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Ce cahier est réalisé avec les équipes Irstea Antony et Rennes participant au thème de recherche SPEE (Structure procédés écoulement énergie). Afin de mieux affirmer ses missions, le Cemagref devient Irstea. www.irstea.fr Dans le monde, 33 millions de meubles de vente assurent la continuité de la chaîne du froid dans la grande distribution. © JIMJAG - FOTOLIA.COM À basses températures, la recherche s’active D ifficile de se passer du froid aujourd’hui : 60 % des produits ali- mentaires consommés quotidiennement en France ont besoin des basses températures pour éviter les contaminations microbiennes et garantir leur bonne conservation. Qu’il s’agisse des domaines alimen- taire ou pharmaceutique, avec, par exemple, le transport de médicaments ou de vaccins, les technologies du froid com- portent des enjeux exigeants : elles doivent non seulement garantir la sécurité sanitaire à chaque maillon de la chaîne, de la production à la consomma- tion, mais aussi répondre effica- cement aux défis environne- mentaux et énergétiques. Aussi tous les secteurs économiques qui utilisent la réfrigération ou la congélation sont-ils à l’affût de solutions innovantes dans ce domaine. Irstea mène, depuis près de soixante ans, des recherches sur cette thématique pour lesquel- les il bénéficie aujourd’hui d’une reconnaissance internationale. Ces travaux mobilisent des scientifiques de plusieurs disci- plines – thermiciens, énergéti- ciens, physiciens, etc. – répartis sur deux pôles. À Antony, l’unité de recherche Génie des procé- dés frigorifiques (GPAN) étudie la chaîne du froid alimentaire, le fonctionnement des équipe- ments frigorifiques et conçoit de nouveaux systèmes, à la fois ef- ficaces énergétiquement et res- pectueux de l’environnement. À Rennes, l’équipe Aéraulique et contrôle des atmosphères tur- bulentes (ACTA) améliore la maîtrise des ambiances : com- ment éviter que l’air pollué ne contamine l’air ultrapropre soufflé au-dessus des chaînes de production dans les industries agroalimentaires ? ALIMENTATION : GARANTIR   LA SéCURITé ET LA QUALITé  Le poids des différents enjeux, à commencer par celui de la sûre- té alimentaire, nécessite une connaissance pointue de tous les éléments qui fabriquent et uti- Le froid est aujourd’hui au cœur d’un triple enjeu : garantir la sûreté alimentaire, réduire la consommation énergétique et les impacts environnemen- taux. Pour y répondre, les chercheurs d’Irstea misent sur l’amélioration des procédés et l’innovation. Irstea : RECHERCHE, SCIENCES ET TECHNOLOGIES pour l’environnement LES éCOTECHNOLOGIES DU FROID La Recherche / Irstea / N°469 / Novembre 2012 35

Les écotechnologies du froid

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n°5 - novembre 2012

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Page 1: Les écotechnologies du froid

Ce cahier est réalisé avec les équipes Irstea Antony et Rennes participant au thème de recherche SPEE (Structure procédés écoulement énergie).

Afin de mieux affirmer ses missions, le Cemagref devient Irstea. www.irstea.fr

Dans le monde, 33 millions de meubles de vente assurent la continuité de la chaîne du froid dans la grande distribution.© JimJag - Fotolia.com

À basses températures, la recherche s’active

Difficile de se passer du froid aujourd’hui : 60 % des produits ali-mentaires consommés

quotidiennement en France ont besoin des basses températures pour éviter les contaminations microbiennes et garantir leur bonne conser vation. Qu’il s’agisse des domaines alimen-

taire ou pharmaceutique, avec, par exemple, le transport de médicaments ou de vaccins, les technologies du froid com-portent des enjeux exigeants : elles doivent non seulement garantir la sécurité sanitaire à chaque maillon de la chaîne, de la production à la consomma-tion, mais aussi répondre effica-cement aux défis environne-mentaux et énergétiques. Aussi tous les secteurs économiques qui utilisent la réfrigération ou la congélation sont-ils à l’affût de solutions innovantes dans ce domaine.Irstea mène, depuis près de soixante ans, des recherches sur cette thématique pour lesquel-les il bénéficie aujourd’hui d’une reconnaissance internationale. Ces travaux mobilisent des scientifiques de plusieurs disci-plines – thermiciens, énergéti-ciens, physiciens, etc. – répartis

sur deux pôles. À Antony, l’unité de recherche Génie des procé-dés frigorifiques (GPAN) étudie la chaîne du froid alimentaire, le fonctionnement des équipe-ments frigorifiques et conçoit de nouveaux systèmes, à la fois ef-ficaces énergétiquement et res-pectueux de l’environnement. À Rennes, l’équipe Aéraulique et contrôle des atmosphères tur-bulentes (ACTA) améliore la maîtrise des ambiances : com-ment éviter que l’air pollué ne contamine l’air ultrapropre soufflé au-dessus des chaînes de production dans les industries agroalimentaires ?

AlimentAtion : gArAntir  lA sécurité et lA quAlité Le poids des différents enjeux, à commencer par celui de la sûre-té alimentaire, nécessite une con nais sance pointue de tous les éléments qui fabriquent et uti-

Le froid est aujourd’hui au cœur d’un triple enjeu : garantir la sûreté alimentaire, réduire la consommation énergétique et les impacts environnemen-taux. Pour y répondre, les chercheurs d’Irstea misent sur l’amélioration des procédés et l’innovation.

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La Recherche / Irstea / n°469 / novembre 2012 35

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performantes et neutres vis-à-vis de l’environnement.

limiter les fluides  et l’énergie consommésUne autre piste est explorée pour réduire la masse de fluides utili-sée. Pour cela, les chercheurs travaillent sur des échangeurs de chaleur à microcanaux de 1 mm de diamètre – les échangeurs classiques dans les machines mesurent autour de 1 cm de dia-mètre. Des résultats expérimen-taux ont déjà montré qu’il était possible de réduire par dix la masse de fluides frigorigènes sur une machine frigorifique clas-sique de 10 kW tout en gagnant, dans certaines conditions, 20 % de consommation électrique.Sur ce dernier point, les scienti-fiques réfléchissent à d’autres gains à réaliser avec un meilleur contrôle des machines générant le froid, à l’aide de modèles ma-thématiques. Le stockage du froid serait une autre solution

pour faire face aux pics de consommation électrique, ou encore le réfrigérateur à haute inertie thermique. Grâce à l’utili-sation des matériaux à change-ment de phase, capables d’em-magasiner le froid, l’appareil ne démarre pas plusieurs fois par jour et reste performant. Le compteur électrique tourne, de fait, un peu moins vite.

lisent le froid. « Du camion frigo-rifique au réfrigérateur domes-tique, en passant par les meubles de vente des supermarchés, nous savons modéliser chaque maillon de la chaîne du froid », explique Laurence Fournaison, directrice de recherche à l’unité GPAN. Les scientifiques étudient l’environ-nement dans lequel évoluent les produits frais au sein des appa-

reils frigorifiques et leurs profils thermiques le long de la chaîne du froid. L’un des principaux pa-ramètres est la température, fac-teur clé de la prolifération micro-bienne. Le couplage de ces don-nées avec les modèles de micro-biologie prévisionnelle dévelop-pés par l’Anses (Agence natio-nale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environne-ment et du travail) notamment, apporte une meilleure compré-hension des phénomènes de dé-veloppement bactérien.Comme l’air peut être égale-ment une source de contamina-tion, la maîtrise des atmos-phères représente un enjeu im-portant dans les ateliers de fa-brication de produits alimen-taires, où il n’existe pas forcé-ment de barrières solides qui séparent la ligne de production du reste de l’atelier. « Pour obte-nir des rideaux d’air stables, nous analysons les écoulements turbu-lents d’air, à basse vitesse, en si-tuation de cisaillement libre et avec transport de polluants parti-culaires et de chaleur, précise Georges Arroyo, responsable de l’équipe ACTA. Cette recherche fondamentale, menée en collabo-

ration avec des laboratoires de mécanique des f luides, est tou-jours orientée vers l’innovation. »Pour ses études expérimentales, Irstea à Rennes s’est équipé non seulement d’outils numériques qui simulent les interactions entre flux d’air, mais aussi d’une soufflerie, unique en Europe, de 20 m de long, 8 m de large et 5 m de haut. Grâce à cette plate-forme, les scientifiques me-surent le comportement d’une frontière aéraulique entre deux masses d’air dont la vitesse et la température sont maîtrisées sé-parément, tout en prenant en compte les turbulences pro-duites par un obstacle. De ces recherches est né un projet en passe d’être appliqué à l’indus-trie alimentaire : Froiloc (voir encadré page 37).

des recherches pionnières sur les coulisEn plus de la sécurité alimen-taire, les scientifiques doivent trouver des solutions qui s’adap-tent aux réglementations envi-ronnementales. Depuis les an-nées 1970, le secteur du froid a été montré du doigt en raison de son rôle dans le réchauffe-ment climatique. Des gaz à effet de serre, les chloro-fluoro-car-bones (CFC) entraient très sou-vent dans la composition des fluides frigorigènes. Or, les CFC ont été interdits en 2001. Cette nouvelle réglementation a né-cessité la mise au point de pro-duits au moins aussi perfor-mants et surtout plus neutres pour l’environnement. Juste-ment, l’équipe de Laurence Four-naison travaille depuis les an-nées 1990 sur le sujet. Alors que les fluides frigorigènes sont pré-sents dans la majeure partie des installations en France, Irstea propose une alternative avec la mise au point de fluides frigopor-teurs. À l’inverse des fluides fri-gorigènes, qui fabriquent du

froid en s’évaporant sous cer-taines conditions de tempéra-ture et de pression, les fluides frigoporteurs produisent du froid indirect. Ce sont par exemple des coulis de glace composés de microcristaux de glace en suspension dans une solution aqueuse. « La production du froid est confinée en salle des machines puis transportée jusqu’aux meubles de vente des supermarchés, explique Laurence Fournaison. Il est donc très impor-tant de caractériser l’écoulement de ces coulis de glace et leurs trans-ferts thermiques en fonction de la quantité de cristaux de glace qu’ils contiennent. L’objectif est d’ac-croître leur efficacité énergétique et de mieux maîtriser les fuites de fluides. » Cette équipe a été pion-nière dans la conception d’un nouveau type de coulis : les coulis d’hydrates de gaz, c’est-à-dire des structures cristallines d’eau contenant des molécules de gaz, aux propriétés thermophysiques

Installé en Anjou, le groupe Cesbron fournit du froid aux

secteurs industriel et commercial. Notre département R & D a travaillé avec les chercheurs d’Irstea sur le projet Froiloc, dont des développements ont été financés par la région Bretagne, puis l’ANR (Agence nationale de la recherche). Nous collaborons pour exploiter le brevet et l’adapter au monde industriel. Froiloc a d’abord été testé sur un site de fabrication de plats cuisinés. Nous sommes en phase d’étude pour l’équipement d’ateliers dans d’autres secteurs. Le produit, conçu sur mesure, répond à la fois à une attente sanitaire, en répondant aux normes existantes et à une demande sociétale, puisque les personnels pourront travailler dans des entrepôts à température ambiante grâce à cette technologie. Avec les chercheurs, le dialogue a été permanent pour trouver des solutions adaptées. Ils savent concilier la simplicité du pragmatisme et une expertise de haut niveau.”

témoIgnAgE

christian rabin,  directeur R & D chez Cesbron © dr

“froiloc : l’Air domestiqué Pari réussi et brevet déposé pour Froiloc : les chercheurs d’Irstea et du pôle Cristal de Dinan qui ont travaillé entre 2006 et 2008 sur ce projet sont parvenus à séparer l’ambiance tempérée d’un atelier de l’environnement froid et ultrapropre réglementaire d’une ligne de production agroalimentaire. Un système de diffusion souffle à la verticale de l’air filtré à 2° C juste au-dessus de la ligne de production, ce qui génère une zone froide de conditionnement des aliments à 1° C tandis que les opérateurs travaillent dans une ambiance à 16° C. Pour ces personnels souvent touchés par des troubles musculo-squelettiques dans des conditions de froid prolongé, cette solution représente un nouveau confort. Autre avantage : la technologie, qui recycle 75 à 80 % du froid, entraîne dans son ensemble une forte réduction de la consommation d’énergie, qui pourrait être diminuée de moitié par rapport à un atelier entièrement froid.

Sur cette ligne de production, seules les mains de l’opérateur sont exposées à une température basse. Le reste de l’atelier se trouve dans une ambiance tempérée. © dr

La soufflerie installée dans le pôle Irstea de Rennes est un équipement expérimental unique qui sert

à étudier la maîtrise des ambiances dans l’industrie alimentaire. © irstea

1 milliard de réfrigérateurs domestiques sont utilisés dans le monde.

15 % de l’électricité mondiale est consommée par le froid.

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Pourquoi Bonduelle est-il partenaire du projet Frisbee ?

Notre département Recherche et Développement est ouvert à des coo-pérations avec la recherche publique et des sociétés privées. Nous avions déjà travaillé avec Irstea sur des as-pects de recherche appliquée. L’Ins-titut nous a proposé ce partenariat en nous expliquant que nous aurions un rôle à jouer.

Quels aspects vous intéressent ?

Nous avons besoin du froid industriel pour la surgélation. Afin de fabriquer des produits de qualité tout en garan-tissant la sécurité alimentaire, nous utilisons aujourd’hui des outils conventionnels. Notre projet Usine sobre essaie de développer l’effica-cité énergétique. Mais nous voulons faire preuve d’audace en développant des technologies de rupture pour être encore plus efficaces demain. Nous sommes donc ouverts à toutes les initiatives.

Comment participez-vous au projet ?

Nous avons fourni des données pour alimenter les outils de collecte qu’ils avaient construits, notamment sur la logistique, le stockage et nos pra-tiques de conduite d’installation du froid. Lorsque le projet sera en phase d’application, nous pourrons héberger des prototypes, des concepts ou des outils pilotes pour voir leur adéqua-tion industrielle, ce qui se fera dans deux ans.

frAnçois letissier,  directeur R & D chez Bonduelle © dr

3 quEStIonS à

Lorsque la Commission européenne a cherché des référents pour inven-

ter le froid de demain, tout aussi sûr et moins gourmand en énergie, Irstea a pu mettre en valeur ses travaux au long cours. Ses recherches sur les alterna-tives aux fluides frigorigènes et ses enquêtes socio-économiques sur la chaîne du froid ont pu être mises en valeur dans le projet européen Frisbee, qu’il pilote. Pendant quatre ans, 26 partenaires (13 industriels, 11 centres de recherche, 2 ONG) étu-dient ensemble les possibilités d’amé-lioration et d’innovation au niveau de chaque maillon. « 8 % de la consomma-tion énergétique mondiale et 2,5 % des émissions de gaz à effet de serre sont liés au froid alimentaire, rappelle Graciela Alvarez, chercheuse au au centre Irstea d’Antony et coordinatrice du projet. En proposant des technologies en rupture avec les technologies conventionnelles, nous voulons réduire cette consomma-tion. » Première étape : mieux connaître la chaîne du froid et son utilisation. Une base de données européenne a été

élaborée à partir de contributions d’in-dustriels et de consommateurs (voir le site www.frisbee-project.eu). Par ail-leurs, une enquête « fraîcheur » va être menée en Grèce, en Angleterre, en Belgique et en France à l’aide de cap-teurs installés dans du jambon cuit emballé. Des anthropologues et des sociologues analysent également les comportements des consommateurs et leurs réactions face à l’innovation. Car côté nouvelles technologies, le projet Frisbee n’est pas en reste : un logiciel, QAEET (pour Quality Assessment Ener-gy Environment Tool) a été développé pour estimer l’évolution de la qualité d’un produit en prenant en compte l’impact environnemental et énergé-tique. Un brevet a été déposé sur l’intro-duction de matériaux à changement de phase capables de stocker du froid. Enfin, les scientifiques du projet tra-vaillent sur une technologie totalement innovante : la réfrigération magnétique, à base de matériaux dont la tempéra-ture change lorsqu’ils sont soumis à un champ magnétique.

Irstea, Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture Comité éditorial : Direction scientifique, Direction de la communication-relations publiques Irstea Rédaction : Myriam Détruy Conception graphique et réalisation : A noir,

depuis 2010, le projet européen frisbee s’intéresse aux modes de consommation et aux technologies du froid, afin d’améliorer chaque maillon de cette chaîne de conservation.

L’Europe veut optimiser la chaîne du froid

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