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Partie I De la norme en général, à ses enjeux stratégiques en particulier _____________________

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Partie I De la norme en général, à ses enjeux stratégiques

en particulier _____________________

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Introduction

Les normes sont présentes en toute chose. À cet instant précis, lecteur, vos mains, vos pieds, votre regard, ce que vous attendez de cette lecture, tout est empreint de normes.

Vos pieds ont adopté l’écartement standard selon la longueur de la station debout que vous envisagez. Êtes-vous dans la librairie ? Feuilletez-vous ce livre pour savoir de quoi il retourne avant de l’acquérir ? Si la lecture se prolonge au-delà des quelques minutes, les pieds mécaniquement s’écarteront pour rendre la position plus confortable.

Vos mains ont également une connaissance experte du poids de l‘ouvrage. Par l’expérience acquise, elles peuvent anticiper la force à mettre en œuvre pour saisir et maintenir l’ouvrage à la distance et à la hauteur confortable pour la lecture. Imaginons un livre très lourd, vous seriez étonnés et obser-veriez alors cette incongruité.

Dans le cas contraire, rien de sera noté, mais un modèle type sera confirmé par cette millième expérience. Nous avons bien en tête des références de format standard pour les livres que seul un poids hors normes est en mesure de nous révéler. Il en est de même pour la taille.

Les volumes hors-normes qui nous étonnent font précisément apparaître que nous avons en tête une référence et que cette référence est souvent commune, une norme. Plongeons-nous plus avant dans la lecture. L’écriture elle-même, les capitales en début de lignes, les polices des caractères pour les titres, les sous-titres, les italiques et les caractères gras, tout fait sens. Mille normes

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gouvernent l’écartement entre les lignes, la taille des marges. Ces normes sont un langage invisible et familier. Elles nous permettent de gagner un temps fou.

Vous savez où trouver le sommaire, le nom de l’éditeur, la date d’édition. Vous connaissez par avance le lieu de la pagination. La langue elle-même est une norme. C’est même un exemple archétypal d’une norme. La langue commune permet l’échange. Considérez les difficultés à se comprendre lors-que l’on ne partage pas un langage commun. Lire un livre alors que l‘on ne possède pas la langue dans laquelle il est écrit est impossible. Échanger avec un étranger dont on ne possède pas la langue est envisageable. Mais à bien y réfléchir, ce qui rend possible cette communication est le partage d’un code commun de comportements, mimiques, expressions et gestuelle, soit le par-tage d‘une norme commune.

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1 Une histoire vieille comme le monde

C’est une activité qui est vieille comme le monde. Nous suivons simplement l’exemple de Mère Nature. « Quelle meilleure illustration de standardisation qu’un atome d’oxygène ou une molécule d’eau, observe un rapport OCDE sur la normalisation1 ou, à une échelle plus grande, les étoiles et leurs planètes, les protéines qui créent la matière vivante et enfin les organismes vivants tels quels ? Les navets sont conformes au modèle du navet, et les canards sont conformes à leurs spécifications de canards. Dans tout ce que la nature fait, assemblant les atomes, jonglant entre corps célestes dans l’espace ou peuplant la planète d’être vivants, elle le fait selon des rôles prédéter-minés ».

Définir ces rôles pour les pérenniser est un objectif crucial des normes. Le plus ancien exemple de normes recensé par Pierre Franck2 qui écrit une histoire captivante des normes dont plusieurs exemples sont repris ici, est la description du Tabernacle et des meubles sacrés, ainsi que des bâtiments qui devront les abriter.

1 Rapport OCDE : La normalisation, 1991. 2 La normalisation des produits industriels, Presses Universitaires de France, collection « Que sais-

je ? », n° 1954, 1981.

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Cet ensemble, qui concrétise aux yeux de tous, l’alliance entre l’Éternel et son peuple, constituait donc le fondement tangible des règles morales, spirituelles et sociales des Hébreux, c’est-à-dire la base de leur société. « …Selon tout ce que je vais vous montrer, selon le modèle de la tente, et selon le modèle de tous les ustensiles, vous le ferez ainsi. Ils feront donc une arche de bois de Sittim. Sa longueur sera de deux coudées et demie, sa largeur sera d’une coudée et demie et sa hauteur d’une coudée et demie. Tu la couvriras d’or très pur, tu la couvriras par dehors et par dedans, et tu feras sur elle un couronnement d’or tout autour » (Exode XXV).

L’historien observe : « Cette spécification technique trouvait évidemment sa motivation dans le fait que toute déviation dans la forme donnée à l’Arche d’Alliance risquait d’entraîner, en retour, une modification de la qualité de la foi que l’Arche matérialisait aux yeux de tous ». On met ainsi en évidence un rôle important des spécifications techniques, celui de « conservatoire des réalités ». Définissant ce que doivent être la qualité d’un produit industriel et son aptitude à l’emploi, les normes actuelles jouent-elles aussi ce rôle dans nos sociétés de consommation ?

Une norme établit des principes à respecter ou des méthodes à suivre pour atteindre un objectif technique donné. Longtemps, les règles concernant la définition des produits furent surtout orales. Néanmoins, les études archéolo-giques de certains objets les mettent en évidence. Par exemple, les récipients en céramique d’usage courant ont été fabriqués suivant des gammes de modèles bien définis dès le Néolithique.

Au Moyen Âge, ce sont les corporations qui jouèrent ce rôle de conserva-toire de la technique pour les produits manufacturés. Jusqu’au XVIIIe siècle, dans chaque jurande ou guilde, les maîtres artisans durent ainsi jurer loyauté aux règlements de fabrication. Dès le XIIIe siècle, des inspecteurs de métiers furent créés pour faire respecter cette réglementation. Ils apposaient le sceau de la corporation sur le produit comme on appose aujourd’hui un label pro-fessionnel de qualité.

Les normes apparaissent pour préserver et perpétrer les règles de fabrication avec la mission souveraine de préciser et de protéger un art, un savoir-faire. Ce rôle s’est accompagné de celui de référence pour les échanges.

Pierre Franck fait observer qu’au Moyen Âge, le pied de Charlemagne (par-ticulièrement grand comme celui de sa mère Berthe) servit d’étalon, mais que quelques siècles plus tard, les unités de longueur avaient des valeurs différentes selon les villes du même royaume, tout en portant le même nom.

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C’est donc pour disposer d’un système cohérent et universel que l’Assemblée Constituante Française chargea en 1790 l’Académie des Sciences d’élaborer un système simple de mesures. En tout premier lieu, il fut décidé de se rallier au système décimal. Le dix-huit Germinal An III (7 avril 1795), la Conven-tion décréta l’adoption comme unité de longueur du mètre. L’adoption du système métrique tarda plus que ne l’avaient pensé les conventionnels : l’Allemagne ne l’adopta qu’en 1872, le Royaume Uni en 1965 et les États Unis… Néanmoins tous les travaux internationaux de normalisation sont effectués en utilisant le système métrique. Un système de mesure unique et universel permet de garantir la loyauté des échanges entre les pays qui l’adoptent.

C’est une très ancienne ambition des hommes : « Il faut donner pleine mesure et juste poids. Une des plus grandes fautes dont les Modianites se rendirent coupables fut d’utiliser des mesures et des poids différents, à savoir des gros et des petits, les uns étant utilisés pour acheter et les autres pour vendre » (le Coran, sourate VII : El Araf).

Langage plastique, musical, pictural, les règles du langage sont, tout comme les normes, des « données de références » qui servent de base d’entente entre les hommes pour leur permettre d’être entendus et compris. Musique, pein-ture, littérature, architecture, dans tous les domaines de création, les normes ont eu un rôle à jouer pour le développement, la transmission et la diffusion des techniques et des connaissances.

En musique, c’est vraisemblablement à la normalisation que l’on doit le développement de l’art musical occidental. Des règles strictes ont permis de créer un langage commun qui a pu ainsi se diffuser en Occident d’abord, puis dans le monde entier : depuis la portée à quatre lignes et la dénomination des notes (Guy d’Arezzo, An mil) jusqu’à la gamme tempérée (Werckmeister, fin du XVIIe siècle), ces règles ont progressivement émergé jusqu’à la nor-malisation internationale du « La3 », en 1885, fixée à Vienne à la valeur de 435 Hz.

Définir un langage commun permet de communiquer, de diffuser, de maté-rialiser un socle commun qui permet de progresser dans les connaissances. Une façon communément partagée d’écrire les notes permet à chacun de les lire, au-delà des frontières et permet aussi de les écrire et d’être compris au-delà du temps.

La diffusion dans l’espace et la transmission dans le temps constituent des enjeux forts de la normalisation. Ces échanges rendus possibles entre les

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différents peuples et les différentes périodes de temps stimulent la créativité et l’innovation au lieu de les restreindre. Des styles musicaux aussi différents que le jazz, la bossa nova ou la musique classique peuvent être écrits selon les mêmes règles solfégiques.

L’écriture a également requis des réglementations. Parfois, la réglementation réelle s’est faite spontanément. Par exemple, au IVe siècle avant J.-C., l’alphabet grec, inspiré de l’alphabet phénicien, a été adopté par l’ensemble du monde hellène, sans qu’il ait eu un travail méthodique de normalisation. Par contre, une vraie œuvre normative a été réalisée par le travail systématique de deux moines byzantins, les frères Cyrille et Méthode qui ont créé au IXe siècle l’alphabet cyrillique, parfaitement adapté à la phonétique des langues slaves.

L’émergence de la norme peut donc se réaliser spontanément ou être le fruit d’une intention normalisatrice. La diffusion de la norme peut donc s’accomplir par une adhésion volontaire ou imposée. Ainsi, on a parfois tenté de systématiser la langue elle-même en transformant ses règles naturelles en règlements officiels. C’est dans cet esprit que Richelieu créa l’Académie française, un des plus anciens organismes normalisateurs. Le décret de fondation précisait : « La principale fonction de l’Académie sera de travailler avec tout le soin possible à donner des règles certaines à notre langue, à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ».

Ainsi, la réglementation technique fut parfois le fait de décisions politiques : l’empereur de Chine Shi Huang Di, de la dynastie Qin (259-210 avant J.-C.), après avoir conquis le pouvoir sur l’ensemble du territoire chinois, entreprit une grande œuvre d’unification et de centralisation. Après avoir unifié les poids et les mesures, il décida de développer les routes afin de stimuler l’économie de l’Empire. C’est ainsi qu’en définissant la longueur que devraient avoir ces routes, il fut amené à définir l’écartement à donner aux roues des chariots. Bien sûr, ces dernières furent prises autoritairement sans qu’aucune ébauche de consensus ne fût entreprise.

Mais les normes peuvent aussi émerger de manière involontaire et spontanée. L’invention par Gutenberg des caractères mobiles est une belle invention à caractère normatif. Le succès des caractères gravés par Garamond offre aussi un curieux cas de systématisation industrielle fortuite. En 1541, sur ordre de François 1er, Garamond réalisa les poinçons nécessaires à la confection de deux sortes de caractères : − Les uns droits, inspirés des lettres des inscriptions latines ont été de ce

fait appelés « Romains ».

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− Les autres, penchés et dans le style des documents pontificaux, ont été dénommés « Italique ».

Le succès de ces nouveaux modèles fut tel que, très vite, tous les ateliers d’imprimeurs adoptèrent les caractères de Garamond et abandonnèrent du même coup les caractères issus de Gutenberg qualifiés péjorativement de « gothiques ». Seuls les Allemands conservèrent ce type de caractère jusqu’à récemment. C’est donc bien fortuitement, à cause des qualités graphiques que Garamond avait données à ses poinçons que tous les livres, dans presque tous les pays européens, furent imprimés avec des caractères identiques.

La réglementation technique comme décision politique pour gérer l’organi-sation d’un pays est plus tard clairement revendiquée par Colbert. Pour s’assurer de la qualité des produits fabriqués, Colbert institua des règlements dont les juges de manufactures et des contrôleurs vérifieront la bonne appli-cation. Mais le père de la normalisation appartient au domaine militaire.

Au XVIIe siècle, sous Louis XV, Gribeauval, inspecteur général de l’artil-lerie, permit à la France d’avoir en quelques années la meilleure artillerie d’Europe, en proposant des mesures permettant de rationaliser la production. Par exemple, le même type de roue pour l’affût du canon et le caisson de munitions, permettait l’interchangeabilité. Qualité du matériel, simplification, interchangeabilité des composants, la normalisation apparaît associée à des règles d’organisation de la fabrication et fait apparaître l’importance de l’échange.

Ce besoin d’échange, de communication et de rationalisation apparaît ensuite dans la première moitié du XIXe siècle, dans ce qui aujourd’hui serait nommé problématique de « réseau » : Il n’est pas étonnant, en effet, que l’illustration de la normalisation soit incarnée par l’industrie des chemins de fer.

La Grande Bretagne, leader de la révolution industrielle a construit ses lignes en respectant l’écartement des rails de 1,435 m. L’ensemble des pays d’Europe, sauf l’Espagne, ont adopté cet écartement, car aussitôt installées les pre-mières lignes, il n’était plus possible de changer. Cette norme de 1,435 m est donc une norme de fait qui n’a pas été imposée, mais s’est naturellement diffusée par le développement de la technique anglaise, et comprend un caractère contraignant car il est difficile d’en changer.

Une norme est, par définition, fondée sur les résultats conjugués de la science, de la technologie et de l’expérience. Elle dépend évidemment de l’état général des connaissances existant au moment de son élaboration.

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Bernard Frank expose enfin un exemple célèbre de normalisation ratée, parce que trop tardive : celui de la valeur de la fréquence du courant électrique industriel. Aucune raison physique n’amenait à privilégier une valeur plutôt qu’une autre entre environ 40 et 70 périodes par seconde. Les électriciens américains, considérant que la fréquence, inverse de la période, devait s’intégrer au système de division du temps, décidaient de choisir la valeur 60 puisqu’il y a 60 secondes dans une minute et 60 minutes dans une heure. Tout aussi logiques, les électriciens européens, remarquant que le système sexagésimal était depuis longtemps abandonné au profit d’un système décimal, et recherchant un nombre rond, choisirent la valeur 50. Il n’a jamais été possible par la suite d’unifier les deux systèmes à cause de cette différence de logique. De ce fait, les moteurs américains et ceux du reste du monde sont incompatibles.

Comme exemple de décision trop précoce, on peut citer le choix de la valeur 819 pour la définition de l’image télévisée en France. Cette originalité a desservi la construction française de téléviseurs. Il est donc très important de choisir le moment où la normalisation est nécessaire.

Normaliser et inventer sont deux choses différentes. Mais le développement d’un nouveau produit, une fois adulte, ne peut se faire au plan national ni au plan international sans qu’interviennent des actions normatives, d’abord pour définir de façon précise ses caractéristiques intrinsèques et ses différentes interfaces, mais aussi pour préciser à l’intention des utilisateurs, son aptitude à l’emploi, sa durabilité et même les conditions de sa maintenance.

Dans ces différentes activités de création humaine, la norme peut donc émerger spontanément ou être imposée dans un souci précis d’organisation. Elle structure un socle de connaissances qui permet la diffusion d’un langage, d’un savoir-faire ou d’une technologie et fixe un référentiel commun qui rend possible les échanges. Dans l’organisation économique du marché, les normes jouent ce rôle de régulateur des échanges.

Philippe Boulin3, qui résume les fonctions de la normalisation, montre que le rôle des normes est accru lorsque la transition se réalise entre une économie artisanale et l’économie industrielle :

3 Présentation de la normalisation, dossier « Normalisation, Qualité, Métrologie », Annales des Mines,

collection « Réalités Industrielles », avril 1990, Saint-Étienne.

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− Dans l’économie artisanale, explique-t-il, la relation entre le fournisseur et le client est directe et personnelle. La définition du produit ou du service fait partie de la convention implicite ou explicite qui les lie.

− Dans l’économie industrielle, le processus de fabrication éclate entre de nombreux acteurs spécialisés. À chaque stade, en limitant le nombre d’échantillons, on s’efforce de regrouper les besoins du plus grand nombre d’utilisateurs ou de consommateurs de façon à dégager des économies d’échelles.

La norme répond donc d’abord à un besoin d’information : donner des pro-duits, une définition précise, acceptée par tous fournisseurs, producteurs et clients. Le jeu de la concurrence, qui est une des grandes caractéristiques de nos sociétés, renforce cette nécessité. Comment, en effet, établir une concur-rence honnête entre producteurs fabriquant le même produit si, précisément, le client n’est pas assuré de trouver chez chacun d’eux des produits, sinon identiques, du moins satisfaisant à un certain nombre de conditions com-munes ? L’existence de normes, respectées par tous, garantit cette loyauté de la concurrence. En outre, un produit est rarement isolé. À quelque stade du processus de production qu’il se situe, il est destiné à s’intégrer à un système : la vis s’accouple à l’écrou pour constituer un boulon. Une condition de l’efficacité globale est la cohérence des spécificités techniques des différents produits. En résumé : − le développement des fabrications répétitives au sein d’unités de plus en

plus spécialisées recherchant l’économie d’échelle, − l’imbrication croissante des activités, le développement des échanges,

notamment de la sous-traitance, la multiplication des réseaux de distribution ou de communication, posant des problèmes de compatibilité,

− la nécessité d’organiser la concurrence au sein d’une économie de marché, − les difficultés croissantes que rencontrent les consommateurs à juger des

qualités d’un produit, ont rendu de plus en plus souhaitable que soit mis à la disposition des acteurs, un système cohérent de spécifications techniques claires et précises leur per-mettant d’être assurés que les produits offerts sont aptes à l’emploi.

Telle que définie aujourd’hui, la norme poursuit ces missions : elle fixe les conditions dans lesquelles une opération sera réalisée, un objet exécuté, un produit élaboré ou un service rendu. La normalisation peut ainsi s’entendre

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comme un document de référence sur un sujet donné, dont il reflète l’état de l’art, de la technique, et du savoir-faire. Elle fournit des caractéristiques, des techniques et des méthodes de fabrication, d’analyse ou d’essais, qui peuvent s’appliquer à un produit, une activité, ou à un résultat à atteindre.

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2 Des enjeux stratégiques

bien actuels

Les enjeux stratégiques associés aux normes techniques sont rendus plus aigus depuis la création du marché unique européen. « Du taux de potassium dans les jus de fruits à la longueur de la flamme du briquet à gaz, chaque pays a ses normes, mais 1993 impose de les unifier, observe Jean-Baptiste Harang4 : les batailles surréalistes des normalisateurs cachent les intérêts des industriels : des milliards sont en jeu ». Sur la carte française, la puce est placée sur le côté. Dans les discussions au sein de l’ISO5 (International Organization for Standardization), les Américains proposent de la placer au milieu. L’enjeu est énorme : tout le parc des lecteurs de cartes. Les organismes utilisateurs (banques, réseaux de banque de crédit…) n’ont aucun intérêt à se mettre à dos les pays les plus gros consommateurs de cartes, et on peut prévoir l’échec des Français. La seule façon de ne pas tout perdre est d’anticiper et de lancer rapidement la fabrication des lecteurs de cartes à puce centrale, et prendre ainsi quelques années d’avance.

4 Voyage au bout de la norme, dossier « Normalisation, Qualité, Métrologie », Annales des Mines,

collection « Réalités Industrielles », avril 1990, Saint-Étienne. 5 L’Organisation internationale de normalisation, créée en 1946, à la suite de la Fédération internationale

des associations nationales de normalisation, l’ISO présente une structure fédérative regroupant les agences nationales de 148 pays. Le nombre impressionnant de normes publiées (13 700 depuis 1947) tend à attester de l’importance de ces dispositions pour les secteurs économiques concernés.

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Le renvoi aux normes est un élément essentiel de la politique européenne. L’Acte unique a levé, depuis 1993, les barrières techniques, juridiques et fiscales s’opposant à la libre circulation des marchandises au sein du marché européen.

Dès lors, les entreprises se trouvent devant le choix suivant : − s’impliquer activement dans les travaux normatifs européens, de façon à

faire prendre en compte dans les normes leurs choix techniques, ou − s’en tenir à l’écart et se trouver, le jour venu, obligées sous la pression du

marché de respecter les normes édictées par leurs concurrents.

Comme l’exposent les instituts de normalisation (européen, CEN et inter-national, ISO), ce rôle prépondérant des normes s’est défini progressivement au cours de la construction européenne. Le foisonnement de normes natio-nales obligatoires en droit ou en fait, et l’absence d’harmonisation risquaient de ruiner les fondements mêmes du marché commun, en rétablissant les frontières techniques entre États membres. La communauté a donc adopté plusieurs approches à cet égard.

La communauté a d’abord considéré au cours des années 1960 et 1970, que toute disparité pouvait donner lieu à harmonisation, quels que soient les domaines et quels que soient les intérêts économiques en jeu. Cette ambition requérait des textes volumineux adoptés à l’unanimité au prix de négociations longues et difficiles. Dans ces conditions, peu d’harmonisation réelle a pu être effectivement menée à bien.

Depuis la fin des années 1970, on a cependant constaté une certaine évolution, principalement sous l’influence de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes.

Par un arrêté qui concernait la libre circulation du « Cassis de Dijon », la Cour a jugé que : « Même en l’absence d’harmonisation, les États membres n’étaient pas libres d’imposer leur réglementation nationale si elle paraissait discriminatoire, injustifiée ou non proportionnée aux buts à atteindre ». En d’autres termes, un État ne peut, sauf exception, interdire l’importation d’un produit conforme à la réglementation de l’État membre où il a été fabriqué. Ce qui est convenable en France doit l’être aussi en Allemagne. Le principe de la reconnaissance mutuelle des normes s’impose a priori.

Aussi, c’est pour mettre un terme à la lenteur des travaux du Conseil et prendre en compte la jurisprudence de la Cour, que la Commission des Com-munautés européennes a proposé, en 1985, une « Nouvelle Approche ».

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Des enjeux stratégiques bien actuels 15

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Elle consiste essentiellement dans une nouvelle répartition des rôles entre les autorités publiques et les acteurs économiques. Désormais, l’intervention des institutions communautaires se limite à la définition des « exigences essen-tielles » pour chaque catégorie de produits. Par exigences essentielles, on entend les objectifs à respecter en matière de sécurité, de protection des consommateurs, de santé publique.

Toutes les autres caractéristiques techniques des produits industriels sont précisées par : − les organismes européens de normalisation (CEN, Comité européen de

normalisation et CENELEC, Comité européen de normalisation en élec-tronique et en électrotechnique6), et

− une institution spécialisée dans le domaine des télécommunications (ETSI, European Telecommunications Standards Institute7).

À titre transitoire, il est prévu le temps d’élaborer les normes européennes : une procédure visant à vérifier l’équivalence des normes nationales lors-qu’elles correspondent aux exigences essentielles.

6 Le CEN (en anglais : European Committee for Standardization) a été créé en 1961, afin d'harmoniser

les normes européennes. Tous ses membres sont également membres de l'ISO et son siège est à Bruxelles. Il a été fondé par les instituts de normalisations des pays membres de l'Union européenne et par les pays membres de l'Association européenne de libre échange (AELE). Il doit promouvoir les normes techniques, le libre commerce (concurrence), la sécurité des travailleurs et des consommateurs, l’interopérabilité des réseaux (poste, chemin de fer, réseau routier, etc.), la protection de l'environ-nement. Les normes éditées par le CEN reconnaissables à leur préfixe EN sont automatiquement reprises dans les collections nationales des organismes membres et sont diffusées par ces derniers. Une norme européenne EN XX… est donc reprise dans la collection AFNOR et diffusée en France sous le nom NF EN XXX... Le CEN est complété dans son action par le CENELEC (en anglais : European Committee for Electrotechnical Standardization).

7 L'ETSI, c'est-à-dire l'Institut européen des normes de télécommunication est l'organisme de normali-sation européen du domaine des télécommunications est une organisation à but non lucratif dont le rôle est de produire des normes de télécommunications pour le présent et le futur. Basé à sophia Antipolis en France, il est officiellement responsable de la normalisation des technologies de l’infor-mation et de la communication pour l’Europe, en coopération avec le CEN et le CENELEC qui sont les instances européennes représentant l'ISO et la CEI (voir plus loin). L'ETSI comprend 688 membres de 55 pays d’Europe et de l'extérieur incluant des constructeurs, des opérateurs, des administrations, des fournisseurs de services, des centres de recherche et des utili-sateurs. Exemples de standardisation de l'ETSI : DECT, le téléphone sans fil numérique, GSM, le célèbre système de téléphonie cellulaire, la téléphonie cellulaire haut-débit, UMTS, la téléphonie cellulaire haut-débit, DAB, la radiodiffusion numérique, Digital Radio Mondiale, la radiodiffusion numérique pour les ondes courtes moyennes et longues.

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Afin d’éviter que des entraves nouvelles ne réapparaissent au fur et à mesure que l’on en éliminerait d’autres, le Conseil européen a adopté, dès 1983, une directive prévoyant la notification de tout projet de réglementation technique et imposant des délais pouvant aller jusqu’à un an, chaque fois que ces projets apparaîtraient porteurs d’entraves nouvelles et qu’une harmonisation communautaire paraîtrait nécessaire.

Depuis 1983, l’ébauche d’une nouvelle norme ou d’une réglementation tech-nique nationale doit être publiée au Bulletin officiel de chaque État membre (publication en France dans le magazine Enjeux d’AFNOR8).

L’entreprise dispose d’un délai de trois mois pour prendre connaissance des projets de nouvelles normes des pays voisins et pour formuler ses obser-vations, dans le cas où ils s’éloigneraient des standards existants. C’est la directive 83/189/CEE, procédure d’information, codifiée et abrogée par la directive 98/34/CE qui prévoit deux procédures d’information : l’une dans le domaine des normes (spécifications techniques volontaires) et l’autre dans celui des réglementations techniques (spécifications techniques obligatoires) relatives aux produits industriels, agricoles et de la pêche.

Les conséquences de la Nouvelle Approche furent pratiquement immédiates, avec, en particulier, la croissance spectaculaire du CEN et de son programme de travail. Ce développement laissait craindre que l’Europe ait ses propres normes incompatibles avec les normes internationales. Un accord sur l’échange d’informations techniques entre l’ISO et le CEN (Accord de Lisbonne) fut approuvé en 1989.

8 AFNOR, l’Association française de normalisation, est l'organisme officiel français de normalisation.

Elle est membre de l’ISO, auprèsduquel elle représente la France, comme l'ANSI (American National Standards Institute) représente les États-Unis. AFNOR, créée en 1926, est placée sous la tutelle du ministère chargé de l'Industrie. Elle compte environ 3 000 entreprises adhérentes. AFNOR édite la collection des normes NF qui identifie habituellement un document par la forme : NF L XX-XXX, L étant une lettre représentant la classe, X étant un chiffre. Les normes européennes éditées par AFNOR sont de la forme : NF EN XX... ; les normes internationales sont de la forme NF ISO XX… ; les normes internationales reprises dans la collection européenne: NF EN ISO XX... L’ANSI est un organisme privé à but non lucratif qui supervise le développement de normes pour les produits, les services, les procédés, les systèmes et les employés des États-Unis. Ces normes sont proposées à partir d’une démarche volontaire et consensuelle. L’organisation coordonne également la définition des normes américaines avec les normes internationales, afin que les produits américains puissent être utilisés à l’étranger. Par exemple : la normalisation garantit que les possesseurs d’appareils photo trouveront des pellicules adaptées partout dans le monde.

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Il prévoyait un échange d’informations complet et mutuel entre l’ISO et la Commission électrotechnique internationale (CEI)9 sur leurs activités respec-tives. Toutefois, dans l’ensemble, les parties prenantes européennes et inter-nationales estimaient que le marché unique européen devait être intégré au marché mondial et que l’on y parviendrait en garantissant que les normes utilisées pour réguler le marché unique européen seraient aussi celles qui réguleraient le marché mondial. Dans cette perspective, il apparaissait néces-saire de disposer d’un ensemble de mécanismes procéduraux pour s’assurer que, dans la plus large mesure du possible, les normes internationales et les normes européennes seraient compatibles, voire identiques.

Telle est la perspective dont est né l’Accord de Vienne. Bien entendu, une autre considération majeure était d’utiliser rationnellement les ressources disponibles pour la normalisation en évitant les travaux à doubles niveaux. Il fallait donc s’accorder sur l’attribution des travaux entre l’ISO et le CEN, car le nombre de spécialistes n’était tout simplement pas suffisant pour que l’ISO et le CEN mènent leurs activités de normalisation en complète indépendance.

L’accord de coopération technique entre l’ISO et le CEN fut approuvé aux termes de la résolution du Conseil de l’ISO 18/1990 et de la résolution de l’Assemblée générale du CEN 3/1990. Cet accord (dénommé Accord de Vienne) fut publié en juin 1991. Il s’accompagne de lignes directrices communes ISO/CEN, les « lignes directrices relatives à la mise en œuvre de l’Accord de Vienne », approuvées en 1992 et révisées en septembre 1998. Après une décennie d’expérience, l’Accord fut confirmé par la résolution du Conseil de l’ISO 35/2001 et la résolution du Conseil d’administration du CEN 2/2001.

L’accord de Vienne a pour objectif de permettre la reconnaissance simul-tanée d’une norme au niveau international et au niveau européen, grâce à un meilleur échange d’informations et à une participation mutuelle aux séances de travail. À cet effet, le travail de normalisation doit, dans la mesure du possible, s’effectuer à un seul niveau.

9 La CEI (en anglais : International Electrotechnical Commission, IEC) est un organisme de norma-

lisation traitant des domaines de l'électricité, de l'électronique et des techniques connexes. La plupart de ses normes sont développées conjointement avec l'ISO. La CEI est composée de représentants de différents organismes de normalisation nationaux. La CEI a été créée en 1906 et compte actuellement 68 pays participants. Les normes CEI sont reconnues dans plus de 100 pays. Originellement située à Londres, la commission a rejoint ses quartiers généraux actuels de Genève en 1948. La CEI a été l'instrument du développement et de la distribution de normes d'unités de mesure, notamment le gauss, l’hertz et le weber. Elle contribua également à proposer un ensemble de références, le système Giogi, qui finalement fut intégré au système international d’unités (SI).

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Le transfert de projets de normes dès le début du travail de normalisation, suivi d’un vote parallèle au sein de l’ISO et du CEN, est tout aussi possible que le vote portant sur des documents de normalisation terminés émanant de l’autre organisation.

Cet accord ne contient aucune obligation, ni pour le CEN, ni pour l’ISO, de stopper un nouveau projet de norme du fait qu’un travail normatif portant sur le même sujet est déjà en cours au sein de l’autre organisation. Il peut donc arriver que deux normes réglementant éventuellement différemment un seul et même domaine soient élaborées parallèlement.

Un rôle stratégiquement important revient au « groupe mixte de coordination du bureau de gestion technique de l’ISO (ISO/TMB) et du bureau technique du CEN (CEN/BT) », dont la mission consiste à surveiller l’application de l’Accord de Vienne, et à conseiller dans toutes les questions relatives à cet accord, notamment sur les révisions nécessaires. Depuis septembre 2001, il existe une édition remaniée de l’Accord de Vienne (version 3.3). Dans cette nouvelle version, l’accord proprement dit a été restreint aux principes fondamentaux de coopération entre l’ISO et le CEN.

Toutes les spécifications opérationnelles et procédurales sont, quant à elles, regroupées dans les « lignes directrices relatives à la mise en œuvre de l’accord de coopération technique entre l’ISO et le CEN », document qui existe aujourd’hui dans sa cinquième version (mai 2004). Pour l’essentiel, la version actuelle reconnaît plus fortement la primauté de la normalisation internationale et la responsabilité de l’ISO que dans les versions précédentes. C’est ainsi, par exemple, que le remaniement d’une norme EN ISO, quelle qu’en soit l’origine, peut s’effectuer uniquement sous la responsabilité de l’ISO.

Enfin, l’Organisation mondiale du commerce, créée en 1995, tentant de for-maliser les règles régissant le commerce entre les pays, à l’échelle mondiale ou quasi mondiale, a défini un accord relatif aux obstacles techniques au commerce conclu lors du Tokyo Round.

Il vise à faire en sorte que les règlements techniques et les normes, ainsi que les procédures d’essai et de certification, ne créent pas d’obstacles non nécessaires au commerce. Toutefois, il reconnaît qu’un pays a le droit de prendre des mesures, par exemple pour la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux, la préservation des végétaux ou la protection de l’environnement, aux niveaux qu’il considère appropriés, et que rien ne saurait l’empêcher de prendre les mesures nécessaires pour assurer le respect de ces niveaux de protection.

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Les pays sont donc encouragés à recourir aux normes internationales lorsque celles-ci sont appropriées, mais ils ne sont pas tenus de modifier leurs niveaux de protection à la suite de la normalisation.

L’accord révisé comporte des éléments novateurs, en ce sens qu’il couvre les procédés et les méthodes de production liés aux caractéristiques du produit lui-même. Le champ d’application des procédures d’évaluation de la confor-mité est élargi et les disciplines sont rendues plus précises. Les dispositions en matière de notification s’appliquant aux institutions publiques locales et aux organismes non gouvernementaux sont élaborées de manière plus détaillée que dans l’accord issu du Tokyo Round. Un Code de pratique pour l’élabo-ration, l’adoption et l’application des normes par les organismes à activité normative, qui est ouvert à l’acceptation d’organismes du secteur privé et du secteur public, est inclus dans le projet d’accord sous forme d’annexe.

Comme suite à cet accord, l’ISO a défini une politique cadre de « pertinence mondiale des normes ». Dans cette perspective, l’élaboration de toute norme internationale ISO fait appel aux principes suivants :

• Consensus

Les points de vue de tous les intéressés sont pris en compte : fabricants, vendeurs et utilisateurs, groupes de consommateurs, laboratoires d’essais, gouvernements, professionnels de l’ingénierie et organismes de recherche.

• À l’échelle de l’industrie

Les normes visent à constituer des solutions globales visant à satisfaire les industries et les clients partout dans le monde.

• Volontaire

La normalisation internationale étant mue par le marché, elle s’appuie sur la participation volontaire de tous les protagonistes du marché.

Le processus d’élaboration des normes ISO comporte trois phases principales : − Le besoin d’une norme est en général manifesté par un secteur de l’indus-

trie, qui en fait part à un comité membre national. Ce dernier soumet le projet à l’ISO dans son ensemble. Lorsque le besoin d’une norme interna-tionale a été reconnu et formellement approuvé, la première phase consiste à définir l’objet technique de la future norme. Cette phase se déroule normalement au sein de groupes de travail constitués d’experts provenant des pays intéressés par la question.

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− Lorsqu’un accord est atteint sur les aspects techniques devant faire l’objet de la norme, une deuxième phase commence au cours de laquelle les pays négocient les détails des spécifications qui devront figurer dans la norme. Il s’agit de la phase de recherche de consensus.

− La dernière phase comprend l’approbation formelle du projet de norme internationale (les critères d’acceptation stipulent que le document doit être approuvé par les deux tiers des membres de l’ISO qui ont participé activement au processus d’élaboration de la norme et par 75 % de l’ensemble des membres votants), à la suite de quoi le texte est publié en tant que norme internationale ISO.

« Depuis quelques années, les responsables, aiguillonnés par la perspective du marché unique européen, admettent de plus en plus que la normalisation est d’abord l’affaire de l’entreprise et, au sein de l’entreprise, une fonction importante. L’enjeu dépasse ceux liés à ce marché unique qui joue le rôle de détonateur. En fait, il s’agit de la compétitivité des entreprises françaises sur le marché mondial », observait Philippe Boulin, dès 1990. Aujourd’hui, un effort normatif considérable se poursuit dans tous les domaines (construction, énergie, transport, communication, santé, tourisme, management, environ-nement, responsabilité sociétale, services…) et les entreprises sont encore davantage conscientes de l’enjeu stratégique de leur participation à la définition des normes. AFNOR conduit les travaux techniques au sein de grands programmes de normalisation10 (GPN).

L’ensemble est coordonné par le comité d’orientation et de prospective (COP). Chaque programme est piloté par un comité d’orientation stratégique11 (COS) qui réunit les principaux décideurs du secteur économique concerné.

Le magazine Enjeux, publié par AFNOR, dont l’objectif est de sensibiliser les responsables français aux enjeux stratégiques des normes, en recense de nombreuses illustrations. Les présidents et les rapporteurs des COS décrivent les objectifs des projets de normes pour leur activité et des responsables expliquent en quoi les décisions liées à la normalisation peuvent être straté-giques pour leur entreprise. En voici quelques exemples.

10 Il s’agit des domaines agroalimentaire, construction, eaux : milieux et usages, électricité et électro-

nique, gaz, industrie pétrolière, environnement, information et communication, ingénierie industrielle, biens d’équipement et matériaux, management et service, santé, santé et sécurité au travail, sport, loisirs, biens de consommation et services, transport et logistique (GPN 2007).

11 Les COS sont chargés de la définition des priorités, de la participation à la recherche de financement, de leur répartition et de l'adéquation entre les moyens et les programmes retenus.

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François Pelegrin et David Amadon, président et rapporteur du COS « Cons-truction »12, exposent les spécificités associées à ce domaine : « Dans le domaine de la construction, les intervenants attendent des normes qu’elles établissent clairement les caractéristiques des produits et services en fonction de leur usage et de leur objet, de la façon la plus simple et la plus lisible possible. En clarifiant les modes d’organisation d’un système économique de plus en plus complexe, la normalisation permet de rétablir un facteur de confiance entre les acteurs (utilisateurs et consommateurs) et de réduire la nécessité de contrôles systématiques souvent lourds et coûteux. La production de normes accessibles et lisibles renforce leur crédibilité et leur appropriation par les participants à l’acte de construire, pour une meilleure productivité de la filière (maîtres d’ouvrage, architectes, bureau d’études, contrôleurs tech-niques, entreprises, artisans et industriels de la construction) et rend possible l’intégration de nouveaux acteurs (consommateurs, collectivités locales exploi-tantes…) dans leur champ d’utilisation ».

La même attente de référents communs est perceptible dans le domaine des matériaux. Concernant les composites de matières céramiques, par exemple, Michel Bourgeon du groupe Snecma (Snecma Propulsion solide, groupe Safran moteurs de fusée et centre de compétence pour les matériaux CMC – composites matières céramique – et carbone13) explique : « La direction géné-rale a souhaité que tout ce qui se faisait en termes de méthodologie d’essai soit transformé en normes européennes. En même temps, les Anglais ont voulu normaliser les céramiques monolithiques. La France et le Royaume Uni ont alors conjugué leurs efforts pour que soit créé le CEN/TC 184. Au début, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, la Grèce et la France y participaient, et ensuite, le Portugal, la Slovaquie et la République tchèque. Depuis, trente-trois normes ou spécifications techniques européennes ont été produites. Certaines ont été reprises par l’ISO et par l’ASTM14.

L’objectif de Snecma Propulsion est de parvenir au remplacement d’environ 90 % de documents internes par des normes. Le but est d’utiliser dans les relations clients fournisseurs des documents partagés par tous. Il faut des

12 Enjeux n° 271, p. 9-14. 13 Enjeux n° 271, p. 14. 14 American Society for Testing and Material. Il s’agit de normes américaines qui concernent les

spécifications de produits, les méthodes d’essais, les guides et les recommandations et qui couvrent tous les domaines de normalisation du plus traditionnel au plus innovant : métallurgie, mécanique, mais également économie domestique, produits de haute technologie, tels que ceux destinés à l’imagerie médicale, le nucléaire, l’environnement, l’information, le pétrole...

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documents connus de tous, comme les normes. Nous les mettons en avant auprès de nos clients. En effet, une norme est à comparer à un brevet dans le domaine de la conception des matériaux. Elle spécifie une méthode d’essai et le résultat de l’essai. Ce résultat ne peut être remis en cause. C’est très important pour la certification des produits. Ensuite, celui qui est acteur de la normalisation privilégie sa méthode d’essai et ses moyens pour réaliser cet essai (appareillage, matériel…). Les normes européennes sont considérées comme des normes internationales, ce qui n’est pas le cas des normes ASTM, qui sont des normes nationales. Dans les relations avec les États-Unis, il est utile de pouvoir se référer aux normes européennes, plutôt que de suivre les normes ASTM. Dans les échanges commerciaux, la référence est la norme. L’Asie (Japon, Corée, Chine et Inde) et les États-Unis sont de plus en plus présents dans la fabrication des composites matières céramiques. Il ne faudra pas les laisser seuls décider des normes internationales ».

Le raisonnement est le même dans le domaine mécanique. La spécification géométrique des produits, outil d’interface essentiel pour de nombreux secteurs industriels, donne lieu à des travaux normatifs dynamiques en France, au CEN et à l’ISO. La France y tient toute sa place.

Yves Dopignon15 en expose les enjeux : « L’industrie mécanique, telle qu’elle se développe aujourd’hui, s’appuie sur deux principes : la conception des pièces ou de système et leur production (avec une qualité et un coût maîtrisés). Que conception et production soient intégrées dans une même entreprise ou réparties entre des sous-traitants, il est indispensable qu’une communication entre les deux, la plus précise et claire possible, soit établie. Depuis l’origine, un dessin valant mieux qu’un long discours, le support de cette communication a été le dessin technique. Et comme tout langage, il a fallu le codifier afin que, du bureau d’étude à la métrologie, en passant par la production, les intervenants se comprennent. La normalisation est alors apparue comme la réponse naturelle à ce besoin de codification du langage. Mais, très vite, il a fallu aller au-delà du simple dessin descriptif de la pièce "idéale" à réaliser. En plus de l’indication de ses seules dimensions, il a été nécessaire de tenir compte des limites de l’outil de production, du système dans lequel la pièce vient s’insérer et du cycle de vie de ce système. L’approche géométrique s’est donc accompagnée de l’indication des tolérances, elles-mêmes issues, entre autres, d’une analyse fonctionnelle.

15 Enjeux n° 258, p. 62-66.

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Aujourd’hui, le concept de spécification géométrique des produits (GPS, selon son acronyme en anglais) reprend cet acquis en le précisant et en l’étendant : le GPS est le moyen de communication permettant aux concep-teurs, ingénieurs de production et métrologues d’échanger des informations non ambiguës sur ce que doivent être les exigences fonctionnelles des produits. Les travaux actuels de l’ISO/TC 213 ont pour objectif d’améliorer le "langage GPS" afin de fournir une palette d’outils plus précis et plus complets pour la spécification et la vérification des produits ».

Renald Vincent, responsable technique du Pôle Expertise – Métrologie – Étalonnage (EME) du Centre technique des industries mécaniques (Cetim)16 précise : « Il s’agit de donner les outils qui auront une signification, la même pour tous, et qui peuvent être raccordable métrologiquement parlant. Il faut que les entreprises connaissent bien ces outils, et si elles font une impasse, qu’elles en connaissent le risque. Car un client qui n’exprime pas une exigence, ou l’exprime mal, s’expose à un risque qui n’est imputable qu’à lui-même, et non à son fournisseur. Les outils relatifs aux normes GPS peuvent faciliter la communication entre bureau d’études, fabrication, contrôle, éviter les litiges latents, et globalement pour l’entreprise réduire les coûts de non-qualité. C’est pour répondre à ces enjeux que le Cetim participe de façon, importante à la normalisation GPS et au transfert de connaissance auprès des entreprises. »

Dans le domaine de l’énergie, la normalisation couvre également de nombreux secteurs. Philippe Charleux et Catherine Moutet, président et rapporteur du COS « Industrie pétrolière17 » expliquent que « les normes concernent l’ensemble des activités depuis l’exploration, le raffinage, la pétrochimie, le transport jusqu’à la distribution des produits issus du pétrole brut, du gaz naturel ainsi que les spécifications des combustibles liquides issus de la biomasse et les carburants dits "alternatifs". L’objectif premier et historique de la normali-sation dans ce secteur est d’élaborer des règles techniques reconnues interna-tionalement qui contribuent à la fiabilité des installations et permettent à une industrie de dimension mondiale de s’affranchir d’entraves techniques aux échanges, tout en respectant les exigences en matière de sécurité et de protection de l’environnement… L’application des normes est d’autant plus difficile qu’une situation est préexistante, la normalisation, bien que les travaux viennent très souvent lorsqu’un certain nombre d’éléments sont déjà

16 Enjeux n° 258. 17 Enjeux n° 271, p. 56-58.

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connus, permet de demeurer dans le peloton de tête des évolutions de la technique. Ils servent aussi à échanger avec les confrères sur les tendances et demandes techniques du marché. Cette participation permet enfin d’anticiper les normes à venir et de pouvoir orienter nos propres développements ».

Jacques Dartoy, président du Bureau de normalisation du pétrole18, indique : « Pour l’industrie pétrolière, les mécanismes collectifs de normalisation aident à clarifier les règles de l’élaboration des normes entre les différents acteurs internationaux : administrations, sociétés, pétrolières, constructeurs d’équi-pements, prescripteurs de produits pétroliers et consommateurs. Avec un niveau de contrainte le plus faible possible, ces mécanismes doivent tendre vers un niveau de satisfaction optimal lié à la recherche d’un consensus de toutes les parties prenantes. Les normes de produits, qui sont très souvent des normes NF (françaises), NF EN (européennes) ou NF EN ISO (interna-tionales), sont en général spécifiées dans la réglementation sur les produits (arrêtés en France, directives pour l’Union européenne) et sont, de ce fait, obligatoires. Un exemple récent est la mise en place, prochainement, du mar-quage CE19 pour les produits bitumineux. Les normes de méthodes sont également très souvent des normes NF EN ou NF EN ISO. Elles sont spé-cifiées dans les normes de produits et utilisées par les laboratoires de contrôle pour vérifier la conformité aux spécifications des produits. Les normes de matériel, très souvent internationales, sont utilisées par les sociétés d’ingénierie et de construction de matériel pour la réalisation de raffineries, d’équipements de production et de transport par pipelines du pétrole et du gaz. Enfin, l’industrie pétrolière utilise souvent des standards API20 ou ASTM en complément des normes EN ou ISO. De nombreuses normes européennes ont été et sont développées sur la base de normes d’origine française, favorisant ainsi notre industrie. La mise en place du marquage CE pour les produits bitumineux va offrir aux entreprises des secteurs pétroliers et routiers, des possibilités plus souples d’exportation de produits et de savoir-faire ».

Pour Alain Freyermuth, responsable recherche d’EPB SAS21, « le principal défi, actuellement, est de définir un mode de coopération entre la normali-sation officielle AFNOR, CEN, ISO et les organismes américains de production

18 Enjeux n° 271. 19 Communauté européenne. 20 American Petroleum Institute. 21 Enjeux n° 271, p. 67.

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de standards pétroliers, API et ASTM, principalement. Autre défi, la partici-pation de plus en plus active de la Chine, de l’Inde et du Brésil dans les comités techniques de l’ISO qui concernent l’industrie pétrolière et gazière. Le CEN souhaite également augmenter la représentation des nouveaux États membres de l’Union européenne. Ceci conduira à la prise en compte d’un nombre plus important de points de vue différents pour la recherche d’un consensus. Sur le plan technique, les principaux défis concernent la prise en compte des aspects environnementaux, en raison de l’évolution de la régle-mentation et de la sensibilité de l’opinion publique. Par exemple, une réduction de la teneur en benzène des essences a été nécessaire et une recherche d’un substitut au tétrachlorure de carbone (CCI) solvant utilisé dans certaines méthodes est en cours ».

Pour sa part, le secteur de l’information et la communication se caractérise par la rapide obsolescence des technologies. Georges Épinette et Jean-François Legendre, président et rapporteur du Cos « Information et communication22 », présentent les objectifs de la normalisation. Les entreprises doivent innover, tout en assurant une massification des usages auprès des utilisateurs finaux. Cette spécificité impose une démarche préventive et proactive en matière de standardisation et une anticipation des grands enjeux d’avenir pour les entre-prises. Plusieurs éléments sont à considérer sous cet angle : l’intégration de la technologie RFID23, où il s’agit de coupler cette technologie de traçabilité à l’Internet (Wifi, Bluetooth, UMTS24), la mise en place de l’Europe des paiements (le programme de la Commission européenne SEPA25qui conduit à implanter une infrastructure harmonisée pour les paiements en Europe à l’horizon 2010 ; ce qui suppose la refonte des dispositifs de paiements par cartes bancaires et celles des normes et des standards, notamment ceux du GIE26 cartes bancaires). Un des apports fondamentaux de la normalisation est d’offrir une ouverture à ces architectures qui restent jusqu’à présent propriétaires et de portée hexagonale. Les travaux pourraient avoir lieu au CEN ou directement au sein du TC 68 de l’ISO. À terme, un système de certification sera également mis en place dans l’ensemble de l’Europe pour la conformité des équipements ».

22 Enjeux n° 271, p. 46-51. 23 Radio Frequency Identification : identification par radio fréquence. 24 Universal Mobile Telecommunication System. 25 Single European Payment Area. 26 Groupement d’intérêt économique.

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Thierry Chamfrault, de Bouygues Télécom27, président de la commission de normalisation sur l’ISO 20000, analyse le lancement de la première norme internationale sur la gestion des systèmes de management des services infor-matiques des organismes : « La norme ISO 20000 intègre le concept de service et s’oriente vers un pilotage des services par les clients externes à l’entreprise. Les entreprises sous-estiment encore le poids et l’impact de cette norme, même si elles en reconnaissent pleinement la nécessité et le bien-fondé. En effet, elle introduit une approche service et facilite, à travers un langage et un outillage communs, une universalité d’opération. Le terme normalisation est ainsi indissociable du vocable collectif. D’un point de vue pragmatique, cela donne naissance à des indicateurs concrets, acceptables et reconnus de tous, et comparables, côté mesure, par le producteur et le consommateur. Pourtant, la norme est trop souvent synonyme de certification, et certification est synonyme de sélection. "Je suis en première ligne et je pilote ou bien alors je suis tributaire d’autrui, voire je meurs". Les normes permettent aussi de nous comparer : c’est le benchmarking. Grâce à des gabarits ou des standards de fait, nous évaluons notre niveau de maturité, les coûts de production et l’efficacité de nos processus ».

Dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail, Joël Blondel et Jean-Loup Commo, président et rapporteur du Cos Santé et sécurité au travail28, observent que sous l’impulsion de la Nouvelle Approche et des directives qui en ont résulté, la normalisation européenne pour les machines et les équipements de protection individuelle a pris, dans la décennie 1990, une avance considérable et a permis d’atteindre un niveau de sécurité appré-ciable des produits. Une nouvelle étape s’ouvre pour les membres du CEN : la révision quinquennale de la première génération de normes européennes harmonisées. Or, pour nombre de celles-ci, il est prévu que cette révision permette d’adopter une seule et même norme au CEN et à l’ISO, en application avec l’Accord de Vienne. Il en résulte une tendance à l’internationalisation des normes qui devrait s’accentuer en raison des avantages qu’offre l’adoption de normes internationales. La question du niveau de sécurité des produits est à considérer dans le cadre du commerce mondial. Par ailleurs, il faut œuvrer à la réduction du risque des maladies professionnelles générées par les émissions produites par les machines. Les constructeurs doivent, en appli-cation de la directive 98/37/CE, concevoir et construire des machines dont les émissions (bruit, vibrations, rayonnements, poussières, gaz...) sont évitées 27 Enjeux n° 271, p. 51. 28 Enjeux n° 271, p. 23-26.

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ou réduites au niveau le plus bas possible. De leur côté, les utilisateurs doivent respecter des valeurs limites d’exposition issues des réglementations nationales et européennes, qu’il s’agisse des agents physiques (directives 2002/44/CE concernant les vibrations, 2003/10/CE relative au bruit, 2004/40/CE sur les champs électromagnétiques…) ou des agents chimiques (directive 98/24/CE concernant les agents chimiques, 2004/37/CE relative aux agents cancérigènes ou mutagènes, 83/477/CEE modifiée concernant l’amiante, 2000/54/CE sur les agents biologiques). L’obligation de respecter des valeurs limites d’exposition va conduire l’utilisateur à prendre davantage en compte le niveau des émissions produites par la machine qu’il va acheter ou utiliser. Pour cela, il doit disposer d’éléments d’information pertinents lui permettant d’une part, de faire des comparaisons entre les machines mises sur le marché, à condition que les valeurs fournies par les constructeurs soient comparables et d’autre part, d’apprécier le lien entre valeurs d’émission et valeurs d’exposition, lien dont la nature physique et la complexité varient d’un type d’émission à un autre ».

Didier Fortune, responsable technique et qualité d’ABB Robotic France29, explique : « La participation active aux travaux d’élaboration ou de révision des normes permet à la société ABB d’anticiper la mise en conformité de ses produits et services et d’avoir une connaissance des besoins et des exigences du marché international. Pour une entreprise internationale comme ABB, cela permet de tenir compte des besoins des clients globaux d’où une optimi-sation du nombre des versions et d’option d’un produit afin de couvrir l’ensemble du marché. »

Bernard Piquette, de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques30, souligne que, « pour appliquer correctement et avec discernement les normes, il est essentiel de connaître les raisons qui ont prévalu à l’écriture de chaque exigence. C’est pourquoi il est indispensable pour un organisme notifié de participer au travail normatif. Le fait de participer aux travaux normatifs nous permet d’une part, d’avoir une vision claire du niveau de connaissance européen sur la sécurité liée aux atmosphères explosibles et d’autre part, de s’assurer que notre point de vue est bien pris en compte ».

Il en va de même dans le domaine des transports. Patrice Vidal de la direction générale de la mer et des transports et du ministère des Transports, de l’Équipement, du Tourisme et de la Mer, chargé de mission normalisation 29 Enjeux n° 271, p. 25. 30 Enjeux n° 271, p. 24.

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Transport et logistique31 constate : « Parce qu’elles expriment un état de l’art, traduisent des exigences et favorisent l’interopérabilité, les normes sont un "outil" que la puissance publique ne saurait négliger, d’autant que l’Union européenne fait très largement appel à la normalisation pour l’application de ses politiques. Le champ de la normalisation s’étend de plus en plus aux services, au développement durable et à la protection des citoyens. Ainsi, dès février 2003, l’ANSI (American National Standard Institute) a mis en place un programme d’élaboration de normes qui a abouti à la création en janvier 2004, de l’Advisory Group Security de l’ISO, puis du CEN/WG32 161 Sécurité et protection du citoyen, et plus récemment de la réactivation en 2006 de l'ISO/TC33 223 Sécurité sociétale, animée par la Suède, dans le cadre duquel sont élaborées les nouvelles normes internationales de sécurité ».

Les exemples peuvent être multipliés, des secteurs dans lesquels l’activité normative oblige à une véritable réflexion sur le métier lui-même. Dans le domaine des services, Pascale Masson, appartenant à la direction qualité de Getronics34 indique : « Utiliser la normalisation, c’est affirmer le choix de "ne pas réinventer la roue". C’est aussi mettre en œuvre des standards reconnus, élaborés par des organismes représentatifs réunissant des professionnels, chacun d’entre nous pouvant participer aux travaux de normalisation. Nous disposons ainsi de méthodes et d’outils de performance stratégiques et opéra-tionnels, la norme étant considérée comme l’expression de bonnes pratiques reflétant l’état de l’art. J’y vois deux autres objectifs : concilier "reconnaissance" collective et individuelle par la certification (système, service, compétence) dans une dynamique d’amélioration continue et coopérer de façon trans-versale (activité, fonctions) et élargie en France, en Europe et dans le monde ».

Dans le domaine des loisirs, les normes s’attachent à définir les conditions de sécurité physique (activités sportives, loisirs, bricolage…), mais aussi psychique et morale (la prévention des abus de faiblesse dans le cas des séjours linguistiques ou de vente directe, par exemple). Souvent le recours à la normalisation devient un facteur majeur de développement de démarches qualité. À l’international, l’ISO/TC 228 Tourisme et services touristiques s’active. Concevoir des produits accessibles aux personnes souffrant de divers handicaps et aux personnes âgées est un enjeu sociétal et correspond à un

31 Enjeux n° 271, p. 21. 32 Working Group : groupe de travail. 33 Technical Comittee : comité technique. 34 Enjeux n°271, p. 31.

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marché en plein développement. La loi de février 2005 sur le handicap conduit les acteurs impliqués (collectivités locales, entreprises, institutionnels, associations…) à envisager la mise en place d’équipements et de services adaptés. Pour cela, ils ont besoin d’être guidés sur les critères à prendre en compte. Le développement de documents de référence AFNOR, listant recom-mandations et bonnes pratiques, semble apporter une réponse à ce besoin. 2007 a été l’ouverture des travaux dans le service et le tourisme en Europe et dans le monde pour tout un réseau d’acteurs : stations nautiques, clubs nautiques, experts maritimes, artisans…

Monique Ansaldi, directeur technique, appartenant à la Fédération française des industries jouet puériculture, indique que les normes, qui sont des normes produits, garantissent des exigences qui sont autant d’outils privilégiés permettant de répondre au mieux au décret de 1992 qui réglemente ce secteur d’activité en France. Cela permet aux adhérents de prendre en compte, dès l’élaboration d’un projet, les spécificités de chaque norme, même lorsqu’elle n’est pas encore adoptée définitivement. « La participation aux travaux offre aux adhérents la possibilité d’anticiper les problèmes et la fabrication. C’est un sérieux avantage concurrentiel ».

Dans le domaine de l’environnement, présenté par Diane d’Arras et Sylvie Fernandez, président et rapporteur35 : « L’Europe met en œuvre des directives européennes. La normalisation constitue alors un outil venant en appui de la réglementation, en vue notamment d’une application harmonisée. Quant à l’action internationale, elle est portée par des démarches volontaires d’entre-prises et les échanges internationaux. La normalisation dispose d’outils pour favoriser ces démarches le plus en amont possible (analyse du cycle de vie). Elle représente également un instrument de diffusion et de valorisation de ces produits ou de ces dispositifs, facilitant ainsi leur développement. Pour le développement durable, la normalisation offre des outils pour des aspects de gouvernance (management environnemental), de transparence (déclarations, étiquetage, communication), d’amélioration continue des performances envi-ronnementales. La normalisation est un outil reconnu par la Commission européenne pour atteindre les objectifs de la Stratégie de Lisbonne. Les thèmes développés sont : le développement durable, la responsabilité sociale de l’entreprise et la métrologie environnementale ».

35 Enjeux n° 271, p. 40-45.

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Christian Mayeur et Pascal Gaultier, président et rapporteur du COS Mana-gement et service36, montrent que, « si dans le domaine du management, la prise en compte des besoins du client et les systèmes de management (conçus pour donner confiance et attester de la conformité) constituent, depuis l’origine, le cœur d’activité, progressivement, les travaux se sont développés pour élargir la cible des bénéficiaires et toucher l’ensemble des parties concernées. Maintenant, le champ d’application des travaux dépasse celui de la qualité (en tant que réponse aux besoins des clients) et aborde les dimensions du développement durable au travers des aspects économiques et sociaux. Ainsi, de nouveaux champs sont explorés : évaluations des risques, satisfaction client, éthique sociale, relations mutuellement bénéfiques, externalisation, gestion des installations, lutte contre les discriminations… Être présent au CEN et à l’ISO, c’est faire reconnaître les modèles d’orga-nisation nationaux, et par anticipation, préparer les acteurs français aux futures références internationales qui guideront les échanges du commerce mondial dans les outils d’aide à la décision et au management (évaluation des risques, accréditation, certification, management…) dans les niveaux de performance des services (études de marché, centres de relation clients, valeur des marques, formation professionnelle, mesure d’audience, salons professionnels, médiation, gestion de projet…) ou vis-à-vis des thématiques plus techniques (nanotechnologies, métrologie, unités, dessins, terminologie, symboles, statistiques…). Le COS promeut et fait partager les positions françaises dans l’élaboration des normes européennes ou internationales ».

Fouad Benseddik, directeur de recherches et des relations institutionnelles de Vigeo37, commente : « Le lancement par l’ISO de travaux en vue de l’adoption de son standard de responsabilité sociale ISO 26000, a commandé en France l’implication de Vigeo au sein du groupe de travail d’AFNOR sur le déve-loppement durable et la responsabilité sociale de l’entreprise. Je participe également à la délégation française du groupe de travail de l’ISO. Ce groupe compte près de 300 experts, représentants des consommateurs, entreprises, gouvernements, organisations non gouvernementales (ONG), syndicats, structures d’audit et de conseil aux entreprises, ainsi que des organismes de normalisation et de recherche. Cette "arche de Noé" lancée en 2004 doit, normalement livrer, en 2009, un instrument de principes et d’objectifs de responsabilité sociale pertinent et opérationnel, en tout lieu et pour toute organisation. C’est une ambition dont je ne suis pas sûr que le secrétariat de 36 Enjeux n° 271, p. 27-31. 37 Enjeux n° 271, p. 43.

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l’ISO ait vraiment envisagé la démesure, mais le projet est lancé. Des résultats, même minces, vaudront mieux qu’un échec. La normalisation a maintenant vocation à interroger la complexité. Il lui faut modéliser des objets conjuguant des référentiels d’objectifs à plusieurs dimensions (sociale, sociétale, environnementale, de gouvernance, de comportement sur les mar-chés et vis-à-vis des territoires) avec des référentiels d’évaluation et de mesure qui savent, en termes intelligents, qualifier la pertinence des objectifs d’une organisation, l’efficience de ses processus et l’efficacité de ses résultats, le tout compte tenu du déroulement des temps et des contraintes de taille, de secteur, de lieu. La certification de conformité sera un instrument de mise en évidence du déploiement de processus de plus en plus couplé à des évaluations de pertinence stratégiques et d’efficacité des résultats au regard d’objectifs sans cesse nouveaux, et donnant lieu à l’assurance raison-nable de maîtrise de risques eux-mêmes de moins en moins conventionnels ».

Christian Mayeur et Pascal Gaultier38 concluent : « Toute entreprise ou orga-nisation agissant sur le marché mondial a besoin de principes et de règles assurant un minimum de "vivre ensemble" en matière de droits de l’homme, conditions d’emploi et de travail, de prévention de la corruption, de réduction des gaz à effet de serre ou de fiabilité des audits financiers. Considérant la panne durable du système multilatéral public, l’approche multiparties pre-nantes privée est aujourd’hui la seule en marche pour énoncer, en des termes opérationnels et intelligibles, ce type de normes. On peut regretter cette situation d’un point de vue politique, mais la réalité politique est celle-là ».

38 Enjeux n° 271, p. 27-31.