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Les enjeux de la circonscription de la théorie des facilités essentielles La théorie des facilités essentielles est apparue pour la première fois dans le droit anti-trust américain avec un arrêt de la Cour Suprême de 1912 « United States c/ Terminal Railroad Association ». Les conditions qui ont été retenues à ce moment pour ouvrir la voie à la théorie des facilités essentielles ont largement inspiré la jurisprudence européenne à ce sujet. La théorie des facilités essentielles s’appuie sur l’idée que le détenteur d’une ressource doit obligatoirement rendre celle-ci disponible pour ses concurrents lorsque cet accès est indispensable à l’exercice de leur activité, sous peine d’abuser de sa position dominante et de se trouver en infraction avec les articles 102 al. 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne ainsi qu’avec l’article L420-2 du Code de commerce. La théorie des facilités essentielles se positionne comme une variante de l’abus de structure. Elle est née de la volonté de protéger la libre concurrence de la situation nécessairement favorable des anciens monopoles publics et joue notamment un rôle de palliatif pour les cas dans lesquels l’Etat n’a pas mis en place de système de contrôle ex ante du droit d’accès des compétiteurs (ce qui fut le cas de la loi Nome qui a libéralisé le secteur de l’énergie et imposé à EDF de mettre à disposition une portion du parc nucléaire français). Sont concernées de nombreuses infrastructures : des infrastructures physiques, « en dur » tel que des stades, des ponts, des ports, mais aussi des services ainsi même que les droits de propriété intellectuelle (depuis l’arrêt Volvo : CJCE, 5 oct. 1988, aff. 238/87, Volvo c/ Veng : Rec. CJCE 1988, p.6211 rendu aux termes d’un vif débat). En 2004, la théorie des facilités essentielles s’est même étendue à l’exercice de droit d’auteur explicitement affirmée par l’arrêt CJCE, 29 avr. 2004, aff. C-418/01, IMS Health. Au plan des sanctions ou de ses conséquences, la théorie des facilités essentielles permet de remettre en cause le principe de liberté contractuelle du monopoliste (choix du cocontractant, liberté de ne pas contracter). En effet il peut lui être mis à charge une obligation de donner accès, soit une obligation de contracter, une obligation de faire (moyennant une indemnité). Ceci au contraire de l’abus de position dominante « classique » dans lequel la seule possibilité de sanction sera l’obligation de ne pas faire et l’obligation de réparer le dommage sera l’octroi de dommages-intérêts (assorti d’une sanction pénale prévue à l’article L. 420-6 du Code de commerce, voire administrative). Malgré ceci, la théorie des facilités essentielles semble faire l’objet d’une large adhésion de la part des institutions européennes et nationales. Il est ainsi paru nécessaire dans les tribunaux, de trouver l’équilibre le moins liberticide possible entre la liberté du commerce et la libre concurrence, ce qui est visible dans la circonscription étroite qui est faite des conditions de recours à cette théorie .

Les Enjeux de La Circonscription de La Théorie Des Facilités Essentielles

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Théorie facilités essentielles

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Les enjeux de la circonscription de la théorie des facilités essentielles

La théorie des facilités essentielles est apparue pour la première fois dans le droit anti-trust américain avec un arrêt de la Cour Suprême de 1912 « United States c/ Terminal Railroad  Association ». Les conditions qui ont été retenues à ce moment pour ouvrir la voie à la théorie des facilités essentielles ont largement inspiré la jurisprudence européenne à ce sujet. La théorie des facilités essentielles s’appuie sur l’idée que le détenteur d’une ressource doit obligatoirement rendre celle-ci disponible pour ses concurrents lorsque cet accès est indispensable à l’exercice de leur activité,sous peine d’abuser de sa position dominante et de se trouver en infraction avec les articles 102 al. 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne ainsi qu’avec l’article L420-2 du Code de commerce.La théorie des facilités essentielles se positionne comme une variante de l’abus de structure. Elle est née de la volonté de protéger la libre concurrence de la situation nécessairement favorable des anciens monopoles publics et joue notamment un rôle de palliatif pour les cas dans lesquels l’Etat n’a pas mis en place de système de contrôle ex ante du droit d’accès des compétiteurs (ce qui fut le cas de la loi Nome qui a libéralisé le secteur de l’énergie et imposé à EDF de mettre à disposition une portion du parc nucléaire français). Sont concernées de nombreuses infrastructures : des infrastructures physiques, « en dur » tel que des stades, des ponts, des ports, mais aussi des services ainsi même que les droits de propriété intellectuelle (depuis l’arrêt Volvo : CJCE, 5 oct. 1988, aff. 238/87, Volvo c/ Veng : Rec. CJCE 1988, p.6211 rendu aux termes d’un vif débat). En 2004, la théorie des facilités essentielles s’est même étendue à l’exercice de droit d’auteur explicitement affirmée par l’arrêt CJCE, 29 avr. 2004, aff. C-418/01, IMS Health.                 Au plan des sanctions ou de ses conséquences, la théorie des facilités essentielles permet de remettre en cause le principe de liberté contractuelle du monopoliste (choix du cocontractant, liberté de ne pas contracter). En effet il peut lui être mis à charge une  obligation de donner accès, soit une obligation de contracter, une obligation de faire (moyennant une indemnité). Ceci au contraire de l’abus de position dominante « classique » dans lequel la seule possibilité de sanction sera l’obligation de ne pas faire et l’obligation de réparer le dommage sera l’octroi de dommages-intérêts (assorti d’une sanction pénale prévue à l’article L. 420-6 du Code de commerce, voire administrative).Malgré ceci, la théorie des facilités essentielles semble faire l’objet d’une large adhésion de la part des institutions européennes et nationales. Il est ainsi paru nécessaire dans les tribunaux, de trouver l’équilibre le moins liberticide possible entre la liberté du commerce et la libre concurrence, ce qui est visible dans la circonscription étroite qui est faite des conditions de recours à cette théorie. 

Circonscription de la notion d’infrastructure essentielle  Ainsi,  l’infrastructure essentielle doit être d’une « utilisation indispensable et incontournable pour un opérateur qui souhaite offrir un produit ou un service déterminé », notamment pour assurer la liaison avec les clients et/ou permettre à des concurrents d’exercer leurs activités. Il ne doit donc exister aucune solution technique de substitution. Ce sera par exemple le cas pour une infrastructure ayant un positionnement géographique spécifique tel que le tunnel sous la Manche (TPICE, 15 septembre 1998, Europeen Night Limited). Ici, il  faut, de manière générale, avoir recours à une analyse de marché afin de savoir si un produit ou service est susceptible de constituer une solution alternative. Il faudra donc prendre en compte l’interchangeabilité du produit (les réactions des acheteurs potentiels) mais aussi regarder si des obstacles techniques, réglementaires ou économiques ne rendent pas impossible ou déraisonnable la création, même avec d’autres collaborateurs, des

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produits ou services alternatifs. La facilité sera considérée comme incontournable si la solution de substitution envisageable générerait un investissement déraisonnable eu égard à la taille de l’entreprise, vouée à l’échec, ou non économiquement rentable pour une production à une échelle comparable à celle de l’entreprise contrôlant le produit ou le service existant (chambre commerciale de la Cour de cassation du 20 février 2007). L’infrastructure essentielle doit également être « impossible à reproduire ou à dupliquer par des moyens raisonnables » de telle sorte qu’il est très probable qu’elle reste unique sur le marché. Concernant ce critère, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJCE, 26 novembre 1998, Oscar Bronner) a refusé de considérer qu’un système de portage à domicile de journaux constituait une installation essentielle du fait que l’éditeur disposait d’autres moyens de distribution tels que la voie postale ou la vente en kiosque. De plus, pour la Cour, rien n’empêchait le concurrent de créer son propre système de portage. Elle relève en effet qu’il importe peu que ces palliatifs soient moins commodes, ou plus onéreux car pour elle, toute entrée sur le marché comporte des coûts inévitables.                 Ces critères sont appréciés par rapport au marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel le détenteur de l’infrastructure détient un monopole (ou une position dominante). Même s’il faut préciser qu’il n’est pas nécessaire que le détenteur de l’infrastructure soit un concurrent sur le marché amont, aval ou complémentaire, de l’entreprise souhaitant un accès à la facilité, pour que la facilité soit qualifiée d’essentielle (décision 99-MC-01 du 12 janvier 1999 du Conseil de la concurrence).                 On perçoit dans la rigueur de l’application de ces critères une volonté de la part des juges de ne pas attribuer trop généreusement le qualificatif d’essentiel. Ceci peut s’expliquer par la volonté de ne pas porter atteinte de manière abusive au droit de propriété du titulaire de l’infrastructure concerné, mais également on peut voir cela comme une volonté de ne réserver l’application de la théorie des facultés essentielle qu’au cas où l’accès ou non à la ressource ou à l’infrastructure essentielle serait de nature à avoir un réel impact sur la concurrence. 

Circonscription de la notion d’abus  L’application de la théorie nécessite également de caractériser une position dominante selon les critères classiques mais aussi de caractériser l’abus qui peut être un refus d’accès qui impacterait le marché aval ou amont. L’arrêt Bronner (CJCE, 26 novembre 1998, C-07/97 Oscar Bronner c/ Mediaprint) est venu poser des conditions en ce sens, délimitant ainsi l’obligation de contracter : le refus doit éliminer la concurrence sur un marché dérivé distinct et le refus ne doit pas pouvoir être objectivement justifié.Ainsi, il y aura refus d’accès en cas de refus d’octroyer une licence (affaire Magill), mais plus simplement en cas de refus de conclure une prestation de service ou en cas de refus de vente (expressément qualifié d’abus par l’article L420-2 du Code de commerce). Concernant le périmètre d’accès, il va également être circonscrit : le refus ne sera abusif que s’il porte sur ce qui est « nécessaire » aux cocontractants. Le curseur est donc placé sur une exigence d’accès a minima. Ainsi si une licence obligatoire a dû être concédée par Microsoft (affaire TPI UE, 17 septembre 2007) pour permettre à des concurrents de développer de nouveaux produits (marché aval) pour Windows, la licence obligatoire qui a dû être concédée par celui-ci n’a dû porter que sur ce qui était nécessaire à l’ «  interopérabilité » et non pas sur le cœur du logiciel Windows sur lequel Microsoft peut avoir un intérêt légitime à garder le secret. Si le contrôle porte d’abord sur le périmètre d’accès, on cherche  également à ce que l’accès soit effectif. Dès lors, l’accès qui serait autorisé par principe mais sous des conditions restrictives injustifiées et donc discriminatoires vaudrait également refus d’accès (décision n° 09-D-06 du 5 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par la SNCF et Expedia Inc. dans le secteur de la vente de voyages en ligne). 

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Ces comportements, quels qu’ils soient, peuvent se voir retirer leur qualification d’abus, s’ils sont objectivement justifiés. Et le risque d’exportations parallèles peut caractériser un intérêt légitime au refus (CJCE, 16 sept. 2008, aff. C-468/06, Sot. Lelos c/ GlaxoSmithKline). 

Le recours à l’existence de circonstances exceptionnelles s’agissant des droits protégés  Grâce au renvoi à la notion de « circonstances exceptionnelles », le juge communautaire a pu restreindre l’application de la théorie aux cas des droits protégés, dont la substance même veut que le refus d’accès soit justifié. Ainsi, il assure aux opérateurs économiques une certaine sécurité juridique, favorable à l’innovation et au progrès techniques au sein du marché européen. Au cours de l’affaire Magill, le juge communautaire a admis que le refus par le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle ne pouvait être abusif que si certaines circonstances exceptionnelles étaient réunies. Des sociétés de télédiffusion irlandaises refusaient de communiquer leurs grilles de programme à une société qui souhaitait publier un guide TV global du fait qu’elle aurait fait concurrence aux guides individuels publiés par chacune des sociétés de télédiffusion. Pour justifier leur refus, les sociétés se prévalaient du droit d’auteur sur leurs grilles de programmes respectifs.La cour a précisé les circonstances exceptionnelles dans lesquelles un abus pouvait apparaitre : il faut que le refus fasse obstacle à l’apparition d’un produit nouveau.               Dans l’arrêt « IMS Health » (CJCE, 29 avr. 2004, aff. C-418/01, IMS Health), le juge a clairement précisé que la condition des circonstances exceptionnelles devait se cumuler avec les autres conditions (classiques) d’application de la théorie des facilités essentielles (le critères d’essentialité et d’exploitation abusive). Les circonstances exceptionnelles ne suffisent pas et le juge communautaire persévère dans sa logique de rendre exceptionnelle l’application de cette théorie. Cependant, sur la base de cette théorie, les institutions européennes ont admis deux restrictions à l’exercice du droit d’auteur dans le domaine informatique : le droit de décompilation et le droit d’interopérabilité.Le premier permet de décrypter le codage d’un logiciel pour que les informations codées soient lues par l’homme. Cette atteinte au droit d’auteur du créateur du logiciel a été prévu par une directive la directive n° 91/250/CEE du 14 mai 1991 relative à la protection des programmes d’ordinateur (JOCE, 17 Mai 1991), transposée en France par la loi n° 94-361 du 10 mai 1994 (CPI, art. L. 122-6-1 IV). Le droit à l’interopérabilité  (créé par la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information) a pour objectif de créer un droit à communication sur des éléments indispensables.Dans le domaine particulier des droits de propriété intellectuelle liés à l’informatique, il semblerait donc que la commission, qui  peut toujours intervenir par le biais de directive pour mettre en œuvre la théorie des facilités essentielles, ait fait preuve de plus de souplesse afin de ne pas bloquer l’innovation et le développement des programmes informatiques. Une fois l’accès donné à une information essentielle reste la question de la détermination du prix d’accès. Ce prix a été relancé en particulier par l’affaire Microsoft dans laquelle la Commission souhaitait que l’entreprise dominante fixe une redevance « raisonnable ». Le problème qui se pose c’est que le prix ne peut se déterminer comme la fixation du prix d’accès à une infrastructure, car à la différence de ce type de bien l’information essentielle ne s’use pas. La difficulté quant aux informations essentielles sera de fixer une redevance quipermettra toujours à l’entreprise titulaire de celle-ci d’innover.

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