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1 Les dirigeants influencent-ils la diffusion d’informations sur la RSE ? Yohan BERNARD Maîtres de conférences IAE de l’Université de Franche-Comté LEG / CERMAB Laurence GODARD Maîtres de conférences HDR IAE de l’Université de Franche-Comté LEG / FARGO Résumé : L’objet de cette recherche consiste à proposer un modèle appréhendant les facteurs qui peuvent expliquer les différences dans la diffusion d’informations des entreprises sur la RSE et son évolution. Le cadre d’analyse retenu mobilise la théorie des échelons supérieurs d’Hambrick et Mason (1984, upper echelons theory) à laquelle nous intégrons l’impact de caractéristiques personnelles du dirigeant telles que les valeurs ou la générativité. Dans ce modèle, un troisième concept intervient : la discrétion managériale. Elle modèrerait l’influence des dirigeants sur la communication en matière de RSE. Au final, six hypothèses sont proposées afin d’être testées ultérieurement. Mots clés : développement durable ; RSE ; théorie des échelons supérieurs ; valeurs ; discrétion managériale. The influence of CEOs over Firms’ corporate social responsibility disclosure Abstract: The purpose of this research is to propose a model dealing with the factors that may explain differences in the disclosure of corporate information on CSR and its evolution. The proposed conceptual framework mobilizes the Upper echelons theory” (Hambrick and Mason, 1984) in which we include the impact of CEO’s personal characteristics such as values or generativity. A third concept is incorporated in this model: managerial discretion. It would moderate the influence of CEO on CSR communication. Six final hypotheses are proposed to be tested later. Key words: Sustainability; corporate social responsibility; top managements’ values; managerial discretion; upper echelons theory. Coordonnées Laurence Godard et Yohan Bernard Université de Franche-Comté, UFR SJEPG/IAE 45 D Avenue de l’observatoire 25030 Besançon Cedex [email protected] [email protected]

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Les dirigeants influencent-ils la diffusion

d’informations sur la RSE ?

Yohan BERNARD

Maîtres de conférences

IAE de l’Université de Franche-Comté

LEG / CERMAB

Laurence GODARD

Maîtres de conférences HDR

IAE de l’Université de Franche-Comté

LEG / FARGO

Résumé :

L’objet de cette recherche consiste à proposer un modèle appréhendant les facteurs qui

peuvent expliquer les différences dans la diffusion d’informations des entreprises sur la RSE

et son évolution. Le cadre d’analyse retenu mobilise la théorie des échelons supérieurs

d’Hambrick et Mason (1984, upper echelons theory) à laquelle nous intégrons l’impact de

caractéristiques personnelles du dirigeant telles que les valeurs ou la générativité. Dans ce

modèle, un troisième concept intervient : la discrétion managériale. Elle modèrerait

l’influence des dirigeants sur la communication en matière de RSE. Au final, six hypothèses

sont proposées afin d’être testées ultérieurement.

Mots clés : développement durable ; RSE ; théorie des échelons supérieurs ; valeurs ;

discrétion managériale.

The influence of CEOs over Firms’ corporate social

responsibility disclosure

Abstract:

The purpose of this research is to propose a model dealing with the factors that may explain

differences in the disclosure of corporate information on CSR and its evolution. The proposed

conceptual framework mobilizes the “Upper echelons theory” (Hambrick and Mason, 1984)

in which we include the impact of CEO’s personal characteristics such as values or

generativity. A third concept is incorporated in this model: managerial discretion. It would

moderate the influence of CEO on CSR communication. Six final hypotheses are proposed to

be tested later.

Key words: Sustainability; corporate social responsibility; top managements’ values;

managerial discretion; upper echelons theory.

Coordonnées

Laurence Godard et Yohan Bernard

Université de Franche-Comté, UFR SJEPG/IAE

45 D Avenue de l’observatoire

25030 Besançon Cedex

[email protected]

[email protected]

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Les dirigeants influencent-ils la diffusion d’informations

sur la RSE?

Des critères non financiers sont de plus en plus présents dans les rapports annuels des

entreprises destinés aux actionnaires. Ainsi, ces dernières semblent vouloir s’engager à

satisfaire les attentes d’informations de leurs parties prenantes. Notamment, depuis la fin des

années 1990, les entreprises françaises ont commencé à enrichir les informations divulguées

sur leur gouvernance d’entreprise. La loi sur « Les Nouvelles Régulations Economiques »,

votée le 15 mai 2001, a rendu obligatoires certaines évolutions proposées dans les rapports

Viénot. Les principales réformes proposées dans cette loi, qui concerne l'équilibre des

pouvoirs et le fonctionnement des organes dirigeants, portent en particulier sur la dissociation

des fonctions de président et de directeur général, la limitation du cumul des mandats, la

transparence et les droits des actionnaires. La loi NRE impose également aux entreprises

cotées de publier des informations sociales et environnementales dans leur rapport annuel. La

loi Grenelle 2 prolonge la loi NRE puisqu'elle complète les informations à donner, elle prévoit

un avis sur les informations publiées et étend l'application à certaines sociétés non cotées. La

législation n’est pas, par conséquent, étrangère à la généralisation du reporting du

développement durable, malgré un lancement timide à cause de lignes directrices peu claires.

Le questionnement de départ de cette étude repose sur la compréhension des facteurs

qui peuvent expliquer les différences dans la diffusion d’informations des entreprises sur la

RSE et son évolution. En effet, l’apparition de lois, normes, et autres codes de bonne conduite

dans le domaine du DD et de la RSE ne signifie pas pour autant que l’on constate une

homogénéité des comportements des entreprises françaises en la matière. Comme le

soulignent Klarsfeld et Delpuech (2008), « de nombreuses règles de nature légale et donc en

principe contraignantes laissent des grandes marges non seulement d’interprétation, mais de

possibilité de les mettre en œuvre ou de ne pas les mettre en œuvre » (p.63). En effet, l’étude

20031 sur le reporting du développement durable des entreprises françaises en 2002 par

rapport aux meilleures pratiques internationales, a montré que peu d’entreprises respectaient

1 Etude intitulée « Etat du reporting sur le développement durable 2003 », version française de l’étude Global

Reporters (SustainAbility, utopies et PNUE))

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la loi NRE à la lettre2. La même étude produite pour l’année 2005, montre que 32% des

entreprises ne publiaient pas d’information sociale et environnementale (Utopies, 2006).

L’étude menée par Ernst et Young en 2006 aboutit aux mêmes conclusions de non-respect de

la législation. On s’attend donc à trouver une diversité de situation en matière de sensibilité à

la RSE parmi les entreprises françaises, ce qui nous amène à nous interroger sur les facteurs

qui peuvent expliquer la qualité de l’information publiée dans le domaine.

Des réponses à cette interrogation peuvent être élaborées en mobilisant la théorie des

échelons "supérieurs" de Hambrick et Mason (1984). Elle constituera le cadre conceptuel de

notre recherche. Cette théorie permet d'introduire l'influence des valeurs personnelles du

dirigeant pour tenter d'expliquer la diversité de situation en matière de qualité de la

communication sur la RSE. Selon ces auteurs, les expériences, les valeurs et les personnalités

des managers influencent grandement leurs interprétations des situations auxquelles ils sont

confrontés et affectent donc leur choix. En développant leur théorie, ils s'interrogent sur

l'influence des dirigeants sur les choix stratégiques et les résultats des organisations, et

opposent alors deux visions différentes de leur influence : d'un côté, l'existence d'une

influence des dirigeants, hypothèse qui est soutenue par le courant stratégique (Andrews,

1971; Child, 1971), de l'autre, l'absence d'influence des dirigeants, hypothèse privilégiée par

les écologistes et la théorie néo-institutionnelle (Hannan et Freeman, 1977; DiMaggio et

Powell, 1983) notamment. Leur apport est de souligner que les deux hypothèses peuvent être

exactes, et que la vérification de l'une ou l'autre hypothèse dépend de la discrétion

managériale qu'ils définissent comme l'absence de contraintes en présence d'une ambiguïté

élevée moyens/fins. Par conséquent, selon eux, si la discrétion managériale est importante, le

dirigeant dispose d'une grande influence (l'hypothèse du courant stratégique est alors vérifiée),

a contrario, si la discrétion est faible, le dirigeant aura une faible influence (les théories néo-

institutionnelle et écologiste prennent alors le pas sur le courant stratégique).

L'objet de cet article est donc de déterminer le rôle que peuvent jouer les valeurs du

dirigeant et la place que peut occuper la discrétion managériale dans la qualité de la

communication sur la RSE.

2 Il faut noter que sa non-application (c'est-à-dire l’absence de données sociales et environnementales) n’a pas

entrainé de conséquences juridiques pour les entreprises.

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En matière de comportements individuels, l’étude de Viscusi, Huber et Bell (2011) a

mis en avant l'influence des valeurs et des normes. Ainsi, les comportements individuels qui

sont bénéfiques à l’environnement sont potentiellement influencés, entre autres, par les

valeurs individuelles par rapport à la qualité de l’environnement, et par les normes sociales

qui encouragent les actions pro-environnementales. Côté entreprises, parmi les thèmes de

recherche les plus étudiés dans le domaine de la RSE en sciences de gestion figure la relation

entre la performance et la RSE. Néanmoins, une certaine évolution se dessine puisque la

tendance à l’heure actuelle est de mieux comprendre les conditions et les facteurs qui peuvent

inciter les entreprises à un comportement socialement responsable. Cette étude poursuit cet

objectif. La prise en compte de l’influence des valeurs des dirigeants et de la discrétion

managériale sur le reporting en matière de RSE distingue cette étude des recherches

antérieures anglo-saxonnes. Pour la France, les études existantes sont essentiellement de

nature descriptive et visent à présenter la communication d’informations sur la RSE en termes

de structuration de ces informations par rapport aux différentes parties prenantes, en analysant

les rapports de DD ou la lettre du Président (Platet Pierrot et Giordano Spring, 2011; André et

al., 2011 par exemple).

Notre article s’articule autour de trois parties. La première partie est consacrée à l’apport

des valeurs du dirigeant à la compréhension de la qualité de la diffusion d’informations sur la

RSE. La deuxième partie présente le cadre conceptuel qui permet d'introduire la discrétion

managériale en tant que facteur déterminant l'influence des dirigeants sur la diffusion

d'informations en matière de RSE. La troisième partie aborde les contraintes qui pèsent sur les

dirigeants et qui font donc varier la discrétion managériale.

1. LE ROLE DES VALEURS DES DIRIGEANTS DANS LES DECISIONS DES

ENTREPRISES

1.1. LA THEORIE DES ECHELONS SUPERIEURS

Selon Hambrick et Mason (1984), la compréhension des choix et des performances des

organisations passe par la prise en compte des « biais et dispositions des acteurs les plus

importants », à savoir les top-managers. Ces derniers agissent sur la base de leurs

interprétations personnalisées des situations stratégiques qu'ils rencontrent. Ces interprétations

personnalisées dépendent de leurs expériences, de leurs valeurs et de leur personnalité.

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Leur théorie met également l'accent sur l'importance de l'équipe managériale pour mieux

comprendre les résultats des organisations, plutôt que de se focaliser sur l'impact d'un seul

individu en la personne du dirigeant (CEO). Les connaissances collectives, les capacités et

les interactions de l'équipe managériale dans sa globalité sont des éléments qui contribuent

aux comportements stratégiques puisque selon ces auteurs le leadership d'une organisation

complexe peut être qualifié d'activité partagée qui ne repose pas sur les épaules d'une seule

personne. Ainsi, un certain nombre d'études empiriques ont mis en exergue l'influence de la

composition de l'équipe managériale sur les résultats des organisations (Bantel et Jackson,

1989 ; Carpenter et Fredrickson, 2001) ou encore l’influence des processus qu'elle développe

(Eisenhardt et Bourgeois, 1988 ; Simons, Pelled et Smith, 1999).

La théorie des échelons supérieurs accorde une place particulière aux valeurs des

dirigeants dans l'étude de l'influence de ces derniers sur les choix stratégiques des

organisations. Cette idée s'appuie sur l'analyse du processus de prise de décision stratégique

en rationalité limitée (strategic choice under conditions of bounded rationality) décrit par

Hambrick et Mason (1984), processus qui peut être qualifié de séquentiel. Ainsi, « Tout

d'abord, un dirigeant (cela est vrai également pour une équipe managériale) ne peut

appréhender en détail chaque aspect de l'organisation et de son environnement. Le champ de

vision du manager – ses domaines d'attention – est restreint, ce qui se traduit par une profonde

limitation de ses perceptions. Ensuite, cette restriction des perceptions des dirigeants est

renforcée parce que chacun ne perçoit de manière sélective qu'une partie des phénomènes

inclus dans le champ de vision. Enfin, les segments d'informations choisis pour le traitement

sont interprétés via un filtre entrecoupé des bases cognitives et des valeurs du dirigeant3 ».

Dans ce schéma, les valeurs du dirigeant influencent directement les choix stratégiques des

organisations.

1.2. LES RESULTATS DES ETUDES EMPIRIQUES

Cette analyse est corroborée par certaines études. Plusieurs auteurs évoquent

l’influence des valeurs du dirigeant (Bowman et Haire, 1975 ; Trotman et Bradley, 1981 ;

Gibbins, Richardson et Waterhouse, 1990). Selon K. Andrews (1989, p.10-11), « les valeurs

3 D'après notre traduction

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personnelles et les aspirations éthiques des dirigeants sont implicites dans toutes les décisions

stratégiques ».

On retrouve cette idée dans l’étude de Boytsun, Deloof et Matthyssens (2011) qui

porte sur la relation entre les normes sociales4, la cohésion sociale

5 et la gouvernance

d’entreprise. Pour eux, les dirigeants n’agissent pas seulement selon des règles légales mais

également selon leurs convictions personnelles et leurs valeurs fondamentales héritées par

leur culture nationale, les valeurs étant ici des caractéristiques invisibles d’une société

(Hofstede, 2001).

L'étude de Kotey et Meredith (1997) aborde de manière empirique la question de

l'influence des valeurs6 des dirigeants / propriétaires sur la stratégie

7 et la performance des

entreprises. L'étude est menée sur un échantillon de 224 PME australiennes dans le secteur

des fournitures industrielles. Les résultats montrent que certains profils de valeurs

personnelles correspondent à certaines orientations stratégiques. Ainsi notamment il résulte

que les stratégies choisies par les dirigeants / propriétaires des entreprises les plus sous-

performantes par rapport à la moyenne sont plutôt des stratégies réactives. Les dirigeants dans

ce groupe montrent notamment des valeurs personnelles de type conservateur. A l'opposé, les

entreprises les plus sur-performantes par rapport à la moyenne tendent à développer des

stratégies proactives déployées par des dirigeants faisant preuve de valeurs personnelles

entrepreneuriales (réalisation, ambition, pouvoir, compétition, agressivité, optimisme,

compétence…). En revanche, cette étude ne permet pas d'établir des liens de causalité entre

les trois catégories de variables, la stratégie, les valeurs personnelles et la performance ; cette

absence constitue une limite importante à ce travail.

4 Mesurées par le capital social, la religiosité et la fertilité totale.

5 Mesurée par l’homogénéité ethnique, homogénéité linguistique et le taux d’homicide.

6 Les valeurs personnelles ont été évaluées par questionnaire à l'aide d'échelles de Lickert multi-critères, en

s'inspirant en grande partie des mesures de Rokeach (1973) et England (1967). Cette mesure permet d'aboutir à

une typologie qui permet d'opposer sur un continuum les valeurs conservatrices (telles que l'égalité, l'affection, la

compassion, la protection sociale…) et les valeurs entrepreneuriales. 7 Les orientations stratégiques ont été évaluées par questionnaire à l'aide d'échelles de Lickert multi-critères.

Cette mesure permet d'aboutir à une typologie qui permet d'opposer sur un continuum les stratégies proactives et

réactives (moins centrées sur l'innovation, le développement, les nouveaux produits, la qualité, les nouvelles

méthodes de production…)

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D'autres études mettent en avant l’idée selon laquelle les valeurs que les dirigeants

mobilisent pour guider leur prise de décision sont essentielles pour une analyse des pratiques

socialement responsables (Pant et Lachman, 1998 ; Agle et al., 1999). De même, selon Wood

(1991, p.702), « les caractéristiques personnelles et organisationnelles des dirigeants doivent

être mises en relation avec les différentes perceptions de façon à pouvoir exprimer plus

clairement les conditions favorables à la RSE ».

Enfin, une mise en perspective de l'importance des valeurs des dirigeants pour

l'engagement des entreprises sur la voie de la RSE est également effectuée dans l'étude de

Aguilera, Rupp, Williams et Ganapathi (2007). Ces derniers présentent une réflexion sur les

pressions subies par les organisations pour qu'elles s'engagent sur la RSE, en évoquant que les

acteurs à l'origine des pressions peuvent être guidés par des motifs instrumentaux (associés au

de besoin de contrôle, par exemple intérêt propre), relationnels (associés au besoin

d'appartenance, par exemple relations entre les membres d'un groupe) ou moraux (associés au

besoin de donner un sens à sa vie, par exemple standards éthiques ou principes moraux). C'est

pour cette dernière catégorie que l'influence des dirigeants peut jouer même si, selon eux, les

dirigeants s'engagent avant tout sur des projets de RSE quand ceux-ci sont compatibles avec

leurs intérêts instrumentaux de maximisation de la valeur actionnariale et d'amélioration de la

compétitivité et de la rentabilité pour assurer la survie de l'entreprise et, au final, se garantir

une rémunération plus élevée. Ainsi, les valeurs des dirigeants peuvent orienter leurs

initiatives en matière de RSE, en s'inspirant de l'analyse de Hambrick et Finkelstein (1987)

sur l'influence des caractéristiques des dirigeants sur les actions menées dans les entreprises.

Aguilera, Rupp, Williams et Ganapathi (2007) en viennent à établir un ordre hiérarchique

d'influence des trois déterminants évoqués, en attribuant l'influence la plus forte aux

motivations instrumentales, les motivations relationnelles se situant en deuxième position, les

motivations morales étant les moins importantes.

A ce jour, très peu d’études empiriques ont, à notre connaissance, investi de manière

empirique la relation entre les valeurs du dirigeant et la RSE dans les entreprises. Nous

pouvons mentionner les résultats des deux études suivantes (cf. tableau 1 pour une synthèse).

Dans leur travail, Waldman et al. (2006) mettent en évidence l’influence de valeurs culturelles

et de valeurs liées au leadership sur le comportement socialement responsable des entreprises.

Ainsi la responsabilité vis-à-vis des actionnaires, engagée par les dirigeants, dépend des

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valeurs culturelles des dirigeants telles que la distance au pouvoir et dépend également du

type de leadership (visionnaire et intègre). La responsabilité vis-à-vis des autres parties

prenantes identifiables et non financières, engagée par les dirigeants, dépend des mêmes

valeurs et en outre dépend du collectivisme au niveau institutionnel. Enfin, la responsabilité

vis-à-vis de la communauté élargie dépend surtout du collectivisme au niveau institutionnel

et de la distance hiérarchique. Seul le collectivisme intra-groupe n’est pas une valeur qui

influence le comportement socialement responsable des dirigeants.

Tableau 1 : Synthèse des études portant sur la relation entre valeurs du dirigeant et RSE

Auteurs Echantillon Méthodologie de l’étude Valeurs

Maignan

et Ralston

2002

Royaume

Uni : 66

entreprises

France : 29

entreprises

Pays-Bas : 24

entreprises

Etats-Unis :

53 entreprises

Communication de l’entreprise sur

son site Web : « les identités que

l’entreprise revendique pour elle »

(rubrique About us ou Company

Information) sur les motivations

qui conduisent à la RSE.

Trois types de

motivations :

performance, conformité

à des normes, motivation

propre (valeurs) sans

autre précision

Waldman

et al. 2006

561

entreprises

dans 15 pays

4 656

managers

Questionnaire administré aux 4 656

managers pour mesurer la

dimension culturelle et le style de

leadership, ainsi que le

comportement socialement

responsable des entreprises.

Dimension culturelle

(collectivisme

institutionnel,

collectivisme intra-

groupe, et distance

hiérarchique)

Style de leadership du

CEO : visionnaire et

intègre

Dans leur étude sur les motivations à l’engagement des entreprises dans la RSE et sur

les différents processus utilisés, Maignan et Ralston (2002) appréhendent les motivations qui

conduisent à la RSE à partir de trois éléments : la volonté d’atteindre des objectifs de

performance, la conformité aux normes des parties prenantes (communauté, clients et

employés) ou la motivation propre en référence à des valeurs personnelles. De manière

générale, leurs résultats montrent qu’il existe des différences dans les motivations et les

différents processus utilisés selon les pays. En ce qui concerne la référence à des valeurs

personnelles pour guider les pratiques en matière de RSE, c’est aux Etats-Unis que cette

motivation est la plus répandue alors que pour les pays européens (Royaume Uni, France et

Pays-Bas) les deux autres motivations sont plus importantes.

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Pour la France, Déjean et Oxibar (2010) mettent en avant l’influence de la personnalité

du dirigeant de Péchiney sur la politique de communication de cette entreprise.

H1 : Les valeurs du dirigeant influencent la qualité de la diffusion d’informations en matière

de RSE.

1.3. LA GENERATIVITE DES DIRIGEANTS

En plus des valeurs personnelles des dirigeants, la générativité est une autre variable

psychologique qui pourrait influencer la démarche RSE impulsée par les dirigeants. Introduite

par Erik Erikson en 1950, la générativité se définit comme : « la préoccupation de l’adulte et

son engagement pour les générations futures, exprimée à travers les activités parentales,

l’enseignement, le mentorat, le leadership, et plusieurs autres activités dont le but est de

laisser un legs positif de soi dans le futur » (de St. Aubin, McAdams et Kim 2004 page 4). La

générativité évoque le souhait de s’investir dans quelque chose qui nous survivra, de laisser

une empreinte dans le futur (Kotre, 1984).

Dans la littérature, la générativité est significativement associée aux comportements altruistes

et socialement responsables (Westermeyer 2004). Dans le domaine du marketing par exemple,

on a pu montrer que la générativité était corrélée avec les actions de nature philanthropique

(Hodge, 2003). Giacolone, Paul et Jurkiewics (2005) ont montré que la générativité s’avérait

un prédicteur significatif de la sensibilité du consommateur quant à la performance sociale de

l’entreprise.

Kotre (1984) distingue deux dimensions liées à la générativité : la générativité agentique et la

générativité communale. Il est plus précisément question de deux modes d’expression de la

générativité. Selon le mode agentique, la personne générative s’intéresse à soi et aux « objets

génératifs » – qu’ils soient vivants ou matériels, tangibles ou intangibles –, et ce de manière

narcissique. La procréation et la production de biens et d’idées sont considérées comme étant

une extension de soi, tel un monument. Selon le mode communal, la personne générative est

motivée par l’affiliation et l’intimité (Peterson et Stewart, 1996). La générativité communale

se définit comme le besoin de se sentir utile (l’important, c’est l’autre), de ne faire qu’un avec

les autres, d’agir de manière altruiste et aimante sans nécessairement attendre quelque chose

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en retour; bref, de prendre soin de ce qui a été créé et produit dans l’optique de pourvoir au

bien-être des générations futures. « La différence principale entre une personne générative de

type agentique versus de type communal est que la première agit pour le bien-être des

générations futures essentiellement en fonction de ses intérêts personnels, de manière égoïste

et intéressée, tandis que la deuxième agit d’abord en fonction du bien-être d’autrui, de

manière altruiste et désintéressée » (Lacroix, 2012 page 16).

La générativité du dirigeant devrait donc être associée à une meilleure prise en compte de la

RSE dans leur prise de décision. En outre, on s’attend à ce qu’un haut niveau de générativité

communale ait un effet plus fort que la générativité agentique.

H2a : La générativité du dirigeant influence positivement la qualité de la diffusion

d’informations en matière de RSE.

H2b : La générativité communale (resp. agentique) a un effet positif plus fort (resp. plus

faible) sur la qualité de la diffusion d’informations en matière de RSE.

2. L'INFLUENCE DES DIRIGEANTS EN QUESTION

Deux visions peuvent s'opposer quant à l'influence des dirigeants sur les choix

stratégiques des entreprises : existence d'une réelle influence, hypothèse qui est soutenue par

le courant stratégique, ou absence d'influence, hypothèse privilégiée par les théories néo-

institutionnelle et écologistes notamment. Les deux points de vue peuvent être réconciliés en

mobilisant la théorie de l’échelon supérieur, et en particulier son concept de discrétion

managériale (Hambrick et Finkelstein, 1987). En effet, si la discrétion est importante, le

dirigeant influence sensiblement les choix stratégiques des entreprises (l'hypothèse du courant

stratégique est vérifiée), inversement, si la discrétion est faible, le dirigeant influence peu ces

mêmes choix stratégiques (la théorie néo-institutionnelle prend alors le pas sur le courant

stratégique).

2.1. LE DILEMME ENTRE UNE REELLE INFLUENCE OU UNE INFLUENCE LIMITEE DES

DIRIGEANTS

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Pour les écologistes, les organisations souffrent d'inertie et l'élément clé pour

expliquer leur survie est la sélection environnementale plutôt que leur adaptation (Hannan et

Freeman, 1977 ; Aldrich, 1979). De même, si l'on se réfère à la théorie néo-institutionnelle,

les dirigeants sont sensés avoir peu d'effet sur les résultats des organisations qui sont

contraintes par une horde de conventions et de normes et font donc preuve d'une très grande

inertie. En effet, dans le cadre de l’approche néo-institutionnelle proposée par DiMaggio et

Powell (1983), les entreprises répondent aux pressions en adhérant à des pratiques

généralement reconnues de manière à paraître légitimes face aux différentes parties prenantes.

Ainsi, des forces historiques, culturelles, environnementales, internes ou externes à

l’entreprise, modèlent sa façon d’exercer ses activités, dont le corollaire est l’apparition de

structures identiques ou de pratiques identiques au cours du temps, les influences

institutionnelles devenant visibles puisqu’elles se diffusent dans les organisations à travers

l’isomorphisme (DiMaggio et Powell, 1983, p.147). C’est pourquoi des comportements

mimétiques ou de benchmark se répandent, en prenant comme point de repère les

comportements perçus comme étant les plus légitimes ou étant associés à la réussite.

DiMaggio et Powell (1983, p.150) identifient trois formes de généralisation des

pratiques organisationnelles : les processus coercitifs, mimétiques, et normatifs qui opèrent de

manière indépendante ou concomitante. Ces auteurs qualifient de « changement

isomorphique » cette évolution des pratiques organisationnelles.

2.2. LA DISCRETION MANAGERIALE, UN FACTEUR MODERATEUR DE L'INFLUENCE DES

DIRIGEANTS

Hambrick et Finkelstein (1987) introduisent le concept de discrétion managériale,

qu'ils définissent comme une latitude d'action, concept qui est central pour faire le lien entre

les deux visions de l'influence des dirigeants sur les organisations. Ainsi, cette influence peut

s'étaler sur un continuum allant de la nullité à l'omniprésence, en fonction de la discrétion

dont disposent les dirigeants.

Plus précisément, un dirigeant « qui est conscient de l'existence de plusieurs

possibilités d'actions qui rentrent dans la zone d'acceptation des parties influentes est

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considéré comme ayant de la discrétion8 » pour ces auteurs (p. 378). Ces derniers insistent sur

le fait que la discrétion implique des actions potentielles plutôt que de simples choix ou des

décisions et soulignent qu'il n'est pas aisé de déterminer si un dirigeant dispose ou non de

choix multiples d'actions et donc de latitude. En outre, la discrétion est rarement définie de

manière explicite. Selon eux, la discrétion provient des caractéristiques du dirigeant et n'est

pas seulement déterminée par des forces externes. Ainsi, les dirigeants, grâce à leurs

répertoires personnels, peuvent considérer des options qui n'auraient pas été considérées par

d'autres dirigeants (exemple de dirigeants créant de la discrétion à travers une vision élargie et

une perspicacité politique). La discrétion est également déterminée par le contexte. Les

contraintes ne sont pas fixées et testées. Ainsi, une contrainte existe lorsqu'une action est en

dehors de la zone d'acceptation des parties influentes qui ont un intérêt dans l'organisation.

Les différentes parties prenantes ont toutes leurs propres zones d'acceptation. La contrainte

dépend de la radicalité perçue de l'action et du pouvoir relatif de ceux qui la voient comme

radicale.

La discrétion dépend des contraintes qui pèsent sur le dirigeant. Ainsi, Hambrick et

Finkelstein (1987) identifient trois facteurs déterminant le degré de discrétion managériale.

Selon eux, la latitude d'action d'un dirigeant dépend du degré de variété et de changement

autorisé par l'environnement, du contexte organisationnel qui rend possible ou non un éventail

d'actions et qui autorise le dirigeant à formuler et exécuter ces actions, et enfin elle dépend de

la capacité du dirigeant à personnellement envisager ou créer de multiples voies d'actions.

Parmi les facteurs environnementaux qui peuvent entraver ou favoriser la discrétion

managériale, nous pouvons citer notamment des caractéristiques telles que la différenciation

des produits, la croissance du marché, la structure concurrentielle du secteur, l'instabilité de la

demande, les contraintes légales, l'existence de forces externes puissantes (fournisseurs,

clients…).

La seconde série de contraintes qui peuvent peser sur la discrétion managériale

provient des facteurs organisationnels internes, qui correspondent à des facteurs qui

généralement empêchent l'organisation de considérer le changement ou la variété ou qui

limitent le rôle du dirigeant dans l'organisation. Parmi ces facteurs figurent ce que les auteurs

8 D'après notre traduction

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appellent les forces d'inertie, qui sont des facteurs qui créent une inertie et peuvent réduire la

discrétion managériale (la taille de l'entreprise, son âge, la culture), la disponibilité de

ressources et les conditions politiques internes (structure de propriété, conseil

d'administration).

Enfin, la discrétion managériale repose sur certaines caractéristiques managériales

personnelles qui vont conférer ou non au dirigeant une capacité à générer et considérer une

multiplicité de lignes de conduite. Les caractéristiques managériales évoquées par Finkesltein

et Hambrick (1987) font référence par exemple au niveau d'aspiration, à l'engagement, à la

tolérance à l'ambigüité, à la complexité cognitive, à la perspicacité politique, à la base du

pouvoir (pouvoir du dirigeant, propriété, durée de fonction, cooptation du CA…).

3. LES CONTRAINTES QUI PESENT SUR LA DISCRETION MANAGERIALE

3.1. LES CONTRAINTES LIEES AU DIRIGEANT

Conformément à Finkesltein et Hambrick (1987), nous retiendrons comme variable

représentant les contraintes liées au dirigeant la base du pouvoir du dirigeant. Les mesures

proposées par ces auteurs rejoignent les arguments avancés dans la théorie managériale. Selon

cette dernière, la discrétion managériale dépend des relations dirigeants / CA. Différentes

versions des relations dirigeants / CA coexistent. Ainsi, notamment dans la théorie

managériale, bien que le CA exerce un pouvoir formel sur les dirigeants, ces derniers

dominent en réalité le CA (Vance, 1968 ; Mace, 1971 ; Herman, 1981). Les décisions prises

par le CA sont le résultat d'un processus d'influence dirigé par le dirigeant. Dans la version

extrême de la théorie managériale, les CA sont vus comme les outils des dirigeants. Les

dirigeants influent le plus fortement sur le CA lorsque les questions en suspens impliquent

leur intérêt propre. Bien que les dirigeants contrôlent souvent la nomination de nouveaux

membres au CA et donc contrôlent l'évolution des relations dirigeants / CA, ce dernier

contrôle en dernier ressort la gestion et peut nommer et remplacer les dirigeants (Mizruchi,

1983).

Une vision plus atténuée du pouvoir des dirigeants ressort de la théorie managériale

"contrainte". Ainsi, Herman (1981) avance que les dirigeants contrôlent la société mais que ce

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contrôle s'opère sous un système de contraintes. Les contraintes se traduisent par le pouvoir

de limiter certaines décisions (p.19). Le CA ainsi que les actionnaires, les créanciers et

d'autres éléments externes fonctionnent comme des contraintes sur les activités des dirigeants.

Selon Herman, les administrateurs externes manquent du temps et de l'expertise nécessaires

pour participer sérieusement à la plupart des décisions de la firme. Ce dernier conçoit

cependant que les administrateurs externes puissent agir pour révoquer les dirigeants dans des

périodes de performance insuffisante. « Le CA et les administrateurs externes sont plutôt

considérés comme ayant des degrés variés de pouvoir latent ».

H3 : La qualité de la diffusion d’informations en matière de RSE est liée au pouvoir du

dirigeant.

3.2. LES CONDITIONS ENVIRONNEMENTALES

Nous allons présenter les conditions environnementales susceptibles de limiter la

discrétion managériale en distinguant les contraintes légales, les contraintes normatives, les

contraintes sectorielles…

Dans la partie 2.1. nous avons évoqué l'idée selon laquelle les entreprises répondent

aux pressions en adhérant à des pratiques généralement reconnues de manière à paraître

légitimes face aux différentes parties prenantes. Ainsi, DiMaggio et Powell (1983, p.150)

identifient trois formes de généralisation des pratiques organisationnelles : les processus

coercitifs, mimétiques, et normatifs qui opèrent de manière indépendante ou concomitante.

Ces auteurs qualifient de « changement isomorphique » cette évolution des pratiques

organisationnelles.

a- Les contraintes légales

La limitation de la discrétion managériale trouve une première origine dans le fait que

les activités des organisations sont encadrées par des contraintes de régulation. Ainsi, les

contraintes légales imposent des lignes de conduite aux entreprises dans de nombreux

domaines (comptabilité, ressources humaines, etc.) et notamment en matière de RSE. D’un

point de vue réglementaire, la loi NRE impose aux entreprises cotées de publier des

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informations sociales et environnementales dans leur rapport annuel. La législation a par

conséquent favorisé l’apparition de normes en matière de gouvernance et de RSE. Les

contraintes ne sont pas uniquement légales mais peuvent également relever de pressions

issues de différentes procédures largement répandues (procédures de certification qualité ou

environnement ISO) ou de groupes de pression (actionnaires par exemple).

H4a : La qualité de la diffusion d’informations en matière de RSE a été améliorée suite à la

promulgation de la loi NRE et de la loi Grenelle 2.

H4b : L'influence des dirigeants sur la qualité de la diffusion d’informations en matière de

RSE est plus forte avant la promulgation de la loi NRE et de la loi Grenelle 2.

b- Les contraintes normatives

Le processus normatif explique la propagation des pratiques au sein des entreprises par

la professionnalisation des métiers. La mise en place de formations au sein du système

éducatif mais également les réseaux et les liens créés dans le cadre d’associations

professionnelles favorisent le développement d’un schéma de pensée formaté (codes de bonne

conduite, IFA, norme SD Afnor, GRI). Cela peut renvoyer à la notion de biais psychologique

dans la théorie comportementale et dans ce cas précis au biais de disponibilité qui consiste à

privilégier certaines thèses ou solutions pour leur adhésion, adhésion à des principes

universellement applicables.

On assiste aujourd'hui à une professionnalisation dans le domaine de la RSE et du DD

avec notamment la création d'espaces communs de réflexion portés par des structures comme

le GRI, Global Reporting Initiative, l'ORSE. La RSE et le DD ont également intégré

progressivement les cursus d'enseignement. Des réseaux internationaux d'entreprises se sont

constitués.

Par conséquent, la sensibilité des entreprises au processus normatif en adhérant aux

codes issus d'espaces communs de réflexion devrait influer sur la qualité de la diffusion

d'informations en matière de RSE. L'importance du processus normatif va réduire la

discrétion managériale et dans le même temps l'influence des dirigeants.

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16

H5 : la qualité de la diffusion d’informations en matière de RSE et son évolution sont liées à

l'adhésion à des espaces communs de réflexion type GRI.

c. Les contraintes sectorielles

Enfin, par un processus de mimétisme, les pratiques organisationnelles peuvent se

diffuser, en particulier en réponse à l’incertitude. En adoptant des comportements

moutonniers, les entreprises peuvent disposer d’un éventail de propositions face aux décisions

et aux choix à effectuer, notamment dans un contexte de forte incertitude. Les pratiques de

benchmarking selon lesquelles les entreprises s’inspirent de la concurrence pour prendre leurs

propres décisions s’inscrivent tout à fait dans ce processus de mimétisme ce qui pourrait

expliquer les fortes similitudes constatées dans certains secteurs (par exemple, dans le secteur

de la grande distribution, il existe de grandes ressemblances en matière de RSE d’après

Igalens, 2005). Dans ce sens, Aerts et al. (2006) ont montré que les entités d’un même secteur

adoptent parfois des comportements mimétiques, en particulier en France. Sur une période de

six ans, pour un échantillon d’entreprises canadiennes, françaises et allemandes, ces auteurs

montrent que les modèles de mimétisme sont spécifiques aux trois pays, les entreprises

françaises montrant le plus grand mimétisme, suivies par les entreprises allemandes et enfin

canadiennes. En outre, les sources de mimétisme diffèrent selon les pays. Au Canada et dans

une moindre mesure en Allemagne, les facteurs explicatifs résident dans les tendances à

l’imitation constatées au sein d’un secteur et les routines (tendance à répliquer un

comportement passé) vis à vis de l’imitation, la concentration du secteur et l’exposition

médiatique de l’entreprise modérant l’effet de ces facteurs. Pour la France, à ces facteurs

s’ajoute l’influence de forces coercitives et normatives.

En revanche, alors que André, Husser, Barbat et Lespinet-Najib (2011) supposent que

les secteurs d’activité ont une influence sur les modalités de communication des entreprises en

matière de DD, leurs résultats ne confirment pas l’existence d’une communication très

différenciée d’un secteur d’activité à un autre. Ainsi, quel que soit le secteur d’activité, les

trois parties prenantes étudiées (fournisseurs, clients et salariés) sont traitées de façon

homogène. Ce résultat peut être expliqué par un comportement de benchmark plus large qui

pousse à une uniformisation du rapport de DD par effet de mimétisme entre tous les secteurs.

L’hypothèse du mimétisme sectoriel selon laquelle les entreprises adopteraient une politique

de communication similaire est également rejetée dans l’étude de Godelier et Le Roux (2005).

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Dans leur comparaison de l’évolution des situations de Péchiney et Usinor après 1970, ils

remarquent que l’appartenance à un même secteur n’implique pas une stratégie identique.

H6 : la qualité de la diffusion d’informations en matière de RSE et son évolution sont liées à

la qualité de l’information divulguée sur la RSE dans le même secteur d’activité.

Voici en synthèse le modèle proposé :

Discrétion managériale Conditions environnementales

- loi NRE (2001): variable muette 0/1 pour avant / après

- loi Grenelle 2 (2010): variable muette 0/1 pour avant / après

- adhésion espace commun GRI: variable muette (durée moyenne adhésion)

- qualité de l'information RSE divulguée dans le secteur: score moyen Vigéo du secteur

-

L'organisation

- Existence d'un comité éthique ou DD au sein du CA (conseil d'administration):

variable muette 0/1 pour non / oui

- Sensibilité des admeurs à RSE (% admeurs impliqués RSE)

- Contrôle du CA (% d'admeurs externes, nbre moyen de mandats des admeurs)

- Contrôle des act (% d'admeurs-act, % de capital détenu par les admeurs)

- taille du CA: nombre d'administrateurs (admeurs)

Le CEO ou top managers (enracinement): base du pouvoir selon Hambrick et Finkelstein

- participation au capital des dirigeants: % capital détenu par dirigeant et sa famille

- durée de fonction du dirigeant, relative et absolue, et turnover des administrateurs

(ancienneté poste et entreprise)

Caractéristiques du CEO et ses valeurs

Valeurs (questionnaire), sexe, âge, fonctions occupées,

formation/diplômes, nationalité, expérience internationale,

mandats d'administrateurs (type et secteurs)

Générativité agentique

Générativité communale

- Prise en compte

de la RSE par les

entreprises

(notation Vigéo)

- Qualié perçue de

la communication

RSE par les

entreprises

(questionnaire)

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Conclusion

La diversité des situations en matière de communication sur la RSE parmi les

entreprises françaises nous amène à nous interroger sur les facteurs qui peuvent expliquer la

qualité de l’information publiée dans le domaine. Dans cet article, nous proposons un cadre

conceptuel original et un modèle précis pour aborder la question des déterminants de la

qualité de la diffusion d’informations en matière de RSE. Notre approche présente l’avantage

d’allier des explications internes et des explications externes à l’entreprise. La prise en

compte de l’influence de processus institutionnels ainsi que des valeurs des dirigeants sur le

reporting en matière de RSE distinguent cette étude des recherches antérieures anglo-

saxonnes.

Nos réflexions poursuivent et étendent les conclusions de Viscusi, Huber et Bell

(2011) qui déclarent que « les comportements individuels qui sont bénéfiques à

l’environnement sont potentiellement influencés entre autres par les valeurs individuelles par

rapport à la qualité de l’environnement, et par les normes sociales qui encouragent les actions

pro-environnementales ». Nous transposons cette réflexion aux comportements des

entreprises en matière de divulgation d’informations sur la RSE en retenant comme cadre

d’analyse l’approche néo-institutionnelle et en intégrant l’impact des valeurs du dirigeant et

de sa générativité.

Les hypothèses proposées méritent désormais d’être testées empiriquement. C’est la

deuxième partie de ce programme de recherche. Des études seront réalisées grâce à un

partenariat de recherche avec le cabinet Vigéo, leader européen de la notation extra-

financière, qui mesure justement les performances des entreprises en matière de

développement durable et de RSE. Vigéo fournira donc les données relatives à nos variables à

expliquer. Les variables explicatives seront obtenues de différentes manières, et pour ce qui

concerne la générativité et les valeurs des dirigeants, elles seront mesurées par questionnaire.

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