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Le Nouvel Observateur SEMAINE DU JEUDI 26 Juillet 2007 Nº 2229 Les Fidji et moi par Marshall Sahlins Les Fidji et moi par Marshall Sahlins Le plus grand anthropologue américain vivant, spécialiste des cultures du Pacifique, a gardé son esprit contestataire forgé lors de la guerre du Vietnam Version intégrale Le Nouvel Observateur.- D’origine russe, vous êtes né à Chicago, berceau d’une grande école d’anthropologie américaine. Comment vous est venu le goût de cette discipline? Marshall Sahlins.- L’université de Chicago a été effectivement le berceau d’une grande école d’anthropologie, mais lorsque j’y suis arrivé, en 1973, ce mouvement avait déjà vieilli. C’est la nomination de A. R. Radcliffe-Brown à une chaire de professeur, dans les années trente, qui avait fait de Chicago l’avant-poste en Amérique de l’anthropologie sociale britannique, au prix de multiples compromis avec la culture locale, comme toujours dans ce genre de situation coloniale. Mais moi, non seulement j’avais fait mes études ailleurs, en l’occurrence à l’université du Michigan puis à Columbia, mais je n’avais pour ainsi dire jamais mis les pieds à l’université de Chicago avant d’y devenir enseignant. Elle se trouvait dans le South Side, un quartier qui abritait, outre l’équipe de base-ball rivale, des Juifs allemands assez snobs, plus cultivés et plus riches que les Juifs originaires d’Europe de l’Est qui vivaient dans le West 1

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Les Fidji et moi par Marshall Sahlins, 2007

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Le Nouvel Observateur SEMAINE DU JEUDI 26 Juillet 2007

Nº 2229

Les Fidji et moi par Marshall Sahlins

Les Fidji et moi par Marshall Sahlins

Le plus grand anthropologue américain vivant, spécialiste des cultures du Pacifique, a gardé son esprit contestataire forgé lors de la guerre du Vietnam

Version intégrale

Le Nouvel Observateur.- D’origine russe, vous êtes né à Chicago, berceau d’une grande école d’anthropologie américaine. Comment vous est venu le goût de cette discipline?

Marshall Sahlins.- L’université de Chicago a été effectivement le berceau d’une grande école d’anthropologie, mais lorsque j’y suis arrivé, en 1973, ce mouvement avait déjà vieilli. C’est la nomination de A. R. Radcliffe-Brown à une chaire de professeur, dans les années trente, qui avait fait de Chicago l’avant-poste en Amérique de l’anthropologie sociale britannique, au prix de multiples compromis avec la culture locale, comme toujours dans ce genre de situation coloniale. Mais moi, non seulement j’avais fait mes études ailleurs, en l’occurrence à l’université du Michigan puis à Columbia, mais je n’avais pour ainsi dire jamais mis les pieds à l’université de Chicago avant d’y devenir enseignant. Elle se trouvait dans le South Side, un quartier qui abritait, outre l’équipe de base-ball rivale, des Juifs allemands assez snobs, plus cultivés et plus riches que les Juifs originaires d’Europe de l’Est qui vivaient dans le West Side. On ne se mélangeait pas. Je m’empresse d’ajouter que j’ai reçu une éducation purement laïque dans une famille non pratiquante, même si, selon la légende familiale, nous étions censés descendre du Bal Shem Tov, le grand mystique du dix-huitième siècle, fondateur du judaïsme hassidique. Aujourd’hui encore, je m’intéresse davantage à la religion des autres, bien que je sois prêt à concéder que l’athéisme est peut-être une solution simple et économique aux problèmes du monde. Quant à la politique, ma famille n’était affiliée à aucun parti, mais ma mère admirait Emma Goldman, et pendant le soulèvement russe de 1905, alors qu’elle n’était qu’une enfant, elle avait même transporté clandestinement des tracts révolutionnaires dans son cartable !

Il y avait donc des affinités entre ce milieu d’immigrants gauchistes du Middle West et les théories anthropologiques de Leslie White, qui a été mon mentor à l’université du Michigan. White faisait partie de ces grands « intellectuels organiques » contestataires, que

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l’Amérique rurale et des petites villes a produits dans la première moitié du vingtième siècle, au nombre desquels figurent également Thorstein Veblen, Clarence Ayres, Charles Beard et C. Wright Mills. C’étaient pour ainsi dire les athées du village : des universitaires marginaux en révolte contre les exploiteurs, les classes dominantes, les dogmes idéologiques de la société américaine. White faisait frissonner les amphis en défiant Dieu au corps à corps. Il y avait également quelque chose de très américain et de très daté dans ses théories de l’évolution culturelle et du déterminisme technologique, telle sa fameuse « loi » selon laquelle « la culture évolue au même rythme qu’augmente la quantité d’énergie obtenue par personne et par an ». Il n’a pas apprécié d’entendre le jeune thésard que j’étais lui rétorquer que cette loi n’était pas valide puisque, du début du paléolithique à la fin du néolithique, la quantité d’énergie obtenue par personne était restée constante, la seule source mécanique disponible durant cette période (à de rares exceptions près) étant le corps humain, qui travaille à une puissance constante d’environ 0,02 cv/heure.

En revanche, un autre aspect essential (et contradictoire) de l’enseignement de White, que je ne renierai jamais, consistait à définir la culture comme un ordre qui se constitue symboliquement, et qui est propre à l’espèce humaine. Il était l’un des rares anthropologues américains de son temps à citer Ferdinand de Saussure et sa théorie de l’arbitraire du signe. Comme il aimait à le répéter, aucun singe ne peut faire la différence entre de l’eau bénite et de l’eau distillée, car d’un point de vue chimique il n’y en a aucune ; c’est le sens que des humains leur attribuent respectivement qui crée une différence de valeur et d’usage. Il aurait également pu dire, pour paraphraser une formule marxiste bien connue, que la hache de pierre crée un certain type de société, et l’aciérie un autre type de société – mais c’est là qu’intervient la contradiction. Pour White, la hache, d’un point de vue culturel, n’était pas un simple outil mais « une idée » façonnée selon une norme particulière, inscrite dans une division du travail et un régime de « propriété » spécifiques, et donc fabriquée, utilisée et transmise en fonction de distinctions sociales signifiantes. Le paradoxe théorique de White, à savoir que l’infrastructure matérielle déterminante est elle-même un ordre doté d’une signification culturelle, demeure un problème insoluble pour tous les chercheurs en sciences humaines qui prétendent dissocier la culture de la praxis en en faisant le pendant idéal de la réalité matérielle.

N.O.- En 1965, vous avez lancé en pleine guerre du Vietnam le premier « teach-in » aux États-Unis. Pouvez-vous nous raconter cette expérience et le rôle que cet événement a joué dans votre pensée ?

M.Sahlins.- En mars 1965, à l’université du Michigan, je suis devenu une note en bas de page du grand livre de l’Histoire. Littéralement. Cette note apparaît dans le rapport d’une sous-commission sénatoriale intitulé : « L’Agitation anti-Vietnam et le Mouvement des « teach-in » : le problème de l’infiltration et de l’exploitation par les communistes ». Elle décrit avec une grande exactitude le moment où j’ai émis l’idée d’un « teach-in » par opposition au projet initial de « teach-out » lancé par une vingtaine de professeurs, et qui aurait consisté à annuler les cours pour organiser en dehors du campus des débats sur la guerre au Vietnam. Face aux virulentes critiques de nos collègues, j’ai donc proposé d’occuper les salles de classe après les cours, de faire des « teach-in » et de critiquer la guerre jusqu’au bout de la nuit.

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Certes, j’étais peut-être prédisposé aux oppositions binaires, car dans les années soixante les Américains se passionnaient pour Lévi-Strauss. Mais il existait aussi des conditions structurelles plus générales, notamment le fossé des générations qui se creusait à l’époque : les étudiants, qui jusque alors étaient des apprentis adultes bourgeois, se mettaient à imiter la classe ouvrière : Levi-Strauss, les jeans, pas les livres ! Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, il n’y avait qu’un seul type de musique populaire à la mode en Amérique, qu’appréciaient les adultes comme les adolescents. Et puis ont surgi Elvis et les Beatles, prouvant que Confucius et Platon avaient eu raison de s’inquiéter du rapport entre musique et harmonie politique. En fait, il existait déjà parmi la jeunesse américaine des mouvements contre-culturels et contestataires dignes de ce nom avant même l’intensification du conflit vietnamien en février 1965. Il est indéniable que le Free Speech Movement (Mouvement pour la liberté d’expression) de Berkeley a dû inspirer une certaine « jalousie d’émeute » à l’université du Michigan. Mais surtout, le teach-in faisait écho aux sit-in antiségrégationnistes du SNCC (Comité de coordination étudiante non-violente) dans le Sud des Etats-Unis, qui eux-mêmes renvoyait au « sit-down » des ouvriers qui avaient occupé l’usine Ford de Flint, dans le Michigan, en 1936-1937, lors de la grève la plus célèbre de l’histoire ouvrière américaine. En réévaluant le rôle que j’ai joué dans cette conjoncture, j’en suis venu à la conclusion que le rôle historique des individus s’autorise lui-même d’une structure, c’est-à-dire d’une position au sein d’un système, même si cette position ne suffit pas à déterminer ce qu’ils feront. Le pouvoir collectif peut s’incarner dans un individu : soit par une initiative heureuse et opportune – comme dans le cas des teach-in, qui connurent un franc succès –, soit par l’autorité constituée de l’individu agissant, en tant que dirigeant désigné d’une collectivité structurellement organisée pour refléter et faire entendre tout ce qu’un George W. Bush ou un Alcibiade peut faire ou subir. Mais dans tous les cas, si cet individu détermine le destin de la collectivité, celle-ci en revanche ne détermine pas en elle-même son individualité. Comme dit Sartre, le groupe est contraint de se réaliser de la même façon qu’il s’est laissé personnifier. L’opposition à la guerre du Vietnam était sans doute inévitable au printemps de 1965, mais le teach-in n’en était qu’une forme contingente. En temps normal, il y aurait peut-être eu des grèves, sans doute des manifestations hebdomadaires, et assurément des pétitions signées par des philosophes.

Plus généralement, dans le sillage de la guerre froide, la guerre du Vietnam a eu un impact politique considérable sur pratiquement toutes les disciplines universitaires aux États-Unis : il a fallu choisir de collaborer avec une mégalomanie impérialiste en plein essor, soit de s’y opposer. Des considérations politiques et stratégiques ont affecté, voire dicté les recherches scientifiques à entreprendre, les langues à enseigner, les régions du monde à étudier. Un certain fonctionnalisme du pouvoir est devenu le discours normatif dans les sciences humaines, ravies de dissoudre les propriétés des institutions sociales dans leurs effets politiques supposés, et les conséquences de ce phénomène continuent de se faire sentir. De fait, si l’on considère à quel point la guerre froide imprégnait tous les domaines de réflexion, l’époque se prêtait idéalement à la pensée de Foucault, qui lui aussi voyait du pouvoir partout. Globalement, et c’est tout à leur honneur, les sciences humaines et les lettres ont choisi de combattre les pouvoirs en place, en développant une critique anti-hégémonique du nationalisme, de l’impérialisme, de l’État, du racisme, du sexisme et autres démons planétaires. Au risque de se débattre depuis dans une inévitable contradiction, puisque en privilégiant les contre-discours libérateurs de l’anti-structure ou

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de la déconstruction, elles entérinent implicitement certains discours de domination comme récits fondateurs, notamment la version foucaldienne.

Mais si pour beaucoup de gens la leçon des années soixante a été de s’opposer à toutes les formes de pouvoir, la leçon du Vietnam m’a avant tout appris à célébrer toutes les formes de culture. Le succès des Vietnamiens face à la puissance américaine ne risquait guère de me donner confiance dans le déterminisme technologique que j’avais appris à l’université. J’ai entamé une série d’études sur ce que j’ai appelé « l’indigénisation de la modernité », en référence aux différentes méthodes culturelles qu’ont employées les Esquimaux, les peuples de Nouvelle-Guinée, les Polynésiens etc. pour inscrire un « système mondial » envahissant dans un cadre encore plus englobant : leur propre système du monde.

N.O.-En 1968 et 1969, vous travaillez à Paris avec Lévi-Strauss. Qu’avez-vous retiré de cette confrontation ?

M.Sahlins.- Il m’est impossible de synthétiser tout ce que j’ai appris alors à son laboratoire du Collège de France. Permettez-moi donc de résumer cette expérience. En 1969, j’y ai présenté une recherche sur certains systèmes d’échange traditionnels d’Australie et de Mélanésie, en précisant bien au préalable que je n’étais pas structuraliste, car je ne parlais pas d’un échange de femmes ou de paroles mais d’une infrastructure matérielle bien réelle et concrète – dont Lévi-Strauss avait du reste déjà concédé l’analyse à Marx. Lors de la discussion qui a suivi, il a affirmé qu’après tout j’étais quand même structuraliste, puisque ce que j’avais démontré concernant ces échanges matériels correspondait à certaines structures d’échange matrimonial qu’il avait décrit dans Les Structures élémentaires de la parenté. J’ai protesté, en citant le passage de La Pensée sauvage où il déclare que le structuralisme est spécifiquement une science de superstructures. « C’est vrai, a-t-il répliqué, mais vous devez comprendre que j’ai appris l’anthropologie auprès de Franz Boas et de Robert Lowie, qui discutaient avec els Indiens des réserves des coutumes des générations passées » – il appelait ça « l’archéologie du vivant ». « Personne ne prêtait attention à l’existence des Indiens contemporains, a-t-il ajouté. Mais aujourd’hui, il faut étendre le structuralisme aux infrastructures. » J’ai rétorqué que je croyais que sa restriction du structuralisme aux superstructures était une question de principe scientifique, et je n’ai pu m’empêcher de lui demander : « Qu’est-ce que c’est au juste, le structuralisme ? » Et il m’a répondu : « Enfin, c’est la bonne anthropologie. » Et effectivement, selon ce critère, j’ai admis que j’étais structuraliste.

N.O.- Depuis quand vous intéressez-vous à la Polynésie et aux Îles Fidji ? Pouvez-vous nous expliquer votre choix d’une ethnographie historique, fondée sur les archives plus que sur le terrain ? Qu’avez-vous appris de ces sociétés ?

M. Sahlins.- Comme sans doute beaucoup d’hommes de ma génération, mon initiation à l’anthropologie a épousé, à sa modeste échelle, le parcours du premier grand maître américain, Lewis Henry Morgan. Ce jeune avocat de l’État de New York avait, dans les années 1840, rejoint les rangs d’une confrérie dont les membres se déguisaient en Indiens et tenaient des discours ineptes du genre : « le pin tordu de la grande forêt a parlé de sa langue

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fourchue ». Frustré par cette vision caricaturale, Morgan a décidé d’étudier sur le terrain les tribus iroquoises locales, et du même coup a inauguré la tradition ethnographique américaine. De même, mon enfance passée à jouer aux cow-boys et aux Indiens et à lire des romans à la Fenimore Cooper écrits en faux Indien (l’équivalent du « petit-nègre ») m’a poussé à étudier sur le terrain un type de clan inhabituel car hiérarchisé, qu’on qualifie de « clan conique », et dont on venait de décrire la structure chez les Aztèques précolombiens d’avant le « premier contact » [avec les Européens]. Je venais d’achever une étude des hiérarchies politiques polynésiennes, et c’est aux Fidji que l’on pouvait réaliser une étude ethnographique de ce type de hiérarchie clanique.

Pourtant, j’ai failli renoncer lors de mon « premier contact ». Comme un chef qui occupait une place importante au gouvernement était intervenu en ma faveur, toute l’île de Moala, où j’avais choisi de travailler, s’était pour ainsi dire déplacée pour m’accueillir solennellement. Lorsque, au moment approprié du rituel, j’ai expliqué que j’étais venu expliquer leurs coutumes, le maître de cérémonies a répondu : « Eh bien, on est tous là. Qu’est-ce que tu veux savoir ? », sans doute ravi à l’idée qu’ainsi je repartirais dès le lendemain. Et lorsque j’ai demandé d’où venaient les habitants de Moala, on m’a répondu : « Du Tanganyika, via l’Égypte, la Nouvelle-Guinée et les Îles Salomon, sur une feuille d’arbre à pain. » Il m’a fallu longtemps pour surmonter la tentation historiciste d’ignorer cette histoire comme relevant du kitsch colonial. Ce n’est que plus tard, une fois en possession de nouveaux éléments, que j’y ai découvert les grandes lignes des vieilles traditions des chefferies fidjiennes. J’ai fini par comprendre que ces récits s’apparentaient à une extension cosmographique des structures indigènes conciliable avec le nouvel ordre mondial et la nouvelle hiérarchie des pouvoirs introduits par els Européens. Un tel phénomène n’est pas circonscrit aux Îles Fidji, ni forcément associé à la colonisation européenne. Plusieurs sultans musulmans de Malaisie et de Sumatra, reflétant l’extension du commerce turc et arabe au quinzième siècle, se sont « découverts » descendants d’Alexandre le Grand, identifié à un héros conquérant mentionné dans le Coran. Si j’avais pu leur poser la question, ils m’auraient dit que leurs ancêtres venaient de « Rum » (Constantinople).

De la même façon, ma recherche ultérieure aux Fidji ne privilégie pas les archives par rapport au travail de terrain, mais recourt plutôt à l’ethnographie pour décoder l’histoire. En passant mes semaines aux Archives nationales de l’archipel, et mes week-ends dans les villages, j’ai pu souvent constater, dans la survivance de certaines pratiques, l’importance des relations politiques, des signes extérieurs de richesse et autres éléments ethnographiques qui jouaient un rôle considérable dans les textes du dix-neuvième siècle. Le terrain permet également de corriger certaines altérations présentes dans les archives, notamment dans des textes anglais qui s’appuient en fait sur des grammaires culturelles fidjiennes. Ainsi, un missionnaire rapporte qu’un chef lui a déclaré : « Vos fusils sont vrais ; vos bateaux sont vrais ; donc votre christianisme doit être vrai. » D’innombrables rituels contemporains confirment qu’en fidjien « vrai » est un synonyme de mana, la puissance sacrée qui demeure invisible. Contrairement aux apparences induites par la langue anglaise, le chef n’était donc pas un marxiste évoquant la détermination de la superstructure par les fondements économiques, mais plutôt l’inverse.

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N.O.- Pourquoi écrivez-vous que la tradition dans ces sociétés du Pacifique peut être aussi une modalité du changement ?

M.Sahlins.- Depuis le dix-huitième siècle, les peuples du Pacifique ont inscrit les formes et les forces de l’intrusion occidentale dans leur cadre de la conception qu’ils se faisaient d’eux-mêmes comme êtres sociaux. Dans la mesure où la survie de leur communauté l’a permis, ils sont restés acteurs et moteurs de leurs propres histoires. J’emploie le pluriel de ce terme à dessein, car c’est avant tout dans leurs cultures respectives qu’ils ont puisé les ressources pour rester acteurs de leurs histoires : la tradition devient donc le médiateur et la mesure des transformations qu’ils connaissent.

Il suffit d’étudier deux exemples très différents de christianisation, tous deux selon un modèle protestant et même puritain : d’un côté les Urapmin de Nouvelle-Guinée, qui n’ont pas tardé à se savoir affligés du péché originel et se sont donc convertis massivement (par contact avec d’autres peuples de Nouvelle-Guinée) avant même d’avoir vu le moindre missionnaire européen ; et de l’autre les Hawaïens, surtout ceux du petit peuple, qui sont demeurés « licencieux » et ont résisté à la conversion pendant des décennies parce que, comme l’ont souvent remarqué les missionnaires américains, « ils manquaient de dégoût d’eux-mêmes ». Je me contenterai de mentionner quelques éléments culturels pour rendre compte de cette différence. À commencer par le caractère fortement centralisé de la société hawaïenne, fondée sur un principe hiérarchique quasi dumontien, selon lequel l’existence et le bonheur du petit peuple dépendaient des actions de ses chefs. Indépendamment de leurs propres convictions, comme ils le répétaient aux missionnaires désespérés, les gens ordinaires se convertiraient au christianisme quand leur chef en donnerait l’exemple. Mais, compte tenu de la valeur politique et matérielle des relations érotiques dans ce système – le fameux « esprit aloha » qui gouvernait le sort des chefs comme des roturiers –, il était difficile de les convaincre de pratiquer l’abstinence et la mortification en lesquelles les protestants voyaient le signe de la grâce divine. Un missionnaire déplorait le fait que les Hawaïens disposaient d’une vingtaine de mots différents pour désigner l’adultère : s’il en choisissait un pour traduire le septième commandement, ils penseraient que les autres formes d’adultère restaient licites. Inversement, les Urapmin, qu’a récemment étudiés Joel Robbins, forment un petit groupe relativement égalitaire de 360 personnes qui se marient entre elles et se trouvent donc prises dans des rapports réciproques de parenté complexes, intense et souvent incompatibles. On pourrait dire que, dans leur système traditionnel, toute bonne action était aussi une mauvaise action, puisque le choix de vivre avec quelqu’un impliquait de négliger quelqu’un d’autre, non moins proche ; en offrant des cadeaux à certains, on encourait le reproche de bafouer ses obligations envers les autres. Il n’est donc pas étonnant que, pour traduire le concept chrétien de péché, les Urapmin emploient le terme de « dette ». Mais ils se trompaient en croyant que le christianisme serait leur rédemption. Puisqu’ils ne pouvaient pas renoncer purement et simplement à leur culture traditionnelle, ils n’ont fait qu’aggraver leur cas, car elle est incompatible avec les idéaux d’harmonie chrétienne.

N.O. Quel est le rôle de la culture dans votre recherche anthropologique ?

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M.Sahlins.- Pour moi, la culture, c’est tout. Dans ses formes et ses transformations, son rôle dans l’histoire des sociétés et dans l’organisation des individus, la culture est l’objet par excellence de tout savoir anthropologique.

Le meilleur moyen d’illustrer cette conviction est peut-être de contester le folklore du déterminisme génétique qui est devenu si à la mode en Amérique : ce mouvement prétend expliquer rapporter toute forme culturelle à une « nature humaine » universelle fondée sur l’intérêt personnel et l’esprit de compétition. Associées aux théories économiques du « choix rationnel », qui sont du même tonneau, sans parler du « gros bon sens », de la « sagesse populaire », des disciplines vulgarisées telles que la sociobiologie et la psychologie évolutionniste sont en train de créer une science humaine multi-usages, la science du « gène égoïste ». Naturellement, il est facile de reconnaître dans cette prétendue nature humaine le vieux sujet bourgeois. Trop d’Américains sont encore convaincus que l’espèce, c’est moi.

Pourtant, comme le prouve l’anthropologie la plus élémentaire, vivre sa vie en conformité avec la culture permet d’avoir la possibilité, et de reconnaître la nécessité, de satisfaire nos inclinations naturelles sur le mode symbolique, selon des définitions signifiantes de nous-mêmes, de notre environnement, de nos relations et de nos productions. De fait, la culture humaine est beaucoup ancienne que notre nature en tant qu’espèce, car elle remonte à au moins deux millions d’années, alors que l’homo sapiens n’a émergé qu’il y a environ 200 000 ans, engendré dans et par un contexte culturel qui prenait en charge la reproduction humaine. Si nous avons évolué biologiquement, c’est sous la pression de la sélection culturelle, c’est-à-dire la nécessité de culturaliser notre animalité. Cela ne fait pas de nous ou de nos ancêtres des « pages blanches » dénuées de tout impératif biologique ; simplement, ce qui a été sélectionné de façon spécifique pour le genre Homo a été la capacité de réaliser ces impératifs de mille manières différentes et méconnues, mais démontrées par l’histoire et l’anthropologie.

Le fait le plus pertinent pour comprendre les rapports entre culture et nature humaine, ce n’est pas (par exemple) que toutes les cultures connaissent la sexualité, mais que toute sexualité connaît la culture. Les pulsions sexuelles sont diversement exprimées et réprimées selon des définitions, spécifiques à chaque culture, de ce que sont les partenaires, les circonstances, les lieux, les moments, et les fonctions corporelles appropriés. Certains pratiquent même le sexe par téléphone. Un autre exemple de manipulation (le jeu de mots est délibéré) conceptuelle, c’est la célèbre réplique de Bill Clinton : « Je n’ai pas couché avec cette femme. » Inversement, nous sublimons notre sexualité générique de mille manières, y compris en la transcendant et en lui préférant la chasteté, valorisée par la pensée chrétienne – ce qui prouve au demeurant qu’il existe des moyens plus convaincants de parvenir à l’immortalité que les dispositions insondables de gènes inconscients. (Après tout, l’immortalité est un phénomène complètement symbolique, et rien d’autre.) Il en va de même pour l’agressivité : on peut jouer à la guerre sur les pelouses de Cambridge ; descendre en flammes le dernier livre d’un universitaire ennemi ; ou même, à la new-yorkaise, répondre à un « Passez une bonne journée » par « JE N’AI PAS D’ORDRES À RECEVOIR DE VOUS ! » Quels que soient nos besoins, nos pulsions, nos inclinations innés, qu’ils soient d’ordre agressif, égoïste, alimentaire, sociable ou altruiste, ils relèvent d’une définition symbolique et donc de l’ordre culturel. Chez l’espèce humaine, la biologie est un déterminant culturellement déterminé.

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N.O.- La vraie pensée sauvage est-elle celle du capitalisme contemporain ?

M.Sahlins.- Pas au sens strict. Plus exactement, le capitalisme contemporain implique une même logique culturelle du concret sous la forme de valeurs d’usage, qui une fois fétichisées en tant que prix et mises en œuvre à des fins de profit, font indéniablement l’effet d’une pensée sauvage incontrôlée. Notre rationalité pécuniaire a beau l’occulter, elle est sous-tendue par tout un système de valeurs culturelles motivées qui associent des sujets et des objets, donc des préférences et des produits, en fonction de leurs traits distinctifs. Bien sûr, cette réalité passe inaperçue aux yeux des sujets bourgeois – qui vivent généralement leurs valeurs culturelles comme un habitus, sans y prêter attention – comme à ceux des économistes qui, ayant défini leur domaine comme une rationalité prudente, cantonnent les formes culturelles aux limbes des facteurs « exogènes », voire « irrationnels ». Les consommateurs américains, par exemple, résument certains rapports entre l’anatomie des animaux comestibles et le contexte où on les mange à la simple formule : le filet mignon est au hamburger ce que la gastronomie est à la malbouffe. On ne se rend pas compte que nos choix rationnels – pas question de servir des hamburgers à des invités qu’on respecte – sont fondés sur un code de valeurs qui n’a guère à voir avec le caractère nutritif, et tout à voir avec la signification respective des organes et des muscles, de la chair et des « abats », du découpé et du haché, des plats cuisinés et des sandwiches etc. De la même façon, ce ne sont pas les qualités concrètes des vêtements qui expliquent la différence de style vestimentaire manifestant la distinction sociale en vigueur entre hommes et femmes travail et loisirs, hommes d’affaires et policiers, bals des débutantes et boîtes de nuit : il suffit de penser à toutes les significations que véhicule un vêtements comme Barthes nous l’a appris.

Manifestement, il était prématuré de célébrer le triomphe du naturalisme depuis le dix-septième siècle comme un « désenchantement du monde ». En fait, on a vu la société occidentale se laisser enchanter par le monde, c’est-à-dire par les valeurs culturelles du corps plutôt que de l’esprit. Nous vivons aujourd’hui dans un monde enchanté par des objets sémiotiquement construits et culturellement relatifs tels que l’or, la soie, les ceps de pinot noir, le pétrole, le filet mignon, les tomates premier choix et l’eau pure des Fidji. On assiste à une construction de la nature par des schèmes culturels historiquement déterminés, mais dont les qualités symboliques sont transformées par la spéculation en quantités pécuniaires, dont les sources sociales sont attribuées à des désirs individuels, et dont l’assouvissement arbitraire est travesti en choix universellement rationnel.

Mais comme il est poussé à la compétition par l’intérêt financier, cet enchantement produit une infinie diversité d’objets, tant qu’il demeure possible de métamorphoser en marchandises rentables les distinctions sociales des sujets et des objets. Comme le disait Aristote il y a bien longtemps, en développant une opposition avec le nombre limité de choses (en tant que valeurs d’usage) indispensables pour bien vivre : « il n’y a pas de limite à la richesse de l’homme. » Donc pas de limite non plus à notre logique culturelle du concret, tant qu’elle s’organise en quête perpétuelle de besoins infinis et de gains pécuniaires.

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N.O.- Vous n’hésitez pas à faire des comparaisons entre des civilisations éloignées géographiquement et historiquement, comme entre les guerres du Péloponnèse racontées par Thucydide et celles des îles Fidji. Que vous apporte ce regard croisé ?

M.Sahlins.- Le conflit entre les royaumes fidjiens de Bau et de Rewa (et leurs alliés respectifs), qui a duré de 1843 à 1855, a été la plus grande guerre livrée dans les mers du Sud avant la Deuxième Guerre mondiale. Bau (comme Athènes) étant une puissance navale impérialiste et Rewa (comme Sparte) une vieille puissance terrestre, la guerre de Polynésie avait déjà inspiré des comparaisons avec la guerre du Péloponnèse aux visiteurs européens du milieu du dix-neuvième siècle. Pour ma part, j’ai tiré de cette comparaison beaucoup d’enseignements, et singulièrement celui-ci : pour bien comprendre l’Histoire, la dynamique de différence synchronique est l’indispensable complément des processus diachroniques de filiation. Certes, une telle révélation n’avait rien de bien neuf, puisque Aristote disait déjà dans sa Politique que les contraires sont la source des contraires – même si lui-même n’a guère exploité ce principe historiographique, puisqu’il a cherché en Crète, selon une démarche généalogique, la source de la constitution spartiate, en négligeant le contraste avec la démocratie athénienne. Heureusement, il existe une autre façon de lire la généalogie des royaumes fidjiens. Ce qu’elles révèlent, en termes de parenté locale, c’est que la différence de structure politique entre Bau et Rewa procédaient d’une interdépendance, comparable à la relation entre parenté par le sang (consanguinité) et parenté par mariage (affinité), ce qui laisse à penser que els Fidjiens eux-mêmes étaient conscients que ces structures étaient le miroir inversé (l’antithèse) l’une de l’autre. De la même façon, Athènes et Sparte constituent des antitypes structurels et historiques : ces deux cités étaient respectivement cosmopolite et xénophobe, maritime et terrestre, commerçante et autarcique, luxueuse et frugale, démocratique et oligarchique, urbaine et villageoise, autochtone et immigrante… On pourrait poursuivre ces dichotomies à l’infini. Ce qui rappelle l’injonction si influente de Lévi-Strauss dans Race et Histoire : « Il faut se garder d’étudier au coup par coup la diversité des cultures humaines, car cette diversité naît moins de l’isolement des divers groupes que des rapports entre eux. » Dans la mesure où ce principe est confirmé à maintes reprises dans les Mythologiques, on est tenté de conclure que, malgré son attachement à la synchronie, le structuralisme est aussi vigoureusement historiciste.

N.O.- Que peuvent-nous apprendre les guerres du Péloponnèse sur la guerre d’Irak aujourd’hui ?

M.Sahlins.- En substituant le logos au mythos d’Hérodote, Thucydide a usurpé le titre de « père de l’histoire », devenant le chouchou des pragmatiques des relations internationales et autres adeptes occidentaux de la Realpolitik. Et il est probable que sa réputation demeurera intacte parmi les théoriciens de la rationalité et de l’intérêt personnel, même si la guerre menée par Bush en Irak est sans doute la plus irrationnelle des gaffes politiques depuis l’invasion de la Sicile par les Athéniens. Mais le parallèle le plus éclairant avec l’Irak nous est offert par la guerre civile anarchique (stasis) qui ravagea Corcyre, où Spartiates et Athéniens se retrouvèrent impliqués dans le conflit interne qui opposait les oligarques locaux au demos pour le contrôle de la cité. D’ailleurs, ce conflit a été lourd de conséquences pour la philosophie politique occidentale, car la description que faisait

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Thucydide de Corcyre livrée au chaos a fourni à Thomas Hobbes (qui fut le premier à le traduire en anglais) le modèle de « l’état de nature » tel qu’il le concevait.

À Corcyre comme en Irak, lorsque les institutions étatiques ont perdu toute légitimité et que la violence est devenue le recours privilégié de toute cause partisane, les valeurs sacrées de justice, de morale et de religion ont été noyées dans le sang et réduites à néant. Platon remarquait un jour que chaque polis se compose en fait de plusieurs poleis, car elle se divise en cité des riches et cité des pauvres, en guerre l’une contre l’autre, et que chacune est elle-même partagée entre des factions opposées. Et lorsque des causes et des forces internationales – telles la domination athénienne sur Corcyre ou l’opposition entre démocratie et fondamentalisme islamique en Irak – viennent s’ajouter aux dissensions locales, on a l’impression d’assister à un effondrement de l’ordre culturel et à l’irruption de la nature humaine sous sa forme la plus brutale. À Corcyre, écrit Thucydide, « même les mots durent renoncer à leur sens habituel et accepter celui qu’on leur donnait ». La préméditation est ainsi devenue « légitime défense » ; la modération « manque de virilité » ; la prudence « lâcheté ». En écho à certains arguments des sophistes, opposant le caractère superficiel de la culture (nomos) au caractère irrésistible de la nature (physis), l’historien antique affirmait qu’un tel déferlement d’hypocrisie et d’injustice se produirait chaque fois que le désir naturel de pouvoir et de profit se heurterait aux conventions fragiles de l’ordre social. Et on retrouve encore des échos de cette idéologie dans le commentaire de Donald Rumsfeld sur le chaos qui a suivi l’occupation américaine de Bagdad : « Tôt ou tard, ça devait arriver », version aseptisée de : « Tôt ou tard, ça devait péter ».

C’est un défaut que les Occidentaux attribuent toujours aux autres peuples, mais eux-mêmes sont bien prompts à confondre nature et culture. Que ce soit à Corcyre ou en Irak, il a fallu une gigantesque combinaison de causes morales et politiques conflictuelles pour produire ce prétendu état de nature. À ce titre, il est difficile de croire Thucydide lorsqu’il affirme qu’à Corcyre les mots avaient perdu leur sens : c’est plutôt l’usage hypocrite qu’on en faisait, le mensonge flagrant qui ont dû exaspérer les gens. Quand on vit, comme les Américains, sous un régime qui, au nom d’un « conservatisme de compassion » (une contradiction dans les termes !), enrichit encore les plus riches aux dépens de la société, il est permis de douter qu’un tel cynisme parvienne vraiment à transformer le sens du mot « compassion » : il met plutôt à nu les mensonges de ceux qui détournent ainsi le langage. Ce n’est pas un hasard si George W. Bush est le président américain le plus détesté depuis… eh bien, depuis Clinton. Mais attribuer le chaos créé par cet abus de langage à quelque disposition humain naturelle et pré-langagière revient à pratiquer jusqu’à l’absurde le même genre de mensonge verbal qu’on prétend démasquer. À Corcyre comme en Irak, l’intervention de puissants facteurs externes a donné une valeur nouvelle et absolue aux schismes internes de la cité, les rendant aussi insolubles qu’abstraits et idéologiques. Désormais, on se battait pour ou contre des généralités : la « liberté », l’« esclavage », la « démocratie », l’« islam », la « dictature », le « terrorisme », l’« impérialisme ». Ce qui prouve simplement qu’il faut beaucoup de culture pour créer un état de nature.

Né en 1930 à Chicago, collaborateur de Claude Lévi-Strauss dans les années 60, Marshall Sahlins est aujourd’hui professeur honoraire à l’Université de Chicago. Il est l’auteur de nombreux livres dont « Age de pierre, âge d’abondance », « Au cœur des

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sociétés primitives. Raison utilitaire et raison culturelle », « Critique de la sociobiologie », tous traduits chez Gallimard. Est paru cette année : « La découverte du vrai Sauvage et autres essais » qui récapitule son itinéraire intellectuel.

Propos recueillis par François Armanet et Gilles Anquetil

Le Nouvel Observateur

TRADUÇÃO

FOLHA DE SÃO PAULOSão Paulo, domingo, 18 de novembro de 2007

Caderno MAIS!

Natureza em construção

PROFESSOR EMÉRITO DA UNIVERSIDADE DE CHICAGO, MARSHALL SAHLINS FALA DE SUA EXPERIÊNCIA COM NATIVOS DA OCEANIA E COMPARA A GUERRA DO IRAQUE AOS CONFRONTOS ENTRE ESPARTA E ATENAS

FRANÇOIS ARMANET

GILLES ANQUETIL

Marshall Sahlins, 76, é professor emérito da Universidade de Chicago. Colaborador de Claude Lévi-Strauss nos anos 1960, Sahlins é considerado o maior antropólogo americano vivo. Ele é autor de livros como "História e Cultura" (ed. Jorge Zahar) e "Esperando Foucault, ainda" (Cosacnaify).

Especialista nas culturas do Pacífico, conservou seu espírito de contestador, forjado com a Guerra do Vietnã, como se verifica na entrevista abaixo. Sahlins também fala da Guerra do Iraque e a compara aos confrontos entre Atenas e Esparta, na Antigüidade.

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PERGUNTA - De origem russa, o sr. nasceu em Chicago, berço de uma grande escola da antropologia norte-americana. De onde lhe veio o gosto por essa disciplina?

MARSHALL SAHLINS - A Universidade de Chicago de fato foi berço de uma grande escola de antropologia, mas quando cheguei a ela, em 1973, esse movimento já tinha envelhecido. Foi a escolha de Radcliffe-Brown para uma cadeira de professor, nos anos 1930, que fez de Chicago o posto avançado, nos EUA, da antropologia social britânica, ao preço de várias conciliações com a cultura local, como é o caso nesse gênero de situação colonial.

A universidade ficava no South Side, um bairro que, além da equipe de beisebol rival, abrigava judeus alemães bastante esnobes, mais cultos e ricos que os judeus originários da Europa Oriental que viviam no West Side. A gente não se misturava.

Sempre faço questão de acrescentar que tive uma criação inteiramente laica numa família não-praticante. Quanto à política, minha família não era filiada a nenhum partido, mas minha mãe admirava Emma Goldman [1869-1940, militante anarquista] e, durante o levante russo de 1905, quando ainda era criança, chegou a transportar folhetos revolucionários escondidos em sua mala escolar!

Havia, portanto, afinidades entre esse meio de imigrantes esquerdistas do Meio-Oeste americano e as teorias antropológicas de Leslie White [1900-75], que foi meu mentor na Universidade de Michigan. White era um dos grandes "intelectuais orgânicos" contestatários que a América rural e das pequenas cidades produziu na primeira metade do século 20, entre os quais figuram também Thorstein Veblen, Clarence Ayres, Charles Beard e C. Wright Mills.

Eles eram, por assim dizer, os ateus da aldeia: universitários marginais em revolta contra os exploradores, as classes dominantes, os dogmas ideológicos da sociedade americana.

PERGUNTA - Em 1965, em plena Guerra do Vietnã, o sr. lançou o primeiro "teach-in" [manifestação em forma de aula] dos EUA. Poderia nos relatar essa experiência e o papel que esse evento exerceu em seu pensamento?

SAHLINS - Lancei a idéia de um "teach-in", em oposição ao projeto inicial de "teach-out" lançado por cerca de 20 professores, que teria consistido em suspender as aulas para organizar debates sobre a Guerra do Vietnã, fora do campus.

Diante das críticas virulentas de nossos colegas, propus, então, que ocupássemos as salas de aula após as aulas, fizéssemos "teach-ins" e criticássemos a guerra até tarde da noite.

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É verdade que eu talvez tivesse uma predisposição para as oposições binárias, pois nos anos 1960 os americanos estavam se apaixonando por [Claude] Lévi-Strauss.

Mas existiam, também, condições estruturais mais gerais, especialmente o abismo de gerações, que se aprofundava nessa época: os estudantes, que até então vinham sendo aprendizes de adultos burgueses, começavam a imitar a classe operária -Levi Strauss, os jeans, não os livros!

No pós-guerra havia apenas um tipo de música popular que estava na moda nos EUA, e era apreciada igualmente por adultos e adolescentes. Então surgiram Elvis e os Beatles, comprovando que Confúcio e Platão tinham razão ao se preocuparem com a relação entre a música e a harmonia política.

De fato, já existiam na juventude americana movimentos contraculturais e contestatários dignos desse nome antes mesmo da intensificação do conflito no Vietnã, em fevereiro de 1965.

Ao reavaliar o papel que desempenhei nessa conjuntura, cheguei à conclusão de que o papel histórico dos indivíduos autoriza a si próprio uma estrutura -ou seja, uma posição no interior de um sistema, mesmo se essa posição não basta para determinar o que eles farão.

O poder coletivo pode encarnar-se em um indivíduo: seja por uma iniciativa feliz e oportuna -como no caso dos "teach-ins", que tiveram grande sucesso-, seja pela autoridade constituída do indivíduo agindo na condição de dirigente designado de uma coletividade estruturalmente organizada para refletir e fazer ouvir tudo o que um George W. Bush pode fazer ou suportar.

Em todos os casos, porém, se esse indivíduo determina o destino da coletividade, esta, por sua vez, não determina sua própria individualidade. Como diz Sartre, o grupo é obrigado a se realizar, da mesma maneira como se deixa personificar.

De maneira geral, na esteira da Guerra Fria, a Guerra do Vietnã exerceu impacto considerável sobre praticamente todas as disciplinas universitárias nos EUA. Considerações políticas e estratégicas afetaram ou até mesmo ditaram a escolha das pesquisas científicas a serem empreendidas, das línguas a serem ensinados, das regiões do mundo a serem estudadas.

Se consideramos até que ponto a Guerra Fria impregnou todos os campos de reflexão, a época se prestava idealmente ao pensamento de Foucault, que, também ele, enxergava o poder por toda parte.

Globalmente, as ciências humanas e as letras optaram por combater os poderes instituídos, desenvolvendo uma crítica anti-hegemônica do nacionalismo, do imperialismo, do Estado, do racismo, do sexismo e de

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outros demônios planetários. Elas correram o risco de se debaterem numa contradição inevitável, já que, privilegiando os contradiscursos libertadores da anti-estrutura ou da desconstrução, implicitamente ratificaram certos discursos de dominação como sendo relatos fundadores, mais especialmente a versão foucaultiana.

Mas se, para muitas pessoas, a lição dos anos 1960 foi a de se opor a todas as formas de poder, a lição do Vietnã me ensinou sobretudo a celebrar todas as formas de cultura. O êxito dos vietnamitas diante do poderio americano não reforçou minha confiança no determinismo tecnológico que eu aprendera na universidade.

Um missionário deplorou o fato de os havaianos disporem de 20 palavras diferentes para designar o adultério

Iniciei uma série de estudos sobre o que chamei de a "indigenização da modernidade", fazendo referência aos diferentes métodos culturais empregados pelos esquimós, os povos da Nova Guiné, os polinésios etc.

para inscreverem um "sistema mundial" invasor dentro de um contexto ainda mais englobador: seu próprio sistema do mundo.

PERGUNTA - Em 1968 e 1969 o sr. trabalhou com Lévi-Strauss em Paris. O que tirou desse confronto?

SAHLINS - É impossível para mim sintetizar tudo o que aprendi nessa época no laboratório de Lévi-Strauss no Collège de France. Permita que eu resuma essa experiência. Em 1969 apresentei uma pesquisa sobre determinados sistemas de troca tradicionais da Austrália e da Melanésia, precisando bem, no preâmbulo, que eu não era estruturalista, pois não falava de uma troca de mulheres ou de palavras, mas de uma infra-estrutura material bastante real e concreta -cuja análise Lévi-Strauss já concedera a Marx.

Durante a discussão que se seguiu, ele afirmou que eu era estruturalista, sim: afinal, aquilo que eu demonstrara com relação às trocas materiais correspondia a certas estruturas de troca matrimonial que ele descrevera em "As Estruturas Elementares do Parentesco" [ed. Vozes]. Protestei, citando o trecho em "O Pensamento Selvagem" [Papirus] em que ele declara que o estruturalismo é especificamente uma ciência de superestruturas.

"É verdade", ele retrucou, "mas o sr. deve compreender que aprendi antropologia com Franz Boas [1858-1942] e Robert Lowie [1883-1957],

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que discutiam com índios de reservas os costumes de gerações passadas" -ele chamava isso de "arqueologia do vivo". "Ninguém prestava atenção à existência de índios contemporâneos", ele acrescentou. "Mas hoje é preciso estender o estruturalismo às infra-estruturas."

Retruquei que eu acreditava que sua restrição do estruturalismo às superestruturas era uma questão de princípio científico, e não pude me impedir de lhe perguntar: "O que é o estruturalismo, afinal?". Ele me respondeu: "É a boa antropologia, em suma". E, de fato, segundo esse critério, admito que eu era estruturalista.

PERGUNTA - Desde quando vem seu interesse pela Polinésia e por Fiji? Pode nos explicar sua opção por uma etnografia histórica, fundamentada nos arquivos mais que no trabalho de campo? O que o sr. aprendeu sobre essas sociedades?

SAHLINS - Como muitos homens de minha geração, minha iniciação na antropologia seguiu, em sua própria escala modesta, a trajetória do primeiro grande mestre americano, Lewis Henry Morgan [1818-81]. Ele decidiu fazer um estudo de campo sobre as tribos iroquesas locais e, com isso, inaugurou a tradição etnográfica americana.

Da mesma maneira, minha infância -passada brincando de caubói e índio e lendo os romances de Fenimore Cooper [1789-1851, de "O Último dos Moicanos"] escritos em falsa linguagem indígena- me levou a fazer um estudo de campo sobre um tipo de clã incomum, por ser hierarquizado, que qualificamos como "clã cônico".

Eu acabava de concluir um estudo das hierarquias políticas polinésias, e era em Fiji que se podia realizar um estudo etnográfico desse tipo de hierarquia de clã.

PERGUNTA - Por que o sr. escreve que a tradição nessas sociedades do Pacífico pode ser também uma modalidade de mudança?

SAHLINS - Desde o século 19, os povos do Pacífico, à medida que a sobrevivência de sua comunidade o permitiu, continuaram a ser atores e motores de suas próprias histórias.

Emprego o plural desse termo propositalmente, pois é sobretudo em suas culturas respectivas que eles foram buscar os recursos para continuar a serem atores de suas histórias. Logo, a tradição se tornou o mediador e a medida das transformações por que passaram. Basta estudar dois exemplos muito distintos de cristianização, ambos seguindo um modelo protestante e até mesmo puritano: de um lado os urapmins da Nova Guiné, que não demoraram a se perceber atingidos pelo pecado original e, portanto, se converteram em massa -por contato com outros povos da Nova Guiné- antes mesmo de terem visto qualquer missionário europeu. E, de outro lado, os havaianos, sobretudo aqueles das camadas populares, que se mantiveram "devassos" e resistiram à conversão

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durante décadas, porque, como freqüentemente observaram os missionários americanos, "lhes faltava a aversão por eles mesmos".

Eu me contentarei em mencionar alguns elementos culturais para demonstrar essa diferença. Para começar, o caráter fortemente centralizado da sociedade havaiana, segundo o qual a existência e a felicidade das camadas populares dependia das ações de seus chefes. Independentemente de suas próprias convicções, como repetiam aos missionários desesperados, as pessoas comuns se converteriam ao cristianismo quando seu chefe lhes desse o exemplo.

Mas, em vista do valor político e material das relações eróticas no sistema -o famoso "espírito aloha", que governava a sorte tanto dos chefes quanto dos não-nobres-, era difícil convencê-los a praticar a abstinência e a mortificação nas quais os protestantes enxergavam o sinal da graça divina. Um missionário deplorou o fato de os havaianos disporem de 20 palavras diferentes para designar o adultério: se ele escolhesse uma delas para traduzir o sétimo mandamento, eles pensariam que as outras formas de adultério continuariam a ser lícitas.

Inversamente, os urapmins formam um pequeno grupo, relativamente igualitário, de 360 pessoas que se casam entre si e se vêem envolvidas em relações recíprocas e complexas de parentesco, intensas e freqüentemente incompatíveis. Seria possível dizer que, em seu sistema tradicional, qualquer boa ação era também uma má ação na medida em que a escolha de viver com alguém implicava deixar de lado outra pessoa, não menos próxima; ao dar um presente a alguns, incentivava-se a crítica por ter desprezado suas obrigações em relação aos outros.

Assim, não surpreende que, para traduzir o conceito cristão de pecado, os urapmins empreguem o termo "dívida". Mas eles se enganavam ao crer que o cristianismo seria sua redenção. Como não podiam renunciar pura e simplesmente a sua cultura tradicional, eles apenas agravaram seu caso, pois sua cultura era incompatível com os ideais de harmonia cristã.

PERGUNTA - Qual o papel da cultura em sua pesquisa antropológica?

SAHLINS - Para mim a cultura é tudo. Em suas formas e em suas transformações, seu papel na história das sociedades e na organização dos indivíduos, a cultura é o objeto por excelência de todo saber antropológico.

A melhor maneira de ilustrar essa convicção talvez seja contestar o folclore do determinismo genético que ficou tão em voga nos EUA: esse movimento pretende remeter toda forma cultural a uma "natureza humana" universal fundamentada no interesse pessoal e no espírito de competição.

Associadas às teorias econômicas da "escolha racional", disciplinas vulgarizadas, como são a sociobiologia e a psicologia evolutiva, estão

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criando uma ciência humana de múltiplos usos, a ciência do "gene egoísta". Naturalmente, é fácil reconhecer nessa suposta natureza humana o velho sujeito burguês.

Na espécie humana, a biologia é um determinante culturalmente determinado

Uma parcela grande demais dos americanos ainda está convencida de que "a espécie sou eu". Entretanto, como prova a antropologia mais elementar, viver sua vida em conformidade com sua cultura permite que se tenha a possibilidade e que se reconheça a necessidade de satisfazer nossas inclinações naturais no modo simbólico, segundo definições significantes de nós mesmos, de nosso ambiente, de nossas relações e de nossas produções.

De fato, a cultura humana é bem mais antiga que nossa natureza enquanto espécie, pois ela remonta a pelo menos 2 milhões de anos, sendo que o Homo sapiens surgiu há apenas 200 mil anos, engendrado dentro de e por um contexto cultural que tomava a reprodução humana a seu cargo. Se evoluímos biologicamente, isso se deu sob a pressão da seleção cultural, ou seja, a necessidade de culturalizar nossa animalidade.

Isso não faz de nós ou de nossos ancestrais "páginas em branco" despidas de qualquer imperativo biológico; quer dizer simplesmente que o que foi selecionado de maneira específica pelo gênero Homo foi a capacidade de realizar esses imperativos de mil maneiras diferentes e pouco conhecidas, mas demonstradas pela história e pela antropologia.

O fato mais pertinente para compreender as relações entre cultura e natureza humana não é (por exemplo) o fato de que todas as culturas conhecem a sexualidade, mas que toda sexualidade conhece a cultura. As pulsões sexuais são diversamente expressas e reprimidas segundo as definições, específicas de cada cultura, de o que são os parceiros, as circunstâncias, os lugares, os momentos e as funções corporais apropriados.

Alguns chegam a praticar sexo por telefone. Outro exemplo de manipulação (o jogo de palavras é proposital) conceitual é a célebre réplica do ex-presidente Bill Clinton: "Não fiz sexo com essa mulher".

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Inversamente, sublimamos nossa sexualidade genérica de mil maneiras, incluindo a de transcendê-la e dar preferência à castidade, valorizada pelo pensamento cristão.

O mesmo se aplica à agressividade: podemos brincar de guerra, desancar impiedosamente o livro mais recente de um acadêmico inimigo ou, mesmo, à moda nova-iorquina, responder a um "tenha um bom dia" com "não preciso receber ordens de você!".

Sejam quais forem nossas necessidades, pulsões, inclinações inatas, quer sejam de ordem agressiva, egoísta, alimentar, social ou altruísta, elas são frutos de uma definição simbólica, portanto de ordem cultural. Na espécie humana, a biologia é um determinante culturalmente determinado.

PERGUNTA - O verdadeiro pensamento selvagem é o do capitalismo contemporâneo?

SAHLINS - Não no sentido estrito do termo. Mais exatamente, o capitalismo contemporâneo implica uma mesma lógica cultural do concreto sob a forma de valores de uso, que, uma vez fetichizados como preços e colocados em ação para fins lucrativos, fazem inegavelmente o efeito de um pensamento selvagem incontrolado. Por mais que nossa racionalidade pecuniária o tenha ocultado, se ergue sobre todo um sistema de valores culturais motivados que associam sujeitos e objetos, logo, preferências e produtos, em razão de suas características distintivas.

É claro que essa realidade passa despercebida aos olhos dos sujeitos burgueses -que geralmente vivem seus valores culturais como um hábito, sem prestar atenção a ele- e dos economistas, que, tendo definido seu domínio como uma racionalidade prudente, enquadram as formas culturais nos limbos dos fatores "exógenos" ou mesmo "irracionais".

Não nos damos conta de que nossas escolhas racionais -por exemplo, não serviremos hambúrgueres a convidados que respeitamos- são baseadas num código de valores que não guarda relação nenhuma com o caráter nutritivo e que tem tudo a ver com a significação respectiva dos órgãos e dos músculos, da carne e dos cortes, do cortado e do moído, dos pratos e dos sanduíches etc.

Da mesma maneira, não são as qualidades concretas das roupas que explicam a diferença de estilo de vestimenta que manifesta a distinção social em vigor entre homens e mulheres em situações de trabalho e de lazer, entre empresários e policiais, bailes de debutantes e boates: basta pensar em todos os significados veiculados por uma peça de vestuário, como [Roland] Barthes nos ensinou.

Vivemos hoje em um mundo que se encanta com objetos semioticamente construídos e culturalmente relativos, como o ouro, a

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seda, as cepas de pinot noir, o petróleo, o filé mignon, os tomates "primeira colheita" e a água pura de Fiji.

Assistimos a uma construção da natureza por meio de esquemas culturais historicamente determinados, mas cujas qualidades simbólicas são transformadas em qualidades pecuniárias, cujas fontes sociais são atribuídas a desejos individuais e cuja satisfação arbitrária é travestida em escolha universalmente racional.

Mas, como é impelido à competição pelo interesse financeiro, esse encantamento produz uma infinidade de objetos, enquanto ainda for possível metamorfosear as distinções sociais dos sujeitos e dos objetos em mercadorias rentáveis.

PERGUNTA - O sr. não hesita em traçar comparações entre civilizações geográfica e historicamente distantes, como, por exemplo, entre as guerras do Peloponeso narradas por Tucídides e as de Fiji. O que lhe traz esse olhar cruzado?

SAHLINS - O conflito entre os reinos fijianos de Bau e de Rewa (e seus respectivos aliados), que durou de 1843 a 1855, foi a maior guerra travada nos mares do Sul antes da Segunda Guerra Mundial.

Como Bau (como Atenas) era uma potência naval imperialista, e Rewa (como Esparta) era uma velha potência terrestre, a guerra da Polinésia já tinha levado os visitantes europeus do século 19 a traçar comparações entre ela e as guerras do Peloponeso. A diferença de estrutura política entre Bau e Rewa procedia de uma interdependência, comparável à relação entre o parentesco de sangue (consangüinidade) e o parentesco por casamento (afinidade), o que autoriza a pensar que os próprios fijianos teriam consciência de que essas estruturas eram o espelho invertido (a antítese) uma da outra.

Da mesma maneira, Atenas e Esparta constituem antitipos estruturais e históricos: essas duas cidades eram, respectivamente, cosmopolita e xenófoba, marítima e terrestre, comerciante e autárquica, luxuosa e frugal, democrática e oligárquica, urbana e campônia, autóctone e imigrante...

Poderíamos continuar ao infinito com essas dicotomias. O que lembra a injunção tão influente de Lévi-Strauss em "Race et Histoire" [Raça e História]: "É preciso evitar estudar a diversidade das culturas humanas caso a caso, pois essa diversidade nasce menos do isolamento dos diversos grupos que das relações entre eles".

Como esse princípio é confirmado várias vezes em "Mythologiques" [Mitológicas], somos tentados a concluir que, apesar de seu apego à sincronia, o estruturalismo é igualmente fortemente historicista.

PERGUNTA - O que as guerras do Peloponeso podem nos ensinar sobre a guerra do Iraque, hoje?

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SAHLINS - Substituindo os mitos de Heródoto pelo lógos, Tucídides usurpou o título de "pai da história", tornando-se o queridinho dos pragmáticos das relações internacionais e outros adeptos ocidentais da "realpolitik".

Mas o paralelo mais esclarecedor com o Iraque nos é oferecido pela guerra civil anárquica ("estase") que devastou Corcira, onde espartanos e atenienses se envolveram no conflito interno que opunha os oligarcas locais aos democratas, disputando o controle da cidade. Em Corcira, assim como no Iraque, quando as instituições de Estado perderam toda legitimidade e a violência se tornou o recurso privilegiado de todas as causas partidárias, os valores sagrados da justiça, da moral e da religião foram afogados no sangue e reduzidos a nada.

Platão observou um dia que cada "pólis" é na verdade composta de várias "pólei", pois ela se divide em cidade dos ricos e cidade dos pobres, em guerra de um contra o outro, e cada uma é dividida, ela própria, entre facções opostas. E, quando as causas e as forças internacionais -como a dominação ateniense sobre Corcira ou a oposição entre democracia e fundamentalismo islâmico no Iraque- se somam às dissensões locais, tem-se a impressão de assistir a um colapso da ordem cultural e à irrupção da natureza humana sob sua forma mais brutal.

Em Corcira, escreve Tucídides, "até as palavras foram obrigadas a renunciar a seu sentido habitual e aceitar aquele que se lhes era dado". Desse modo, a premeditação virou "legítima defesa"; a moderação, "falta de virilidade", a prudência, "covardia".

Ecoando alguns argumentos dos sofistas, opondo o caráter superficial da cultura ("nómos") ao caráter irresistível da natureza ("physis"), o historiador antigo afirmava que essa manifestação desenfreada de hipocrisia e injustiça se produziria cada vez que o desejo natural de poder e de lucro se chocasse com as frágeis convenções da ordem social.

E ainda encontramos os ecos dessa ideologia no comentário feito por Donald Rumsfeld [então secretário da Defesa] sobre o caos que se seguiu à ocupação americana de Bagdá: "Isso teria que acontecer, cedo ou tarde", uma versão asseptizada de "Cedo ou tarde a coisa teria que explodir". É um defeito que os ocidentais sempre atribuem aos outros povos, mas eles próprios tendem rapidamente a confundir natureza e cultura.

Quer seja em Corcira ou no Iraque, foi preciso uma combinação gigantesca de causas morais e políticas conflitantes para produzir esse suposto estado de natureza. Em Corcira, assim como no Iraque, a intervenção de fatores externos poderosos conferiu um valor novo e absoluto aos cismas internos da cidade, tornando-os tão insolúveis quanto abstratos e ideológicos.

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Daquele momento em diante, as pessoas passaram a lutar por ou contra generalidades: a "liberdade", a "escravidão", a "democracia", o "islã", a "ditadura", o "terrorismo", o "imperialismo". Fato que prova simplesmente que é necessária muita cultura para criar um estado de natureza.

A íntegra deste texto saiu na revista francesa "Nouvel Observateur". Tradução de Clara Allain.

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