallonie, De Borée, Paris, 2012.

FAUCONNIER, J-L., In bon cint d’vîyès quéntes, èl bourdon, Charleroi, 2014.

Indexicalisation des informations

Parmi les acteurs que j’ai rencontrés, Jean-Claude Van Assche m’a accueilli à la Maison du Conte de Namur, le 26 mars. Il m’a parlé de son travail de

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rassemblement. C’est notamment sa consultation de la revue Wallonia qui lui a donné l’envie de rassembler les contes et légendes traditionnels de Wallonie. Au sein des contes qu’il a rassemblés, il m’a indiqué la présence conservée de références typiquement wallonnes.

Le 29 mars, à Malèves-Sainte-Marie, j’ai pu rencontrer le conteur Julien Staudt et écouter le conte Le souper du squelette. Durant son récit, il a fait une unique référence à la tradition wallonne, celle de Li p’tite Gayole. Mais cette unique référence s’est expliquée par le fait que ce conteur n’est pas typiquement Wallon, mais Bruxellois. Cette unique référence s’explique également par le fait que le français est actuellement la langue adéquate pour conter. Les conteurs qui font usage du wallon dans leurs histoires le font bien souvent dans le but de faire rire et surprendre le public. C’est d’ailleurs le cas ici.

Tout le mois d’avril, j’ai échangé des mails et un appel téléphonique avec Marie-Claire Desmette, conteuse à la Maison du Conte et de la Parole de Liège-Verviers. Elle m’a expliqué qu’elle contait de temps en temps en français patoisé (français et picard), dans le but de se faire comprendre, mais aussi en raison de la méconnaissance de la langue. Elle m’a informée de la difficulté à faire aboutir des projets d’animations de contes en wallon, en raison du désintérêt des autorités culturelles.

Philippe Casterman, conteur rencontré à l’Espace Bauthier à Ittre, le Centre culturel, m’a accordé une interview le 2 avril. Il m’a raconté qu’en raison d’un manque de reconnaissance du statut de conteur, il n’a pu continuer à raconter l’histoire Les souffleurs de colère. Selon lui, le wallon n’intéresse pas les jeunes, ce qui explique la disparition d’une littérature orale en wallon. Le 14 avril, j’ai assisté à l’atelier de contes qu’il organisait à Ittre. J’ai pu y rencontrer les participants qui m’ont donné leurs avis sur le wallon.

Jean-Luc Fauconnier m’a reçue ce lundi 21 avril à Èl Môjo dès Walons. Selon lui, le wallon perdurera uniquement à travers la littérature écrite. Pour faire survivre la langue, il faudrait instaurer des cours en wallon, mais il y a des problèmes budgétaires et de ressources humaines. Selon lui, les jeunes, qui s’intéressent au wallon et le pratiquent, le parlent très mal.

Michel Francard, rencontré le 7 avril, a indiqué que l’unique chance de faire survivre le wallon est de le pratiquer.

Description de la saturation

Parmi les acteurs rencontrés, Philippe Casterman, Marie-Claire Desmette, Michel Francard et Jean-Luc Fauconnier m’ont indiqué que le désintérêt des jeunes pour les langues régionales et le manque de transmission du patrimoine wallon font partie des causes principales de la disparition du

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wallon au sein de la littérature orale. De plus, selon eux, la pratique de la langue et l’instauration de cours en wallon permettraient la survie du wallon. Tous sont d’accord sur le fait que le wallon est en train de disparaître.

Information à recouper : selon Marie-Claire Desmette, le rôle des autorités culturelles est important dans la survie et la promotion du wallon dans les animations contées. Pourquoi le picard est plus favorisé que le wallon ? Il serait intéressant de pouvoir répondre à cette question, mais il semble ne pas y avoir d’explications jusqu’à présent.

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