17
222 - 228 Rue du faubourg Saint-Honoré LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P. Éditions du Cerf CHAPITRE XV RESTAURATION: FONDATION DU COUVENT DU SAINT-SACREMENT (1874) Le 1er juin 1806, le P. Faitot, dernier prieur du dernier couvent, retiré dans l’une des dernières maisons du faubourg Saint-Jacques, presque dans les champs, écrivait au P. Molineri, socius du Maître Général : «Ce qui reste en France de l’Ordre est tellement dispersé, tellement divisé, si détruit, si désespéré, que l’on ne se correspond plus. On ne sait plus si l’on est vivant. Les uns occupent quelques places et s’y accou- tument, les autres languissent de vieillesse et d’indi- gence; d’autres enfin, après avoir passé par tous les degrés de la licence, attendent le lendemain pour changer encore de situation... Encore quelques années et nous disparaîtrons» A la date où le P. Faitot traçait ces lignes, Henri Lacordaire (1802-1861) avait quatre ans. C’était le jeune rameau vigoureux et plein de sève qui, trente- cinq ans plus tard, allait reboiser aux couleurs domini- caines la terre de France. Il dira lui-même que «les moines comme les chênes sont éternels». Ne faut-il pas que les arbres soient émondés pour produire de plus belles frondaisons? Sa réforme intervenait trois siècles après celle du Père Michaëlis. Quand le mardi 9 avril 1839, l’abbé Lacordaire recevait l’habit des Frères Prêcheurs, au couvent de la Minerve à Rome, la chaîne était renouée, par-dessus la Révolution, entre les Dominicains qui la précédèrent et ceux qui la suivront. La première fondation qu’entreprit le restaurateur de l’Ordre en France fut le couvent de Nancy en 1843. Puis ce fut Chalais en 1845 et Flavigny en 1848. L’année suivante, Mgr Sibour, archevêque de Paris, offrait au P. Lacordaire une partie de l’ancien couvent des Carmes. Le quatrième couvent en terre française était fondé: il s’appelait le couvent de Saint-Jacques; en lui revivait l’ancien couvent de Paris qui, durant plus de six siècles, avait été la gloire de l’Ordre et dont le souvenir était comme gravé dans l’appellation sous laquelle on désignait les Frères Prêcheurs en France avant la Révolution: les Jacobins. Paris mon Village 1 Saint Dominique R.P. Michaëlis (1543-1618)

LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

222 - 228 Rue du faubourg Saint-Honoré

LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P.

Éditions du Cerf

CHAPITRE XV RESTAURATION: FONDATION DU COUVENT DU SAINT-SACREMENT (1874)

Le 1er juin 1806, le P. Faitot, dernier prieur du derniercouvent, retiré dans l’une des dernières maisons dufaubourg Saint-Jacques, presque dans les champs,écrivait au P. Molineri, socius du Maître Général :

«Ce qui reste en France de l’Ordre est tellementdispersé, tellement divisé, si détruit, si désespéré, quel’on ne se correspond plus. On ne sait plus si l’on estvivant. Les uns occupent quelques places et s’y accou-tument, les autres languissent de vieillesse et d’indi-gence; d’autres enfin, après avoir passé par tous lesdegrés de la licence, attendent le lendemain pourchanger encore de situation... Encore quelques annéeset nous disparaîtrons»

A la date où le P. Faitot traçait ces lignes, HenriLacordaire (1802-1861) avait quatre ans. C’était lejeune rameau vigoureux et plein de sève qui, trente-cinq ans plus tard, allait reboiser aux couleurs domini-caines la terre de France. Il dira lui-même que «lesmoines comme les chênes sont éternels». Ne faut-il pasque les arbres soient émondés pour produire de plus

belles frondaisons? Sa réforme intervenait trois siècles après celle du Père Michaëlis.Quand le mardi 9 avril 1839, l’abbé Lacordaire recevait

l’habit des Frères Prêcheurs, au couvent de la Minerve àRome, la chaîne était renouée, par-dessus la Révolution,entre les Dominicains qui la précédèrent et ceux qui lasuivront.

La première fondation qu’entreprit le restaurateur del’Ordre en France fut le couvent de Nancy en 1843. Puis cefut Chalais en 1845 et Flavigny en 1848. L’année suivante,Mgr Sibour, archevêque de Paris, offrait au P. Lacordaireune partie de l’ancien couvent des Carmes. Le quatrièmecouvent en terre française était fondé: il s’appelait lecouvent de Saint-Jacques; en lui revivait l’ancien couventde Paris qui, durant plus de six siècles, avait été la gloirede l’Ordre et dont le souvenir était comme gravé dansl’appellation sous laquelle on désignait les Frères Prêcheursen France avant la Révolution: les Jacobins.

Paris mon Village

1

Saint Dominique

R.P. Michaëlis (1543-1618)

Page 2: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

Il convenait que le couvent de Saint-Jacques ressusci-tât en premier lieu.

«La bénédiction, dont Dieu récompensa les efforts desrestaurateurs de Saint-Jacques, écrit le P. Ollivier, netarda pas à montrer la nécessité de relever les ruines del’Annonciation et de fixer sur la rive droite du fleuve unedeuxième colonie de Prêcheurs. La ville avait pris, de cecôté, une extension merveilleuse, qui s’accentuait de jouren jour, avec les plus brillantes promesses d’avenir pourles fondations dont on aurait le courage.» Ce fut la pen-sée et la tâche du P. Chocarne, qui avait été élu provin-cial de Paris en 1871. Voici la lettre qu’il adressa le 29juin 1874, à l’archevêque de Paris, le cardinal Guibert:

«Eminence,«Vous avez bien voulu approuver en principe la fonda-

tion d’une seconde maison de notre Ordre, à Paris, sur larive droite. Depuis ce moment nous cherchons un empla-cement qui réponde à vos vues d’évangélisation de ce nouveau Paris et aux exigen-ces de notre propre ministère. Nous croyons l’avoir trouvé.

« C’est un immeuble situé rue du Faubourg-Saint-Honoré, au delà de l’hôpitalBeaujon, entre l’avenue de la Reine-Hortense et le boulevard Haussmann. Il y a làune superficie de trois mille six cent cinquante mètres sur trente mètres de façade:une première maison sur la rue du Faubourg Saint-Honoré, une petite cour, uneseconde maison et un grand jardin. Nous trouvons là, sans avoir à construire, unechapelle provisoire, une habitation suffisante, et, surtout, dans le jardin, entouré lui-même d’autres jardins, l’air et l’espace qui nous manquent à la rue Jean-de-Beauvais(1), et qui sont indispensables à la santé des religieux. Presque toutes les commu-nautés d’hommes ont une maison de campagne aux environs de Paris. Nous n’avonspu jusqu’à ce jour donner cet adoucissement à nos Pères fatigués ou infirmes; maisnous serions heureux de trouver dans l’occasion qui se présente l’avantage d’unemaison de ville et de campagne à la fois.

« Je n’ignore pas que Votre Éminence aurait aimé nous voir choisir un local dansun quartier plus excentrique, dans l’ancienne banlieue, où les secours religieux sontaussi plus rares et plus nécessaires. Mais, permettez-moi, Monseigneur, de vous

faire remarquer les inconvénients gra-ves, j’ose dire les impossibilités d’unepareille situation pour nous.

« D’une part, ce qu’il faut surtout àces populations de la banlieue, c’est laparoisse, c’est la ressource des sacre-ments, des catéchismes, des visitesdes malades, etc... Or, d’après nos lois,nous ne devons pas nous charger de ladirection des paroisses. Nous sommesavant tout des apôtres, des missionnai-res, et non des pasteurs: toute notrevie est organisée sur ce plan. NotreOrdre n’a accepté les églises aveccharge d’âmes que là où le mouvement

Les Dominicains du Faubourg Saint-Honoré

2

Cloître du Monastère des Dominicains (État actuel)

Henri Lacordaire

Page 3: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

apostolique s’est ralenti et dans la mesure même où il a diminué. En France, grâceà Dieu, la carrière de l’apostolat s’agrandit tous les jours, et il convient que nous res-tions fidèles à notre vocation.

« De plus, notre ministère nous oblige à rentrer fort tard le soir. Pendant tout lemois de Marie, par exemple, plusieurs des nôtres ne peuvent être de retour avantdix heures ou dix heures et demie. N’y aurait-il pas un inconvénient des plus gravesà voir circuler notre habit à ces heures tardives dans des quartiers déserts et malhabités?

« Enfin, il y a la question matérielle, avec laquelle nous sommes bien obligés decompter. Les Ordres religieux ne s’établissent plus comme autrefois par le moyen defondations pieuses en biens, immeubles et en terres dont les revenus les faisaientvivre. Ils s’étendent, grâce au fruit de leur travail et aux libéralités clairsemées despersonnes auxquelles ils donnent leur dévouement. Il y a donc absolue nécessitépour nous de n’aller que là où nous pouvons raisonnablement espérer faire face auxlourdes charges d’un premier établissement. Aux extrémités de Paris, il ne faudraitpas avoir à demander, mais être assez riches au contraire pour donner et secourirde trop nombreuses infortunes.

« L’impossibilité d’aller dans la banlieue une fois constatée, le projet en questionnous paraît offrir de réels avantages pour notre ministère. D’abord, nous sommessuffisamment éloignés de toute paroisse. La plus rapprochée est Saint-Philippe-du-Roule, et encore y a-t-il plus d’un demi kilomètre, quatre ou cinq fois la distance quinous sépare actuellement de Saint-Séverin ou de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, sansque nous ayons jamais ouï dire que ces Messieurs les Curés se soient plaints de notrevoisinage. De l’autre côté du faubourg Saint-Honoré, la paroisse la plus proche estSaint-Ferdinand-des-Ternes, qui est à une distance considérable.

« Placés ainsi dans un quartier nouveau, plein d’avenir, où il convient que lessecours spirituels augmentent dans laproportion de la population elle-même,nous accroissons le nombre des centresreligieux que Votre Éminence s’est donnéla mission de promouvoir et de créer dansle nouveau Paris, nous dédoublons la mai-son de la rue Jean-de-Beauvais, quidevient insuffisante, nous n’avons plus àtraverser tout Paris pour aller à nos pré-dications de la rive droite et en revenir àdes heures trop tardives, nous atteignonsplus facilement, par les conférences etpar les œuvres de patronage, les hommesauxquels s’adresse plus spécialement laparole dominicaine; et, enfin, lorsque laliberté de l’enseignement supérieur seraaccordée, nous serons plus en mesure d’yprendre la place qu’on voudra bien nous yconfier.

« Quant aux moyens de réaliser cetteacquisition, nous nous sommes entendusavec le Crédit Foncier. Sur les deux mai-sons que nous lui offrons en gage, cellede la rue Jeande-Beauvais et celle du fau-

Paris mon Village

3

Eglise du Saint Sacrement (1880)

Page 4: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

bourg Saint-Honoré, il nous prête cinqcent cinquante mille francs qui nous per-mettent de désintéresser immédiate-ment le propriétaire. Nous n’avons plusensuite qu’à servir au Crédit Foncier desannuités dont le chiffre, ne dépasse pasla moitié des ressources ordinaires etannuelles de notre couvent de la rueJean-de-Beauvais. Tout en restant unecharge assez lourde, ces annuités, quiamortissent peu à peu le capital, nousdispensent de trouver tout d’abord dessommes considérables, et, quoi qu’ilarrive, nous mettent à l’abri de tout périlà faire courir à nous et aux autres inté-ressés.

« Je viens donc, Monseigneur, propo-ser à Votre Éminence, au nom du Rme P.Sanvito, vicaire général de notre Ordre,et au nom du Conseil de la Province deFrance, de vouloir bien donner votrehaute approbation à ce projet de fonda-tion, et ajouter ce nouveau témoignagede Votre particulière bienveillance à tousceux que notre famille religieuse a déjàreçus de vous et dont nous vous gardonsdevant Dieu le profond et reconnaisantsouvenir. »

A cette lettre, que nous avons tenu à transcrire en son entier à cause de tous lesrenseignements précieux qu’elle nous fournit, le cardinal Guibert répondit le 7 juilleten accordant l’autorisation.

L’affaire fut vivement conduite, et le P. Chocarne put bientôt occuper, avec un com-pagnon, la position conquise.

L’immeuble qui venait d’être acheté était situé au n° 222, faubourg Saint-Honoré.C’était dans le même faubourg et le même côté nord de la voie, que le couvent del’Annonciation avait été construit, il y avait deux cent soixante années.

Mais la nouvelle fondation était transportée plus à l’ouest de la rue. Deux mille sixcents mètres la séparaient de l’ancien n° 308 de la rue Saint-Honoré. Elle subissaitdonc, pour s’y plier intelligemment, le sort du prolongement du quartier et desagrandissements de la capitale.

L’immeuble du 222, qui n’avait rien de somptueux, n’était plus habité depuis cinqans. Il avait été bâti, trente années auparavant, par M. Delamarre, «personnageassez original, écrit le P. Ollivier, qui se faisait honneur de chanter au lutrin de Saint-Eustache, sa paroisse, mais gratis pro Deo, attendu qu’il était riche et se montraitgénéreux envers l’Église et les pauvres ». La propriété avait ensuite passé entre lesmains de M. Desrenaudes, dont une rue du quartier des Ternes conserve le nom. Unpetit parc, clos de murs, s’étendait sur les derrières de l’habitation. C’était undémembrement de la Folie-Monceau, vaste domaine dont les limites touchaient auboulevard Malesherbes, et dans lequel le duc de Chartres - celui qui fut sous la

Les Dominicains du Faubourg Saint-Honoré

4

Cloître du Monastère

Page 5: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

Révolution Philippe-Égalité - avait entassé les merveilles d’un luxe sans égal.La tourmente qui emporta la royauté fit de la Folie-Monceau un désert peuplé de

ruines où le Directoire essaya de ramener la vie et la gaieté en y donnant des fêtesbrillantes et presque aussi folles que celles d’autrefois.

La Restauration la rendit aux d’Orléans; la IIe République les en expulsa pourtoujours, et l’Empire, à la suite des décrets relatifs aux biens de la maison d’Orléans,la divisa en deux parts, l’une qui devint la propriété de la ville, l’autre qui fut cédéeà divers acquéreurs.

Le parc Monceau reste seul témoin de ces anciennes splendeurs. Il s’en retrouvaitquelques vestiges dans l’enclos Delamarre, mais qui ont disparu par suite desremaniements nécessaires à l’installation du couvent.

« Désormais, diront les journaux relatant la fondation dominicaine, les grandsarbres centenaires, témoins de tant de joyeux ébats, ne prêteront leurs ombragesqu’à des moines faisant leurs dévotions. La prière et la méditation vont remplacerles rires et les chants, comme s’il s’agissait de purifier ce lieu (2). »

L’installation du nouveau couvent fut bientôt faite. La salle à manger devintréfectoire; une grande chambre à coucher se transforma en salle de chapitre, et lesdeux salons de réception firent une chapelle de proportions exiguës, il est vrai, maisassez grande pour les débuts de la fondation. La nouvelle installation fut inauguréele dimanche 4 octobre 1874, le jour de la solennité du Saint-Rosaire.

Dans le discours qu’il prononça à l’offertoire de la messe, le P. Chocarne annonçale dessein qui lui tenait tant à cœur : faire de la nouvelle fondation le siège d’uneadoration permanente, au moins pendant le jour, du Très Saint-Sacrement, avec larécitation ininterrompue du Rosaire par les adorateurs.

En raison de cette destination, le nouveau couvent était placé sous le vocable duTrès Saint-Sacrement et était dédié à ce mystère central du christianisme. On nepeut que respecter la pensée du fondateur et s’en émouvoir. Il y eut pourtant desregrets formulés, ceux que nous partageons nous-mêmes. C’est qu’on n’ait pasgardé le vocable de l’Annonciation, «comme il semblait indiqué par la tradition»,puisque le nouveau couvent prétendait recueillir l’héritage de l’ancien et remettre à

l’honneur sa mission.Aujourd’hui encore, ne lit-on pas dans les

catalogues officiels, à la mention ducouvent du Saint-Sacrement: «OlimAnnuntiationis.» Le P. Chocarne n’eut gardede passer sous silence ces liens qui ratta-chaient le présent au passé, et il voulut quele sceau du nouveau couvent représentâtl’Ange de l’Annonciation flanqué de deuxétoiles qui élèverait la sainte Hostie au-dessus d’un calice, renouvelant le geste quele prêtre fait à l’autel au cours de la messe.C’est le même motif qui se retrouveaujourd’hui encore sur la porte dutabernacle et sur les panneaux en bas-relief, encadrs du Rosaire, qui surmontentdans le chœur les colonnes jumelées. Leprojet si cher au P. Chocarne ne devait pointd’ailleurs être entièrement exécuté. «A

Paris mon Village

5

Ange de l’’Annonciation par Bellini

Page 6: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

cause de circonstances indépendantes de sa volonté», nous dit le P. Ollivier - circons-tances que l’on soupçonne consister dans l’impossibilité de recruter, en notre époqueadonnée si fiévreusement à l’action, des adorateurs en nombre suffisant, alors qu’àdeux pas du couvent, la chapelle des Pères du Saint-Sacrement s’était déjà proposéle même but - il ne resta du dessein primitif que la pratique de l’adoration un jourpar semaine et la récitation du Rosaire chaque jour après complies.

« Le samedi I7 octobre, continue le P. Ollivier, tous les religieux assignés à Saint-Honoré, ayant rallié leurs cellules, le P. Chocarne lesréunit au Chapitre, pour l’organisation de la vie régu-lière et du ministère apostolique.

Le P. Daumont Tournel eut la sacristie, le P. Leroy laprocure. Le P. Leroy fut chargé des conférences auxdames, et le P. Ollivier de celles qu’on se proposait defaire aux hommes. Les PP. Segonzac et Gironnet, dontl’activité se dépensait au dehors avec avantage, nereçurent pas de mission spéciale à l’intérieur, où, dureste, ils ne pouvaient chômer, grâce au concours desfidèles à leur confessionnal.

L’observance fut mise en pleine vigueur, suivantl’espdt du P.Lacordaire, tel que le P. Chocarne l’avaitrecueilli et conservé; après quoi les jours commencè-rent de couler doux et paisibles, pleins d’une joie querien n’altérait: la joie des frères habitant ensemble.

« Il était cependant impossible, écrit toujours le P.Ollivier, de rester dans le provisoire, où s’étaient pas-sés les premiers mois: la chapelle devenait trop petite,et d’ailleurs allait disparaître pour faire place aux fon-dations de l’église définitive. C’est pourquoi l’on décida la construction d’un bâtimentde briques et de planches dans la cour d’entrée. Ce n’était pas Notre-Dame ou Saint-Sulpice, comme on le comprend sans peine, mais l’éspace était triplé pour le moins,et vraiment il y avait plaisir à parler devant l’assistance devenue foule, en comparai-son de celle que nous avions d’abord réunie. Les jours surtout où quelque prédica-teur de marque prenait la parole, l’humble appentis n’avait rien à envier aux églisesles plus recherchées, sur les deux rives de la Seine.

« Ce n’était toutefois qu’un abri de passage, d’où les regards suivaient avec impa-tience les progrès d’une construction grandiose qui s’élevait à l’angle opposé de lacour, d’après les plans et sous la direction de l’architecte Edmond Morin. »

En un an, l’œuvre fut achevée. L’inauguration eut lieu le 28 novembre 1877. Onpourra lire le compte rendu de la cérémonie sous la signature du P. Mercier dans lapetite Année Dominicaine du mois suivant. Relevons seulement dans ce compterendu les lignes suivantes: « Si ce jour marque, comme l’a dit le P. Didon, la virilitéde la restauration dominicaine en France, il marque aussi la virilité de cette fonda-tion qui va occuper là un poste dans ce qu’on appelle le monde de la société, tandisque son aînée occupe le sien au milieu du monde lettré, scientifique et enseignant,en attendant que l’heure soit venue d’en occuper encore un autre au milieu dumonde populaire et ouvrier. Dieu a maintenant sa place sur ce coin de terre, et, àl’ombre des murs qui lui sont consacrés, s’abrite plein d’espoir l’avenir de la coloniedominicaine...

« II a fallu, pour arriver à ces résultats, mettre de côté toutes les pusillanimités queconseillait la prudence humaine, assumer les plus lourdes charges que les événements

Les Dominicains du Faubourg Saint-Honoré

6

Église

Page 7: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

pouvaient, de jour en jour, rendre écrasantes, bâtir en quelque sorte sur un sol exposéaux tremblements de terre: on l’a fait cependant avec un courage confiant au Dieu quidonne à la fois la force de soulever les montagnes, confiant aux dévouements que laProvidence met toujours sur le chemin des œuvres qu’elle veut faire vivre; et, en moinsde trois ans, la position est conquise, l’entreprise couronnée de succès. Que l’honneuren revienne à Dieu qui l’a inspirée et bénie, aux hommes qui l’ont audacieusementtentée et à ceux qui lui ont apporté un généreux concours. »

Ajoutons que ce fut le 3 décembre 1878 que la fondation du Saint-Sacrement futérigée canoniquement en couvent formel. II n ‘y eut pour cette cérémonie aucunesolennité spéciale. Le Père Provincial lut simplement les lettres patentes du Rme PèreVicaire général. Le P. Chocarne, déjà fondateur du couvent, reçut le titre de premierprieur, le P. Henriot fut nommé sous-prieur. Dès ce moment, le couvent du TrèsSaint-Sacrement, ayant le personnel légal de douze religieux, prenait rang officielle-ment parmi les autres couvents de la province avec tous les droits, charges et privi-lèges attachés par le droit canon et les Constitutions aux couvents de l’Ordre.

Ce n’est point notre intention de pousser plus avant l’histoire de ce couvent. Ilnous suffit d’avoir rappelé, en en redisant l’origine, qu’il est fils et continuateur ducouvent de l’Annonciation.

En 1974, il fêtera son centenaire. A cette occasion, nous l’espérons, un autrehistorien puisera dans ses annales déjà riches de gloire et nous redira ses épreuves,ses deuils et ses joies, ses recommencements obstinés qui clament sa confiancedans la divine Providence, son labeur apostolique, le nom des grands religieux quil’ont illustré. Au chapitre qui relatera ses agrandissements successifs, émergera,vigoureuse et pleine de vie, la figure du P. Padé qui, continuant et couronnantl’œuvre du P. Chocarne, a fait du couvent du Saint-Sacrement, au cœur même deParis, au sein de l’agitation et du tumulte de la capitale, une oasis de prière etd’étude qui est en même temps une ruche bourdonnante d’action évangélique.

Paris mon Village

7

222 - 228 rue du faubourg Saint Honoré

(1). C’était là qu’était alors établi le couventde Saint-Jacques.

(2). Cité par l’Année Dominicaine, 1874, p.474.

Des anciens immeubles il ne reste que le228 rehaussé; les autres, vétustes ont étédémolis et reconstruits: le 226 dans lesannées 1928-1930 par l’architecte Rey.

De 1967 à 1969, l’architecte AbroKadjian construit aux 222-224 dans unstyle froid et rectiligne un immeublefonctionnel destiné à des bureaux et desservices administratifs. Au rez-de-chaussées’ouvre entre des boutiques, une largeporte par laquelle on accède à la courd’entrée de l’église et au couvent del’Annonciation.

Page 8: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

FSH 222-228

Maisons de Jean-Antoine HoudonPuis Monastère des pères dominicains du Roule

d’après Simone Granboulan-Féral docteur en Histoire

La propriété Bilbaut

Le sol occupé de nos jours par la Congrégationdes Dominicains a longtemps fait partie d’unegrande propriété s’étendant de la rue du

«Fauxbourg du Roulle» (rue du Faubourg Saint-Honoré) à la rue de Chartres (rue de Courcelles).

Cette propriété s’est constituée entre les mainsdes Bilbaut, par acquisition et héritages: les 30avril 1767 et 11 avril 1769, Guillaume Bilbaut,chirurgien de la Prévôté de l’Hôtel du Roy, procu-reur fiscal de la Prévôté du Roulle et son épouse,dame Marguerite Laurent, achètent au sieurFrançois Simon Gilbert, bourgeois de Paris, devantMaître Rivière, notaire à Paris, les trois quartsd’une propriété, avec maison et jardin, sise «ruedu Fauxbourg du Roulle.

Le 7 novembre 1770, devant Maître Bontemps, Aubin Bilbaut, père de Guillaume,achète le dernier quart de la dite propriété, comprenant maison et jardin, àCatherine Roullet, veuve de Charles Pinchaut, marchand évantailliste. Le 1er avril1776, Guillaume Bilbaut hérite de son père Aubin, dont il est légataire universel parrèglement de succession, chez Maître Chaise, avec Jean Silvain Pataud et CatherineBilbaut, son épouse.

L’ensemble de la propriété est ainsi réuni dès 1770.Le 6 juin 1778, Guillaume Bilbaut et son épouse Marguerite Laurent donnent, par

contrat de mariage, la dite propriété à Adrien Lamare et Catherine Dogon, sonépouse.

Cette donation sera pour moitié à Catherine Dogon, et l’autre moitié en communentre les époux. Les dites donations sont faites «moyennant rentes viagères et per-pétuelles, et uniquement pour la nue-propriété et à charge de rentes viagères et per-pétuelles pour un total de 4 600 livres dont la plus importante de 2 000 livres revientà dame Bilbaut, une autre de 1 200 livres à dame et sieur Pataud».

Le 9 octobre 1780, le décès de Guillaume Bilbaut est enregistré à Saint-Philippe,sa paroisse. Les nus-propriétaires sont ainsi bien établis «Fauxbourg du Roulle».Adrien Lamare est avocat au parlement de Paris, notaire et greffier de la prévôté duRoulle. Les biens lui ont été apportés par sa femme. Le 5 juin 1783, Silvain Pataudet Catherine Bilbaut son épouse, usufruitiers, donnent procuration à MaîtreHennequin, notaire à Monceaux, pour «le contrat de vente que Monsieur et MadameLamare, notre gendre, fille et belle-fille sont dans l’intention de faire d’une maisonsise au Roulle, jardin et dépendances».

A partir de 1787, la propriété commence à être morcelée.

Les Dominicains du Faubourg Saint-Honoré

8

Jean-Antoine Houdon

Page 9: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

Les maisons Houdon

La vente aura lieu le 21 mars 1787, devant Maître Aleaume, «à Jean AntoineHoudon, sculpteur du Roy et membre de son Académie de sculpture, demeurant encette ville, grande rue du fauxbourg du Roulle».

Cette vente est-elle due au hasard ou à de bonnesrelations de voisinage, car Adrien Antoine FrançoisLamare, fils d’Adrien Lamare, notaire et procureur de laprévôté du Roulle, baptisé le 11 juillet 1783 àSaintPhilippe, a pour parrain, François Houdon, et mar-raine, Marguerite Julie Antoinette Houdon, frère et sœur,sans que nous ayons pu trouver s’il existait un lien deparenté avec le sculpteur ?

La vente comprend «une grande maison, qui cy-devant en formait deux, composée de plusieurs bouti-ques sur la rue, un étage de chambres et grenier en par-tie lambrissé au-dessus; une porte cochère et une autreporte bâtarde, deux cours, plusieurs petits bâtiments enicelles, un puits, écurie, remise. Un corps de logis nou-vellement réparé entre cour et jardin, un jardin potager,un autre planté d’arbres fruitiers, clos de murs».

La propriété tient au levant, une autre maison et jar-din apartenant au dit vendeur; au couchant, les sieursJosset et Ismond; au nord, le sieur Lebouteux et safemme, et Lamare; au bout, la grande rue du«Fauxbourg du Roulle». Le prix de vente est de 24 000livres à payer le 5 avril 1789. En attendant, les intérêtssont fixés au «denier vingt; somme payable en espècessonnantes et ayant cours et non en papier, billets, nieffets royaux.»! Le solde de la vente ne fut acquitté que le 23 avril 1792.

Jean-Antoine Houdon* (1741-1828) sculpte depuis son enfance. En 1861, Prix deRome, il séjourne en Italie de 1864 à 1868.Enthousiasmé par les Maîtres de la Renaissance, ilproduit déjà en cette ville des œuvres très remar-quées. De retour en France, il reçoit de nombreusescommandes et obtient, en mars 1772, un atelierdans la fonderie du Roule que la ville de Paris avaitinstallée pour exécuter le programme d’embellisse-ments décrété par le roi Louis XV. Son bail ne futpas renouvelé en 1787. C’est ainsi qu’il achète enface une partie de la propriété Lamare. Ici serontréalisés de nombreux chefs d’oeuvre. Il est cheva-lier de la Légion d’honneur, membre de l’Institut,recteur des écoles royales de Sculpture et dePeinture. Houdon avait épousé, en 1786, MarieAnge Cécile Langlois dont il eut trois filles. Safamille demeure dans cette propriété où il a installéses fourneaux. Il mourra en 1828.

Paris mon Village

9

Houdon par Monsiau

Houdon : Diane

Page 10: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

Le 2 avril 1818, Houdon vend, à Anselme Lesourd, propriétaire au 80 faubourg duRoule, et à son oncle, François Frédéric Périac, entrepreneur de maçonnerie au 12rue du Marais-du- Temple, une maison, 76 faubourg du Roule, terrain dépendant etune partie de maison du 74 attenant à la précédente, consistant en bâtiments, couret jardin selon plan joint (5), pour une surface de 464,342 m2. La partie vendue tientau midi, à la rue du faubourg du Roule, au levant et au nord, les vendeurs, à l’ouest,à Josset, et au fond, à l’abattoir qui appartient à Périac, oncle de l’acquéreur. Lavente est faite moyennant 1500F de rente annuelle et perpétuelle, exempte de laretenue d’imposition. La rente est remboursable en un versement de 30 000 F enune ou plusieurs fois mais au-dessus de 10 000 F, «payé en espèces d’or ou d’argentnonobstant toute Loi ou Ordonnance qui pourrait autoriser la circulation de papiermonnaie».

Périac meurt en 1839; sa fille, Marie-Thérèse veuve Goujon, hérite. Elle décède en1860.

La société civile immobilière du 228 rue du Faubourg-Saint-Honoré, constituée enl’étude de Maître Cottin le 29 novembre 1910 par madame de Rothschild, M.Schneider et M. Henri Bloch, achète le 228 d’une superficie de 876 m2.

En 1916, la société, après modification du capital, prend le nom de Société civiledes immeubles du faubourg Saint-Honoré 226-228. En 1922, Les parts de la baronnede Rothschild sont cédées à des amis des pères dominicains en même temps quecelles de la société des immeubles voisins.

La maison Rohault de Fleury

Houdon avait donc vendu le 76 (actuel 228) et une mai-son attenante et demeurait encore propriétaire d’une partiedu 74 qu’il vendra à Charles Gabriel Jean Boutin, le 14 juin1822 pour 26 000 F. Boutin demeure 17, avenue de Clichy.Il décède le 18 février 1841 et a, pour héritiers, ses neveuxet nièces qui vendent au Tribunal.

L’adjudication est faite au profit de Louis Eustache Audot,demeurant 8, rue du Paon, à Paris. Le 4 septembre 1846,Audot vend à Charles Rohault de Fleury, architecte, cheva-lier de la Légion d’honneur, demeurant à Paris au 18, rueMatignon.

Rohault de Fleury (1801-1875), polytechnicien, élève deLebas à l’école des Beaux-Arts, architecte des bâtimentscivils, est l’auteur au Muséum, des galeries de minéralogie,du palais des singes et des serres. Il restaure l’Opéra de la

rue Le Peletier, construit la Chambre des notaires, l’hôtel du Louvre et les immeu-bles proches, rue de Rivoli et, dans le secteur de l’acquisition, il sera co-auteur, avecHittorf, des hôtels autour de la place de l’Étoile (1854). Il faisait là un placement,comme pour le terrain acheté le 2 septembre 1846, 12 ares 35 entre la rue de laCroix-du-Roule et le chemin de Ronde. En 1869, Rohault de Fleury a sous ses ordresun jeune inspecteur, Théodore Labrouste, grand Prix de Rome, qui construit nouvellechapelle des morts de l’hôpital Beaujon.

L’acquisition de Rohault de Fleury, 74 rue du Faubourg du-Roule, d’une contenancede 2314 m2, pour le prix de 82 000 francs, consiste en «une maison dont

Les Dominicains du Faubourg Saint-Honoré

10

Ingres : Mme Rohault de Fleury

Page 11: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

l’emplacement est de forme très prolongée et fait hache sur la propriété voisine àgauche. Entrée par porte cochère, corps de logis sur toute la longueur de la face surrue, bâtiments en aile à gauche, une cour, un bâtiment parallèle à celui sur rue, et aufond un jardin. Les bâtiments sur rue sont élevés de rez-de-chaussée, un étage carréet second lambrissé; celui en aile, comporte un grenier au second étage; le bâtimentsur cour et jardin est bâti sur terre-plein, de rez-de-chaussée, un étage carré et secondlambrissé. Le jardin comprend une serre vitrée, un kiosque vitré, une madone, un petitréservoir alimenté en eau de la ville. Elle tient à la rue vers le midi, et par hache, aucouchant, à Goujon; vers le levant à Lamare et vers le nord à de Vaufreland».

Le 28 juillet 1878, Rohault de Fleury fils vend la propriété à Marie-EugénieLavalée, épouse Jobert, qui décède le 20 mars 1894. Ses héritiers revendront le 28mai 1895 à la Société Anonyme des Prédicateurs qui a déjà acheté en 1874, auxhéritiers Lamare, la propriété située à l’est, c’est-à-dire les actuels nos 222 et 224de la rue.

Des Lamare aux Dominicains

Nous avons vu comment les Lamare étaient propriétaires des numéros 222 à 228rue du Faubourg-Saint-Honoré, composés d’une série de maisons sur rue, avecboutiques, de bâtiments dans les cours et de maisons entre cours et jardins; cesderniers de grande étendue jusqu’à la rue de Courcelles. En 1787, nous venons dele voir, les Lamare avaient amputé leur propriété au profit de Houdon, mais étaientdemeurés dans un domaine dont l’inventaire, après le décès d’Adrien AntoineFrançois Lamare, donne la composition suivante:

1. Deux corps de bâtiments, doubles en profondeur, élevés sur caves, rez-de-chaussée, premier étage carré et second lambrissé donnant sur rue au 222 et 224.

2. Entre ces deux bâtiments, autre corps de logis séparant les deux précédents etreliant les deux autres, parallèles aux premiers.

3. Un grand jardin donnant sur la rue de Courcelles, séparé en deux parties parun mur et renfermant une serre, deux pavillons, l’un au milieu, l’autre à l’extrémitédu jardin. La maison n’est pas décrite, mais la prisée du mobilier permet de comp-ter au rez-de-chaussée une salle à manger et la cuisine; au premier étage, un salonet arrière-salon, un bureau-bibliothèque, un cabinet, une chambre avec anticham-bre, cabinet et alcôve, etc.

Adrien François Lamare, avocat à la cour Impériale, décède le 19 mars 1856.L’inventaire, dressé le 29 avril 1856 par Maître Yver, montre une grosse fortune fon-cière avec des biens au Roule, aux Ternes, à Neuilly, Levallois, Clichy et Saint-Denis.

Il laisse pour héritière, sa fille adoptive, Laurence, Honorine Montargon-Lamare,épouse de Jean-Auguste Borye des Renaudes, inspecteur des Postes à Paris. Lesépoux auront deux enfants: Jenny, Marie Borye des Renaudes épouse AgnanDesmont, notaire à Paris et Adrien Borye des Renaudes. Après la mort de leur mère,le 12 juillet 1864, le partage par moitié sera fait par Maître Ducloux le 23 juin 1870.

Le fils prend la partie donnant sur la rue de Courcelles et madame Desmont, cellesur la rue du Faubourg-Saint-Honoré pour une surface de 3 595 m2. Elle vendra le28 octobre 1874, devant Maître Tollu, à la Société des Prédicateurs, rue Jean deBeauvais, représentée par le père Bernard Chocarne O.P. (1826-1895).Cette acqui-sition est le point de départ de l’installation de la Congrégation des Dominicains dansle quartier du Roule où les pères ont implanté leur église de l’Annonciation en mêmetemps qu’un foyer de rayonnement spirituel et culturel. Les pères s’installent

Paris mon Village

11

Page 12: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

rapidement dans l’hôtel et convertissent la bibliothèque en chapelle, en attendantcelle inaugurée en 1878 et qui existe toujours.

En 1880, le décret de Jules Ferry entraîne la dispersion des pères comme «famillereligieuse non autorisée». L’église, d’abord mise sous scellés, est rouverte maisinterdite de culte et est convertie en salle de concerts, de conférences, de réunions.Citons les concerts de Gigout organisés par la société nationale de Musique. Lecomité Albert le Grand, présidé par le comte de Mackau, organise des conférences;rappelons celle donnée sur le Concordat, le 27 mars 1885, par Émile Ollivier, acadé-micien et ancien ministre des Cultes du second Empire ainsi que les fêtes de charité,préludes de celle de la rue Jean-Goujon.

Pendant cette période difficile, la société civile avait dû se défaire de son bien etune société anonyme lui succéda.

En 1886, les frères peuvent rouvrir leur église, l’aménager, la décorer et en 1896,l’hôtel des Renaudes est agrandi.

La loi du 1er juillet 1901, article 7, expulse les congrégations non autorisées (lademande faite a été refusée); les biens sont confisqués et vendus à la barre duTribunal.

Deux sociétés civiles immobilières, dans lesquelles madame Salomon deRothschild a des parts, acquièrent les biens le 15 décembre 1909 et le 29 novembre1910.

Lors de cette vente, Arthur Veil-Picard acquérait 2 863 m2 de terrain jouxtant sapropriété du 63 rue de Courcelles. Intention était prétée à madame de Rothschild devouloir lotir le terrain; la guerre de 1914-1918 ne le lui permit pas.

A son décès, en 1922, des amis des Dominicains rachetèrent les parts de lasuccession. Les porteurs de parts des deux sociétés firent cesser l’imbricationparcellaire; les rectifications permirent aux pères dominicains d’aménager leurcouvent, afin qu’il réponde à l’hébergement de nombreux prêcheurs ou étudiants, àune vie de travail, de prière et d’action missionnaire. Ainsi, en 1922, la moitié de lapropriété des Bilbaut se trouve réunie dans des sociétés à influence dominicaine.

L’église Lorsque les pères dominicains arrivent en 1874 au faubourg Saint-Honoré, celui-

ci n’a pas encore le caractère luxueux et élégant que nous lui connaissons. C’estencore un quartier artisanal, fixé le long d’une voie ancienne de sortie vers l’ouestde la capitale, voie au bord de laquelle sont construites des maisons avec boutiques,cours, arrière-cours et, en retrait, quelques maisons avec jardin, arbres, potager etverger.

Il y a peu de temps, il existaitencore, au n° 85 la fonderie duRoule et, du côté pair, au n° 80(actuel n° 232), un abattoir deporcs appartenant à Périac. C’estdans l’ensemble un quartier encoredémuni et en pleine mutation, dueaux percées de voies nouvelles.

C’est dans ce contexte que lesDominicains s’installent dans l’hôtelBorye des Renaudes; ils convertis-

sent la bibliothèque en chapelle.

Les Dominicains du Faubourg Saint-Honoré

12

L’ancien faubourg du Roule devenu faubourg Saint Honoré

Page 13: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

Leur prédication est suivie avec ferveur par un auditoirede plus en plus nombreux. Construire une église dignede la communauté s’impose. L’espace choisi est dans lacour car l’église conventuelle ne doit pas avoir de façadesur la rue afin de ne pas nuire aux paroisses voisines.L’architecte Marbeau est chargé d’établir les plans et desuivre les travaux. La première pierre est posée le 16août 1876 et l’inauguration a lieu le 18 octobre 1877; lepère Chocarne étant le prieur. L’édifice a conservé sonaspect d’origine. C’est une église de belles dimensions(environ 50 m par 20 m) de style néo-roman. Sur lafaçade ouvre le porche flanqué de trois colonnettes élan-cées avec des chapiteaux feuillus. Une corniche tréfléesupporte un double arc voûté à claveaux avec un tym-pan non décoré. De part et d’autre, deux fenêtres gémi-nées. Au-dessus, la rosace orne le pignon. A l’autreextrémité, le chevet en hémicycle est agrémenté par leprolongement de la corniche, un bandeau ornée de petites arcatures lombardes ettrois lésènes. Deux gravures nous montrent façade et chevet peu après l’achève-ment de la construction.

A l’intérieur, une nef de six travées avec colonnes et chapiteaux est terminée parun chœur en hémicycle. Sur la droite, entre les travées, sont installées cinq petiteschapelles. Sur la gauche, une nef étroite est terminée par la chapelle du Rosaire. Surles piliers, composés de trois colonnes, reposent les arcs romans à claveaux en bri-que et pierre. Au-dessus, court tout autour de l’édifice une frise tréflée surmontéed’une corniche qui supporte les retombées des voûtes nervurées entre lesquellessont situées les fenêtres hautes. L’abside est surmontée d’une demi-coupole. Enentrant dans l’église, on est frappé par le grand Christ «pantocrator» qui orne la cou-pole en hémicycle au-dessus du chœur. Le Christ, les bras écartés, les mains ouver-tes reçoit les rayons émis par une colombe. C’est une toile marouflée, œuvre dupeintre James Tissot; le style est très nazaréen.

James Tissot* (1836-1902), élève de Flandrin est d’abord connu comme peintremondain par ses études féminines. Après la guerre de1870, où il eut une belle conduite, il s’installe enAngleterre et étudie la gravure. Converti par le pèreSertillanges, il abandonne brusquement les sujets quiavaient fait sa renommée et se consacre à l’illustrationde la vie du Christ.

Après un voyage en Terre sainte, il travailla pendantdix ans et produisit trois cent cinquante aquarellespour un ouvrage intitulé «La vie de notre SeigneurJésus-Christ» connu sous le nom de «Bible de Tissot».Il travaillait à un «Ancien Testament» quand il mourutdans un monastère (14). L’inauguration des toiles pourles Dominicains eut lieu le 3 décembre 1897, et futl’occasion d’une cérémonie magnifique : le pèreSertillanges prononça une allocution sur l’art sacré etl’art profane, Widor tenait l’orgue, Faure et Legrainchantèrent le «Crucifix». La presse, L’illustration entête, en fit un éloge dithyrambique. Sous le Christ,

Paris mon Village

13

FSH n° 232 (ancien abattoir Périac)

James Tissot par Degas

Page 14: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

autour du chœur, dans neuf alvéoles, des arbus-tes sont peints représentant la vigne, le chêne, lerosier, le lierre, le saule, le laurier, la fougère, lefraisier et la renoncule, plantes symboliques duMoyen Age dont parlera Huysmans dans laCathédrale parue en 1906. Dès 1879, un grandorgue, œuvre du facteur Mercklin, avait été ins-tallé comme instrument indispensable à la beautédes offices. Le décor du buffet sera complétéquinze ans plus tard. Parmi les chapelles, signa-lons celle du Rosaire dans la nef latérale. Une bro-derie, offerte par la princesse de Beauvau et lafamille Haecken, représentant un rosier en fleurstapisse le fond. Au-dessus de l’autel, le groupesculpté, œuvre du sculpteur Fournier, représentela Vierge et l’Enfant apparaissant sur un nuage etremettant le Rosaire à saint Dominique. Dans lachapelle du Sacré-Cœur, une plaque commémora-tive est consacrée à la duchesse d’Alençon quipérit avec sept autres dames tertiaires dans l’in-cendie du Bazar de la Charité.

Après le retour desDominicains, en 1922, la cha-pelle du saint patron est meu-blée et décorée. Sur le mur,remarquons un SaintDominique enseigné par le

Christ souffrant, d’une force expressive extraordinaire, œuvre dupère Couturier.

En 1924, pour le centenaire de la canonisation de saintThomas d’Aquin par Jean XXII, en Avignon, une chapelle lui estdédiée. Le décor est dû au sculpteur Sarrabezolles et au peintre Marcel-HyacintheImbs. Des anges adorateursen habit dominicain ont levisage des pères morts sur leschamps de bataille pendant laGrande Guerre.

Vers 1960, l’émission télé-visée commande la moderni-sation du sanctuaire: pourune meilleure vision du public,les grilles et tentures sontsupprimées, les anciensautels et la chaire enlevés etremplacés par un grand auteltrès dégagé et par des pupi-tres pour l’annonce de laParole. En même temps,l’église est pourvue d’appa-reils de sonorisation.

Les Dominicains du Faubourg Saint-Honoré

14

James Tissot : L’Annonciation

James Tissot : Invitation au Bal

Père Marie-Alain Couturier

Page 15: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

Les bâtiments conventuels et les immeubles sur rue

En 1897 et 1899, les pères ont agrandi l’hôtel Borye des Renaudes et la bibliothè-que. Après le retour, en 1922, le couvent va s’organiser peu à peu. Les sociétésimmobilières ont fait cesser l’imbrication du sol. Le couvent peut s’agrandir et répon-dre aux fonctions de la congrégation. Il comprend l’église que nous connaissons, endessous, les anciens réfectoires transformés en crypte, une belle bibliothèque aurez-de-chaussée, une salle de réfectoire, une quarantaine de chambres pour lespères et les hôtes de passage. Du cloître fleuri, comme ceux de Saint-François, etentouré d’une galerie, émane une atmosphère de paix et de beauté propre à lacontemplation.

Des anciens immeubles, comprenant des boutiques sur rue et porche au rez-de-chaussée, un étage de chambre et un second lambrissé, il ne reste que le 228rehaussé; les autres, vétustes ont été démolis et reconstruits: le 226 dans lesannées 1928-1930 par l’architecte Rey. De 1967 à 1969, l’architecte Abro Kadjianconstruit aux 222-224 dans un style froid et rectiligne un immeuble fonctionnel des-tiné à des bureaux et des services administratifs. Au rez-de-chaussée s’ouvre entredes boutiques, une large porte par laquelle on accède à la cour d’entrée de l’égliseet au couvent de l’Annonciation.

Le rayonnement des Dominicains dans le quartier

Les Dominicains marquent par leur présence et le rayonnement de leur pensée cesecteur de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Fondée comme ordre prêcheur, laParole est toujours en tête de leur action.

Rappelons qu’en 1874, lors de l’installa-tion de la communauté au Roule, l’Ordrevenait d’être restauré en France par le pèreLacordaire (décédé en 1861), dont l’élo-quence caractérisée par «l’ampleur, lelyrisme, l’apologétique de la Foi chrétienne,l’histoire, la philosophie, la grandeur del’Homme et l’amour de la Liberté», sera lemodèle pour ses successeurs pendant plu-sieurs décennies. Leurs prédications ren-contrent un grand succès; ils ont construitune église au 222, mais ils ne s’en tiennentpas là et vont prêcher dans les paroissesparisiennes le Carême, l’Avent, le Rosaire...ils sont demandés en province et à l’étran-ger.

Après l’époque des Lumières et laRévolution, les Dominicains diffusent lapensée de l’Église en particulier dans sadoctrine sociale.

Le 222, très rapidement après sa fonda-tion, est devenu la résidence du Père pro-

Paris mon Village

15

Chevet de l’église (fin XIXe siècle)

Page 16: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

vincial et l’est encore. Parmi les pères, nous avons cité le fondateur, le pèreChocarne, mais le plus connu est certainement le père Sertillanges (1863-1948);c’est un grand prédicateur, un professeur à l’Institut catholique où il sera chargé dela Chaire de philosophie morale de 1900 à 1922; c’est aussi un grand écrivain quitraitera de l’art et la Morale, de l’art et l’apologétique, le directeur et l’administrateurde la Revue biblique. Il a marqué la pensée religieuse de son temps et est de ceuxdont on garde la mémoire. Le père Antonin-Dalmace Sertillanges a été prieur du 222en 1893, et est venu y terminer sa vie à partir de 1942.

Citons encore le père Henri Didon qui fut envoyé à la Corbara, austère et solitairecouvent de Corse, pour éviter que ne se développe le scandale né de ses virulentesprédications de l’Avent en l’église Saint-Philippe du Roule puis de ses prédications deCarême à l’église de la Trinité. Orateur fougueux et de grandtalent, il n’hésitait pas s’attaquer à des sujets d’actualité, àfustiger en chaire des projets de lois contraires à ses convic-tions.

Quant au père Janvier (1860-1939)prédicateur du Carêmede Notre-Dame de 1903 à 1924, il eut une influence énormesur les milieux intellectuels en restaurant la «Fraternité duTiers-Ordre des Hommes» qui s’enrichit peu à peu de RobertVallery-Radot, Georges Desvallières, Maurice Denis, HenriGhéon... et comme aumônier de nombreux groupes:Association des catholiques des Beaux-Arts, de la Corporationdes publicistes chrétiens. Fondateur en 1918, avec RenéBazin, des «Nouvelles religieuses», il eut, parmi les rédac-teurs, un jeune étudiant, Henri Beuve-Méry qui devint fondateur et directeur duMonde.

Le père Raymond-Léopold Bruckberger (1907-1998), l’enfant terrible et génial dela congrégation, dominicain atypique mais fidèle à sa foi, anarchiste et académicien,écrivain, cinéaste et grand pécheur demeura ici jusqu’à la fin de ses jours.

Bien d’autres noms devraient être cités mais un volume entier serait nécessaire.Énumérons quelques-unes de leurs publications: (Œuvre de la brochure à l’Église,

“Sept”... sans oublier l’Année dominicaine source précieusede l’activité de l’Ordre pour les historiens.

Toujours à l’avant-garde de techniques modernes, ilscréeront, les premiers au monde en 1955-1960, la messetélévisée du dimanche dans leur église de l’Annonciation: lesilence et le recueillement qui y régnaient se prêtaientparticulièrement à cette retransmission.

Munis de diplômes, ils enseignent, sont médecins ouavocats des pauvres, aumôniers d’étudiants et denombreux groupes.

Il règne au couvent de l’Annonciation un grand silence etune atmosphère de paix propices aux grandes œuvres quis’y préparent sans effets d’annonce, mais d’autant plusriches et efficaces qu’elles ne participent pas à l’agitation

du siècle et ne sont pas tributaires d’une obligation de résultat immédiate.

Source : ANDIA (Béatrice de) et FERNANDÈS (Dominique) : Rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris et son Patrimoine,

Édition de la Délégation artistique de la ville de Paris, 1994.

Les Dominicains du Faubourg Saint-Honoré

16

Le père Bruckberger

Le père Didon

Page 17: LES DOMINICAINS DE SAINT-HONORÉ par Michel Gasnier O.P

Paris Mon VillageBonnes adresses :

Paris mon Village

17

Réunion de famille des frères du Monastère dominicain de Corbara en Corse où figurent plusieurs pères de l’Annonciation